1 La notion de « rupture paradigmatique » est empruntée à Thomas Kuhn, qui, dans The Structure of Scientific Revolutions (1970), suggère que la pratique scientifique n’obéit pas à un a priori normatif immuable, mais qu’au contraire les structures de ses opérations, donc la détermination des critères de la vérité (et de l’hérésie), sont contingentes, relatives. Cela signifie que les « faits » d’une science, même se réclamant d’un positivisme radical, ne peuvent s’accompagner d’une légitimité supérieure à l’égard des autres « pratiques socio-idéologiques » (Freitag (1986a : 67), voir aussi Laudan (1996), Law (1991) et l’anarchiste Feyerabend (1975), qui radicalise la thèse kuhnienne).
2 DesJarlais et Freidman (1993 : 299) avancent pour leur part l’idée saugrenue que la réduction des méfaits constitue une synthèse hégélienne ; « a Hegelian synthesis of the ‘utilization of psychoactive drugs to celebrate human potential’ perspective (the thesis) and the ‘zero-tolerance prohibition’ perspective (antithesis) ».
3 L’analyse que je propose ici de la périllisation a d’abord été développé avec Bastien Quirion. Je reprends dans ce chapitre plusieurs passages de l’article que nous avons consacré à « l’efficience du langage de la périllisation » (Carrier et Quirion, 2003).
4 Les foucaldiens diront que la logique dépasse le strict cadre thérapeutique, qu’elle est disciplinaire.
5 Si la logique de symptomatologisation fait de l’usage quelque chose qui masque autre chose, si elle en fait un témoin, un indicateur ; en un mot, un signe, il faudrait alors accepter d’étendre la topologie symptomatologisante au-delà du pathologique, et la faire correspondre à tout procès herméneutique. Je refuserai ici cette extension et restreindrai, comme je l’ai fait jusqu’ici, la symptomatologisation à la construction d’un objet à partir de la manipulation de la différence sain/pathologique (dont la possibilité est dessinée par l’usage antérieur soit de la langue de la moyenne, soit de la langue de l’équerre).
6 La médecine (moderne et scientifique) ne peut pas, par exemple, contraindre ou menacer de sanctions le politique s’il n’adopte pas, pour les stratégies de soins qu’il subventionne, des politiques qui correspondent exactement à la conception médicale de la toxicomanie à un moment donné. Il n’est bien sûr pas ici question de nier l’influence de la médecine sur ces politiques, ni de proposer qu’il n’y a pas d’exercice de pouvoir et de force dans les interactions entre des personnes que les systèmes sociaux construirons ici comme médecins, là comme sous-ministres.
7 Une telle diversité des stratégies thérapeutiques présente évidemment des avantages pour les personnes requérant des services, mais il en va bien autrement pour les personnes à l’égard desquelles l’intervention s’exerce sous contrainte. C’est-à-dire lorsque l’on observe la force ou le pouvoir de la grammaire de la symptomatologisation. Par ailleurs, la pluralisation des orientations des dispositifs de soins engendre des situations paradoxales en raison du statu quo juridique. Ainsi est-il possible qu’une personne participant à un programme thérapeutique subventionné par l’État, dans lequel certains modes d’usage sont normalisés, puisse néanmoins être incarcérée pour un tel usage du fait du maintien de l’infraction de possession (voir Rozier et Vanasse, 2000).
8 La prescription médicale est souvent associée à d’autres pratiques, comme l’illustre la psychothérapeutisation des héroïnomanes dans certains « programmes de maintien ». Malgré cela, toute analyse psychothérapeutique/psychosociale, et toute intervention sur l’usage d’autres substances, demeure fondamentalement étrangère à la technique qui fait la particularité de cette pratique thérapeutique.
9 « In view of our incomplete knowledge of the specific site or sites involved in the production and maintenance of cocaine addiction, it would be useful to develop a means of inactivating the drug before it can gain access to the central nervous system. […] It has recently been shown that rats may be actively immunized against cocaine […] A perfected vaccine could be used both to prevent and treat cocaine addiction. The vaccine will have no effects on the immunized individual except in the context of cocaine use. After ingesting cocaine, the immunized person will not experience a ‘high’, thus diminishing the likelihood of repeating drug use. Relapse in the detoxified addict will not be associated with euphoria ; without such re-enforcement, the behavior is unlikely to continue » (Cohen, 1997 : 167, 168).
10 Ou, si l’on tient à cette critique, des pratiques sans sujet.
11 Voir chez Giddens (1990) les distinctions entre trust et confidence, que le français ne peut rendre.
12 Je rependrai pour ce faire l’essentiel d’une analyse que j’ai présenté ailleurs (Carrier, 2003, 2001b).
13 Les écrits sur les LIDI sont essentiellement en langue allemande et néerlandaise, bien que des écrits anglophones se développent. Les textes de langue française sont pratiquement inexistants.
14 Les quotidiens dont les articles ont été l’objet d’analyse sont les suivants : La Presse, Le Devoir, Le Soleil, Vancouver Sun, Globe and Mail, Winnipeg Sun et Edmonton Sun.
15 Au moment d’écrire ces lignes, seul le projet de Vancouver a été mis en place.
16 Voir à ce sujet Fischer (1995) et Kemmesies (1995), et, parallèlement, l’étude de Cattacin, Lucas et Vetter (1996). Francfort fut notamment le lieu de la signature, en 1990, de la résolution des European Cities on Drug Policy, la Résolution de Francfort. Les signataires concluent, entre autres choses, que des lieux permettant la consommation de substances interdites devraient être mis en place et que les consommateurs des drogues prohibées par les États occidentaux ne devraient pas être punis pour l’achat, la possession ou la consommation de petites quantités des produits visés par les lois.
17 Le cadre légal actuel rend notamment obligatoire que tous les LIDI offrent la possibilité aux usagers de recevoir un medical counselling et que soit tenu un registre de ceux-ci. Les amendements de 1999 visaient par ailleurs à offrir des protections juridiques aux employées des LIDI.
18 À ma connaissance, le moment, le comment et le pourquoi de la fermeture de ces LIDI ne sont pas documentés.
19 Le LIDI a pu ouvrir ses portes une fois que la Australian Supreme Court ait rejeté la demande de la chambre de commerce du quartier, qui contestait la légalité du LIDI et sa localisation. Devant les délais occasionnés par ces débats, certains acteurs avaient mis en place, en 1999, une « Tolerance Room » non-officielle qui fut l’objet de perquisitions policières. Par ailleurs, quelques mois après l’ouverture du LIDI australien, ses représentants questionnaient la légalité de la présence d’une caméra de surveillance, pointée vers l’entrée du site depuis un commerce adjacent, en raison de l’intimidation vécue par les usagers (Daily Telegraph, 2001, Sydney Morning Herald, 2001).
20 La mise en place de ces LIDI était la « conséquence logique » (Trautman, 2000) du virage politique de l’époque en matière de drogues illicites. À l’époque où la majorité des pays occidentaux mettent en place des commissions d’enquête devant la massification de l’usage de drogues prohibées, la Hollande est le seul pays à donner suite à leurs recommandations (le Rapport Hulsman et le Rapport Baan), alors que les autres pays, dont le Canada, poursuivent la logique répressive et la quête d’abstinence (voir à ce sujet Bertrand, 2000, Hulsman et van Ransbeek, 1983). Les Pays-Bas, dans ce virage des années 1970 dont les LIDI ne sont qu’un symptôme, tentent de construire l’intervention étatique à l’endroit des usagers de drogues illicites dans une optique de « normalisation », plutôt que d’exclusion par l’incarcération ou la cure. Pour Nadelmann, McNeely et Drucker (1997), c’est dans cette redéfinition de la politique hollandaise qu’émergent les premiers concepts contemporains de réduction des méfaits liés à l’usage des drogues.
21 de Jong et Weber (1999) affirment qu’un LIDI officiel a été en opération à Zurich dès 1981, contrairement à Dolan et al. (2000), Victoria Drug Expert Committee (2000a), Dolan et Wodak (1996), Haemming (1992), et Brisson, (1997), qui identifient le LIDI de Berne comme la première initiative suisse en la matière. Voir Haemming, (1992) pour le récit de l’ouverture difficile du site à Berne.
22 La situation dans le Downtown East Side de Vancouver, où des acteurs de champs de plus en plus divers (police, avocats, juges, intervenants, résidents, politiciens) ont réclamé l’ouverture de LIDI, peut être perçue comme le versant canadien des scènes suisse et de certaines villes allemandes des années 1990 (voir Mac Pherson, 2000 ; Kerr, 2000). À Montréal, le Carré Viger est considéré par plusieurs usagers comme le Needle Park de la métropole. Pour un commentaire sur la scène ouverte de Zürich voir Huber (1994), également Hausser et Kuebler (1995).
23 Sur les risques de transmission de maladies virales dans la pratique d’injection sans échange de seringue, voir l’étude ethnographique de Koester (1996).
24 Fry et Testro (2000), Kerr (2000), MacPherson (2000), Dolan et Wodak (1996), Kemmesies (1995). Ce dernier note que plusieurs surdoses sont attribuables au contexte prohibitionniste. Donc la mise en place de LIDI peut être un moyen efficace pour limiter les conséquences des surdoses chez les usagers de ces services, mais ne peut pas être un moyen efficace pour réduire l’incidence des surdoses dans le cadre prohibitionniste, qui rend impossible tout contrôle de la qualité et de la pureté des produits.
25 Fry et Testro (2000), Kerr (2000), MacPherson (2000), de Jong et Weber (1999), Dolan et Wodak (1996), Kemmesies (1995).
26 À Vancouver, la distribution du matériel stérile aux personnes qui ne l’échange pas contre du matériel utilisé est laissé, dans les faits, à la discrétion des employés des PES. À Montréal, cependant, la logique d’échange a fait place à une logique de distribution.
27 Voir le numéro spécial de la revue Les politiques sociales consacré à cette question (Bellot, 2002).
28 Voir Carrier et Lauzon (2003) pour une illustration de la disjonction entre les fins des tenants de la réduction des méfaits et les désirs des personnes à l’égard desquelles on intervient dans une logique de périllisation.
29 Rappelons que la nature des infractions créées par le prohibitionnisme rend impossible que la police puisse se concentrer sur le supply side of the drug problem sans faire des personnes qui consomment les drogues illégales des instruments au service de la répression.
30 Voir aussi Swiss Federal Office of Public Health (1999 : 6).
31 Cette section sur le cannabis reprend plusieurs passages de mon article sur « Les vedettes de la prohibition du cannabis » (Carrier, 2004).
32 Le témoignage du policier est disponible sur Internet et n’est pas paginé (voir la bibliographie).
33 Morgan et Zimmer (1997 : 117) et la Commission LeDain (1972 : 124) notent qu’il est possible d’observer certains « symptômes de sevrage », comme la perturbation des rythmes circadiens, d’une gravité faible et pour une période de temps très limitée, lors d’expériences cliniques où les sujets ingèrent quotidiennement plus de 200 mg de ð9-THC. De telles quantités équivalent à une consommation prolongée de 15 à 20 joints sur une base quotidienne et les « symptômes de sevrage » ne seraient pas observables en dehors des conditions artificielles des expériences cliniques. Hall, Johnston et Donnelly (1999) montrent cependant que des données récentes permettent de faire l’hypothèse de possibles symptômes de sevrage, légers et temporaires, chez les gros consommateurs de cannabis, ceux-ci étant toutefois possiblement « psychosomatiques » (anxiété, irritabilité, troubles du sommeil, etc.).
« Les « drogues » sont généralement classées en fonction de leur aptitude à générer des phénomènes de dépendance physique et psychique et sont considérées comme à risque si elles répondent à ces deux critères. Le cannabis a été classé dans ce groupe bien que les cannabinoïdes soient loin de produire des effets comparables à ceux générés par l’héroïne, l’alcool ou le tabac » (Roques, 1999 : 189).
34 . Notamment Roques (1999), Morgan et Zimmer (1997), Hall et Solowij (1995), Hall, Solowij et Lemon (1994), Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (1994), Gold (1989), Santé et Bien-Être social Canada (1989), LeDain (1972). Une étude établit à moins de 10 % la proportion des consommateurs « chroniques » développant une dépendance psychologique au produit (Wiesbeck et al., 1996), ce qui représenterait moins de 2 % de l’ensemble des consommateurs. Une proportion beaucoup plus faible que celles relatives à la consommation d’alcool et de tabac (Roques 1999 : 206). En cas de dépendance psychologique, les auteurs rapportent chez ces consommateurs des difficultés à contrôler la fréquence de leur consommation, le maintien de l’usage en dépit de problèmes personnels qui lui sont imputés et le « besoin » de prendre du cannabis. « Cependant, le cannabis ne semble pas donner naissance au même besoin impérieux que la dépendance à l’égard des stupéfiants opiacés, des barbituriques, de l’alcool ou du tabac » (LeDain, 1972 : 126).
35 Les sources sérieuses concluant à la possibilité de ces « psychoses » suggèrent qu’elles sont extrêmement exceptionnelles et que la consommation de la substance y joue un rôle secondaire ; elle serait « cause de complication » ou d’exacerbation, par exemple chez des personnes diagnostiquées schizophrènes (Hall, Johnston et Donnelly 1999 ; LeDain, 1972). Une enquête majeure sur La dangerosité des drogues conclut toutefois que la (sur) consommation de cannabis ne peut pas être reliée directement à des « syndromes psychotiques » (contrairement à celle de l’alcool, de la cocaïne et de l’ecstasy) et qu’elle « ne semble pas précipiter l’apparition de dysfonctionnements mentaux préexistants (schizophrénie, dépression bipolaire, etc.) » (Roques, 1999 : 186).
36 On consultera sur cette question Nolin (2002a), Acker (2002), Mann (1999), Morgan et Zimmer (1997), Cohen et Sass (1997) et Grinspoon (1994).
37 Ou encore, on peut suggérer que l’idée de la gateway drug repose sur ce que Baudrillard (1981) nomme les « simulacres de simulation » ; c’est alors un « futur passé » (Bogard, 1996) qui vient signifier certains usages dans le registre du pathos, soit l’observation d’une toxicomanie non advenue, la projection d’une toxicomanie hyperréalisée, vraie avant le fait, indépendante du réel – je reviendrai sur ces questions.
38 Seules des recherches empiriques pourront analyser les impacts de ces visages sur laphénoménologie de l’usage. Ce type d’étude fait cruellement défaut (pour un exception,peu satisfaisante, voir Hathaway 1997a, 1997b). En 2001, dans une étude pour lecompte du Comité permanent de lutte à la toxicomanie, j’ai examiné, notamment, sides discours comme ceux sur la « théorie de l’escalade » et des visages comme celui dufou colorent l’expérience cannabique. Le Comité a censuré l’étude et m’interdit de faireusage du matériel empirique recueilli lors de celle-ci. (Les éditeurs de Drogues, santé etsociété, dont certains sont proches du Comité, ont de plus exigé que les deux phrasesprécédentes soient retirées pour que soit publié l’article duquel je reprends ici certainspassages [Carrier, 2004]).
39 Peut-être faut-il aussi donner à Parsons (1951 : ch. 10) une part de responsabilité pour cette habitude, celui-ci ayant proposé une théorie de l’action dans laquelle le malade est conçu comme un objet déviant appelant des mécanismes régulatoires.
40 Zola confond la science (post) positiviste et la médecine. Voir Herzlich et Pierret (1984) et Foucault (1963) pour deux analyses beaucoup plus fines des rapports entre le langagebiomédical et religieux et, parallèlement, Freitag (2002, 1995) et Habermas (1976, 1968) sur les rapports entre technique, positivisme et vérité.
41 Comme chez LeBreton (1990), l’analyse que fait Turner de la médicalisation se situe au cœur du développement d’une anthropo-sociologie du corps qui met en cause la dichotomie cartésienne du cogito et du corps-objet/machine. Voir aussi la thèse de la biomédicalisation développée par Clarke et al. (2003).
42 On trouve par exemple une telle « conception abstraite » dans la définition de la santé produite par l’Organisation mondiale de la santé : « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
43 Pour un commentaire général sur le Health Belief Model, voir Armstrong (2000) et Good (1994).
44 L’idée que l’on puisse se prémunir du risque montre comment chez Beck le risque est danger.
45 Sur le plan de l’individualité se formule alors la même thèse que celle proposée par les analystes de la médicalisation : une croissante, voire infinie, responsabilisation de la personne. J’y reviendrai.
46 Les emprunts de Beck à Luhmann sont nombreux, même si l’auteur à succès ne les présente pas comme tels.
47 Dans L’empire cybernétique, Céline Lafontaine (2004) croit démontrer que la cybernétique est devenue paradigme s’imposant dans les sciences tant biologiques que sociales, considérant notamment que le pragmatisme de Rorty, le sujet décentré de Lacan et le pouvoir foucaldien comme des rejetons de cet « empire ».
48 Cette obligation vide produit des effets que la sociologie situe quelque part entre les pôles du profond « malaise identitaire » et du « narcissisme » triomphant. Du premier côté on trouve la personne déracinée par le « démantèlement », notamment, de la famille et de l’école (Laurin, 1999) ; l’« individu incertain » (Ehrenberg, 1995) ; la personne qui n’a plus rien d’autre qu’elle-même et les conséquences de actes à « intérioriser » (Fitoussi et Rosanvallon, 1996) ; les « exclus » victimes du meurtres néo-libéral de l’État-providence, etc. De l’autre, on trouve notamment les célébrations du transhumanisme et du cyborg libérateur (voir à ce sujet les commentaires de Vandenberghe, 2005) ; l’identité vierge comme un livre, qu’il s’agirait de textualiser/narrer au gré de ses humeurs la représentation d’une individualité contemporaine essentiellement hédoniste et constituée à des fins de mise en marché (Featherstone, 1991) ; etc.
49 Par des chemins différents, Luhmann propose une observation similaire lorsqu’il demande « qui, aujourd’hui, peut parler au nom de la société » ?
50 Cela est célébré par de nombreux auteurs qui y voient, si l’on veut, une libération des contraintes de la modernité. Temps des tribus ? On accusera aisément certains de ces auteurs de célébrer un ‘ élitisme bourgeois’, un « privilège social qui ne dit pas son nom ». Voir parallèlement Postmodernist bourgeois liberalism de Rorty (1991e).
51 Rose voit dans cette reconfiguration de la fabrication du sujet productif une connexion entre la bio-politique (gouvernement de la vie productive d’une population) et le désir du Capital ; mais comme c’est fréquemment le cas chez les foucaldiens, l’arrimage théorique de la ‘volonté’du pouvoir à celle de l’argent est au mieux vague.
52 Rose aborde bien d’autres thèmes en discutant de la consuming civility, par exemple l’esthétisation croissante des corps et la fin du monopole d’une élite culturelle sur la définition du goût et du style. Voir aussi Featherstone (1991).
53 Ni, dans certains passages plus incertains, de la disparition de l’hégémonie capitaliste. Il affirmera notamment que ce qui se présente comme des services adaptés aux « besoins » identifiés par les personnes sont en fait un simple « dressage comportemental », dans lequel les vrais besoins sont « ceux des organisations ».
54 Une telle conception tend par ailleurs à rendre synonymique les notions foucaldiennes de pouvoir disciplinaire et de pratiques de la liberté.
55 Ce serait donc la fin de ce que Foucault nomme la « médicalisation des effets de l’aveu », car produire un discours sur soi, du moins dans le rapport aidant-aidé, ne serait plus pensé comme moteur de guérison de traumatismes et de fautes, mais comme simple technique d’identification de cibles concrètes d’interventions.
56 . Cette insatisfaction se formule notamment ainsi : « Depuis la perspective dominatrice de Marx et Weber d’un côté […] et la perspective fonctionnaliste Durkheimienne de l’autre, la “discipline” qui assujettit le “corps” reste en grande partie le seul renouvellement des outils théoriques dans le domaine de la normalisation. Mais le corps, et l’âme qu’il était censé contenir, ne font plus l’objet de normalisation dans les sociétés postindustrielles, parce qu’ils n’occupent plus une place centrale dans les organisations dont dépend largement le mode d’organisation sociale (Lianos, 2001 : 22) ».
57 . Le contrôle social est ici entendu à la fois au sens francophone d’inspection et de surveillance, et anglophone de domination ou de production de l’ordre social.
58 . Avec la définition qu’il en donne, l’institution peut donc être une famille ou ce que Luhmann nomme un système « simple », mais l’ensemble du « nouveau contrôle social » de Lianos est décrit en termes « socio-techniques », excluant les modes proprement sociaux, basés sur l’interaction sociale directe, dans lesquels la négociation est toujours possible.
59 On aura noté la complète inversion des thèses des grammairiens de la séparation, laquelle s’explique par une conception ici positive, là négative, de la liberté.
60 Lianos pose toutefois le maintien d’un contrôle correcteur, lequel opère dans les espaces strictement sociaux, au plan des interactions sociales.
61 On pourra évidemment ici demander si la personne est ‘négativement’libre ou non de cette pratique, par exemple si elle est ou non « libérée » du marché économique, si elle peut survivre sans accepter l’examen que suppose un travail, etc.
62 La solution qui consiste, chez les sociologues critiques, à faire de ces personnes des imbéciles à délivrer de leur aveuglement ne me semble pas très appétissante – on rétorquera que je suis à mon tour imbécile, ou victime du political correcteness (à moins que ce ne soit la même chose).
63 On peut certes affirmer l’assujettissement des sujets à des identités produites par différents savoirs, mais n’affirme-t-on pas alors, par cette critique, le mythe de l’individu autarcique, du sujet solipsiste ? Comment se constituer sans « support », sans environnement au sens de Luhmann ?
64 L’idée véhiculée à l’effet que la réduction des méfaits peut conduire à la chute du prohibitionniste est une – certes, honorable – profession de foi.
65 Chez les cannabinophiles comme chez bien d’autres personnes, la pérennité de la prohibition peut bien sûr être lue dans ce registre de la manipulation.