1 Néologisme employé (à ma connaissance) pour la première fois par Anne de Gouy, en référence au terme anglo-saxon « homelessness » (Gouy, 1997, p. 485) et dont il sera fait usage au sein de ce travail. Cela 1° en raison de sa grande facilité d'emploi et 2° du fait qu'il n'existe aucun correspondant satisfaisant en langue française sinon les termes – quelque peu vieillis et inadaptés à la diversité des situations vécues par les sans-abri aujourd'hui – de vagabondage ou d'errance.
2 Encore est-il important de préciser d'emblée que cette comparaison transnationale sera basée sur un « plus petit commun dénominateur » (PPCD) entre des situations nationales foncièrement différentes. Ainsi, lors des travaux de terrain, seront abordés une foule d'aspects spécifiques à chaque pays impliqué dans la recherche. Le PPCD mit en exergue grâce à cette recherche devra être plutôt trouvé dans la similarité des situations vécues et rencontrées par les sans-abri vivant dans la rue et ce, quelles que soient les disparités socio-économico-culturelles existant entre les pays concernés.
3 Dans le chapitre d’introduction, nous avons présenté la FEANTSA, dont les rapports sont axés sur les politiques mises en œuvre pour aider les sans-abri dans chaque pays, ainsi que sur les manques desdites politiques. Pour lui rendre justice, il faut toutefois ajouter que ces rapports apportent une foule d'informations pertinentes et des plus utiles dans le cadre de tout travail à visée comparative.
4 Si l'espace apparaît comme « donné », il n’en va pas du tout ainsi du temps. Nous tenterons donc d’aborder la notion de temps et, plus singulièrement celle de « perception du temps » chez la personne sans-abri mais cela uniquement après la présentation des trois grands terrains de cette recherche – Belgique, France et Portugal. De cette manière, parler de la notion de perception temporelle du sans-abri sera plus aisé puisque s'appuyant sur des exemples tirés de ces terrains.
5 Cf. ci-après le chap. vi, ii-B et surtout le point 4.
6 D'ailleurs, au-delà d'un possible dédain pour une anthropologie de type « appliquée », il reste que – dans le cas particulier de l'étude d'abris de nuit pour personnes à la rue – il s'avère très difficile d'effectuer ce genre de recherche en raison de la réticence quasi unanime du personnel de ces institutions à voir ainsi :
1o leur travail analysé et critiqué,
2o les usagers, leurs « protégés », livrés en pâture à un chercheur qui va peut-être, en étant maladroit, mettre à rien les efforts et progrès qu'ils perçoivent chez les personnes dont ils ont la charge et, enfin,
3o l'interprétation de la vie de l'abri par le chercheur nécessairement diverger, en tout ou en partie, de la vision que les travailleurs même veulent donner de « leur » abri. Winkin a relaté un problème semblable, vécu non pas dans un abri mais au sein d'une université américaine : l'observation – qu'il rapporta dans un article – des us et coutumes ayant cours dans cette institution lui valut les foudres de la part de la personne même qui l'avait aidé à y rentrer en tant que « visiting scholar ». (Winkin, 1984)
7 Un autre exemple qui aurait pu être cité, semblable sur de nombreux points avec la théorie du corps brésilienne, concerne la dualité pureté/impureté à la base du système de castes hindou, cette hantise permanente de la souillure chez les Indiens, explicitée par L. de Heusch en ces termes : « Chaque caste construit un modèle relatif de la pureté qui définit son statut propre par rapport aux autres, entre l'impureté du groupe inférieur et la plus grande pureté du groupe supérieur » (cité par de Heusch in Douglas, 2001, p. 23).
8 Robert Castel, dans sa préface à « Asiles », complète la définition générale dégagée par Goffman (1968) en caractérisant l'institution totale comme un lieu défini par « l’isolement par rapport au monde extérieur dans un espace clos, la promiscuité entre usagers, la prise en charge de l’ensemble des besoins de l’individu par l’établissement, l’observance obligée d’un règlement qui s’immisce dans l’intimité du sujet et programme tous les détails de l’existence quotidienne, l’irréversibilité des rôles de membre du personnel et de pensionnaire, la référence constante à une idéologie consacrée comme seul critère d’appréciation de tous les aspects de la conduite » voire encore l’absence de toutes possessions personnelles (Castel in Goffman, 1968, p. 11).
9 De même d'ailleurs – ainsi que l'indique Arpad Szakolczai, spécialiste de Michel Foucault, dans une communication personnelle – que « L'histoire de la folie » de M. Foucault ; Foucault dont Castel fut un des plus anciens et fidèles collaborateurs. Ce fut Castel qui préfaça l'édition française de Asiles de Goffman en 1968, un Castel qui devait connaître le travail de Vexliard, datant de 1957. Il est donc possible que les mots-clés utilisés dans Le Clochard et que l'on retrouve dans Asiles soient dus à la volonté de souligner la similitude des deux situations.
10 Pour traduire respectivement les « recently dislocated » (les « récemment déconnectés »), les « straddlers » (ceux qui nagent entre deux eaux) et les « outsiders » (ceux qui sont en dehors de la société), cela en raison de la difficulté à traduire, en termes français équivalents, les concepts proposés par Snow et Anderson. En effet, alors que « déconnecté » implique une métaphore s'appliquant indifféremment aux êtres et aux choses, le terme « décalé » ne peut s'appliquer qu'à un sujet, raison pour laquelle il a été préféré. De même, le terme « liminaire » a été choisi à cause du flou et de la longueur de la traduction française de « straddler ». Enfin, « marginal » a été privilégié face à « outsider » vu le sens que ce dernier terme prend généralement en français : « Concurrent dont la victoire ou la performance est inattendue (dans un sport quelconque) » (Petit Robert, 1993).
11 Ce fut d'ailleurs ma couverture lors de mon travail de terrain au Portugal : elle offre de nombreux avantages, notamment « un statut au sein même des personnes sans-abri, de bohémien, d'artiste : on vous regarde avec un léger sourire naissant à la commissure des lèvres. » (Notes de terrain du 27 octobre 1998).
12 En raison de ses manques propres et de l’insuffisance de sa politique sociale progressivement et savamment « détricotée » durant les années quatre-vingt et jamais restaurée depuis – ce malgré huit années d’administration démocrate –, le système américain peut voir la mise en difficulté d’une bien plus grosse proportion de la population que ce qu’un système d’État-providence « à l’européenne » (à la notable exception de la Grande-Bretagne) admettrait (Castel, 1978 ; Herpin, 1993 ; Wacquant, 1993 ; Wacquant, 1994). Dès lors, il ne faut pas s'étonner de la plus grande variété de personnes sans-abri pouvant être rencontrées dans les rues de New York, Pittsburgh, Detroit, Austin ou Seattle qu'à Bruxelles, Lisbonne ou même Paris.
13 Cette utilisation d'Internet – par ailleurs si décrié pour le prétendu déclin des relations sociales que le réseau des réseaux est censé provoquer – justifie donc ici la thèse opposée. Du reste, celle-ci a de plus en plus de défenseurs puisque Internet, loin de « désocialiser », permet plutôt d'autres types de socialisation où la communauté, quoique toujours bien présente, se virtualise et se construit au fil des forums de rencontres. C'est, pour citer Frédéric Brébant, la naissance d'un nouveau courant « qui fusionne paradoxalement les termes seul et ensemble. En clair, on peut aujourd'hui vivre complètement isolé avec, toutefois, le sentiment rassurant d'appartenir à une communauté qui partage exactement les mêmes centres d'intérêt au même moment. […] Aujourd'hui, grâce à la formidable machine Internet, on peut facilement assouvir sa passion "seul ensemble". En “chattant” sur le Net, on se moque ainsi des frontières et on donne la main (ou la souris) à des milliers de personnes complices, même si l'on est désespérément seul dans son petit 60 m2 » (souligné par moi) (Brébant, 2002).
14 P. Declerck entend par « désocialisation » : « un ensemble de comportements et de mécanismes psychiques par lesquels le sujet se détourne du réel et de ses vicissitudes pour chercher une satisfaction ou – a minima un apaisement, dans un aménagement du pire. La désocialisation constitue, dans ce sens, le versant psychopathologique de l'exclusion sociale. » (Declerck, 2001, p. 294)
15 L’abri devient dès lors, à peu de frais, l’asile psychiatrique du pauvre où le médecin-psychiatre est remplacé – d’économique manière – par le travailleur social et où la thérapie s'appelle « réintégration ».
16 Un peu à la manière dont un alcoolique participant aux réunions des alcooliques anonymes est amené – par la thérapie de groupe mise en place dans cette association – à réaliser que seul, il n'arrivera jamais à se débarrasser de son assuétude (Bateson, 1977, p. 225-252), mis à part le fait qu'ici il ne s'agit pas d'une dépendance mais d'un mode de vie à part entière sur lequel la personne n'a pas entièrement prise, loin s'en faut.
17 Dringuelle est un mot wallon signifiant « un peu de monnaie » (à l'origine « pour prendre un petit verre », le mot « dringuelle » dérivant de l'allemand « trinken »)
18 Entretien avec Bernard Horenbeek, directeur de l'association Diogènes.