De la défense de l’intime au droit à l’épanouissement. Les contributions de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’Homme à la cause homosexuelle
p. 19-39
Texte intégral
Introduction – Cadre conceptuel
1Longtemps, l’apport de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme à la progression de la cause homosexuelle est demeuré, sinon exclusivement, du moins essentiellement, confiné aux arrêts Dudgeon 19811, (Norris (1988)2 et Modinos (1993)3, tous trois relatifs à la pénalisation de l’homosexualité entre adultes consentants. L’on ne pourrait évidemment contester l’intérêt de ces premiers acquis - ils rompaient en l’occurrence avec la position jusqu’alors retenue, en la matière, par la Commission européenne des droits de l’Homme4 force est néanmoins de constater que cet intérêt, dès l’origine limité, allait s’amenuisant à mesure qu’évoluaient les mentalités et que se diversifiaient les revendications des homosexuels en terme d’égalité.
2L’on doit néanmoins à la jurisprudence européenne de ces quatre dernières années d’avoir considérablement enrichi la matière, tant par la consolidation et l’approfondissement des acquis antérieurs, affirmés ou latents, que par l’investissement de nouveaux terrains où l’égalité fut non seulement revendiquée, mais aussi obtenue. Hier, bornée à l’autodétermination en matière sexuelle (I), la progression de la cause « strasbourgeoise » des homosexuels s’observe également aujourd’hui dans le domaine familial (II) et professionnel (III).
3Les consolidations, approfondissements et extensions enregistrés, loin de former un corpus juris hétéroclite alimenté sans dessein d’ensemble, trouvent leur élément fédérateur dans une évolution, plus profonde, de la compréhension et de la portée du droit au respect de la vie privée (art. 8), qui, classiquement, fut le pivot juridique du contentieux strasbourgeois de l’homosexualité.
4Magistralement décrite par O. De Schutter en 19985 cette évolution vit le droit au respect de la vie privée, originellement compris comme la protection de l’intimité ou encore, « le droit d’être laissé en paix », s’enrichir d’une nouvelle dimension : le droit à l’épanouissement. Les potentialités effectives ou virtuelles de cette évolution sont attestées à suffisance dans l’énumération des droits garantis par l’article 8, à laquelle procédait récemment un arrêt P.G. et J.H. c. Royaume-Uni du 25 septembre 20016 (§ 56) :
« Private life is a broad term not susceptible to exhaustive definition. The Court has already held that elements such as gender identification, name and sexual orientation and sexual life are important elements of the Personal sphere protected by Article 8 (see, for example, the B. v. France judgment of 25 March 1992, Series A no. 232-C, § 63 ; the Burghartz v. Switzerland judgment of 22 February 1994, Series A no. 280-B, § 24 ; the Dudgeon v. the United Kingdom judgment of 22 October 1981, Series A no. 45, § 41, and the Laskey, Jaggard and Brown v. the United Kingdom judgment of 19 February 1997, Reports 1997-1, § 36). Article 8 also protects a right to identity and personal development, and the right to establish and develop relationships with other human beings and the outside world (see, for example, Burghartz v. Switzerland, Commission’s report of 21 October 1992, op. cit., § 47 ; Friedl v. Austria, no. 15225/89, Commission’s report of 19 May 1994, Series A no. 305-B, § 45). It may include activities of a professional or business nature (see the Niemietz v. Germany judgment of 16 December 1992, Series A no. 251-B, § 29 ; the Halford v. the United Kingdom judgment of 25 June 1997, Reports 1997III, § 44). There is therefore a zone of interaction of a person with others, even in a public context, which may fall within the scope of ‘private life’ ».
5Semblable évolution du droit au respect de la vie privée développe, dans la problématique qui nous occupe, des conséquences à plusieurs niveaux.
6Les revendications susceptibles d’être formulées par les homosexuels sous bannière du droit au respect de la vie privée sont, tout d’abord, appelées à s’étendre de manière vertigineuse. Ce droit, cessant d’être un simple instrument de défense – « le droit d’être et de demeurer homosexuel » –, devient un instrument de conquête – « le droit de ne pas être privé d’autres droits en raison de son homosexualité ».
7L’évolution des droits a ensuite pour corollaire nécessaire une évolution des obligations mises à charge des autorités publiques. Classiquement en effet, celles-ci pouvaient se contenter d’un rôle d’arbitre, chargé d’assurer, de manière neutre, la coexistence pacifique des préférences respectives d’une minorité homosexuelle et d’une majorité hétérosexuelle. Pour être véritablement effectif, le droit à l’épanouissement, reconnu à la première, suppose au contraire une politique positive visant à transformer les représentations et préjugés véhiculés au sein de la seconde. Arbitre, l’Etat sera donc requis d’être également entraîneur.
8Une même mutation sera attendue dans le rôle du juge7. Le souci de conférer pleine effectivité au droit à l’épanouissement suppose que l’on délaisse le schème classique de la « balance des intérêts » – laquelle n’aboutit jamais qu’au sacrifice unilatéral des intérêts des uns au profit des intérêts des autres sur base d’un « poids » qui leur serait donné a priori –, au profit du paradigme de la « concordance pratique »8 : il s’agit, par rabotement, de chacun des intérêts en présence et moyennant un recours massif à l’imagination juridique, d’assurer de front leur réalisation respective9.
9Reconnaissons qu’il ne s’agit encore, à ce stade, que d’hypothèses et de constructions théoriques et abstraites, opérées à grand renfort d’idéaux types. Il appartiendra à l’étude de la jurisprudence européenne, ci-après entreprise, d’y apporter nuances et illustrations.
La vie sexuelle
10Le droit à une autodétermination en matière sexuelle est, de longue date, affirmé et protégé par la jurisprudence des organes de la Convention européenne. Dans son arrêt Dudgeon c, Royaume-Uni du 22 octobre 198110, la Cour européenne estima contraire au droit au respect de la vie privée l’incrimination de l’homosexualité masculine entre adultes consentants. Cet enseignement fut ensuite confirmé à l’occasion des arrêts Norris c. Irlande de 198811 et Modinos c. Chypre de 199312.
11Il reste cependant que cet enseignement est limité, car portant uniquement sur le droit à l’intimité sexuelle des individus, et non sur la reconnaissance sociale de la différence. La Cour européenne ne s’en cache pas vraiment en affirmant dans son arrêt Dudgeon que l’article 8 entend consacrer une « manifestation essentiellement privée de la personnalité humaine »13.
12S’en déduit, de manière implicite, que la tolérance des pratiques homosexuelles est subordonnée à l’absence de publicité de celles-ci. L’arrêt insiste de la sorte, à de nombreuses reprises, sur le caractère privé des relations. Non seulement, la publicité donnée à celles-ci les ferait « sortir » de la vie privée14, mais plus encore convient-il de préserver le droit de la population à réprouver la relation homosexuelle, en ne l’y exposant pas. Pareil droit est affirmé de manière très claire, puisque la Cour reconnaît que l’opinion dominante de la population nord-irlandaise défavorable à l’endroit de l’homosexualité est un facteur pertinent, quoique non décisif, à prendre en considération dans la balance des intérêts15.
13S’en déduit également que la Cour n’entend réserver la protection de l’article 8 qu’aux seules relations entre adultes consentants, préservant de la sorte le droit pour la collectivité et les parents au sein de celle-ci de décourager ouvertement l’homosexualité auprès des mineurs d’âge. Est ainsi rejeté l’argument du requérant Dudgeon, alléguant d’une discrimination dans la fixation de l’âge de la majorité sexuelle, d’une part, en ce qui concerne l’homosexualité masculine, et d’autre part, en ce qui concerne l’hétérosexualité et l’homosexualité féminine16. « Il incombe d’abord aux autorités nationales », précise l’arrêt17 « de décider quelles garanties de ce genre commande la défense de la morale dans leur propre communauté, et en particulier, de fixer l’âge avant lequel les jeunes doivent pouvoir jouir de la protection du droit pénal ».
14L’article 8 ne garantit donc, à ce stade, et pour reprendre les termes utilisés par le Juge Walsh dans l’arrêt Dudgeon, que « le droit d’être laissé en paix »18 : il dresse un mur, un bouclier aveugle entre une minorité et une majorité, assurant à la première une liberté d’action vis-à-vis des intrusions de la seconde, et garantissant à la seconde le droit de perpétuer son ignorance et/ou son mépris de la première.
15Cette situation fut consolidée par la jurisprudence récente, mais aussi, et pour partie, bouleversée par celle-ci.
16La consolidation vient d’un arrêt ADT c. Royaume-Uni du 31 juillet 200019. Le droit pénal britannique maintenait en effet – et maintient encore à l’heure actuelle20 – l’incrimination des relations sexuelles pratiquées par plus de deux hommes simultanément, fussent-ils adultes et consentants. In specie, le requérant s’était vu condamné pour avoir eu ce type de relation avec quatre autres hommes, les ébats en question ayant fait l’objet d’un enregistrement vidéo. La Cour rejeta tout d’abord l’argument selon lequel la participation de plus de deux personnes et l’enregistrement vidéo, même non diffusé dans le public, faisait « sortir » le comportement de la vie privée21. Elle estima ensuite que le fait que les pratiques dont question aient eu lieu en groupe ne constituait pas une considération pertinente pour écarter les précédents Dudgeon, Norris et Modinos : le maintien en vigueur de l’incrimination, et par voie de conséquence, la condamnation du requérant, violaient l’un et l’autre l’article 822. L’on regrettera éventuellement que, sur base de cette conclusion, la Cour n’ait pas jugé utile de se prononcer sur le grief de discrimination soulevé par le requérant ; en effet, la législation britannique de l’époque ne réprimait pas pénalement, ni l’hétérosexualité de groupe, ni l’homosexualité féminine de groupe23.
17Le bouleversement des positions classiques annoncé plus haut était attendu de l’affaire Euan Sutherland c. Royaume-Uni. Cette affaire soulevait en effet, sous l’angle des articles 8 et 14 combinés, la question de la licéité de la fixation d’un âge de majorité sexuelle distinct selon que la relation soit homosexuelle masculine (18 ans depuis 1994), homosexuelle féminine (16 ans) ou hétérosexuelle (16 ans). La jurisprudence classique des organes de la Convention affirmait, de manière plus ou moins explicite, l’admissibilité d’une telle distinction : nous l’avons vu dans le cadre de l’affaire Dudgeon24. Toutefois, l’ancienne Commission européenne des droits de l’Homme, dans le rapport qu’elle rendit en l’affaire Sutherland le 1er juillet 199725, se départit de cette jurisprudence classique pour juger contraire au principe d’égalité la distinction de traitement querellée. Sans entrer dans le détail, la raison d’un tel revirement tient au relatif consensus atteint par la communauté scientifique autour du fait que l’orientation sexuelle se fixe, tant pour l’homme que pour la femme, avant l’âge de la puberté, et qu’un abaissement de la majorité sexuelle n’aurait pas d’incidence en ce domaine26. De manière forte intéressante, la Commission jugea également que le souci de la société de manifester, via le maintien en vigueur de la distinction de traitement querellée27, sa désapprobation vis-à-vis de l’homosexualité et sa préférence corrélative pour l’hétérosexualité, ne pouvait en aucune manière servir de justification à la distinction de traitement querellée. L’on aperçoit alors qu’à la différence de l’arrêt Dudgeon, l’homophobie d’une majorité ne revêt plus aucun poids dans la balance des intérêts : l’on passe ainsi d’une logique de « muraille » à une logique de reconnaissance et d’obligation de reconnaissance.
18Il ne s’agissait cependant que d’un rapport de la Commission, acquis de surcroît au prix d’une importante controverse au sein de cette institution (14 voix contre 4) ; il paraissait donc hautement souhaitable que la Cour européenne, saisie à son tour de l’affaire, certifie le revirement dont elle avait été le théâtre. Tel ne fut hélas pas le cas. Poussé en ce sens par le rapport défavorable de la Commission, le Parlement britannique, moyennant de nombreuses tergiversations dues aux réticences de la House of Lords, adopta, en fin d’année 2000, une loi portant amendement au Sexual Offences Act de 1956, et fixant à 16 ans l’âge de la majorité sexuelle pour tout type de relation. Ensuite de cette modification, le requérant et le Gouvernement conclurent un règlement amiable et sollicitèrent la radiation de l’affaire du rôle de la Cour. Faisant droit à cette demande, l’arrêt rendu par celle-ci le 27 mars 2001 s’abstint, par conséquent, de se prononcer sur le fond de la question en litige. Assurément, cette radiation du rôle est regrettable. Tant en vertu de la Convention que de la jurisprudence de principe de ses organes d’application, la Cour n’est nullement tenue, en droit, de déférer à la demande de radiation des parties, mais doit au contraire poursuivre l’examen du litige lorsqu’il soulève une question d’intérêt majeur pour l’interprétation de la Convention28 : le procès strasbourgeois peut présenter une finalité pédagogique qui transcende l’intérêt des seules parties à celui-ci29. Or, tel était précisément le cas de l’affaire Sutherland, tant en raison du revirement de jurisprudence dont elle constituait l’occasion, qu’au vu du nombre des Etats membres du Conseil de l’Europe qui, à l’instar de l’Autriche30, conservent un régime discriminatoire de fixation de l’âge de la majorité sexuelle.
Le mariage – le droit de fonder une famille
19Le droit de se marier et de fonder une famille est consacré par l’article 12 de la Convention. De jurisprudence constante, cette disposition fut interprétée comme ne visant que l’union entre personnes de sexe biologique différent. Le principe en fut acquis dans l’arrêt Rees c. Royaume-Uni de 198631, qui portait sur l’impossibilité pour un transsexuel de se marier en raison du refus, par le Royaume-Uni, de reconnaître juridiquement le changement de sexe par lui subit. Ce principe fut encore récemment réitéré par un arrêt du 31 juillet 199832, à propos d’une affaire identique.
20Tout aussi classique est la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’Homme excluant que l’union homosexuelle, même durable, puisse être assimilée à une « vie familiale » protégée par l’article 8 de la Convention33.
21Gageons cependant que ces positions ne sont pas figées, et que l’interprétation de la Convention, généralement attentive aux pratiques observées au sein des Etats membres, prendra en considération le progressisme récemment affiché par certains de ceux-ci. Divers indices peuvent d’ores et déjà être épinglés dans le sens d’une évolution de la jurisprudence strasbourgeoise vers la reconnaissance de l’union homosexuelle, et la concession à celle-ci de tout ou partie des droits dont les articles 8 et 12 investissent l’union hétérosexuelle.
22L’on notera tout d’abord qu’à l’occasion d’une affaire X, Y et Z c. Royaume-Uni du 22 avril 199734, la Cour européenne des droits de l’Homme s’avança vers une conception « socio-éducative » de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, c’est-à-dire, apparemment indifférente, non seulement au sexe des partenaires de vie, mais aussi à l’existence d’un lien de parenté biologique ou juridique unissant, à l’un ou à l’autre, les enfants de l’un ou de l’autre. In casu en effet, la juridiction strasbourgeoise accepta de reconnaître l’existence d’une « vie familiale » entre un enfant, conçu par insémination artificielle avec donneur anonyme, et le compagnon de sa mère, lui-même transsexuel converti. La question de savoir si pareille conception souple de la vie familiale peut être transposée au cas du couple homosexuel et aux relations qui unissent chacun des partenaires avec les éventuels enfants de l’autre semble très délicate, la Cour européenne des droits de l’Homme ayant lourdement insisté sur le facteur de transsexualité qui s’en trouvait à l’origine35. A fortiori est-il encore plus délicat de spéculer sur les conséquences que pourrait avoir cette transposition, si d’aventure celle-ci était possible. À la lecture de l’arrêt, il semble en toute hypothèse exclu que cette transposition puisse avoir pour conséquence d’obliger les Etats à admettre que l’un des partenaires du couple homosexuel puisse établir, par reconnaissance ou adoption, un lien de filiation entre lui-même et les enfants de son conjoint ; cette possibilité ressortit d’une démarche bénévole des Etats.
23Plus solide apparaît ce second acquis de la jurisprudence que constitue l’arrêt Salgueiro da Silva Monta c. Portugal. Tranchée par arrêt du 21 décembre 199936, cette affaire souleva le cas d’un père à qui le droit de garde de son enfant après divorce fut refusé en raison, notamment, de la relation homosexuelle qu’il entretenait avec un autre homme. Pareil refus fut considéré par la Cour européenne des droits de l’Homme comme une distinction de traitement, au sens de l’article 14, fondée sur l’orientation sexuelle. Elle estima, de manière particulièrement catégorique, qu’une telle distinction de traitement ne saurait être tolérée par la Convention.
24En raison du caractère catégorique de sa motivation, il semble que cet arrêt puisse développer ses effets à l’égard d’autres questions que celle qui y présida. Sur sa base, pourrait-on par exemple juger inadmissible qu’un juge puisse refuser l’homologation de l’adoption d’un enfant, en arguant que l’homosexualité de l’adoptant constitue le « juste motif », au sens de l’article 343 du Code civil belge, d’un tel refus ?
25Telle est au demeurant la problématique que soulève l’affaire Fretté c. France, actuellement en instance devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Le requérant, en l’espèce, s’était vu refusé l’agrément préalable à l’adoption, et ce, pour des motifs tirés de son homosexualité. Sur recours gracieux et contentieux, cette décision fit l’objet d’appréciations contradictoires, pour ensuite être définitivement validée par arrêt du Conseil d’Etat français du 9 octobre 199637. Si l’on excepte les griefs tirés de la méconnaissance du droit au procès équitable (art. 6) devant le Conseil d’Etat français, la requête introduite par M. Fretté devant la Cour européenne des droits de l’Homme s’articulait sur deux moyens, Violation des articles 12 et 14 combinés, tout d’abord. Dans sa décision de recevabilité du 12 juin 200138, la Cour européenne déclara ce moyen non-fondé, au motif, classique et sans surprise, « que l’article 12 de la Convention se borne à garantir le droit de se marier à l’âge nubile à deux personnes de sexes biologiques différents » et que « ni cet article, ni l’article 14 ne garantissent le droit à l’adoption », même au profit de personnes hétérosexuelles39. Le second moyen est quant à lui, pris de la violation des articles 8 et 14, motif déduit que le refus d’agrément opposé constitue une discrimination dans le droit au respect de la vie privée et familiale du requérant. Ce second moyen fut déclaré recevable par la décision du 12 juin 2001.
26S’il est extrêmement difficile de spéculer sur l’issue qui sera finalement donnée à cette affaire, au moins peut-on supposer que le Gouvernement français ne manquera pas de distinguer le litige de celui qui présidait à l’affaire Salgueiro : il ne s’agit pas ici d’une ingérence dans une « vie familiale » existante, mais de l’entrave mise à la constitution d’une « vie familiale » espérée40. Toutefois, et si la Cour accepte de subsumer le litige sous l’empire du droit au respect de la vie privée du requérant, en considérant que son épanouissement fut pénalisé par son homosexualité, ce requérant ne manquera pas alors de mettre en exergue les appréciations contradictoires qui furent portées sur son cas dans le cadre de la procédure interne française. L’on sait en effet, et l’arrêt Salgueiro le confirme du reste41, que l’existence de telles contradictions ébranle considérablement le crédit de l’argumentaire de l’Etat dans le cadre de la procédure strasbourgeoise.
27Tout aussi hasardeux est le pronostic à former sur l’issue de l’affaire Siegmund Karner c. Autriche, également pendante devant la Cour européenne. À l’origine du litige se trouve le refus de la Cour suprême autrichienne d’accorder au requérant, homosexuel, le droit de continuer à occuper l’immeuble pris à bail par son compagnon, décédé des suites du Sida.
28Selon la juridiction autrichienne en effet, ce droit est réservé par la loi autrichienne à l’époux(se) et aux parents en ligne directe du locataire, ainsi qu’à son « compagnon de vie » (Lebensgefährte), lequel ne peut toutefois s’entendre d’une personne du même sexe. Alléguant une discrimination dans le droit au respect de la vie privée et familiale, la requête de M. Karner fut déclarée recevable par décision de la Cour européenne datée du 11 septembre 200142.
La vie professionnelle
29La présence d’homosexuels à l’armée est, au vu de la littérature juridique de ces dernières années, une question à laquelle furent confrontés, non seulement les juridictions strasbourgeoises43, mais aussi de nombreux ordres juridiques nationaux44. Cette question fut à nouveau soumise aux organes de la Convention européenne à l’occasion de deux affaires, en cause Smith et Grady c. Royaume-Uni et Beckett et Lustig Prean c. Royaume-Uni.
30Les arrêts rendus par la Cour européenne le 27 septembre 199945 sont particulièrement illustratifs des transformations, évolutions et déplacements qu’à la suite d’O. De Schutter, nous avons tenté d’esquisser en guise d’introduction. Aussi méritent-ils une analyse quelque peu détaillée.
31Quoique ayant partiellement dépénalisé l’homosexualité entre adultes consentants en 1994, le droit britannique maintenait que celle-ci puisse constituer le motif de révocation d’un militaire. Étant chacun tombés sous le coup d’une telle mesure suite à des investigations particulièrement approfondies, les requérants dénonçaient cette situation comme incompatible, notamment avec le droit au respect de la vie privée que leur garantit l’article 8 de la Convention.
32Le droit ainsi revendiqué par le requérant n’est plus tant celui d’une intimité de la relation homosexuelle que celui d’affirmer et d’épanouir sa personnalité dans la vie professionnelle et plus largement sociale sans que cette homosexualité ne puisse constituer un handicap ou un frein. Pareillement défini, ce droit à la reconnaissance est reconnu de manière certaine par la Cour européenne. En effet, l’un des arguments que le Gouvernement britannique souleva, de manière plus ou moins implicite, tout au long de la procédure, est que l’exclusion des homosexuels de l’armée n’entravait en rien le droit de ceux-ci à privilégier leur orientation sexuelle, dès lors que ne s’imposait à eux nulle obligation de s’engager dans l’armée46. Fondée sur une définition trop étroite de la vie privée, cette argumentation fut rejetée.
33À cette mutation dans la portée du droit à la vie privée revendiquée et reconnue correspond une évolution dans l’admissibilité des motifs aptes à le limiter.
34L’argument principal du Gouvernement pour justifier sa politique d’exclusion était que la présence d’homosexuels au sein de l’armée nuirait à l’efficacité opérationnelle des troupes. Une étude menée au sein de l’armée révélait que celle-ci avait, majoritairement, une attitude négative vis-à-vis des homosexuels47.
35Ce type d’argument reçut, traditionnellement, un certain poids dans la jurisprudence de la Cour. Pour rappel tout d’abord, celle-ci avait considéré dans l’arrêt Dudgeon que l’hostilité de la population nord-irlandaise vis-à-vis de l’homosexualité était un facteur pertinent à mettre dans la balance48. De manière identique, mais cette fois-ci dans le domaine de l’immigration, la Cour avait, dans deux arrêts de 198549 et de 199650, reconnu pertinence à l’argument selon lequel une trop forte présence d’immigrés au sein de la population pouvait engendrer la montée d’un sentiment xénophobe : pareil risque pouvait dès lors justifier le refus de regroupement familial. Toujours par comparaison, la Cour avait reconnu un certain poids à l’argument du Gouvernement britannique qui, pour refuser l’installation des caravanes d’une tsigane sur un terrain dont elle était propriétaire, avait évoqué le « ras-le-bol » de la population du district où ce terrain se trouve situé51.
36Dans l’affaire qui nous occupe cependant, l’attitude de la Cour sera diamétralement différente. Elle estima en effet que les attitudes négatives de l’armée vis-à-vis des homosexuels (§ 97) :
« même si elles reflètent sincèrement les opinions de ceux qui les ont exprimées, vont d’expressions stéréotypées traduisant une hostilité envers les homosexuels à un vague malaise engendré par la présence de collègues homosexuels. Dans la mesure où ces attitudes négatives correspondent aux préjugés d’une majorité hétérosexuelle envers une minorité homosexuelle, la Cour ne saurait les considérer comme étant en soi une justification suffisante aux ingérences dans l’exercice des droits des requérants, pas plus qu’elle ne le ferait pour les attitudes analogues envers les personnes de race, origine ou couleur différente ».
37Une telle fin de non-recevoir à l’argument de l’Etat induit logiquement et nécessairement l’obligation pour celui-ci de transformer le rôle qu’il assume vis-à-vis de la société. Il ne lui est en effet plus permis de se poser, par des mesures répressives, en arbitre prétendument neutre des préférences conflictuelles des uns et des autres, et d’acter, en s’y appuyant, les opinions d’une majorité même lorsqu’elles sont contraires aux droits de l’homme : il doit tout au contraire se poser en entraîneur et œuvrer activement, par des mesures préventives et prophylactiques, à la transformation de l’opinion dominante homophobe.
38À cette mutation du rôle de l’Etat correspond une mutation symétrique du rôle du juge européen des droits de l’Homme. Lui non plus ne sera plus un arbitre des intérêts opposés chargé de déterminer, dans la balance, lequel est le plus lourd et mérite de se voir sacrifier la totalité des intérêts concurrents. Il devient un entraîneur, dont la logique n’est plus celle du sacrifice unilatéral, mais bien la concordance pratique : les intérêts opposés doivent se voir simultanément promus par des concessions respectives, ce qui suppose un rabotage des uns et des autres et la recommandation de moyens imaginatifs aptes à optimiser leur coexistence. Cette « nouvelle fonction de juger » se manifeste très bien dans l’arrêt, lorsque la Cour indique au Gouvernement défendeur que le maintien de l’efficacité opérationnelle de l’armée pourrait être réalisé, non pas forcément par l’exclusion des homosexuels, mais bien par l’adoption de codes de conduite, de règles disciplinaires et de campagnes d’information52. Œuvrant à la coexistence des intérêts, cette voie alternative suppose un renoncement à leur maximisation. D’un côté en effet, la Cour ne se cache pas qu’en dépit des solutions imaginées et de l’ingénierie juridique et communicationnelle déployée, des difficultés pourront surgir : l’objectif d’efficacité opérationnelle de l’armée pourra être atteint, mais moins facilement et moins certainement que par le biais de l’exclusion pure et simple. D’un autre côté, les codes et règles de conduites prônés ne s’adresseront pas uniquement à la majorité hétérosexuelle, mais emporteront également des obligations et des renoncements pour les homosexuels eux-mêmes.
39Cette transformation parallèle du rôle de l’Etat et du juge ont évidemment de quoi séduire, en tant que l’une et l’autre œuvrent à la pleine effectivité du droit à la reconnaissance des homosexuels. Encore faut-il en apercevoir les limites.
40La première limite est celle de l’effectivité de la norme juridique elle-même et de son incapacité, passé un certain seuil, à modeler et à bouleverser, par ses réformes, les mentalités et valeurs morales des uns et des autres. Les codes de conduite peuvent éviter, en les sanctionnant, les manifestations extérieures d’intolérance, mais sont impuissants à rendre les gens positivement tolérants et ouverts, ou, plus prosaïquement, sympathiques et amicaux.
41De cette limite dans l’ordre du fait, le législateur et le juge doivent avoir conscience. Par excès dans leurs rôles d’entraîneurs, ils risqueraient en effet, non seulement d’entrer dans la dérive du politiquement correct et de l’hyper agressivité paranoïaque qui la traduit sur un plan juridique, mais aussi, tout simplement, de méconnaître, au nom de la promotion des droits fondamentaux de l’homosexuel, certains droits fondamentaux concurrents. L’on pourrait imaginer en effet que, pour hâter l’intégration des homosexuels à l’armée et la modification des perceptions que celle-ci a à leur égard, soit menée une politique de discrimination positive qui verrait réserver aux homosexuels un quota d’officiers. La difficulté est cependant qu’une telle politique se heurte à l’égalité individuelle des militaires, et que l’équilibre à trouver en la matière est toujours délicat et précaire.
42Il faut garder à l’esprit par ailleurs que les préjugés homophobes d’une majorité sont une opinion, voire même le cas échéant, une conviction religieuse ou philosophique, protégées comme telles par les articles 10 et 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le droit peut et doit légitimement limiter l’expression de cette opinion ou conviction, lorsqu’elle s’apparente à une incitation à la haine. Il ne peut cependant interdire, selon les textes internationaux pertinents, l’opinion ou la conviction elle-même lorsqu’elle ne trouve pas à s’exprimer, ou contraindre d’en changer à peine de sanction. Nul, mieux que le juge constitutionnel sud-africain Sachs53 n’a finalement décrit cet exercice d’équilibriste auquel l’Etat et le juge se voient contraints aux fins de ménager les droits concurrents ;
« The fact that the State may not impose orthodoxies of belief Systems on the whole of society has two consequences. The first is that gays and lesbians cannot be forced to conform to heterosexual norms ; they can now break out of their invisibility and live as full and free citizens of South Africa. The second is that those persons who for reasons of religious or other beliefs disagree with or condemn homosexual conduct are free to hold and articulate such beliefs. Yet, while the Constitution protects the right of people to continue with such beliefs, it does not allow the State to turn these beliefs – even in moderate or gentle versions – into dogma imposed on the whole of society ».
43Une dernière remarque s’impose. Si les arrêts Smith et Grady et Beckett et Lustig-Prean se distinguent prioritairement par l’interprétation qu’ils donnèrent de l’article 8 et la condamnation qu’ils prononcèrent sous son visa, ils doivent également retenir l’attention en raison de la position qu’ils adoptent à l’égard de la compatibilité, avec l’article 3, du traitement infligé aux requérants.
44En effet, la Cour affirme qu’un traitement peut être considéré comme dégradant, au sens de l’article 3, « s’il est de nature à créer chez la victime un sentiment de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier, à l’avilir et à briser éventuellement sa résistance physique et morale ». Partant, « la Cour n’exclut pas qu’un tel traitement fondé sur un préjugé de la part d’une majorité hétérosexuelle envers une minorité homosexuelle (...) puisse en principe tomber sous l’empire de l’article 3 »54.
45La possibilité ainsi offerte de dénoncer, sous visa de l’article 3, une discrimination à l’égard des homosexuels ne doit évidemment pas être surestimée : cette discrimination, et l’homophobie qu’elle révèle, doivent en effet présenter une gravité particulièrement accentuée, quod non dans les affaires Smith et Grady et Beckett et Lustig-Prean.
46Pour autant, une telle subsomption n’est pas sans intérêt : sur le plan juridique, et pourvu que le seuil de gravité soit atteint, l’article 3 serait alors en mesure de condamner un traitement discriminatoire, émanant de l’Etat ou de particuliers55, quand bien même ledit traitement serait infligé hors la sphère des autres droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, l’article 3 tend à prohiber les traitements discriminatoires, non tant au nom des droits et libertés qui s’y trouvent impliqués, mais bien en raison des souffrances qui en résultent.
Conclusions
47Autorité en la matière, R. Wintemute56 pouvait, en 1997, qualifier de « décevante » la jurisprudence strasbourgeoise jusqu’alors intervenue à propos des droits des homosexuels.
48Quatre années plus tard, davantage d’optimisme semble permis.
49Certes regrettera-t-on que la Cour européenne ait pu, à l’occasion de l’affaire Sutherland, faire montre de « minimalisme judiciaire » en sacrifiant, sur l’autel de l’accord des parties litigeantes, l’occasion de se prononcer sur une question dont la résolution présentait un intérêt général manifeste.
50Pour le reste cependant, les avancées sont indéniables. Plus que l’empilement des victoires et la diversification des champs de bataille, c’est l’évolution juridique qui leur est sous-jacente qui mérite, au premier chef, de retenir l’attention. Une mutation des paradigmes classiques est visiblement à l’œuvre, tant au niveau de l’interprétation des normes conventionnelles sous les étendards desquelles est menée la revendication homosexuelle, qu’au niveau de la définition des rôles impartis à l’Etat et au juge face à une telle revendication.
51Le mouvement est donc prometteur. Même si un pronostic sur l’issue des affaires Fretté et Karner susmentionnées est dans l’immédiat impossible57, il est d’ores et déjà assurément remarquable que la Cour européenne ait accepté d’y apercevoir des questions de droit et de fait suffisamment complexes pour ne pouvoir être tranchées au simple stade de la recevabilité : pareille ouverture à la controverse eût été impensable il y a quelques années encore.
52Octobre 2001.
ADDENDUM
53À l’heure où la présente étude se trouvait sous presse, ont été tranchées par la Cour européenne diverses affaires auxquelles celle-ci fait allusion.
54Par arrêt du 26 février 2002, la Cour européenne des droits de l’Homme, quoique très divisée, a estimé que le refus des autorités françaises de délivrer à M. Fretté l’agrément nécessaire en vue d’une adoption (voyez ci-dessus nno 25-26), ne révélait pas une discrimination prohibée par les articles 14 et 8 combinés de la Convention européenne. Pour la Cour, il convenait, eu égard à l’absence d’une communauté de vues des Etats membres du Conseil de l’Europe sur la question en litige – à savoir l’adoption par un homosexuel – (§ 41), de reconnaître une large marge d’appréciation à l’Etat français, pour déterminer si une telle adoption servait au mieux l’intérêt de l’enfant, reconnu comme prioritaire (§ 42). Actant les incertitudes de la communauté scientifique sur ce point, la Cour estima que la France n’avait pas méconnu sa marge d’appréciation en opposant le refus litigieux au requérant (§ 42). Il est néanmoins remarquable de constater qu’à titre liminaire, l’arrêt admet de subsumer la situation litigieuse sous l’empire du droit au respect de la vie privée du requérant, alors qu’elle réaffirme parallèlement que, ni cette disposition, ni aucune autre disposition conventionnelle, ne consacre de droit à l’adoption (§§ 31-32).
55À l’occasion de deux arrêts datés du 9 janvier 2003 (S.L. c. Autriche et L.V. c. Autriche – voyez ci-dessus no 18, note infrapaginale no 30), la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé que la différence de traitement réalisée par le droit pénal autrichien dans la fixation de l’âge de la majorité sexuelle en fonction de la nature – hétérosexuelle, homosexuelle féminine ou homosexuelle masculine – de la relation, est une discrimination contraire aux articles 14 et 8 de la Convention. À l’estime de la Cour, le préjugé négatif nourri par une majorité hétérosexuelle à l’endroit d’une minorité homosexuelle, ne peut d’aucune façon constituer une justification suffisante de la distinction de traitement querellée (arrêt S.L., § 44).
56L’on épinglera également les arrêts Christine Goodwin et/ c. Royaume-Uni du 11 juillet 2002, dans lesquels la Cour affirma que le droit de se marier, consacré par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ne devait pas, à l’heure actuelle, être indissolublement lié à la capacité à procréer du couple concerné (arrêt Christine Goodwin, § 98). Certes cet arrêt intervient-il dans une problématique distincte de celle ici étudiée - à savoir le droit pour un transsexuel converti de se marier à une personne du même sexe que son sexe d’origine–, et l’on ne saurait l’interpréter comme une reconnaissance, par la Cour, de la possibilité pour un couple homosexuel de revendiquer le droit au mariage visé par l’article 12 : les termes clairs de cette disposition – qui fait référence au droit de l’« homme et de la femme » de se marier – font obstacle à une telle déduction (voyez au demeurant la position exprimée sur le sujet par le Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies, constatations Juliet Joslin et autres c. Nouvelle-Zélande, communication no 902/1999, CCPR/C/75/D/902/1999, 30 juillet 2002). Il reste cependant que la rupture du lien entre mariage et procréation, expressément opérée par la Cour européenne des droits de l’Homme, prive les adversaires du mariage homosexuel d’un argumentaire, qui, au vu de la position du Conseil d’Etat de Belgique, a pu récolter un certain succès (voyez S Van Drooghenbroeck, « Transsexuels et C.E.D.H. : la fin d’un long combat », Journal du Juriste, 2002/14, p. 4).
57Enfin, les requêtes Tosto, Crescimone et Faranda c. Italie (ci-dessus, note infrapaginale 57), toutes trois relatives au refus des autorités italiennes de permettre à des homosexuels d’effectuer un don de sang, ont été radiées du rôle de la Cour par décision du 15 octobre 2002, ensuite d’une modification de la législation italienne relative à la matière.
Notes de bas de page
1 Cour eur. D.H., arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, Série A, no 45.
2 Cour eur. D.H., arrêt Norris c. Irlande du 26 octobre 1988. Série A, no 142.
3 Cour eur. D.H., arrêt Modinos c. Chypre du 22 avril 1993, Série A, no 259.
4 C.-A. MEYER, « L’homosexualité dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européenne des droits de l’Homme » in D. BORRILLO (sous la direction de), Homosexualités et droit, Paris, PUF, 1998, p. 154 et s.
5 O. DE SCHUTTER, « Fonction de juger et nouveaux aspects de la vie privée : la notion de “pleine reconnaissance” » in D. BORRILLO (sous la direction de), Homosexualités et droit, Paris, PUF, 1998, p. 64 et s.
6 Cour eur. D.H., arrêt P.G. et J.H. c. Royaume-Uni du 25 septembre 2001, non encore publié au Recueil.
7 O. DE SCHUTTER, Fonction de juger..., op. cit., pp. 74-75.
8 Ce paradigme de la concordance pratique fut thématisé par une certaine doctrine constitutionnelle allemande, laquelle y voit le mode optimal de gestion des conflits entre deux droits fondamentaux antinomiques. K. HESSE, Grundzüge des Verfassungsrechts der Bundesrepublik Deutschland, 14 éd., Heidelberg, 1984, no 71 et s. et no 317 et s. ; G. XYNOPOULOS, « Le contrôle de proportionnalité dans le contentieux de la constitutionnalité et de la légalité en France, Allemagne et Angleterre », Paris, LGDJ, 1995, pp. 163-164 ; R. DE LANGE, Publiekrechtelijke rechtsvinding, WEJ Tjeenk Willink, Zwolle, 1991, p. 148 et s. ; O. JOUANJAN, « La théorie allemande des droits fondamentaux », A.J.D.A., Numéro spécial, Les droits fondamentaux. Une nouvelle catégorie juridique ?, 1998, p. 50. La distinction entre "balance des intérêts" et "concordance pratique" est particulièrement bien mise en lumière par F. MÜLLER, Discours de la méthode juridique, trad. de l’allemand par O. JOUANJAN, Paris, PUF, 1996, pp. 285-287 : « Non seulement dans l’hypothèse d’une contrariété de normes, mais aussi à l’occasion de la concurrence ou de la collision de plusieurs droits fondamentaux par exemple, ou bien encore lorsque leurs domaines d’application se recoupent partiellement, le principe de « concordance pratique » impose pour tâche de fixer les limites des deux ou de tous les "biens juridiquement protégés” (par les droits fondamentaux) de manière "proportionnée”, de telle sorte que, dans le résultat, ils contribuent tous au moins au soutien de la décision. On entend donc par là ce procédé d’harmonisation à la frontière entre plusieurs normes (droits fondamentaux) régissant le cas concret (...). On prend aussi par-là position contre les techniques du “bilan axiologique” ou de la “mise en balance des biens juridiquement protégés (...). L’optimisation exigée par le principe de la concordance pratique et qui touche toutes les normes et tous les biens protégés en présence ne peut fixer l’objectif que négativement, et non pas positivement. La concrétisation ne doit pas, telle la procédure du “bilan”, reconnaître en bloc à l’une des normes la priorité et faire céder les autres en bloc. Elle n’a pas le droit d’actualiser l’une des normes au complet détriment des autres puisque justement, d’après le résultat de la concrétisation, ces autres normes régissent elles aussi le cas concret sous forme d’une norme juridique et d’une norme de décision (...). La concordance pratique n’offre qu’un objectif formel et, pour le reste, un appel qui doit pour l’essentiel être compris du point de vue de la politique constitutionnelle. Elle se démarque tendanciellement du bilan des biens juridiquement protégés, du bilan axiologique. Ce type de bilan court constamment le danger de faire céder une prescription applicable au cas juridique concret au profit d’une autre en utilisant des arguments aussi problématiques que ceux de la priorité, de la plus grande valeur de certains biens ou intérêts constitutionnellement protégés. Ce genre de procédé court ainsi le risque de ne satisfaire ni, en particulier, à la situation normative concrète, ni, en général, aux exigences imposées par le principe de l’Etat de droit ».
9 S. VAN DROOGHENBROECK, « La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme », Prendre l’idée simple au sérieux, Bruxelles, Bruylant/FUSL, 2001, à paraître, nno 1005-1007.
10 Cour eur. D.H., arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, op. cit.
11 Cour eur. D.H., arrêt Norris c. Irlande du 26 octobre 1988, op. cit.
12 Cour eur. D.H., arrêt Modinos c. Chypre du 22 avril 1993, op. cit.
13 Cour eur. D.H., arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, op. cit., § 60.
14 A propos de la prostitution homosexuelle, voyez, Coram. eur. D.H., req. no 11680 :85, décision F. c. Suisse du 10 mars 1988, D.R., 55, p. 178.
15 Cour eur. D.H., arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, op. cit., § 57 : « Il s’ensuit, le Gouvernement le relève avec raison, que le climat moral de l’Irlande du Nord en matière sexuelle, tel que le révèle par exemple l’hostilité à la réforme législative envisagée, figure parmi les données dont les autorités nationales sont en droit de tenir compte en usant de leur pouvoir d’appréciation. Il y a, la Cour l’admet, une vigoureuse opposition ; elle procède de la conviction authentique et sincère, partagée par nombre d’esprits réfléchis de la province, qu’amender la législation y affaiblirait beaucoup les structures morales de la société (...). Elle reflète (...) une certaine idée tant des exigences de la morale en Irlande du Nord que des mesures jugées nécessaires, dans la population, pour préserver les valeurs morales reçues. Opinion fondée ou non, et qui s’écarte peut-être des conceptions dominant ailleurs, mais son existence dans de larges milieux de la société nord-irlandaise est assurément pertinente sous l’angle de l’article 8, § 2 ».
16 La jurisprudence constante de la Commission allait en ce sens. Sur ce point, les références citées par C.A. MEYER, "L’homosexualité....", op. cit., pp. 164-166.
17 Cour eur. D.H., arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, op. cit., § 62.
18 Opinion partiellement dissidente jointe par M. Le juge WALSH à l’arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, op. cit., pt. 8.
19 Cour eur. D.H., arrêt A.D.T. c. Royaume-Uni du 31 juillet 2000, non encore publié au Recueil.
20 http://www.homeoffice.gov.uk/circulars/2000/hoc4600.htm.
21 Ibid, § 25. La Cour précise et nuance ici un arrêt Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni du 19 février 1997 (Rec., 1997-I, p. 131), où, à propos de pratiques sadomasochistes organisées, elle avait affirmé (§ 36) : « (...) toute pratique sexuelle menée huis clos ne relève pas nécessairement du domaine de l’article 8. En l’espèce, les requérants se sont livrés de leur plein gré à des actes sadomasochistes dans un but de jouissance sexuelle. Il ne fait aucun doute que les tendances et le comportement sexuels se rapportent à un aspect intime de la vie privée (...). Cependant, un nombre considérable de personnes ont pris part à ces actes, qui comportaient notamment le recrutement de nouveaux membres, la mise à disposition de plusieurs chambres équipées spécialement et l’enregistrement de nombreuses vidéocassettes distribuées parmi les membres en question (...) ». Il est donc permis de se demander, vu les circonstances particulières de l’espèce, si les pratiques sexuelles des requérants relèvent entièrement de la notion de vie privée.
22 Cour eur. D.H., arrêt A.D.T. c. Royaume-Uni du 31 juillet 2000, op. cit., §§ 37 et 38.
23 Ibid., §§ 18 et 19.
24 Supra, no 13 ainsi que note infrapaginale no 16 en ce qui concerne la Commission.
25 Comm. eur. D.H., req. no 25186/94, rapport Euan Sutherland c. Royaume-Uni du 1er juillet 1997, non encore publié.
26 Ibid., § 64.
27 Ibid., § 65 : « As to the second ground relied on — society’s claimed entitlement to indicate disapproval of homosexual conduct and its preference for a heterosexual lifestyle — the Commission cannot accept that this could in any event constitute an objective or reasonable justification for inequality of treatment under the criminal law ».
28 S. VAN DROOGHENBROECK, « Le temps, la proportionnalité et le juge européen des droits de l’Homme » in F. OST, P. GERARD et M. van de KERCHOVE (sous la direction de), L’accélération du temps juridique. Bruxelles, FUSL, 2000, pp. 377-380 ; O. DE SCHUTTER, « Le règlement amiable dans la Convention européenne des droits de l’Homme : entre théorie de la fonction de juger et théorie de la négociation », Mélanges en hommage à P. LAMBERT, Les droits de l’Homme au seuil du troisième millénaire, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 227-234.
29 S. VAN DROOGHENBROECK, « Le temps, op. cit., pp. 337-347, ainsi que S. VAN DROOGHENBROECK, « La proportionnalité dans le droit de la Convention.... » op. cit., nno 775-783.
30 L’on notera avec intérêt que trois requêtes dénonçant l’inconventionnalité de la loi autrichienne sont actuellement pendantes devant la Cour européenne des droits de l’Homme : G.L. c. Autriche (39392/98), A.V. c. Autriche (39829/98) et S.L. c. Autriche (45330/99).
31 Cour eur. D.H., arrêt Rees c. Royaume-Uni du 17 octobre 1986, Série A, no 106, §§ 49 et 50.
32 Cour eur. D.H., arrêt Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni du 30 juillet 1998, §66.
33 Sur cette jurisprudence, C.-A. MEYER, « L’homosexualité... », op. cit., pp. 170 et s. Aussi, « I. Karsten, Atypical Families and the Human Rights Act : the Rights of Unmarried Fathers, Same Sex Couples and Transsexuals », E.H.R.L.R., 1999, pp. 202 et s. L’on notera cependant que dans une décision H. Craig c. Royaume-Uni du 21 mars 2000 (req.45396/99), la Cour laissa expressément ouverte la question de savoir si l’union durable entre deux lesbiennes pouvait être qualifiée de vie familiale au sens de l’article 8.
34 Cour eur. D.H., arrêt X, Y et Z c. Royaume-Uni du 22 avril 1997, Rec., 1997-II, pp. 619 et s.
35 Ibid., § 37.
36 Cour eur. D.H., arrêt Salgueiro da Silva Moula c. Portugal du 21 décembre 1999, non encore publié au Recueil.
37 Jur., et note Ph. MALAURIE, Dalloz, 1997, Pour un résumé plus détaillé de cette affaire, D. BORRILLO et T. PITOIS, « Adoption et homosexualité : analyse critique de l’arrêt du Conseil d’Etat du 9 octobre 1996 » in D. BORRILLO (sous la direction de), Homosexualités et droit, Paris, PUF, 1998, pp. 139 et s.
38 Cour eur. D.H., req. no 36515/97, décision P. Fretté c. France du 12 juin 2001.
39 Comm. eur. D.H., req. no 31924/96, décision Di Lazzaro c. Italie du 10 juillet 1997 : La Commission rappelle que le droit d’adopter ne figure pas, en tant que tel, au nombre des droits garantis par la Convention et que l’article 8 de la Convention n’oblige pas les Etats à accorder à une personne le statut d’adoptant ou d’adopté (No 6482/74, déc. 10.7.75, D.R. 7, pp. 75-76). Par ailleurs, la Commission rappelle que l’article 12 de la Convention, qui reconnaît le droit pour l’homme et la femme d’âge nubile de fonder une famille, implique l’existence d’un couple et ne saurait être interprété comme incluant le droit d’adopter pour une personne célibataire (no 6482/74, déc. 10.7.75, D.R. 7, pp. 75-76). En outre, l’article 12 de la Convention ne confère aucun droit d’adopter ou d’intégrer dans sa famille une personne qui n’est pas l’enfant par le sang (no 7229/75, déc. 15.12.77, D.R. 12, pp. 32-37).
40 Or, l’article 8 de la Convention ne garantit pas le droit à l’adoption. Voyez supra note infrapaginale, no 38.
41 Le résumé des faits pertinents et des décisions de justice internes intervenues dans l’arrêt Salgueiro (Cour eur. D.H., arrêt Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal du 21 décembre 1999, op. cit., §§ 9 à 15).
42 Cour eur. D.H., req. no 40016/98, décision Karner c. Autriche du 11 septembre 2001.
43 Comm. eur. D.H., req. no 9237/81, décision du 12 octobre 1983, D R., 34, p. 68.
44 S. GARNERI, Le droit constitutionnel et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle (première partie), R.F.D.C., 1999, pp. 742-743 et réf. citées.
45 Cour eur. D.H., arrêt Smith et Grady c. Royaume-Uni du 27 septembre 1999, non encore publié, et Cour eur. D.H., arrêt Beckett et Lustig-Prean c. Royaume-Uni du 27 septembre 1999, non encore publié. À la suite de ces arrêts, d’autres affaires similaires furent introduites devant la Cour européenne. Notamment, Cour eur. D.H., req. no 43208/98 et 44875/98, décision T. Perkins & R. c. Royaume-Uni du 5 septembre 2000.
46 En ce sens Cour eur. D.H., arrêt Smith et Grady c. Royaume-Uni du 27 septembre 1999, op. cit., § 70.
47 En ce sens les §§ 76 à 80.
48 Voyez supra, no 12.
49 Cour eur. D.H., arrêt Abdulaziz. Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, Série A, no 94, §§ 76 et 81.
50 Cour eur. D.H., arrêt Gül c. Suisse du 19 février 1996, Rec., 1996-I, p. 159 et s. La Cour n’énonce pas explicitement les intérêts généraux que la Suisse mettait en avant pour refuser à la famille Gül un regroupement familial sur le territoire helvétique. Son raisonnement se concentre avant tout sur la question de savoir si un tel regroupement était la seule manière pour la famille dont question de jouir d’une vie familiale au sens de l’article 8, — quod non in casu —. Dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt, le Juge Martens relèvera cependant que la plaidoirie du Gouvernement avait surtout mis l’accent sur le pourcentage déjà élevé d’immigrés en Suisse, et sur le fait que l’immigration y est un thème particulièrement sensible (ibid., p. 182). Et le juge dissident de poursuivre (ibid., p. 184) : « La Cour européenne est (...) appelée à veiller notamment à ce que les intérêts de l’Etat n’écrasent pas ceux d’un individu, spécialement dans des situations où la pression politique — comme l’aversion grandissante pour les immigrés dans la plupart des Etats membres — peut inspirer aux autorités de l’Etat des décisions rigoureuses ». Faut-il voir dans un tel rappel une critique indirecte du raisonnement de la majorité de la Cour, qui, quant à elle, aurait au contraire prêté pertinence à l’existence, en Suisse, d’une aversion grandissante à l’égard de la population immigrée ?
51 Cour eur. D.H., arrêt Buckley c. Royaume-Uni du 26 septembre 1996, Rec., 1996-IV, p. 1271 et s., § 80.
52 Cour eur. D.H., arrêt Smith et Grady c. Royaume-Uni du 27 septembre 1999, op. cit., §§ 102-103.
53 CCT 11/98, The National Coalition For Gay and Lesbian Equality & The South African Human Rights Commission versus The Minister Of Justice, The Minister Of Safety And Security & The Attorney-General Of The Witwatersrand (9 October 1998).
54 Cour eur. D.H., arrêt Smith et Grady c. Royaume-Uni du 27 septembre 1999, op. cit., §§ 120-121.
55 La jurisprudence admet en effet que les Etats ont l’obligation positive d’œuvrer à l’effectivité des droits garantis par l’article 3 jusque et y compris dans les relations entre particuliers. Cour eur. D.H., arrêt Z c. Royaume-Uni du 10 mai 2001, non encore publié au Recueil, § 73 : "La Cour rappelle que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Combinée avec l’article 3, l’obligation que l’article 1 impose aux hautes parties contractantes de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés garantis par la Convention leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des tortures ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, même administrés par des particuliers (...). Ces dispositions doivent permettre une protection efficace, notamment des enfants et autres personnes vulnérables et inclure les mesures raisonnables pour empêcher des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance".
56 R. WINTEMUTE, « Libertés et droits fondamentaux des personnes gayes, lesbiennes et bisexuelles en Europe » in, D. BORRILLO (sous la direction de), Homosexualités et droit, Paris, PUF, 1998, p. 182.
57 D’autres affaires, actuellement en instance devant la Cour européenne des droits de l’Homme, méritent encore d’être mentionnées. Ainsi, trois requêtes italiennes dénoncent l’incompatibilité avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme de l’impossibilité qui leur est faite de donner leur sang, aux motifs que, homosexuels, ils appartiennent à une catégorie de personnes présentant un risque pour la transmission du SIDA et de l’hépatite : Tosto c. Italie (no 49821/99), Crescimone c. Italie (no 49824/99) et Faranda c. Italie (no 51467/99).
Auteur
Chargé de recherches au F.N.R.S. Chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis
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