Droit et pratiques de la transmission des charges publiques à Paris (mi-XVIe-mi-XVIIe siècle)
p. 219-234
Texte intégral
1La possession et l’exercice de l’office font le lignage de robe, qu’il soit « noble » ou « bourgeois ». La transmission est donc la clef de la reproduction sociale des robins1 : il est vrai qu’il n’était pas nécessaire que le fils succédât au père sur le même office, mais des masses de capitaux devaient être mobilisées pour l’acquisition des charges vénales dans des opérations de refinancement perpétuel supposant la conversion constante de types de capitaux en d’autres. La transmission était donc une affaire familiale globale et la nature juridique de l’office conditionnait tout le processus de perpétuation lignagère2. Sur une base très lâche (le nouvel article 95 de la coutume réformée de Paris en 1580) et sans aucune législation royale, sinon indirecte (les édits sur les tailles), une construction sociale cohérente se mit en place de 1523 (création des parties casuelles) jusqu’au règne d’Henri IV.
2En effet, conséquemment à l’instauration du droit annuel en 1604 qui assurait aux officiers et à leurs héritiers la propriété conditionnelle de leur office, la jurisprudence déclara l’office propre masculin et bouleversa les usages qui avaient antérieurement régi l’acquisition et la transmission des offices. La présente étude s’attache à un certain nombre de cas qui ont donné lieu à des arrêts célèbres. Ces arrêts avaient pour but avoué de faire jurisprudence et ils ont été commentés par les arrêtistes. Les procès seront envisagés dans un premier temps (par Simone Geoffroy-Poisson) sous l’angle de la construction jurisprudentielle et doctrinale, et, dans un second temps (par Robert Descimon), sous celui de la signification sociale, si bien que nous conterons deux fois la même histoire, mais d’un point de vue différent. L’historien peut se poser la question de savoir pourquoi certains arrêts sont « célèbres » et d’autres non. La publicité qui fut donnée à ces arrêts est relativisée par les compromis amiables passés en vertu de la juridiction volontaire que traduisent les actes notariés.
La construction d’une jurisprudence nouvelle
3Roland Mousnier3 a donné une analyse éclairante de l’office à partir de la définition de Charles Loyseau (les Cinq livres du droit des offices datent de 1610), « dignité ordinaire avec fonction publique », et sur l’honneur que conférait à son titulaire l’exercice d’une fonction publique au nom du roi. Paul Louis-Lucas4 a tout dit sur le caractère patrimonial que la vénalité avait conféré aux offices, qui étaient devenus quasi héréditaires. La Paulette, en décembre 1604, unifia le statut juridique des offices5. Dès lors, ils furent réputés immeubles par la loi, mais ce n’était qu’« une fiction légale pour un avantage commun », selon le mot de Bourjon6. Cependant l’officier pouvait toujours en disposer par testament comme d’un meuble. La détermination de la nature de l’office fut au centre des procès familiaux que nous allons examiner en raison de ses conséquences sur les clauses matrimoniales et sur les successions. La jurisprudence des arrêts en la matière s’imposa progressivement avec le concours de la doctrine et ne trouva une confirmation formelle qu’avec l’édit de mars 16837.
Marie Delagrange contre Marie de Bailleul
4Achille de Harlay avertit que l’arrêt prononcé solennellement en robes rouges le 7 septembre 1607, en faveur de Marie Delagrange, fille mineure, appelante, contre sa mère, Marie de Bailleul, veuve de Louis Delagrange, « était fort remarquable pour ce qu’il fait loi à la coutume de Paris8 ». Et Brillon rapporte que le premier président avertit les avocats qu’ils devaient « tenir désormais pour maxime infaillible que les Offices appartenans au mari auparavant le mariage n’entroient point en la communauté9 ». La Cour décidait que les deniers provenant de la vente d’un office dont le mari était pourvu avant son mariage et résigné pendant la communauté, n’y entraient pas et étaient considérés comme propres aux héritiers, excluant la veuve10.
5L’oncle et subrogé tuteur de Marie Delagrange avait interjeté appel d’une sentence des Requêtes du Palais du 29 mai 1606, qui avait jugé que les deniers provenant de la vente de l’office de trésorier de France à Orléans de Louis Delagrange, d’un montant de 9 000 livres, étaient meubles. Comme tels, ils entraient dans la communauté et devaient être adjugés pour moitié à sa veuve, Marie de Bailleul.
6Le contrat de mariage du 17 juillet 1600 ne stipule pas que cet état entrera dans la communauté. La dissolution du mariage étant intervenue par le décès du mari, sa femme prétend que l’office fait partie de la communauté, puisque son mari ne se l’est pas réservé par contrat de mariage. Au contraire, le tuteur de l’héritière du mari dit que la jurisprudence a changé11. Le raisonnement était que les états ou offices vénaux n’entrent plus dans la communauté, sauf clause contraire stipulée dans le contrat de mariage. L’article 95 de la coutume de Paris de 1580 énonçait que l’état et office vénal est « réputé immeuble ». Cela s’entend quand l’office est saisi avant la résignation admise et la provision faite au profit d’un tiers. S’il a été acheté avec les deniers de la communauté, la femme ou ses héritiers pourraient revendiquer la moitié du prix, mais ce n’est pas le cas. Elle ne peut prétendre qu’aux meubles, acquêts et conquêts acquis durant le mariage.
7Un office ne peut être réputé mobilier. Il peut se comparer à une rente quand il est vénal, parce que le titulaire d’une charge bénéficie de gages, émoluments et profits qui lui viennent de cet office et tout ce qui rapporte profit et revenu annuel est considéré comme immeuble. Cet office est personnel et ne peut se donner en partage. Les profits annuels qui se perçoivent et proviennent de l’office entrent dans la communauté comme le sont les fruits des héritages, les loyers des maisons ou les arrérages des rentes, qui ont appartenu au mari avant le mariage. Mais l’état lui-même, comme les fonds, les héritages et les rentes, n’y entrent pas. La résignation pour vendre ou conserver l’office ne peut être faite que par le mari. Il est notoire que l’office est sujet à hypothèques, comme le précise l’article 95 de la coutume de Paris de 158012. Le principe de l’immobilisation de l’office vénal trouve ici sa reconnaissance légale.
8L’arrêt décidait donc que Marie Delagrange jouirait des 9 000 livres qui constituaient le prix de vente de l’office de son père parce qu’il en était pourvu avant son mariage.
Claude Gobelin contre Marie Gobelin, sa fille
9Le précédent arrêt traitait de l’office propre au mari, alors que l’arrêt du 1er mars 1627 concerne un office commun. Le mari, lorsque sa femme décède la première, ne doit à ses enfants que le mi-denier de l’office acquis pendant la communauté, quoique depuis la dissolution et avant le partage, il l’ait vendu une somme plus considérable que ce qu’il avait coûté. L’action de récompense, qui appartenait à l’un des enfants, héritier de sa mère, et depuis décédé, est confuse en la personne du père, son héritier mobilier.
10Le 1er mars 1627 (à l’inventaire du rôle de Paris), maître Joubert plaide la cause de Claude Gobelin, appelant à la sentence du prévôt de Paris, qui le condamnait à payer à Marie Gobelin, sa fille, et héritière de sa première femme, Claude Moufle, le quart de la valeur de l’état et office de commissaire examinateur du Châtelet13. La dissolution de la communauté est intervenue par le décès de la femme. L’avocat rappelle qu’ils se sont mariés le 6 septembre 1596. En 1597, l’appelant est pourvu de cet office moyennant le prix de 2 400 livres seulement. En 1608, Claude Moufle décédait. Le veuf fit faire l’inventaire des biens de leur communauté, y incluant les lettres de provision de son état et office, et les quittances de finance de la somme de 2 400 livres. Le 19 décembre 1616, il se démit de cet état et office pour 16 000 livres. Peu de temps après, il fut assigné à la requête de l’intimé, subrogé tuteur de Marie Gobelin, sa fille, aux fins de lui rendre compte de sa gestion et administration de ses biens. Claude Gobelin voulait rendre le quart des 2 400 livres, alors que le subrogé tuteur réclamait 8 000 livres correspondant à la moitié du prix de son office en 1616, car il s’agissait d’un conquêt fait pendant le mariage, dont la moitié appartenait directement à Marie Gobelin et comme héritière de son frère, Claude Gobelin fils décédé, tous deux héritiers de leur mère.
11Pour maître Joubert, il a été mal jugé, en première instance, en contradiction avec la disposition expresse des arrêts qui ont toujours décidé que le mari pourvu d’un office pendant le mariage n’est débiteur d’autre chose que du prix d’achat de cet office et les arrêts en la matière sont notoires. L’office de commissaire au Châtelet est propre au mari, car il ne peut être exercé par la femme qui en est incapable. Comme dit Loyseau, la femme n’a pas droit au « corps » de l’office, mais seulement à sa valeur. Maître Chapellier, pour l’intimée, entend démontrer que la décision de cette cause dépend de deux considérations : l’une de la qualité de l’office et des deniers provenant de la composition de cet office ; l’autre, de la distinction entre offices vénaux et offices non vénaux. Les offices de commissaires examinateurs du Châtelet ont été rendus vénaux et héréditaires, et, par conséquent, ont été réputés immeubles. Si pendant le mariage et la communauté, l’office est vendu, le prix est sujet à remploi, comme il a été jugé dans l’arrêt précédent du 7 septembre 1607 pour l’office de trésorier de France de Louis Delagrange. Mais l’office concerné est un conquêt dans la communauté, et il est certain que si l’appelant était décédé avant sa femme, sa veuve aurait eu la moitié du prix de la composition, l’office étant conservé par le moyen du droit annuel. Si l’office s’était perdu ou était demeuré vacant, il est vrai que les héritiers de l’appelant n’auraient été tenus à aucun remboursement, pas même celui du prix d’achat de l’office. Or la loi doit être égale pour tous et contre tous et le hasard commun. L’avocat conclut qu’il faut que le profit venant de la composition de l’office soit commun entre l’appelant et ses enfants, héritiers de leur mère, sinon il y aurait une injustice manifeste. De plus, ils ont eu la patience d’attendre sa volonté (huit ans après le décès de leur mère) et n’ont pas contraint leur père à disposer de cet office.
12Dans ses réquisitions, l’avocat général Jacques Talon souligne que le droit des offices est un droit nouveau et que la jurisprudence a changé avec la mise en place du droit annuel14. Si le mari meurt pourvu de son office, ou l’office se conserve, ou il se perd : s’il se perd la veuve ne peut prétendre à rien ; s’il se conserve, la veuve a la faculté de disposer de la procuration ad resignandum et peut demander sa part du prix qui provient de la composition de l’office. Mais, quand la femme décède avant son mari, comme dans le cas évoqué, ses héritiers n’ont droit à aucune part dans l’office, parce qu’il ne peut se diviser. Pour les désintéresser, on a réservé l’action de mi-denier pour être remboursé de la moitié du prix que l’office a coûté. Car c’est seulement du prix d’acquisition que la communauté s’est appauvrie. Quant à l’action que le fils avait contre son père concernant cet office, il est certain qu’elle était mobilière, et que, par son décès, elle est demeurée éteinte et confuse en la personne de l’appelant. Au final, la jurisprudence a accordé au mari survivant une sorte de retrait de mi-denier, exorbitant au droit commun. Pour la Cour, monsieur de Hacqueville, second président, a condamné le père à tenir compte à sa fille du quart de ce qu’il avait payé pour l’achat et la composition de son office15. Comme l’écrit Brodeau, la maxime est que le mari, étant l’homme du Roi, le titulaire et vrai propriétaire de l’office, dont il est pourvu au décès de sa femme, n’est redevable envers ses héritiers que de la moitié du prix qu’il a véritablement pris dans la communauté, qu’il vienne à le vendre de son vivant ou qu’il en meure saisi, sauf stipulation contraire16.
Catherine Boué contre Balthazar Duplessis
13L’arrêt du 7 avril 1635 soulève la question de l’office par rapport à la communauté. Dans ce cas, bien qu’un office, dont le mari était pourvu avant son mariage, soit mis dans la communauté par clause expresse, sa veuve ne peut se plaindre qu’il en ait disposé en faveur de leur fils commun à une somme moindre que sa juste valeur.
14Pierre Duplessis, dès 1597, était pourvu d’un office de conseiller au Châtelet de Paris. En 1603, par contrat de mariage avec damoiselle Catherine Boué, il fut convenu que l’office entrerait dans la communauté en cas de prédécès du mari. Cependant Duplessis le légua par testament à Balthazar Duplessis, leur fils commun, moyennant la somme de 20 000 livres. Au décès de son mari, Catherine Boué voulut empêcher l’effet de la délivrance de ce legs, sous prétexte que l’office valait 50 000 livres et se trouvait sous-évalué. Néanmoins, le prévôt de Paris, par sa sentence, adjugea l’office au fils, suivant la disposition du père, sous réserve de ne pas en disposer, ni de s’en démettre durant la vie de sa mère sans son consentement exprès. La mère interjeta appel17.
15Pour Catherine Boué, maître Rosée s’appuyait sur les clauses du contrat de mariage qui stipulaient que l’office de conseiller au Châtelet entrerait dans la communauté. Le mari ne pouvait disposer par testament des effets de la communauté au prix qu’il voulait. Ce serait faire indirectement ce qu’il ne pouvait faire directement. L’office concerné, estimé à 50 000 livres, et n’étant apprécié qu’à 20 000 livres, il y aurait une lésion évidente au préjudice de l’appelante. Il ajouta que, par son attitude, le fils cherchait à déplaire à sa mère. Pour le fils, maître Lamblin assura que celui-ci s’était comporté avec respect et soumission envers sa mère, mais qu’il n’avait pu acquérir ses bonnes grâces. Il plaida qu’il fallait interpréter la clause du contrat de mariage selon l’intention des parties qui n’avaient jamais pensé faire entrer l’office dans la communauté, sauf en cas de prédécès de Pierre Duplessis sans enfant. Sur la valeur de l’office, il ne fallait pas prendre en compte la valeur actuelle, mais considérer le prix de l’office eu égard au temps du contrat de mariage. En effet, suivant la jurisprudence des arrêts, quand un office a été acquis pendant la communauté, il ne doit être retenu que ce qui en est sorti pour son achat, et non pas la moitié de la valeur à la dissolution de la communauté. Il ajouta que cette disposition de l’office n’avait pas été faite dans le dessein de priver l’appelante de sa part de la communauté, puisque cette disposition était en faveur de leur fils commun, dont l’honneur et la dignité rejaillissaient sur sa mère. De plus, elle recevrait une somme de 10 000 livres, pour moitié de l’office, ce qui était pour elle pur profit. Il rappela à cette occasion que cette disposition de transmission de l’office par un père au profit d’un de ses enfants avait toujours été favorablement interprétée et approuvée par la cour. Il en avait été ainsi jugé dans l’arrêt rendu au profit de Monsieur Tambonneau18 touchant la disposition faite en sa faveur par son père de son office de président en la chambre des comptes, estimé un bon tiers moins de ce qu’il valait.
16L’avocat général Bignon fit remarquer, en préambule, que la question qui se présentait n’avait point été prévue par la loi, et la jurisprudence des juges devrait y suppléer. Il rappela que généralement les offices soulevaient quatre questions. La première concernait les conventions et les stipulations ; la seconde était de savoir s’ils sont susceptibles d’hypothèques ; la troisième touchait la saisie et la vente ; la quatrième regardait la communauté pour savoir s’ils y entraient. Et c’est bien de ce problème dont il s’agissait dans cette affaire. Le mariage de Pierre Duplessis avec l’appelante a été contracté longtemps avant l’arrêt Delagrange de septembre 1607 prononcé en robes rouges, et par lequel la Cour a jugé que les offices n’entraient pas dans la communauté. La stipulation étant contraire, il y a lieu de s’y arrêter. Cependant la disposition du père n’était pas moins louable que favorable. Elle était même honorable vis-à-vis de la mère, dont l’affection et les vœux devaient se conformer en ce point au dessein et à l’intention de son mari. Ce dernier a sans doute estimé son office à trop vil prix. Il y a lieu d’infirmer la sentence sur ce point et adjuger l’office à Balthazar Duplessis pour la somme qu’il plaira à la Cour d’arbitrer. Pour la Cour, le premier président Le Jay suivit l’avis de l’avocat général et, sur appel, mit les parties hors de cour et de procès, sans dépens.
Signification et efficacité sociales de la jurisprudence
17L’objectif de notre travail est de croiser trois types de sources : le discours de la jurisprudence tenu par les arrêtistes, les actes judiciaires eux-mêmes, en particulier les plaidoiries des avocats19, et les actes de la pratique, tels que les archives notariales les font découvrir. Les actes notariés donnent une tonalité bien différente des arrêts célèbres. Par là aussi, se construisait une solidarité familiale, cependant impuissante à conjurer les potentialités conflictuelles tant redoutées par les pères et mères de famille.
Duhamel, seigneur de Guibeville (près de Montlhéry), maître des Comptes
18Un premier exemple sera fourni par une famille qui entretint un rapport compliqué avec les offices qu’elle détenait, mais qui ne s’en remit pas à la justice pour trancher la situation complexe qui avait résulté du remariage du père ; elle préféra l’arbitrage d’un aréopage de grands avocats20. Louis Duhamel était auditeur des Comptes lors de son premier mariage en 1564 ; cet office lui venait de son père. Il avait acquis durant la première communauté un office de maître des Comptes dont il était revêtu quand il se maria en secondes noces. Ce dernier office avait été acheté des deniers de la première communauté et de la vente de l’office d’auditeur des Comptes. Aucun des deux contrats de mariage ne contient de stipulation sur l’office. L’office de maître des comptes fut vendu en 1595 pour 10 250 écus (30 750 livres tournois). Le différend porte sur la façon de partager cette somme entre la veuve et les enfants des deux lits. Les calculs montrent que les avocats ont adopté la solution suivante : lors de l’inventaire de la première épouse, en novembre 1576, la valeur de l’office de maître, considéré comme appartenant à la première communauté, va pour moitié aux enfants du premier lit, héritiers de leur mère, et pour l’autre moitié au père qui apporte cette moitié dans la seconde communauté. En conséquence, la moitié du prix de vente de l’office sera partagée également entre les enfants des deux lits ; l’autre moitié sera partagée entre les trois enfants du premier lit, qui toucheront l’intérêt au denier 15 (un taux étrange) à compter de la dissolution de la première communauté, et la veuve, si elle accepte la communauté. Il ne sera rien compté aux enfants du premier lit pour les 2 000 écus payés aux parties casuelles pour la survivance dudit office (qui avait permis de le vendre librement). En revanche, comme l’office d’auditeur des Comptes dont était pourvu Louis Duhamel lors de son premier mariage lui était venu de son père, les enfants du premier lit restaient redevables de ce qui n’avait pas été encore payé sur les 5 000 livres promises par leur père à son frère et à sa sœur pour les deux tiers de l’office dont ils étaient cohéritiers. Ces solutions semblent contredire les arrêts qui fixèrent le droit des offices une décennie plus tard : la valeur des offices est prise au moment des transactions dont ils sont l’objet, sans considération de leur prix à l’acquisition ; l’office initial d’auditeur des Comptes, quoique hérité du père, était considéré comme apporté à la communauté par l’époux ; les deniers provenant de l’office étaient tenus pour meubles et l’office traité en mariage et en succession comme un meuble ou un acquêt de communauté21. Telle était bien la conception ancienne que les arrêts célèbres du début du XVIIe siècle ont renversée selon les modalités qu’a établies Simone Geoffroy-Poisson22.
Bailleul contre Delagrange, mère tutrice contre subrogé tuteur
19Venons-en à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt célèbre dont il vient d’être parlé et qui marque le début du retournement de la jurisprudence, l’office devenant un immeuble et un propre masculin, susceptible de remploi, quelles qu’aient été les conventions matrimoniales.
20Louis Delagrange, sieur de Trianon (près de Luzarches), trésorier de France à Orléans, s’était marié par contrat du 17 juillet 1600 avec Marie de Bailleul. Il s’agissait d’un second mariage pour eux deux. Elle était veuve d’un conseiller au parlement de Rouen, Baptiste Lechandelier, qui était décédé avant février 158823, et lui de Judith Billiad, fille d’un trésorier général de l’Extraordinaire des guerres, morte avant novembre 1594. Aucun des deux n’avait d’enfant vivant de son premier mariage. Le contrat de mariage entre Louis Delagrange et Marie de Bailleul est connu par sa minute originale24 et par un arrêtiste qui l’analyse : Marie apportait 2 000 écus en argent comptant, 1 333 écus en bonnes dettes, bagues, joyaux et autres meubles. « Et, pour le regard de sondit mary, y auroit mis peu de chose : en consideration de quoy, il n’auroit faict par ledit contrat aucune reservation ny stipulation que ledit office luy demeureroit propre ny aux siens25. » Le couple eut une fille prénommée Marie. Delagrange mourut à Orléans en juin 1605 en ayant passé procuration ad resignandum, mais sans vivre les quarante jours qui aurait assuré à ses héritiers la propriété de l’office. Heureusement, son frère Sébastien était secrétaire du Conseil privé, ce qui facilitait bien les choses. La veuve lui envoya la procuration qu’il réussit à négocier 3 000 écus (9 000 livres) avec Loménie le jeune (le futur secrétaire d’État). En fait, comme Louis Delagrange avait négligé de payer la paulette, l’office était tombé aux parties casuelles et la faveur du secrétaire du Conseil s’était résumée à négocier la procuration pour un tiers de la valeur de l’office26. Mais, sans lui, il est bien possible que la valeur de l’office ait été perdue en totalité. Les Delagrange, nonobstant la négligence de leur frère défunt, avaient le sentiment que c’étaient eux qui avaient sauvé une partie de l’office. Or les relations n’étaient pas excellentes entre la veuve et la nombreuse fratrie de son époux, menée par le subrogé tuteur de Marie Delagrange, Innocent Delagrange, conseiller au parlement. La veuve dit dans l’inventaire après décès qu’elle considérait l’office dont son mari était pourvu longtemps avant leur mariage comme un bien de communauté et les deniers provenant du produit de la vente de la procuration devaient donc être mentionnés comme argent comptant. Dans cette hypothèse, la valeur de l’office aurait été également partagée entre elle, comme ayant accepté la communauté, et sa fille unique27. Les Delagrange ne l’entendaient pas ainsi et voulaient que l’office fût déclaré propre et revint en totalité à leur nièce Marie. En l’occurrence, la question avait peu d’importance si Marie de Bailleul ne se remariait pas, puisqu’à charge de remploi, elle aurait, comme tutrice, la gestion de tous les biens de sa fille. L’enjeu de ce conflit d’intérêt était donc surtout juridique et c’est peut-être la raison pour laquelle le parlement, après une sentence contraire des requêtes de l’Hôtel28, jugea en faveur de la fille. Cette dernière épousa en 1621 Henri de Fourcy, président des Comptes et surintendant des bâtiments du roi29.
21L’arrêt Delagrange ne mit nullement un terme au débat doctrinal. En 1618, les enfants du conseiller au parlement Christophe Bouguier (deux fils, tous deux conseillers au parlement – l’un laïc et arrêtiste, l’autre clerc –, et une fille, épouse du maître des Comptes Jean de Mesgrigny), avaient désigné des arbitres, tous conseillers au parlement, pour régler leur différend concernant l’office de leur beau-père, second mari de leur mère, Edouard Molé qui avait acquis une charge de président à mortier sous Henri IV durant la communauté. La contestation les opposait donc au procureur général Mathieu Molé, futur premier président, leur demi-frère30. Pierre Descroisettes, arbitre désigné, s’est
« […] excusé du jugement du differend desd. parties a l’occasion de ce que, depuis leur compromis accepté, le decedz de la femme dud. sieur Descroisettes et les heritiers de feue damoiselle sa femme, pour raison du rapport de la moictyé des deniers de l’office de conseiller en ladicte Cour dont icelluy Descroisettes auroit esté pourveu pendant la communaulté de biens qu’il avoit avec sad. femme, et qu’il se trouvoit pareille question a decidder entre lesd. partyes pour raison de l’office de president au parlement que feu monsieur Molé, pere dudict procureur general, auroit acquis pendant la communaulté d’entre luy et feue madame sa femme et partant ne pouvoit estre l’un des juges desd. parties31 ».
22L’affaire des Bouguier était aussi considérable que la valeur colossale d’une charge de président à mortier (à l’époque, environ 350 000 livres). On remarquera que les parties, tous magistrats de premier plan, préféraient recourir à l’arbitrage amiable de leurs confrères, plutôt qu’à un coûteux procès susceptible de déboucher sur un arrêt célèbre. Dans les années 1640, la question semblait toujours ouverte : Marie Feydeau, veuve du président des Comptes Pierre de Maupeou, tutrice de ses enfants mineurs, et leur fils aîné majeur, conseiller au parlement, s’en remettaient à l’arbitrage de trois avocats (Doublet, Hillaire, Pierre Bouard, Julien Brodeau s’étant désisté, ce qui paraît naturel de la part d’un arrêtiste qui avait commenté les arrêts célèbres en question) « pour juger la question concernant le prix de l’office de president des Comptes dud. deffunct, pretendu mobilier par lad. dame de Maupeou esd. noms, et immobilier par led. sieur de Maupeou32 ». La longue contestation de la jurisprudence indique bien qu’elle se heurtait à une résistance, en particulier de la part des femmes.
23La jurisprudence, où les magistrats étaient juges judiciairement et parties socialement, se construisait donc pas à pas au fil d’arbitrages autant que de décisions de justice : elle participait d’une démarche qui était fondatrice de la noblesse de robe en tant que classe sociale. On peut dire qu’elle est autoréférentielle ou autopoïétique33.
Gobelin, commissaire au Châtelet : un père contre sa fille du premier lit
24Mais la noblesse de la haute magistrature n’était pas seule en cause.
25Claude Gobelin était fils d’un procureur au Châtelet. Lui-même, procureur au Châtelet, se maria en premières noces avec Claude Moufle, fille d’un procureur au parlement (1596) ; les clauses étaient assorties d’une stipulation très explicite de remploi réciproque des propres aliénés34. Claude Gobelin fut pourvu d’un office de commissaire au Châtelet le 6 septembre 1597, moins de dix mois après son mariage et l’acquisition de cet office se fit des deniers de la communauté, sans doute en partie avec les deniers dotaux35. Gobelin se maria en secondes noces avec Madeleine Gedoyn, fille d’un financier36. En 1616, il réalisa une plus-value considérable en revendant son office de commissaire 16 000 livres37. De nouveau veuf, Gobelin se remaria avec la fille d’un marchand de vin aisé38, mais il enterra aussi cette troisième femme. Il avait gagné énormément sur ses offices. Dès la vente de son office de commissaire, il avait acquis pour 32 000 livres (deux fois plus cher) une charge de commis au greffe du Conseil privé qu’il revendit en 1624 pour 50 730 livres. Gobelin déclarait « que le prix dud. office ne doibt entrer en la communaulté pour luy estre led. office propre, tant par la coustume que suyvant la clause apposee en son contract de mariage avec que lad. deffuncte Marguerite Marrier39 ». On voit que Claude Gobelin, qui était désormais pourvu d’un office de lieutenant au grenier à sel de Mantes et La Roche-Guyon, n’hésitait pas à théoriser sur la nature des offices. Le procès qui l’opposa à ses enfants du premier lit manifeste cet état d’esprit. Il finit par marier sa fille survivante du premier lit en 1628, en lui donnant 13 500 livres de dot, outre des droits immobiliers40. Les arrêts du parlement, dont a parlé Simone Geoffroy-Poisson, mais dont il n’est pas fait mention dans les inventaires, l’aidèrent donc à construire une figure de père absolu ; mais, contrairement à l’arrêt Delagrange qui précède et à l’arrêt Duplessis qui suit, il ne s’agissait pas d’assurer la succession aux offices royaux à l’avantage des descendants directs. Claude Gobelin qui, semble-t-il, avait connu des revers de fortune se remaria en quatrièmes noces en 1630, sans aucune communauté (il constituait cependant à cette quatrième épouse un douaire préfix de 500 livres de rente, alors qu’elle donnait 3 000 livres à son mari et à ses héritiers à prendre après son décès)41. Claude Gobelin fut veuf une quatrième fois, sa dernière femme s’étant montrée une belle-mère généreuse pour tous les enfants des précédents lits de son époux42. Le procès n’avait laissé aucune trace. Et Claude Gobelin, qui se disait commis au greffe du Conseil et non plus lieutenant du Grenier à sel de Montfort, vivait toujours en 1645…
26Le fait que l’office de commissaire au Châtelet n’ait pas été anoblissant semble avoir changé les données sociales à l’intérieur d’une jurisprudence dont la cohérence requérait l’uniformité. Un effet d’entraînement jouait, amenant la robe bourgeoise à s’aligner sur les idéaux de la robe noble. Le modèle patriarcal constituait d’ailleurs un idéal partagé entre noblesse et bourgeoisie.
Balthazar Duplessis contre Catherine Boué, fils contre mère
27Pierre Duplessis, conseiller au Châtelet depuis septembre 1597, se maria en juillet 1603 avec Catherine Boué, fille majeure et orpheline d’un riche marchand drapier43. La famille Duplessis relevait de la catégorie des hybrides sociaux44. Le grand-père de Pierre, époux d’une Séguier, était avocat au bailliage de Chartres ; le père, à son mariage avec une Gobelin, était procureur du roi en l’élection et magasin à sel de Paris45 ; à la fin du siècle, il était devenu gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi, une fonction qui impliquait tacitement la noblesse. Pierre Duplessis adjoignait la qualification d’écuyer au titre de son office, dont il mourut revêtu, sans avoir pu ou voulu accéder à une charge de cour souveraine. Son contrat de mariage avec Catherine Boué comportait une clause on ne peut plus explicite :
« A esté expressement accordé entre lesd. partyes que, advenant le decez dud. futur espoux auparavant lad. future espouze, led. estat et office de conseiller aud. Chastellet duquel led. futur espoux est a present pourveu, receu, jouissant et a luy appartenant, entrera en la future communaulté et, en cas que lad. future espouze predecedde led. futur espoux, led. office de conseiller au Chastellet n’entrera en icelle communaulté, ains apartiendra entierement aud. sieur futur espoux. »
28En dépit de cette clause, Pierre Duplessis léguait par testament en 1634 son office à son fils, ainsi que sa bibliothèque (adjonction qui manifeste pleinement l’objectif de reproduction sociale du mourant)46. On a vu que la jurisprudence s’engouffra dans cette contradiction pour limiter les droits de la mère et accorder l’office au fils (la bibliothèque ne pouvait être considérée que comme meuble en dehors de stipulation particulière). Mais le jugement n’arrangea pas les affaires des Duplessis, sans doute assez embarrassées, et l’office fut vendu à un tiers (Vincent Lebret) sans que Balthazar Duplessis en ait été pourvu. Il semble que la vente ait d’ailleurs été effectuée par la mère47, probablement parce qu’elle avait exigé le paiement des 10 000 livres tournois, moitié de la valeur de l’office fixée par son mari, alors, qu’à l’époque de la mort de ce dernier, les charges de conseiller au Châtelet se négociaient pour 45 000 à 50 000 livres. Sans aller jusqu’à abroger la clause du contrat de mariage, l’arrêt manifestait la force de la nouvelle jurisprudence qui voulait faire de tout office un propre masculin destiné à suivre la ligne de son possesseur, même si cet office n’était pas anoblissant.
Conclusion
29Les contraintes de la transmission des charges publiques ont été canalisées dans une jurisprudence qui tendait à faire des offices des biens d’une nature originale : meubles ou immeubles selon les cas, propres au mari, ne pouvant même constituer des acquêts de communauté, les offices étaient le seul type de biens dont la propriété était interdite aux femmes (lesquelles devaient se rabattre sur les « récompenses » qui leur étaient accordées en compensation des investissements qu’elles avaient éventuellement consentis en faveur de leur époux)48. La question de la nature de l’office agita la doctrine durant toute la première moitié du XVIIe siècle. Le nombre des arrêts, mais aussi des accords amiables sur le sujet, témoigne de l’urgence du problème et de la chaleur de débats qui furent tranchés avec clarté par des arrêts célèbres qui confortèrent ce que Sarah Hanley a théorisé sous le nom de « complexe État-famille ». Cette jurisprudence générale concernant tous les offices, anoblissants ou non, ne s’imposa pas facilement parce qu’elle renversait les usages du siècle précédent et rompait la collaboration organisée par la communauté entre époux dans la coutume de Paris.
30En faisant de l’office un propre masculin, sauf stipulation contraire, qui restait toujours loisible, les magistrats croyaient faciliter les transmissions de père en fils, c’est-à-dire construire la noblesse de robe dans son caractère graduel. Comme le disait l’avocat Claude Gaultier, plaidant sur la dévolution des deniers provenant de l’office de conseiller au Grand Conseil de Charles de La Robie, la nouvelle jurisprudence visait à « establir le bien, le repos et la grandeur de vos familles, qu’enfin la Vertu hereditaire des enfans ne se verra point despoüillée des principales marques qui en conservent l’esclat et la reputation49 ». Cet argument valait de fait pour la noblesse de robe comme pour la robe bourgeoise.
31Manifestement, cette jurisprudence cherchait à évincer les femmes des successions aux offices. On a entrevu qu’elle multipliait les conflits, car les épouses, les mères, voire les aïeules, n’entendaient pas être dépossédées de la sorte. Or c’étaient souvent les veuves qui, « faisant office de bonne mère », achetaient les charges pour leur fils. La jurisprudence nouvelle tendit à se retourner contre les mâles : les pères, pour protéger leur fille, faisaient stipuler propre la plus grosse partie des dots (symétriquement à la qualité de propres masculins des offices). Les maris pouvaient toujours se servir des deniers de leurs femmes pour acheter une charge, mais leurs héritiers devaient assurer le remploi des propres aliénés de l’épouse sur la communauté et, si elle ne suffisait pas, sur les propres de l’époux. Tout ce dispositif fragilisait la fortune des officiers au bénéfice de leurs femmes qui ne leur étaient plus associées économiquement dans la détention de charges publiques. Les biens des femmes restaient mieux protégés, sans doute pour assurer, en cas de faillite paternelle, la transmission aux enfants d’une part de leurs héritages (les propres maternels et le douaire aux enfants). La dépendance des jeunes générations à l’égard des aînées s’en trouvait renforcée, ce qui était aussi une visée naturelle de l’imaginaire patriarcal. Les rôles masculins – la transmission des « dignités » – et les rôles féminins – la transmission des biens ordinaires – étaient ainsi censés se compléter idéalement. Mais ce système était tout théorique : les contrats de mariage dérogeaient souvent à la jurisprudence en déclarant que les offices entreraient dans la communauté conjugale ; c’était se conformer à la pratique indifférenciée de la parenté (ne distinguant pas entre parents et biens paternels et maternels) qui fondait la reproduction de la domination sociale dans la société d’Ancien Régime. Les arrêts célèbres répondaient à des visées doctrinales quelque peu déconnectées des pratiques observées, qu’ils finirent par modeler toutefois.
Notes de bas de page
1 Albert Cremer, « La genèse de la notion de noblesse de robe », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 46, 1999-1, p. 22-38, sur la mutation des années 1600. Robert Descimon, « La vénalité des offices et la construction de l’État dans la France moderne. Des problèmes de la représentation symbolique aux problèmes du coût social du pouvoir », Robert Descimon, Jean-Frédéric Schaub et Bernard Vincent (dir.), Les figures de l’administrateur. Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal, Paris, Éditions de l’EHESS, 1997, p. 77-93, sur l’évolution du statut juridique des offices.
2 Ralph E. Giesey, « Rules of Inheritance and Strategies of Mobility in Prerevolutionary France », American Historical Review, 82, 1977, p. 271-289, et « State-Building in Early Modern France: The Role of Royal Officialdom », The Journal of Modern History, 55, 1983, p. 191-207. Sarah Hanley, « Engendering the State: Family Formation and State Building in Early Modern France », French Historical Studies, 16, 1989-1, p. 4-27 (trad. fr., « Engendrer l’État. Formation familiale et construction de l’État dans la France du début de l’époque moderne », Politix, 32, 1995, p. 45-65), et « Social Sites of Political Practice in France: Lawsuits, Civil Rights, and the Separation of Powers in Domestic and State Government », American Historical Review, CII, 1997-1, p. 27-52, ainsi que « Family and State in Early Modern France: The Marriage Pact », Marilyn J. Boxer et Jean H. Quataert (éd.), Connecting Spheres. Women in the Western World, 1500 to the Present, Oxford, Oxford University Press, 1987, p. 53-63, et encore « “The Jurisprudence of the Arrêts”: Marital Union, Civil Society, and State Formation in France, 1550-1650 », Law and History Review, 21, 2003-1, p. 1-40, et « The Family, the State, and the Law in Seventeenthand Eighteenth-Century France: The Political Ideology of Male Right versus an Early Theory of Natural Rights », The Journal of Modern History, 78, 2006, p. 289-332. Marcelle Durupt, Évolution de la notion de propre dans la coutume de Paris, Poitiers, Société française d’imprimerie, 1938.
3 Roland Mousnier, La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, Paris, PUF, 1971 (1945).
4 Paul Louis-Lucas, Étude sur la vénalité des charges et fonctions publiques et sur celles des offices ministériels depuis l’Antiquité romaine jusqu’à nos jours, t. 2 : Ancien droit français – Droit intermédiaire, Paris, Challamel et Thorin, 1882.
5 Désormais, tous les officiers, ceux de judicature comme ceux de finance et les offices ministériels, ainsi que leurs héritiers, pouvaient vendre leur office sous réserve de payer chaque année le soixantième de la valeur à laquelle chaque office avait été taxé, sans plus être assujettis à la règle des quarante jours.
6 François Bourjon, Le droit commun de la France et la coutume de Paris réduits en principes, livre II, titre 11, 3e partie, chap. 1, section 1, Paris, Grangé-Rouy, 1747.
7 Les « offices » ne sont mentionnés que dans les dernières coutumes qui ont été réformées : Normandie en 1577, Paris en 1580, Orléans et Calais en 1583.
8 Les prononciations solennelles en robes rouges (avec deux conseillers de chaque chambre de la cour) avaient lieu quelques jours précédant les fêtes de Noël, de Pâques, de la Pentecôte, de l’Assomption et de la nativité de Notre-Dame. 138 arrêts ont été prononcés en robes rouges entre 1580 et 1621, Arrests de la Cour en robbes rouges corrigez et recueillis par M. Jacques de Montholon, à Paris, chez Jean Guignard, 1634, p. 20 sq.
9 Dictionnaire des Arrêts ou jurisprudence universelle des Parlements de France et autres tribunaux contenant par ordre diplomatique les matières bénéficiales civiles et criminelles, t. IV, à Paris, chez G. Cavelier, M. Brunet, N. Gosselin, G. Cavelier fils, 1727, p. 755, no 46.
10 Arrests de la Cour, décisifs de diverses questions, tant de droict, que de coutume, prononcez en robbes rouges, ou donnez sur procez partis et autres, par M. Jean Bouguier, à Paris, chez Jean Guignard, 1634, p. 222 sq.
11 Il fait référence à un arrêt du 19 février 1605 concernant M. de La Proustière [Gourreau], maître des requêtes : il a été jugé que les héritiers de la femme ne pouvaient prendre part à l’état de maître des requêtes qui avait été acheté avec des deniers provenant d’un autre état que le sieur de La Proustière possédait déjà quand il a contracté mariage (Arrests de la Cour…, op. cit., arrest CXI, p. 241).
12 « Office vénal est réputé immeuble & a suitte par hypothèque quand il est saisi sur le débiteur par authorité de Justice paravant résignation admise & provision faite au profit d’un tiers : & peut estre crié & adjugé par décret : & toutesfois les deniers provenans de l’adjudication, sont sujets à contribution, comme meubles, entre les créanciers opposans qui viennent pour ce regard à desconfiture au sol la livre. » Nouveau Coutumier général ou Corps des Coutumes générales et particulières de France et des Provinces connues sous le nom des Gaules, par Charles A. Bourdot de Richebourg, t. III, à Paris, chez M. Brunet, 1724, p. 37.
13 Recueil d’arrêts du Parlement de Paris, pris des mémoires de feu M. Pierre Bardet, avec les notes et dissertations de M. Claude Berroyer, nouvelle édition revue et augmentée par C. N. Lalaure, Avignon chez Pierre Joseph Roberty, libraire, 1773, 2 tomes, t. 1, livre II, chap. 49, p. 194-196.
14 Il critique les offices : « C’est une cabale découverte de nos jours, un mauvais trésor, un malheur du siècle, qui nous contraint de souffrir et de tolérer ce que nous ne pouvons empêcher. C’est un droit nouveau, il n’est donc ni certain ni assuré. Néanmoins les arrêts y ont établi quelques maximes. » Recueil d’arrêts du Parlement…, op. cit., t. 1, livre II, chap. 49, p. 195. Aussi Dictionnaire des arrêts…, op. cit., t. IV, chap. 48, p. 754.
15 Arrêt cité dans Le Journal des principales audiences du Parlement avec les arrêts qui y ont été rendus et plusieurs questions et règlements placés selon l’ordre des tems par Maître Jean Du Fresne et dans Brodeau, op. cit., Lettre E sommaire 2. Voir aussi Loyseau, Traité des Offices, livre 3, chap. 10, no 41.
16 Recueil de plusieurs arrêts notables du Parlement de Paris…, op. cit., p. 281 sq.
17 Recueil d’arrêts du Parlement de Paris…, op. cit., t. II, livre V, chap. XIV, p. 232 sq.
18 Œuvres de M. Barthélémy Auzanet. Arrests du Parlement de Paris…, Paris, chez Nicolas Gosselin, 1708, t. 1, livre 1, chap. 83, p. 117-118. Arrêt du 4 février 1614.
19 À l’étape actuelle, il faut avouer que les recherches déjà longues que nous avons effectuées dans les archives du parlement de Paris n’ont rien donné, alors même que le calendrier d’un procès comme la cause Bailleul contre Delagrange nous a permis de parcourir tous les registres susceptibles de contenir les jugements et plaidoiries. S’agissant d’arrêts célèbres bien connus des arrêtistes, ce silence ne laisse pas de surprendre.
20 L’analyse est construite à partir de AN, MC, LXII 22, f° 129 v°, 20 novembre 1595, « jugement arbitral » rendu par les avocats Jacques Chouart, Pierre Pithou, François Chauvelin, Denis Bouthillier et Antoine Arnauld. AN, Y 107, f° 251, 6-30 avril 1564, mariage Louis Duhamel-Louise Ripault. MC, VIII 381, 8 décembre 1576, mariage Louis Duhamel-Nicole Hotman. MC, LXII 25, f° 221, 14 mai 1597, partage de succession Louis Duhamel (où il n’est pas question de l’office).
21 La multiplication des exemples servirait à établir cette assertion qui vaut même pour les plus grands offices. AN, MC, VIII 395, f° 208, 23 février 1585, accord sur la succession du président des Comptes Guillaume Bailly qui avait cédé son office à son fils Charles lors du contrat de mariage de ce dernier (10 septembre 1581) pour 10000 écus (une sous-évaluation manifeste). Le différend entre cohéritiers n’avait pas changé cette donnée, mais Pierre Dulac et Pierre Pithou, les avocats arbitres, avaient décidé que ladite somme serait rapportée, moitié à la succession du président et moitié à celle de sa femme, preuve qu’ils considéraient l’office comme un acquêt de leur communauté.
22 Paul Louis-Lucas, op. cit., p. 243, montre que cette évolution fut consécutive à la réformation de la coutume. Mais les parties et les juristes restèrent longtemps attachés aux anciens principes qui favorisaient moins la reproduction patrilinéaire des positions sociales produites par l’exercice de la puissance publique.
23 Le mariage date du 20 septembre 1586 (AD Seine-Maritime, Héritages, 2), voir Jonathan Dewald, The Formation of a Provincial Nobility. The Magistrates of the Parlement of Rouen, 1499-1610, Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 358.
24 AN, MC, VIII 421, f° 80.
25 Jacques Corbin, Suite des droits de patronage honorifiques et autres recueils d’arrestz et plaidoyez, Paris, Thomas Blaize, 1622, chap. CCXII, « offices n’entrent en la communauté », p. 534-535.
26 AN, MC, XIX 357, no 140, 29 avril 1607, lors de son contrat de mariage, Pierre de Bragelongne, trésorier de France à Orléans lui aussi, évalue son office stipulé propre à 30 000 livres tournois. En 1579, la charge nouvellement créée de cinquième trésorier de France à Orléans était négociée 21 500 livres (AN, MC, XXI 35, f° 563, 1er mai 1579). On voit que l’imprévoyance de Louis Delagrange avait causé un gros préjudice à ses ayant droits.
27 L’affaire est reconstituée d’après AN, MC, VII 84, no 55, 25 août 1605, inventaire après décès de Louis Delagrange (titre 42, lettre missive de Sébastien Delagrange à sa belle-sœur et déclaration de cette dernière) et VII 71, 9 avril 1607, transaction entre Marie de Bailleul et les frères Delagrange qui finissent par consigner de mauvaise grâce les 9 000 livres tournois entre les mains de l’oncle de Marie de Bailleul, le chirurgien et valet de chambre du roi Nicolas 1 de Bailleul, père du futur président à mortier et surintendant des finances, lequel était à l’époque conseiller au parlement.
28 AN, X1A 5283, 20 janvier 1607, seul acte que nous ayons su retrouver concernant cet arrêt célèbre.
29 AN, MC, LI 132, 19 septembre 1621. Elle apportait 45 000 livres tournois et la seigneurie de Trianon ; le douaire préfix montait à 2 500 livres de rente, réduites à 2 000 si le couple avait des enfants survivants à leur père ; le préciput était fixé à 6 000 livres. En monnaie de compte, sur 21 ans, Marie Delagrange apparaît beaucoup plus riche que sa mère.
30 AN, MC, XXIII 139, 27 novembre 1581, mariage d’Edouard Molé et Marie Chartier, veuve de Christophe Bouguier et fille du conseiller Mathieu Chartier. Elle apportait 13 333 écus 1/3, à elle appartenant par le décès de Bouguier, dont 4 000 entreraient en communauté. Son père lui donnait encore une maison valant 4 000 écus, rue des Poitevins, à condition que le nouveau couple l’habite, bien stipulé propre naturellement, comme l’office de conseiller au parlement du futur.
31 AN, MC, LXXIII 293, no 7, 19 décembre 1618.
32 AN, MC, XCIX 160, 8 février 1642, transaction sur un partage provisionnel. LI 140, 21 octobre 1623, Maupeou avait acheté cet office 333 000 livres. Au début des années 1640, l’office valait au moins 400 000 livres.
33 Pour cette interprétation appliquée à la question fondamentale de l’anoblissement par les charges des cours souveraines, plus spécialement les charges de magistrats savants rendant la justice civile et criminelle, voir Robert Descimon, « The Birth of the Nobility of the Robe : Dignity versus Privilege in the Parlement of Paris, 1500-1700 », Michael Wolfe (éd.), Changing Identities in Early Modern France, Durham/Londres, Duke University Press, 1997, p. 95-123.
34 AN, MC, XIX 334, f° 338, 13 décembre 1596. La future apportait ses droits, dont 600 écus en argent comptant, pour un douaire préfix de 300 écus et un préciput de 100 écus.
35 AN, MC, LXXXIV 63, 16 mai 1608, inventaire après décès de Claude Moufle, titre 2 : contrairement aux dires de l’avocat, l’inventaire mentionnait la quittance de finance, mais non son montant.
36 AN, MC, CV 175, 5 août 1608. La dot comportait de 4 000 livres en argent comptant et des droits immobiliers non chiffrés, le douaire était rachetable pour 3 600 livres et le préciput fixé à 400 livres. L’office de commissaire au Châtelet de Claude Gobelin était stipulé propre ; à l’époque, cette stipulation visait peut-être plus à ce qu’il n’entrât pas dans la seconde communauté qu’à protéger le père contre les enfants mineurs du premier lit, dont le subrogé tuteur (leur oncle, le notaire Simon Moufle) n’était peut-être pas vigilant.
37 AN, MC, CXII 272, 28 novembre 1616.
38 AN, MC, LXIV 25, f° 222, 25 août 1619. La quittance de la dot montait à 10000 livres, dont 5 000 stipulées propres. Le douaire s’élevait à 300 livres de rente rachetable 4 800 livres et le préciput à 600 livres. L’office du futur était de nouveau déclaré propre.
39 AN, MC, V 51, no 2, 21 juin 1619, inventaire après décès de Madeleine Gedoyn, titre 12, et V 72, 31 mars 1629, inventaire après décès de Marguerite Marrier, titre 6 du 16 novembre 1624.
40 AN, MC, V 71, no 177, 10 novembre 1628. La dot s’élevait à 13 500 livres, composée principalement des propres maternels et des acquêts de la communauté, mais complétée par une avance d’hoirie paternelle. L’époux était avocat et se parait du titre d’écuyer. Il semble donc que Claude Gobelin avait en vue, non de spolier sa fille du premier lit, mais de ne pas l’avantager trop par rapport à ses demi-frères et sœurs. Quand il maria sa fille du second lit (MC, V 74, 10 février 1630), il lui promettait 15 000 livres (plus qu’à sa sœur donc), mais la donnait à un simple procureur au parlement. Le préjudice subi par la fille du premier lit tenait surtout à son mariage tardif.
41 AN, Y 175, f° 60 v°, 23 juillet 1630.
42 AN, MC, V 90, 29 mars 1638, inventaire après décès de Jeanne Hardy à la requête de Claude Gobelin, et dépôt du testament olographe de la défunte et du codicille du 17 octobre 1637 : elle faisait de généreuses donations à la fille de Marie Gobelin et de Renaud Lambert (elle laissait 1 500 livres personnellement à ce dernier parce qu’il avait plaidé pour elle et « pour l’amitié »)…
43 AN, MC, VII 64, no 316, 19 juillet 1603.
44 AN, MC, LXXIII 157, f° 185, 15 février 1606, le partage des rentes de la succession de Jean Duplessis et de Geneviève Gobelin fait apparaître que trois des quatre frères cadets de Pierre, le conseiller au Châtelet, étaient d’épée.
45 AN, MC, LXXIII 73, f° 141, 26 juin 1567.
46 AN, MC, LXXIII 203, f° 585, 19 juin 1634, « d’aultant que les offices de judicature sont de peu de profit, je laisse a mon fils mon office de conseiller au Chastelet, qui ne m’a cousté que huict mil cinq cens livres, ensemble mes livres, pour la somme de vingt mil livres, lui faisant desfence de demembrer ma bibliotheque, lui enjoignant de la garder et preserver [ ? lecture difficile], ne voulant et entendant qu’il ne rapporte mondict office et madicte bibliotheque au partage de mes biens que pour ladicte somme de vingt mil livres ».
47 Les pièces du dossier se trouvent en AN, MC, LXXIII 205, no 263, 14 mai 1636, délivrance des pièces concernant l’office par la mère au fils pour qu’il se fasse recevoir le plus tôt qu’il se pourra ; AN, E 129/a, f° 399, 8 mars 1635, arrêt du conseil. MC, LXXIII 197, f° 119, 4 mars 1628, mariage de la fille de Pierre et de Catherine Boué avec Étienne Barbizy, d’une famille noble d’Auvers-sur-Oise, bien connue, mais ruinée (la dot était utilisée à payer les dettes du futur).
48 Sur tous ces points, Paul Louis-Lucas, op. cit., p. 240-310.
49 Claude Gaultier, Les plaidoyez de Monsieur Claude Gaultier, avocat en parlement, 1er vol. , Paris, Théodore Girard, 1662, p. 129. Une affaire que nous avons renoncé à présenter dans cette contribution pour éviter à prolixité.
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