Variations sur « Pacta sunt servanda ». Autour et alentour du Code civil
p. 243-265
Texte intégral
1Avec le recul du temps, les spécialistes ne tarissent pas d’éloges et rivalisent de compliments pour qualifier le « Code civil des français » adopté le 21 mars 1804. Dans un opuscule publié à l’occasion du bicentenaire dudit code, Robert Badinter opinait : « Le plus remarquable, aujourd’hui, dans le Code civil, c’est moins son contenu que sa longévité1 ».
2À l’époque, nombre d’observateurs devaient cependant être animés d’un sentiment particulièrement dubitatif à propos de l’aboutissement de l’ouvrage mis sur le métier, eu égard à l’ampleur de la tâche. Plusieurs initiatives avaient au surplus été vouées à l’échec, spécialement au cours de la décennie précédant la constitution de la commission chargée de la rédaction d’un projet de Code civil.
I. La codification à l’époque napoléonienne
A. Les échecs antérieurs au Code civil
3Au cours de la dernière décennie du xviiie siècle, de multiples tentatives de codification du droit civil ont avorté2. Elles n’ont sans doute guère retenu l’attention des juristes, mais méritent toutefois qu’on y fasse écho pour situer adéquatement la généalogie du Code civil3.
4La rédaction d’un Code civil figura au programme de l’Assemblée législative qui succéda à la Constituante à partir du 1er octobre 1791. À l’exception de la création en son sein d’un comité de législation civile et criminelle, elle ne prit cependant aucune initiative pour faire aboutir ce projet avant la chute du trône intervenue le 10 août 1792.
5La Convention succéda à l’Assemblée législative à partir du 21 septembre 1792. Jusqu’au mois de juin 1793, elle consacra cependant tous ses efforts à trois questions de droit civil : les successions, le statut des enfants naturels et l’adoption.
6Au mois de juin 1793, la mise en chantier d’un projet de Code civil revient à l’ordre du jour. Les choses ne traînent pas puisque, dès le 9 août 1793, Cambacérès4 présente à la Convention un premier projet.
7Un trait caractéristique de ce premier projet est son relatif laconisme. Sans doute le législateur doit-il se borner à poser des principes généraux. Il faut cependant veiller à prévenir l’arbitraire du magistrat qui, dans le silence de la loi, deviendrait législateur.
8Composé de 719 articles répartis en trois livres traitant respectivement des personnes, des biens et des contrats, ce projet proposait surtout d’opérer une véritable révolution du droit des personnes et de la famille. Les dispositions relatives à la théorie générale des obligations et aux contrats s’inspirent, quant à elles, très largement des traités de Pothier : le contrat domine les relations humaines.
9Par rapport à notre objet, on peut schématiser les solutions proposées ainsi qu’il suit :
aucun article ne proclame la liberté contractuelle, ce qui n’empêche pas que la majeure partie des dispositions relevant du droit des obligations repose sur la volonté et la liberté des contractants ;
le souci d’assurer la stabilité des conventions se traduit par la suppression de la lésion ;
l’exigence de la délivrance d’un titre demeure requise pour assurer le transfert de propriété.
10Les débats à la Convention ont porté essentiellement sur des questions relevant du droit des personnes. Au mois de novembre 1793, l’abandon de ce projet paraît cependant inéluctable à partir du moment où la Convention décida de le renvoyer à une commission de six membres philosophes... qui semble n’avoir laissé aucune trace de son activité5.
11Au printemps 1794, on parle à nouveau à la Convention d’un projet de Code civil. Arrêté par le comité de législation, un second projet est présenté par Cambacérès à la Convention le 9 septembre 1794.
12Composé de seulement 297 articles, il conserve la même structure globale que le premier projet, mais cette concision impose évidemment de se limiter à une énumération de principes sans véritable développement. On déplore donc de nombreuses lacunes susceptibles de faire naître bien des difficultés et d’amener les juges à devenir législateurs.
13Par rapport à notre objet, on peut relever que :
la liberté individuelle apparaît comme le fondement de la liberté contractuelle ;
le second projet va plus loin que le premier dans le sens du transfert de la propriété par la simple volonté.
14La Convention abandonna l’examen de ce second projet sans toutefois prendre une décision formelle à ce sujet.
15Un troisième projet de Code civil fut présenté par Cambacérès le 4 juin 1796. Toujours structuré en trois livres traitant successivement des personnes, des biens et des obligations, il se compose de 1104 articles.
16Par rapport à notre objet, on peut dire que le livre relatif aux obligations restait dans la ligne des deux projets précédents, largement inspirés de Pothier. On peut notamment y relever les dispositions suivantes :
Sans consentement et sans concours de volonté, point de convention » ;
Toute convention, quelle qu’en soit la cause, fait loi entre ceux qui l’ont formée » ;
Les conventions sont susceptibles de toutes les dispositions non prohibées par la loi ».
17Cette nouvelle tentative se solda cependant par un nouvel échec, l’Assemblée étant manifestement accaparée par d’autres débats.
18En 1799, un nouveau projet de Code civil émana de M. Jacqueminot, ancien avocat à Nancy. Il ne connut cependant pas davantage de succès.
19A la même époque, M. Target rédigea également un projet de Code civil de 283 articles, dont beaucoup ont ignoré l’existence jusqu’il y a peu6.
20Rien n’y fit cependant : on assiste en effet à une « somnolence du processus7 » de codification du droit civil.
B. La procédure d’élaboration du Code civil
21Le 12 août 1800, le processus de codification du droit civil est à nouveau enclenché par la désignation de quatre commissaires chargés de rédiger un projet de Code civil endéans un délai initialement fixé à 3 mois8.
22La commission se mit immédiatement à l’œuvre et l’avant-projet de Code civil fut déposé le 21 janvier 1801. Celui-ci fut adressé tant au Tribunal de cassation qu’aux 29 tribunaux d’appel pour recueillir leurs observations. L’utilité de cette étape se manifesta sans doute davantage au niveau de l’adhésion au projet des juristes de toutes les contrées qu’au niveau de la qualité des réactions enregistrées. Bonaparte et Cambacérès avaient parfaitement compris que le texte serait d’autant mieux accepté que ceux qui auraient à l’appliquer auraient le sentiment d’avoir été associés à son élaboration.
23Le texte fut ensuite examiné à partir du 17 juillet 1801 par la section de législation du Conseil d’État, puis discuté au cours de 102 séances, dont 55 furent présidées personnellement par Bonaparte, ce qui amena notamment le doyen Carbonnier à considérer que « le Code civil est inséparable de la personne de Bonaparte9 ».
24Trente-six lois ont ainsi été préparées et votées de 1801 à 1803, avant d’être réunies le 21 mars 1804 dans un seul corps de législation qui constitua le Code civil.
25Lorsqu’on prend pour point de départ la Constitution de 1791, le processus d’élaboration du Code civil s’est donc étalé sur une bonne dizaine d’années.
II. L’esprit du Code civil
26Nous souhaitons faire écho aux lectures différentes qui ont été faites des fondements philosophiques, politiques ou anthropologiques du Code civil de 1804 ou, à tout le moins, aux deux conceptions radicalement opposées qui ont été défendues à ce propos.
27De longue date, l’enseignement classique a en effet présenté le Code Napoléon comme l’expression d’une philosophie individualiste et libérale10 qui, dans la foulée de la Révolution française et des idées qui l’ont animée, reposerait donc sur une conception fondamentalement optimiste de la nature humaine.
28A l’opposé, le professeur Martin a multiplié les publications en vue de contester cette version « académique ». En se basant sur les travaux préparatoires du Code civil, il se livre à une lecture beaucoup moins idéalisante des fondements dudit Code.
A. La lecture « classique »
29Le droit intermédiaire se caractérisait par son égalitarisme : au lendemain de la Révolution française, l’égalité et la liberté sont de véritables « maîtres-mots » au niveau de l’organisation de la vie en société. Dans la foulée, il y aurait tout lieu d’admettre qu’un élan résolument humaniste venu des Lumières a animé les rédacteurs du Code civil.
30L’optimisme académique ne serait d’ailleurs que la résultante d’une conception élevée, parfois qualifiée de « rousseauiste11 », de la nature humaine : l’homme serait naturellement bon, en manière telle qu’il n’y aurait pas lieu de s’écarter du principe de l’égalité civile.
31Une régulation harmonieuse des relations passe dès lors nécessairement par la consécration de la volonté individuelle, ce qui mènera notamment à la reconnaissance de la théorie de l’autonomie de la volonté déjà évoquée12.
32Le professeur Cornu traduit bien cette lecture, lorsqu’il écrit :
« Surtout, le respect de la liberté et de la volonté individuelle a valeur de dogme. On a dit que les auteurs du Code civil s’étaient inspirés d’une conception spiritualiste de l’homme. Le sujet de droit est esprit, raison, volonté. Le Code exalte le pouvoir de la volonté de l’homme. Il affirme sa liberté. Ce Code est un hymne à l’individu. Être libre et doué de raison, l’individu est la référence de ses valeurs [...]. Lui faire confiance est une maxime, l’autonomie de la volonté l’un des fondements de l’ordre civil (art. 1134)13. »
33Selon cette lecture, la volonté humaine se manifestant dans des conditions normales ne peut que déboucher sur une décision conforme aux intérêts de la collectivité. Il s’impose donc de laisser faire et de laisser passer : l’intérêt général ne pourrait qu’y trouver son compte. En conséquence, l’accent est essentiellement mis sur le principe de la liberté contractuelle, dont nous étudierons le contenu, la portée et les limites dans le chapitre suivant.
B. La lecture « moderne »
34Pour le professeur Martin, la lecture classique des fondements philosophiques, politiques ou anthropologiques du Code civil s’avère superficielle et occulte une partie non négligeable des travaux préparatoires. Il dénonce, souvent d’ailleurs avec une certaine véhémence, tantôt le « magma idéologique14 » irréel qui aurait prétendument servi d’inspiration à la doctrine classique, tantôt la « fabulation himalayenne15 », tantôt la « mythologie qui s’est déployée en France au sujet du Code Napoléon16 ».
35À le suivre, la nature humaine exclut toute euphorie, voire même tout enthousiasme, dans l’esprit des rédacteurs du Code civil qui en ont une perception bien différente, empreinte de pessimisme. Pour eux, l’homme est en effet un sauvage, une brute dangereuse, un être soumis aux passions qui le « tyrannisent avec violence17 ». Le professeur Martin écrit notamment :
« Cet état de nature n’était en rien un paradis façon Rousseau, c’était en fait, visiblement, l’enfer de Hobbes18. »
36L’inaptitude de l’être humain à la raison et son incurable immaturité sont patentes : il ne s’agirait donc pas tant d’aider la volonté à prendre son essor que de la conditionner. La liberté ne peut être reconnue à l’homme que « sous surveillance rapprochée19 » : l’intérêt de l’État constitue en effet les limites à ne jamais dépasser.
37L’étude de l’anthropologie des artisans du Code imposerait de s’écarter de l’interprétation « brevetée », parce que tout simplement classique, de l’article 1134 du Code civil. La philosophie d’Helvetius s’imposerait en effet : l’homme ne serait qu’une « mécanique d’appétits20 » de deux sortes : des intérêts et des penchants. L’égoïsme serait l’unique moteur de la machine humaine.
38Dans son projet de reconstitution d’un tissu social, la classe politique ne peut que faire preuve de prudence, voire de méfiance. L’étroitesse des liens personnels entre Bonaparte et Cabanis21, médecin et député, ne serait d’ailleurs pas étrangère à cette vision. Il est dès lors bien entendu hors de question de consacrer l’autonomie de la volonté individuelle. L’important est, au contraire, de ligoter tout individu à son engagement et d’assurer le respect et la stabilité des engagements contractuels pour permettre la vie en société.
39L’incitation constitutionnelle22 ne suffira pas à fournir les bons fils, les bons pères, les bons frères et les bons époux. Il faut donc contraindre les individus à assumer ces rôles.
40Dans ce contexte, le Code civil procède à une énergique remise en selle du pouvoir paternel, notamment au niveau du droit successoral. L’intérêt patrimonial constitue en effet l’arme essentielle susceptible de favoriser le retour à l’ordre : le rétablissement d’une quotité disponible dès mars 1800 et l’augmentation de celle-ci lors de la promulgation du Code civil ne constituent-ils pas un moyen de pression idéal ?
41La restauration du droit pour le pater familias de disposer librement d’une quotité de ses biens au moment de son décès – et donc de pouvoir l’attribuer à d’éventuels tiers – constitue manifestement une garantie du respect, spécialement par ceux qui seraient normalement appelés à lui succéder, de l’autorité qu’il représente.
42Dans la foulée, on assiste à la même époque à une consolidation du couple en limitant l’accès au divorce, à une remise en question du statut favorable des enfants naturels...
43Selon le professeur Martin, le célèbre article 1382 du Code civil ne serait d’ailleurs pas davantage la manifestation d’une confiance quelconque dans la nature humaine ou dans la liberté de l’homme. Pour lui, l’essentiel de cette disposition est à rechercher sur le versant pessimiste : il y a tout simplement lieu d’assujettir l’individu, de manière préventive, à la réparation des dommages qu’il pourrait causer23.
44De même, la gestion d’affaires, classiquement présentée comme une hypothèse de mise en œuvre du dévouement, aurait fait à l’époque l’objet d’un a priori empreint de réticence, voire de suspicion. Le régime juridique instauré aurait donc eu pour objectifs essentiels d’imposer au gérant d’assumer jusqu’au bout l’engagement dont il a pris l’initiative et de limiter au maximum toute intrusion excessive dudit gérant dans les affaires d’autrui.
45La même suspicion peut encore être décelée au niveau des dispositions légales qui régissent la subrogation personnelle :
l’article 1236 du Code civil n’autorise en effet pas que le tiers non intéressé qui effectue un paiement soit subrogé aux droits du créancier lorsqu’il agit en son nom propre ;
l’article 1252 du Code civil instaure par ailleurs le droit pour le créancier qui a bénéficié d’un paiement partiel d’« exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel ».
46Ces deux dispositions s’inscrivent parfaitement dans la logique d’éviter les éventuels abus d’immixtion.
C. Tentative de synthèse
47Les travaux préparatoires du Code civil sont peu explicites. Les discussions menées et les discours prononcés dans leur cadre ne contiennent pas de traité d’anthropologie et n’ont pas le souci de synthétiser les fondements des choix législatifs opérés.
48Les deux lectures brièvement présentées ci-dessus sont-elles pour autant aussi inconciliables qu’il n’y paraît au premier abord ? La réalité est sans doute plus nuancée24..., ainsi qu’en attestera d’ailleurs la survivance du Code à tous les régimes politiques qui se sont succédés jusqu’à nos jours.
49Les codificateurs ont probablement eu le souci de mettre en place un système social basé sur la liberté, mais en prenant la précaution de l’accompagner d’un balisage par différentes garanties. L’objectif premier de Napoléon est clairement de renforcer sa puissance personnelle et, pour ce faire, d’assurer autant que possible un contrôle social par le biais d’une codification du droit civil.
50Dans cette perspective, l’adoption du Code civil semble d’abord avoir été une œuvre de reconstruction sociale et politique rendue nécessaire par les désordres révolutionnaires. Dans son célèbre discours préliminaire, Portalis constatait d’ailleurs :
« On est emporté par le besoin de rompre toutes les habitudes, d’affaiblir tous les liens, d’écarter tous les mécontents. On ne s’occupe plus des relations privées des hommes entre eux : on ne voit que l’objet politique et général25. »
51L’homme du Code civil est manifestement complexe et l’état d’imperfection fait partie intégrante de sa destinée. Le législateur ne peut avoir eu pour ambition de parfaire la nature humaine. Il n’a pu que promulguer des règles susceptibles d’être reçues par le corps social, ce qui explique le réalisme empreint de libéralisme dont il a été amené à faire preuve.
52Le professeur Niort conclut à ce sujet :
« Il s’agit pour le législateur, dorénavant, d’accepter la fatalité du péché humain, son caractère inexpugnable, ce qui revient à laisser aux hommes une part de liberté26. »
III. Les principes de base de la théorie générale des obligations
53D’aucuns ont souligné le caractère révolutionnaire du Code civil des Français sur les biens et les contrats27. Cette conception n’est cependant nullement partagée par tous les spécialistes, dont plusieurs considèrent que le Code civil constitue une étape davantage qu’une rupture ou, a fortiori, un aboutissement28.
54En matière d’obligations contractuelles, l’article 1134 du Code civil est davantage dans la ligne des projets rédigés antérieurement par Cambacérès, de Pothier, voire même du droit romain29.
55Véritable pierre angulaire de la théorie générale des obligations dans le Code civil, l’article 1134 énonce trois grands principes du régime contractuel, à savoir :
la liberté contractuelle ;
la convention-loi ;
l’exécution de bonne foi30.
56Il convient d’y adjoindre un quatrième principe découlant du régime de droit commun des obligations contractuelles, à savoir le principe du consensualisme qui semble avoir été à ce point admis dans l’ancien droit que les auteurs du Code civil n’ont pas jugé utile de le consacrer expressément31.
57Ces principes forment véritablement la base sur laquelle viennent prendre appui les dispositions réglementant les différents contrats, que celles-ci aient été insérées dans le Code civil ou non. Ils ne peuvent être envisagés qu’en ayant égard aux principes philosophico-politiques qui les sous-tendent.
58D’une part, force est de constater que ces principes généraux reposent sur le postulat, plus que contesté depuis les bouleversements sociaux produits par le machinisme, l’industrialisation et la prise de conscience du sort des classes ouvrières32, de l’égalité absolue des contractants. Ce faisant, la théorie générale des obligations du Code civil présente une filiation avec le droit intermédiaire33, caractérisé par son égalitarisme, spécialement en matière familiale34.
59Ce postulat requiert cependant une égalité dans le rapport de force, essentiellement au niveau de la négociation du contrat, mais également une égalité dans les informations accessibles aux parties, alors que les hommes sont très diversement armés dans la lutte pour l’existence, profondément inégaux en savoir, en besoins, en puissance économique et en sécurité à l’égard de l’avenir.
60D’autre part, il a souvent été soutenu que les rédacteurs du Code civil avaient une conception élevée de la nature humaine et que cela justifierait la consécration des principes identifiés ci-dessus.
61Nous renvoyons sur ce point à la lecture « classique » du Code civil, effectuée notamment par le professeur Cornu, non sans rappeler les contestations vives de celle-ci spécialement par le professeur Martin.
62Pour ce dernier, l’homme n’est en effet considéré au cours des travaux préparatoires du Code civil que comme « un composé d’intérêts et de penchants35 », dont l’égoïsme s’avère « l’unique ressort des comportements36 ».
63Il précise :
« L’anthropologie des artisans du Code exclut radicalement la gratuité, comprise comme telle, dans des comportements humains37. »
64Cette analyse est partiellement corroborée par les travaux préparatoires qui consacrent davantage de développements au principe de la convention-loi qu’aux autres, l’accent étant ainsi mis sur la nécessité de « ligoter » les individus à leur engagement et de canaliser la versatilité de la volonté humaine.
65Ces principes généraux ne suscitèrent à l’époque que fort peu d’échanges et de débats38. Portalis lui-même justifia cette situation dans son « discours préliminaire » en considérant qu’il s’agissait de principes de droit naturel applicables à tous39.
66D’autres ont considéré que le droit des obligations constituait déjà avant la Révolution une sorte de droit commun40 hérité du droit romain41 et adapté depuis par Domat et Pothier42.
67Tous s’accordent cependant pour admettre qu’au milieu de la discordance des lois, coutumes et usages en vigueur avant la promulgation du Code civil, une doctrine uniforme était en vigueur dans toutes les parties de la France43.
IV. La convention-loi
68À l’époque de la promulgation du Code civil, l’accent est davantage mis sur la nécessité de respecter ses engagements que sur la liberté dont jouissent les parties contractantes pour organiser leurs rapports juridiques. La sécurité juridique découlant de ce principe est de nature à favoriser les échanges et à encourager la conclusion de contrats qui s’imposeront au juge saisi d’un éventuel litige : chaque contractant se voit en effet conférer le droit de contraindre l’autre à exécuter le contrat conclu44.
A. Portée
69Consacré par l’alinéa 1er de l’article 1134 du Code civil, ce principe se profile dans la suite logique du principe de la liberté contractuelle : il reconnaît tant la force obligatoire45 que l’intangibilité du contrat qui, pour les parties et pour le juge saisi d’un éventuel litige entre elles, a la même force obligatoire qu’une loi. À l’époque, la Cour de cassation française considère toutefois que la violation de la loi du contrat par le juge ne peut donner lieu à cassation parce qu’il ne s’agit pas d’une loi étatique46.
70L’alinéa 2 de l’article 1134 du Code civil précise que seul un nouvel accord de volontés entre les parties contractantes ou une cause que la loi autorise47 pourraient modifier ou révoquer l’accord initial. Cette disposition doit être mise en parallèle avec la possibilité pour le législateur de modifier la loi. Sans doute, tant le contrat que la loi sont-ils conçus dans un esprit de perpétuité. Cela n’empêche toutefois pas le législateur de revoir sa copie. Il en est de même des « lois privées48 » ou des « lois d’intérêt privé49 », c’est-à-dire des contrats50 ».
71Tant certaines dispositions légales51 que la jurisprudence52 admettent cependant la résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée afin d’éviter que ceux-ci ne génèrent des engagements perpétuels. Il s’agit en effet de sauvegarder le principe de la liberté contractuelle.
72Alors que le principe de la liberté contractuelle concerne l’élaboration du contrat, celui de la convention-loi régit dès lors les effets de celui-ci et constitue pour les parties le gage de la sécurité juridique à laquelle elles aspirent légitimement. La jurisprudence de l’époque entend manifestement mettre l’accent sur le respect des engagements contractés53.
73Le juge est tout autant lié par les conventions des parties qu’il ne peut donc modifier. Au même titre qu’ils doivent veiller à la stricte observation des lois, les cours et tribunaux sont tenus de consacrer la stricte exécution des conventions, même s’ils les trouvent injustes. Laurent écrit à ce propos :
« L’esprit de notre législation moderne est d’enchaîner le juge pour prévenir l’arbitraire54. »
74D’éventuelles difficultés d’exécution du contrat ne permettent dès lors pas aux parties de se soustraire aux obligations qui leur incombent, d’en imposer la modification au partenaire contractuel, ni a fortiori de rompre le contrat.
75Sans doute, l’article 1135 du Code civil dispose-t-il :
« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. »
76Il est toutefois admis que des considérations d’équité ne sauraient autoriser les juges à modifier la teneur d’une convention55. Pareille décision constituerait un « excès de pouvoir56 ». Lorsque le juge fait appel à l’équité, il s’agit le plus souvent pour lui de régler les modalités que les parties n’ont pas prévues ou n’ont même pas pu prévoir.
77De Page énonce clairement :
« On n’a pas prévu tel point ; on ne se doutait pas de telle éventualité. La belle harmonie de l’accord initial des volontés fond, sous l’action des intérêts divergents, comme neige au soleil. Le juge doit alors intervenir soit pour compléter la convention sur les points où elle est muette, soit pour en déterminer l’économie exacte, l’esprit eu égard aux circonstances non prévues57. »
B. Contenu
78Le Code civil contient plusieurs applications du principe de la convention-loi, parmi lesquelles on peut citer, à titre exemplatif :
l’article 1152 qui fait défense au juge d’augmenter ou de diminuer les dommages et intérêts conventionnels58, alors que Pothier enseignait le contraire59. À propos de cette disposition, le tribun Favart considéra d’ailleurs qu’elle renferme « une excellente morale en assujettissant les hommes à compter sur l’exécution littérale de ce qu’ils ont stipulé60 » ;
l’article 1184 qui considère que, dans les contrats synallagmatiques, chaque partie sera toujours censée avoir stipulé que son engagement sera résolu et la convention non avenue si l’autre n’exécute pas le sien. La jurisprudence a toutefois fait preuve d’hésitations à propos de la nécessité de l’intervention du juge et du pouvoir d’appréciation dont celui-ci disposerait. Dans un arrêt du 26 mai 1824, la cour d’appel de Liège a en effet considéré que le juge peut apprécier les circonstances, même lorsque la condition résolutoire est expressément stipulée61. La Cour de cassation a ultérieurement clarifié la donne en limitant la marge d’appréciation du juge au cas de la condition résolutoire sous-entendue dans tout contrat synallagmatique et en refusant ce pouvoir au juge lorsque la demande en résolution est fondée sur une clause résolutoire expresse62 ;
l’article 1243 énonce que le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due.
79En application du principe de la convention-loi, la jurisprudence a par ailleurs été amenée à consacrer :
l’interdiction pour le juge de délier une partie des obligations qui découlent pour elle d’une convention en dehors des cas prévus par la loi63. À titre d’exemple, l’équité ne peut donc autoriser les cours et tribunaux à libérer le débiteur de l’exécution du contrat dans les conditions fixées de commun accord entre les parties contractantes ou à le dispenser de respecter telle clause insérée dans le contrat conclu. Au même titre qu’il ne peut modifier la loi, le juge est sans pouvoir pour modifier le contrat. Au xixe siècle, la jurisprudence a été amenée à faire plusieurs applications de cette interdiction dans le cadre de litiges en matière de contrat de « révélation de succession64 » ;
le refus d’admettre que le caractère « économiquement faible » d’une partie contractante pourrait constituer, à elle seule, une cause de nullité du contrat. Les causes de nullité d’un contrat sont limitativement énumérées aux articles 1109 et suivants du Code civil. Leur détermination par le législateur répond à la recherche par ce dernier d’un équilibre entre le souci d’assurer tant la qualité du consentement manifesté par les parties contractantes (liberté, conscience...) qu’une sécurité juridique maximale ;
l’impossibilité pour le juge de modifier les termes du contrat65, quelle qu’en soit la sévérité pour une des parties, en dehors des cas exceptionnels où la loi en dispose autrement66. La limitation par le Code civil des hypothèses et des conditions dans lesquelles la lésion est susceptible d’affecter la validité d’un contrat est symptomatique. Au cours des travaux préparatoires, la question n’a pas manqué de faire l’objet d’importants débats67. Il en alla d’ailleurs de même à l’époque pour l’article 1855 du Code civil relatif aux clauses léonines susceptibles de poser problème en matière de contrat de société, aucune extension de cette disposition à d’autres contrats n’étant envisageable ;
le rejet de l’application dans notre droit de la théorie de l’imprévision consistant à permettre au juge de résilier ou de modifier les termes d’un contrat lorsque les conditions économiques, que les parties avaient envisagées comme fondement de leur rapport contractuel au moment de la conclusion du contrat, se trouvent bouleversées de manière totalement imprévisible et rendent la poursuite de l’exécution de la convention par l’une des parties, non complètement impossible, mais exceptionnellement onéreuse68.
C. Exceptions
80La rigueur de ce principe est toutefois dès l’origine tempérée par les articles 1184, al. 3 et 1244, al. 2 du Code civil qui autorisent le juge à venir au secours du débiteur que des circonstances malheureuses ont « empêché de remplir à jour fixe les engagements qu’il a contractés69 » et à lui accorder un délai pour s’exécuter selon des conditions néanmoins restrictives énoncées par chacune de ces dispositions, à savoir « selon les circonstances » ou « avec une grande réserve ». Le débiteur pourra donc, le cas échéant, éviter, par l’exécution de son engagement, la résolution du contrat.
81Dans ses observations à propos du projet de Code civil, le Tribunal de cassation se montrait plus rigoureux et regrettait cette possibilité en soutenant que le juge ne devait être autorisé à accorder un délai que d’après les clauses et conditions du contrat « qui est la loi des parties et celle des juges70 ».
82Le tribunal d’appel de Rennes se ralliait d’ailleurs à ce point de vue en considérant qu’il s’agissait là d’une « forte teinte de pouvoir arbitraire71 » et qu’il eût mieux valu ne pas donner cette latitude aux tribunaux
83Le Tribunat était manifestement tout aussi mal à l’aise à cet égard. On peut en effet lire dans les observations de la section de législation du Tribunat du 26 décembre 1803 qu’elle considère :
« Cette disposition (1244 C. civ.) altérerait la pureté du principe consacré par le premier paragraphe de l’article 35 (1134 C. civ.)72. »
84Quelques semaines plus tard, le rapport fait au Tribunat par M. Favard vient au secours de cette « humanité » en justifiant ce tempérament à la rigueur du principe énoncé au futur article 1134 du Code civil dans les termes suivants :
« Les articles 34 et 84 subsistant ensemble, tous les contrats seront formés sous l’empire de ces deux dispositions, dont l’une tempère la rigueur de l’autre. C’est ainsi qu’on les concilie, et qu’on donne aux juges un droit précieux, puisqu’il tend à venir au secours de celui que des circonstances malheureuses ont empêché de remplir à jour fixe les engagements qu’il a contractés73. »
85Dans le même ordre d’idées, les tribunaux d’appel de Bordeaux74 et d’Orléans75 s’insurgeaient dans leurs observations respectives à propos du projet de Code civil à l’encontre de la possibilité énoncée à l’article 1152 du Code civil permettant au juge de modérer la peine stipulée en cas d’inexécution d’une convention et prônait l’application pure et dure de la peine conventionnelle prévue par les parties.
D. Convention-loi et interprétation du contrat
86La rigueur du principe de la convention-loi ne porte par ailleurs pas atteinte au pouvoir du juge d’interpréter76 une convention en vue de dégager la volonté des parties, ni de lui donner une qualification autre que celle adoptée par les parties, ni encore de suppléer aux clauses ambiguës, omises ou insuffisamment précises.
87En agissant de la sorte, le juge ne porte pas atteinte au contrat, mais le confirme en lui donnant tous ses effets utiles77.
88Précisons cependant que le juge ne pourrait, par le biais de son travail de contrôle de la qualification du contrat ou d’interprétation de celui-ci, donner dudit contrat une interprétation qui serait inconciliable avec les termes de celui-ci.
Notes de bas de page
1 R. Badinter, Le plus grand bien, Fayard, 2004, p. 9.
2 Cela amena le professeur Halperin à parler du « blocage de la codification » (J.-L. Halperin, L’impossible Code civil, PUF, 1992, p. 15).
3 Pour une étude portant sur l’influence de ces tentatives de codification sur le Code civil, spécialement dans les matières familiales, voir : J. Gaudemet, « Pothier et Jacqueminot. A propos des sources du Code civil de 1804 », in X., Le rôle de la volonté dans les actes juridiques. Études à la mémoire du professeur Alfred Rieg, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 369-387.
4 À l’époque, il était le président du comité de législation.
5 J.-L. Chartier, Portalis. Père du Code civil, Fayard, 2004, p. 151.
6 Le professeur Martin effectue un compte-rendu de l’ouvrage de « l’inventeur de ce trésor » (S. Solimano, Verso il Code Napoléon. Il progetto di Codice civile di Jean-Baptiste Target (1798-1799), Ed. A. Giuffrè, Milano, 1998) et en souligne tout l’intérêt (X. Martin, « A propos d’un livre : Target, Bentham et le Code civil », in Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2000, no 21, p. 121-148).
7 L’expression est utilisée par le professeur Martin (X. Martin, « A propos d’un livre : Target, Bentham et le Code civil », in Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2000, no 21, p. 126).
8 J.-L. Chartier, Portalis. Père du Code civil, Fayard, 2004, p. 157.
9 J. Carbonnier, « Le Code civil », in P. Nora (éd.), Les lieux de mémoire, La Nation, Paris, 1986, t. II, p. 295.
10 Voir en ce sens, notamment : R. Demogue, Traité des obligations en général, t. I : Source des obligations, Ed. Rousseau & Cie, Paris, 1923, p. 82, no 27 ; C. Lar-Roumet, Droit civil. Les obligations (1e partie), t. III, Ed. Economica, Paris, 1986, p. 103, no 111 ; G. Marty et P. Raynaud, Les obligations, t. I (Les sources), 2e éd., Sirey, Paris, 1988, p. 27, no 28 ; Ph. Malaurie et L. Aynes, Cours de droit civil,. Les obligations, 3e éd., Ed. Cujas, Paris, 1992, p. 158, no 302 ; F. Terre, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 8e éd., Dalloz, Paris, 2002, p. 30, no 20 ; N. Kayanama, « La liberté contractuelle, un droit de l’homme ? », in J.-L. Chabot, Ph. Didier et J. Ferrand (dir.), Le Code civil et les droits de l’homme, Ed. L’Harmattan, 2005, p. 143.
11 J.-F. Niort, « Droit, idéologie et politique dans le Code civil des français de 1804 », R.I.E.J., 1992, no 29, p. 93.
12 J.-F. Niort, « Le Code civil dans la mêlée politique et sociale. Regards sur deux siècles de lectures d’un symbole national », Rev. trim. dr. civ., 2005, p. 274.
13 G. Cornu, Droit civil, I : Introduction, les personnes, les biens, Paris, 1980, p. 122.
14 X. Martin, « L’individualisme libéral en France autour de 1800 : essai de spectroscopie », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, no 4, p. 137.
15 X. Martin, Mythologie du Code Napoléon. Aux soubassements de la France moderne, Ed. D.M.M., 2003, p. 468.
16 Ibidem, p. 13.
17 P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. X, 1968, p. 236.
18 X. Martin, « Fondements politiques du Code civil », Rev. trim. dr. civ., 2003, p. 249.
19 J.-F. Niort, « Droit, idéologie et politique dans le Code civil des français de 1804 », R.I.E.J., 1992, no 29, p. 101.
20 X. Martin, « Nature humaine et Code Napoléon », Droits, 1985/2, p. 118.
21 Pierre-Jean Cabanis (1757-1808) est l’auteur des « Rapports du physique et du moral de l’homme ».
22 La déclaration de 1795 énonce : « Nul n’est bon citoyen s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux. »
23 X. Martin, « L’individualisme libéral en France autour de 1800 : essai de spectroscopie », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, no 4, p. 116.
24 Voir à ce sujet : J.-F. Niort, « Retour sur “l’esprit” du Code civil des Français », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2007, no 27, p. 507-558.
25 J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. I, p. 253.
26 J.-F. Niort, « Retour sur “l’esprit” du Code civil des Français », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2007, no 27, p. 548.
27 J.-L. Halperin, L’impossible Code civil, PUF, 1992, p. 276.
28 J.-F. Niort, « Le Code civil dans la mêlée politique et sociale. Regards sur deux siècles de lectures d’un symbole national », Rev. trim. dr. civ., 2005, p. 257-291 ; J.-L. Gazzaniga, Introduction historique au droit des obligations, PUF, 1992, p. 36 ; P.-A. Foriers, « Espaces de liberté en droit des contrats », in C.D.V.A., Les espaces de liberté en droit des affaires, Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 27.
29 M. Merlin, Recueil alphabétique de questions de droit, 4e éd., t. IX, v° Loyers et fermages, Ed. Tarlier, Bruxelles, 1829, p. 341.
30 Dans l’annexe I de sa communication du 11 octobre 2004 au Parlement européen et au Conseil intitulée « Droit européen des contrats et révision de l’acquis : la voie à suivre », la Commission européenne a proposé une structure pour le cadre commun du droit des contrats comprenant un premier chapitre qui énonce les principes fondamentaux au rang desquels figurent ces trois principes (COM [2004] 651 final, p. 15).
31 E. Montero et M. Demoulin, « La formation du contrat depuis le Code civil de 1804 : un régime en mouvement sous une lettre figée », in P. Wery (éd.), Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, La Charte, 2004, p. 67.
32 Cette égalité – juridique – est envisagée de manière purement abstraite, sans avoir égard à l’inégalité – économique – qui peut exister dans la réalité (voir à ce sujet : H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, 3e éd., Bruylant, 1964, p. 446, no 463 ter ; J. Ghestin, « Le principe de l’égalité des parties contractantes et son évolution en droit privé », in L. Ingber (dir.), L’égalité, Bruylant, Bruxelles, 1982, p. 30-53). Il faut observer que le BGB allemand paraît accuser un certain retard à l’égard du Code civil des Français. Si ce dernier a été promulgué à une époque où l’existence d’un déséquilibre structurel entre les contractants ne peut être dénoncée, il n’en va pas de même du BGB. On peut donc s’étonner qu’il demeure tout autant imprégné de libéralisme individuel et fidèle au dogme de l’autonomie de la volonté (voir à ce sujet : B. Fauvarque-Cosson et S. Patris-Godechot, Le Code civil face à son destin, La documentation française, Paris, 2006, p. 54).
33 L’expression désigne le droit en vigueur en France pendant la Révolution française et le consulat, soit entre 1789 et 1804.
34 J.-F. Niort, « Droit, idéologie et politique dans le Code civil des Français de 1804 », R.I.E.J., 1992, no 29, p. 99.
35 X. Martin, « Nature humaine et Code Napoléon », Droits, 1985/2, p. 118. En ce sens : M. Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, t. VI, v° Convention, 5e éd., Ed. Tarlier, Bruxelles, 1826, p. 354.
36 X. Martin, « De Newton au Code civil : une problématique du secret », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2000, no 21, p. 20.
37 Le professeur Martin voit par ailleurs dans les liens personnels que Napoléon a entretenu à l’époque avec Pierre-Jean Cabanis, médecin, physiologiste et philosophe (1757-1808), la confirmation de cette perception négative de l’homme conçu à l’état de nature comme une « brute dangereuse » (X. Martin, « Nature humaine et Code Napoléon », Droits, 1985/2, p. 122). Le rôle du législateur est donc d’uniformiser le physique et le moral des citoyens. Dans le compte-rendu qu’il a effectué de l’ouvrage de S. Solimano (Verso il Code Napoléon. Il progetto di Codice civile di Guy Jean-Baptiste Target (1798-1799), Ed. A. Giuffrè, 1998, 427 p.), le professeur Martin reproduit de très nombreuses citations suggérant que l’intérêt particulier était l’élément déterminant durant la décennie précédant 1804 (X. Martin, « Target, Bentham et le Code civil », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2000, no 21, p. 121-148).
38 Le procès-verbal de la séance du Conseil d’État du 3 novembre 1803 consacre très exactement... 4 lignes à l’examen et à l’approbation de l’article 31 du titre « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général » qui allait devenir l’article 1134 du Code civil ! (J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XII, p. 140). Les tribunaux de Cassation et d’appel consultés n’ont émis aucun commentaire et le Tribunat ne formula pas la moindre observation à propos de cette disposition, tandis que l’exposé des motifs se limite à affirmer qu’il s’agit du principe « qui sert de base à cette partie du Code civil, et qui s’y trouve exprimé en ces termes clairs et simples » (J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XII, p. 326).
39 J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. I, p. 301.
40 M. Fontaine, « Les obligations contractuelles : 1804-1904-2004 et l’avenir... », in P. Wéry (éd.), Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, La Charte, 2004, p. 1.
41 J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XII, p. 131.
42 Dont l’exposé des motifs du Code civil n’hésite pas à qualifier les ouvrages de « plus parfaits » (J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XII, p. 313).
43 P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 13, 1968, p. 414.
44 C. Toullier, Le droit civil suivant l’ordre du Code, t. III, Ed. Adolphe Wahlen & Cie, Bruxelles, 1837, p. 308, no 190.
45 V. Marcade, Éléments du droit civil français, t. IV, Paris, 1847, p. 415.
46 C. Jamin, « Une brève histoire politique des interprétations de l’article 1134 du Code civil », Dalloz, Chron., 2002, no 11, p. 902.
47 Le Code civil autorise dès l’origine la rupture unilatérale d’une convention dans différentes hypothèses, à savoir dans le contrat de société (articles 1865, 5 et 1869), le contrat de prêt à usage (article 1889), le contrat de dépôt (article 1944 du Code civil) et le contrat de mandat (articles 2004 et 2007). Voir à ce sujet : R. Demogue, « Des modifications aux contrats par volonté unilatérale », Rev. trim. dr. civ., 1907, p. 245.
48 L’expression est utilisée par Toullier (C. Toullier, Le droit civil suivant l’ordre du Code, t. III, Ed. Adolphe Wahlen & Cie, Bruxelles, 1837, p. 308, no 191).
49 L’expression est utilisée par Laurent (F. Laurent, Principes de droit civil, t. XVI, 4e éd., Bruylant, Bruxelles, 1887, p. 245, no 183).
50 Cette possibilité était déjà enseignée par Merlin (Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, t. VI, v° Convention, 5e éd., Ed. Tarlier, Bruxelles, 1826, p. 364).
51 Voir, par exemple, l’article 1869 du Code civil.
52 Bruxelles, 3 août 1859, Pas., 1861, II, p. 381. Il s’agissait, en l’espèce, d’un marché d’entreprise de filature conclu sans limite de l’engagement. La Cour admet la dénonciation de celui-ci, tout en précisant qu’elle doit être faite « de bonne foi et non à contre-temps ». En ce sens : Civ. Gand, 1er mars 1876, B. J., 1876, p. 557.
53 Pour un cas d’application : Bruxelles, 13 avril 1827, Pas., 1827, II, p. 132. Cet arrêt considère que celui qui a contracté avec quelqu’un sous le nom de celui-ci « et compagnie » ne peut se soustraire à l’accomplissement de ses engagements sous le seul prétexte que cette personne ne serait en société avec aucune autre. Voir également : Bruxelles, 14 août 1848, Pas., 1850, II, p. 234 (où la Cour estime que l’exécution d’un contrat qui a lieu pendant un certain temps, contrairement à une clause de celui-ci, ne prouve pas que les parties ont voulu y déroger et ne peut donc influer sur la portée dudit contrat) ou encore Bruxelles, 15 janvier 1855, Pas., 1856, II, p. 10 (où la Cour refuse de faire droit à l’argument d’un marchand s’opposant au paiement d’une pénalité contractuellement prévue pour le cas où il s’établirait dans la même ville au motif qu’il ne se livrerait qu’au commerce en gros).
54 F. Laurent, Principes de droit civil, t. XVI, 4e éd., Bruylant, Bruxelles, 1887, p. 240, no 178. Il nous faut toutefois signaler que, procédant à une analyse des travaux préparatoires du Code civil, le professeur Martin a une lecture très différente du principe de la convention-loi. Il considère en effet qu’il s’agit en réalité pour le législateur de faire en sorte que le citoyen qui obéit aux lois soit convaincu de n’obéir qu’à sa propre volonté (X. Martin, « De Newton au Code civil : une problématique du secret », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2000, no 21, p. 42).
55 Cass., 17 mars 1904, Pas., 1904, I, p. 177 ; J. Dabin, note sous Cass., 30 janvier 1947, R.C.J.B., 1947, p. 228.
56 F. Laurent, Principes de droit civil, t. XVI, 4e éd., Bruylant, Bruxelles, 1887, p. 241, no 179.
57 H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, 1e éd., Bruylant, 1934, p. 483, no 563.
58 La Cour de cassation française va encore plus loin en considérant que le juge ne peut prononcer la résolution du contrat dont l’exécution est devenue impossible par le fait du débiteur et qu’il doit, dans pareille hypothèse, condamner aux dommages et intérêts prévus par le contrat (Cass. fr., 28 janvier 1827, Dalloz, Obligations, no 849, 3 ).
59 M. Dupin, Œuvres de Pothier, contenant les traités du droit français, Paris, 1824, t. I, p. 191, no 346.
60 X. Martin, « L’individualisme libéral en France autour de 1800 : essai de spectroscopie », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, no 4, p. 126.
61 Pas., 1824, II, p. 131.
62 Cass., 24 juillet 1873, Pas., 1874, I, p. 286. Dans un arrêt du 2 juillet 1860, la Cour de cassation française avait déjà considéré que le juge doit se borner à vérifier si les conditions de mise en œuvre d’une clause résolutoire, telles qu’elles ont été fixées par les parties, sont réunies. Dans l’affirmative, il ne peut que constater la résolution du contrat quelles que soient la gravité du manquement et les conséquences de la rupture pour le débiteur (Dalloz pér., 1860, 1, p. 284)
63 Comm. Liège, 2 mai 1910, J.L., 1910, p. 182 ; Cass. fr., 1er décembre 1828, Dalloz, v° Obligations, no 659.
64 Pour un cas d’application, voir : Cass., 12 juillet 1894, Pas., 1894, I, p. 263.
65 Une exception notoire est toutefois admise de longue date par la jurisprudence – d’ailleurs vivement critiquée par la doctrine – qui s’arroge le droit de réduire la rémunération stipulée au profit du mandataire (Cass., 17 janvier 1851, Pas., 1851, I, p. 314 ; Cass., 26 février 1855, Pas., 1855, I, p. 85 ; Cass., 28 novembre 1889, Pas., 1890, I, p. 27). Avant la promulgation et l’entrée en vigueur de l’article 1907 ter du Code civil qui a légalisé cette intervention en matière de contrat de prêt à intérêt, une solution analogue était parfois appliquée au niveau de la réduction de taux d’intérêts usuraires (Gand, 8 juin 1928, Pas., 1928, II, p. 187).
66 Bruxelles, 20 décembre 1971, Pas., 1972, II, p. 47 ; Novelles, Droit civil, t. IV – vol. II, Larcier, Bruxelles, 1958, p. 52, no 136.
67 F. Ewald, Naissance du Code civil. La raison du législateur, Flammarion, 1989, p. 382 et s.
68 Comm. Bruxelles, 2 novembre 1912, J. T., 1913, p. 27 ; Civ. Huy, 10 novembre 1914, Pas., 1915, III, p. 9 ; Civ. Gand, 23 mai 1923, J.T., 1923, p. 490 ; Novelles, Droit civil, t. IV – vol. II, Larcier, Bruxelles, 1958, p. 54, no 137 quater. Contra : Liège, 22 juillet 1924, J. L., 1924, p. 241.
69 J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XII, p. 439.
70 P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 2, 1968, p. 589.
71 Ibidem, t. 5, 1968, p. 374.
72 J.-G. Locre, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XII, p. 273.
73 P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 13, 1968, p. 327.
74 Ibidem, t. 3, 1968, p. 191.
75 Ibid., t. 5, 1968, p. 63.
76 À l’époque, les dispositions du Code civil relatives à l’interprétation des conventions sont toutefois considérées comme des conseils donnés au juge, plutôt que comme des dispositions impératives (Cass., 22 mai 1868, Pas., 1868, I, p. 380).
77 Nous devons faire écho à la remarquable contribution consacrée par Eric Causin au travail d’interprétation du juge. Il y dénonce en effet le caractère faussement péremptoire de certains arguments développés au niveau de l’interprétation par le juge. Selon Eric Causin, lorsque la doctrine classique prétend asservir l’interprète à la volonté des contractants, on assiste davantage à une prédominance de la volonté de l’interprète sur celle des contractants (E. Causin, « L’interprétation des contrats en droit belge », in M. van de Kerchove (dir.), L’interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1978, p. 281-347).
Auteur
Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis
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