12. Pratiques d’expertise et recherches en sciences sociales
Un recours assumé à l’expertise comme support d’une analyse partagée de l’action publique
p. 211-227
Texte intégral
1La réflexion présentée dans ce chapitre se nourrit d’une immersion dans diverses institutions publiques, sur une vingtaine d’années, d’une part à l’occasion d’audits en mairies (1986-1991), pendant une année chacun, et, d’autre part, en participant à deux structures régionales d’évaluation des politiques publiques (1992-2005). Les compétences que nous avions acquises dans des cadres académiques ont été présumées mobilisables par des commanditaires à la recherche d’expertises extérieures1. L’implication a donc été double : elle a relevé à la fois de l’approche organisationnelle aux fins d’accompagner l’élaboration de « plans de formation et gestion prévisionnelle du personnel » des mairies et de l’évaluation des politiques publiques dans le cadre de structures régionales ad hoc. On peut toutefois y voir comme dénominateur commun une pratique sociologique ayant pour finalité d’éclairer un même objet : l’action publique en-train-de-se-faire, dans ses différentes dimensions, y compris organisationnelles.
2Cet enrôlement sur le terrain de démarches d’expertise2 s’est situé dans des contextes particuliers, significatifs des enjeux de l’action publique territoriale depuis les années 1980. Cela a commencé en 1986 pour ce qui concerne les mairies3, en collaboration avec le Service d’éducation permanente (SEP) de l’université de Rennes 1 : on est intervenu aux temps où le Centre de formation du personnel communal (CFPC), largement décrié, s’apprêtait à laisser la place au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), effectivement installé l’année suivante. Il s’agissait pour les futurs cadres du CNFPT, le plus souvent d’ailleurs déjà en fonction au CFPC, de proposer aux collectivités territoriales, quand elles n’avaient pas la capacité d’agir en toute autonomie, des prestations nouvelles, plus pointues, plus professionnelles en quelque sorte, et ainsi d’asseoir une légitimité incertaine. Aussi, le CNFPT a-t-il subventionné assez largement des démarches de modernisation, allant de pair avec la création d’une fonction publique territoriale4. Quant à notre implication dans des démarches d’évaluation qui nous ont permis, avec des degrés d’implications variables, de suivre douze évaluations de politiques publiques5, elle s’est d’abord traduite de 1990 à 1996 par la participation à une « commission scientifique de l’évaluation », installée près d’un « comité régional d’évaluation des politiques publiques », coprésidé par le préfet de Région et le président du Conseil régional de Bretagne, puis s’est prolongée en Rhône-Alpes, de 2002 à 2005, au sein d’un « comité scientifique régional de l’évaluation » mis en place par la seule Région.
3Il faut situer ces deux types d’intervention dans un contexte d’amplification de la décentralisation, avec tout ce qu’elle a pu réclamer en termes d’élévation des compétences des agents des collectivités territoriales, de capacités partagées entre élus et cadres territoriaux, en particulier concernant le «policy-making », notamment dans des domaines plutôt inexplorés qui relevaient jusque-là, exclusivement ou de manière dominante, des services de l’État. Autant d’invitations à des va-et-vient théories/pratiques, en réponse à des attentes, celles des collectivités territoriales et/ou des services de l’État, que nous partagions comme chercheur6 : parvenir à une vision plus claire de la territorialisation de l’action publique et de ses exigences, avec tout son cortège d’enchevêtrements entre acteurs, tant « locaux » qu’étatiques, voire communautaires (l’Union européenne). En quelque sorte, l’occasion a fait le larron ; elle a suscité le recours à des interventions extérieures d’expertise, la nôtre en l’occurrence, dans des cadres collectifs : missions d’audit, commissions scientifiques d’évaluation. Il convient alors de préciser ici que ce cadre d’une « expertise distribuée », selon la formule de Jean-Yves Trépos, renvoie à « une expertise dont chacune des composantes est structurellement incomplète », ayant besoin d’autres composantes7 pour « produire le jugement attendu8 ».
4Alors que l’on a pu observer ces dernières années un accroissement des réflexions méthodologiques en sciences sociales, on voudrait pour notre part y ajouter en précisant notre démarche, moins habituelle, à l’interface entre le monde académique et son environnement administratif et politique, qui a sollicité une « institutionnalisation politique d’activités de recherche appliquée9 ». Si pour François Dubet, « l’intervention en elle-même n’a pas à être défendue. Elle est dans la plupart des cas un fait. La seule question qui se pose est celle d’en définir la nature, la portée et les règles d’objectivité10 », pour notre part, considérant le débat comme légitime, on entend articuler plus largement la réflexion autour de trois moments. Il nous paraît tout d’abord nécessaire de rapporter les objections faites depuis longtemps à ce type de participation et de préciser par rapport à cela en quoi une implication est possible. Il convient ensuite d’analyser les modalités pratiques de quelques expertises réalisées en interrogeant leurs logiques, les singularités que l’on considère positivement mais aussi les limites parfois rencontrées dans cette démarche d’expertise. Celle-ci devra enfin être rapportée, plus précisément, à la production de connaissances qui est dans une certaine mesure une coproduction de savoirs, tant de la part des agents des administrations concernées que de l’expert, en intégrant pour celui-ci la relation à la recherche.
Une contribution assumée de chercheur à l’expertise
5En France, pratiques d’expertise et recherches en sciences sociales sont souvent considérées comme exclusives l’une de l’autre. Cela est plus net encore en science politique qu’en sociologie. Assez peu de collègues, en particulier parmi ceux qui travaillent sur les politiques publiques, se sont prêtés aux activités d’évaluation de celles-ci. Ils auraient pu pourtant vérifier leurs hypothèses théoriques dans le cadre d’une approche contingente des politiques publiques, assez loin des débats plus académiques sur les « bons » modèles permettant de penser ces politiques. Par ailleurs, sans pour autant pouvoir établir une stricte relation de causalité, on peut rapprocher ce faible engagement des chercheurs en sciences sociales d’une situation de relatif échec de l’évaluation des politiques publiques11 ; cet échec nous paraît aujourd’hui patent au niveau national et, confirmant en cela de premiers constats12, assez affirmé aussi au niveau local, d’autant que l’on observe, au fil des années, des glissements, notamment sous l’influence de (grands) cabinets de conseil, en faveur d’une vision managériale de l’évaluation, où les indicateurs de performance deviennent le point nodal de la démarche évaluative13. Aussi, on voudrait, à la suite de divers travaux retraçant l’histoire des relations entre sciences sociales et État14, se situer d’abord dans une perspective plutôt macro-sociologique, pour interroger les contours d’une « morale professionnelle15 », puis, à un niveau plus micro-sociologique, continuer d’esquisser les frontières, tant déontologiques que scientifiques, des moments d’implication d’un chercheur dans l’expertise16.
La fonction recherche et les administrations publiques : des précédents
6Un nombre non négligeable de chercheurs en sciences sociales considèrent que l’implication dans le fonctionnement d’une ou de plusieurs politiques publiques nuit grandement à l’indépendance, voire à l’objectivité et donc à la scientificité du jugement ; de surcroît, outre un manquement à l’ethos scientifique, on n’en tirerait aucun profit scientifique ! D’ailleurs, « plus on tente de se rendre utile socialement, plus on devient mauvais scientifiquement17 ». Vincent Spenlehauer a explicité, tout en la critiquant, cette manière de penser et de régir moralement les activités de recherche en sciences sociales, notamment en analysant18 l’ouvrage de Michel Amiot : Contre l’État, les sociologues19, en particulier son troisième chapitre qui traite des rapports entre planificateurs et sociologues. Michel Amiot, dessinant une fresque historique et théorique de la sociologie urbaine en France, considère qu’aux temps de la France « planifiée » des décennies 1960 et 1970, les élites auraient disposé de telles capacités d’asservissement et de manipulation de la recherche en sciences sociales que le mieux pour celles-ci et le « salut professionnel20 » des chercheurs aurait été de garder leurs distances.
7Pourtant, diverses approches rétrospectives, portant sur les soixante dernières années21, relatives aux relations entre administrations publiques et recherche en sciences sociales, invitent à une analyse autrement plus nuancée. Par exemple, pour la période qui va des années 1950 aux années 1970, il n’est nullement établi que les sciences sociales aient subi la tutelle asservissante de structures étatiques comme le Commissariat général au Plan, notamment aux temps du Comité d’organisation des recherches appliquées sur le développement économique et social (CORDES22), comme la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST23), ou encore l’INSEE, notamment lorsqu’il est dirigé par Claude Gruson (1961-196724), demandeur obstiné mais assez peu entendu, de collaborations avec les chercheurs en sciences sociales, en particulier avec les sociologues25. Cette remarque vaut aussi pour divers dispositifs de commande et de financement d’études et de recherches, mis en place des années 1960 aux années 1990, au sein de certains ministères ou administrations. L’analyse historique montre aussi que la relation entre « intelligence gouvernementale et sciences sociales » est modeste et incertaine26 et passe par diverses configurations. Ces dernières peuvent être au moins tendanciellement marquées par une « ouverture aux sciences sociales » avec parfois « une asymétrie particulièrement favorable aux chercheurs », en particulier au niveau étatique, comme de 1958 à 1989. D’autres configurations sont possibles comme par exemple celle caractérisée par le «new deal de la relation administration recherche, entre autonomie et engagement » de 1981 à la fin des années 1980, ou encore celle qui traduit un infléchissement vers une montée de l’expertise et une finalisation à plus court terme des savoirs27. Cette dernière configuration est d’ailleurs plus proche des cas, plus localisés, qui sont les nôtres, et que nous voudrions maintenant préciser.
Ni servitude, ni technocratie
8On dira au préalable que l’on revendique clairement l’empirie comme méthode nécessaire de recherche en même temps que d’intervention, d’autant qu’il ne s’agit pas pour autant d’un travail empirique au sens courant : les études de cas qui appuient la réflexion n’ont en effet d’intérêt que dans la mesure où elles ont été référées à des questionnements théoriques, plus généraux. On ne manque pas d’outils, de concepts, de théories pour ce faire. Le travail de terrain se doit d’appuyer une « progression théorique », fût-elle modeste. Autrement dit, le travail d’expertise a des retombées d’autant plus fécondes que, après un détour parfois empathique à l’occasion de la réalisation de l’audit ou de l’évaluation, viendra ensuite le temps d’une certaine distanciation par rapport au champ d’analyse, au-delà du temps administratif des rapports remis. Dans le cadre d’un travail robuste, qui fait « la force des engagements faibles28 », selon l’heureuse formule de Jean-Claude Thœnig, et qui permet des extensions, il s’agit donc par un double mouvement d’« attachement et de détachement », de tenter un travail d’explicitation et de « transport des savoirs29 » qui soit susceptible d’alimenter un débat.
9Côté audits tout d’abord, on n’a pas eu ce sentiment, d’avoir été de « malins génies » guettés par l’écueil30 de l’organisation « intégratrice31 ». On considère au contraire que mettre à son agenda de recherches des opportunités relevant de l’agenda d’une administration étatique, régionale ou locale, n’est nullement contradictoire avec des objectifs plus scientifiques. Cela vaut aussi pour l’accompagnement d’évaluations de politiques publiques. Considérons même l’hypothèse d’un fort cadrage de la commande : si l’on refuse un enfermement collusif de la réflexion32, il restera possible lors de la mise en rapports du travail effectué, de faire entendre une « petite musique » particulière qui tranche, fût-ce partiellement, avec le ton habituel des rapports administratifs. En espérant ainsi accroître le degré de réflexivité et de discutabilité, chez les commanditaires et autres destinataires du rapport, il s’agit ainsi de pointer divers « problèmes33 ». Souvent un peu plus tard, il sera aussi envisageable, et souhaitable, de pousser plus loin l’analyse dans des publications académiques, et ce sans se censurer, tout en respectant toutefois l’anonymat des organisations et des individus concernés, qui ne pourra être levé qu’avec leur accord.
10On considère qu’entre les deux cas extrêmes de la servitude volontaire par rapport aux commanditaires, que l’on peut rencontrer, y compris chez des universitaires et autres chercheurs, et la posture de l’imprécateur, il y a place pour un travail qui n’oblige aucunement à se renier. Il est vrai qu’on prend un certain parti : plutôt que de décrier la situation et de la pourfendre, avec un succès d’ailleurs garanti auprès de ses pairs, on préfère plutôt montrer l’espace de jeu laissé aux possibilités d’action, en même temps que ses limites, dans la mesure où l’on s’intéresse aux processus d’échanges et aux négociations entre acteurs. Le problème n’est ailleurs pas là où le situent les gardiens sourcilleux d’une sociologie et d’une science politique académiques. Le problème serait plutôt que les chercheurs en sciences sociales sont aujourd’hui trop peu nombreux à vouloir compenser, dans divers forums et arènes, le poids des cultures techniciennes des hauts fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, en particulier, on a pu le constater, en Régions. Pourtant, le chercheur en sciences sociales apporte une capacité originale d’analyse et n’est pas toujours condamné à fonctionner à l’identique des élites technico-administratives et des bureaux d’études qui sont également concernés. Par sa situation de non-contrainte par rapport au marché de l’expertise, du moins s’il ne cumule avec une activité libérale d’expertise dont l’exigence de rentabilité peut représenter une contrainte, par l’indépendance que lui procure son statut par rapport au commanditaire, ou encore par des invitations répétées à faire respecter des règles de rigueur, de transparence, de pluralisme dans l’approche développée, le chercheur peut apporter un « plus » à l’examen de la gestion publique.
11S’il apparaît qu’à un moment donné, à la suite d’une évolution peu favorable des échanges, il ne peut plus faire entendre sa « différence » dans un forum qui lui apparaît comme trop dominé par des logiques plus administratives ou plus politiques que scientifiques, il peut toujours se retirer34. Dans notre perspective, il n’est pas entré en expertise comme il le ferait dans un ordre religieux ! Il n’oublie pas qu’il est d’abord un chercheur. Ni jouet des commanditaires ni technocrate35, le chercheur-expert peut traduire sa conception particulière de l’expertise à travers les modalités pratiques de celle-ci. C’est ce que l’on propose à présent d’examiner.
Les modalités pratiques de quelques expertises
12La maîtrise du déploiement d’une expertise par le chercheur, qui apparaît dans nos cas plus nette lors des audits que dans l’accompagnement d’évaluations de politiques publiques, est essentielle en ce qu’elle est en lien avec la production d’informations et de réflexions qui vont donner de la « chair » au travail collectif d’expertise. Celui-ci, de surcroît, peut avoir des effets d’autant plus positifs qu’il se déploie sur un temps long.
De l’audit à l’évaluation des politiques publiques : une maîtrise inégale de la démarche d’expertise
13Il convient tout d’abord de préciser la méthode que l’on a suivie lors des audits ; elle est assez différente des pratiques habituelles. Dans son livre sur la sociologie du management, Michel Villette, quand il définit l’audit, tout en reconnaissant que les définitions sont plus ou moins marquées, « au gré de l’évolution des réglementations et des normes », en privilégie une présentation comme exercice d’activités très standardisées, s’appuyant sur « un référentiel auquel la situation peut être comparée afin d’identifier des écarts ou des anomalies36 ». Dans les autres cas, il invite plutôt à parler de l’intervenant, non comme d’un auditeur, mais comme d’un « consultant » : ce dernier s’attache surtout à porter un diagnostic sur la pertinence d’un état de fait par rapport aux évolutions souhaitables de l’entreprise et aux projets des dirigeants. Dans notre cas, plus proche de la consultance, sans pour autant s’y identifier totalement, nous avons retenu le terme d’audit, non seulement parce qu’il était celui utilisé dans les appels d’offres adressés par les mairies au SEP et auxquels, avec celui-ci, nous avons répondu, mais aussi, et surtout, parce que nous l’entendions au sens étymologique : audit ne vient-il pas du latin audire, ce qui signifie « écouter » ? C’est dans cet esprit, non sans affinement d’une intervention à l’autre, que nous avons conçu pour l’essentiel et pratiqué nos activités d’audit. Les plans de formation et de gestion prévisionnelle du personnel dont nous accompagnions l’élaboration avaient évidemment pour but, conformément aux réformes législatives et réglementaires des années 1980, d’élever la qualification du personnel mais, pour nous, cela n’était possible que dans le cadre d’une réflexion plus générale et ouverte sur les modes de gestion des agents territoriaux et sur les évolutions souhaitées au sein des mairies. La démarche était aussi définie d’emblée – et ce point n’était pas négociable – comme participative, itérative, s’adressant, au fil des différentes phases de l’intervention, aux différents acteurs de la mairie (les élus, les membres de la direction générale, les chefs de service, les instances consultatives paritaires, le personnel dans son ensemble), et comme transparente, autant que faire se peut : on a veillé à ce que les rapports qui jalonnaient les différentes étapes du processus soient disponibles pour tout agent qui entendait les consulter. Cela était clairement établi à la fois par choix, que l’on qualifiera d’éthique professionnelle et personnelle, mais aussi par souci de progressivité et d’efficacité d’une réflexion dont on entendait qu’elle soit la plus partagée possible. En ce sens, le cadre de l’acte d’expertise était assez clairement dessiné.
14Intervenir, c’était aussi dans le cadre de l’expertise, apporter de l’information, faire des rappels « techniques » tant à un niveau substantiel que procédural, tels ceux relatifs à une nécessaire prise en compte de l’état des rapports sociaux et des différentes logiques à l’œuvre dans une mairie. C’était encore faire, parfois, des suggestions, mais aussi dire et écrire « des choses », fussent-elles dissonantes, tout en veillant à ne pas créer d’obstacles qui gêneraient la poursuite du processus. Par contre, on a veillé à ne pas se substituer aux décideurs.
15En ce qui concerne l’accompagnement des évaluations de politiques publiques, l’expérience que l’on a eu des commissions scientifiques nous conduit à un constat plus mesuré sur la maîtrise et l’étendue de notre implication. La commande d’évaluations dans un cadre institutionnel spécifique est insérée dans un système où logiques politico-administratives et logiques scientifiques peuvent avoir du mal à s’articuler. Cela fut particulièrement net lors de notre participation au dispositif breton. La commission scientifique avait un fonctionnement hybride lié à sa composition qui intégrait non seulement des universitaires mais aussi des hauts fonctionnaires en activité, soit dans les services d’État déconcentrés en région, soit à la tête de directions et de services du Conseil régional37 ; ces derniers pouvaient d’ailleurs être concernés par les politiques ou les programmes évalués. Certes, on s’attache initialement à la pertinence du cahier des charges, pièce essentielle de l’appel d’offres, qui précède une évaluation. Des débats existent sur la qualité technique du processus évaluatif comme sur les programmes et les politiques publiques ; ces débats ont lieu non seulement en commission scientifique mais également dans des groupes ad hoc où est suivi, au fil des mois, voire des années38, le travail des chargés d’évaluation39.
16De l’expérience de douze évaluations, nous retenons bien d’autres apports que l’on peut considérer positivement : à l’invitation des universitaires, politistes et sociologues surtout, des hypothèses de départ ont pu être réexaminées, non sans influence sur les démarches et leurs résultats. Il reste que les universitaires qui siègent dans ces structures affichées comme garantes d’une démarche scientifiquement fondée, ont parfois du mal, quand vient le temps des rapports, à persuader les autres membres de la commission de ne pas être trop politiquement et administrativement corrects, d’éviter de trop « arrondir les angles ». On a aussi échoué à obtenir que les rapports d’évaluation soient diffusés au-delà du cercle restreint des cadres des administrations concernées, auxquelles s’ajoutent, en Rhône-Alpes, les élus des deux assemblées : Conseil régional et Conseil économique et social de Région. Il est vrai que la publicité ne relève guère des pratiques habituelles des expertises ordinaires. On ajoutera qu’il est encore plus difficile de traiter de politique dans les politiques publiques… Dans ce type de structure, on est expert mais pas trop, et le chercheur peut y ressentir quelques frustrations40 !
Le recueil d’informations parfois difficiles d’accès et diversifiées
17On voudrait sur ce point insister d’abord sur les audits : ceux-ci ont été essentiels en termes de recueil d’informations, en ce qu’ils ont permis tout à la fois l’accès à de très nombreuses réunions, à des entretiens impromptus, à notre présence dans des réunions habituellement fermées, d’accès, particulièrement nécessaire pour l’audit, et, enfin, à divers documents qui sont habituellement strictement internes ; s’y sont notamment ajoutés l’accumulation de données quantitatives, y compris celles réalisées à notre demande, ainsi que l’administration de questionnaires sur les représentations et attentes du personnel, notamment sur la vie au travail et les qualifications, ou encore le recoupement avec divers travaux, etc.
18Tout en ayant conscience des limites de « la remise de soi » de nos interlocuteurs, un total abandon n’existant pas et n’étant pas au demeurant attendu, on pourrait ajouter malicieusement qu’au moins, compte tenu de la configuration des pratiques d’audit, il n’y a pas eu de refus à l’investigation, contrairement à ce que peut souvent rencontrer le chercheur en sciences sociales, confronté aux difficultés du « porte-à-porte » quand il recherche des interlocuteurs qui veuillent bien se livrer à un entretien41. L’audit ouvre les portes. Par ailleurs, l’immersion permet aussi d’être moins dupe des postures avantageuses que divers interlocuteurs prennent lors des entretiens classiques de recherche ; un seul entretien ne suffit guère pour interroger « le rapport entre l’acteur porteur de représentation et l’institution à laquelle il participe et dont il fait l’objet de son discours, ou entre cet acteur et la profession dont il est pris pour un représentant typique42 ».
19Dès lors, si l’entretien, sous ses différentes variantes, surtout semi-directives43 et non-directives, est un instrument précieux pour comprendre des comportements, des représentations et des interactions entre acteurs, l’implication permet d’aller plus loin44. Un audit prolongé est, d’un point de vue heuristique, une opportunité quand l’intervenant a su se faire accepter dans une mairie, par exemple à la faveur d’une socialisation linguistique qui appuie une expertise transactionnelle45. Par ailleurs, en ce qui concerne l’analyse des politiques publiques, on peut considérer qu’au-delà des limites de l’enquête par entretiens semi-directifs et sur documents46 propres aux démarches plus académiques, la participation à des démarches approfondies et réflexives donne à voir autrement ce que font les administrations publiques et fournit ainsi un matériau autrement plus riche en données, surtout quand elle s’inscrit sur un temps relativement long.
Donner du temps au temps
20Disposer de temps permet de rencontrer plusieurs fois les mêmes interlocuteurs et de procéder à divers recoupements, à différents niveaux d’une organisation. On se situe ici à l’inverse des pratiques des grands cabinets de conseil en management, où il s’agit d’accomplir « une grande quantité de travail en un temps limité », ce qui « rend impossible un travail plus spécifiquement intellectuel47 », qui suppose, quant à lui, une lente imprégnation du « terrain ». Cette observation concerne d’abord les audits pratiqués en mairies : on a parfois été conscient d’avoir fait l’objet de quelques tentatives, conscientes ou non, pour nous « mener en bateau », que ce soit de la part d’élus des mairies concernées, ou de tel ou tel de leurs collaborateurs. Ces tentatives nous paraissent avoir très largement échoué, précisément du fait d’une immersion prolongée qui nous a permis divers recoupements et l’accumulation d’informations différentes. On peut faire aussi une observation voisine pour les évaluations : suivre un moment de la « vie » d’un programme d’action publique, en particulier quand une évaluation in itinere puis ex post se prolonge sur plusieurs années, contribue à corriger ou valider les théories et les problématiques initialement retenues, mais aussi à en faire émerger d’autres qui autrement n’auraient pas été perçues, à s’autoriser des questionnements jusque-là non formulés.
21La durée privilégie aussi, en complément des informations explicitement sollicitées, des situations d’écoute et d’observation. Le déroulement même de l’intervention, avec divers protagonistes, est déterminant, non seulement dans le cadre de l’intervention, mais aussi ultérieurement quand vient le moment de la recherche proprement dite48 : au-delà des rapports à élaborer et/ou à discuter, rétrospectivement, tout ce qui s’est passé autour de l’intervention est essentiel.
La contribution des expertises à la compréhension de l’action publique
22D’une certaine façon, nos démarches ont associé le knowledge in (« améliorer l’action ») et le knowledge of (« faire avancer les connaissances »)49. On voudrait le préciser en se situant d’abord, à titre essentiel, du côté des commanditaires et des destinataires de l’expertise, puis, dans un second temps, davantage du côté de l’intervenant, le chercheur-expert.
Quand la recherche contribue à l’expertise : une certaine valeur pragmatique pour les commanditaires et les destinataires de l’expertise
23À la suite d’Erhard Friedberg, on entend par « valeur pragmatique » d’une analyse faite à l’occasion d’une intervention, « sa capacité à inspirer et structurer une pratique50 ». En ce qui concerne tout d’abord les interventions en « ressources humaines », l’intervenant-chercheur peut tenir un rôle utile socialement si, à partir d’une connaissance concrète de la réalité humaine sous-jacente à un champ d’action donné, il aide les acteurs de ce champ à acquérir et/ou à développer des capacités individuelles et collectives, « leur permettant de structurer autrement leurs interventions et de jouer différemment – et il faut l’espérer mieux – le jeu de leur coopération conflictuelle51 ». Il peut aider aussi à dépasser une approche qui ne se résumerait pas aux seules techniques ou à l’imposition de valeurs52 et amener les partenaires de l’institution à inscrire leurs idées dans la réalité empirique du fonctionnement de celle-ci. À cet égard, on voudrait, pour en souligner l’importance, revenir sur un point particulier, déjà évoqué : la restitution, à l’intention de l’ensemble des protagonistes, des rapports qui jalonnent un audit, contribue, à la fois, à faire prendre conscience de la coexistence au sein d’une institution d’une multiplicité de rationalités partielles et limitées, et à faire émerger, partiellement, des références communes quant à la vision des problèmes, des contraintes, des possibilités de changement.
24L’expert est certes un médiateur-facilitateur entre les différentes parties prenantes, mais, si le cadre de référence est bien l’action, la distanciation du chercheur-expert nous paraît aussi nécessaire. Dans les cas des audits, c’était aux élus, en relation avec leurs proches collaborateurs, qu’il appartenait de prendre les décisions, d’imaginer des réponses en termes de formation, mais encore en termes de mobilisation des ressources humaines, de gestion prévisionnelle des emplois et des effectifs, en liaison avec les options qu’ils avaient retenues quant à l’organisation, au fonctionnement, les modes de gestion de la mairie53. On partage la thèse d’Erhard Friedberg pour qui l’intervenant n’a pas à être un « entrepreneur du changement », sauf à entrer de plain-pied dans le système d’action et à perdre ainsi ce qui a justifié son intervention, à partir d’une extériorité, fût-elle relative.
25D’un point de vue plus général, pour ce qui concerne les politiques publiques, on rappellera tout d’abord que, comme l’a indiqué Aaron Wildavsky54, l’analyste ne peut pas se substituer aux responsables politiques ou administratifs : il serait d’ailleurs bien en peine de leur dire ce qu’il faut faire ! Par contre, il peut contribuer à rendre un peu plus claire leur perception de l’action publique55. On retient de notre pratique de l’évaluation que la multiplication des rencontres, notamment dans les groupes ad hoc qui intègrent habituellement des acteurs de terrain et qui participent ainsi à ce qu’Éric Monnier a qualifié d’« évaluation par les acteurs sociaux56 », peut favoriser des argumentations fortes autour d’un programme ou d’une politique ; les lieux d’une réflexion collective peuvent contribuer, à moyen terme, fût-ce de manière incrémentale, et alors même que les résultats immédiats sont moins perceptibles, à des prises de conscience pour l’avenir quant au sens de l’action publique. Une intervention peut, par ailleurs, contribuer à une prise de conscience par les acteurs concernés de la complexité de l’action publique. On prendra comme exemple la politique de la ville : les premières évaluations auxquelles on a participé ont invité les protagonistes à la penser avec plus de modestie qu’ils ne l’avaient fait jusque-là, peut-être sensibles qu’ils étaient à une célébration initiale de cette politique comme traduisant une transformation profonde de l’action publique conduite par l’État, proclamé « animateur57 ». Des résultats décalés pouvaient être pensés comme un échec58, alors qu’ils invitaient à des choix parmi divers objectifs.
26L’évaluation et l’audit, tels que nous avons contribué, avec d’autres, à en réaliser, fût-ce imparfaitement, peuvent avoir un effet pédagogique interne. En particulier, par l’attention apportée aux modes d’actions, ils peuvent rétroagir à un niveau conceptuel et participer à une amélioration de l’action des agents publics. Depuis longtemps déjà, les chercheurs du Centre de sociologie de l’innovation (CSI) de l’École des Mines ont montré, dans le cadre de leurs travaux sur la technologie, que de telles démarches peuvent être intégrées dans une approche « dynamique » de la programmation publique, envisagée alors comme un processus interactif fait d’« ajustements, de déplacements de buts et d’objectifs », de contribution à de nouveaux réseaux, « en orientant et en liant les acteurs qui auparavant étaient engagés dans d’autres associations59 ». Il reste que le bien commun ne peut être présumé. Il se construit au terme d’un processus de délibération entre partenaires privés et publics sur des « problèmes », sur des actions acceptables, réalisables, ce qui réclame une attention particulière aux attentes, aux demandes, aux offres. L’apport essentiel de l’intervention est, pour le moins, tout autant dans ce qui s’est passé autour et tout au long de la démarche, que dans le ou les rapports qui l’ont rythmée. Il faut toutefois avoir aussi à l’esprit que l’expertise dans le secteur public rencontre assez rapidement la frontière du politique. En effet, tant pour l’intervenant que pour les destinataires du travail réalisé, l’audit, l’évaluation, ce n’est pas de la politique. L’expertise n’est pas la panacée qui va régler la question de la décision publique. En particulier, l’évaluation des politiques publiques fonctionne parallèlement, mais avec moins d’impact, à une autre forme d’évaluation : l’évaluation politique, une évaluation faite par des hommes politiques et leurs plus proches collaborateurs. Ils la font, plus ou moins intuitivement, par rapport aux contraintes de l’agenda politique, par rapport à un marché politique, par rapport aux sanctions positives ou négatives des agents politiques60.
Quand l’expertise nourrit la recherche : une utilité académique des pratiques d’expertise
27On voudrait maintenant opérer une inversion des logiques et montrer que l’expertise nourrit la recherche. Rétrospectivement, on considère en effet que s’être prêté aux interventions d’audit et d’évaluation a été pour nous une opportunité pour satisfaire une certaine curiosité, pour regarder « autrement » l’action publique en-train-de-se-faire, ce qui était le cas tant pour les audits que pour les évaluations, dont aucune d’ailleurs ne pouvait être considérée, quelque fût la temporalité affichée, comme ex post, tant la part des reconductions de politiques publiques était essentielle. De cette manière, on contournait alors la prédominance, du moins parmi les politistes français61, d’approches très intellectualisées, très «top down », qui nous questionnaient, pour des approches plus sociologiques, plus «bottom up ». Si, comme on l’a vu, on ne doit pas surévaluer la portée du travail de l’expert, notre amour-propre dût-il en souffrir, reste pour le chercheur, du coup égoïste (malgré lui ?), l’enrichissement que lui apportent de telles démarches, tant humainement qu’intellectuellement. Sur ce dernier aspect, subsumant nos interventions, on peut écrire que sans celles-ci, on en saurait moins sur le fonctionnement des mairies, sur les fonctionnaires, sur leur encadrement, sur les élus, mais aussi sur la démocratie locale, sur l’action publique, sur sa territorialisation et, bien entendu, sur… le recours à l’expertise.
28Il y a eu en effet un lien entre ces pratiques d’intervention et une partie de ce que nous avons pu écrire. Du point de vue de la recherche, il est clair que dans une démarche plus proche de celle des sociologues de l’action organisée que de celle des politologues pensant en termes de « politiques publiques », à la question « qui fait quoi ? », l’analyse conduite au travers d’audits et d’évaluations met en lumière la difficulté à apporter des réponses nettes, tout en appelant à une modestie empirique62. Dans une démarche où la part inductive a été importante, sans pour autant bannir des approches hypothético-déductives, on dira que, tant en situations d’expertise que lors de travaux plus académiques qui ont pu d’ailleurs les prolonger, on a attendu « du terrain » qu’« il révèle et interfère les problématiques à poursuivre et les analyses théoriques à mobiliser63 ». On ne partage donc pas l’idée selon laquelle il y aurait une nette rupture entre les savoirs de l’expert et ceux du « savant » que serait le chercheur, comme il y aurait opposition entre connaissance et action. On considère que de telles approches interdisent de penser et de saisir les « hybridations » entre connaissance ordinaire, mais non vulgaire, sollicitée lors d’une intervention, et connaissance savante, avec des allers-retours entre ces deux sphères64.
Conclusion
29On a vu que le recours à l’expertise doit être référé à un contexte qui réclame des collaborations extérieures à une institution. À partir de là, un individu est sollicité, en l’occurrence un chercheur, présentant certaines caractéristiques, présumé disposer de compétences acquises dans les cadres académiques, mais mobilisables dans d’autres domaines, et qui semblent de nature à apporter un appui à la démarche engagée. On peut aussi imaginer qu’il apportera une exigence de rigueur dans ce type de missions, comme il lui appartient de le faire dans la production ordinaire de son métier. En même temps, disposant d’un savoir qui est parcellaire, il peut être amené à travailler avec des experts plus professionnels, dont l’expertise est la raison sociale. Il peut aussi être confronté à d’autres chercheurs, également sollicités par les commanditaires de l’expertise : ces collègues peuvent relever de disciplines scientifiques voisines ou au contraire assez différentes, comme les sciences économiques, de plus en plus étrangères à des approches de type sociologique65, tandis que le politiste peut de son côté être assez peu armé pour les approches quantitatives. La coopération peut être limitée, chacun gérant son domaine !
30On voudrait pourtant espérer que l’analyse de l’action publique, via l’expertise, soit à l’avenir davantage transdisciplinaire, ce qui renvoie, notamment, aux caractéristiques de la formation du chercheur. Par ailleurs, le chercheur-expert sera en négociation avec divers hauts fonctionnaires, voire des élus, comme c’est le cas avec les audits en mairie. On a vu aussi que des hauts fonctionnaires en activité peuvent siéger en commission « scientifique ». Ce caractère partagé de l’expertise, avec des variantes selon l’objet et les conceptions des commanditaires, en même temps qu’il renvoie à la nature d’une expertise, est un bon reflet de ce que diverses recherches ont bien mis en évidence : l’action publique, en particulier au niveau territorial, relève fortement d’une action collective avec des règles et des procédures organisationnelles qui servent de contexte d’action66. Le chercheur sollicité comme expert peut tenir, fût-ce inégalement selon les cas, un rôle de médiateur-facilitateur. On considère enfin que dans la quête toujours nécessaire d’un approfondissement des modes d’analyses de l’action publique67, le travail de terrain, selon des formes voisines de celles que nous avons présentées, gagnerait à être plus largement pratiqué. On reste partisan d’un adoucissement de la « posture autonomiste » qui, outre l’apport cognitif et réflexif de rencontres qui peuvent être approfondies, par leur répétition notamment, avec le personnel politique et divers acteurs, permette en particulier de « multiplier les contacts avec une foule de fonctionnaires petits, moyens et parfois grands, qui se posent des questions sur le sens de leurs actions68 ».
Notes de bas de page
1 Ainsi, les chercheurs « sont aujourd’hui sollicités non plus pour contribuer à fournir des schémas d’interprétations généraux nécessaires à la régulation sociale […] mais pour leurs compétences spécifiques en tant que détenteurs de savoirs spécialisés relatifs à un domaine de la réalité sociale » (cf. Tanguy L., « Le sociologue et l’expert : une analyse de cas », Revue française de sociologie, vol. 37, n° 3, 1995, p. 459).
2 Pourquoi avons-nous été sollicités ? On peut ici reprendre à notre compte, pour des interventions s’inscrivant à l’intérieur d’un périmètre régional (régions, villes…) cette observation : « Pour conseiller, il faut être demandé et pour être demandé, il faut être connu : la relation est première » (cf. Villette M., Sociologie du conseil en management, Paris, La Découverte, 2003, p. 33).
3 Les audits ont concerné trois mairies, entre 10 000 et plus de 20 000 habitants, pendant au moins une année pour chacune de ces interventions (1986-1987, 1987-1988, 1990-1991).
4 Cf. lois du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, du 12 juillet 1984 relative à la formation des agents de la fonction publique territoriale.
5 Dont trois évaluations où on a été particulièrement impliqué, au-delà de l’activité habituelle de membre de la structure scientifique : comme responsable du volet socio-organisationnel et politique d’une évaluation consacrée au tourisme rural (l’analyse, délicate, du fonctionnement des « pays d’accueil », Bretagne), comme animateur de l’évaluation de la politique de la ville (Bretagne), comme chargé de veiller, pour le compte du comité scientifique régional de l’évaluation (Rhône-Alpes), à la qualité d’une évaluation, conduite sous la responsabilité du SGAR, concernant la mise en œuvre « l’objectif 2 » des Fonds structurels européens, et d’en faire rapport ; autrement dit, établir un rapport de « méta-évaluation ».
6 Tout au long de ce chapitre, on privilégiera le terme de chercheur à celui d’universitaire ou encore d’enseignant-chercheur, notamment parce que la relation avec l’activité d’enseignement, sans être négligeable, n’est pas ici essentielle.
7 En ce qui concerne les audits, on est intervenu en compagnie d’un chargé de mission du SEP, de formation gestionnaire (maîtrise), particulièrement sensibilisé à la sociologie des organisations, et ayant acquis au fil des années un bon bagage d’ingénierie en formation ; il a été parfois rejoint par un autre collègue du SEP. Pour les évaluations, les économistes, en phase avec des hauts fonctionnaires également présents en commission « scientifique », dominent le dispositif breton, tandis que les politistes sont nombreux en Rhône-Alpes dans une structure alors présidée par un professeur en sciences économiques, après l’avoir été par deux professeurs de science politique, Jean-Louis Quermonne, puis François d’Arcy ; elle accueille par ailleurs quelques hauts fonctionnaires, retraités, disponibles, autonomes.
8 Trépos J. -Y., « L’expertise sociologique ou le complexe de l’albatros », Vrancken G. et Olgier K. (dir.), La sociologie et l’intervention. Enjeux et perspectives, Bruxelles, De Boeck Université, 2001, p. 218.
9 Selon la formule de Duran P., « Les non-dits de l’évaluation », Timsit G., Claisse A. et Belloubet-Frier N. (dir.), Les administrations qui changent. Innovations techniques ou nouvelles logiques ?, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 166.
10 Dubet F., « Plaidoyer pour l’intervention sociologique », Vrancken D. et Kuty O. (dir.), op. cit., p. 91.
11 Contre les attentes de ses promoteurs voulant en faire un outil de renouveau démocratique, voir Viveret P., L’évaluation des politiques et des actions publiques, Rapport au Premier ministre, Paris, La documentation française, 1989.
12 Fontaine J., « Quels débats sur l’action publique ? Les usages de l’évaluation des politiques publiques territorialisées », François B. et Neveu É. (dir.), Espaces publics mosaïques. Acteurs, arènes et rhétoriques des débats publics contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999, p. 285-305.
13 Cela est aussi particulièrement net avec la Révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée sous la Présidence Sarkozy.
14 Bezès P., Chauvière M., Chevallier J., De montricher N. et Ocqueteau F. (dir.), L’État à l’épreuve des sciences sociales. La fonction recherche dans les administrations sous la Ve République, Paris, La Découverte, 2005.
15 Spenlehauer V., « La pratique de l’expertise et la prise de responsabilités institutionnelles constituent-elles des postures d’analyse pertinentes de l’action publique ? », communication au 8e congrès de l’Association française de science politique, atelier « Quelles méthodes et techniques d’enquête pour quelle sociologie de l’action publique ? », Lyon, 14-16 septembre 2005, p. 2. On saisit l’opportunité de cette note pour dire que notre réflexion a été accompagnée, depuis longtemps, de nombreux échanges et discussions avec Vincent Spenlehauer.
16 En ce qui concerne un chercheur, on retient la définition qu’en donne Jean-Yves Trépos : « On donne ici à expertise le sens d’un exercice extra-professionnel (ou extraordinaire par rapport l’exercice professionnel) d’une compétence dans une situation troublée, en réponse à une commande » (cf. Trépos J. -Y., art. cit., p. 219). On précise toutefois que la référence aux « troubles », doit être entendue a minima dans nos cas.
17 Selon le résumé lapidaire qu’en fait Spenlehauer V., com. citée, p. 2.
18 Spenlehauer V., « Pour une déconstruction des légendes sur les rapports État/sciences sociales », Zimmerman B. (dir.), Les sciences sociales à l’épreuve de l’action. Le savant, le politique et l’Europe, Paris, Éditions de la MSH, 2004, p. 119-144.
19 Amiot M., Contre l’État, les sociologues. Éléments pour une histoire de la sociologie urbaine en France (1900-1980), Paris, Éditions de l’EHESS, 1986.
20 On emprunte la formule à Spenlehauer V., com. citée, p. 2.
21 En sus de la sollicitation des références explicites de ce chapitre, on conseille la lecture de diverses analyses et/ou témoignages d’expériences proposées dans Douillet A. -C. et Zuanon J. -P. (dir.), Quarante ans de recherches en sciences sociales. Regards sur le CERAT, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2004 ; et Ihl O. (dir.), Les « sciences » de l’action publique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2006.
22 Bezès P. et de Montricher N., « Le moment CORDES (1966-1979) », Bezès P. et al. (dir.), op. cit., p. 37-71.
23 Chatriot A. et Duclert V., « Fonder une politique de recherche : les débuts de la DGRST », ibid., p. 24-36.
24 Avec toutefois des collaborations avec Pierre Bourdieu, qu’il s’agisse de la création de cours de sociologie à l’intention des élèves administrateurs de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE) ou du soutien au colloque organisé par Pierre Bourdieu et Alain Darbel (INSEE), prolongé par un ouvrage critique sur la planification : Darras, Le partage des bénéfices. Expansion et inégalités, Paris, Éditions de Minuit, 1966.
25 Gruson C., « Planification économiques et recherches sociologiques », Revue française de sociologie, vol. 5, n° 3, 1964, p. 435-446.
26 Spenlehauer V., « Intelligence gouvernementale et sciences sociales », Politix, n° 48, 1999, p. 95-128.
27 On emprunte cette périodisation à Bezès P. et al., « Introduction », Bezès et al. (dir.), op. cit., p. 7-20. Sur l’aspect délicat d’une périodisation, fût-elle fondée en l’occurrence, voir Dubar C., « Les recherches en sciences sociales et les dispositifs publics en France : une histoire compliquée », ibid., p. 363-370.
28 Thœnig J. -C., « Le bricolage des engagements », Sociologie du travail, vol. 41, n° 3, 1999, p. 314.
29 Callon M., « Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé : la double stratégie de l’attachement et du détachement », Sociologie du travail, vol. 41, n° 1, 1999, p. 65-78.
30 Il ne s’agissait pas, par exemple, d’intervenir dans des contextes organisationnels de licenciement, comme cela peut se produire dans le secteur privé.
31 Courpasson D., « Sociologie et management des organisations. Entre fascination et dénonciation », Sociologie du travail, vol. 41, n° 3, 1999, p. 295-305.
32 Pour une illustration et analyse d’une démarche collusive, voir Gayon V., « Un atelier d’écriture internationale : l’OCDE au travail. Éléments de sociologie de la forme “rapport” », Sociologie du travail, vol. 51, n° 3, 2009, p. 324-342.
33 À titre d’illustration, quand on relit les rapports remis à l’occasion de l’audit conduit dans l’une des trois mairies, on constate que le premier rapport qui synthétise et met en perspective les entretiens, les réunions, divers documents recueillis, etc., qui ont éclairé le travail des principaux élus et de la direction générale, comprend de manière distincte cinq pages de « remarques et commentaires » sur vingt-six. Quant au rapport concernant la phase suivante de l’audit (entretiens près des directeurs et chefs de services, et diverses autres investigations) qui avait alors permis l’expression d’un certain malaise et d’attentes de l’encadrement, il comprend neuf pages de commentaires sur trente-deux. On pourrait faire des remarques voisines à d’autres stades de l’audit, tant dans cette mairie que dans les deux autres.
34 C’est ce qui a été fait pour le Comité régional d’évaluation des politiques publiques de la région Bretagne auquel on a appartenu pendant six années, puis en Rhône-Alpes, après quatre années de participation.
35 On fait ici référence à Jean-Yves Trépos qui, avant de dépasser la critique au travers de l’illustration d’une « politique de sociologue » dans le cadre d’une expertise distribuée, relate les deux thèses suivantes, « loin d’être absurdes » : « ou bien les sociologues sont les jouets d’une société civile placée sous expertise ou bien ils en sont les nouveaux technocrates » (cf. Trépos J. -Y., art. cit., p. 231).
36 Villette M., op. cit., p. 47.
37 Confirmant ainsi « la confusion bien française entre savoir technique et technicité de gestion administrative » (cf. Restier-Melleray C., « Experts et expertise scientifique. Le cas de la France », Revue française de science politique, vol. 40, n° 4, 1990, p. 565).
38 . Ce fut le cas en Bretagne pour la politique de la ville.
39 Ce sont des chercheurs, dont des doctorants, et/ou des cabinets (Bretagne), des cabinets exclusivement (Rhône-Alpes).
40 On a développé cela dans Fontaine J., « Évaluation des politiques publiques et sciences sociales utiles », Politix, n° 36, 1996, p. 51-71.
41 Sur cette difficulté, voir Duchesne S., « Pratique de l’entretien dit non directif », CURAPP, Les méthodes au concret, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 9-30.
42 Bongrand P. et Laborier P., « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé méthodologique ? », Revue française de science politique, vol. 55, n° 1, février 2005, p. 99. Voir aussi Beaud S., « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’“entretien ethnographique” », Politix, n° 35, 1996, p. 226-257. L’auteur a ici des mots très durs quand il fustige « ceux qui font ce que l’on pourrait appeler du “faux terrain” », c’est-à-dire qui « utilisent a minima les techniques de l’enquête ethnographique » (p. 256), en utilisant presque exclusivement les entretiens et en restituant de manière très succincte les conditions sociales de leur recueil.
43 Pinson G. et Sala Pala V., « Peut-on vraiment se passer de l’entretien en sociologie de l’action publique ? », Revue française de science politique, vol. 57, n° 5, octobre 2007, p. 555-598.
44 Les communications présentées lors du 9e congrès de l’AFSP (Toulouse, 5-7 septembre 2007) dans le cadre de la table ronde sur « Les méthodes en science politique des deux côtés de l’Atlantique », convergent largement autour du constat des limites du «one shot interview », pour qui veut saisir les sujets dans leurs contradictions, dans leurs évolutions et dans leurs interactions.
45 Au fil du temps et de l’immersion, c’est un mode d’accès privilégié au discours « indigène » que le sociologue entend élucider, pour mieux saisir des catégories indigènes, pour mieux comprendre des discours a priori étrangers, voir Becker H., Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2002 [1998] ; Collins H. et Evans R, Rethinking expertise, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.
46 Vincent Spenlehauer note que l’enquête sur archives récentes devient de plus en plus parcellaire en raison de l’usage de plus en plus important du téléphone et de la messagerie électronique (cf. Spenlehauer V., com. citée, p. 3).
47 Henry O., « La construction d’un monde à part. Processus de socialisation dans les grands cabinets de conseil », Politix, n° 39, 1997, p. 165.
48 Par exemple, voir Fontaine J., « Quels débats sur l’action publique… », art. cit., p. 302-305.
49 Saint-Martin D., « Expertise », Boussaguet L., Jacquot S. et Ravinet P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 209-217.
50 Friedberg E., « Faire son métier de sociologue, surtout dans l’intervention », Vrancken D. et Kuty O. (dir.), op. cit., p. 124.
51 Friedberg E., Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l’action organisée, Paris, Le Seuil, 1993, p. 292.
52 On pense à la grande vogue des projets d’entreprise, le plus souvent très normatifs, dans les années 1980 et 1990. On pourrait actualiser en y ajoutant diverses démarches s’inspirant du New Public Management. Si celles-ci sont toutefois autrement plus ambiguës (cf. Robert C., « Les transformations managériales des activités publiques », Politix, 2007, n° 79, p. 7-23), que ne le suggère toute une vulgate anti-management, on sait les inquiétudes et/ou les refus qu’elle suscite. On pense aux réactions exprimées fortement, les premiers mois de l’année 2009, dans les milieux universitaires et de la recherche, y compris de la part des plus réformateurs, à l’égard des traductions managériales, le plus souvent précipitées et non négociées ; on renvoie ici au récent dossier, très complet, de La revue du MAUSS, « La crise de l’Université. Mort ou résurrection ? », n° 33, 2009.
53 Non sans quelques discussions avec le chargé de mission du SEP, plus enclin à une démarche qui aurait été plus normative ; aussi, le « flou » de l’expertise conduite est-il également dans quelques écarts avec le schéma idéal-type de l’intervention !
54 Wildavsky A., Speaking truth to power, Boston, Little Brown, 1979.
55 Raymond Aron répondait ainsi à Claude Gruson, qui voulait enrôler les sociologues au service de la planification, que le sociologue «est au fond assez comparable à l’économiste, c’est-à-dire qu’il rend un peu plus clair les données du choix », mais qu’il ne saurait consentir à la « responsabilité de prendre des décisions » (cf. Gruson C., art. cit., p. 444).
56 . Monnier É., Évaluation de l’action des pouvoirs publics. Du projet au bilan, Paris, Economica, 1987.
57 Donzelot J. et Estèbe P., L’État animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Éditions Esprit, 1994.
58 Nous entendons encore ce secrétaire général aux affaires régionales de Bretagne qui, en 1995, au moment de la présentation d’une évaluation de la politique de la ville, au travers d’un rapport qui rendait compte de résultats souvent incertains, déclarait devant la commission scientifique que, à moins que la démarche évaluative ait été mal conduite, cela signifiait que les services de l’État et ses agents étaient mauvais ! Sur des démarches d’évaluation de la politique de la ville et leurs apports, voir Fontaine J., « Évaluer les politiques publiques. Dispositifs d’exception pour la ville et banalisation de l’action publique », Renard D., Caillosse J. et de Béchillon D. (dir.), L’analyse des politiques publiques aux prises avec le droit, Paris, LGDJ, 2000, p. 251-284.
59 Arvanitis R., Callon M. et Latour B., Évaluation des politiques publiques de la recherche et de la technologie. Analyse des programmes nationaux, Paris, La documentation française, 1986, p. 35-36.
60 Les expertises en effet « ne déplacent pas pour autant le lieu de la validation finale ou de l’hyper choix. Ce n’est donc pas par rapport à une éventuelle “sortie” du registre de la représentation, mais de son maintien que se pose la question politique de l’expertise » (cf. « Avant-propos » de Dumoulin L. et al. (dir.), Le recours aux experts. Raisons et usages politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005, p. 11).
61 Que l’on distingue ici des sociologues, en particulier les chercheurs qui appartenaient alors au Centre de sociologie des organisations (CSO) et au Groupe d’analyse des politiques publiques (GAPP).
62 Fontaine J. et Hassenteufel P., « Quelle sociologie du changement dans l’action publique ? Retour au terrain et refroidissement théorique », Fontaine J. et Hassenteufel P. (dir.), To change or not to change ? Le changement dans l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 9-29.
63 Musselin C., « Sociologie de l’action organisée et analyse des politiques publiques : deux approches pour le même objet ? », Revue française de science politique, vol. 5, n° 1, février 2005, p. 61.
64 Lascoumes P., « L’expertise, de la recherche d’une action rationnelle à la démocratisation des connaissances et des choix », Revue française d’administration publique, n° 103, 2002, p. 369-377 ; Trépos J. -Y., « Savoirs professionnels et situations d’expertise », Knowledge, work and society/Savoir, travail et société, vol. 4, n° 2, 2006, p. 131-153.
65 Svedberg R., Une histoire de la sociologie économique, Paris, Desclée de Brouwer, 1994 [1987].
66 Duran P. et Thœnig J. -C., « L’État et la gestion publique territoriale », Revue française de science politique, vol. 46, n° 4, 1996, p. 580-623.
67 Hassenteufel P. et Smith A., « Essoufflement ou second souffle. L’analyse des politiques publiques “à la française” », Revue française de science politique, vol. 52, n° 1, 2002, p. 53-73.
68 Spenlehauer V., « Intelligence gouvernementale et sciences sociales », art. cit., p. 128.
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