Chapitre 4. Se déplacer avec ses enfants, faire ses courses, voir ses amis : des activités complexes
p. 147-185
Texte intégral
Introduction
1Les interviews réalisées dans le cadre de cette recherche1 sur les vécus du temps et les usages des modes de transport à Bruxelles visaient à aborder les questions de mobilité au départ principalement des activités et des contraintes non professionnelles. Dans cette optique, nous avions composé notre recueil d’informations au départ de trois situations particulières : les déplacements accompagnés d’enfants de moins de douze ans, les courses et les relations amicales. Le présent chapitre s’attache à présenter les spécificités de ces trois situations.
2L’analyse des déplacements accompagnés d’enfants de moins de douze ans intéresse particulièrement les sociétés de transport public, car elle permet de comprendre à la fois les résistances parentales à l’usage autonome des transports publics par les enfants, les difficultés spécifiques aux déplacements accompagnés d’enfants et leur influence sur le choix modal.
3Les courses et les relations amicales constituent, quant à elles, deux types d’activités qui présentent la spécificité de s’organiser sur la base de temporalités relativement souples.
4Activité indispensable en ce qui concerne l’approvisionnement « régulier », les courses ont pour caractéristique temporelle d’être une activité relativement plastique, tout en s’inscrivant dans des structurations horaires prescrites (les heures d’ouverture). Les commerces peuvent être visités à de multiples moments et dans des fréquences très diverses d’un individu à l’autre. Comprendre les temporalités de ce type d’activités doit nous permettre d’identifier les dimensions des temporalités qui ont des effets sur les déplacements urbains et sur l’usage des modes de transport.
5Les relations amicales, pour leur part, sont sans doute la forme d’activité qui est la moins formellement prescrite du point de vue temporel. Etudier les normes présidant aux temporalités de ces relations doit également nous permettre d’éclairer de nouvelles dimensions des temporalités urbaines et de l’organisation des déplacements à Bruxelles.
4.1. Enfants et déplacements
Enfants et transports publics : quelles insécurités ?
6Quasi tous les parents interviewés expriment l’idée qu’à partir de douze ans, l’enfant est apte à développer une autonomie spatiale qui lui permet d’envisager l’usage des transports publics ou de la route sur des trajets connus. On constate cependant que la question de la sécurité revient sur toutes les lèvres. Ce constat pourrait paraître trivial. Pourquoi ? D’une part, parce que le rôle de parent suppose une responsabilité vis-à-vis des enfants – et donc une précaution face aux risques potentiels. D’autre part, parce que la question de « l’insécurité » – dans toutes ses imprécisions et interprétations – fait aujourd’hui partie de ces préoccupations relayées tant par le monde médiatique que politique et qu’il n’est dès lors pas étonnant que ce discours émerge dans le cadre d’interviews « ouvertes ». Ainsi, le discours sur « l’insécurité » (quel que soit son contenu) fait, de nos jours, partie des thématiques dont un locuteur peut s’attendre à ce qu’il intéresse son interlocuteur. Il exerce une forme de fonction phatique (qui maintient le contact, comme « allo » au téléphone et « mmh mmh » en conversation) et participe ainsi à l’idéologie globale d’une époque.
7Ce qui est remarquable dans ces nombreuses références à « l’insécurité », c’est qu’elles portent sur des contenus peu attendus. Bien sûr, l’un ou l’autre parent fait référence à une première dimension de l’insécurité relative aux enfants. Celle-ci relève de la peur du kidnapping. Le traumatisme des affaires de pédophilie est bien présent mais dans une proportion nettement moindre que celle à laquelle nous nous serions attendus. Seuls deux interlocuteurs y font référence.
« J’ai peur de tout. J’ai vécu les événements de Julie et de Melissa, j’ai peur de... J’ai vécu les événements de Loubna Benaïsa. J’ai peur parce qu’à chaque fois que je suis dans le bus ou dans le tram, je vois une affiche qui annonce une disparition d’enfant. » (Mamadou)
8Plusieurs parents évoquent une autre dimension liée à l’insécurité face à la violence physique. Il s’agit de celle provenant des bandes de pairs ou de jeunes adolescents. La peur porte ici sur le risque de racket ou d’agressions physiques. Cette crainte peut être fondée soit sur l’expérience (certains parents relatant l’agression subie par l’un de leurs enfants), soit sur la rumeur ou la confrontation à l'altérité.
« C’est une question de sécurité. Les enfants, je pourrais les déposer à Stockel, et alors là ils pourraient prendre le métro directement jusqu’à Montgomery. L’année prochaine, je crois que je le ferai, en tout cas au printemps je le ferai. Mais quand c’est l’hiver et qu’il fait noir, je ne suis pas à l’aise. J’ai vu certaines bandes rôder à Stockel... (...) Nous en tant qu’adultes, on fait face. Mais je sais que des enfants sont... Enfin, j’ai deux amies dont les enfants ont été rackettés. » (Nathalie)
9Deux autres formes d’insécurité sont exprimées par presque toutes les personnes interviewées. La première concerne ce que nous appellerions « l’insécurité routière ». L’usage des transports publics et la marche à pied qu’ils supposent sont évités ou restreints, parce que le parcours donnant accès aux stations ou aux arrêts suppose le croisement ou la proximité du trafic routier. Le cercle vicieux est bien connu : la crainte engendrée par l’insécurité routière conduit les parents à utiliser leur voiture pour accompagner leurs enfants, ce qui contribue à l’augmentation de la pression et du risque automobiles et diminue l’usage des transports publics par les enfants.
« C’est vrai qu’il y a un problème de sécurité ici. Déjà, point de vue voiture, laisser traverser un enfant seul, c’est assez dangereux. » (Rachid)
10Enfin, la forme d’insécurité la plus répandue concerne les capacités cognitives des enfants. L’enfant est-il apte à se retrouver dans les transports publics ? Si le parcours quotidien récurrent n’effraye pas outre mesure les parents, l’événement imprévu éveille leurs doutes quant à la capacité de l’enfant à y réagir adéquatement. La panne du bus, par exemple, ou la distraction qui conduit à manquer son arrêt occasionnent des situations inédites. Celles-ci risquent d’engendrer un contact à l’altérité plus long que ce qui est souhaité par les parents ou des réactions « imprévisibles » des enfants qui risqueraient de les égarer ou de leur faire adopter des conduites potentiellement dangereuses.
« Il m’a dit qu’il n’y avait pas de problème : “Moi je peux prendre, je sais prendre mon tram”... C’est moi qui me méfie. Mais lui, il a vraiment envie. Parce que lui, il le fait, quand il va à son école, il prend le tram et un arrêt après il descend. Parfois même avec ses amis, ils arrivent à le prendre pour aller deux-trois arrêts plus loin. Mais c’est moi qui n’ai pas confiance. Et sa maman aussi n’a pas... (...) Tout dépend de l’enfant, tout dépend de... comment il évolue dans sa tête. Il peut arriver qu’il ait cet âge-là mais qu’il raisonne comme un enfant de moins de... C’est ça le problème. » (Jean-Paul parlant de son fils)
11Si les deux premières formes d’insécurité sont souvent prises en compte par les politiques de prévention – qu’elles soient « sécuritaires » ou non –, l’insécurité routière suppose une approche politique globale des questions de mobilité et d’aménagement urbain. En revanche, l'attention est rarement portée sur l’insécurité liée à la capacité des enfants à se retrouver dans un espace. Elle pourrait pourtant être prise en compte dans le développement du service offert par les agents des transports publics ou dans le développement de politiques spécifiques d’accompagnement sur les parcours scolaires les plus fréquents.
12Si l’inter-connaissance entre conducteur et jeune voyageur est peu probable et peu réaliste, le contact entre conducteur et jeune usager ne devrait-il être (re)développé dans le bus et le tram ? Bien sûr, ce type de socialité a été mis à mal par la volonté de réduire le risque d’accident en interdisant tout contact verbal avec le conducteur et par les mesures de sécurisation du personnel face aux agressions qui ont conduit à isoler passagers et employés du transport public. Ce rôle assuré antérieurement par les wattmans ou encore par les « contrôleurs ferroviaires » ne pourrait-il pas être réinvesti dans le cadre des mesures de « réappropriation de l’espace bus » (et tram) par les chauffeurs ? Ne pourrait-on imaginer d’assigner aux Agents de Prévention et de Sécurité ou à des personnes répondant au Programme de Transition Professionnelle (type Stewards Urbains) un rôle d’accompagnement sur les lignes à forte densité scolaire, par exemple, sans qu’il n’y ait de surcoût démesuré pour la société de transport public ? Contrairement à l’usage, un membre de la STIB ne nous signalait-il pas qu’il insistait toujours auprès de sa fille pour qu’elle précise aux chauffeurs l’arrêt où elle désirait descendre, afin qu’ils soient attentifs à ce qu’elle ne s’égare pas ? L’apprentissage de l’usage de l’espace et des transports publics passe par une socialisation vis-à-vis de laquelle les transporteurs ont également un rôle à jouer.
Arrivée du premier enfant et recours à l’automobile : une constante
13Comme nous l’avons signalé précédemment, le cycle de vie est une dimension temporelle importante pour comprendre les phénomènes de mobilité. L’arrivée d’un enfant, en particulier, conduit bien souvent à adopter de nouvelles pratiques de mobilité qui génèrent fréquemment un report modal vers l’automobile. Comme le dit Sophie, « Quand j’étais sans enfant, j’étais beaucoup plus mobile, ça c’est clair. C’est le premier truc que tu découvres avec un enfant. »
14Quelles sont donc les difficultés liées aux déplacements accompagnés d’enfant(s) exprimées par les parents ?
Ce que l’on constate d’abord, c’est que tous les parents interrogés insistent pour dire que les déplacements avec les enfants sont « compliqués ».
« Tout est plus compliqué, tout ce qu’on trouve nous-mêmes compliqué, devient plus compliqué encore avec un enfant. » (Maude)
« Avant, moi j’allais faire mes courses, enfin... que ce soit pour des fringues, pour du matériel, pour tout ce que tu veux... j’allais à l’autre bout de la ville... j’allais faire des comparaisons et tout ça... Maintenant, c’est : ‘au plus près, le plus simple’ » (Sophie)
15L’anticipation constante des besoins de l’enfant est à la source de cette complexité. Se déplacer avec un enfant suppose parfois qu’il faille accepter le rôle de personne à mobilité réduite tant dans le rapport à l’infrastructure que dans les choix et rythmes des déplacements. De plus, la complexité croît avec le nombre d’enfants, ce qui semble possible pour un adulte seul avec un enfant peut paraître difficile ou impossible s’il a en charge deux enfants ou plus.
« Je m’imagine dans le tram par exemple. (...) Déjà là, le maxi cosy sur ses roulettes ne rentre pas dans le tram2, donc c’est déjà tout un exercice. (...) Et donc essayer de penser à faire rentrer trois enfants dans un tram. Et puis, au moment de l’arrêt, si on n’est pas trop bousculé, parce que c’est plus ou moins l’heure de pointe, essayer d’en faire sortir deux et être sûr de ne pas oublier le troisième dans le tram. J’essaye d’imaginer la scène. Et puis en plus après, monter les escalators de cette station avec le cosy de nouveau. C’est impossible. Et descendre, il n’y a pas moyen, il n’y a même pas d’escalator. Donc je m’imagine bien redescendre les escaliers en portant le maxi cosy, puis me retrouver en bas, et puis dire : “Justine, reste en haut, surtout ne commence pas à descendre l’escalier” sinon elle risque de se casser la figure. Je n’imagine pas la scène. Je n’en aurais que deux, je pourrais peut-être l’envisager. (...)
Quand on est deux adultes avec deux enfants par exemple, on n’a pas de problèmes. Mais un seul adulte avec trois enfants en bas âge, ce n’est pas évident. » (Danièle)
16L’activité qui motive le déplacement et le déplacement lui-même prennent des sens différents lorsque l’enfant accompagne l’adulte. Les difficultés qu’un déplacement présente lorsqu’il est réalisé avec un enfant peut conduire à la dévalorisation d’une activité. Inversement, si l’activité envisagée est perçue comme inadéquate avec un enfant ou source de gêne sociale, le déplacement peut ne pas être entrepris.
« Je le fais sans Simon (son fils), parce que... je l’ai déjà pris dans une librairie. Depuis, on me regarde de travers quand je rentre dans cette librairie. Simon chipote aux livres ; ils n’aiment pas ça. » (Sophie)
« ... un enfant, il faut qu’il soit motivé pour marcher, pour prendre des bus. Il ne va pas accepter 3 heures pour aller chercher un sac de gym. Il acceptera de prendre la voiture qu’on le mette dans le magasin et puis de revenir. Je ne le prends avec moi que quand je suis sûre que je vais trouver. Quand je ne suis pas sûre, je n’embarque pas les enfants comme ça, j’attends que Marc soit rentré et on ira ensemble. Ça prendra 1 h avec Marc alors que, seule avec Tom, ça pourrait prendre 3-4 h. » (Maude)
17La chaîne d’activités elle-même subit les effets de la présence d’enfants, que cela soit dans son organisation ou dans les stations qui peuvent y être intégrées. Ainsi, une chaîne qui semblerait « rationnelle » pour un adulte seul ne peut plus être réalisée aussi facilement lorsqu’il est accompagné par un enfant. Plus fondamentalement, la compression sur les déplacements et les activités que ressentent certains adultes naît elle-même de la volonté de disposer de temps avec les enfants.
« Pour moi c’est quasiment impossible (de prendre les transports en commun). (...) J’arrive avec ma voiture sur le chantier, je fais le tour et je repars, ça doit être très efficace. Donc perdre mon temps... Enfin oui, parce que pour moi c’est perdre mon temps de marcher vingt minutes, ou de prendre un bus ou un tram. Je n’ai pas de temps à cause justement des enfants. Si je n’avais pas les enfants, je crois que mon programme serait très différent. Et ma démarche serait très différente aussi. » (Anne)
18Outre les difficultés de déplacement, les sens donnés aux activités et l’organisation différente des parcours, l’estimation de la résistance des enfants et de leur fatigue sont des éléments essentiels intervenant tant dans le choix du mode de transport que dans le caractère envisageable des déplacements. La simplicité de la chaîne d’activités, et donc des déplacements, est un élément valorisé par les parents à cet égard.
« Les enfants n’aiment pas les magasins. Quand tu as une voiture, c’est plus facile, tu te dis : ‘si je n’ai pas fini mes courses, ce n’est pas grave, je reviendrai puisque j’ai la voiture’. Quand tu viens en tram, tu ne te dis pas ça, tu te dis : j’y suis, j’y reste et je vais au bout de...’Tu sais, aller au bout de ton truc avec un enfant qui en a marre et qui s’assit par terre et qui dit : je ne bouge plus... » (Maude)
« Ça nous arrive (de prendre le métro), mais on a plutôt tendance à prendre la voiture, surtout si l’activité n’est pas juste sur la ligne de métro. On ne va pas s’amuser avec des connexions. Maintenant il y a une poussette et tout, dans le métro bonjour hein ! » (Ben)
19De plus, l’anticipation de la fatigue et la volonté d’assurer le confort de l’enfant entraînent souvent un équipement pondéreux et volumineux qui peut lui-même influencer le choix du mode de transport en fonction de l’activité envisagée.
« Ce n'est pas tellement l’enfant tout seul, c'est l'enfant avec tous ses accessoires qui t’empêche de bouger. Là c’est fatigant ! Et puis, je veux dire, tu ne trimbales pas un enfant d’un mois et demi dans le tram. (...) Tu es chez des amis, ton enfant va dormir dans le lit, il est une heure du matin ou minuit ou n'importe quelle heure, il dort, tu as une voiture tu le prends dans tes bras, tu l’installes dans la voiture, il va dormir... Attendre le tram dehors, qu’il dorme dans le tram, enfin c’est... Ou alors, ce n’est possible qu’en taxi ! Là le taxi est une alternative. » (Maude)
20Le temps nécessaire à équiper l’adulte et l’enfant en vue d’un déplacement n’est pas non plus sans incidence sur l’organisation de la journée et sur l’évaluation des déplacements réalisables.
« Sortir, ça devient quelque chose d’exceptionnel presque. J’ai trois enfants, maintenant ils sont un peu plus grands donc ça va mieux. Mais c'est vrai qu'au début, il ne fallait pas oublier de prendre les couches-culottes, il ne fallait pas oublier de prendre les langes et le landau, il ne fallait pas oublier de prendre... Rien qu’à penser à prendre tous ces trucs et les mettre dans la voiture, rien que ça, ça veut dire : ‘On en a encore pour une heure avant de sortir’. (...) On le fait quand même mais c’est vrai que quand on est seul, célibataire, ou en couple, on ferme la porte et on est parti. » (Sandro)
Les avantages et difficultés des différents modes de transport
21En plus des remarques générales qui viennent d’être faites, les interviews permettent d’identifier une série de difficultés propres à l’usage spécifique de certains modes de transport lorsqu’un adulte est accompagné d’un enfant.
22L’usage du vélo est ainsi valorisé par tous les parents lorsqu’il s’agit d’un usage de loisir dans des espaces protégés. Cependant, la plupart des parents répugnent à utiliser au quotidien ce mode de transport avec des enfants. Un enfant en bas âge peut facilement être transporté sur le vélo de l’adulte, mais dès qu’un deuxième enfant naît, l’impossibilité d’usage fonctionnel de ce mode de transport semble évidente pour tous les parents, sauf si l’aîné présente une maîtrise suffisante de son propre vélo, ce qui suppose une grande différence d’âge entre les deux enfants.
23Lorsque les enfants ont appris à rouler à vélo, ce mode ne paraît pas beaucoup plus fonctionnel pour les parents, car la pluralité d’enfants permet difficilement à un seul adulte d’assurer un contrôle suffisant de leur sécurité routière.
24La marche est fréquemment utilisée par les parents accompagnés d’enfants dans leurs déplacements urbains. Cet usage suppose cependant une déambulation lente (au rythme du pas de l’enfant) dans un espace restreint (dû aux limites de résistance physique des enfants en bas âge). Les conditions de déplacement ne sont pourtant pas aisées, car les trottoirs sont parfois étroits et jalonnés d'obstacles divers (mobilier urbain, chantiers, trous, crottes de chien...), le tout dans des conditions climatiques incertaines. De plus, ces déplacements sont souvent jugés stressants à cause de l’insécurité récurrente dû au trafic automobile.
« Il marche bien maintenant quand il veut bien aller dans la même direction que moi. Bon, il marche lentement, évidemment. On peut prendre une heure pour aller-faire les courses deux rues plus loin. Dans les rues où il y a des voitures, c’est stressant. Là je n’ose pas le... Il faut qu’il tienne la main et tout ça. » (Sophie)
25L’accompagnement en marche suppose également une attention redoublée à l’enfant, lequel a tendance à toucher à tout, ce qui peut conduire l’adulte à être confronté à des situations sociales peu souhaitables. Néanmoins, le recours à la marche est valorisé par certains comme étant un excellent apprentissage de l'espace urbain et de la vie sociale locale par l’enfant.
26L’usage de la « poussette », pour les plus jeunes, apparaît, pour certains, comme un moyen de contrôle de l’enfant (face à son côté « touche-à-tout ») et permet également d’assurer un rythme rapide au déplacement pédestre. De plus, la poussette est d’une aide précieuse pour la réalisation pédestre des courses pondéreuses. Elle apparaît cependant moins adaptée, vu son encombrement, à l’usage des transports publics.
« Cette poussette était fabuleuse parce que tu pouvais mettre autant de sacs que tu voulais sur les poignées. Je revenais des courses avec 7-8 sacs et mon fils, ce n’était pas compliqué. C’était moins compliqué d'aller faire les courses avec lui, parce que c’était lui qui allait porter les sacs, que d'y aller seule et de porter 8 sacs. » (Maude)
27Si tous les parents insistent sur le fait que le trajet en transport en commun, par son caractère exceptionnel, s’apparente à une fête pour l’enfant, il apparaît souvent malaisé pour les adultes qui les accompagnent.
« Quand il était petit, le tram, ça restait une sorte d’aventure. On ne prenait pas le tram pour aller à la crèche, ou pour des choses quotidiennes, on prenait le tram pour des choses un peu extraordinaires. Et puis, il a toujours vécu ça avec plaisir, encore maintenant il adore prendre le train, il adore prendre les transports en commun, il aime bien. » (Maude)
28Une première série d’observations concerne l’infrastructure des transports publics. Les marches hautes de certains bus et trams sont peu adaptées aux petites jambes, les portes des véhicules les plus anciens sont souvent trop hautes pour être franchies facilement avec une poussette, et les mères de familles craignent fréquemment de se retrouver coincées, dans une station de métro ou de pré-métro, face à un escalier ou un escalator qu’il faudra franchir avec la poussette ou le buggy... tout en tenant le plus grand par la main. Ce type de situations, fréquemment décrites, nécessitent souvent le recours à d’autres passagers pour être menées à bien. Si l’entraide des autres voyageurs pose rarement problème, la démarche sociale de « demande d’aide » est souvent vécue comme une contrainte lourde par l’adulte qui accompagne l’enfant et conduit à minimiser, autant que possible, le nombre de « correspondances ».
29La surveillance des enfants est aussi une caractéristique stressante pour plusieurs parents interviewés, et ce surtout aux heures de pointe... qui sont également celles des déplacements scolaires. S’il faut « surveiller » l’enfant afin qu’il adopte les normes informelles d’usage des transports publics (ne pas déranger les autres passagers, ne pas mettre les pieds sur les sièges...), il faut surtout être attentif à sa sécurité : éviter qu’il ne tombe, qu’il ne soit « écrasé » lors des bousculades inhérentes aux heures de pointe, etc.
« Les jeunes enfants tombent assez facilement. Déjà monter les marches et descendre dans le tram, ce n'est pas évident pour eux. On ne le remarque pas, mais pour un petit enfant, quand on observe, on voit que ce n'est pas facile. Quand il y a du monde, que le monde se bouscule, tout le monde est stressé, les horaires et tout, ce n’est pas évident. Il faut faire attention, ce n’est pas évident. Et pour descendre du tram : tout le monde est serré. Déjà pour passer ce n’est pas facile, alors on doit se dépêcher avant que le conducteur ait fermé les portes et il ne faut pas oublier quelqu'un derrière. » (Djamel)
30Les temps d’attente inhérents aux transports en commun sont vécus par certains comme « épuisants » en raison également de la surveillance des enfants qu’ils nécessitent. Les arrêts de trams et de bus sont particulièrement visés par ces parents qui ressentent l’insécurité routière ou estiment que les conditions climatiques sont propices au rhume ou au coup de chaud si l’attente se prolonge.
« Si tu attends dans un abri, une aubette, ou disons un semblant d’aubette quand il y en a, s’il fait beau, je veux dire si c’était un quart d’heure ce n’est pas un problème. Mais s'il drache et que de nouveau tu dois en surveiller trois... » (Danièle)
31Si la possibilité de relier le domicile, l’école ou la crèche en transport en commun dans des temps acceptables existe – ce que beaucoup de parents réfutent –, la conjugaison des horaires d’école avec ceux des transports publics, ajoutée à la responsabilité de plusieurs enfants, rend l’usage de ces transports peu commode pour les trajets des enfants en âge pré-scolaire et primaire.
« Les transports en commun posent un problème, étant donné qu'il faut déposer un enfant à l’école, un enfant à la crèche, et puis aller au boulot dans tous les cas. Et donc, s’il fallait prendre les transports en commun, il faudrait changer deux ou trois fois de bus ou de tram pour pouvoir arriver à faire tout le trajet, ça prendrait plus qu'une heure, certainement plus qu'une heure. » (Danièle)
32Si la voiture présente certains avantages, tels que la souplesse dans l’organisation des déplacements et, dans certains cas, la possibilité de déplacements porte-à-porte, elle facilite également la surveillance des enfants puisqu’ils doivent y être « attachés ». Elle contribue aussi au confort et à la sécurité de l’enfant, car elle peut servir de « zone de stockage » pour le petit matériel (langes de rechange, boisson, en-cas...) ou pour les objets plus ou moins encombrants achetés en chemin qui diminuent la liberté de mouvement précieuse pour la surveillance des enfants (donner la main, réagir promptement face à un danger...). Plusieurs parents évoquent également le sentiment de sécurité fourni par la voiture pour les transports nocturnes hivernaux. Enfin, le confort de l’automobile offre aux parents plus de latitude lors de la rentrée tardive d’une activité de soirée, car il est aisé de déplacer un enfant endormi en automobile sans trop le réveiller, alors que le transport en commun est plus problématique à cet égard.
33Mais la voiture ne présente pas que des avantages, plusieurs parents évoquent les maux de dos suscités par le poids du « maxi cosy » qu’il faut (dés)installer, ou la charge d’attacher et de détacher les enfants à chaque station. Ce dernier élément participe d’ailleurs de la nécessaire planification des trajets. La « récolte » des enfants en fin de journée va ainsi parfois s’organiser en commençant par les plus grands qui peuvent eux-mêmes veiller à monter, descendre ou s’attacher seuls dans la voiture afin de ne pas multiplier les opérations d’attachement et de détachement des plus jeunes.
« D’abord le grand, j’ai plus facile, parce que si je vais chercher d’abord les petits, je dois les prendre, et puis les descendre de la voiture pour aller chercher le grand. » (Marta)
34L’automobile rend aussi les contacts avec les enfants moins faciles, surtout si l’adulte accompagnant conduit lui-même la voiture, alors que, dans les transports en commun, il est souvent aisé de parler avec ses enfants en étant face à eux.
35« C’est vrai que dans l’esprit, les transports en commun, j’aime bien, parce que je leur parle [à mes enfants]. En voiture, je suis relativement stressée, donc ce n’est pas du temps que je partage avec les enfants. » (Nathalie)
4.2. Consommation et déplacements
36Les « courses », autrement dit, les activités de consommation et de ravitaillement, constituaient le deuxième volet de l’organisation temporelle que nous désirions explorer plus factuellement au départ de la recherche. Si la récolte des informations s’est d’abord concentrée sur l’organisation de la journée dans l’ensemble de ses activités et non sur les activités d’achats en particulier, il n’en reste pas moins que des éléments pertinents sur les relations entre « courses », temporalités et organisation des déplacements ont pu être relevés.
37De nombreuses variantes apparaissent dans l’organisation de ces activités de consommation et de ravitaillement, tant dans la forme temporelle qu’elles prennent, que dans l’usage des modes de transport qu’elles nécessitent. Du point de vue temporel, outre qu’elles sont récurrentes – et parfois régulières – vu la nécessité des ravitaillements, les courses se caractérisent par le fait qu’il s’agit d’activités non prescrites d’un point de vue horaire autrement que par les heures d’ouverture des magasins. L’organisation des achats est donc apparemment peu contraignante sur le plan temporel, ce qui conduit généralement à les insérer au sein d’autres activités plus contraignantes de ce point de vue (activités professionnelles, activités scolaires et para-scolaires...) ou dans des tranches horaires ne risquant pas d’empiéter sur des activités de loisirs plus valorisées.
« J’essaie d’être systématique le lundi, parce qu’il n’y a personne dans les magasins... Franchement, c'est une heure où on n’a pas l'occasion de faire grand-chose entre deux activités professionnelles, donc j’essaye de faire ça à ce moment-là. » (Clara)
38La contrainte liée aux heures d'ouverture des commerces est cependant réelle pour certains, d’aucuns – souvent « réactifs » ou « impulsifs »3 – exprimant même le rêve d’une ouverture 24 heures sur 24, sept jours sur sept, ce qui leur laisserait toute la flexibilité nécessaire à leurs autres activités.
« Aux États-Unis, on faisait toujours les courses le dimanche soir, ou le samedi soir, à minuit, ou à 23 heures, parce que c'est ouvert toute la nuit. Ça, pour nous, c'était génial. Et on s'est dit à l'époque : “Le jour où on aura des enfants, ça sera génial d’habiter aux États-Unis parce que quand ils dorment, il y en a un des deux qui reste à la maison et l’autre qui va faire les courses à son aise, il choisit ce qu'il veut". On n'a pas le temps de faire les courses, parce que ce n'est jamais ouvert dans les heures où on en a besoin. » (Anne)
39Les courses ne constituent cependant pas une réalité monolithique. Les interlocuteurs distinguent assez spontanément des « types » de courses, en fonction du type de marchandises qu’ils désirent se procurer et/ou en fonction de la récurrence de l’activité. Ainsi, tous les interlocuteurs distinguent les « grosses courses » sous-entendant les courses alimentaires récurrentes – des courses « complémentaires » ou « petites courses », et celles ayant pour projet l’achat d’un bien matériel ou, plus spécifiquement, de vêtements.
Les courses alimentaires
40L’image d’Épinal transmet l’idée des courses alimentaires régulières, effectuées le week-end et en automobile dans les grandes surfaces périphériques. S’il s’agit là d’une représentation que l’on peut observer chez certains, selon diverses déclinaisons, l’on peut également observer des pratiques n’y correspondant pas du tout.
La « grande surface » comme référent
41Ce qui est tout d’abord remarquable, dans les interviews, c’est de constater que toutes les personnes rencontrées expriment, au cours de l’entretien, un lien entre la dimension temporelle et les achats alimentaires en grande surface, et ce, étonnamment, même si elles n’y ont pas personnellement recours ! Activité contrainte par la nécessité du ravitaillement, la pratique des courses dans les grandes surfaces se voit en effet associée au « gain » ou à la « perte de temps ».
42Ainsi, certaines personnes interviewées estiment « gagner du temps » par le fait qu’elles trouvent l’ensemble des biens désirés au même endroit, ce qui leur évite des déplacements multiples. D’autres, au contraire, mettent l’accent sur le « coût en temps » lié aux files d’attente aux caisses, ou à la nécessité de libérer une plage de temps importante pour effectuer leur approvisionnement dans ces grandes surfaces.
43La volonté d’accommoder les contraintes temporelles liées à ce type d’activités laisse poindre des pratiques temporelles assez différentes qui se manifestent dans les motivations et le choix du moment et du jour où les « courses » s’effectuent. Ce choix est fréquemment le résultat d’une négociation entre la nécessité de se ravitailler, les possibilités de stockage4, les membres de la famille présents ou nécessaires lors des achats, et la disponibilité d’un mode de transport.
44Le ravitaillement peut ainsi être organisé sur un mode régulier : l’activité est prévue et arrêtée un jour précis de la semaine ; une plage horaire importante lui est allouée qui doit pouvoir amortir les files éventuelles ou les embouteillages liés aux achats. Les types d’attitudes temporelles du « routinier » et du « planificateur rigide » se confondent dans ce cas.
45Dans cette perspective, le week-end est une période significative en ce qu’elle correspond soit au moment perçu comme propice pour réaliser les courses, soit à une période où cette activité semble particulièrement chronophage.
« Je dirais tout sauf le week-end. J’abhorre le Delhaize ou le GB ou n’importe quoi le week-end, c’est un véritable cauchemar. Voilà, tout sauf le week-end. » (Albert)
46L’identification du week-end comme « propice » à la réalisation des activités de ravitaillement provient souvent du fait qu’il s’agit d’une période permettant aux divers membres de la famille d’être disponibles, soit pour « passer du temps » ensemble dans les achats, soit pour qu’un adulte puisse garder les enfants pendant que l’autre effectue le ravitaillement familial.
47Le caractère « chronophage » est mis en avant lorsque la densité de clientèle et la longueur des files d'attente aux caisses qui en résulte est perçue comme une perte de temps insupportable. De ce fait, le ravitaillement doit s’effectuer un autre jour de la semaine ou dans des périodes « creuses », ce qui suppose une bonne identification de ces périodes.
« Je reviens très vite de l’école, et donc j’arrive au magasin, il est 16 heures par exemple. (...) Je fais directement le crochet par là en sachant qu’à cette heure-là, il n’y a pas encore trop de monde. Et je passe alors relativement vite avec eux [ses enfants] et puis je repars. Ou bien alors ce que je fais, c’est que le samedi, par exemple, je vais à la dernière demi-heure d’ouverture du magasin. Ou bien alors juste à l’ouverture... » (Nathalie)
48D’autres personnes organisent leur approvisionnement alimentaire sans régularité. La récurrence de l’activité commerciale naît dans ce cas du fait qu’il est nécessaire de reconstituer des réserves. Si l’usage des grandes surfaces peut être relativement fréquent, d’autres sources de ravitaillement peuvent y suppléer pendant une courte période. Ces périodes permettent de « trouver » le jour propice à la réalisation des courses en grande surface.
49La coordination temporelle familiale peut également être requise. Elle peut porter tant sur le jour que sur l’heure de l’activité. Nicole, par exemple, qui habite un appartement dans le même immeuble que ses parents, exprime bien cette logique :
« ... il y a les courses hebdomadaires avec la famille. Ça, ça dépend... Si on arrive à se mettre d’accord sur un horaire et bien on y va ensemble. » (Nicole)
50Enfin, quelques personnes expliquent que l’ensemble de leurs achats se fait dans une logique temporelle interstitielle. L’opportunité qui se présente tant au niveau temporel qu’au niveau des lieux où l’achat va se faire, détermine le moment et le commerce où le ravitaillement est effectué. On retrouve dans cette logique interstitielle l’attitude des « improvisateurs réactifs » qui visent à adapter les contraintes ou le plaisir des courses aux activités en cours.
51La présence des enfants intervient également dans le choix du moment où réaliser les « courses ». Bon nombre de parents expriment leur volonté d’éviter que les enfants soient présents, car leurs nombreuses demandes face aux biens exposés ne sont pas toujours faciles à gérer, ou leur présence peut être perçue par certains comme ralentissant encore une activité déjà chronophage par elle-même. Dans ce cas, les courses sont organisées en journée si l’activité professionnelle le permet – ou assumées par un seul membre du couple pendant que l’autre garde les enfants.
52À l’inverse, plusieurs familles font le choix de faire les courses ensemble, soit qu’elles valorisent l’activité, celle-ci se transformant en « course-promenade », soit que la « garde » des enfants s’effectue au sein de la grande surface elle-même par un des deux parents.
« Cela ne me dérange pas trop d’aller faire les courses. Pour la simple et bonne raison que moi je vais à gauche, à droite. Et donc elle [son épouse] s’occupe de tout ce qui est ‘besoins’. Elle aime bien. C’est quelque chose qui ne lui déplaît pas. Et moi, je prends les enfants et je vais plutôt côté jouets, CD, DVD. » (Sandro)
53Parmi les couples n’ayant pas d’enfant, le ravitaillement alimentaire est soit réalisé volontairement à deux lorsqu’il est perçu comme une activité agréable, soit effectué par l’un des membres du couple à un moment où l’autre n’est pas disponible afin de préserver les temps de loisirs communs.
« On ne les fait pas à deux parce qu’on va faire ses courses dans le quartier à proximité quand il y en a un qui travaille plus tard que l’autre et que le premier a la possibilité de commencer à préparer à manger, par exemple. Donc, c'est la raison principale pour laquelle on les fait seul. Je ne pense pas qu’on ait été très souvent chez l’épicier du coin à deux. » (Thierry et Françoise)
Anticiper ou non
54Les courses en grande surface manifestent souvent un rapport au temps nécessitant une anticipation des repas envisagés. La « liste de commissions » peut en être un indicateur lorsqu’elle reprend des achats alimentaires pour plusieurs jours. Cette anticipation « alimentaire » n’est cependant pas toujours valorisée, soit que l’acteur préfère choisir ses repas au jour le jour, soit que le « flux » dans lequel ses activités professionnelles le situent lui rend difficile la prévision d’une telle organisation. Le passage au magasin dans une logique interstitielle peut, dans ces cas, répondre à la nécessité de se ravitailler « au jour le jour ».
55Comme nous venons de le dire, certains interlocuteurs valorisent plutôt les achats quotidiens afin de se donner la liberté de choisir à chaque fois les repas qu’ils désirent consommer. Cette pratique est tout aussi bien observable chez des « planificateurs souples » pour lesquels une plage horaire peut être disponible, que chez Nicole « l’improvisatrice impulsive ». Cette dernière explique d’ailleurs que ses pratiques commerciales sont très variables en fonction de ses désirs du moment :
« Eh bien, il y a deux, trois façons de faire les courses. D’abord, en attendant de prendre le prochain tram. Il y a aussi faire les courses, les petites courses donc, pour un plat que j’ai envie de cuisiner le soir. Si j’ai un plat bien en tête, alors je vais au Delhaize du coin et je fais mes petites courses pour le soir. Sinon, il y a les courses hebdomadaires avec la famille... » (Nicole)
56Les achats en grande surface ne couvrent pas l’ensemble des besoins. La majorité des personnes interviewées pratiquant ce type de ravitaillement le complètent par des courses d’appoint. Celles-ci concernent le plus souvent les produits de boulangerie ou de boucherie, ou s’effectuent lors de « courses-promenades », comme dit Ben, au marché, en vue de se fournir des produits frais. Dans ce cas, le caractère « commercial » de l’activité passe au second plan puisqu’un sens différent est associé à l’activité. Les courses peuvent être l’occasion d’une activité familiale ou la justification d’une sortie hors du domicile afin de « voir des gens ». Il ne s’agit plus, dès lors, de trouver une « plage horaire » n’empiétant pas sur d’autres activités familiales ou de loisirs puisqu’elles en font partie. Les courses alimentaires s’apparentent, dans ce cas, au « shopping » ou « lèche-vitrine » dont nous parlerons ci-dessous.
« Je dirais que c’est aussi un peu une manière pour nous de sortir et de ne pas toujours rester cloîtrés à la maison. » (Sandro)
57Si les achats en grande surface constituent l’essentiel des pratiques de ravitaillement pour une bonne part des personnes rencontrées, d’autres, au contraire, expriment leur volonté d’utiliser essentiellement les commerces de proximité (boutiques, petites et moyennes surfaces implantées localement). L’équilibre entre « commerces de quartier » et « grandes surfaces » est alors inversé et les courses de grande surface s’organisent en appoint des achats locaux. Dans ce cas, les courses en grande surface consistent souvent à l’achat de produits trop volumineux ou pondéreux.
« On va beaucoup au petit Delhaize comme on dit, qui est situé sur le chemin de la crèche, pour tout ce qui est viande, tout ce qui est lait, charcuterie, en partie fromage. Parce qu’on va également à une fromagerie qui se trouve à côté de la crèche. Il y a aussi un magasin de volaille à côté duquel on passe. Parce que même ce Delhaize-là peut être assimilé à un commerce de quartier. C’est une moyenne surface comme dirait le voisin. Et finalement on va relativement rarement au Delhaize standard, qui se situe aussi pas très loin d’ici et auquel on peut se rendre en bus. Je dirais que là on y va une fois tous les quinze jours pour acheter le nécessaire, c’est ça, des trucs plus pondéreux... style poudre à lessiver, enfin bon, on n’en achète pas tous les quinze jours... mais papier toilette, ce type de produit-là, où effectivement on est obligé d’aller dans une plus grande surface pour les trouver. » (Albert)
58La volonté de se ravitailler dans les petits commerces de quartier peut être liée au souhait de décider quotidiennement de ses repas, à la valorisation du quartier ou des petits commerçants pour eux-mêmes, à l’absence d’une automobile dans le ménage, ou à la difficulté de se déplacer. De plus, pour certains, la volonté de se ravitailler dans les petits commerces de quartier est liée à la perception d’un « gain de temps » ou d’une meilleure « gestion du temps » associés à ce type de pratique.
59Les aspects temporels des pratiques de ravitaillement dans le quartier méritent d’être éclairés. Les personnes valorisant ce type de pratiques expliquent toutes qu’elles sont associées soit à un ancrage de long terme dans le quartier, soit à une disponibilité de temps permettant de développer une bonne connaissance des petits magasins et des prix et biens qu’ils proposent. Cette connaissance permet surtout de simplifier les achats en facilitant l’organisation du parcours de « chaînage des boutiques ». Tout se passe, à l’échelle du quartier, comme pour l’utilisateur de la grande surface qui sait dans quel rayon trouver le produit qu’il désire.
60Le « gain de temps » est exprimé, dans un premier cas, lorsque l’interlocuteur s’effraye de devoir consacrer une longue plage horaire aux courses en grande surface. Dans ce cas, la multiplication de petites courses interstitielles permet de rentabiliser de petits moments inoccupés, sans qu’à la contrainte du ravitaillement s’adjoigne une contrainte temporelle lourde. Dans un second cas, le « gain de temps » est simplement associé à l’idée de proximité spatiale.
61Les courses de quartier sont également associées à la gestion du temps dans le cadre des relations familiales. D’une part, Sophie, par exemple, organise ses achats en fonction de « l’amusement que peuvent procurer les courses » pour l’enfant qui l’accompagne. D’autre part, Thierry et Françoise, comme nous l’avons vu, expliquent que les courses de quartier s’effectuent souvent lorsqu’un membre du couple attend le retour de l’autre, le temps disponible par l’attente du conjoint ne permettant pas d’envisager un déplacement plus éloigné. Maude, de son côté, explique que l’utilisation de la poussette pour conduire son enfant, et son aspect pratique pour transporter les achats effectués la motive à réaliser les courses dans son quartier.
« Et une poussette d'enfant, je peux te dire qu'on peut y mettre vraiment beaucoup de choses. Donc, là, j’ai été plus souvent tentée de faire les courses avec Tom que sans. Ce qui me permettait de faire plus de courses. » (Maude)
62Les « commandes » d’achats alimentaires par des systèmes du type « caddyhome » ne sont pas encore très répandues ni très connues. Si plusieurs interlocuteurs estiment que ce type de service pourrait éventuellement leur convenir, un seul couple nous signale y avoir recours. Les réactions face à ce type de produit commercial sont cependant intéressantes à enregistrer. Si d’aucuns rejettent ces services, car ils préfèrent « voir ce qu’ils achètent » ou ne font pas confiance aux systèmes de paiement à distance, d’autres ne conçoivent l’usage de ses systèmes que pour des personnes empêchées de sortir de chez elles par l’âge ou la maladie. Dans ce cas, la valorisation du contact humain, même s’il ne s’agit que d’une co-présence, est mise en avant dans la pratique commerciale. Enfin, d’un point de vue temporel, certains interlocuteurs rejettent ce service, car ils estiment que leur organisation du temps est trop chaotique et donc trop peu prévisible pour pouvoir évaluer quand recevoir ou aller chercher les biens dont ils auraient déjà eu du mal à anticiper l’achat ou même l’usage.
« Et tout ce qui est « caddy-home », tu es intéressée ? »
« Non, parce que je ne suis pas souvent à la maison, et donc je devrais les faire venir à des heures incongrues. (...) Enfin je ne vois pas quand je pourrais trouver le temps de faire ma commande de manière adéquate et que je ne perde pas plus de temps que de le faire moi-même. Parce que je ne pense pas mes courses. À la limite, je n’ai pas des plats que je pense faire. » (Nathalie)
Les courses non alimentaires
63Les courses non alimentaires sont fréquemment différenciées entre celles pour lesquelles le projet est clairement défini et celles dont le projet se définit au cours de la sortie. Dans le premier cas, les interlocuteurs évoquent l’achat d’électroménager ou de matériel informatique par exemple. Ce type d’achat peut résulter d’anticipations à long terme. Il s’agit de faire du repérage préalable à l’achat, repérage qui consiste en lecture et comparaison de publicités ou en repérage physique des biens intéressants lors de séances de shopping.
« ... je fais du repérage pour savoir quel type de choses je vais trouver à tel endroit, et je les retiens, tu vois. Pour quelque chose d’un peu particulier, je vais essayer d’identifier... un volailler, ou une librairie que j’aime bien. » (Maude)
64Dans le second cas, celui où le projet se définit au cours de la sortie, les interlocuteurs évoquent aussi bien l’achat de vêtements, que l’achat de livres ou de CD. Ce type de courses se dilue, à l’extrême, dans le simple lèche-vitrine. Les goûts, ainsi qu’une certaine définition sociale des genres, interviennent dans la manière dont ces activités sont vécues. Ainsi, si bon nombre d’hommes interviewés – pas tous – déprécient les achats de vêtements, alors qu’un plus grand nombre de femmes expriment le plaisir qu’elles éprouvent à fouiner pour trouver les pièces désirées.
« On va tout de suite placer le cadre. Françoise adore et je ne supporte pas ça. En fait, voilà : j’ai une sainte horreur d’aller m’acheter des fringues ou... C'est surtout une question de fringues, parce que pour les achats plus importants, du type électroménager et informatique, on quitte la maison avec une idée bien précise de ce dont on a besoin, donc ça c’est une catégorie à part. En gros, il reste les soldes, tous ces machins-là ; Françoise adore ça, elle y passerait des heures, donc effectivement elle fait un repérage. Et moi, si je m’écoutais, j'irais au premier truc venu, je dirais : ce n'est pas trop mal, je prends, comme ça j'ai la paix. » (Thierry)
65L’activité de lèche-vitrine est perçue comme une activité en elle-même consommatrice de temps, qui peut apparaître, soit comme un plaisir pour certains, soit comme un véritable « cauchemar » (Albert) pour d’autres, qui éviteront au maximum ce type de pratiques. Il ne s’agit plus à proprement parler d’une ‘course-promenade’, mais d’une séance de « repérage » (Françoise) agrémentée du « plaisir de la comparaison et de la tentation » (Sophie). De ce fait, l’activité de « lèche-vitrine », pour ceux qui l’apprécient, est peu compatible en semaine avec des activités professionnelles à temps plein, si ce n’est lors de moments interstitiels tels que le temps de midi.
« Le week-end par exemple, je prends le tram et au centre-ville, je n’ai pas de problème. Je vais contempler les magasins. » (Jean-Paul)
« J’ai eu l’amère expérience cette année, en étant en stage, du métro-boulot-dodo. C’est-à-dire que tu n’as aucune faille dans ton horaire, que tu ne peux pas faire un saut pour faire du shopping, au centre ou n'importe où. Donc, cette année, c’est plutôt mort au niveau shopping. » (Nicole)
66Ces séances trouvent généralement leur aboutissement dans la période des soldes qui sont fréquemment évoquées lorsque les interlocuteurs font référence à l’achat de vêtements. D’autres interlocuteurs n’évoquent pas du tout ce type de comportement lors de l’achat de vêtements et considèrent ceux-ci sous le mode de l’achat spécifique et nécessaire.
Felice : « J’ai acheté cinq pantalons d’un coup (...) »
Anne : « On fait peu de courses de vêtements. On va dire que si on fait deux heures de courses par saison, c’est beaucoup pour toute la famille. On achète des vêtements tous les deux ans en gros. Et les enfants, c’est toutes les saisons. »
Perceptions de l’espace et dispersion des achats
67Les types de perceptions de l’espace élaborés dans le chapitre deux permettent de structurer les observations concernant la dispersion spatiale des achats.
68Les individus les plus « localistes » confirment leur « rapport à l’espace » dans leurs activités commerciales. Marta et Djamel limitent ainsi leurs achats à leur quartier, qui dispose à sa périphérie d'une grande surface où les achats s’effectuent de manière régulière.
69On observe également les déclinaisons localistes propres à l’étape du cycle de vie caractérisé par la responsabilité d’enfants en bas âge. La proximité des achats est ainsi souvent valorisée, que ceci soit dû à la gestion des rythmes et de la fatigue de l’enfant, ou aux difficultés liées aux déplacements que nous avons décrites plus haut. Cette étape du cycle de vie est clairement identifiée par les mères qui souvent expliquent combien la dispersion antérieure de leurs aires de consommation a été réduite à l’arrivée des enfants.
« J'avais mes habitudes dans les magasins en ville, mais c’est trop compliqué, alors j’ai découvert le quartier. » (Sophie)
70La perception de l’espace « en zones » est clairement exprimée par Rachid lors de ses achats. Il signale l’importance d’identifier, à ses yeux, les espaces de commerces ethniques dans lesquels il pourra trouver les produits de consommation qui ne sont pas diffusés dans sa grande surface locale. Cette perception rejoint celle d’autres interlocuteurs qui identifient des « zones » autres que celles de leur quartier dans lesquelles ils pourront trouver les vêtements ou les meubles qu’ils désirent.
« Il y a des choses qui me manquent ici, que je trouve par exemple à Ixelles, que je trouve à Schaerbeek. J'y vais au moins deux fois par semaine. Malgré les courses qu’on fait ici, il y a certaines choses que je ramène de là-bas : du coriandre et des trucs que je ne trouve pas dans les grandes surfaces. » (Rachid)
71Ces zones sont perçues, comme nous l’avions déjà noté, comme étant des espaces familiers connus précédemment dans le parcours de vie. Les achats quotidiens réalisés par les « zonaux » vont souvent être exprimés comme pouvant être réalisés « en chemin ».
72Le choix de la zone valorisée pour tel ou tel achat va aussi dépendre du cycle de vie. Marlène explique ainsi que ses enfants, déjà adolescents, restreignent économiquement ses possibilités d’achats. De ce fait, le choix des zones en fonction de l’objet désiré dépendra des caractéristiques économiques de ce « territoire ».
« Mais maintenant, de plus en plus, j’essaye de tout trouver à proximité, ce qui est très récent aussi, parce qu'avant, on habitait dans le centre-ville au-delà de la place Sainte-Catherine. Pendant très longtemps, on a gardé le réflexe d’aller au centre pour faire des courses, ou m’acheter des vêtements. » (Marlène)
73La perception de l’espace sous forme « multi-centrale » se retrouve dans l’identification et l’usage de commerces multiples dispersés spatialement. Pour Nathalie par exemple, les courses peuvent ainsi être réalisées aussi bien près du domicile que du travail. La récurrence des commerces sélectionnés lui permet, dans ce cas, de gagner du temps.
74Enfin, l’étendue est clairement identifiable chez la plupart des personnes pratiquant les courses de manière interstitielle. Ceci ne signifie pas qu’il n’existe pas pour ces individus une « grande surface » de référence où ils vont plus ou moins régulièrement faire leurs courses, mais cette attitude n’est pas celle qui structure leurs pratiques de consommation. Ce qui est remarquable dans leur récit, c’est le fait qu’ils mettent en avant l’opportunité tant spatiale que temporelle de réaliser leur ravitaillement ou leurs autres achats.
Consommation et modes de transport
75Par l’éloignement du centre qui caractérise les grandes surfaces périphériques, les « courses » qui s’y effectuent sont fréquemment liées à la disponibilité d’une automobile. Si certains interlocuteurs peuvent se passer de ce type de transport, tous signalent cependant l’intérêt d’avoir la possibilité de disposer de temps en temps d’une voiture en prêt afin de faire le stock de produits trop volumineux ou pondéreux.
« Les courses, c'est soit le vendredi soir, soit le samedi. Le magasin est à 100 mètres, mais il faut avouer que si on y va tous les trois, on y va en voiture. Ca nous fait marrer mais... nous, on la prend, parce qu’il y a les sacs. » (Maude)
76L’usage de la marche à pied est valorisé pour les achats locaux – pour autant que les biens ne soient pas trop encombrants – ou lors d’activités de shopping. Hors de l’espace local, la voiture semble, encore une fois, particulièrement valorisée et la présence d’un coffre est, dans ce cas, mise en exergue. D’une part, le coffre permet le transport d’objets encombrants et permet au consommateur de jouir immédiatement du bien qu’il vient d’acheter sans attendre une livraison ultérieure. D’autre part, le coffre permet de multiplier les petits achats dans différents commerces, sans que le client ait à transporter les biens achetés d’une boutique à l’autre.
77Si le recours aux transports en commun peut être valorisé pour le shopping ou pour des achats non alimentaires, cet usage est clairement rejeté pour les courses alimentaires par plusieurs interlocuteurs et ce pour deux raisons. La première relève sans doute d’une perception de l'hygiène alimentaire ou, à tout le moins, d’une norme de comportement propre aux transports publics.
« Si je veux acheter à manger. Je ne sais pas, je ne vais pas aller dans le métro avec des fromages et des trucs comme ça. Ça, je ne pense pas. J’aurais plus l’idée d’aller les mettre dans mon coffre avec les autres paquets. Quand tu vois les gens dans le bus, dans le métro, je n'ai pas l’impression de les voir souvent avec des sachets de nourriture. J’ai l’impression de voir un sac INNO, FNAC et pas des poireaux. » (Marlène)
78La seconde raison met en avant la difficulté à intégrer des achats alimentaires dans une chaîne d’activités complexe réalisée en transport en commun.
« Il m’arrive d’avoir trois rendez-vous, dans trois endroits de Bruxelles différents, que je parcours en tram. Si mon premier rendez-vous me permet de faire des courses et pas le troisième, je ne vais pas me trimbaler avec les courses toute la journée. C’est ça aussi, quand tu as une voiture, tu peux l'utiliser comme zone de stockage ! Quand tu es en tram, tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas débarquer à un rendez-vous professionnel avec ton poulet, ou je ne sais pas. Donc le tram ce n’est pas génial pour ça. » (Maude)
4.3. Relations amicales et déplacements
79L’enquête MOBEL (Hubert et Toint, 2002) montre que près d’un quart des déplacements ont pour motivations « les visites », « les loisirs », « l’accompagnement » ou encore des « affaires personnelles ». Nous avons choisi d’approcher ces motivations au travers des relations amicales qui peuvent les susciter. Les temporalités de ces relations présentent la particularité d’être nettement plus « plastiques » que celles relatives aux activités de consommation ou aux activités professionnelles. Les contraintes qui structurent ces temporalités reposent d’abord sur le souhait – et/ou le besoin socio-affectif – de maintenir une relation à l’autre, ainsi que sur les formes de normativité relationnelle que les acteurs mettent en œuvre. De ce fait, les rythmes et la densité des relations peuvent être très divers d’une personne à l’autre. Cependant, l’organisation de la coprésence étant au cœur même de la construction des socialités, nous ne pourrons prétendre, dans notre cadre de recherche, dépasser une esquisse de quelques grands traits intervenant dans les compositions temporelles propres aux relations sociales des acteurs tels que nous avons pu les observer dans notre matériau.
« Le passage à l'improviste » : une observation paradoxale
80Un premier élément surprenant apparaît à l’analyse rigoureuse des interviews. Les attitudes temporelles décrites dans le chapitre deux semblent moins pertinentes pour comprendre les modes d’organisation des relations amicales. D’une part, les personnes a priori les plus rigides quant à leur organisation horaire (« routiniers » et « planificateurs rigides ») sont celles qui expriment le plus massivement le fait que les passages « à l'improviste » chez l’un ou chez l’autre, font partie de leur mode de relation amicale. D’autre part, les « réactifs » sont les plus nombreux à signaler des formes de régularité dans les rencontres amicales ou le recours spontané à l’agenda ce qui est moins surprenant – pour fixer une rencontre personnelle. Ces paradoxes apparents s’expliquent aisément grâce aux formes de socialité.
81Remarquons tout d’abord que les « planificateurs rigides » et les « routiniers » mêlent aisément le discours sur les relations familiales aux propos portant sur les amis. Les modes de relations semblent dans ces cas du même ordre, ils se réfèrent à des liens évoquant la relation communautaire. De ce fait, là où le passage à l'improviste pourrait apparaître comme une perturbation des rythmes réguliers, il n’en est rien car la proximité sociale fait que : « on connaît ses horaires, les uns, les autres, donc on sait très bien que si on a envie... » (Clara). Le passage à l'improviste ne se réalise dès lors que dans les plages de temps socialisées qui le permettent. Dans ce cas, la structuration collective du temps est encore forte et ne nécessite pas de coordination interindividuelle autour d'un agenda.
Interviewer : « L’agenda, vous ne l'utilisez jamais pour la visite ? »
Sandro : « Jamais, je trouve ça complètement débile. Non, même ici [au travail] je vais dire, par la force des choses, j’ai dû utiliser un agenda, je me suis habitué. (...) Après, j’ai des petits agendas, si je vais chez, le médecin ou si j’ai une réunion pendant mes heures de boulot, ce genre de choses-là (...), mais pas pour aller voir des amis. C’est complètement fou cette chose-là. »
82Il s’agit bien ici d’une relation de proximité affective où la rencontre de l’autre ne suppose pas la mise en œuvre d’une présentation de soi particulière : « Quand il y en a pour cinq, il y en a pour six. » (Lucie)
83À l’inverse, l’attitude des « réactifs » qui insistent sur l’importance de la prise de rendez-vous sur la base de l’agenda ou de rencontres régulières se comprend d’autant plus aisément que, pour eux, les contacts sociaux nécessitent une mise « en forme » de la relation et donc l’anticipation de la rencontre afin de s’y préparer.
« On est prévenus, enfin la plupart du temps on n’a pas ce qu’il faut à la maison. C’est : ‘Ah qu’est-ce qu'on va faire maintenant ?’. C’est un peu dans ce sens-là, on n’est pas toujours préparés pour. (...) Quand il y a une personne qui vient ou bien une autre, ce n’est pas notre style, on aime bien être prévenu si on vient. Et dans l’autre sens aussi. Si on va quelque part, on aime bien prévenir les gens. Comme ça, ils peuvent se préparer aussi. » (John)
84Cela ne signifie pas que les « réactifs » ne déclarent pas « passer parfois à l’improviste », mais dans ce cas, l'expression suppose, chez eux, un accord pris au préalable par téléphone.
Interviewer : « Est-ce que ça arrive que des connaissances passent à l’improviste à la maison ? »
Valenda : « Ca m’arrivait très souvent. J’appréciais, ça me faisait plaisir de voir des gens et de dire : ‘Voilà, tiens, passe un petit coup de téléphone’ et dire : ‘tiens est-ce que vous passez demain soir ?’‘Oui, à partir de 8 heures 30’. »
85Cet accord préalable, qu’il s’effectue via le téléphone ou par l’inscription à l’agenda, favorise également la maîtrise par l’acteur du moment et de la fréquence de l’interaction. De ce fait, les diverses relations sociales peuvent être aisément segmentées, ce qui permet à l’acteur d’éviter le recouvrement de rôles différents en un même espace-temps, qu’il risquerait de devoir assumer si la coprésence de diverses relations lui était imposée. En retour, l’autonomie temporelle intrinsèque à cette volonté de maîtrise individuelle du temps garantit à l’acteur un maximum de liberté quant à sa capacité de réactivité aux opportunités qui pourraient se présenter à lui. Ainsi, la volonté de maîtrise temporelle, à la fois, constitue un indicateur et résulte de l’individuation du temps.
86Paradoxalement, la volonté de maîtriser le temps, associée à la volonté d’assumer une diversité de relations susceptibles d’opportunités potentielles et d’expressions multiples de soi, conduit à la démultiplication des contraintes horaires. Avec la facilité de contacts immédiats conférée par les technologies de communication, l’acteur « réactif » n’a « plus de temps ».
87Si l’usage du téléphone est fréquent pour synchroniser les activités d’acteurs susceptibles de ne pas partager les mêmes horaires d’activités, il prend également sens dans une logique de maîtrise de l’espace. Le passage « à l’improviste » est aisé lorsque les espaces parcourus sont communs. Inversement, l’appel téléphonique permet d’assurer la présence d'alter lorsque la rencontre inopinée nécessite un déplacement spécifique. Le passage à l’improviste, sans prévenir d’aucune manière, suppose ainsi une proximité spatiale qui correspond peu au vécu de l’espace des « réactifs » dont la perception spatiale s’effectue sous forme d’étendue5.
« Il n'y a pas vraiment de rencontres spontanées. Ce n'est pas impossible, mais c’est rare quelqu’un qui passe par surprise. Ca arrive mais c’est rare... et moi qui passe par surprise chez quelqu’un... Tout le monde est très occupé et... On n’a pas tant d’amis qui vivent assez près. Donc, pour avoir une chance de tomber les uns sur les autres, on se donne des rendez-vous. » (Sophie)
88L’anticipation du rendez-vous naît ainsi des distances spatiales et de la multiplication des contraintes horaires issues, entre autres, et renforçant des logiques d’individuation propres à la modernité. L’individualisation des temps sociaux conduit les enfants, par exemple, à avoir un programme séparé des activités des parents. De ce fait, prendre rendez-vous pour une rencontre en famille n’est pas aisé et ce d’autant plus s’il faut prévoir un temps de déplacement lié à la distance à parcourir pour répondre à l’invitation.
« C’est de plus en plus compliqué maintenant de faire quelque chose dont tout le monde a envie avec nos amis. S’ils ont des enfants du même âge, les enfants nous accompagnent. Sinon, on laisse les enfants un peu à eux-mêmes ou bien chez leurs amis. Ils ont aussi de plus en plus leur programme. Parce qu’on a calqué tout sur leur programme, il reste peu de place pour l'improvisation. Donc, c’est vraiment arrangé. (...) C’est quand même souvent aussi parce que nos amis ne sont pas spécialement tous concentrés près de chez nous. Je veux dire : il faut quand même se déplacer. » (Bernadette)
89Par ailleurs, quelques personnes interviewées, d’origine africaine, se voient dans l’obligation de combiner des normes temporelles « belges » qui reposent sur la volonté d’organiser le temps et une temporalité vécue comme extérieure à la maîtrise humaine dans leurs cultures d’origine.
« Vous savez la notion de rendez-vous, elle est un peu étrangère à la culture africaine. Parce que chez nous, nous assimilons un rendez-vous à un accord. Et chez nous, nos demeures sont des demeures de Dieu, parce que le visiteur est un envoyé de Dieu. Chacun peut venir quand il veut chez nous et il partagera avec nous tout ce qu'il trouvera. (...) Je suis très patient, mais je suis très ponctuel. Si tu me donnes rendez-vous à 14 heures 30 et que tu arrives à 14 heures 40, j’ai déjà programmé autre chose. Parce que j’ai appris à apprivoiser le temps à la belge. Chez nous, tout est vie, tout est mouvement. Le temps, c'est le temps, chaque chose aura lieu quand Dieu le voudra. Même s’il faut programmer les choses. (...) Exemple. Je dis à mes enfants : ‘À 20 heures, vous allez vous coucher, parce que vous vous réveillez à 6 heures du matin, ça va vous faire dix heures de sommeil. Comme ça, quand vous vous réveillerez, vous serez en pleine forme’. En Afrique, j’aurais dit ça du vivant de mon père, il m’aurait simplement dit : ‘Il ne faut pas terroriser ces enfants, ils dormiront quand ils voudront, et tu les réveilleras quand Il voudra et comme Il voudra’. » (Mamadou)
Quand peut-on se voir ?
90La rencontre des amis nécessite une forme d’économie du temps pour trouver les plages horaires qui permettent d’établir le mode de relations souhaité, que cela soit une simple rencontre à domicile ou la participation à une activité commune. Cette économie du temps est d'autant plus complexe qu'il y a d’individus, de groupes et de « niveaux de relations » à coordonner.
« Imagine la situation où on travaille tous les deux. On arrive au week-end, on a deux jours pour se voir à temps plein. À part ça, on a vingt jours de congé. Donc, on a deux jours pour se voir à temps plein. Sur ces deux jours, on doit faire les courses, ça prend déjà, je ne vais pas dire une demi-journée mais presque. Ensuite, il faut aller voir un peu les parents et les beaux-parents. Les beaux-parents dans notre cas, ça prend une journée entière. Donc ça me fait tout un dimanche. (...), on essaie d’y aller tous les quinze jours, trois semaines. Le reste du temps, il faut entretenir la maison, il faut... Tu as une série de choses à faire. On pourrait très bien s’organiser autrement, mais c'est vrai que finalement, ça fait cinq ans qu'on est mariés... Au début on recevait un peu plus souvent des amis le soir à la maison, ou on allait à gauche et à droite. Mais, une fois qu’on a des enfants, c’est difficile de se déplacer. » (Danièle)
91Dans cette « économie du temps », le rythme hebdomadaire « semaine/week-end » reste très présent dans le discours des personnes interviewées. Voir des amis en semaine, le soir, ne se réalise généralement que dans le cadre d’activités régulières (activités sportives, la soirée réservée hors du couple pour voir ses ami(e)s. La raison la plus souvent évoquée pour justifier cet état de fait est la nécessité de répondre aux exigences horaires du travail.
« Hier, des gens sont venus à l'improviste, ils sont restés chez moi jusqu’aux petites heures. Sans penser que le matin j’allais au travail. Mais j’ai supporté. (...) Ce n’est pas agréable. Surtout quand on se lève très tôt le matin pour aller au travail. Mais on supporte parce que c’est une coutume, c’est comme ça. » (Jean-Paul, d’origine africaine)
92Le travail demeure ainsi un élément structurant du temps collectif, comme le montrent également, au niveau des déplacements, les heures de pointe. Dans le cas des « réactifs », le travail peut même devenir envahissant. Valenda déclare ainsi avoir peu de temps pour recevoir le soir, ses soirées étant souvent occupées par des activités de représentations imposées par son employeur en sus de ses journées de travail.
« J'ai déjà tellement d’obligations et de soirées de travail que je préfère aussi souffler quand j’ai envie. Je suis chez moi, mais c’est au détriment d’autres choses. Donc, nous n’avons plus vraiment de cercle d’amis. » (Valenda)
93En semaine, la journée professionnelle peut cependant être un moment propice pour la rencontre amicale. Ces rencontres s’effectuent alors dans les interstices de temps libre laissés par le travail. Tout se passe en effet comme si, pour certains, l’ensemble de la journée était dégagé des contraintes domestiques. De ce fait, les interstices libres rendent possibles des rencontres qui seraient plus complexes à mettre en œuvre dans un autre cadre.
« Les gens que je vois le midi, c'est des gens avec enfants... Pour trouver un agenda commun, ce n'est pas du tout évident et bon c’est souvent plus facile avec des copains d’aller faire un truc sur l’heure de midi. » (Albert)
94Le week-end – du vendredi soir au dimanche soir – reste toutefois le moment privilégié pour rencontrer les proches et les amis. Il permet à la fois de libérer de longues plages de rencontre si cela est souhaité et est généralement moins contraint par le travail.
95Outre les contraintes liées à « l’économie du temps » telles que les décrivait Danièle, les contraintes principales entendues lors des interviews relèvent à la fois de la résistance physique liée à la fatigue, du coût économique de l’éventuelle baby-sitter et de la synchronisation des rythmes des membres du ménage.
(À la question de la fréquence à laquelle ils voient leurs amis) : « Je veux dire un peu trop même à la limite. Là avant qu’on parte en vacances, on était vraiment fatigués. Donc, on voit beaucoup, beaucoup... On devrait plutôt refuser parce que si on fait deux-trois fois pendant la semaine, et bien il est minuit, 1 heure, et pendant la semaine on est quand même réveillés tôt et pendant le week-end on est aussi réveillés tôt. On a deux enfants donc... on essaye de gérer un minimum mais disons que pour le moment on sort plutôt trop que trop peu. Malheureusement en mordant un peu sur notre santé. » (Anne)
Qui voit qui et comment ?
96Nous pouvons distinguer trois modes de rencontre parmi les personnes interviewées ayant des enfants : la rencontre en famille, en couple ou solitaire. La dernière formule privilégie les relations personnelles de l’individu. Dans nos interviews, il s’agit généralement de relations d’amitiés professionnelles ou de relations antérieures à la constitution du couple qui ne supposent pas nécessairement que le conjoint connaisse personnellement ces relations.
« On a fait vraiment une séparation entre les amis professionnels et les ‘amis en dehors’. Parce que les ‘amis en dehors’ ce sont des gens qu’on connaît de l’école de mon fils, de différents côtés. Il n’y a aucun ‘overlap’ entre les deux. On a toujours séparé – et on réussit toujours à le faire – les amis professionnels des autres amis... Ma femme ne connaît personne au boulot par exemple. De nom oui, mais elle n’a jamais rencontré ces gens. » (John)
97La rencontre « en solitaire » ne pose pas de difficultés temporelles spécifiques si ce n’est la coordination des deux membres du couple, afin d’assurer la garde des enfants. Ce type de rencontre peut aussi aisément trouver place dans les interstices de la journée de travail comme nous l’avons vu ci-dessus.
98À l’inverse, la rencontre en famille présente plus de difficultés car elle nécessite d’anticiper les besoins des enfants – et en particulier leurs rythmes (repas, repos...)-lorsqu’ils sont jeunes, et de coordonner des horaires individualisés lorsqu’ils grandissent.
« Aller chez des amis ou la famille, on évite souvent. Par exemple, on ne va pas chez mon oncle ou les cousins à cause des enfants parce que ce n’est pas facile. Il faut regarder les horaires pour ne pas rentrer trop tard, parce que pour eux [les enfants], le moindre changement, ça les dérègle. S’ils vont dormir trop tard aujourd’hui, le matin, pour qu’ils rattrapent leur horaire naturel, c’est très difficile. » (Djamel)
99De plus, comme nous l’avons vu précédemment, les déplacements liés à ce type de rencontre, nécessitent toute une logistique liée au bas âge des enfants. De ce fait, le confort des rencontres à domicile est souvent valorisé et les familles rencontrées préfèrent souvent recevoir à domicile plutôt qu’avoir à se déplacer.
« Allez, le dernier exemple ce sont des amis qui nous téléphonent pour aller chez eux... Finalement, nous on propose : ‘Non, venez chez nous de préférence, parce que bouger le petit ce n’est pas... Venez, comme ça, nous, on fait quelque chose’. Finalement ce sont eux qui ont préparé tout ; pas préparé, au moins ils ont acheté et apporté... et on a fait la cuisine ici. » (Rachid)
100Enfin, les sorties « en couple » nécessitent d’assurer la garde des enfants. Elles enjoignent donc la coordination avec une tierce personne, issue ou non de la famille et assurant le rôle de baby-sitter. Cela demande une anticipation plus grande encore des rencontres et donc moins de souplesse.
« En moyenne, plutôt chez l’un, chez l'autre, mais on essaye souvent d’organiser des choses en dehors. Mais là, c’est beaucoup plus difficile de l’organiser le jour même, il faut s'arranger Il faut prendre un arrangement des deux côtés, pour trouver une baby-sitter etc. dans la même journée, pour un spectacle, un plan et tout ça. Il faut que ça soit organisé à l’avance. » (Felice)
101Ces situations sont, bien entendu, composites, l’exemple le plus frappant étant celui de Nathalie qui intègre à la combinaison de ses deux types d’attitudes temporelles6, les moments où elle peut rencontrer ses amis.
« Les amis savent que quand on a les enfants, on ne peut pas les recevoir. Donc, on s’adapte un petit peu en fonction de ça aussi. Et quand on n’a pas les enfants, pour les amis qu'on voit régulièrement, c’est un petit coup de fil, on se voit le soir de manière un peu improvisée. » (Nathalie)
102Le cycle de la relation amicale impose également, pour certains, des règles temporelles différentes. Sandro explique ainsi que les « nouveaux amis » sont invités par rendez-vous. Cette étape dans la relation nécessite de la ponctualité alors que les anciens amis, proches, peuvent passer « à l’improviste » ou, si un rendez-vous est fixé, ils n’ont pas à veiller à respecter une norme horaire.
« Les nouveaux amis, on essaie d’être bien. Bon, on ne connaît pas leurs habitudes. Donc on essaye quand même d’arriver plus ou moins à l’heure. Les vieux amis, on va dire, ou la famille, (...) il n’y a pas vraiment d’horaires style : ‘il faut que vous soyez là à 16 heures pile’. On dira : ‘Venez vers 16 heures’. (...) La famille très proche vient peut-être un peu avant, mais sinon les autres, c’est peut-être 16 heures 30. On ne leur en veut pas. » (Sandro)
103Le cycle de vie influe également sur le cycle des relations amicales. L’arrivée des enfants et les cadres temporels qui s’ensuivent (rythmes, horaires scolaires, activités...) rendent plus aisé le maintien de relations avec d’autres parents d’enfants d’âge similaire, qu’avec des connaissances demeurées sans enfant. La disponibilité horaire, que ce soit pour répondre rapidement à une proposition d’activité, pour veiller tardivement, ou pour prendre des vacances en commun, n’est plus identique. De ce fait, le maintien des relations est rendu difficile.
« C’est assez marrant au niveau des amis, on se rapproche beaucoup plus des amis qui ont des enfants et qui ont la même vie que nous. » (Anne)
« Mais on remarque aussi que des gens qui n’avaient pas d’enfants il y a deux ans, et qui maintenant en ont, par exemple, on les côtoie plus. Pas parce qu'on cherche à les voir, mais parce qu'inévitablement, on a des vies plus similaires et, par exemple, là où avant on aurait été à la mer, on va peut-être aller se balader avec les enfants et par là, rencontrer d’autres. » (Felice)
Relations amicales et modes de transport
104En ce qui concerne l’usage des modes de transport pour les rencontres amicales, la voiture, par sa souplesse, domine l’ensemble des discours. Les rencontres amicales sont peu propices à des horaires définis à l’avance, l’automobile permet ainsi aisément d’allonger ou de raccourcir la rencontre au gré des souhaits. La structure horaire des transports collectifs est à ce sujet plus contraignante.
« On a déjà été invités à des week-ends ou à des soirées dans les Ardennes. L’idée de me retrouver coincé, c'est ennuyant... L’idée de ne pas pouvoir en sortir, l’idée du guet-apens me ferait peur. Donc, tant qu’on peut s’en sortir, on dit : ‘bon ici c’est embêtant, le rôti est mauvais, on va se tailler, ou parce que la baby-sittter est trop jeune...’ On va le faire. Mais si on est coincés là-bas... » (Albert)
105Les transports collectifs présentent cependant des avantages, plusieurs fois évoqués. Ils permettent de ne pas avoir à se soucier du parking ou du degré d’alcool consommé par exemple.
« Pour le nouvel an, on va chez des amis à Uccle. On a la voiture, mais Marc m'a dit : ‘écoute, moi, j'ai pas envie de prendre la voiture. On va passer la soirée cool, sans surveiller ce qu'on boit et on rentrera en taxi ou en tram ça dépendra’. Donc, ce n'est pas parce qu'on a la voiture, qu'on la prend de manière systématique. » (Maude)7
« C’est déjà arrivé exceptionnellement qu’on prenne le tram en se disant ; ‘on ne saura pas se garer’, ‘c’est direct’ ou des choses comme ça. Mais ça a des inconvénients, du genre : tu dois faire attention au dernier tram et tout ça. C’est vrai que la voiture c’est un confort, quand même. » (Sophie)
106Plusieurs interviews relatent également le fait que les transports en commun peuvent être utilisés pour se rendre au rendez-vous, les personnes étant raccompagnées en voiture au retour ou prenant un taxi.
« François, par exemple, on va beaucoup chez lui. Parfois, on va le chercher en voiture. Il vient aussi en tram quand c’est la journée. Alors, on le ramène par exemple. » (Nathalie)
107De ce fait, la personne dépendant des transports en commun, dépend également de la relation d’amitié qu’elle développe pour s’assurer le retour au domicile. Or, ce qui peut être demandé à une étape du cycle de vie ne semble plus aussi simple à d’autres étapes. Tout se passe comme si « l’autonomie modale » devait être assurée à partir d’un certain âge.
« Avant (d’avoir la voiture) ce n’était pas aussi facile, on devait toujours compter sur quelqu’un pour nous ramener, c’était lourd. Tu as 18 ans, 20 ans : ok. Tu as 25 ans ce n’est pas drôle de dire ‘tu peux me ramener ?’. C’est gonflant, tu as envie de rendre la pareille aux autres ! Mais je remarque aussi que si tout un groupe d’amis doit aller quelque part, dans la mesure du possible, on essaiera d’optimiser... qu’on soit plus dans la voiture. » (Maude)
108Le taxi est un mode souvent évoqué par les personnes interviewées lors de la description de leurs déplacements relationnels. Son coût, perçu comme élevé, diminue la fréquence de son usage. Il présente cependant l’avantage d’être une solution souple de remplacement face aux contraintes des transports en commun et permet de pallier à l’absence de voiture. Cette dernière reste le mode de transport valorisé car, outre sa souplesse horaire et sa capacité de transporter la logistique indispensable aux enfants, il permet l’accès aux espaces peu connus ou mal desservis par les transports collectifs.
« Le fait d’avoir une voiture, ça a changé beaucoup dans nos loisirs, et beaucoup plus qu'on ne l’imaginait. Ça te permet de faire des choses beaucoup plus spontanées. Quand tu n’as-pas de voiture tu dois t’organiser, travailler avec le groupe, tu dois faire marcher une sorte de solidarité, d’organisation différente. Maintenant qu’on a une voiture, on voit beaucoup plus d’amis, on se déplace beaucoup plus facilement. Ça nous a donné une liberté plus grande, d’aller vers les gens ! » (Maude)
« S’il faut aller jusqu’à Woluwe ou quoi, on prend ma voiture. On ne va pas s’embêter à prendre le métro. À la limite même, je pense que s’il était gratuit pour tout le monde, on ne prendrait pas le métro pour se rendre chez des amis, pour rentrer des fois à minuit, une heure. » (Lucie)
Conclusion
109Ce quatrième chapitre nous a permis d’identifier diverses dimensions temporelles relatives aux déplacements avec les enfants, aux courses et aux relations amicales. Ces dimensions informent les politiques de déplacement tant du point de vue du report modal au cours du cycle de vie que de l’organisation quotidienne de l’offre de transport.
Mieux prendre en compte les étapes du cycle de vie
110L’arrivée d’un enfant dans un ménage opère une rupture dans les habitudes de déplacement. La liberté de mouvement – à tout le moins celle de se déplacer rapidement – est souvent restreinte par le rythme de l’enfant. Se déplacer avec lui nécessite une anticipation plus grande des aléas de ce déplacement, tant au niveau de celui-ci que de l’activité que le déplacement doit permettre. Il s’agit généralement de prévoir les éléments de logistique (poussette, repas, jouet, lange de rechange, etc.) qui assurent le confort de l’enfant et sa sécurité. Cette « logistique » est souvent pondéreuse et encombrante, ce qui ne favorise pas l’usage des transports collectifs. Pour sa part, l’infrastructure des transports collectifs est décrite par les parents comme ne favorisant pas suffisamment les déplacements avec enfants : les difficultés liés à la présence d’escaliers ou d’escalators dans le métro, l'accès aux bus et aux trams, le manque de places assises assurées, l’encombrement des véhicules aux heures de pointe, le peu de confort des arrêts de surface lorsque les conditions climatiques sont peu propices à la sortie ou leur manque de sécurité pour assurer une surveillance constante de l’enfant en bas âge, constituent autant d’éléments qui dévalorisent l’usage du transport public, même aux yeux de parents qui en étaient jadis des adeptes.
111Pour ces multiples raisons, la voiture est considérée par la plupart des parents comme le mode de transport le plus adapté au confort et à la sécurité de l’enfant. Même pour les plus réfractaires d’entre eux, l’arrivée d’un enfant correspond dès lors souvent à l'achat d’une automobile. On peut le constater et le regretter. On peut aussi s’interroger sur les manières de rendre le transport collectif plus « amical » avec les enfants et leurs parents. Des améliorations peuvent être apportées à l’infrastructure existante et beaucoup est déjà entrepris dans ce sens, même si cela nécessite du temps et des moyens importants (installation d’ascenseurs dans les stations de métro, nouveaux trams et bus à larges portes et planchers surbaissés...). Certaines mesures doivent sans doute encore être prises, par exemple pour améliorer le confort et la sécurité aux arrêts de surface (ce qui passe aussi par une amélioration de la fréquence de passage, enjeu beaucoup plus large encore). L’on pourrait également s’inspirer de ce que le monde automobile a réalisé de mieux. Les stations d’autoroutes, par exemple, proposent une multitude de services « nurseries » qui favorisent les voyages avec enfants. Ne pourrait-on imaginer des services similaires dans quelques stations-nœuds du réseau de métro par exemple ?
112Mais la réflexion dépasse la question de l’infrastructure et doit aussi s’orienter vers le service. Comment renforcer le caractère festif de l’usage des transports publics pour un enfant ? Comment valoriser la qualité du contact « parents-enfants » lors des trajets en transports publics, qualité souvent citée lors des interviews ? Comment mieux accueillir les parents avec enfants en bas âge dans les transports publics, tout en favorisant la transmission des normes informelles de partage de l’espace, afin d’éviter les frictions entre jeunes voyageurs et autres usagers ?
113Bien que ciblé sur les enfants, le type de service envisagé ci-dessus rejoint des demandes relatives à l’usage des transports publics dans le cadre des courses (cf. infra). Comment les transports publics urbains peuvent-ils favoriser la construction de chaînes de déplacements complexes ? Ne faudrait-il pas, par exemple, créer des consignes dans les stations d'interconnexions du réseau et développer davantage les commerces de proximité comme c’est le cas dans certaines gares SNCB ?
114Par ailleurs, écoles et commerces sont des acteurs disposant du pouvoir de toucher les parents d’enfants en bas âge. Ne faudrait-il pas imaginer des collaborations plus étroites entre ces acteurs et les sociétés de transport ?
115La question à se poser est non seulement celle de la recherche des possibilités de garder « en continu » la clientèle des parents avec enfants en bas âge, mais aussi celle de trouver les possibilités de récupérer les anciens usagers lorsque l’autonomie de l’enfant a commencé à s’affirmer (que ce soit une capacité de marche suffisante ou la reconnaissance d’une autonomie spatiale souvent acceptée à l’entrée dans le secondaire)8.
116L’autonomie spatiale de l’enfant n’est pas celle de l'adulte. Ce qui effraie les parents n’est pas tant l’usage régulier d’une ligne de transports collectif par l’enfant nous avons rencontré des parents laissant leurs enfants utiliser les transports publics dès l’âge de sept ans – que le peu de capacité de l’enfant à gérer l’imprévu (inattention quant à l’arrêt, panne, accident, retard...). Les parents craignent également tant l’insécurité routière sur le chemin vers les transports collectifs ce qui mène au cercle vicieux traditionnel où la peur de la route conduit à l’usage automobile – que le racket par les pairs. Sans doute serait-il possible d’imaginer des manières de rencontrer ces craintes en assurant des formes ciblées d’encadrement adulte aux déplacements récurrents des enfants sur les lignes de transport collectif (du type des APS, stewards urbains ou PTP déjà existants dans d’autres politiques urbaines).
Mieux intégrer les courses dans les chaînes de déplacement
117Les courses, autrement dit les activités de consommation et de ravitaillement, constituent une réalité ambivalente par rapport au temps. D’une part, il s’agit d’une activité relativement plastique du point de vue horaire. Elle peut être réalisée au moment où la personne le juge le plus propice dans le cadre des plages d’ouvertures offertes par les commerces (seuls les « réactifs » et les « impulsifs » expriment le souhait d'une extension de ces plages afin de mieux les faire correspondre à leurs desiderata), mais leur durée n’est pas toujours facile à anticiper car elle dépend, entre autres, des inerties dues à l’afflux de clientèle. D’autre part, il s’agit d’activités nécessitant des formes de régularité de la part du consommateur, afin d’assurer son approvisionnement en biens (régularité présentant une fréquence importante en ce qui concerne l’alimentaire mais beaucoup plus distendue en ce qui concerne les vêtements par exemple). Ces régularités, par leur récurrence, sont aisément intégrées aux activités des « routiniers » et des « programmateurs » ; elles sont plus délicates à gérer pour les « improvisateurs ».
118Le temps consacré à ces activités commerciales prend une valeur différente en fonction du sens qui leur est attribué. D’aucuns perçoivent celles-ci comme étant uniquement fonctionnelles : s’approvisionner. Dans ce cas, la fréquence importante nécessitée par l’approvisionnement alimentaire, par exemple, ou la quête incertaine d’un vêtement qui « plaît » ou qui « convient » peuvent conduire certaines personnes à percevoir les courses comme étant une contrainte dans l’organisation du temps. Il s’agit dans ce cas de « gagner du temps », de développer des stratégies qui permettent d’assurer l’efficacité du déplacement et de l’activité afin de réduire le temps qui y est consacré. Choisir le moment propice dans la semaine pour éviter les files à la caisse, anticiper la nécessité d’un achat en repérant les « bonnes adresses », etc., sont des stratégies qui correspondent à cette volonté de donner peu de temps à une activité jugée nécessaire mais peu agréable par certains. Les formules de livraison à domicile du type « caddy-home », qui pourraient être décrites comme répondant à cette volonté de réduire le temps consacré aux courses, semblent néanmoins ne pas correspondre à cette demande. Ceci s’explique par le fait qu’au-delà de la caractéristique ‘fonctionnelle’, tous associent le moment des courses à une activité de contacts sociaux nécessaires que n’offre pas le système de livraison à domicile. Certains rejettent aussi ce type de service car ils estiment que leur organisation du temps est trop mouvementée pour pouvoir déterminer à l’avance ce dont ils auront besoin et quand ils pourront réceptionner leurs achats.
119Au contraire, d’autres personnes perçoivent les courses comme un moment agréable, soit pour elles-mêmes, soit parce qu’elles sont associées à une autre activité (promenade, convivialité familiale ou amicale...). Dans ces cas, la dimension temporelle semble s’évanouir ou, à tout le moins, passer au second plan des préoccupations du client : « les heures ne comptent plus ».
120Les déplacements liés aux activités commerciales sont également de nature variable. Si le « shopping » ou la « course-promenade » familiale nécessite une forme d’errance, les « grosses courses » ou l’achat spécialisé ne supposent généralement qu’un aller-retour. La complexité d’organisation de ces déplacements et l’étendue de ceux-ci sont fortement liées au mode de transport utilisé pour réaliser les courses.
121Les transports en commun ne sont par exemple pas décrits comme étant adaptés au transport d'objets encombrants et pondéreux. Ils ne favorisent pas non plus l’inscription des achats dans des chaînes d’activités complexes associant des activités qui supposent des formes de « présentation de soi » inadéquates avec la manifestation de caractéristiques privées que les paquets ou sachets contenant les achats laisseraient transparaître. Ils sont par contre utilisés pour l’achat d’objets spécifiques ou pour des activités de shoppings dans le centre-ville. Dans ces cas, ils pallient aux désagréments liés à l’usage automobile en espace dense (bouchons, parkings...) qui pourraient connoter négativement une activité perçue comme agréable par celui qui la réalise.
122Les courses alimentaires sont rarement associées, par les personnes interviewées, au mode de transport collectif, à la fois pour leur aspect pondéreux et encombrant, mais également pour des normes d’hygiènes, de présentation de soi et d’usages collectifs appropriés de ce mode de transport. De ce fait, les personnes ne disposant pas d’automobile se voient souvent investir les commerces de quartier. Il ne s’agit cependant pas ici uniquement d’un choix par défaut. La valorisation de ces commerces participe souvent, dans ce cas, d’une attitude « localiste ». Mais ces commerces de proximité peuvent tout aussi bien répondre aux besoins ponctuels des « réactifs » et des « impulsifs » car leur proximité du domicile et leurs horaires parfois atypiques, permettent de répondre aux exigences temporelles de personnes vivant l’espace comme « étendue ». Ces dernières présentent ainsi la caractéristique de réaliser leurs achats de manière interstitielle par rapport aux activités auxquelles elles accordent du sens, et donc ne sont pas a priori attachées à réaliser leurs activités dans des lieux récurrents : la réponse aux besoins s’opère dans ce cas, ‘en situation’ que l’on soit à Bruxelles ou en déplacement professionnel.
Mieux synchroniser pratiques de sociabilité et organisation des transports
123L’analyse des informations concernant les temporalités des relations amicales nous ont permis de comprendre un paradoxe apparent. Là où les « routiniers » et les « programmateurs » apprécient recevoir à l'improviste, les « improvisateurs » souhaitent généralement recevoir régulièrement ou à tout le moins être prévenus d'un éventuel passage. Nous avons pu percevoir qu’au-delà d’une « simple » attitude temporelle, il s’agit ici du vécu des socialités qui est à l’œuvre. D’une part, chez les « routiniers » et les « programmateurs », l’organisation du temps se construit sur la base de temps sociaux, de temps partagés, qui font qu’un passage à l'improviste ne peut se réaliser que dans des plages horaires où il est le bienvenu. Cette attitude se couple souvent avec une moindre mise en scène de la relation. Il ne s’agit pas de devoir assurer une présentation de soi particulière pour la personne qui passe à l'improviste et qui est nécessairement familière.
124Les « improvisateurs », par contre, souhaitent maîtriser leurs relations sociales afin d’assurer la coordination de leurs multiples activités, d’une part, et d’éviter le recouvrement de rôles différents en un même espace-temps qu’ils risqueraient de devoir assumer si la co-présence de diverses relations leur était imposée. En retour, l’autonomie temporelle intrinsèque à cette volonté de maîtrise individuelle du temps garantit à Facteur un maximum de liberté quant à sa capacité de réaction aux opportunités qui pourraient se présenter à lui. Ainsi, la volonté de maîtrise temporelle constitue à la fois un indicateur et un résultat de l’individuation du temps.
125Paradoxalement, la volonté de maîtriser le temps, associée à la volonté d’assumer une diversité des relations susceptibles d’opportunités potentielles et d’expressions multiples de soi, conduit à la démultiplication des contraintes horaires. Avec la facilité de contacts immédiats offerte par les technologies de communication, Facteur « impulsif » n’a « plus de temps ». Tout se passe comme si plus l’improvisateur désirait maîtriser le temps, moins il le maîtrise, puisqu’il se voit pris dans les contraintes qu’il a lui-même créées.
126La question du « passage à F improviste » ouvre à une interrogation plus large concernant les modes de synchronisation des acteurs sociaux. La coordination d’individus vivant des temporalités homologues facilitent leurs relations, que cela soit dans le cadre de la rencontre improvisée, comme nous l’avons vu avec les « programmateurs » et les « routiniers », ou dans le cadre d’étape identique du cycle de vie, comme nous l’avons vu avec l’arrivée des enfants dans les relations amicales.
127Cependant, en termes d’attitudes temporelles, si la coordination d’« improvisateurs » entre eux n’est déjà pas aisée, la synchronisation d’acteurs programmant leur temps ou le vivant de manière routinière avec des « improvisateurs » est encore plus délicate. Les acteurs semblent ainsi souvent pris dans des formes d’économie du temps au sein desquelles ils doivent parvenir à combiner les contraintes liées à la vie professionnelle, à leurs relations familiales, à la nécessité d’assurer leur approvisionnement, leurs souhaits d’avoir des activités de loisirs et leur propre capacité de résistance physique !
128Dans ce cadre, si le rythme semaine/week-end demeure structurant pour nombre d’entre eux et que la soirée reste un moment privilégié pour se rencontrer entre adultes, on observe cependant une individualisation des temporalités qui rend d’autant plus difficile la coordination de plages horaires différentes, que ce soit au sein de la famille ou dans les relations amicales. Dans ce cadre, nous avons pu observer la porosité des sphères d’activités humaines. Les relations amicales se glissent dorénavant, en journée, dans les interstices du temps de travail, lorsque les temps familiaux des personnes en présence ne sont pas aisément synchronisables.
129Mais les relations amicales interrogent également l’organisation des déplacements. Notre corpus d’interviews, constitué principalement de parents d’enfants de moins de douze ans, montre peu d’activités amicales réalisées en dehors du domicile. Nous pouvons également remarquer que la demande temporelle à l’œuvre dans les relations amicales est d’abord de repousser les contraintes temporelles afin de profiter au maximum du moment où les personnes sont rassemblées. De ce fait, tout mode de transport organisant une limite horaire – tel que le transport public – est perçu négativement car il contraint le déroulement de la relation. L’observation nous a également permis de noter l’existence de normes en matière de déplacement pour des relations amicales. Ainsi, d’aucuns prétendent ne plus pouvoir demander à être raccompagnés car, pour eux, ce qui se fait à vingt ans ne se fait plus à trente cinq et la relation amicale ne peut générer des contraintes trop fortes pour la personne avec qui l’on est en relation. L’autonomie du déplacement doit donc être assumée dans tous les cas. De ce fait, l’automobile, par sa souplesse (qui permet de plus l’extension spatiale du réseau amical), ou encore le taxi, lorsque son coût reste abordable ou qu’un excès d’alcool est anticipé, vont souvent être valorisés. Il ne faut toutefois pas négliger l’impact positif d’une offre de transport collectif renforcée (telle que les « bus du réveillon ») lors de moments socialement partagés (Zinneke parade, journée sans voiture, etc.)
130Face à ces modes mieux « adaptés » aux rencontres amicales, faut-il pour autant renoncer à offrir des services de transport public nocturnes ? Faut-il, au contraire, assurer une offre de nuit qui permettent de ne pas avoir à se préoccuper de l’heure du retour ? Aucune interview ne nous mentionne des fins de soirée en milieu de nuit, c’est-à-dire entre deux heures et six heures du matin. Il ne s’agit donc pas d’avoir à assurer, pour le public étudié ici, un transport nocturne continu, ni d’assurer une fréquence soutenue, mais plutôt un service régulier, correctement coordonné avec des services de taxis, qui permettraient à chacun de rentrer chez lui, en sécurité, sans contraintes de temps liées au mode de transport. Le service « Noctis », inauguré par la STIB au printemps 2007 et fonctionnant les nuits des vendredis et samedis, est-il susceptible de rencontrer ces attentes ? La qualité des itinéraires et des horaires est certainement un élément clé face à la concurrence de l’automobile et du taxi. Il semble toutefois que, pour des parents avec enfants en bas âge, les relations amicales demeurent une sphère d’activité qui incite à la disposition d’une automobile, surtout s’il faut ramener un enfant endormi au milieu de la nuit. L’offre de car sharing, à laquelle la STIB est associée, est alors sans doute plus attractive dans ce cas.
Notes de bas de page
1 La méthodologie de recherche est présentée au chapitre 2.
2 De moins en moins vrai à Bruxelles avec l’arrivée des trams 2000, 3000 et 4000.
3 Voir notre typologie au chapitre 2.
4 Pensons ici à l’importance du congélateur pour maîtriser le temps et ses aléas.
5 Cela renvoie également aux logiques de maîtrise des relations par la mise à distance spatiale dont parle Jean Remy (2005).
6 Nathalie développe une attitude temporelle de programmation stricte les semaines où elle a la garde de ses enfants et une attitude réactive les semaines où elle n’a pas cette responsabilité.
7 L’exemple évoqué ici répond à une pratique, bien implantée dans les sociétés de transport public, de gratuité tout au long de la nuit du nouvel an.
8 Nous pourrions très bien imaginer ici des opérations de marketing offrant quelques billets gratuits aux parents d’enfants de trois ou quatre ans, cette opération pouvant se faire en collaboration avec les sociétés qui distribuent des échantillons de produits dans le cadre des « boîtes jaunes et bleues », lors de la naissance et des premiers anniversaires des enfants. Une autre piste serait l’offre de voyages aux parents d’adolescents lorsque ceux-ci prennent leur premier abonnement.
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2014
De la religion que l’on voit à la religion que l’on ne voit pas
Les jeunes, le religieux et le travail social
Maryam Kolly
2018
Le manifeste Conscience africaine (1956)
Élites congolaises et société coloniale. Regards croisés
Nathalie Tousignant (dir.)
2009
Être mobile
Vécus du temps et usages des modes de transport à Bruxelles
Michel Hubert, Philippe Huynen et Bertrand Montulet
2007