Conclusion de la première partie
p. 119-120
Texte intégral
1La ville de Ratisbonne changea de visage à la fin du Moyen Âge. Au XIIIe siècle, la vieille cité bavaroise était devenue une ville libre, dominée par un Conseil autonome, et connut un grand essor. Au XIVe, elle jouissait toujours d’une éclatante santé, même si les dernières avancées historiographiques mettent en avant des signes inquiétants dès le milieu du siècle. Quelques décennies plus tard, elle devait faire face à une grave crise de son commerce, qui représentait le moteur de sa vie économique. Les études les plus récentes confirment bien la thèse ancienne du « déclin » économique de la ville. Le groupe dominant la cité paraît cependant être au moins aussi stable que dans d’autres villes de taille comparable. Peut-être cette stabilité s’explique-t-elle justement par le marasme économique, qui aurait empêché de nouvelles élites d’émerger et de supplanter les lignages au pouvoir. Mais sans doute ceux-ci surent-ils également bien conserver leur position, car après la crise de 1330-1334, leur domination ne fut pas remise en cause jusque 1486, même s’ils avaient pour partie entre-temps abandonné le négoce et qu’ils avaient accueilli en leurs rangs d’autres lignages ne pratiquant pas le commerce. On a pu parler de « patriciat ouvert » à propos de Ratisbonne ; pourtant, l’examen de la composition du Conseil restreint montre qu’on a bien affaire à Ratisbonne, comme dans d’autres villes, à une tendance à l’oligarchisation du patriciat au XVe siècle, même si aucune fermeture juridique ne la sanctionna.
2Les conditions dans lesquelles la memoria des bourgeois de Ratisbonne se déploya évoluèrent en même temps que la ville changea de visage. Le déclin économique ou le caractère indiscutable de la domination des lignages de l’élite bourgeoise expliquent peut-être l’absence des sources traditionnelles les plus éclatantes de la distinction sociale et de la memoria, des documents des poêles patriciens aux livres de famille. Paradoxalement, les patriciens fiers et sûrs d’eux-mêmes dans leurs tours crénelées n’écrivent ni l’histoire de leur lignage, ni celle de la ville qu’ils dominent.
3Ces conditions pèsent sur l’organisation de la succession à Ratisbonne, par laquelle les testateurs ne faisaient pas seulement circuler des biens, mais également du souvenir. Cependant elle est orientée vers l’avenir, et sert de lien entre le passé et le futur. Ainsi la succession, lestée de memoria, n’est pas un simple reflet – d’ailleurs déformé, car sélectif – des relations sociales, mais contribue également à les construire, à les façonner. Ce fonctionnement se perçoit très bien dans le cadre de la parenté, le plus proche et le plus dense des cercles concentriques de personnes au service de la mémoire des testateurs.
4Notre méthode a consisté à étudier les écarts par rapport à la norme et à alterner approches statistiques et études de cas. Finalement, des évolutions parallèles apparaissent, qui sont particulièrement nettes au sein du groupe dominant dans la cité danubienne.
5En passant du XIVe au XVe siècle, les testateurs semblent vouloir concentrer leurs legs sur leur famille, elle-même de plus en plus concentrée sur le lignage agnatique. Alors qu’au XIVe siècle, les patriciens associaient un grand nombre des familles de l’élite bourgeoise dans leur sociabilité posthume, ils tendent à retenir surtout leurs enfants et en particulier leurs fils au XVe siècle. Cette concentration est accompagnée d’un resserrement géographique sur la ville et ses environs immédiats.
6Ces évolutions peuvent apparaître au premier abord comme des manifestations directes de la crise économique : les ambitions seraient moindres et les regards porteraient moins loin. La concentration viendrait également compenser des tendances centrifuges de la part des patriciens, qui se révèlent notamment dans le choix accru de conjoints extérieurs à la cité, dans la seconde moitié du XVe siècle. Un élément cependant nous invite à reconsidérer les évolutions que nous venons de décrire. En effet, le rôle des institutions communales est considérable dans tous les aspects de la succession, y compris dans des domaines où nous attendons le moins leur intrusion. Les ordonnances du Conseil établissent des limites claires entre les membres de la famille légitimés à revendiquer une part d’héritage et les autres : elles remodèlent les structures familiales. Les arbitrages du Conseil et des conseillers lors des procédures judiciaires favorisent grandement les fils par rapport aux filles, les bourgeois contre les personnes extérieures à la ville. L’évolution de la memoria n’apparaît donc pas comme la simple conséquence d’un repli ; on y perçoit l’intervention d’un acteur : la ville. La poursuite de notre travail doit nous permettre de préciser la nature de ces évolutions.
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