Les relations personnelles du mineur avec ses auteurs
p. 25-38
Texte intégral
SECTION 1. LES RÉFORMES LÉGISLATIVES
1Le 17 janvier 1992 est entrée en vigueur à l’égard de la Belgique la convention relative aux droits de l’enfant adoptée à New York le 20 novembre 19891.
2En son article 12, elle prévoit que
3« les États-parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
4A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale ».
5Indépendamment de la discussion autour du caractère directement applicable ou non de cette disposition2, c’est vraisemblablement notamment pour couper court à toute discussion à cet égard que la loi du 30 juin 1994 a modifié l’article 931 du Code judiciaire en transposant en droit interne les dispositions en cause de la Convention de New York assurant à celle-ci une lisibilité, une clarté et une sécurité juridique plus grandes.
6C’est à l’occasion de la discussion, à la Chambre, des pouvoirs qui ont été conférés au Juge des référés dans le cadre du divorce pour cause déterminée que la discussion a été ouverte dans toute son amplitude au départ d’un amendement no 33 de Madame Merckx-Vangoey, ‘t Serclaes et consorts tendant à la modification de l’article 872 du Code judiciaire. Elle aboutit à diverses propositions tendant à la mise au point d’un article spécifique de la nouvelle loi, lequel deviendra pour des raisons légistiques un article spécifique du Code judiciaire s’appliquant pour toutes les procédures dans lesquelles l’audition du mineur s’impose3.
7L’article 931 du Code judiciaire est formulé de la manière suivante :
8« Le mineur de moins de 15 ans révolus ne peut être entendu sous serment. Ses déclarations peuvent être recueillies à titre de simples renseignements.
9Des descendants ne peuvent être entendus dans les causes où leurs ascendants ont des intérêts opposés.
10Néanmoins, dans toutes procédures le concernant, le mineur capable de discernement peut, à sa demande ou sur décision du juge, sans préjudice des dispositions légales prévoyant son intervention volontaire et son consentement, être entendu, hors de la présence des parties, par le Juge ou la personne désignée par ce dernier à cet effet, aux frais partagés des parties s'il y a lieu. La décision du Juge n’est pas susceptible d'appel.
11Lorsque le mineur en fait la demande soit au Juge saisi, soit au Procureur du Roi, l’audition ne peut être écartée que par une décision spécialement motivée fondée sur le manque de discernement du mineur. Cette décision n'est pas susceptible d'appel.
12Lorsque l’audition est décidée par le Juge, le mineur peut refuser d’être entendu.
13Il est entendu seul sauf le droit pour le Juge de prescrire dans l’intérêt du mineur qu'il devra être assisté.
14L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. L’audition a lieu en tout endroit jugé approprié par le Juge. Il en établit un procès-verbal qui est joint au dossier de la procédure, sans que copie en soit délivrée aux parties ».
15La loi du 13 avril 1995 relative à l’exercice conjoint de l’autorité parentale parue au Moniteur belge du 24 mai 1995 est entrée en vigueur le 4 juin 1995. Ce texte, au-delà d’une simple actualisation de concepts jugés désuets et inadaptés comme ceux de « garde » et de « droit de visite », introduit une modification assez fondamentale de l’autorité parentale. « Le législateur était principalement soucieux de l’exercice de l’autorité parentale après un divorce, mais il a estimé opportun d’étendre son point de vue et de poser comme principe le maintien de la responsabilité parentale conjointe que les père et mère soient mariés ou non, qu’ils vivent ensemble ou non, qu’ils soient séparés ou divorcés »4.
16L’article 373 du Code civil se présente comme suit :
17« Lorsqu’ils vivent ensemble, les père et mère exercent conjointement leur autorité sur la personne.
18A l’égard des tiers de bonne foi, chacun des père et mère est réputé agir avec l’accord de l’autre quant il accomplit seul un acte de cette autorité sous réserve des exceptions prévues par la loi.
19A défaut d’accord, le père ou la mère peut saisir le tribunal de la jeunesse.
20Le tribunal peut autoriser le père ou la mère à agir seul pour un ou plusieurs actes déterminés ».
21L’article 374 reprend les dispositions suivantes :
22« Lorsque les pères et mères ne vivent pas ensemble, l’exercice de l’autorité parentale reste conjoint et la présomption prévue à l’article 373 alinéa 2, s’applique.
23A défaut d’accord sur l’organisation de l’hébergement de l’enfant, sur les décisions importantes concernant sa santé, son éducation, sa formation, ses loisirs et sur l’orientation religieuse ou philosophique ou si cet accord lui paraît contraire à l’intérêt de l’enfant, le Juge compétent peut confier l’exercice exclusif de l’autorité parentale à l’un des père et mère.
24Il peut aussi fixer les décisions d’éducation qui ne pourront être prises que moyennant le consentement des père et mère.
25Il fixe les modalités selon lesquelles celui qui n’exerce pas l’autorité parentale maintient des relations personnelles avec l’enfant. Ces relations ne peuvent être refusées que pour des motifs très graves. Celui qui n’exerce pas l’autorité conserve le droit de surveiller l’éducation de l’enfant. Il pourra obtenir, de l’autre parent ou tiers, toute information utile à cet égard et s’adresser au tribunal de la jeunesse dans l’intérêt de l’enfant.
26Dans tous les cas, le Juge détermine les modalités d’hébergement de l’enfant et le lieu où il est inscrit à titre principal dans les registres de la population ».
SECTION 2. L’AUTORITÉ PARENTALE ET LES MODALITÉS D’HÉBERGEMENT : L’INTERVENTION DU DISCOURS PSYCHOLOGIQUE
27Le débat autour des modalités d’hébergement fut essentiellement introduit dans la société belge à partir d’écrits de Madame Irène Thery5.
28Quelle que soit la cause du divorce, le lien établi par les lois belge et française entre l’innocence de l’époux et l’attribution de la garde de l’enfant est désormais rompu. Ce que le législateur ne considérait que de façon subsidiaire « le plus grand avantage des enfants » était alors reconnu par le droit comme un critère unique et exclusif. Dans son analyse de la notion de l’intérêt de l’enfant comme critère de décision, Irène Thery établit assez rapidement que cet élément traduit « de la façon la plus claire l’évolution du droit de la famille et de l’abandon d’un modèle familial unique et transcendant, au profit de la reconnaissance de la diversité sociale et de la gestion des situations individuelles parce que son indéfinition semble le signe le plus évident d’une dilution de la norme. Etudier ce que dans la pratique judiciaire il signifie concrètement, quelle représentation lui donne corps et quelle décision il légitime, est un moyen privilégié d’analyser des images dominantes de la famille et de leur lien à l’évolution des pratiques familiales contemporaines »6.
29En ce qui concerne plus particulièrement les modalités d’hébergement, la première intervention significative des psychologues dans la matière est l’article de Madame Nicole Dopchie Intitulé « Considérations sur l’adéquation psychologique de l’octroi d’un droit de garde alterné en cas de séparation ou de divorce »7.
30Il ne se passe pas un jour sans que l'on fasse encore référence de manière souvent erronée aux critères pour qu'une modalité d’alternance dans l’hébergement puisse être retenue à titre définitif. Les critères énoncés par Madame Dopchie étaient les suivants :
- Si l’enfant a plus de trois ans et a acquis des bases suffisamment solides de sa personnalité et, entre autre, la notion de constance des objets affectifs qui lui permettra d’avoir l’assurance de retrouver le parent qu’il quitte temporairement.
- Si au moins un des parents l’a demandé, et qu’il est avéré que sa requête est sous-tendue par un intérêt réel pour l’enfant lui-même et est associé à l’aptitude psychologique et matérielle de la prendre en charge.
- Si les conceptions éducatives de chacun des parents reposent sur un consensus suffisamment large quant aux grandes orientations de base.
- Si les ressentiments que chacun des parents éprouve à l’égard de l’autre ne rendront pas l’enfant un véritable otage dans leur règlement de comptes respectifs.
- Si l’enfant exprime un attachement équivalent pour ses deux parents ou que celui-ci est mis en évidence par un examen médico-psychologique.
- Si géographiquement les lieux de vie des parents permettent à l’enfant une continuité scolaire et de vie sociale personnelle.
31On ajoute souvent à ces six critères un élément consistant dans une forme d’accord des deux parents pour l’utilisation de cette formule alors qu’il n’en est rien.
32Dans son examen de la garde alternée une semaine/une semaine, Madame Dopchie explique particulièrement bien que cette formule « paraît cependant pouvoir être retenue au moins en tant que mesure provisoire prise soit par le Juge de paix en attendant une décision ultérieure du Président du Tribunal statuant en référé, ou du tribunal de la jeunesse, soit par ce dernier, à titre provisionnel, en attendant les conclusions d’une expertise médico-psychologique. Trop souvent, en effet, il apparaît que les mesures provisoires qui confient l’enfant à l’un plutôt qu’à l’autre parent, deviennent un état de fait qui a tendance à être entériné par le Juge définitif sans que la possibilité ait été réellement offerte à chacun des parents de donner la preuve de ses valeurs éducatives »8.
33Philippe Kinoo met parfaitement en évidence la nuance entre besoin de stabilité et stabilité de lieu.
34« Autrement dit, on vise à ce que parallèlement au retour à une autorité parentale conjointe, l’enfant ait un temps de relations le plus équilibré possible avec ses deux parents. Pratiquement, il me semble qu’on cherche le meilleur compromis entre une stabilité d’organisation de vie de l’enfant - ce qui suppose une certaine permanence - et une relation équilibrée avec ses deux parents - ce qui suppose une certaine alternance,…
35L’enfant a besoin de stabilité. Quand on évoque ce principe, c’est généralement en visant une stabilité de lieu (avoir sa chambre, savoir où est sa maison) et une stabilité de temps (ne pas circuler sans cesse avec sa valise). Ce principe ne paraît pourtant pas un besoin fondamental pour l’enfant. Certes, il lui assure ce que j’appellerais un certain contact de vie mais pas la satisfaction d’un besoin. L’enfant, l’adolescent a des capacités d’adaptation : il vit et s’adapte dès son jeune âge à des lieux de vie différents (gardiennage, crèche dès les premiers mois de sa vie, l’école ensuite, le weekend chez les grand-parents ou des oncles et tantes, internats scolaires, camps louveteaux). Cette capacité d’adaptation de l’enfant est fort grande au point que je ne peux dire qu’il y ait un bon modèle psychologique d’hébergement qui soit lié à la stabilité. Le besoin serait donc ailleurs du côté des repères et des références. Les tenants de la stabilité évoquent souvent le besoin qu’a l’enfant de repères éducatifs clairs, de règles de vie univoques et donc le problème que susciteraient pour le développement de l’enfant les différences éducatives. Ici encore, je pointerais la grande capacité de l'enfant de s’adapter aux différences, pour peu que l’on respecte certaines conditions. Par exemple, le match de foot. L’enfant joue au foot à son club et à la récré selon des règles très différentes ce qui ne pose pas de problème pour peu qu’il fasse la différence entre le lieu et le temps de chaque activité. Troisième élément à la bonne marche du jeu : il faut que tout le monde joue le jeu et pas seulement l’enfant. Si l’entraîneur du club critique les matchs de récré ou qu’un des copains veut imposer à la récré les règles qu’il a apprises au club, cela pose problème. Ce n’est donc pas la différence qui fait problème, mais l’incohérence (deux règles contradictoires dans un même lieu) et le non-respect des différences (critiques des règles d’autres lieux).
36Continuons alors notre réflexion sur les besoins de l’enfant. La stabilité du lieu et la règle unique ne sont pas des besoins psychologiques fondamentaux, du moins à notre avis. Par contre, cette critique que nous évoquions nous introduit, à ce qui me semble le problème principal pour l’enfant : c’est la crise de stabilité affective. Qu’est-ce qu’un enfant expérimente dans la séparation de ses parents ? C’est une rupture du lien. Sauf dans quelques cas où l’enfant a connu de graves conflits avant la séparation, et dans ce cas on voit parfois des enfants soulagés par la séparation, l’enfant se sentira triste et bouleversé par cette rupture. Face à cette rupture, il aura besoin d’être rassuré, sécurisé. Une bonne manière de le faire est de lui permettre de garder ce lien avec ses deux parents. Je dis « à mon avis bonne » car on a vu qu’on a pu justifier dans le passé une autre vision : un seul bon lien fort avec le bon parent. Actuellement néanmoins, c’est dans l’équilibre entre ses deux parents que cela semble le plus adapté »9.
37L’introduction du discours psy a donc fait considérablement évoluer la problématique et nous impose une prise en charge beaucoup plus équilibrée des relations du mineur avec ses parents.
SECTION 3. L’AUDITION DE L’ENFANT À L’ÉPREUVE DE LA JURISPRUDENCE ET DE LA PRATIQUE
38Le débat fut rapidement assez vif quant à cette problématique de l’audition du mineur. Différents auteurs mirent tout de suite en évidence le risque de voir les enfants transformés en « hochet ou otage »10.
39« On est, dans certains milieux, tellement acquis à l’idée que, pour rompre avec les attitudes paternalistes ou colonisatrices que les adultes ont fréquemment pratiquées à l’égard des enfants, il convient désormais de permettre aux enfants, dans toutes les situations qui les concernent, de prendre la parole, d’exprimer leurs désirs, de faire valoir leurs points de vue, qu’on court le risque d’être traités de conservateurs ou de réactionnaires si l’on se permet de formuler des réserves ou des réticences à l’égard d’une telle thèse, à tout le moins lorsque la situation qui concerne l’enfant est un litige entre ses père et mère soumis aux cours et tribunaux »11.
40L’enfant ou le mineur reste un être coincé parfois dans une impasse en raison de sa fidélité à l’égard de chacun de ses parents.
41« Lorsqu’il paraît résulter des faits de la cause que deux fillettes de 10 et 8 ans ont déjà été interrogées par des adultes à propos d’incident malheureux et troublant survenu lors de vacances passées avec leur père, ne fut-ce qu’avec l’intention d’aider leur mère, il est souhaitable de ne pas poursuivre dans cette voie au risque d’entraver l’équilibre des enfants et de ne pas leur apporter la moindre aide. Il est dès lors préférable, plutôt que de procéder à l’audition des enfants, de recourir à une expertise pédo-psychologique afin que les enfants puissent s’exprimer le plus librement possible à propos de leurs relations avec chacun de leurs parents et ne risquent pas de sentir interrogés sur les faits »12.
42Les magistrats ont ainsi parfaitement perçu qu’un enfant de six ans ne dispose d’évidence pas du discernement nécessaire pour être amené à prendre parti concernant les relations qu’il doit entretenir avec ses deux parents. Même si cet enfant a lui-même demandé d’être entendu, cette audition ne peut que l’impliquer de manière traumatisante dans un problème qui le dépasse. Il n’en va pas nécessairement de même pour un enfant de 8 ans qui peut répercuter des renseignements intéressants quant à la façon dont il vit ses relations personnelles avec ses deux parents, mais il paraît opportun de confier cette audition à un professionnel compétent.
43Le Juge entend donc assez souvent lui-même le jeune. Comme l’écrivait Jean-François Servais récemment, « respecter la parole de l’enfant c’est d’abord savoir la recueillir »13.
44Il ne faut donc pas rendre la parole à l’enfant simplement pour pouvoir la lui couper ou pour le coincer dans une situation trop complexe. L’enfant n’est bien souvent comme le soulignait Isabelle Ravier que le porteur « de la difficulté de faire le deuil d’une relation »14.
45L’audition du mineur ne doit surtout pas être une forme d’audition - bonne conscience - qui ne sert qu’à légitimer un scénario déjà patiemment mis en place par les parties ou autour duquel les parties entretiennent patiemment le conflit. Une étude récente de 119 dossiers que la section civile des tribunaux de la Jeunesse de deux arrondissements judiciaires ont eu à connaître nous montre en effet que les fréquences dominantes permettent d’établir que les suites de l’audition sont en général un jugement dans le sens de la demande exprimée par l’enfant.
SECTION 4. L’HÉBERGEMENT ÉQUILIBRÉ À L’ÉPREUVE DE LA JURISPRUDENCE
46Même si l’on retrouve encore un certain nombre de décisions réticentes même quant au principe de l’administration conjointe de la personne et des biens de l’enfant15, la jurisprudence évolue assez sensiblement à la mise en place de formules plus équilibrées de prise en charge et de l’hébergement non plus lorsque les deux parties sont d’accord sur la formule mais lorsqu’une d’entre-elles expose des raisons sérieuses et essentiellement dans les scénarios provisoires dans l’attente d’une décision définitive.
47Le tribunal des référés de Nivelles s’est déjà prononcé à de nombreuses reprises dans le sens d’un hébergement « équilibré » et dans les termes suivants :
48• « 1. Attendu que les parties sont toutes deux convaincues de la nécessité pour les enfants de conserver les relations les plus larges possibles avec chacune d’elles, mais divergent quant à la réalisation de cet objectif ;
49Que le demandeur sollicite un hébergement alterné une semaine sur deux tandis que la demanderesse sollicite l’hébergement principal pour elle-même et propose un hébergement secondaire chez le père un week-end sur deux du vendredi soir au lundi matin ;
50Attendu que les parties se reconnaissent mutuellement l’aptitude à éduquer leurs enfants ;
51Que la proposition du demandeur présente dès lors incontestablement l’avantage de maintenir les relations les plus larges et les plus enrichissantes entre les enfants et leurs deux parents ;
52Attendu que la solution préconisée par la défenderesse aurait en revanche l’inconvénient de réduire ces relations à un minimum qui ne s’impose pas en l’espèce et empêcherait les enfants de partager avec l’un des parents les différents aspects de leur vie quotidienne ;
53Attendu que si l’hébergement alterné n’est pas une nécessité, il s’agit de la modalité d’hébergement la plus favorable au bon équilibre et à l’épanouissement des enfants lorsque les deux parents sont en mesure de l’exercer ;
54Attendu que la contestation de la défenderesse paraît d’ailleurs être de pur principe et se fonder sur un certain nombre d’idées reçues quant à l’hébergement alterné qui ne tiennent pas compte de l’intérêt des enfants de ne pas être séparés de l’un de leurs parents ; »16.
55• « 2. Attendu qu’il est naturel que le parent qui a exercé l’hébergement principal depuis la séparation pense qu’il s’agisse de la solution ; qu’il doit cependant comprendre et admettre que leur équilibre exige toujours la présence de leurs deux parents et qu’un hébergement alterné, si rien ne s’y oppose effectivement, rencontre au mieux cette exigence lorsque les parents sont séparés »17.
56• « 3. Attendu que dans la mesure où les enfants ont un égal besoin de relations riches et harmonieuses avec l’un et l’autre de leurs parents, il convient d’encourager un hébergement partagé chaque fois qu’il est possible ;
57Attendit que les objections de la demanderesse ne justifient pas que l'expérience ne soit pas tentée en l’espèce ;
58Que la crainte que l’enfant soit balloté et déraciné ne repose sur aucun indice pertinent.
59Attendu que les enfants ne seront pas plus ballotés parce qu’ils seront conduits et repris à leurs activités une semaine sur deux par le demandeur.
60Qu’ils ne seront pas déracinés alors qu ils restent dans la même école et vivent chez leur père »18.
61• « 4. Attendu que l’hébergement alterné est certainement la forme la plus enrichissante pour l’enfant et qu’en l'espèce, il semble intéressant de le tenter malgré le jeune âge des enfants et des tensions qui subsistent entre les parties pour des questions surtout financières »19.
62Le juge des référés de Nivelles ira même jusqu'à considérer dans une hypothèse où la maman ne travaille pas et le père a des obligations professionnelles assez lourdes, qu’il est bon pour les enfants « qu’ils disposent par ailleurs de l’image d’un parent actif qui doit s’imposer une certaine organisation de son temps »20.
63La même décision précisait d’ailleurs
64« Attendu que si l’hébergement alterné n’est pas une nécessité, il s’agit d’une modalité d’hébergement la plus favorable au bon équilibre et à l’épanouissement des enfants lorsque les deux parents sont en mesure de l’exercer ;
65Attendu que la contestation de la défenderesse paraît d’ailleurs être de pur principe et se fonde sur un certain nombre d’idées reçues quant à l’hébergement alterné, qui ne tiennent pas compte de l’intérêt des enfants de ne pas être séparés de l’un de leurs parents ;
66Attendu que la défenderesse invoque surtout les tensions très vives entre elle et le demandeur qui seraient incompatibles avec l’hébergement alterné ;
67Attendu que les modalités d’hébergement ne sont pas destinées à résoudre les conflits entre les parents, sauf à considérer que les tensions cesseraient si la défenderesse obtenait satisfaction quant à ses revendications d’hébergement ».
SECTION 5. L’INTERFÉRENCE DES MESURES PROTECTIONNELLES DANS L’INSTANCE CIVILE
68L’intervention du Tribunal de la jeunesse dans le cadre de ses compétences protectionnelles soit sur pied de l’article 36.2 de la loi du 8 avril 1965, soit par le biais des articles 38 et 39 du décret du 4 mars 1991, semble de plus en plus fréquente dans les litiges purement civils relatifs à l’autorité parentale et aux modalités d’hébergement. Même si le Juge protectionnel intervient avec beaucoup de réticences, il n’en demeure pas moins que les situations sont de plus en plus nombreuses. « La Cour a estimé aussi ne pas devoir provisoirement interférer dans l’attribution de la garde matérielle de X étant entendu que si la surveillance et la guidance ordonnées par le premier juge n’avaient pas les effets souhaités après que la chambre civile de la Cour eut statué sur l’administration de la personne et des biens du garçon, il conviendrait d’envisager l’application d’autres mesures de garde plus contraignantes, fut-ce une déchéance partielle de l’autorité parentale du père et/ou de la mère »21.
69L’intervention du juge aboutit néanmoins de plus en plus souvent même lorsqu’une décision règle la question de l’autorité parentale au plan civil, à prendre des mesures d’éloignement du milieu familial, ce qui est la base même de la législation protectionnelle, ou à confier de manière protectionnelle l’enfant à l’un ou l’autre des parents en contrariété même avec la décision civile :
70« Le différend qui oppose les parents de H relève essentiellement de la compétence du Juge civil ; Toutefois, compte tenu de l’impossibilité d’obtenir dans un bref délai une décision au civil, H se trouve dans une situation qui peut être assimilée à l’état de danger visé à l’article 36.2 de la loi du 8 avril 1965 ; Il convient de prendre à titre précaire la mesure ci-après ; Comme le prévoit l’article 12.1 de la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée à New York le 29 novembre 1989, les opinions de l’enfant sur toutes questions l’intéressant doivent être pris en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ; Il ne s’agit évidemment pas du seul critère à prendre en considération ; Il appartiendra au Juge civil de procéder aux investigations qu’il estimera utiles en vue de statuer dans l’intérêt de H sur l’exercice de l’autorité parentale et, le cas échéant, sur le droit aux relations personnelles du parent non gardien ; A titre précaire, ordonne le placement provisoire de l'enfant sous la surveillance du service social compétent ; Confie H à sa mère sans frais à dater du.... ; Dit que les mesures ordonnées par le présent arrêt cesseront de sortir leurs effets dès qu’une décision, même provisoire, aura été prise par le Juge civil compétent qui concerne l’exercice de l’autorité parentale et, le cas échéant, le droit aux relations personnelles du parent non gardien, et, en tout cas, à l’expiration d’un délai de 6 mois à dater du prononcé de l’arrêt ; »22.
71On ne peut qu’émettre un avis extrêmement réservé quant à ce type de pratique judiciaire dont la raison d’être est à retrouver essentiellement dans les lenteurs de notre procédure civile et dans le refus systématique de mettre en place une forme de référé devant le Tribunal de la jeunesse ou une forme d’organisation à titre tout à fait précaire des mesures sur base de l’article 19 du Code judiciaire.
Notes de bas de page
1 Voir sur ce sujet en général : V. Pouleau, A propos de la convention des Droits de l’enfant - l'enfant, sujet de droit, enfin une réalité, J.T., 1990, p. 617.
2 Voir au sujet de l’application directe : Mons, 10 novembre 1993, Rev. Rég. Dr., 1993, p 401 ; Jeun. Liège, 7 mars 1994, J.L.M.B., 1994, p. 521 ; Civ. Nivelles (Réf.), 21 mai 1993, J.L.M.B., 1993, p. 1278 ; Contra Civ. Liège (Réf.), 30 juin 1993, J.L.M.B., 1993, p. 1282.
3 J. de Gavre, La loi du 30 juin 1994 modifiant l'article 931 du Code judiciaire et les dispositions relatives aux procédures du divorce, J.T., 1994, no 54.
4 A. Jonckheere et G.H. Beauthier, La loi du 13 avril 1995 relative à l’exercice conjoint d’autorité parentale, un texte bâclé sur le fil, J.D.J., no 1477095, p. 298.
5 Voir essentiellement la référence à l’intérêt de l’enfant dans la modification du droit de garde après le divorce, Thèse de doctorat de troisième cycle en démographie, Université de Paris V, 1983 ainsi que Irène Thiry, Le démariage, Justice et vie privée, Odile Jacob 1997. Rappelons-nous à cet égard le colloque de la Conférence du Jeune Barreau de 1985 dont le thème était : Les enfants, témoins, victimes ou otages des conflits de leurs parents. Magistrats, psychologues, avocats, comment agissons-nous ?.
6 Irène Thery, La référence à l’intérêt de l’enfant dans la modification du droit de garde après le divorce, op. cit., p. 6.
7 Rev. Trim. dr. familial, 4/81, p. 363.
8 N. Dopchie, op. cit., p. 366.
9 Ph. Kinoo, L’hébergement de l’enfant in La dislocation familiale, approche pratique, conférence du Jeune Barreau de Mons, Kluwer, p. 2.
10 Voir à ce sujet G. H. Beauthier, L’audition du mineur hochet ou otage, J.D.J., 138, octobre 1994, p. 4 ; J.L. Renchon, Audition de l’enfant en justice, Ann. Dr. Lv., 1996, p. 131.
11 J.L. Renchon, op. cit., p. 131.
12 Civ. Bruxelles (réf.), 4 avril 1996, Rev. Trim. Dr. Familial 96/3, p. 461.
13 J.-F. Servais, J.D.J., 164, p. 147.
14 Isabelle Ravier, L’audition en justice de l’enfant partagé, J.D.J., 164, p. 153.
15 Voir à ce sujet notamment, Trib. Jeun. Bruxelles, 8e chambre, 3 mars 1993, Rev. Trim. Dr. Familial, 3/95.
« L’attribution aux deux parents de l’enfant et de l’administration conjointe de sa personne et de ses biens ne peut être envisagée que lorsque cette solution rencontre totalement l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle suppose dès lors, comme préalable indispensable et incontournable, l’existence d’un consensus réel dans le chef des parents portant sur toutes les options fondamentales de vie ».
16 Civ. Nivelles (réf.), 3 octobre 1997, inédit.
17 Civ. Nivelles (réf.), 19 septembre 1997, inédit.
18 Civ. Nivelies (réf.), 27 décembre 1996, inédit.
19 Civ. Nivelles (réf.), 30 mai 1997, inédit.
20 Civ. Nivelles (réf.), 3 octobre 1997, inédit.
21 Bruxelles (jeun.), 13 février 1995, inédit.
22 Bruxelles jeun. 4 septembre 1996, inédit.
Auteur
Avocat au Barreau de Bruxelles Chercheur associé aux Facultés universitaires Saint-Louis
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