L’adoption, les futurs parents gays et lesbiens et la convention européenne
p. 41-61
Texte intégral
Introduction
1L’idée que l’Etat confie un enfant innocent à une personne gaye ou lesbienne, ou à un couple de même sexe, remplit d’effroi de nombreuses personnes appartenant à la majorité hétérosexuelle. Les parents gays ou lesbiens adoptifs risqueraient sans doute de dévorer l’enfant, de boire son sang, d’abuser de lui sexuellement, ou du moins de lui apprendre à mener une vie dissolue et malheureuse comme la leur. A différentes périodes de l’Histoire, l’idée de permettre à des parents juifs d’adopter un enfant né de parents catholiques romains aurait probablement provoqué une réaction semblable. Les affirmations selon lesquelles un parent gay ou lesbien est plus enclin qu’un parent hétérosexuel à abuser physiquement ou sexuellement de son enfant sont aussi insultantes et préjudiciables que les récits de Juifs dévorant des bébés chrétiens. De telles affirmations sont un déni de notre commune humanité. Comment peut-on penser qu’un parent gay ou lesbien n’aimera pas son enfant autant qu’un parent hétérosexuel, qu’il/elle ne prendra pas soin de lui au mieux de ses capacités, qu’il/elle ne sera pas inquiet(e) lorsque son enfant est malade, qu’il ne travaille pas bien à l’école, ou qu’il a des ennuis avec la police ?
2Dans de nombreux pays, le sujet de la parentalité gaye ou lesbienne est encore pratiquement tabou. Cependant, étant donné que le concept de la discrimination relative à l’orientation sexuelle est de mieux en mieux établi en droit des droits de l’homme, au niveaux national, européen et international, les tribunaux devront de plus en plus exiger des gouvernements qu’ils justifient la présomption discriminatoire selon laquelle aucun individu gay ou lesbien n’est apte à être un parent, et doit par conséquent se séparer de son enfant, ou exclure la possibilité de devenir un jour un parent.
Parentalité gaye et lesbienne
3Pour certains, le concept de « parentalité gaye et lesbienne » est une contradiction dans les termes. Chacun sait : que les individus gays ou lesbiens et les couples de même sexe ne peuvent pas avoir d’enfants ; et qu’ils ne désirent pas avoir d’enfants.
4La première supposition, selon laquelle les individus gays ou lesbiens et les couples de même sexe ne peuvent pas avoir d’enfants, est fausse. Les individus gays ou lesbiens fertiles sont aussi capables que les individus hétérosexuels fertiles de devenir le parent génétique d’un enfant. Ils peuvent y parvenir par une relation hétérosexuelle, souvent avant d’avoir pris conscience de leur orientation sexuelle, ou avant de l’avoir acceptée1. Ils peuvent également y parvenir par la procréation médicalement assistée, qui permet à une femme lesbienne d’être inséminée par le sperme d’un donneur2, ou à un homme gay d’utiliser son sperme pour inséminer une mère porteuse3. Il est vrai qu’il est actuellement biologiquement impossible pour un couple de même sexe d’avoir un enfant par la contribution génétique des deux partenaires. Cependant, par des relations hétérosexuelles ou par procréation médicalement assistée, ils peuvent avoir des enfants qui auront un lien génétique avec l’un des deux partenaires. De plus, à l’instar d’un couple stérile de sexes différents, ils peuvent introduire une demande d’adoption, même si dans la plupart des pays, Etats ou provinces en Europe ou en Amérique du Nord, ils ne peuvent actuellement le faire de manière conjointe, mais doivent spécifier quel partenaire sera le parent adoptif.
5La seconde supposition, selon laquelle les individus gays ou lesbiens et les couples de même sexe ne désirent pas d’enfants, est également fausse. Les hommes gays en particulier sont victimes d’un stéréotype qui les considère comme constamment obsédés par la recherche de leur propre plaisir et trop immatures pour assumer les responsabilités d’une paternité. Toutefois, malgré l’énorme hostilité sociale vis-à-vis de la parentalité gaye et lesbienne, et l’absence pratiquement universelle de soutien et d’encouragement, de plus en plus d’individus gays ou lesbiens et de couples de même sexe veulent devenir des parents4. Cela ne devrait pas être surprenant. Si l’on se réfère de nouveau à notre commune humanité, pourquoi serait-on en droit de penser qu’un individu gay ou lesbien serait moins enclin qu’un individu hétérosexuel, à un certain âge, à éprouver le désir d’aimer et de prendre soin d’un enfant ? La seule différence entre un individu gay ou lesbien et un individu hétérosexuel est l’orientation sexuelle de la personne gaye ou lesbienne qui la confronte à un obstacle biologique dans son désir de devenir parent. On pourrait dire qu’ils sont « mis au défi sur le plan reproductif ». Cependant, cet obstacle est identique à celui auquel est confronté un individu hétérosexuel qui n’a pas de partenaire ou qui est stérile, ou un couple de sexes différents dont l’un ou les deux partenaires sont stériles.
6Dans la mesure où un enfant issu d’une relation hétérosexuelle antérieure implique généralement le prix émotionnel élevé d’une séparation ou d’un divorce entre l’individu gay ou lesbien et son partenaire hétérosexuel antérieur, il ne s’offre que deux options préméditées à un individu ou un couple : (a) la procréation médicalement assistée et (b) l’adoption. Pour les femmes lesbiennes, l’insémination par donneur est une procédure relativement simple. Pour les hommes gays, convenir d’un arrangement avec une mère porteuse est moins courant, car c’est une pratique beaucoup plus onéreuse qui pose des problèmes d’ordre juridique et éthique plus importants. L’adoption constitue donc la seule option réaliste pour les hommes gays, en dehors des arrangements co-parentaux avec, par exemple, une femme lesbienne et sa partenaire.
7Entre l’adoption et la procréation médicalement assistée, l’adoption peut soulever des craintes sociales plus profondes par rapport à la parentalité gaye ou lesbienne que la procréation médicalement assistée. En effet, dans le cas de la procréation médicalement assistée, on demande à l’Etat d’autoriser la conception de nouveaux enfants ayant un lien génétique avec un membre d’un couple de même sexe, ou avec un individu gay ou lesbien sans partenaire. Si l’Etat refuse, ces enfants ne naîtront pas d’une tierce personne et ne seront donc élevés par personne. Ils ne naîtront tout simplement jamais. En revanche, dans le cas de l’adoption, l’Etat confie un enfant existant qui pourrait, en théorie, être élevé par un individu ou un couple hétérosexuel.
8C’est la raison pour laquelle je me focaliserai sur l’adoption gaye et lesbienne. Si la société accepte l’adoption par les personnes gayes ou lesbiennes, elle devrait avoir relativement plus de facilité à accepter l’accès à la procréation médicalement assistée pour les individus gays ou lesbiens et les couples de même sexe, sous les mêmes conditions que les individus hétérosexuels et les couples de sexes différents.
L’adoption par les personnes gayes et lesbiennes
9Il existe trois situations très distinctes dans lesquelles les personnes gayes et lesbiennes cherchent à adopter un enfant : (1) un individu gay ou lesbien tente d’adopter en tant que célibataire, dans un pays où les adoptions par les célibataires sont autorisées, et où le/la partenaire éventuel(le) de la personne adoptante n’a aucun droit ni aucune obligation parentale suite à l’adoption (« adoption individuelle ») ; (2) un membre d’un couple de même sexe, constitué de deux hommes ou de deux femmes vivant ensemble en tant que partenaires, cherche à adopter l’enfant génétique de l’autre membre du couple, de sorte que les deux partenaires auront des droits et des obligations parentaux vis-à-vis de l’enfant (« adoption co-parentale ») ; (3) les deux membres d’un couple de même sexe cherchent à adopter de manière conjointe un enfant sans aucun lien de parenté avec eux, de sorte que les deux membres du couple acquièrent simultanément des droits et des obligations parentaux vis-à-vis de l’enfant (« adoption conjointe »).
10Les personnes célibataires sont autorisées à adopter des enfants, même si cela reste dans des cas exceptionnels, dans au moins 35 des 45 Etats membres du Conseil de l’Europe (en avril 2003), dont la Belgique, la France et le Royaume-Uni. (Le nombre pourrait être plus élevé, mais les informations n’étaient pas disponibles pour les 6 Etats membres.)5. Dans ces 35 Etats membres, il n’y a, à ma connaissance, aucune législation et aucune décision d’un tribunal de dernière instance qui refuse aux individus gays ou lesbiens la possibilité d’adopter en tant que célibataires, excepté en France. En 1996 et 1997, le tribunal administratif suprême en France, le Conseil d’Etat, a en effet statué dans les affaires Fretté et Parodi que les individus gays ou lesbiens qui ne répriment pas leurs orientations sexuelles sont absolument exclus de l’admissibilité à l’adoption d’un enfant6. M. Fretté a porté l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui a déclaré sa requête partiellement recevable le 12 juin 2001 (pour l’arrêt, voir VI.)7. La position de la France contraste fortement avec celle du Royaume-Uni, où les tribunaux ont refusé d’interpréter la législation autorisant l’adoption aux célibataires de manière à exclure les individus gays ou lesbiens8. En Suède, une commission gouvernementale a recommandé en janvier 2001 l’abrogation législative de l’exclusion introduite par un arrêt de la Cour administrative suprême en 19939.
11Au Canada et aux Etats-Unis, la position est encore plus claire. Dans les 13 provinces et territoires que compte le Canada, les célibataires peuvent adopter des enfants, et les individus gays ou lesbiens ne sont pas exclus par la législation ou par une décision d’un tribunal de dernière instance. C’est également le cas dans 47 des 50 états et le District de la Colombie aux Etats-Unis. Seule la législation de la Floride refuse de manière absolue aux individus gays ou lesbiens le droit d’adopter des enfants, tandis que la législation de l’Utah refuse l’adoption aux individus gays ou lesbiens qui cohabitent avec un partenaire sexuel en dehors du mariage. Dans le Mississippi, la loi qui interdit l’adoption par les couples de même sexe ne semble s’appliquer qu’à l’adoption conjointe et à l’adoption co-parentale, mais son envergure est incertaine10.
12L’adoption co-parentale et l’adoption conjointe par un couple de même sexe présentent des difficultés plus importantes pour la plupart des sociétés. Si l’adoption individuelle a pour conséquence que l’enfant adopté n’aura légalement qu’un seul parent, un père ou une mère, dans le cas d’une adoption co-parentale ou conjointe, l’enfant adopté aura légalement deux mères ou deux pères. Une telle situation est symboliquement déstabilisante pour des sociétés accoutumées à l’idée qu’un enfant a une mère génétique et un père génétique qui sont ses parents légaux et devraient toujours l’être. Et dans les pays où l’adoption co-parentale et l’adoption conjointe sont limitées aux couples (mariés ou non), mettre un terme à l’exclusion des couples de même sexe pourrait exiger la reconnaissance d’une équivalence entre leurs relations et celles de couples de sexes différents (mariés ou non).
13La question de l’adoption co-parentale par un couple de même sexe tend à être soulevée plus souvent que celle de l’adoption conjointe. Cela s’explique par le fait que la plupart des couples de même sexe sont probablement satisfaits lorsqu’un partenaire peut adopter à titre individuel un enfant sans lien de parenté avec eux, et acceptent que l’autre partenaire n’ait aucun statut légal en tant que parent. Cependant, lorsque l’enfant d’un couple de même sexe est déjà génétiquement et légalement l’enfant d’un des partenaires, en raison d’une relation hétérosexuelle antérieure ou d’une procréation médicalement assistée, le couple est plus susceptible de s’opposer au fait que l’enfant n’a aucun lien légal avec son second parent. Cette situation est particulièrement courante lorsqu’une femme lesbienne a un enfant par insémination artificielle et souhaite que sa partenaire soit légalement reconnue comme sa seconde mère. Pour les tribunaux et les législateurs, l’adoption co-parentale est certainement plus facile à accepter que l’adoption conjointe, car il n’existe pas de concurrence avec une tierce personne pour l’enfant, qui restera dans le même foyer et ne sera pas « sauvé » par un parent hétérosexuel, que l’adoption co-parentale soit approuvée ou non. La seule question qui se pose consiste à savoir s’il vaut mieux que l’enfant ait un ou deux parents légaux.
14L’adoption conjointe d’un enfant sans lien de parenté avec les membres d’un couple de même sexe peut être plus difficile à accepter pour les tribunaux et les législateurs, car il existe une concurrence potentielle avec des tiers, dans la mesure où l’enfant n’a pas de lien génétique ou légal avec le couple de même sexe et pourrait en théorie être confié à un individu hétérosexuel ou à un couple de sexes différents. Le Danemark et l’Islande autorisent l’adoption co-parentale, mais pas encore l’adoption conjointe, pour les couples de même sexe qui ont enregistré leurs partenariats. Toutefois, il semble que dans la plupart des pays, Etats ou provinces, dès que la loi autorise l’adoption co-parentale par les couples de même sexe, et s’adapte psychologiquement à l’idée qu’un enfant peut avoir deux mères ou deux pères, l’adoption conjointe tend à être autorisée également. Sur le plan pratique, il n’y a aucune raison de l’interdire. Les membres d’un couple de même sexe peuvent devenir les parents légaux conjoints d’un enfant sans lien de parenté avec eux par la voie d’une adoption individuelle suivie d’une adoption co-parentale : un partenaire adopte d’abord l’enfant à titre individuel, puis l’autre partenaire introduit une demande d’adoption co-parentale du même enfant. L’adoption conjointe évite simplement la perte de temps et d’argent que nécessitent deux procédures consécutives d’adoption.
15En avril 2003, le Danemark, l’Islande, les Pays-Bas, la Navarre (Espagne) et l’Angleterre/Pays de Galles autorisent l’adoption co-parentale par les couples de même sexe, et les trois derniers autorisent l’adoption conjointe par les couples de même sexe ou de sexes différents qui vivent ensemble, qu’ils soient (aux Pays-Bas) des époux mariés, des partenaires enregistrés, ou des cohabitants non enregistrés11. Pour certains Etats membres, la Convention européenne en matière d’adoption des enfants12, Article 6(1), présente un problème. Il stipule que : « La législation ne peut permettre l’adoption d’un enfant que par deux personnes unies en mariage, qu’elles adoptent simultanément ou successivement, ou par un seul adoptant ». La Convention sur l’Adoption a été ratifiée par 18 Etats membres, dont l’Allemagne, le Danemark, l’Italie, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède mais pas par la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg, et les Pays-Bas. Les parties adhérant à la Convention sur l’Adoption (qui n’ont pas émis de réserve au moment de leur adhésion) ne peuvent autoriser l’adoption co-parentale ou l’adoption conjointe par les couples de même sexe qu’en autorisant ces couples à contracter des mariages civils ou en dénonçant cette Convention (comme la Suède).
16Au Canada, l’adoption conjointe par les couples de même sexe est autorisée par la législation au Québec, en Colombie-Britannique et en Ontario13, tandis que l’adoption co-parentale par les couples de même sexe est autorisée en Alberta14. Aux Etats-Unis, les plus hautes instances du District de la Colombie, du Massachusetts, de l’Illinois, du New Jersey, de New York et du Vermont ont interprété leur législation sur l’adoption de manière à autoriser l’adoption co-parentale par un couple de même sexe15. Aucun corps législatif n’a renversé une de ces décisions, et celui du Vermont a amendé la législation pour refléter la décision de la Cour Suprême du Vermont16. Au Connecticut, lorsque la Cour Suprême a décidé qu’elle ne pouvait interpréter la législation de manière à autoriser l’adoption coparentale, le corps législatif a amendé la législation pour rendre cela possible17. Bien qu’aucune législation des Etats-Unis ne soit aussi explicite que celle du Canada18, et que les faits des affaires jugées par les plus hautes instances des Etats mentionnés ci-dessus impliquaient l’adoption coparentale, le principe adopté par chaque cour semblerait rendre l’adoption conjointe disponible dans chaque territoire des Etats-Unis où l’adoption coparentale est disponible19.
L’adoption par les personnes gayes et lesbiennes et les Droits de l’Homme
17L’exclusion des individus gays et lesbiens ou des couples de même sexe de l’adoption est de prime abord une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle
18Certains pourraient soutenir qu’il est scandaleux qu’un individu gay ou lesbien ou un couple de même sexe puisse affirmer que l’adoption d’un enfant est un Droit de l’Homme auquel ils peuvent prétendre. Personne ne jouit d’un « droit d’adopter un enfant ». L’adoption est une procédure légale mise en place au bénéfice de l’enfant, pas à celui de parents potentiels. C’est sans doute vrai. Cependant, la revendication d’un individu gay ou lesbien ou d’un couple de même sexe n’est pas qu’ils aient le « droit d’adopter un enfant », mais qu’ils aient le même droit qu’un individu hétérosexuel ou qu’un couple de sexes différents d’être admissibles en tant que parent potentiel d’un enfant, sans qu’il y ait discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Si la loi stipulait que les femmes, les Noirs, les Juifs, les communistes ou les personnes handicapées n’étaient pas admissibles à l’adoption d’enfants, la plupart des gens considéreraient que l’exclusion soulève la question de la violation du Droit de l’Homme qui interdit la discrimination.
19Il devient de plus en plus évident dans les Droits de l’Homme au niveau international et européen, ainsi que dans le droit constitutionnel national des pays comme le Canada et l’Afrique du Sud, que les différences de traitement fondées sur l’orientation sexuelle sont de prime abord discriminatoires et nécessitent une justification sérieuse20. En effet, l’orientation sexuelle se trouve dans la liste de motifs de discrimination interdits dans l’Article21(1) de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne. La seule question consiste à savoir quelles différences de traitement fondées sur l’orientation sexuelle seront considérées injustifiables et par conséquent discriminatoires. La Cour Européenne des Droits de l’Homme et le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies ont statué qu’un gouvernement ne peut pas interdire toutes relations sexuelles entre deux personnes de même sexe, quels que soient leurs âges et les circonstances21. (En 1999 et 2000, dans les arrêts Smith & Grady, Lustig-Prean & Beckett, Salgueiro et ADT22, la Cour Européenne a élargi ce principe de non-discrimination aux emplois dans les forces armées et les autres secteurs publics, à la garde d’enfants, et probablement à toute différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle en droit pénal (y compris l’âge de consentement).
20L’arrêt Salgueiro est particulièrement important. Il impliquait un père gay et sa fille née d’une relation hétérosexuelle antérieure. Lorsque sa femme et lui ont divorcé, ils ont convenu qu’elle en aurait la garde et qu’il aurait un droit de visite. Lorsque la mère a violé l’accord en refusant au père de rendre visite à sa fille, le père s’est adressé au Tribunal aux affaires familiales de Lisbonne, qui lui a accordé l’autorité parentale. Le Tribunal a considéré qu’il était plus apte à fournir un environnement stable à sa fille. Elle vécut avec son père et son partenaire pendant six mois, jusqu’à ce que la mère la kidnappe et fasse appel de la décision du Tribunal La Cour d’appel de Lisbonne annula cette décision et accorda l’autorité parentale à la mère, soutenant que la fille « doit vivre au sein d’une famille traditionnelle portugaise... Il n’y a pas ici lieu de chercher à savoir si l’homosexualité est ou non une maladie ou si elle est une orientation sexuelle... Dans les deux cas, l’on est en présence d’une anormalité et un enfant ne doit grandir à l’ombre de situations anormales ; c’est la nature humaine qui le dit... »23.
21La Cour Européenne des Droits de l’Homme a considéré que la décision de la Cour d’appel avait violé le droit du père gay (en vertu de l’Article 14) à la non-discrimination dans la jouissance de son droit au respect de sa vie familiale (en vertu de l’Article 8). La Cour de Strasbourg a conclu que « l’homosexualité du requérant a pesé de manière déterminante dans la décision finale... La cour d’appel a opéré une distinction dictée par des considérations tenant à l’orientation sexuelle du requérant, distinction qu’on ne saurait tolérer d’après la Convention... »24. La Cour de Strasbourg a cité Hoffmann c. Autriche25, où elle avait fait une déclaration semblable par rapport aux distinctions fondées sur la religion, et avait statué que le fait qu’une mère était Témoin de Jéhovah ne pouvait pas être cité comme élément négatif dans une décision relative à la garde de ses enfants.
22L’affaire Fretté c. France (pour l’arrêt, voir VI.)26 soulève la question de savoir si le principe de Salgueiro, qui s’applique aux décisions relatives à la garde d’enfants nés de relations hétérosexuelles antérieures (où il existe déjà un lien génétique et juridique entre le parent gay ou lesbien et l’enfant), peut être élargi aux décisions concernant l’admissibilité d’un parent gay ou lesbien potentiel à l’adoption, en tant que personne célibataire, d’un enfant non identifié avec lequel il/elle n’a aucun lien génétique ou juridique. La demande de M. Fretté d’un « agrément » (l’admissibilité à l’adoption d’un enfant) a été rejetée, même si les assistants sociaux ont conclu qu’il était habilité et qu’« un enfant serait probablement heureux avec lui ». La raison était clairement son orientation sexuelle : l’enfant serait confronté à « une difficulté supplémentaire en étant en présence d’une représentation parentale dont on ne peut apprécier, en l’absence d’une référence maternelle constante, les conséquences qu’elle aurait sur son développement psychique ».
23Une affaire d’adoption individuelle, comme l’affaire Fretté, devrait normalement être plus facile à accepter pour un tribunal qu’une affaire d’adoption co-parentale ou d’adoption conjointe, car elle n’implique pas la difficulté de traiter la relation d’un couple de même sexe sur le même plan que la relation d’un couple de sexes différents, ou de permettre à l’enfant d’avoir juridiquement deux mères ou deux pères. De façon similaire, l’affaire Salgueiro n’a pas nécessité que la Cour reconnaisse le partenaire masculin du père gay. Il faut également noter que la décision de la Commission Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Di Lazzaro c. Italie27, selon laquelle le rejet de la demande d’adoption d’une femme célibataire n’a pas violé la Convention, n’est pas comparable dans la mesure où elle impliquait une discrimination fondée sur l’état civil plutôt que sur l’orientation sexuelle.
L’exclusion de l’adoption peut-elle être justifiée comme une exception au principe ?
24Les gens qui acceptent que les personnes gayes et lesbiennes aient le droit d’être traitées de façon égale dans certaines circonstances, pourraient soutenir qu’il existe des « justifications objectives et raisonnables » pour traiter les personnes gayes et lesbiennes différemment par rapport à l’adoption. Certaines justifications peuvent se discuter, si l’on écarte l’affirmation injurieuse selon laquelle les parents gays et lesbiens sont plus susceptibles d’abuser physiquement ou sexuellement de leurs enfants.
25Premièrement, on pourrait considérer que les parents gays ou lesbiens vont « apprendre » à leurs enfants à être gays ou lesbiens, et que dans la mesure où les personnes gayes et lesbiennes ont des vies moins heureuses que les personnes hétérosexuelles, il faudrait éviter autant que possible qu’un enfant devienne gay ou lesbien. Les personnes gayes et lesbiennes qui sont parents ou parents potentiels ont tendance à ne pas contester l’affirmation qu’être gay ou lesbienne est, par nature, quelque chose de négatif et d’indésirable. Ils disent généralement qu’ils espèrent que leurs enfants seront hétérosexuels à l’âge adulte, car ils auront une vie plus facile. Cependant, ils soulignent le fait qu’il n’y a aucune preuve scientifique que les parents ont un contrôle sur les orientations sexuelles de leurs enfants. Il serait surprenant que de telles preuves existent car la grande majorité des personnes gayes et lesbiennes sont élevées par des parents hétérosexuels. Deux psychologues britanniques, Susan Golombok et Fiona Tasker, ont révélé que « 23 sur 25 jeunes adultes ayant été élevés par des lesbiennes se sont identifiés en tant qu’hétérosexuels au début de l’âge adulte »28.
26Deuxièmement, on pourrait considérer que, même si l’enfant deviendra probablement un adulte « normal » (c’est-à-dire hétérosexuel), les enfants devraient être idéalement élevés par un homme et une femme et souffriront de problèmes psychologiques s’ils sont élevés par un parent gay ou lesbien ou deux parents de même sexe. Une fois encore, il n’y a aucune preuve scientifique pour soutenir cette crainte. En 1995, l’Association américaine de psychologie a publié un compte rendu de 43 études empiriques et de nombreux autres articles qui ont conclu qu’« aucune étude n’a découvert que les enfants de parents gays et lesbiens étaient désavantagés à aucun égard significatif par rapport aux enfants de parents hétérosexuels »29(L’étude de Golombok et Tasker a permis d’observer que « les enfants élevés par des mères lesbiennes continuaient à bien fonctionner à l’âge adulte et ne souffraient pas d’effets nuisibles à long terme dus à leur éducation précoce »30(S’il était essentiel qu’un enfant soit élevé par un homme et une femme, l’adoption par un hétérosexuel célibataire sans partenaire ne serait jamais autorisée.
27Troisièmement, on pourrait considérer que, même si l’absence d’un père ou d’une mère n’engendrera pas de dommages psychologiques, l’enfant sera stigmatisé par des tiers qui s’opposent à ce qu’un enfant soit élevé par un individu gay ou lesbien ou par un couple de même sexe. L’enfant pourrait particulièrement être sujet à des moqueries ou des harcèlements à l’école. Les études analysées par l’Association américaine de psychologie et l’étude de Golombok et Tasker ont également examiné les effets de la stigmatisation par des tiers, et n’ont découvert aucun effet négatif significatif31. Il ne faut pas oublier que les enfants peuvent être victimes de railleries et de brimades pour toutes sortes de raisons. On peut les protéger, d’une part en leur apprenant à se défendre, et d’autre part par une intervention des enseignants et des parents en cas de nécessité. Si les attitudes discriminatoires des tiers sont une raison pour refuser l’adoption, pourquoi ne pas refuser aux membres de minorités ethniques ou religieuses d’adopter des enfants ?
28En 1984, dans l’affaire Palmore c. Sidoti32, la Cour Suprême des Etats-Unis a été confrontée à la question de savoir quel poids donner aux préjudices raciaux des tiers dans une décision concernant la garde d’enfants. Une mère de race blanche avait perdu la garde de sa fille au profit de son ex-mari, également de race blanche, parce qu’elle avait entamé une vie commune avec un homme de race noire. Un tribunal de Floride a considéré que la fille « souffrirait de stigmatisation sociale certaine » si elle restait dans un foyer de race mixte.33. La Cour Suprême a annulé la décision du tribunal de Floride, en soutenant que « la réalité de préjugés personnels et le dommage éventuel qu’ils sont susceptibles d’engendrer ne sont pas des considérations acceptables dans la décision de retirer la garde d’un enfant en bas âge à sa mère naturelle... La Constitution ne peut pas contrôler de tels préjudices, mais elle ne peut pas non plus les tolérer. Les préjugés personnels sont peut-être à l’abri de la justice, mais celle-ci ne peut pas, directement ou indirectement, leur donner effet »34.
29Quatrièmement, même si l’enfant ne souffrira pas d’être élevé par un individu gay ou lesbien ou par un couple de même sexe, les adoptions par les couples de même sexe « ne semblent pas correctes ». Que l’adoption se fasse à titre individuel, qu’il s’agisse d’une adoption co-parentale ou conjointe, si deux femmes ou deux hommes jouent avec leur enfant dans un parc, il sera évident aux yeux du monde entier qu’ils ne peuvent être tous les deux les parents génétiques de l’enfant. Si un homme et une femme de même race adoptent conjointement un enfant de même race, il n’apparaîtra pas évident que l’enfant est adopté et qu’aucun des parents n’a un lien génétique avec l’enfant. En revanche, lorsqu’un couple de sexes différents adopte conjointement un enfant dont la race diffère de la leur, telle qu’une petite Chinoise abandonnée, le fait qu’aucun des parents n’a de lien génétique avec l’enfant apparaîtra évident à tout le monde. Le droit de la famille utilise constamment des fictions juridiques qui ne correspondent pas à la réalité génétique. C’est le cas de la présomption souvent fausse selon laquelle le mari est le père génétique des enfants nés dans un mariage, et de toute adoption. Pourquoi ces fictions juridiques ne sont-elles acceptables que si les apparences les rendent plausibles ?
30Cinquièmement, on peut considérer que, même si l’enfant ne souffrira d’aucune manière, et même si Ton peut s’accoutumer à voir un enfant élevé par deux mères ou deux pères, lorsqu’il y a une « concurrence » pour l’enfant, les parents mariés de sexes différents devraient être privilégiés car ils représentent « l’idéal ». On pourrait se demander s’il y a quelque chose d’« idéal » dans le fait d’être un couple marié de sexes différents, outre le fait que la majorité hétérosexuelle de la société considère que c’est le cas. Comme le disait un juge canadien, en décidant que le refus d’adoption co-parentale aux couples de même sexe était une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle qui violait la Charte Canadienne des Droits et Libertés : « Lorsqu’on pense au défilé apparemment sans fin d’enfants négligés, abandonnés et abusés qui se présentent devant nos tribunaux tous les jours dans des affaires concernant leur protection, et qui ont tous été soignés par des parents hétérosexuels dans une structure familiale ‘traditionnelle’, la suggestion qu’il n’est jamais dans le meilleur intérêt de ces enfants d’être élevés par des parents affectueux, soucieux et engagés, qui pourraient s’avérer lesbiens ou gays, est tout simplement risible »35
31Qu’un couple marié de sexes différents soit le couple « idéal » ou non, et qu’il soit ou non privilégié, le problème d’une « concurrence » pour un enfant ne se pose en Europe que dans le cas de nouveau-nés de race blanche sans handicap apparent. Il existe cependant en Europe des centaines de milliers d’enfants « moins attrayants » ayant besoin de parents adoptifs : ils peuvent souffrir d’un handicap, avoir des besoins éducatifs spécialisés, avoir des problèmes comportementaux, avoir souffert d’abus, être dépendants à la drogue, être séropositifs, avoir des frères et des sœurs qui doivent être adoptés en même temps, ou être trop âgés (avoir 6 ans ou plus). De la même façon, il y a probablement des millions d’enfants en Chine ou d’autres pays en voie de développement ayant besoin de parents adoptifs. Les corps législatifs et les tribunaux du Canada, des Etats-Unis et du Royaume-Uni reconnaissent qu’il n’est pas dans le meilleur intérêt des enfants en attente de parents adoptifs (qu’ils vivent à l’intérieur du pays ou à l’étranger), qu’un groupe de parents adoptifs potentiels soit exclu pour des motifs autres que leur capacité à être de bons parents. Tirer une autre conclusion signifierait qu’il vaut mieux que l’enfant vive dans une institution de l’Etat, qu’il soit placé dans une famille d’accueil, ou qu’il meure de maladie ou de malnutrition dans un pays en voie de développement, plutôt qu’être adopté par un individu gay ou lesbien, ou par un couple de même sexe.
Conclusion
32Tous ceux qui défendent les Droits de l’Homme doivent féliciter le Gouvernement belge de sa décision courageuse d’ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe. Ainsi, la Belgique est le premier pays à suivre l’exemple des Pays-Bas. Cependant, il faut souligner que sa décision d’exclure les couples mariés de même sexe de l’adoption conjointe ou coparentale, mais d’y inclure les couples non mariés de sexe différents36, ne peut pas se justifier : elle est donc une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Espérons que d’ici quelques années, cette discrimination aura disparu.
L’arrêt Fretté c. France et les réformes législatives de 2002
33Le 26 février 2002, dans l’affaire Philippe Fretté c. France37, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, par 4 voix contre 3, a conclu que la Convention Européenne des Droits de l’Homme permet à la France de continuer d’exclure de facto tout célibataire homosexuel ouvert du droit de demander l’agrément préalable à l’adoption d’un enfant. Cette exclusion absolue d’une catégorie de personnes, qui ne prend en considération d’aucune façon leurs qualités humaines et éducatives individuelles, ne s’applique pas aux célibataires hétérosexuels (ni aux homosexuels non ouverts). L’arrêt de la Cour est devenu définitif le 26 mai 2002, car M. Fretté a décidé de ne pas soumettre une demande de renvoi devant la Grande Chambre de dix-sept juges38, qui n’accepte ces demandes que très exceptionnellement.
34Evidemment, M. Fretté est très déçu du résultat, qu’il trouve discriminatoire et injuste. Le Gouvernement français a réussi à bloquer son projet personnel de devenir parent en accueillant un enfant abandonné d’un pays du tiers-monde. Mais la personne qui a perdu le plus est cet enfant inconnu, qui probablement, n’aura jamais de parent et mourra jeune en orphelinat. En avril 2003, cet enfant aurait peut-être déjà passé huit ans chez M. Fretté à Paris, si le Gouvernement français ne croyait pas, comme l’Etat de Floride, que « mieux vaut aucun parent qu’un parent homosexuel »39.
35Toutefois, M. Fretté se console en quelque sorte de ses victoires sur deux des trois questions relatives aux articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (droit à la non-discrimination) de la Convention :
La Cour a statué par 7 voix contre 0 que le motif du refus de l’agrément, les « choix de vie » ou « conditions de vie » de M. Fretté, renvoyait de manière déterminante à son homosexualité40. Le Gouvernement français refusait de l’admettre.
La Cour a statué par 4 voix contre 3 que le droit garanti par l’article 343-1 du Code civil (le droit de tout célibataire en France de demander l’adoption d’un enfant) tombe sous l’empire de l’article 8 de la Convention41. L’article 14 de la Convention s’applique donc à toute différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle en matière d’adoption, et oblige les gouvernements européens de fournir une justification objective et raisonnable pour une telle différenciation.
Sur la question ultime, s’il y avait une justification pour le refus de l’agrément en raison de l’orientation sexuelle de M. Fretté, trois juges (du Royaume-Uni, de l’Autriche, et de la Belgique) ont trouvé qu’il n’y en avait pas et que le refus était donc discriminatoire et une violation de la Convention42. Le juge de la Lituanie a conclu qu’il y avait une justification43. Les trois autres juges (de la France, de la République Tchèque et de l’Albanie) ont refusé de se prononcer sur cette question. Ils ont préféré voter pour la non-violation des articles 8 et 14 pour la raison technique que le refus de l’agrément n’avait pas affecté suffisamment la vie privée ou familiale de M. Fretté, et donc que l’article 14 ne s’appliquait pas44.
36Bien que, par 4 voix contre 3, la Cour n’ait pas constaté une violation des articles 8 et 14, il faut souligner qu’un seul juge sur sept a décidé que l’exclusion de tout célibataire homosexuel de l’adoption avait une justification objective et raisonnable. Si les juges français, tchèques et albanais avaient accepté la décision de la majorité que l’article 14 s’appliquait, il est possible qu’au moins un de ces juges aurait statué qu’il n’y avait pas de justification et que M. Fretté aurait gagné. La « victoire » du Gouvernement français n’est donc que technique et temporaire.
37La prochaine fois que la troisième question se posera devant la Cour, il est fort probable que la majorité de la Cour votera pour la violation des articles 8 et 14, vu l’évolution juridique et sociale constante dans ce domaine en Europe45. Pour le moment, l’arrêt du 26 février 2002 laisse aux Gouvernement, Parlement et juridictions en France un choix : suivre la position progressiste des juges britannique, autrichien et belge et éliminer toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en matière d’adoption par un célibataire ; ou suivre la position conservatrice du juge lituanien46.
38L’exemple que la Belgique devrait suivre n’est certainement pas celui de la France ou de la Floride, mais celui du Québec47, de la Colombie Britannique48, de l’Australie de l’Ouest49, du Royaume-Uni, ou de la Suède. Le 16 mai 2002, la Chambre des Communes du Parlement britannique a voté par 288 voix contre 133 pour un amendement qui ouvrirait l’adoption aux couples non mariés (en Angleterre et au Pays de Galles). Le 20 mai 2002, elle a approuvé, par 301 voix contre 174, une définition du « couple » qui comprend les couples non mariés de sexes différents et de même sexe. Il y a eu une forte opposition à cet amendement à la Chambre des Lords du Parlement, dont les membres ne sont pas élus et comprennent vingt-six évêques de l’Église d’Angleterre qui siègent d’office, mais les Lords ont cédé aux communes le 5 novembre 200250. Le 5 juin 2002, le Parlement suédois a adopté un projet de loi permettant l’adoption par un couple de même sexe, s’il a contracté un partenariat enregistrée51. Cette loi renverse implicitement l’arrêt de la Cour suprême administrative de 1993 qui interdisait l’adoption par les célibataires homosexuels52. Tranquillement, l’Europe avance vers l’égalité.
ANNEXE : CONSEIL DE L’EUROPE (AVRIL 2003) : ACCÈS PAR LES PERSONNES GAYES ET LESBIENNES À L’ADOPTION(1)
Aucun accès | Adoption individuelle | Adoption co-parentale | Adoption conjointe (à l’intérieur du pays) | Adoption conjointe internationale |
France (exclusion absolue imposée par la plus haute instance administrative)(2) Chypre Croatie Luxembourg (seuls les couples mariés peuvent adopter, ce qui exclut les individus célibataires hétérosexuels et les couples de sexes différents aussi) | au moins 35 des 45 Etats membres du Conseil de l’Europe(3) | Danemark Islande Pays-Bas, Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galle), Suède(4) (une loi de la région espagnole de Navarre(5) (le permet mais a été déféré au Tribunal Constitucional) (le gouvernement l’a proposé en Norvège(6) | Pays-Bas Suède Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galle)(7) (Navarre : voir à gauche) | Suède Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galle)(8) (Navarre : voir à gauche) |
Notes de bas de page
1 Cour eur. D.H., Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, 21 décembre 1999, http://www.echr.coe.int/hudoc.htm.
2 Colombie britannique, Supreme Court, Korn c. Potter (1996), 134 Dominion Law Reports (4th) 437. Royaume-Uni, Human Fertilisation and Embryology Act 1990, s. 28.
3 Royaume-Uni, Human Fertilisation and Embryology Act 1990, s. 30.
4 Voyez Lesbian Mothers Support Society, http://www.lesbian.org/lesbian-moms (Canada) ; Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens, http://apgl.asso.fr (France) ; Stonewall, http://www.stonewall.org.uk (Parents and Children) (Royaume-Uni) ; Family Pride Coalition, http://www.familypride.org, Love Makes a Family, http://www.lovemakesafamily.org, Children of Lesbians and Gays Everywhere, http://www.colage.org (Etats-Unis).
5 Voyez Annexe I.
6 Trib. admin. Paris, Fretté c. Département de Paris, 25 janvier 1995, Dalloz, 1995. Jur.647 ; Conclusions, 16 septembre 1996, Madame MAUGÜE, Commissaire du Gouvernement au Conseil d’Etat, La Semaine Juridique (J.C.P.).1997.II.22766 ; Département de Paris c. Fretté, Conseil d’Etat, 9 octobre 1996, Recueil des décisions du Cons. D’Etat. 1996.391, Parodi c. Département du Gard, Conseil d’Etat, 12 février 1997, Revue Française de Droit administratif, 1997, p. 441.
7 Fretté c. France (Requête no. 36515/97). http://www.echr.coe.int/hudoc (accéder à HUDOC, Arrêts et Décisions sur la recevabilité. Titre = Fretté).
8 Voir Re E (Adoption : Freeing Order), [1995] 1 Family Law Reports 382 (Angleterre et Pays de Galles, Court of Appeal) ; T, Petitioner, [1997/Scots Law Times 724 (Ecosse, Court of Session’, Re W (a minor) (adoption : homosexual adopter), [1997] 3 All England Reports 620 (Angleterre et Pays de Galles, High Court, Family Division).
9 Regeringsrättens dom (arrêt de la Cour administrative suprême) RÂ 1993 ref. 102. En janvier 2001. la Commission sur les enfants dans les familles gayes et lesbiennes (Kommittén [Ju 1999 :02J om barn i homosexuella familjer) a recommandé l’adoption d’une loi qui renverserait l’arrêt de 1993 et permettrait l’adoption individuelle par les individus gays ou lesbiens célibataires et sans partenaire enregistré, ainsi que l’adoption co-parentale et conjointe par les partenaires enregistrés de même sexe. Voir Barn i homosexuella familjer (Les enfants dans les familles gayes et lesbiennes), SOU 2001 :10, http://www.regeringen.se/propositioner/sou/index.htm.
10 Seule la Floride a une exclusion absolue des individus gays ou lesbiens : "No person eligible to adopt under this statute may adopt if that person is a homosexual." (Florida Statutes ch. 63.042, s. 3). L’Utah exclut les individus non mariés (gays, lesbiens ou hétérosexuels) s’ils vivent en concubinage avec un partenaire (Utah Code Annotated ss. 78-30-1 (3)(b), 78-30-9(3), modifiée par 2000 Utah Laws ch. 208, ss. 5), 7 : « A child may not be adopted by a person who is cohabiting in a relationship that is not a legally valid and binding marriage under the laws of this State. ‘[C]ohabiting’ means residing with another person and being involved in a sexual relationship with that person. » Le Mississippi exclut les couples de même sexe ; il n’est pas clair si l’exclusion s’applique aux adoptions individuelles par un membre du couple, ou seulement aux adoptions co-parentales ou conjointes (Mississippi Code Annotated s. 93-17-3(2), modifiée par 2000 Mississippi Laws (Senate Bill 3074)) : "Adoption by couples of the same gender is prohibited."
11 Loi du 21 décembre 2000 modifiant le Livre 1 du Code civil « L’adoption par les personnes de même sexe », Staatsblad 2001, nr. 10, http://www.eerstekamer.n1/9202266/d/w26673st.pdf (néerlandais), http://www.meijers.leidenuniv.n!/index.php3?c=69 (anglais).
12 Série des traités européens. No. 58, http://conventions.coe.int.
13 Québec, "Toute personne majeure peut, seule ou conjointement avec une autre personne, adopter un enfant.", Code civil, Lois du Québec 1991, chapitre 64, article 546 ; Voir aussi l’article 579 : « Lorsque l’adoption est prononcée, les effets de la filiation précédente prennent fin.... Cependant, l’adoption par une personne, de l’enfant de son conjoint ou concubin ne rompt pas le lien de filiation établi entre ce conjoint ou concubin et son enfant." ; Colombie britannique, « A child may be placed for adoption with one adult or two adults jointly », Adoption Act, Statutes of B.C. 1995, c.4, s. 5(1) ; Ontario, « An application (to adopt a child) may only be made, (a) by one individual ; or (b) jointly, by two individuals who are spouses of one another ; or (c) by any other individuals that the court may allow, having regard to the best interests of the child ». Statutes of Ontario 1999, c. 6, s. 6, modifiant le Child and Family Services Act, s. 146(4) ; Voyez aussi Re M.. (S.C.) (2001), 202 Dominion Law Reports (4th) 172 (Nouvelle Ecosse, Supreme Court).
14 Alberta, : « If a child is adopted by the step-parent of the child, the child does not cease to be the child of the parent who has lawful custody... », Child Welfare Act, Statutes of Alberta 1984, c. C-8.1, s. 65(3), modifiée par Statutes of Alberta 1999, c. 26 ; Voyez Re " A" (1999), 181 Dominion Law Reports (4th) 300 (Alberta, Court of Queen’s Bench) (un partenaire de même sexe est un step-parent).
15 In re M.M.D., 662 A. (Atlantic) 2d 837 (District de la Colombie, Court of Appeals, 1995) ; In re Petition of KM and DM., 653 N.E. (North East) 2d 888 (Illinois, Supreme Court, 1995) ; In re Adoption of Tammy, 619 N.E.2d 315 (Massachusetts, Supreme Judicial Court, 1993) ; In the Matter of the Adoption of Two Children by H.N.R., 666 A.2d 535 (New Jersey, Suprême Court, 1995) ; In the Matter of Dana, 660 N.E.2d 397 (New York, Court of Appeals, 1995) ; In re Adoption of B.L.V.B., 628 A.2d 1271 (Vermont, Suprême Court, 1993).
16 15A Vermont Statutes Annotated : "s. l-102(b) If a family unit consists of a parent and the parent’s partner, and adoption is in the best interest of the child, the partner of a parent may adopt a child of the parent. Termination of the parent’s parental rights is unnecessary... s. 1-112 The family court shall have jurisdiction to hear and dispose of issues pertaining to parental rights and responsibilities, parent-child contact and child support... : (1) If two unmarried persons, who have adopted a minor child, terminate their domestic relationship ; or (2) « If two unmarried persons, one of whom has adopted a minor child of the other, terminate their domestic relationship ».
17 In re Adoption of Baby Z., 724 A.2d 1035 (Connecticut, Supreme Court, 1999), annulé par Connecticut General Statutes Annotated, ss. 45a-724, modifié par 2000 Connecticut Legislative Service Public Act 00-228 : (a)(3) « ... any parent of a minor child may agree in writing with one other person who shares parental responsibility for the child with such parent that the other person shall adopt or join in the adoption of the child... »
18 Au New Jersey il y a des règlements administratifs qui interdisent explicitement la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en matière d’adoption : New Jersey Administrative Code, title 10, s. 10 :121C-2.6(a) « The Division shall allow any adult to apply to be an adoptive parent regardless of age, race, color, national origin, disability, gender, religion, sexual orientation or marital status.... s ». 10 :121C-4.1(c) : « The Division shall not discriminate based on the adoptive parent’s race, age, sex, disability, marital status, sexual orientation or religious beliefs ; however, these factors may be considered in determining whether the best interest of the child would be served by a particular placement for adoption. »
19 Voyez N. POLIKOFF, Lesbian and Gay Couples Raising Children : The Law in the United States in R. WINTEMUTE (directeur) & Mads Andenæs (co-directeur honoraire)), Legal Recognition of Same-Sex Partnerships : A Study of National, European and International Law, Oxford, Hart Publishing, 2001.
20 R. WINTEMUTE, Sexual Orientation and Human Rights : The United States Constitution, the European Convention, and the Canadian Charter, Oxford University Press, 1997.
21 Dudgeon c. Royaume-Uni (22 oct. 1981), http://www.echr.coe.int/hudoc.htm; Toonen c. Australia (31 mars 1994), Communication No. 488/1992, http://www.unhchr.ch/french/hchr_un_fr.htm (Recherche, Organes de surveillance des traités, Toonen).
22 Smith & Grady c. Royaume-Uni Lustig-Prean & Beckett c. Royaume-Uni (27 sept. 1999) ; Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal (21 déc. 1999) ; A.D.’ Royaume-Uni (31 juillet 2000).
23 Salgueiro, para. 14.
24 Salgueiro, paras. 35-36.
25 Hoffmann c. Autriche (23 juin 1993), para. 36.
26 Voyez notes 6-7.
27 Di Lazzaro c. Italie, No. 31924/96, 10 juillet 1997, 90-A Décisions & Rapports 134, Commission EDH.
28 S. GOLOMBOK & F. TASKER, « Adults Raised as Children in Lesbian Families » in American Journal of Orthopsychiatry, 1995, 65, pp. 203, 211-12.
29 Lesbian and Gay Parenting : a Resource for Psychologists, Washington DC, 1995, http://www.apa.org/pi/parent.html.
30 GOLOMBOK & TASKER, supra.
31 Voyez notes 29-30 ; S. GOLOMBOK, Parenting : What really counts ?, Psychology Press, 2000 ; F. TASKER & S. GOLOMBOK, Growing Up in a Lesbian Family, Guilford Press, 1997.
32 466 U.S. 429, 1984.
33 Ibid., p. 431.
34 Ibid., p. 433.
35 Re K. & B., 125 Dominion Law Reports (4th) 653, (1995), para. 105.
36 Voyez http://www.just.fgov.be/index_fr.htm. "Mariage de personnes du même sexe", Communiqué de presse, 22 juin 2001 ; "Adoption", Communiqué de presse, 22 juin 2001 ; Loi du 13 février 2003 ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil, Moniteur belge, 28 février 2003, Edition 3, p. 9880 ; http://www.moniteur.be.
37 Voyez http://www.echr.coe.int/hudoc.htm (Titre = Fretté). L’auteur a plaidé la cause de M. Fretté devant la Cour le 2 octobre 2001.
38 Voyez l’article 43 de la Convention.
39 Voyez note 10 ; Dan SAVAGE, « Is No Adoption Really Better Than a Gay Adoption ?", New York Times, 8 septembre 2001 ; Lofton c. Kearney, 157 Federal Supplement 2d 1372 (S.D.Fla. 2001) ; http://www.lethimstay.com.
40 Arrêt, §§ 32 et 37 ; Opinion concordante, 1er paragraphe après I. ; Opinion dissidente, 3e paragraphe après 2.
41 Arrêt, paragraphe 32.
42 Opinion dissidente, 3e paragraphe après 2.
43 Arrêt, paragraphes 41-43. M. le juge KURIS se fonde sur l’absence de « dénominateur commun » parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe (le Gouvernement français n’avait cité aucun pays où il y a une exclusion explicite similaire des célibataires homosexuels), le constat que « la communauté scientifique... est divisée » (le Gouvernement français n’a cité aucune étude scientifique tandis que le requérant a cité 44 études favorables), et « l’insuffisance du nombre d’enfants adoptables par rapport aux demandes » (cet argument ne s’applique pas aux enfants abandonnés au tiers monde).
44 Opinion concordante, II. Les arguments pour l’applicabilité de l’article 14 étaient aussi forts sinon plus forts que dans les affaires Abdulaziz c. Royaume-Uni (1985), Gaygusuz c. Autriche (1996), Van Raalte c. Pays-Bas (1997), Thlimmenos c. Grèce (2000). Voyez http://www.echr.coe.int/hudoc.htm.
45 Voyez aussi Suzanne Du Toit & Anna-Marie De Vos c. Minister for Welfare and Population Development, Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud, http://www.concourt.gov.za (arrêt du 10 septembre 2002) (adoption co-parentale).
46 Dans son arrêt du 5 juin 2002, Department du Jura, le Conseil d’Etat a refusé de suivre l’opinion très persuasive des trois juges dissidents à Strasbourg et faire un revirement volontaire de sa jurisprudence. Le programme du Parti socialiste pour les élections législatives (perdues) des 9 et 16 juin 2002 affirmait que « l’orientation sexuelle ne doit pas intervenir dans les critères d’appréciation lors de l’examen d’une demande d’adoption par une personne de plus de 28 ans ».
47 Voyez note 13 ; Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, Lois du Québec 2002, c. 6, http://publicationsduquebec.gouv.qc.ca/home.phP (Lois et règlements).
48 Voyez note 13.
49 Acts Amendment (Lesbian and Gay Law Reform) Act 2002, no. 3 de 2002, ss. 5-22, qui modifie l’Adoption Act 1994, ss. 13A, 39.
50 Adoption and Children Act, 2002, ss. 50(1), 51(2), 144 (4) http://www.hmso.gov.uk/acts.htm.
51 Voyez SFS 2002 : 603, http://www.notisum.se (Författningar, SFS-Guiden, Detaljerad lista) ; http://www.homo.se.
52 Voyez note 9.
Auteur
Professor of Human Rights Law, School of Law, King’s College, University of London
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