Les frontières invisibles : groupes sociaux, transmission et mobilité sociale dans la France moderne1
p. 25-47
Texte intégral
1Implicitement, les œuvres littéraires des XVIIe-XVIIIe siècles valorisent la reproduction sociale parce qu’elle est associée à la stabilité de la société. La mobilité est au contraire reliée à l’isolement, au déracinement et à la souffrance (La paysanne pervertie de Rétif de la Bretonne2), à l’orgueil humain et au dérèglement de l’ordre social (Turcaret ou le Financier de Lesage). Même dans Le paysan parvenu, la promotion de Jacob est acceptable car elle est involontaire, produit d’un enchaînement de circonstances et non de la réalisation d’un projet. Les chevaliers d’industrie, qui sont proches des figures ambiguës de gentilshommes désargentés3, sont supportables sinon sympathiques parce qu’ils tirent profit de la naïveté et des ambitions illégitimes des bourgeois et bourgeoises.
2Le recours aux archives notariales et le développement de la prosopographie ont permis depuis plusieurs décennies de dépasser ces stéréotypes sociaux, voire de démêler le mythe de la réalité comme dans la figure du laquais financier4. La bibliographie est désormais imposante sur l’ascension sociale par la finance et la robe. Le monde des officiers et des serviteurs du roi étudié d’abord dans les hautes sphères du pouvoir5 (les ministres, la haute administration et les cours souveraines6) est maintenant mieux connu jusqu’au niveau des officiers moyens des villes de province7. Les recherches sur les élites rurales et urbaines lancées dans les années 1980 se poursuivent8, pour comprendre en particulier les dynamiques bourgeoises au-delà du thème de la trahison de la bourgeoisie. Nombre d’intellectuels et d’artistes ont fait l’objet d’études monographiques, même si la lecture des parcours restitués n’est pas toujours exacte9. Les conséquences des aspirations à la mobilité sociale – parfois frustrées – ont été questionnées, ainsi celles des étudiants10 et des bourgeois sur les mouvements sociaux. Les acquis de ces recherches plus ou moins récentes sont indéniables, même si les méthodes et les échelles d’analyse utilisées ont été différentes. Le macro a cédé la place au méso voire au micro. La contestation de la vision traditionnelle d’une société immobile où les migrations sont rares11 a renforcé l’intérêt pour la mobilité dont l’importance avait été longtemps sous-estimée. L’estime sociale afférente aux qualités a été de mieux en mieux prise en compte. L’attention s’est portée vers les singularités des trajectoires plus que vers leurs points communs dont la mise en série fondait les approches quantitatives.
3L’historiographie la plus récente a en effet développé des méthodes et des sources qui contournent les critiques adressées à ceux qui tentent de classer des individus dans des groupes, même si ses choix sont loin d’être entièrement satisfaisants. L’estime sociale est présupposée plus que prouvée, elle est rarement rapportée aux niveaux de fortune et à leur dynamique (conservation, appauvrissement, enrichissement). Le paradigme du réseau (de clientèles, de fournisseurs, de savants, de crédit…) va généralement de pair avec une inscription des acteurs dans un espace social faiblement hiérarchisé12. Le recours aux écrits du for privé accentue la vision d’une société atomisée où les normes n’ont qu’une valeur relative au parcours et à la psychologie de chaque individu. Or même les milieux populaires pensent la société comme hiérarchisée. Pour Trudaine de Montigny, un domestique et un ouvrier vitrier sont égaux, mais Ménétra refuse ce jugement de valeur et s’enfuit de sa maison quand Trudaine veut lui imposer la livrée13. Des compagnons ne peuvent battre un aspirant qui leur est inférieur14. Une jeune blanchisseuse parisienne de 17 ans, Marie Dubuisson, pense que « le mariage avec Jean-Jacques Toussaint, domestique, est tout à fait possible “puisque les jeunes gens étaient égaux de naissance et d’état”15 ». Chacun a une conscience aiguë de sa position dans la société, même si ce rang peut être contesté, lors des querelles de préséance en particulier. Par ailleurs, les acteurs prennent parfois (souvent ?) des libertés dans leurs récits de vie pour s’identifier à un modèle valorisé16, ou par crainte de ne pouvoir tenir leur rang17, comme les hommes et les femmes qui se présentent sous la figure du noble appauvri18 : leurs histoires ni tout à fait vraies, ni tout à fait inventées révèlent autant les désirs et les hantises, c’est-à-dire l’imaginaire de la société, que sa réalité.
4Autant dire que les approches micro isolées sont loin d’apporter des réponses satisfaisantes à toutes les interrogations qui portent sur la société d’Ancien Régime. Il est bon de reprendre les critiques faites aux études de groupes sociaux (les catégories sociales ont été réifiées, « les agrégations macroscopiques en termes de classes, castes, catégories ont montré tout ce qu’elles devaient à une vision à la fois mécanique et téléologique de l’évolution sociale19 ») pour les améliorer. En fait, il faut distinguer les critiques qui portent sur les groupes eux-mêmes, les positions des acteurs à l’intérieur de ces groupes et leur passage éventuel de l’un à l’autre. La constitution de sphères d’équivalence pertinentes20 puis leur articulation en grilles de lecture, le tout contextualisé précisément, est la première étape. Pour délimiter ces groupes, l’historien de la première modernité française est a priori aidé par les titulatures portées par les acteurs21, mais le dix-huitièmiste en est privé. De toute façon, le chercheur doit trouver des indices qui fondent les logiques d’inclusion et d’exclusion dans les groupes, avant de hiérarchiser l’intérieur des groupes eux-mêmes en distinguant le cœur de ses marges. Ensuite, on peut étudier les parcours élaborés par les acteurs qui sont le produit non de leurs seules ambitions mais de compromis entre leurs capacités et leurs désirs, entre les normes imposées et les normes autoproduites, et déterminer s’il s’agit de mobilité horizontale, d’ascension ou de déclassement social. Les atouts de ces acteurs peuvent être pensés sous la forme synthétique du capital social. Le concept est bien sûr librement emprunté à Pierre Bourdieu, mais il n’est pas utilisé pour démonter la société comme une sorte de mécanique, dans une vision déterministe22. Le capital social personnel d’un acteur intègre bien sûr son capital symbolique, mais il peut être décomposé en capital culturel (une aptitude professionnelle, un savoir-être à la cour), capital économique et capital familial.
5Le capital familial passif comprend le patronyme, les parents vivants et (par extension) les amis qui comptent par ce qu’ils sont. Le capital actif est composé des éléments transmis volontairement par un père ou un beau-père, ou un oncle, une mère, un frère ou une sœur aînée. Qu’est ce qu’on peut transmettre, qu’est ce qu’il faut transmettre ? Selon les milieux, les éléments transmissibles sont plus ou moins nombreux. Dans la noblesse, on doit transmettre le nom, le capital économique, symbolique et culturel. Pour les artisans, les marchands mais aussi les talents, la transmission des savoir-faire et des compétences est fondamentale, elle n’est pas forcément associée à la transmission d’un capital économique. Ainsi peut s’opérer la continuité de formes instituées, corporées, réglées où sont présentes les familles. Cela dit, tous les parents ne s’inscrivent pas dans une logique de ce type, par choix (un bel exemple, le père du vitrier Ménétra, ce qui explique que Jacques-Louis fasse un mariage aussi médiocre23) ou par défaut. Par ailleurs, la détention par un héritier de tous les atouts nécessaires pour reproduire voire améliorer la position transmise ne garantit pas la réussite du projet, les aptitudes personnelles du successeur comme ses choix permettent – ou non – la conservation des héritages (sur les héritages religieux et la question de la conversion, voir la communication de Monica Martinat). Les capitaux hérités jouent un rôle fondamental dans l’espace de vie qui se dessine au début de l’âge adulte, ils pèsent parfois moins lourd dans les projets élaborés dans la quarantaine (voir ma communication sur le renouvellement de la mercerie).
6Les capitaux sont les moyens dont les acteurs disposeront pour se reproduire, améliorer leur position, ou éviter leur déclassement. Leur mobilisation se fait dans un espace social contraint, elle varie selon la nature du projet qui s’inscrit dans une hiérarchie particulière. Ces cadres sont le produit combiné de l’action de la monarchie qui impose des normes (comme l’unification juridique de la noblesse avec Colbert), mais aussi des corps (voir la communication de Martine Bennini) et des familles (Élie Haddad). Ils ne sont pas immuables, les acteurs les connaissent plus ou moins bien, ils peuvent être tentés de repousser leurs limites. Quelle est la part de l’individu (Monique Cottret), de la famille (Mathieu Marraud, Nicolas Lyon-Caen), de la communauté (Corine Maitte) dans les parcours sociaux ? Jusqu’où peut-on monter ? Jusqu’où descend-on ?
7Les grilles de lecture des parcours qui correspondent aux diverses hiérarchies doivent être clarifiées, qu’elles reposent sur des normes etic ou emic. Les institutions et les familles sont régulées par des normes seulement partiellement communes qui esquissent le contour d’espaces de mobilité. Ainsi on peut distinguer l’accessible et l’impensable, le normal (au sens d’habituel, d’ordinaire) de l’exceptionnel, même s’il reste toujours dans les corpus étudiés des individus inclassables, à cause des lacunes de la documentation. Les groupes ainsi délimités forment des espaces bornés par des frontières invisibles24, les acteurs mobilisent des moyens plus ou moins importants pour rester dans l’un ou passer dans un autre. La société parisienne servira de terrain principal d’observation pour penser ces dynamiques.
Des grilles de lecture sociopolitiques aux hiérarchies sociales
8L’élaboration des sphères d’équivalence implique la délimitation des cadres des transmissions et des mobilités.
Grilles etic
9Les grilles de lecture mobilisables peuvent être tirées d’abord de l’arsenal méthodologique construit par les sciences sociales (normes etic). Le renouvellement des élites est ainsi traditionnellement présenté comme un phénomène lié aux mutations des élites dominantes et à leur remplacement par d’autres, grâce à l’ascension sociale de nouvelles catégories ou bien à leur mobilité géographique (quand ce sont des conquérants étrangers pour les groupes politiques25). Faut-il vraiment penser séparément les mobilités géographique et sociale ? Le degré d’ouverture ou d’une fermeture d’une société ou d’un corps se mesure non à l’intensité de sa mobilité géographique mais à celle de sa mobilité sociale. Les individus issus d’une élite (locale, régionale ou nationale) qui accèdent au groupe dominant dans un autre lieu ont connu une mobilité géographique, mais sont dans une dynamique de reproduction sociale puisqu’ils occupent ailleurs la même position que leurs pères ou leurs frères qui n’ont pas migré, leur histoire témoigne simplement de la fluidité de la société. On ne saurait les confondre avec les hommes nés dans un groupe exclu de l’élite et qui réussissent à y accéder, ceux-là seuls ont connu une véritable ascension sociale26. L’historien tire aussi profit de la différenciation entre le chef d’entreprise et l’employé, entre l’héritier qui se marie avec une fortune transmise et celui qui ne dispose que ses gains et épargnes. Ces questionnements permettent d’intégrer les études locales dans l’ensemble des réflexions menées par les historiens et les sociologues sur les sociétés anciennes et contemporaines en tout lieu, bref de les rattacher à l’histoire globale.
Grilles emic
10Mais on ne saurait se contenter de ce niveau de lecture et renoncer à prendre en compte les normes et valeurs de la société étudiée (emic)27. Les grilles de lecture nationales ou régionales fournissent souvent un premier cadre, leur pertinence doit être testée localement et la grille ajustée à la société du lieu étudié pendant une période donnée28. La distinction entre les mécaniques et les marchands est ainsi un critère de classement pertinent pour l’administration de la fin du règne de Louis XIV29, mais, selon les villes, la frontière qui sépare les notables potentiels des exclus du pouvoir urbain inclut ou non les apothicaires, mais aussi les médecins, les procureurs. Les normes sont tout particulièrement différentes entre les petites et les grandes villes, car la hiérarchie sociale locale est plus étendue et complexe dans les villes avec parlement comme Paris, Bordeaux et Rouen que dans les cités présidiales comme Guéret ou Abbeville30. Mais de fortes ressemblances peuvent exister dans les normes du recrutement sociologique des municipalités dans des villes proches, ainsi à Montpellier, Narbonne, Albi et Toulouse31. L’intégration dans les corporations est plus facile pour les fils de maître que pour les autres, mais d’une communauté à une autre, les règles sont différentes. La cour elle-même est un lieu dont l’accès est réglé par des normes spécifiques (voir la communication d’Élie Haddad).
11Les pratiques sociales révèlent des normes d’usage qui généralement complètent ces normes juridiques, parfois y suppléent. Au XVIIIe siècle, la fermeture du parlement de Paris s’appuie simplement sur des usages, les charges de conseillers, anoblissantes, sont quasiment réservées à des individus qui sont déjà nobles. La municipalité parisienne qui était investie par nobles et bourgeois jusqu’à la Fronde32 s’embourgeoise au siècle des Lumières sans changement juridique33. Les individus et les corps s’accommodent en général de ces normes, parfois ils les contestent : ainsi, à Paris, les notaires accèdent à l’échevinage à partir des années 1620 et ce jusqu’à la Révolution34 ; en revanche, les libraires et les procureurs en restent exclus malgré leurs réclamations en 1763.
L’exemple des corps, communautés et compagnies
12Les grilles de lecture sociopolitiques ne sont pas intemporelles, elles sont pertinentes dans un contexte donné. Pour l’histoire des élites, elles dépendent en particulier (mais pas uniquement) des rapports avec la monarchie. Sarah Hanley a montré que le XVIe siècle était marqué par le complexe État-familles35, mais à partir du règne de Louis XIV, cette solidarité glisse vers une collaboration entre la monarchie et les corps36. Le Grand Siècle voit aussi une augmentation sans précédent des attributions du pouvoir royal au détriment des autres pouvoirs. Avec le déclassement politique des municipalités, être édile suppose et confère un capital économique et une estime sociale moins importants37. Les conséquences sociales de l’absolutisme sur les cours souveraines, dont les membres subissent préjudice économique et marginalisation politique, ont été moins prises en compte38. La place de la robe dans les élites sociales a pourtant été redéfinie, ce que révèle l’évolution du prix des offices de justice qui s’effondre à partir de 172039. La promotion par l’office de justice qui était naturelle au XVIIe siècle n’est plus obligatoire au siècle suivant, la finance a cessé d’être une condition transitoire pour devenir un état comme la robe et l’épée40. Le parlement de Paris est particulièrement affecté par cette évolution. Le « dégoût de la robe41 » retient certains fils de robins de se faire parlementaires42. Les charges de conseillers au XVIIIe siècle sont donc moins recherchées, des offices restent plusieurs années sans trouver preneur, forçant leurs détenteurs à les louer à vil prix43. L’offre excède la demande, les flux issus de la reproduction comme de l’ascension sociale ne sont pas assez importants pour compenser les départs. Dans les années 1740, la crise est particulièrement aiguë. Quelques jeunes magistrats, dont le comportement est considéré par la cour comme incompatible avec la dignité du corps, sont contraints à la démission44. La morale publique retient surtout les frasques de ces hommes nouveaux45, mais la prodigalité n’est pas leur apanage. Louis Angran de Fontpertuis, reçu en 1740, est mis à Saint-Lazare dès l’année suivante, couvert de dettes, « ivrogne et débauché et ayant tout fricassé de ce que son père lui avoit donné46 ». Les départs involontaires se multiplient par ailleurs : les deux fils de Charles Léonor Aubry, conseiller de 1691 à 1735, quittent la cour en 1741-1742 parce qu’ils sont ruinés47. Le parlement de Paris, dont la position politique est fragilisée, apparaît alors comme un corps social où ceux qui le peuvent ne souhaitent pas forcément entrer ou rester, et ceux qui le désirent ne peuvent pas toujours se maintenir ou accéder. Il a subi un déclassement dans les hiérarchies politique et sociale par rapport au premier XVIIe siècle.
Deux grilles de lecture de la bourgeoisie parisienne au XVIIIe siècle
13La valeur d’un corps ou d’une catégorie sociale et sa position dans un groupe plus large n’est donc pas immuable48, elle peut aussi être différente dans une même période selon la grille de lecture mobilisée, comme c’est le cas pour les Six-Corps et les notaires à Paris au XVIIIe siècle. La valorisation des institutions urbaines, de la bourgeoisie et de la notabilité parisienne, qui sous-tend par exemple le manuscrit de l’ancien libraire Prosper-Siméon Hardy49, forme une des grilles de lecture de la société. À cette aune, les artisans n’appartiennent pas à la même sphère d’équivalence que les marchands, ils sont « bourgeois de Paris » juridiquement50, mais pas politiquement car ils sont quasiment exclus des lieux de pouvoir urbain (même des assemblées électorales). Les notables qui ont accédé à des responsabilités dans leur corps de métier, leur paroisse, la municipalité ou au consulat bénéficient d’un surcroît d’estime par rapport aux autres bourgeois : au cœur de la notabilité, on trouve les marchands des Six-Corps, les notaires et les avocats, dans le deuxième cercle (qui n’a accès qu’à une partie des lieux de pouvoir), les marchands de vin, les libraires et les procureurs51. Pour Hardy, la Ville, le consulat, les fabriques sont animés par des bourgeois qui ont à la fois une autonomie et une dignité dans le cadre d’une monarchie certes plus centralisée qu’au XVIe siècle, mais qui n’a pu réduire à néant les initiatives des acteurs locaux.
14Cette conception de la hiérarchie sociale est au contraire considérée comme illégitime par Louis-Sébastien Mercier :
« Avoir une occupation différente de son voisin est un titre pour se moquer de lui ; le notaire et le greffier se jugent séparément l’un au-dessus de l’autre ; le procureur et l’huissier se regardent comme de deux castes différentes…
Je ne sais si le marchand de vin visite le vinaigrier, et si le libraire n’attend pas que le papetier fasse les premiers pas ; le conseiller au parlement voit en pitié un conseiller du Châtelet…
L’on met souvent en délibération dans la bourgeoisie, si l’on rendra la visite à son voisin, et si l’on n’en seroit pas dispensé par quelque dignité personnelle, comme par exemple celle de marguillier, de syndic de sa communauté, de quartenier, de futur échevin, qui doit graver son nom sous la statue équestre de nos rois. […] Tout corps, tant il est frappé d’aveuglement, ne sent que l’injustice faite à l’un de ses individus, et regarde comme étrangère à ses intérêts l’oppression du citoyen qui n’est pas de sa classe. Le militaire rit des coups qui tombent sur l’homme de robe ; l’homme de robe voit avec indifférence le prêtre qui s’avilit ; le prêtre croit pouvoir exister indépendamment des autres états, et l’orgueil non moins que l’intérêt a divisé des professions qui se touchent, qui ont entr’elles les plus invincibles rapports : armées les unes contre les autres, elles se prévalent tour-à-tour des petits avantages qu’elles ont obtenus la veille, pour les perdre le lendemain ; car pendant cette lutte le gouvernement, en paroissant vouloir les accorder, les pompe et les dessèche pour les retenir toutes sous sa main et les faire mouvoir à sa volonté.
Personne ne veut songer que ces travaux différens sont liés ensemble, et portent à la masse des connoissances un trait de lumière ; que la science est nécessairement une, et que toutes les découvertes ne tendent qu’à diminuer la source de tous nos maux, l’ignorance et l’erreur.
Aussi la société, morcelée par cette multitude de petites et bizarres distinctions52… »
15Ces jugements ironiques souvent cités témoignent de la modernité de Mercier qui classe les professions par secteurs d’activité économiques, procédure familière aux historiens dans la construction des catégories socioprofessionnelles opérée pour identifier la reproduction et la mobilité sociale53. Le regard de Mercier prend place dans le système de valeurs nouvelles attachées à la philosophie et aux Lumières. Peut-on dépasser ce constat de la coexistence de deux systèmes de valeurs, l’un traditionnel, l’autre moderne, et déterminer celui qui domine dans les mentalités bourgeoises parisiennes ? Un indice laisse penser que c’est le premier qui l’emporte. En 1789, les bourgeois parisiens élisent vingt députés qui siégeront aux États généraux. De cette liste, on retient en général quatre individus (Bailly futur maire de Paris, le médecin Guillotin, l’avocat Camus, et l’abbé Siéyès), ainsi que le nombre important des avocats (cinq), préfiguration de la vie politique révolutionnaire. Après relecture de cette liste avec la grille des valeurs traditionnelles, on constate qu’aucun artisan n’est élu, que 16 députés avaient les qualités requises pour exercer au moins une charge de notable (c’est-à-dire être élus échevins, consuls ou marguilliers)54. Les bourgeois parisiens ont choisi pour les représenter des hommes appartenant aux corps les plus estimés dans la ville. Les critères de classement social dans la roture parisienne avant la Révolution ne sont pas fonctionnels, ils restent marqués par les qualités ontologiques attachées aux qualités sociales et dépendantes de l’accès au pouvoir. Les valeurs défendues par Mercier sont marginales, la nouvelle idéologie n’a pas encore supplanté l’ancienne dans les mentalités de la bourgeoisie.
16Le croisement des hiérarchies sociopolitiques etic et emic permet ensuite de lire les parcours des acteurs. Ainsi à Paris au XVIIIe siècle, un marchand mercier et son fils notaire appartiennent à la même sphère d’équivalence, le parcours du second est seulement marqué par une mobilité professionnelle. De même, les migrants issus de la bourgeoisie rurale cherchent parfois en ville des positions sociales identiques à celles de leurs ascendants et collatéraux restés à la campagne55 : le parcours d’un marchand drapier parisien fils d’un laboureur et procureur fiscal d’Île-de-France est ainsi marqué par une mobilité géographique, une mobilité professionnelle partielle (car les bons laboureurs sont aussi des marchands de grain) mais une reproduction sociale (car les drapiers comme les coqs de village sont des notables). Ces exemples illustrent le thème de la mobilité horizontale, à ne pas confondre avec la vraie mobilité sociale qui est verticale, avec passage d’un groupe inférieur à un groupe supérieur : un notaire fils d’huissier, un libraire fils de cartier papetier, un marchand de vin fils de vinaigrier ont une position sociale supérieure à celle de leurs pères, sans être forcément plus riches.
17Mais, dans une société holiste, les études sociales ne peuvent se cantonner à penser les appartenances et les dynamiques à l’échelle des individus masculins, en excluant les femmes et les familles de leur optique. Car les moyens dont dispose un acteur pour conserver ou améliorer sa position dans un groupe, ou pour passer d’un groupe à un autre, en dépendent.
Logiques familiales : projets, moyens et résultats
18Dans ces cadres hiérarchiques, la reproduction comme la mobilité sociale sont en effet le résultat d’entreprises menées par des acteurs qui sont rarement isolés. Les projets ne peuvent être réalisés que par la mobilisation de différents moyens, humains et économiques, sans préjuger de leur réussite.
Quels projets sociofamiliaux ?
19La nature d’un parcours social ne prend tout son sens qu’intégrée dans une histoire familiale56. L’accès à l’épée d’un fils de la robe peut être lu différemment selon qu’il se marie ou non, selon qu’il a un frère ou une sœur, marié(e) ou célibataire. Le célibat laïc n’empêche pas forcément un individu de transmettre une position (transmission népotique). Bon nombre de cadets de la robe sont placés dans l’armée sans être porteurs d’un projet d’ascension sociale, ils valorisent le lignage par leur position, mais sans alliance, ils n’ont pas vocation à projeter la famille dans l’épée, tandis que leurs frères poursuivent la tradition familiale de la magistrature57. La logique des marchands qui casent un de leur fils dans une cour souveraine sans lui permettre de prendre femme n’est pas non plus un projet d’ascension sociale58. En revanche, le rejeton d’un robin qui devient officier dans l’armée et se marie permet souvent à sa famille de quitter la robe noire pour l’habit militaire.
20Les parcours dépendent beaucoup du capital familial initial, passif et actif. Les acteurs s’approprient les grilles sociopolitiques mais affinent les distinctions, prenant en compte en particulier l’ancienneté de l’intégration dans les corps (voir la contribution de Martine Bennini). Dans le corps de la mercerie parisienne, la distinction entre les héritiers (fils, frères et neveux de maîtres) et les hommes nouveaux ne permet pas de classer les alliances : les héritiers épousant des filles étrangères aux six-corps, et les hommes nouveaux épousant des filles de merciers sont certes minoritaires, mais trop nombreux pour être considérés comme des cas exceptionnels. Cette grille, centrée sur la transmission entre deux individus (un émetteur et un récepteur), s’est avérée inadaptée. L’élargissement de l’échelle à l’ensemble de la famille proche des acteurs a permis de proposer une lecture plus pertinente des dynamiques sociales. Seuls les acteurs issus de familles de la mercerie, c’est-à-dire comprenant plus de trois de leurs membres dans ce corps (ou dans les Six-Corps), se marient dans leur milieu. Mais les héritiers, dont le père ou l’oncle ou le frère aîné est resté isolé dans la mercerie, ont des familles dont l’identité ne recoupe pas d’identité corporative précise, ils peuvent donc prendre femme dans l’artisanat ou dans la moyenne marchandise59.
21« Une des propriétés des dominants, c’est d’avoir des familles particulièrement étendues (les grands ont de grandes familles) et fortement intégrées60. » C’est un fait, mais l’intensité des relations familiales varie selon le degré de parenté des acteurs et l’importance des écarts sociaux. L’historien doit donc réfléchir sur les formes et les limites du capital actif familial, concrètement des solidarités et des contraintes. Les relations de solidarité familiales et amicales d’un acteur dessinent un réseau plus étroit que celui de la sociabilité dans lesquels il s’inscrit. La solidarité est généralement concentrée dans la proche parenté61, elle la dépasse quand l’acteur est intégré dans un réseau de clientèle. Le devoir de charité envers les parents pauvres a des limites différentes selon les milieux et sans doute les cultures familiales. Les cousins pauvres et déclassés sont bien souvent isolés du reste de la parenté. Le jeune chevalier de La Barre, issu d’une famille de robe, mais dont le père s’était marginalisé, est finalement abandonné à son triste sort voire sert d’exemple62. Quand les écarts sociaux entre les nantis et les exclus se sont tellement creusés que les premiers n’envisagent même plus par quel chemin les seconds pourraient les retrouver, ils renoncent à les aider voire les oublient. Les efforts des familles de riches marchands parisiens (étudiés par Mathieu Marraud) pour établir dans les Six-Corps leurs cousins artisans n’en sont que plus remarquables.
22Les relations familiales sont aussi vécues sur le mode de la contrainte. La pression est particulièrement forte dans le monde paysan63, où le chef de famille choisit souvent son héritier64. Le droit romain qui permet cette pratique dans le Midi de la France fabrique des déclassés, tel Pierre Prion et ses frères, issus d’une famille de notables de Requista en Aveyron, mais privés d’héritage au profit de leur sœur65. Les coutumes établissent, ou non, des différences entre garçons et filles, entre aîné et cadet(s), elles imposent un partage égalitaire ou préciputaire, elles sont complétées par la jurisprudence qui révèle les conflits de normes en montrant les registres de légitimité différents dans lesquels les parties inscrivent leurs revendications66 (voir la contribution de Robert Descimon et Simone Geoffroy-Poisson). Les parents maintiennent parfois longtemps leurs descendants sous tutelle67. Des fils, plus souvent que des filles68, résistent aux projets pensés pour eux, voire ont des comportements déviants.
23Les contextes de mobilité sociale révèlent d’autres rapports entre famille et individu. Les hommes nouveaux connaissent souvent un hiatus entre leur identité choisie et leur identité assignée69, c’est-à-dire bien souvent entre leur identité personnelle et leur identité familiale. Les liens familiaux hérités sont particulièrement fragilisés si l’ascension est isolée. L’image du bourgeois enrichi refusant d’ouvrir sa porte à son père resté modeste traduit-elle un comportement fréquent ou rare ? En tout cas, les hommes nouveaux dans la notabilité parisienne se marient souvent en l’absence d’un père qui n’est pas décédé : quand Michel Martel, notaire, quartinier depuis 1749, épouse en 1751 une fille de notable, son père, absent, est présenté comme « employé dans les affaires du roi demeurant à Monteux près Avignon70 », alors qu’il était perruquier encore en 1741, comme ses deux beaux-frères aussi absents. Un conseiller au parlement sans proche parent à la cour cherche généralement à créer des liens avec des parlementaires de la même génération que lui, issus eux aussi de la finance, en épousant la sœur ou la belle-sœur de l’un d’eux. Antoine Henri Porlier conseiller depuis 1733 et Louis Antoine Noblet de Romerie, conseiller depuis 1737, fils d’un parlementaire resté isolé, ont épousé les filles d’un maître ordinaire à la chambre des comptes (respectivement en 1733 et 1737). L’homme nouveau ou l’héritier isolé, pressé de faire coïncider identité familiale et identité corporative, doit être riche pour s’allier avec une famille bien implantée dans son milieu d’adoption et ainsi compenser son déficit d’estime sociale. Les dynasties de la robe et de l’épée ne se privent pas de leur céder leurs filles à prix d’or71, même au siècle des Lumières. Ces hiatus apparaissent peut-être aussi indirectement dans le taux élevé de célibat, tel celui observé par Samuel Gibiat pour les commissaires des guerres qui ne sont plus roturiers individuellement mais dont les familles restent à l’orée de la noblesse72. En tout cas, ils révèlent que les sphères d’équivalence sociopolitiques sont plus vastes et plus ouvertes que les sphères reconnues par les familles73.
Moyens et contraintes économiques
24L’identification de la nature des parcours sociaux peut être suivie d’une réflexion sur les conditions économiques de leur existence.
25Les projets sont souvent rapportés à des moyens économiques, même si les acteurs ne font pas toujours leurs choix en connaissance de cause74. L’historien doit déterminer le coût de l’établissement et du maintien ou de l’accession dans un groupe, indépendamment des recommandations nécessaires.
Le coût économique de l’établissement et du maintien
26L’accès à certains milieux est moins coûteux pour les enfants bien nés. Les fils de maître sont exemptés de frais d’apprentissage, ils paient des taxes de réception réduites, leur établissement peut être facilité par leur association avec leur père ou leur frère. L’entrée dans la haute administration et dans les cours souveraines, comme dans le groupe des officiers militaires, est réservé à ceux qui ont le niveau de fortune nécessaire pour acquitter le prix de leur charge et pour assumer dignement le service du roi75. Au XVIIIe siècle, devenir magistrat est moins onéreux qu’un siècle auparavant mais représente encore un bel investissement, comme le montre la comparaison du coût de l’établissement des deux enfants du conseiller Louis Étienne Chabenat de Bonneuil en 1744 :
« Pour André Charles Louis, destiné à la robe, il débourse, en 1744, 38000 livres, prix d’un office de conseiller au parlement, auxquels s’ajoutent 9 395 livres et 9 sols de frais de provisions et de réception. Assurer les débuts d’Antoine Louis, destiné à l’épée, lui coûte moins cher, soit 20000 livres pour une sous-lieutenance dans les gardes françaises et 2000 pour l’équipage du jeune militaire76. »
27Mais poursuivre une carrière militaire coûte plus cher, et avec le régime de la vénalité coutumière, les capitaux engagés ne sont pas toujours récupérables77.
28Dans l’armée, comme dans l’ensemble de la société d’Ancien Régime, « les rangs et les dignités sont censés se manifester publiquement et les apparences doivent refléter fidèlement les hiérarchies ». Les projets de reproduction et d’ascension sociale doivent donc prendre aussi en compte les dépenses nécessaires pour tenir son rang. À l’armée dans les années 1660, les « jeunes gentilshommes de haute qualité et riches » doivent « posséder de belles armes et de beaux habits », pour « établir leur réputation » et les majors, pour en imposer aux capitaines, doivent avoir un ou deux chevaux de plus que les capitaines et un ou deux valets en plus78. Au XVIIIe siècle, un homme issu d’une famille de finance devenu parlementaire sera peut-être tenté de surconsommer pour s’identifier à l’aristocratie, à moins qu’il choisisse une vie plus modeste dans le Marais79.
L’origine et la dynamique des fortunes
29Ces dépenses peuvent être prélevées sur une fortune héritée ou thésaurisée, plus ou moins bien gérée. Le rapport entre les dépenses et les revenus tirés des charges n’est cependant pas toujours facile à évaluer80. Au XVIIIe siècle, les fortunes des magistrats au parlement de Paris sont constituées de leurs offices, d’immeubles et seigneuries, de rentes (foncières et sur l’Hôtel de Ville). Les capitaux investis dans des commerces sont maigres ou cachés81. Les revenus tirés de l’exercice de leur charge sont faibles : le conseiller Bragelongne a calculé que, de 1750 à 1766, sa charge lui a procuré en moyenne 706 livres 10 sols par an (avec des écarts de 15 livres en 1753, lorsque le parlement est en exil, à 2 002 livres en 1761), on est loin des 5 % procurés par les capitaux placés en rentes82. Ils peinent apparemment à suivre le train de vie83. Ainsi s’expliquent l’âpreté au gain et l’avarice d’une partie des parlementaires, en particulier des conseillers de grand’chambre84. Le mariage d’un homme de robe ou d’épée avec une fille de financier permet parfois le paiement de ses dettes, mais ceux qui sont déjà mariés ne peuvent faire ce choix, et les financiers veillent au montant des douaires accordés à leurs filles85.
30Le recours au crédit qui permet de surmonter un manque de liquidités est donc largement pratiqué86. Qui a accès au crédit et dans quelles conditions ? Le crédit est largement utilisé par les nobles de robe et d’épée, mais n’importe qui ne peut pas emprunter. Sur le marché foncier, l’achat totalement à crédit semble exclu87, à moins que les sommes fournies comptant par les acheteurs soient elles-mêmes le résultat de prêts familiaux discrets.
31Le taux d’intérêt des emprunts peut être mis en rapport avec les taux courants de profit pour déterminer le délai nécessaire au remboursement d’une dette88. La fortune du marchand mercier Buffault89 comme celle de la marchande de modes Rose Bertin90 montrent que le commerce du luxe enrichit rapidement des années 1740 à la Révolution, comme le notariat d’ailleurs91. Les notables ruraux ne sont pas en reste : Jacques Lhomme, officier du roi et procureur fiscal de la justice de Colombes défunt en 1756 à Colombes, laisse 150 000 livres à ses dix héritiers, dont deux ont intégré l’épicerie, un des six-corps des marchands parisiens92.
32L’accumulation des emprunts amène parfois les créanciers à se faire pressants. Gourville rétablit la fortune et le crédit du prince de Conti93. Dufort, inquiet du déséquilibre entre ses revenus et ses dépenses, cède sa charge d’introducteur des ambassadeurs à la cour, renonce à la vie parisienne et devient lieutenant général du Blésois94. Mais tous ne réagissent pas avant qu’il ne soit trop tard.
Le déclassement
33Comment l’historien peut-il savoir s’il est trop tard justement, c’est-à-dire repérer le seuil de non-retour au-delà duquel l’appauvrissement est irrémédiable, le déclassement à plus ou moins longue échéance est l’horizon le plus probable, ou à défaut qu’un reclassement est nécessaire ?
34Jean-Marc Moriceau étudiant la crise qui frappe les laboureurs d’Île-de-France de la fin des années 1630 au début du règne de Louis XV constate qu’elle aboutit à la disparition de familles entières de grands fermiers. Les « faillites » sont surtout concentrées en 1650-1669 et 1690-1720 : la première crise emporte les fermiers uniquement locataires de leur exploitation et qui ne disposent pas de réserve de capital, la seconde touche des gros fermiers, des dynasties établies depuis le XVe ou le XVIe siècle. Certains deviennent soldats ou intègrent le prolétariat agricole, d’autres exploitants associent mobilité géographique et léger déclassement en s’établissant dans des fermes plus petites95.
35Les unions de créanciers sont donc des points de repère utiles. Elles ont cependant des conséquences différentes selon le milieu social. L’honneur des candidats aux charges de notabilité urbaines est flétri, les contraignant à renoncer à leurs prétentions96. Celui des robins et des militaires n’est en revanche pas compromis97, ils peuvent théoriquement continuer à exercer leur charge98. La mobilisation des prêteurs est un indice de la fragilité d’une fortune, comme la vente progressive d’éléments de patrimoine pour liquider ses dettes et les séparations de biens demandées par les épouses, mais tous ces processus n’impliquent pas automatiquement le reclassement ou le déclassement. Les marchands en faillite conservent parfois (souvent ?) leur commerce, ils peuvent rembourser leurs créanciers et continuer leur activité99. Toutes les difficultés financières n’empêchent pas la reproduction sociale. René de Voyer d’Argenson, au retour de son ambassade à Venise, doit payer ses créanciers qui lui laissent un revenu de 4 000 ou 5 000 livres de rentes ; son fils, Marc René, est déclassé au début de sa carrière quand il est réduit à exercer la charge de lieutenant général du bailliage d’Angoulême, mais son excellente naissance, des compétences réelles, l’argent prêté par un financier qui parie sur sa réussite et le parrainage d’un ministre lui permettent finalement d’accéder à de très hautes responsabilités100. En 1740, Bertrand-René I Pallu laisse en mourant plus de 100 000 livres de dettes, mais son fils Bertrand-René II Pallu est déjà bien lancé dans la carrière administrative puisqu’il est intendant de Lyon101. Enfin les épouses qui ont récupéré leurs dots peuvent établir les enfants102.
36Plus généralement, les inquiétudes des créanciers non plus que celles des débiteurs ne peuvent être érigées en critères précis d’appréciation des situations économiques des acteurs. En revanche, on peut faire confiance à l’évolution de leur condition sociale et à celle de leurs enfants. Des fils de robins passent à l’épée par défaut. À la fin des années 1750, le parlementaire Soullet désirait établir ses fils au parlement, mais, ayant fait un mariage médiocre en 1742, il les place dans l’armée103. À la même période, les deux fils d’un noble normand destinés initialement à la robe deviennent des financiers, n’ayant chacun que 5 000 livres de rentes104. Une partie des magistrats et militaires ruinés ne peuvent conserver leur charge105 et envisager la transmission de leur position sociale. D’anciens magistrats encore jeunes ou des enfants de la robe vivent en rentiers urbains ou ruraux, loin de toute forme de service du roi, militaire ou civil. Les descendants du conseiller Pierre Jacques Michel Duprat de Rouez (1685-1744) quittent non seulement le parlement, mais aussi Paris, pour vivre dans leurs châteaux106. André Claude Le Doulx de Melleville, conseiller au parlement de 1714 à 1718, qui représente la troisième génération de parlementaires parisiens, vit en 1751 comme un rentier, place Royale ; il a alors six enfants dont aucun n’est marié ; en 1761, son fils aîné, André Claude Ledoulx de Melleville, simple « écuyer », partage sa vie entre Évreux et la paroisse Saint-André des Arts107.
37Ceux qui sont privés de tout héritage matériel sont dans une situation comparable à celle des fils déshérités, à l’image de Constant d’Aubi108. Mais ils conservent un capital culturel qui leur permet de trouver à s’employer. Tristan l’Hermite dépend ainsi successivement de plusieurs patrons109. Dans la marchandise, un failli qui a dû céder ses marchandises et sa boutique peut aller commercer aux îles ou devenir employé dans la compagnie des Indes, les fermes ou dans une autre administration110. Dépendants économiquement, ils se distinguent néanmoins des autres salariés.
Conclusion
38L’articulation des échelles macro et micro est nécessaire pour comprendre les parcours des acteurs sociaux. Le premier niveau est interrogé à partir de critères de classement etic mais surtout emic, grâce aux normes de la société d’Ancien Régime qui sont essentiellement liées aux positions occupées par les groupes dans les institutions dépendant du roi, mais aussi dans les dispositifs locaux de pouvoir. Ces normes sont repérables dans les réglementations et les statuts mais les données tirées de ces sources doivent être confrontées à celles des actes de la pratique, pour éviter les anachronismes. L’historien peut ensuite proposer des grilles de lecture, puis tester la pertinence de ces grilles en distinguant valeurs dominantes et minoritaires, mais aussi valeurs traditionnelles et nouvelles. Il a ainsi restitué les frontières invisibles qui balisent les parcours des acteurs sociaux. Ces limites sont parfois déplacées, elles ne sont pas infranchissables, mais c’est dans leur cadre que les hommes et les femmes mobilisent, au gré des nécessités et de leurs envies, les capitaux dont ils disposent, dans un parcours qui est plus souvent le produit d’un choix familial que d’une volonté personnelle dans la bourgeoisie et la noblesse. Les aptitudes, les tempéraments, les goûts, les sentiments personnels donnent l’impression d’une infinie variété de l’humanité, mais ces qualités individuelles sont généralement rapportées à une appartenance sociale111. La chance accélère un parcours ou permet son parachèvement, mais elle ne peut rien sans un minimum de capitaux au départ, les success stories cachent les parcours ordinaires. La prise en compte des initiatives des acteurs sociaux ne peut amener à les considérer comme des individus libres, le poids des contraintes économiques est fort dans tous les milieux, celui de la famille est particulièrement prégnant chez les élites. Rester dans un même groupe mais atteindre son acmé est parfois moins risqué que de passer dans un groupe supérieur où les systèmes de valeur sont différents et où l’on aura une position marginale d’homme nouveau dédaigné par les héritiers112. Entre doutes et risques, espoirs et frustrations, les acteurs dessinent des trajectoires de reproduction, d’ascension sociale et de déclassement qui s’inscrivent dans des hiérarchies.
Notes de bas de page
1 Je remercie Mathieu Marraud et Pierre Bonin d’avoir relu attentivement la première version de ce texte.
2 Cette vision traditionnelle s’exprime plus tardivement dans les Déracinés de Barrès (1897).
3 Ils sont nombreux dans les pièces de Dancourt.
4 Françoise Bayard, Le monde des financiers au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque scientifique, 1988. Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984.
5 Jean-Louis Bourgeon, Les Colbert avant Colbert, Paris, PUF, 1973. Roland Mousnier (dir.), Le Conseil du roi de Louis XII à la Révolution, Paris, Presses universitaires de France, 1970. Denis Richet, De la Réforme à la Révolution. Études sur la France moderne, Paris, Aubier, 1991, p. 155-317 (sur les Séguier).
6 François Bluche, Les magistrats du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, Paris, Economica, 1986 [1960].
7 Michel Cassan, « Isaac Chorllon, un officier “moyen” de finance au XVIIe siècle », Offices et officiers moyens en France à l’époque moderne. Profession, culture, Limoges, Presses universitaires de Limoges, p. 96-126. Vincent Meyzie, Les illusions perdues de la magistrature seconde, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2006.
8 La synthèse la plus récente est de Philippe Guignet, Les sociétés urbaines dans la France moderne, Paris, Ellipses, 2006.
9 Le père du peintre Jacques-Louis David, Louis-Maurice, marchand mercier de fer, « ambitieux négociant parisien spécialisé dans les ferronneries… avait acheté une modeste charge très peu de temps avant sa mort, ce qui était une voie normale d’accession à la noblesse pour les familles ambitieuses de condition moyenne (les circonstances de sa mort sont non moins révélatrices de ses aspirations) ». Il aurait « acheté la charge de commis aux aides du département de Beaumont ». Thomas Crow, L’atelier de David. Émulation et Révolution, Paris, Gallimard, 1997, p. 17-18. En fait, les documents retrouvés par E. Agius d’Yvoire prouvent que, loin d’envisager une ascension sociale, le père de David a quitté Paris, comme nombre de merciers faillis, non après avoir acheté une charge, mais pour exercer un petit emploi salarié dans une administration fiscale. Son épouse avait obtenu la séparation de biens, le contrat de mariage de Jacques-Louis en 1782 prouve qu’il n’a rien hérité de son père (E. Agius d’Yvoire, « Chronologie », dans Antoine Schnapper et Arlette Serullaz, Jacques Louis David 1748-1825, catalogue d’exposition 1989-1990, Paris, Éditions de la réunion des musées nationaux, 1989, p. 559 sqq. – reprend et complète les documents trouvés par Daniel et Guy Wildenstein).
10 Roger Chartier, « Espace social et imaginaire social : les intellectuels frustrés au XVIIe siècle », Annales ESC, 37, mars-avril 1982, p. 389-400. François de Dainville, L’éducation des jésuites (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Minuit, 1978. Daniel Roche, « Le précepteur, éducateur privilégié et intermédiaire culturel », Les républicains des lettres. Gens de culture et Lumières au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1988, p. 331-349.
11 Alain Croix, « L’ouverture des villages sur l’extérieur fut un fait éclatant dans l’ancienne France », Histoire et sociétés rurales, no 11, 1999, p. 109-146. Paul-André Rosenthal, Les sentiers invisibles : espace, famille et migrations dans la France du XIXe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999. Jean-Pierre Poussou « L’enracinement est le caractère dominant de la société rurale française d’autrefois », Histoire Économie et Société, 2002-1, p. 97-108. Jacques Dupâquier, « Les migrations dans la France rurale, état des débats », Histoire et sociétés rurales, no 18, 2002, p. 121-135.
12 François-Joseph Ruggiu, L’individu et la famille dans les sociétés urbaines anglaise et française (1720-1780), Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2007.
13 Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra compagnon vitrier au 18e siècle, présenté par Daniel Roche, Paris, Montalba, 1982, p. 163.
14 Ibid., p. 82.
15 AN, Y 9 896, 28 octobre 1780, cité par Arlette Farge, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Points Histoire, 2007 (1986), p. 44.
16 Jean Julienne (1686-1764), entrepreneur des Gobelins, fils d’un maître teinturier, déclare dans son testament : « Je déclare n’avoir eu aucun bien de père ni de mère et que ce que j’ai me vient uniquement de mes peines et soins. Dieu ayant béni mes travaux et fait prospérer les utiles établissements formés par M. Glucq qui avait épousé ma tante paternelle… » (AN, MC, XXIX 522, 25 mai 1764, testament déposé le même jour). Jean Glucq, le fondateur de la manufacture, un de ses oncles paternels et son parrain, est mort en 1718, lui laissant probablement quelques biens. Dans son contrat de mariage (XXIX 349, 9 mai 1720), Julienne déclare avoir 16 actions de la Compagnie des Indes évaluées 144 000 livres, somme bien coquette pour un homme qui a obtenu la maîtrise de teinturier l’année précédente ; par ailleurs, il promet un douaire de 1 000 à 1 500 livres de rente à sa future épouse qui est issue de la petite noblesse et apporte tout de même plus de 20 000 livres de dot. Julienne est désigné en 1733 comme légataire universel de François Julienne, autre oncle qui gérait la manufacture, sans doute à cause de son mérite et de son aptitude à reprendre l’établissement qu’il avait. Isabelle Tillerot, Jean de Julienne et les collectionneurs de son temps : un regard singulier sur le tableau, Christian Michel (dir.), université Paris X, thèse soutenue le 13 décembre 2005. Est-ce le grand âge qui explique ce récit mythique des origines ? cette volonté de faire oublier qu’il est un héritier (même indirect), pour mettre l’accent sur ses compétences ?
17 Les demandes de pension conservées aux Archives de la guerre donnent « l’image d’une ruine à peu près générale » des militaires. Jean Chagniot, « Mobilité sociale et armée (vers 1660-vers 1760) », La mobilité sociale au XVIIe siècle, numéro spécial de la revue XVIIe siècle, no 122-1, janvier-mars 1979, p. 45.
18 La demoiselle Martin, qui vend des cosmétiques, déclare appartenir « à un lignage noble et appauvri de Franche-Comté, elle n’aurait entrepris la confection du rouge quinze ans plus tôt qu’à la seule fin de nourrir les siens ». Catherine Lanoé, La poudre et le fard. Une histoire des cosmétiques de la Renaissance aux Lumières, Seyssel, Champvallon, 2008, p. 313-314. Des mendiants jouent « le rôle de nobles désargentés, ruinés ou incendiés, appuyant leurs dires sur des “récits de vie” en forme d’attestation ou des titres de noblesse douteux ». Vincent Denis, Une histoire de l’identité. France, 1715-1815, Seyssel, Champvallon, 2008, p. 433.
19 Juan Carlos Caraviglia et Jean-Frédéric Schaub, « Introduction », Lois, justice, coutume Amérique et Europe latines (16e-19e siècles), Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, p. 12.
20 Un exemple dans Sandra Cavallo, « Métiers apparentés : barbiers-chirurgiens et artisans du corps à Turin (XVIIe-XVIIIe siècles) », Histoire urbaine, no 15, mars 2006, p. 27-48.
21 Laurence Croq, « Des titulatures à l’évaluation sociale des qualités. Hiérarchie et mobilité collective dans la société parisienne du XVIIe siècle », Fanny Cosandey (éd.), Dire et vivre l’ordre social, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, p. 125-168.
22 À supposer que cette critique de l’œuvre de Bourdieu soit pertinente. J’ai tout à fait conscience, en me servant de la notion de capital, d’opérer là un bricolage intellectuel mais celui-ci trouve à mes yeux sa légitimité dans la liberté que l’historien doit garder vis-à-vis des concepts produits par les sciences sociales.
23 Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra compagnon vitrier au 18e siècle, op. cit.
24 Voir bien sûr Paul-André Rosenthal, op. cit.
25 Fabrice d’Almeida, « Introduction », Henri Bresc, Fabrice d’Almeida et Jean-Michel Sallmann (dir.), La circulation des élites en Europe du Sud de l’Antiquité à nos jours. Entre histoire des idées et histoire sociale, actes du colloque tenu à l’université Paris X-Nanterre en 1999, Paris, Seli Arslan, 2002, p. 9-21.
26 Vincent Meyzie distingue à cet égard les hommes nouveaux et les hommes neufs (qui connaissent une véritable ascencion sociale). Vincent Meyzie, op. cit., p. 268.
27 « À propos des catégories sociales de l’ancien régime », Dire et vivre l’ordre social, op. cit., p. 9-43. Au fondement théorique de la distinction emic/etic se trouve l’œuvre de K. L. Pike, Language in Relation to an Unified Theory of Human Behavior, La Haye, 1967.
28 Sandra Cavallo, art. cit.
29 Un arrêt du conseil du roi du 13 mai 1698 a établi une taxe sur le contrôle et l’enregistrement de chaque ban de mariage. Un nouveau règlement précise un an plus tard la répartition des professions : les particuliers qui vendent en détail en boutique ouverte, ou en gros & magasin, tels que sont les merciers, épiciers, chapeliers, & autres de pareille nature seront réputés marchands, ils sont dans les quatrième et cinquième classes ; en revanche, « ceux qui travaillent de leur métier, sans vendre en boutique en détail, tels que sont les serruriers, plombiers, charrons, selliers, charpentiers, menuisiers, tailleurs et autres… seront reputés artisans » et taxés dans les classes 6 ou 7. BNF, ms. fr. 21 609, fo 62-63, arrêt du conseil d’État du 12 mai 1699.
30 François-Joseph Ruggiu, Les élites et les villes moyennes en France et en Angleterre (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, L’Harmattan, 1997.
31 Pierre Bonin, Bourgeois, bourgeoisie et habitanage dans les villes du Languedoc sous l’Ancien Régime, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2005, p. 331-407.
32 Robert Descimon, « Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue », Annales ESC, 48, juillet-août 1993, p. 885-906 ; « Les barricades de la Fronde parisienne. Une lecture sociologique », Annales ESC, 45, mars-avril 1990, p. 397-422.
33 Voir Laurence Croq, « La municipalité parisienne à l’épreuve des absolutismes : démantèlement d’une structure politique et création d’une administration (1660-1789) », L. Croq (éd.), Le Prince, la ville et le bourgeois (XIVe-XVIIIe siècles), actes du colloque « Le politique et la ville (XIVe-XVIIIe siècles) en Europe et en Amérique » tenu à l’université Paris X-Nanterre en avril 2001, Paris, Nolin, 2004, p. 176-177.
34 Robert Descimon, « Les notaires de Paris du XVIe au XVIIIe siècle : office, profession, archives », Michel Cassan (dir.), Offices et officiers « moyens » en France à l’époque moderne, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2004, p. 15-42.
35 Sarah Hanley, « Engendering the State: Family Formation and State Building in Early Modern France », French Historical Studies, 16/1, 1989, p. 4-27. Traduction française : « Engendrer l’État. Formation familiale et construction de l’État dans la France du début de l’époque moderne », Politix, 32, 1995, p. 45-65.
36 David Bien, « Les offices, les corps et le crédit d’État : l’utilisation des privilèges sous l’Ancien Régime », Annales ESC, 43, mars-avril 1988, p. 379-404.
37 Claude Petitfrère, « Une famille municipale tourangelle, les Aubry (XVIIe-XVIIIe siècles) », Philippe Haudrère (dir.), Pour une histoire sociale des villes. Mélanges offerts à Jacques Maillard, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 59-82.
38 Les conséquences politiques ont été en revanche bien étudiées, même s’il n’y a pas de consensus historiographique sur le sujet. Parmi les travaux récents, voir le numéro spécial d’Histoire Économie et Société, 2006-3, « Échec et magistrature ».
39 Robert Descimon, « La vénalité des offices comme dette publique sous l’Ancien Régime français. Le bien commun au pays des intérêts privés », Jean Andreau, Gérard Béaur et Jean-Yves Grenier (dir.), La dette publique dans l’histoire, journées du CRH des 26, 27 et 28 novembre 2001, Paris, CHEF, 2007, p. 201-230.
40 Guy Chaussinand-Nogaret, « Capital et structure sociale sous l’Ancien Régime », Annales ESC, 25, mars-avril 1970, p. 470.
41 Monique Cubbells, La Provence des Lumières. Les parlementaires d’Aix au XVIIIe siècle, Paris, Maloine s. a. éditeur, 1984, p. 95-96 (l’expression « se retrouve à plusieurs reprises dans les correspondances »).
42 Mémoires du marquis d’Argens, Paris, 1807, p. 133, cités par Pierre Serna, « Le noble », Michel Vovelle (dir.), L’homme des Lumières, Paris, Seuil, 1996, p. 50. Mémoires de Dufort de Cheverny. La Cour de Louis XV, présentation et notes de Jean-Pierre Guicciardi, Paris, Perrin, 1990, p. 57, 67 et 81.
43 Robert Descimon, « Le conseiller Jean Le Boindre (1620-1693) : un destin de vaincu », Orest et Patricia Ranum (éd.), Débats du parlement de Paris pendant la minorité de Louis XIV, Paris, Honoré Champion, t. 1, 1997, p. 397.
44 Trois exemples. Jean-Baptiste Pierre Tessier entre au parlement comme substitut du procureur général en 1743, devient conseiller en 1747 ; il cède cet office et devient maître de la chambre aux deniers en 1750, charge qu’il exerce jusqu’en 1754 ; deux ans plus tard, il meurt à Avranches, ruiné. AN, MC, XCVIII 534, 11 juin 1756, inventaire après décès de Jean-Baptiste Pierre Tessier. Antoine Henri Porlier parlementaire depuis 1733, « remarqué pour son inconduite en 1742 », est « un de ceux qu’on força “à se défaire de leurs charges” » (François Bluche, « L’origine des magistrats du Parlement de Paris au XVIIIe siècle », Paris et Île de France. Mémoires, t. V-VI, 1956, p. 355). Henri Guillaume Mazade, dont l’accès au Parlement avait choqué l’opinion publique en 1737, démissionne en 1744.
45 « C’était bien une chose inouïe autrefois qu’un notaire pût être banqueroutier. Mais depuis que Mazade, Porlier, Conseillers au Parlement, Bernard, maître des requêtes, ont fait de belles faillites, je ne suis plus étonné de rien » (lettre de Voltaire à Damilaville, 1764).
46 Cité par François Bluche, « L’origine des magistrats… », art. cit., p. 62. Trois autres exemples : Louis Marcel Fermé, conseiller depuis 1739 est acculé à la démission quatre ans après ; Jean-Baptiste Pierre Le Clerc Deshayes, conseiller de 1745 à 1748, est forcé à démissionner ; Pierre François Ogier de Berville, conseiller de 1739 à 1744, se présente devant les notaires simplement comme « écuyer » en 1751 et 1761. Un seul homme semble avoir résisté à la pression corporative : « Le président de Rieux, fils du financier Samuel Bernard, s’est ruiné en 1742 pour la Camargo. On avait voulu le faire démettre de sa charge, mais il eut assez de crédit pour la conserver » (Journal inédit de Feydeau, publié par M. Paul d’Estree, Paris, 1897, p. 100 [18 novembre 1744]).
47 Leonor Aubry de Castelnau (1695-1770) conseiller depuis 1720, abandonne sa charge en 1742 « faute d’argent ». Claude-Henri Feydeau de Marville, Lettres… au ministre Maurepas (1742-1747), éd. Boislile, 1896-1905, t. II, p. 18, cité par François Bluche, Les magistrats du Parlement…, op. cit., p. 110. Il en est de même pour son frère Gabriel Aubry de Castelnau, conseiller de 1731 à 1741. Sur la famille Aubry, voir Nicolas Lyon-Caen et Mathieu Marraud, « Le prix de la robe : coûts et conséquences du passage à l’office dans la marchandise parisienne, v. 1680-v. 1750 », Robert Descimon et Élie Haddad (éd.), Épreuves de noblesse, à paraître. Un autre exemple : Étienne-Hyacinthe Mauriceau est conseiller de 1728 à 1747 ; en 1751, ses créanciers et ceux de sa mère sont déjà bien organisés. AN, MC, XXIII 576, 13 octobre 1751, comparution de l’union de créanciers de Marguerite d’Hellicourt veuve de Hyacinthe Mauriceau, secrétaire du roi, et d’Étienne-Hyacinthe Mauriceau, conseiller au parlement.
48 Les magistrats des présidiaux connaissent la même évolution que les parlementaires. Vincent Meyzie, op. cit.
49 Son manuscrit, conservé à la Bibliothèque nationale, est en cours de publication. Siméon-Prosper Hardy, Mes loisirs, ou Journal d’événemens tels qu’ils parviennent à ma connoissance (1753-1789), Daniel Roche et Pascal Bastien (dir.), vol. I : 1753-1770, Laval, Presses universitaires de Laval, 2008.
50 Laurence Croq, « Privilèges fiscaux et hiérarchie sociale : le déclassement des “bourgeois de Paris” du milieu du XVIIe siècle à la Révolution », Études et documents, CHEF, XI, 1999, p. 55-95.
51 Laurence Croq, « Essai pour la construction de la notabilité comme paradigme socio-politique », Laurence Jean-Marie (éd.), La notabilité urbaine Xe-XVIIIe siècles, CRHQ, « Histoire urbaine », no 1, Caen, 2007, p. 23-38. Laurence Croq, « L’honneur de la bourgeoisie parisienne des années 1680 à la Révolution : classements institutionnels, classements familiaux », Michel Cassan et Gilles Chabaud (dir.), Classements, déclassements, reclassements de l’Antiquité à nos jours, actes du colloque tenu à Limoges, 28-30 novembre 2006, à paraître aux Presses universitaires de Limoges.
52 Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris, 1782-1788, chap. CCCXXXV, « Où est Démocrite ! »
53 François-Joseph Ruggiu, « Tel père, quel fils ? La reproduction professionnelle dans la marchandise et l’artisanat parisiens au cours des années 1650 et 1660 », Histoire Économie et Société, 1998-4, p. 561-582.
54 Onze appartiennent à des corps où se recrute la grande majorité des notables (deux merciers, un épicier, un orfèvre, deux notaires, cinq avocats), trois appartiennent au second cercle (un procureur, un marchand de vin, un libraire). Le conseiller au Châtelet et le receveur général des finances peuvent exercer une charge de deuxième marguillier dans une paroisse. Quant à Guillotin, comme médecin, il est en dehors du système bourgeois de dignité, mais auteur d’un factum rédigé au nom des six-corps, il n’est pas étranger à ce milieu. Voir Laurence Croq et Nicolas Lyon-Caen, « La notabilité parisienne entre la police et la ville : des définitions aux usages sociaux et politiques », Laurence Jean-Marie (éd.), La notabilité urbaine Xe-XVIIIe siècles, actes des journées d’étude tenues à Caen les 20 et 21 janvier 2006, Caen, CRHQ, « Histoire urbaine », no 1, 2007, p. 125-157.
55 Marc Venard, Bourgeois et paysans au XVIIe siècle. Recherche sur le rôle des bourgeois parisiens dans la vie agricole au Sud de Paris au XVIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1957 ; Jean-Marc Moriceau, Les fermiers de l’Île-de-France XVe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1994, p. 669-670.
56 Un exemple récent dans Nicolas Lyon-Caen, Un roman bourgeois sous Louis XIV. Récits de vie marchande et mobilité sociale : les itinéraires des Homassel, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2008.
57 Caroline Le Mao, Parlement et parlementaires. Bordeaux au Grand Siècle, Seyssel, Champvallon, 2007, p. 332.
58 Mathieu Marraud, De la ville à l’État : la bourgeoisie parisienne aux XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Albin Michel, 2009.
59 Laurence Croq, « L’honneur de la bourgeoisie parisienne des années 1680 à la Révolution : classements institutionnels, classements familiaux », art. cit.
60 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994, p. 142-143.
61 François-Joseph Ruggiu, L’individu et la famille…, op. cit., p. 207-216.
62 Elisabeth Claverie, « La naissance d’une forme politique : l’affaire du chevalier de la Barre », Philippe Roussin (éd.), Critique et affaires de blasphème à l’époque des Lumières, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 185-265.
63 Gérard Bouchard, John A. Dickinson, Joseph Goy (dir.), Les exclus de la terre en France et au Québec XVIIe-XXe siècles. La reproduction familiale dans la différence, Sillery, Septentrion, 1998.
64 « À chaque génération, le chef de famille a su et pu imposer l’indivisibilité de la ferme en désintéressant les cohéritiers ». Jean-Marc Moriceau et Gilles Postel-Vinay, Ferme, entreprise famille. Grande exploitation et changements agricoles XVIIe-XIXe siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 1992 (sur les Chartier de 1640 à 1850), p. 108.
65 Un village en Languedoc. La chronologiette de Pierre Prion 1744-1759, présentation historique par Emmanuel Le Roy Ladurie, Paris, Fayard, 2007, p. 13-15.
66 Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification : les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 1991.
67 Jean-François Solnon, Les Ormesson au plaisir de l’État, Paris, Fayard, 1992, p. 231-232.
68 Voir l’histoire de Claudine Alexandrine de Tencin dans Charles de Coynart, Les Guérin de Tencin (1520-1758), Paris, Librairie Hachette, 1911 (2e édition).
69 Voir par exemple les humiliations infligées dans les années 1780 par les courtisans au financier Laurent Grimod de la Reynière et à son épouse, « malgré leurs alliances et leur richesse » ; manifestement l’intégration du couple dans la « bonne société » est inachevée. Antoine Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005, p. 152-153. Sur la tension entre les identités assignées et choisies, voir Marc Belissa, Anna Bellavitis, Monique Cottret, Laurence Croq et Jean Duma (éd.), Identités, appartenances, revendications identitaires (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Nolin, 2005.
70 AN, MC, XLI 516, 16 juillet 1751, contrat de mariage.
71 Mathieu Marais cite plusieurs exemples de ces alliances, telle celle du fils de Berryer avec une Novion, concluant ainsi : « En France, on n’a point de règle sur les mariages. » Mathieu Marais, Journal de Paris, Henri Duranton et Robert Granderoute (éd.), Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, t. II, 2004, p. 743 (janvier 1724). Voir aussi les clauses du contrat de mariage entre Jean Antoine Ollivier de Senozan seigneur de Magny et Halincourt conseiller au parlement et commissaire des requêtes du palais et Anne Nicole de Lamoignon, fille de Guillaume, chevalier seigneur de Blancmesnil, conseiller d’État et président au parlement (AN, MC, CXII 522A, 17 février 1735). Sur la famille Ollivier, voir la contribution de Serge Chassagne.
72 Samuel Gibiat, Hiérarchies sociales et ennoblissement. Les commissaires des guerres de la Maison du Roi, Paris, École des Chartes, 2006.
73 Ces remarques incitent à relativiser l’intérêt du tarif des partis sortables de Furetière pour les historiens, dans la continuité des observations de François-Joseph Ruggiu, op. cit., p. 83 : « La formation de la “valeur” d’une personne sur le marché matrimonial est… un processus… bien plus complexe que le célèbre “Tarrife ou évaluation des partis sortables pour faire facilement les mariages” du Roman bourgeois de Furetière ne le laisse entendre. »
74 Mme Roslin et Mme Le Gendre « ne voyaient ni l’une ni l’autre que le séjour de Paris m’ôtait toutes les forces d’argent pour finir les grands projets que je suivais… » Mémoires de Dufort de Cheverny, op. cit., p. 395.
75 Hervé Drevillon, L’impôt du sang. Le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 2005, p. 101-204 « Plaies d’argent ».
76 F. Bluche, Les magistrats…, op. cit., p. 117.
77 Par exemple, « la famille Jehannot de Bartillat a perdu en deux générations un régiment de dragons valant 120 000 livres et Berry cavalerie estimé 80 000 livres. Aucune pension n’a été versée ni dans un cas ni dans l’autre, et on peut voir là la cause, sinon d’une régression sociale, du moins de l’effacement relatif dans lequel se trouvent confinés les Bartillat au XVIIIe siècle ». Jean Chagniot, « Mobilité sociale et armée… », art. cit., p. 47. On retrouve ce leitmotiv de la ruine des officiers de l’armée jusqu’à la veille de la Révolution. « Comme si les appointements de tous les grades subalternes suffisaient à l’alimentation d’un officier ! comme si la plupart des familles nobles n’avaient pas été obligées de vendre aux gens du Tiers État l’héritage de leurs pères pour faire face aux dépenses de l’état militaire ! comme si la plupart des officiers de l’armée n’étaient pas trop heureux lorsque, après 30 et souvent 40 ans de service, ils retrouvaient, en pensions viagères, l’intérêt à fonds perdu des biens solides qu’ils avaient mangés ! Si quelques Grands, quelques favoris en petit nombre font des fortunes dans l’armée, combien, en plus grand nombre de gentilshommes, se sont-ils écrasés et s’écrasent-ils tous les jours au service… » Marquis de Bombelles, Journal, Jean Grassion et Frans Durif (éd.), Genève, Droz, 1982, t. 2, p. 265 (19 décembre 1788).
78 Hervé Drevillon, L’impôt du sang, op. cit., p. 136-137.
79 Laurence Croq, « La robe et le Marais dans l’ombre des Lumières aristocratiques », Robert Descimon et Élie Haddad (dir.), Épreuves de noblesse, à paraître.
80 Au XVIe siècle, « l’exemple beauceron montre que les “nobles militaires” sont sensiblement plus riches que les autres. L’investissement, assez lourd, empêcherait les gentilshommes modestes d’accéder à ces postes. Mais ne peut-on aussi supposer que cet investissement militaire, est, sauf “accident”, un bon investissement, qui enrichit sensiblement les familles qui peuvent y prendre part et qui seraient donc riches, au moins en partie, grâce à leur activité militaire, via les soldes et l’ensemble des profits de guerre ? » Philippe Hamon, « Noblesse rurale et argent, 1450-1650 : quelques perspectives », Philippe Minard et Denis Woronoff (dir.), L’argent des campagnes. Échanges, monnaie, crédit dans la France rurale d’Ancien Régime, journée d’études tenue à Bercy le 18 décembre 2000, Paris, CHEF, 2003, p. 91.
81 François Bluche, Les magistrats, op. cit., p. 101-184. Nicolas Lyon-Caen et Mathieu Marraud, art. cit.
82 Marquis de Nadaillac, « Produit d’une charge de conseiller au parlement de Paris (1750-66) », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris, janvier-février 1892, p. 123 (ce sont en fait des notes extraites d’un manuscrit rédigé par Jean-Baptiste Claude de Bragelongne, dont Martine Bennini prépare l’édition).
83 L’avocat Barbier et Jean-Baptiste Claude de Bragelongne, conseiller au parlement depuis 1743, considèrent que la faiblesse des revenus rapportée au niveau élevé des dépenses nécessaires pour tenir son rang est une des trois raisons de la mévente des offices de conseiller au parlement, avec la quantité de travail et les brutalités subies de la part du pouvoir central. Les raisons de la mévente des offices de conseiller au parlement, selon Barbier en août 1751, sont les suivantes : « 1°… le Parlement a été barré dans ses Arrêtés et pour ainsi dire un peu maltraité de la part du Ministère, depuis longtemps, tant dans les affaires du jansénisme qu’autres affaires publiques ; 2° des dérangements de plusieurs jeunes conseillers que l’on a obligés de se défaire de leurs charges pour leur mauvaise conduite ; 3° de ce que ces charges ne rapportent rien… ; 4° de ce que l’augmentation du luxe et celle même des dépenses ordinaires, de plus d’un grand tiers, par la cherté de tout… ne s’accommodent pas de cet état impécunieux. » Cité par Jean Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire, 1715-1774, Paris, Armand Colin, p. 14-15. « Le produit d’une charge de conseiller au Parlement est infiniment modique, et même les anciens d’une chambre, quelques travailleurs et quelques exacts qu’ils soient, peuvent à peine en tirer les intérêts de l’argent que leur charge leur a coûté. Le travail cependant est grand, pénible, très gesnant, ennuyeux ; c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, où on aime tant l’argent et si peu la peine, il se trouve si peu de gens qui, de gayeté de cœur, veulent embrasser un état si pénible et si peu profitable pour celui qui l’embrasse, joint à cela les contradictions qu’on a sans cesse à essuyer de la part de la Cour, mêsme quelquefois ses violences et ses coups d’autorité, exils et autres. » Marquis de Nadaillac, art. cit. Un autre exemple, Dufort met au moins deux années pour vendre sa charge d’introducteur des ambassadeurs : « Personne ne se présentait pour l’acquérir : elle était effrayante aux prétendants par le peu de revenu, la représentation qu’elle exigeait, et la perte en cas de mort de deux cent mille livres. » Mémoires de Dufort de Cheverny, op. cit., p. 317.
84 François Bluche, Les magistrats…, op. cit., p. 178.
85 Yves Durand, op. cit., p. 366-367.
86 Voir Philip T. Hoffman, Gilles Postel-Vinay et Jean-Laurent Rosenthal, Des marchés sans prix. Une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001.
87 « Le paiement totalement à crédit est quasiment exclu, sauf cas exceptionnels. La plupart des contrats combinent donc de manière originale paiement au comptant et paiement à crédit. » Gérard Béaur, « Des sols contre de la terre. L’argent dans les transactions foncières au XVIIIe siècle », L’argent des campagnes… op. cit., p. 174.
88 Guillaume Daudin, Commerce et prospérité. La France au XVIIIe siècle, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2005, p. 241-369 (chap. V : « La mesure des profits »).
89 Carolyn Sargentson, Merchants and Luxury Markets. The Marchands Merciers of Eighteenth-Century Paris, Victoria and Albert Museum in association with the J. Paul Getty Museum, 1996.
90 Michèle Sapori, Rose Bertin, ministre des modes de Marie-Antoinette, Paris, Le Regard éditeur, 2003.
91 Jacques-Fabien Hazon déclare lors de son remariage en janvier 1751 que depuis le décès de sa première épouse en juillet 1747, c’est-à-dire depuis 3 ans et demi, il a gagné 42 000 livres. AN, MC, LXXXVI 647, 5 janvier 1751, contrat de mariage.
92 AN, MC, LXIX 678, 21 octobre 1757, partage.
93 Katia Beguin, « De la finance à l’intendance : la reconversion réussie de Jean Hérauld de Gourville (1625-1703) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 46, juillet-septembre 1999, p. 435-456.
94 Mémoires de Dufort de Cheverny, op. cit., p. 209 et 263-264.
95 Jean-Marc Moriceau, Les fermiers, op. cit., p. 579-612.
96 Jean-Baptiste Joseph Gayot marchand mercier et conseiller de ville est chargé du privilège exclusif du commerce du castor de Canada. Le roi lui a accordé deux arrêts de surséance à l’occasion de ce commerce, il craint que cela lui fasse du tort pour son accès à l’échevinage. Pontchartrain témoigne en faveur de ce négociant qui a acquitté pour près de 2 millions de dettes dont la colonie était chargée. AN, H 1930, minutes de l’hôtel de ville de Paris, lettre de Pontchartrain du 28 mars 1714. L’intervention de Pontchartrain n’empêche pas Gayot de vendre son office de conseiller de ville peu de temps après.
97 Cette remarque m’a été suggérée par Mathieu Marraud.
98 C’est le cas d’Étienne Vincent Le Mée conseiller depuis 1711. Dans son testament, l’épouse de ce dernier qui est séparée de biens depuis 1735 supplie ses héritiers de conserver à son mari l’usufruit de son office, ce qu’ils feront jusqu’en 1771. AN, MC, LXXXIII 421, 28 juin 1751, testament de Crespine Catherine Charmolue de La Garde épouse d’Étienne Vincent Le Mée. Le phénomène n’est pas nouveau, puisque Jean-François Le Boindre, conseiller de 1686 à 1742, est séparé de biens de sa femme depuis 1700 (Robert Descimon, « Le conseiller Jean Le Boindre… », op. cit., p. 394-395).
99 Natacha Coquery, La boutique à Paris au XVIIIe siècle, habilitation à diriger des recherches, histoire moderne, samedi 24 juin 2006.
100 Mémoires et journal inédit du marquis d’Argenson, ministère des affaires étrangères sous Louis XV, publiés et annotés par M. le marquis d’Argenson, Paris, 1857, t. 1 (Kraus Reprint, Nendeln/Liechtenstein, 1979) p. 168-176.
101 François Bluche, Les magistrats…, op. cit., p. 179. Un autre exemple, Marie Anne Catherine Coignet est mariée depuis 1726 avec le parlementaire Jean-Baptiste Moreau de Saint-Just ; son père, dont elle est l’unique héritière, décède en 1742, très endetté. AN, Y 15603, 2 mai 1742, scellés après le décès de Julien Denis Coignet. Une union des créanciers se constitue ensuite (voir MC, XLIX 690, 1er septembre 1751, quittance d’union de créanciers). J’ignore si les autres successions difficiles signalées par François Bluche (celles de Clément Jean Charles Guillemin de Courchamp et François Nicolas Chaban de la Fosse) empêchent l’établissement des enfants de ces conseillers.
102 Marie Françoise Catherine Doujat, femme séparée de biens du conseiller Jean François Le Boindre, fait de son fils Jean Joseph un conseiller au parlement en 1720. Robert Descimon, « Le conseiller Jean Le Boindre… », op. cit., p. 397.
103 Dufort évoque ainsi le mariage de son oncle Soullet avec Mlle d’Alègre et ses projets pour ses fils. « Son mariage avec Mlle d’Alègre n’avait nullement rempli ses espérances ; on l’avait présentée comme une descendante de la famille des d’Alègre ; le fait était faux, c’était une famille assez neuve qui avait fait fortune dans les affaires. On avait annoncé des espérances ; elles s’étaient réduites à une dot d’environ douze mille livres de rentes… Mon oncle avait balancé avec moi sur ce qu’il pouvait faire de son aîné : encore jeune, il ne pouvait avec vingt-cinq mille livres de rente le faire subsister dans la robe d’où [la famille] tenait son illustration ; elles ne pouvaient suffire aux dépenses d’un pareil état. Insouciant vis-à-vis de la cour, il ne connaissait ni n’avait ménagé personne, se contenant de vivre avec la tête de la robe ; il avait trop de vanité pour se charger de rien solliciter de la cour. » Mémoires de Dufort de Cheverny, op. cit., p. 270. En fait, l’aîné deviendra officier aux gardes, grâce à l’intervention de Dufort ; le plus jeune sera capitaine au régiment de Conti infanterie.
104 Mémoires de Dufort de Cheverny, op. cit., p. 243.
105 « Si tant d’officiers se retirent en même temps en 1701-1702, à un moment où la guerre commençante offre pourtant de bonnes perspectives d’avancement, c’est en partie parce qu’ils se sont endettés sans retour. » Jean Chagniot, « Mobilité sociale et armée… », art. cit., p. 46.
106 « Les Duprat de Rouez suivent à première vue le parcours classique des affaires à la robe, puis à l’épée. Un secrétaire du roi, trésorier de l’extraordinaire des guerres sous Louis XIV, donne naissance à un conseiller au parlement de Paris reçu en 1710 ; le fils unique de ce dernier entre aux Gardes françaises et place son propre fils en 1769 dans Royal infanterie. Mais Pierre Jean-Baptiste Duprat revend dès 1743 son enseigne à pique au régiment des gardes ; à vingt-quatre ans, il quitte Paris et l’armée pour se marier ; son fils ne dépassera pas le grade de lieutenant… Les Duprat de Rouez retombe dans l’anonymat de la gentilhommerie provinciale après avoir fait bonne figure un moment dans la capitale. » Jean Chagniot, Paris et l’armée au XVIIIe siècle. Étude politique et sociale, Paris, Economica, 1985, p. 229. Pierre Jean-Baptiste Duprat (1719-1813) a épousé Marie Madeleine Brillon du Perron (1725-1799), fille unique d’Antoine Jean, trésorier de France à Orléans. Il a deux sœurs : Marie Pauline Duprat, mariée en 1747 à Richard Jacques Philippe Urbain Marie Defontaines écuyer seigneur de la Barberie, etc., et Renée Marie Élisabeth Duprat épouse de Charles René Desnotz chevalier seigneur de Passard. En 1751, chacun des trois héritiers du parlementaire vit dans son château du Maine (AN, MC, CXIII 363, 31 mars 1751, partage de rentes). Voir aussi Christine Favre-Lejeune, Les secrétaires du roi de la grande chancellerie de France. Dictionnaire biographique et généalogique (1672-1789), Paris, Sedopols, 1986, t. 1, p. 521.
107 AN, MC, XII 517, 12 mars 1751, inventaire après décès de Marie Elisabeth de Versoris, seconde épouse d’André Claude Ledoulx de Melleville. MC, XII 571, 11 mars 1761, transport de rente ; MC, XCIV 305, 27 août 1761, constitution de rente viagère.
108 Louis Merle, L’étrange beau-père de Louis XIV. Constant d’Aubigné père de madame de Maintenon, Paris-Fontenay le Comte, Beauchesne-Lussaud, 1971.
109 Le Page disgracié, édition présentée, établie et annotée par Jacques Prévot, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1994.
110 Voir le cas de Louis-Maurice David cité dans la note 9.
111 Hardy présente ainsi la domestique du sieur Delastre marchand mercier rue de la Huchette et de sa sœur comme une femme « qui les servoit l’un et l’autre depuis vingt-deux ans et qui avoit tout le mérite qu’il est possible de trouver dans les personnes de cet état ». Siméon-Prosper Hardy, op. cit., 10 mai 1774.
112 Mathieu Marraud, « Espaces politiques et classements sociaux à Paris aux XVIIe-XVIIIe siècles », Classements, déclassements, op. cit.
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