14. « Parle moi de moi. Il n’y a que ça qui m’intéresse ». Les implications idéologiques d’un impératif de proximité
L’exemple du « Treize heures » de TF1
p. 271-284
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1La « proximité » est présentée comme une exigence fondamentale pour les entreprises médiatiques qui s’efforcent de conquérir et de fidéliser une large audience. Dans un certain nombre de médias, c’est fréquemment au nom de ce principe que s’élaborent les stratégies rédactionnelles et que s’évalue la qualité des productions journalistiques. Polysémique, cette notion de « proximité » implique certaines règles professionnelles que l’on peut schématiquement regrouper autour de deux consignes, intimement liées. Tout d’abord, on peut envisager l’impératif de proximité au niveau des normes de présentation et d’écriture : le média se doit d’être « proche » de son public, c’est-à-dire complice, séducteur, compréhensible, etc. La seconde dimension affecte davantage les contenus informatifs : valoriser la proximité, c’est privilégier des nouvelles qui concernent le « quotidien des gens », leurs « préoccupations », et qui sont puisées sur le « terrain », au niveau « local », etc. Aucun journal télévisé français n’a autant exacerbé ces deux exigences que celui proposé par TF1 à la mi-journée. Ce JT, que l’on appellera par commodité le « Treize heures » ou bien le « Journal de Jean-Pierre Pernaut », du nom de son emblématique présentateur, constitue un objet médiatique précieux pour étudier les logiques de proximité qui guident l’écriture journalistique. Certes, à travers ce programme, on repère certains formats caractéristiques de la télévision contemporaine (entretenir une relation de familiarité avec les téléspectateurs, promouvoir le vécu, décloisonner les genres et les thématiques, etc.2). On y reconnaît également des registres spécifiques à la parole publique actuelle (valoriser le « témoignage » et les « affects3 », rechercher l’« authenticité4 »). Mais il ne faudrait pas uniquement aborder ce journal comme une banale illustration de pratiques largement partagées. En effet, le Treize heures de TF1 est, à de nombreux égards, un objet bien spécifique.
2Par son succès tout d’abord : recueillant quotidiennement plus de 56 % de parts de marché, il est vu par environ 16 % des Français de plus de quinze ans5. L’originalité de ce journal tient également à la personnalité singulière de son présentateur, officiant depuis 1988 et disposant d’une autonomie rédactionnelle rare6. Outre son rôle d’animateur de l’émission « Combien ça coûte », il revendique régulièrement ses origines picardes (amiénoises plus précisément), son attachement à la province7 et son mépris pour les « intellectuels parisiens8 ». Ceux-ci d’ailleurs le lui rendent bien puisqu’il suscite, chez certains confrères d’une presse écrite plus élitiste, un nombre considérable de sarcasmes ou de critiques sur le populisme ou le poujadisme de son discours9. Enfin, le quatrième et principal élément est la formule même du journal et notamment l’importance accordée à l’actualité rurale, aux « régions » et aux reportages « atemporels » sur les pratiques locales ou le patrimoine. J.-P. Pernaut justifie ainsi le traitement proposé par son JT :
« À travers ces reportages, nous montrons simplement ce qui existe et ce qu’aucun autre média ne montre. Car ces traditions ne sont nullement “imaginées” de Paris. C’est précisément parce que je vis toujours dans cette France que vous appelez “profonde” que je souhaite montrer ce qu’elle est réellement, avec ses idées, ses passions, ses beautés, ses problèmes, ses métiers qui se développent ou qui disparaissent… Il n’y a de ma part ni “regard paternaliste”, ni “condescendance”, ni “mépris culturel”, ni “regard ethnocentrique”. J’ai simplement le souci de la simplicité et de la vérité10. »
3On ne suivra évidemment pas Jean-Pierre Pernaut sur ce terrain de la « vérité » ou de l’adéquation du contenu de son journal avec une quelconque « réalité » française. De la même manière, comme le suggèrent Pierre Leroux et Philippe Teillet11, il convient de ne pas hâtivement souscrire aux affirmations suivantes : postuler que ce JT apporte un « soutien objectif » aux actions des entreprises politiques de « droite12 », présupposer son influence sur les préférences politiques des téléspectateurs13. On se contentera donc plutôt de décrire le contenu de ce journal en termes de hiérarchies et de cadrages de l'information14, de procédés narratifs et de postures rhétoriques15. À travers ces dimensions révélatrices des logiques de production et des représentations des attentes des téléspectateurs, il conviendra dès lors de déceler les imaginaires sociaux charriés quotidiennement par ce journal.
4Cette étude s’organisera autour de deux points qui montreront l’ambivalence de ce JT. D’un côté, on constate l’effacement des formes « traditionnelles », c’est-à-dire institutionnelles et nationales, de politisation, au profit de la mise en scène du local, du concret, du connu, du quotidien. Mais cet apolitisme apparent se conjugue avec l’affirmation permanente de partis pris relayant les préoccupations supposées des publics, explicitant les rôles légitimes de l’État, légitimant les politiques à entreprendre. Cette ambivalence met en exergue deux façons de satisfaire à l’exigence de proximité et ainsi de répondre au souci de fidélisation d’une audience large et hétérogène : tandis que le présentateur énonce des thématiques nationales susceptibles de concerner une importante partie du public, les reportages les exemplifient en médiatisant le témoignage de Français ordinaires, en rapportant leurs joies et leurs peines, en favorisant l’empathie et l’implication des spectateurs.
5Cette contribution s’appuie sur un mémoire de maîtrise réalisé en 1999 à partir de l’enregistrement et de l’analyse de cinq JT (19 février, 4 mars, 22 mars, 6 avril, 14 avril16). Malgré la stabilité des dispositifs et des formats, il va de soi que ce travail est nécessairement limité par la contingence de l’actualité et par un certain nombre de facteurs conjoncturels dont nous nous sommes efforcés de tenir compte en définissant notre corpus. À des fins de comparaison, nous avons également enregistré, les mêmes jours, cinq Treize heures de France 2. D’autre part, afin de tester certaines conclusions formulées en 1999, nous avons à nouveau analysé cinq journaux de TF1 (du 1er au 5 septembre 2003). Il a notamment pu être intéressant de s’assurer que le changement de majorité parlementaire n’affectait pas l’appréhension de l’action publique dans un JT fréquemment accusé de « collusion » à l’égard des partis de la droite parlementaire.
Un apolitisme apparent. La proximité comme valorisation du « local » et du « concret »
6Le souci de promouvoir des informations ou des sujets qualifiés de « proximité » amène logiquement la rédaction du Treize heures à négliger les nouvelles « internationales » et « politiques », si l’on exclut les périodes de « crises » qui bousculent les hiérarchies habituelles et mobilisent un dispositif spécifique en termes d’effectifs et de moyens (guerres au Kosovo et en Irak, 11 septembre 2001, présence de J.-M. Le Pen au second tour des présidentielles de 2002, etc.). Pour éviter de postuler arbitrairement l’absence de « politique », il convient d’être rigoureux sur la terminologie. Par « politique », on entend, d’une part, le label journalistique qui désigne un service dans la rédaction et une rubrique dans le journal : ainsi le service politique de TF1, chargé de rendre compte de l’activité des institutions et des acteurs politiques, ne fournit-il qu’épisodiquement des sujets à ce journal. D’autre part, les nouvelles sont rarement traduites selon des schèmes « politiques » explicites, c’est-à-dire selon les catégories de vision et de division du monde manipulées par les acteurs du champ politique et qui structurent l’intelligibilité de leur lutte (« droite » – « gauche », « libéral » – « interventionniste », etc.).
Une compétition politique invisible
7Tout d’abord, la compétition politique nationale n’est quasiment jamais mise en scène. Aussi bien en 1999 qu’en 2003, les seuls professionnels de la politique cités ou filmés sont les membres du gouvernement : l’opposition y est invisible et ne peut donc voir relayer ses critiques à l’égard de l’activité de la majorité. Mais si les ministres « parlent », c’est en tant qu’incarnation, dans leur domaine respectif, de la parole de l’État, que ce soit pour rendre hommage à des pompiers décédés, pour participer à des cérémonies publiques, pour justifier la nécessité de leurs projets de loi, pour affirmer la position diplomatique de la France. Le personnel politique local bénéficie, quant à lui, d’une plus large couverture. À nouveau toutefois, le privilège de la médiatisation est réservé aux élus aux dépens de leurs oppositions (municipales par exemple). Les reportages qui les mettent en scène reposent généralement sur deux types de scénarios. Premier cas de figure, il s’agit de présenter une mesure adoptée par l’institution locale (abattre les platanes qui bordent une route nationale, traiter les eaux usées, lutter contre la petite délinquance, etc.) et de la confronter aux jugements, souvent hétérogènes, des administrés. Deuxième cas de figure, ces élus s’expriment en tant que porte-parole légitimes des intérêts locaux face à l’arbitraire des directives étatiques (la politique foncière ou le système d’imposition) ou des changements socio-économiques (la désertification des campagnes, la disparition des commerces, etc.).
8Si la compétition politique proprement dite est absente du Treize heures de TF1, un certain nombre de politiques publiques nationales sont cependant évoquées. Mais ces politiques ne sont dignes d’être rapportées que lorsqu’elles s’avèrent susceptibles de concerner immédiatement et concrètement le public visé : les questions, familières, d’éducation, de santé, de fiscalité, d’aménagement rural, etc. figurent ainsi régulièrement dans l’agenda du journal. Toutefois, ces mesures sont rarement détaillées et ne sont jamais décryptées en fonction de considérations macro-économiques, d’idéologies sous-jacentes, de rapports de force sociaux ou partisans. Au contraire, leur évocation s’inscrit selon certains formats routiniers. Après l’annonce sommaire, par le présentateur, des principales dispositions et de leur pertinence supposée, ces politiques sont systématiquement illustrées par un sujet réalisé en province décrivant les expériences quotidiennes d’un ou plusieurs individus confrontés au problème en question. Ainsi, à propos des débats parlementaires sur la présomption d’innocence (22 mars 1999), un reportage vient narrer la difficile intégration villageoise d’une personne accusée à tort de meurtre et ayant passé plusieurs années en prison avant de bénéficier d’un non-lieu. Par ce procédé d’exemplification, le Treize heures concrétise et localise des politiques abstraites et nationales. Il les rend ainsi intelligibles au regard d’un savoir social supposé partagé par une grande majorité de téléspectateurs17. Autre format régulièrement emprunté : le recueil de « réactions » aux mesures gouvernementales. Ces évaluations n’émanent jamais d’acteurs politiques, elles sont parfois énoncées par des personnes désignées comme « experts » ou comme représentants légitimes (syndicaux, associatifs). Mais elles proviennent le plus souvent d’individus « ordinaires », concernés par les dispositions adoptées ou débattues (une mère de famille au sujet des crèches, un agriculteur au sujet des directives agricoles, un médecin sur la politique de santé, etc.), leur opinion étant soit sollicitée (micro-trottoir), soit rapportée (manifestations). Le tableau 1 témoigne de cette pré-éminence qu’accordent les producteurs de TF1 aux paroles anonymes face à des paroles institutionnelles, davantage mobilisées par la rédaction de France 2.
9L’appréciation des politiques publiques ne prend donc pas la forme d’un débat contradictoire entre professionnels de la politique, où le journaliste se contenterait de rapporter les propos des uns et des autres, témoignant ainsi de son respect des normes de neutralité et d’objectivité habituellement consacrées à la télévision18. Ici, le journaliste se veut objectif dans la mesure où ses propres jugements n’émanent pas d’une fraction du champ politique mais sont en conformité avec ce qu’il suppose être les préoccupations et les exigences concrètes des « vrais gens ».
Les imaginaires d’une France immuable… mais menacée
10La logique de proximité amène donc les producteurs du JT à ne pas s’attarder sur une actualité jugée exotique ou hermétique19. Au contraire, la stratégie éditoriale encourage la présentation de pratiques sociales supposées caractéristiques de l’identité française et censées intéresser un public majoritairement populaire, provincial et âgé. Que ce soit à travers les sujets d’actualité ou à travers la partie magazine située en fin de journal, ce JT donne à voir une traduction particulière de l’imaginaire national : une France immuable, ancrée dans ses terroirs, rythmée par les saisons20. Il offre « l’inlassable déclinaison des images de sa diversité spatiale, les vins et les fromages, les formes de clochers et les types d’habitats, les costumes et les cuisines, les tempéraments, les langues et les paysages21 ». Ainsi, pas moins de trente-trois départements seront visités lors des cinq journaux enregistrés en 1999. Le Treize heures, « journal des Français qui s’adresse en priorité aux Français et qui donne de l’information en priorité française22 », entretient ainsi la croyance en une France aux multiples facettes, composée de « pays » aux coutumes originales23.
11Cette valorisation des provinces, institutionnalisée par les partenariats qu’entretiennent les producteurs du JT avec divers titres de la presse quotidienne régionale, plonge le téléspectateur dans des espaces où cultures et savoir-faire locaux se transmettraient à l’identique de génération en génération. L’évocation du folklore se déploie à travers un lexique récurrent : les mots « typique », « authentique », « traditionnel24 » peuplent la plupart des reportages de la partie magazine. L’usage de cette terminologie manifeste d’ailleurs un certain glissement sémantique : le traditionnel devient l’authentique, l’authentique le naturel, le naturel le vrai et le bon. Cet intérêt pour la constance se manifeste également par l’importance accordée aux « marronniers », c’est-à-dire aux informations saisonnières qui jalonnent l’agenda français : Salon de l’agriculture, départs en vacances, sports d’hiver, cueillette des jonquilles ou récolte du raisin, fêtes religieuses, etc. En 1999, ces « marronniers » constituaient en effet plus de 20 % des séquences des journaux analysés.
12Si ce JT rend régulièrement compte des difficiles conditions de vie rurales (ennui des jeunes, isolement des anciens, disparition des services publics et des commerces, etc.), le village apparaît toutefois comme un espace homogène et solidaire où la proximité avec la nature est source d’épanouissement25. Cette imagerie valorisant spécifiquement des cultures rurales dont on regrette le déclin26 s’articule à une dépréciation de la ville, peu mise en scène mais régulièrement associée aux violences urbaines. Son absence se conjugue avec la faible représentation de groupes sociaux statistiquement représentatifs de l’espace urbain : l’étudiant, l’ouvrier, l’immigré, etc. En revanche, les producteurs du Treize heures investissent régulièrement la rhétorique du « petit » qu’il faut préserver : « les petits propriétaires […] souvent désarmés » lorsque le locataire devient insolvable, « les petits producteurs de poules, lapins et fromages frais » qui ne peuvent s’adapter aux nouvelles normes sanitaires, « les petites stations de sport d’hiver très familiales », « de petits trésors qui valent bien une ruée vers l’or », etc. De même, en s’inspirant des travaux d’Edmond-Marc Lipiansky, on constate la récurrence de certaines images stéréotypées du « provincial27 » : le sens du labeur, la lenteur, le calme, la sagesse, le respect des coutumes et des traditions, mais également parfois l’ennui, la médisance, le préjugé.
13À travers cette description cavalière, et évidemment non exhaustive28, de l’imaginaire charrié par ce JT, on identifie le souci manifeste de mettre en scène une réalité sociale sinon familière aux téléspectateurs visés, du moins « ordinaire » et positivement connotée. Si l’on importait telles quelles les analyses d’un Pierre Bourdieu ou d’un Roland Barthes, on pourrait lire, dans cette promotion du « Temps d’avant » et dans cette valorisation d’un espace local authentique et peu conflictuel, une « parole dépolitisée » qui légitimerait l’ordre établi29. Mais de telles lectures, malgré leurs acuités respectives, ne peuvent suffire pour qualifier le discours de ce JT. Certes, ce journal n’effectue évidemment pas un travail de politisation au sens d’« attention accordée au déroulement de la compétition politique30 ». Cependant, si l’on considère que « dépolitiser » constitue un acte délibéré et politiquement orienté, il semble préférable de parler d’apolitisme car cette notion renvoie à l’objectif de ne pas ennuyer des publics qu’on estime peu intéressés par une lutte distante et ésotérique. Mieux, le concept de dépolitisation se révèle d’autant plus inadéquat que cet apolitisme apparent s’articule avec un certain nombre d’engagements explicitement revendiqués et, là aussi, justifiés par l’exigence de proximité.
Des partis pris explicites. La proximité comme souci d’implication du public
14Séduire et fidéliser le public ne repose pas uniquement sur des choix rédactionnels privilégiant la description souriante de pratiques « authentiques ». Les producteurs du Treize heures, et notamment son présentateur et rédacteur en chef, Jean-Pierre Pernaut, s’efforcent également de relayer ou de susciter des controverses, de porter et grandir certaines revendications, de publiciser et légitimer différentes attentes sociales. On pourra ainsi successivement entrevoir les modalités et le contenu de ces partis pris éditoriaux.
Les modalités de l’engagement : susciter l’empathie
15Présentons brièvement quelques-unes des techniques discursives à travers lesquelles les journalistes du Treize heures dévoilent leurs engagements.
16Tout d’abord, le rôle du présentateur est d’autant plus crucial que Jean-Pierre Pernaut incarne son journal. À la différence de certains confrères, il privilégie une posture de complicité avec ses publics31. Pédagogue, il cherche toujours à rendre les informations signifiantes en en montrant les implications dans la vie quotidienne de chacun. Il simule en permanence le dialogue avec ses interlocuteurs par un usage systématique des pronoms, « nous » et « vous », et des adjectifs possessifs. Ainsi s’efforce-t-il de renforcer l’attention du public et de montrer qu’il partage ses préoccupations : « Le fameux rapport demandé par le gouvernement sur l’avenir de nos retraites », « Nos petits marchés traditionnels vont peut-être disparaître », « 115000 agents recenseurs vont faire du porte à porte pour vous faire remplir à tous un questionnaire », « Attention, je vous le répète, les routes seront dangereuses avec la neige et la pluie », etc. En outre, par un certain nombre de locutions (des qualificatifs notamment) et d’expressions du visage, il prescrit l’attitude ou les émotions légitimes face à tel ou tel événement32 : « Une histoire assez étonnante et invraisemblable », « La violence dans les transports toujours aussi inquiétante », etc. De la même manière, il désigne les acteurs à admirer (« des gens formidables », « les gens qui viennent vendre trois œufs et un poulet et qui font le charme de nos marchés ») et ceux à blâmer (« des voyous », « des irresponsables », etc.). La fréquence des jugements, formulés notamment à travers les « pieds » placés à la fin des séquences, tranche avec la retenue d’un Patrick Poivre d’Arvor ou d’une Carole Gaessler, présentatrice du Treize heures de France 2 en 1999. Par ailleurs, en justifiant les choix rédactionnels, en rappelant régulièrement les codes du journal, il explicite les « missions » qu’il s’octroie : évoquer quotidiennement les difficultés du monde rural, porter la parole des parents d’élèves luttant contre la fermeture de classes ou des contribuables choqués par les dépenses publiques abusives, etc. Cette posture est donc cohérente avec sa prétention à décrire le réel et le vrai (cf. note 8). En cela, il se différencie de la plupart des journalistes télévisés qui justifient et légitiment leur hiérarchisation et leur traitement non par rapport à la réalité, mais par rapport à une actualité objective qu’ils ne feraient que relater33.
17Ensuite la dimension normative du JT s’exprime à travers les trames narratives retenues. En effet, la plupart des reportages prennent la forme d’« histoires » structurées autour de scénarios simples et récurrents34. Comme cela a déjà été montré, les politiques publiques sont matérialisées par des exemples concrets qui les légitiment ou, au contraire, les rendent peu pertinentes. De la même manière, un certain nombre de faits divers mettent en scène des injustices, des drames ou des souffrances qui illustrent les dysfonctionnements ou les abus des institutions. Par leur éloquence et leur charge émotive, par leur capacité à susciter l’empathie35, ces séquences offrent l’avantage de satisfaire à la fois aux contraintes d’économie du travail journalistique et de séduction des audiences. Mais comme le suggère Patricia Paperman, l’émotion ainsi restituée permet également de rendre « publique l’adoption d’un point de vue évaluatif comme appréciation pertinente d’une situation36 ». La construction de ces reportages reposera donc toujours sur une opposition manichéenne, le journaliste pouvant justifier ses partis pris et ses dénonciations au nom de la victime, le « pot de terre » face au puissant « pot de fer37 ».
18Enfin, troisième modalité d’expression normative : l’usage des interviews et autres micro-trottoirs. Cette importance accordée aux paroles de personnes « ordinaires », dotées des « traits de la pureté et de l’authenticité38 », s’inscrit dans un imaginaire démocratique tout en permettant au journaliste de masquer sa propre subjectivité et de s’affranchir des contraintes de temps. Ainsi, 40 % du temps total du journal du 4 mars 1999 a été occupé par les propos d’individus interviewés. Bien sûr, à travers le montage, les reporters peuvent sélectionner les points de vue qu’ils souhaitent voir affirmer, qu’ils soient conformes à leurs propres préjugés, aux attentes de la direction ou aux représentations qu’ils se font d’une opinion « moyenne » : les baisses d’impôt se voient dès lors valorisées par l’ensemble des individus interrogés (4 septembre 2003) tandis que la destruction de paillotes sera systématiquement critiquée (4 mars 1999). D’autre part, via ces relances, les journalistes peuvent suggérer telle ou telle réponse. Ainsi, fréquemment, les interviewés reprennent tels quels les adjectifs du reporter pour qualifier leurs propres perceptions d’un problème :
« Journaliste : Ça, c’est intenable, insupportable !
– Insupportable ! » (19 février 1999)
« Journaliste : C’est énorme !
– C’est énorme ! Alors le problème aujourd’hui que ça pose à la commune… » (22 mars 1999)
Le contenu de l’engagement : un État entre oppression et protection
19L’attachement aux espaces locaux, l’intérêt pour les préoccupations supposées des Français « d’en bas » et le mépris manifesté pour des élites parisiennes distantes et dispendieuses induit des représentations ambivalentes des relationsheures. Omniprésents certes mais pour être en permanence brocardés ou susciter des commentaires indignés. Toutefois, à rebours d’une lecture qui n’y verrait que l’actualisation structurée d’un discours « poujadiste », il faut également noter la mise en scène régulière des attentes envers un renforcement des services publics « de proximité ».
20Indéniablement, un nombre considérable de reportages médiatisent les errements d’un État technocratique et oppressant, omnipotent, paperassier et sans visage. Comme le montrait le tableau 2, par ses normes complexes, par ses interventions arbitraires, l’État est accusé de s’ingérer abusivement dans la vie des citoyens, de briser les initiatives et de vouloir modeler les pratiques : interdire le choix du prénom d’un enfant, prohiber les « traditionnelles » grillades d’anguilles, supprimer les fromages au lait cru, vouloir rompre avec les pratiques d’éducation « à l’ancienne », obscurcir les feuilles de soin, étouffer de procédures les petits entrepreneurs, etc. Par ailleurs, il coûte cher et son action est fréquemment envisagée du point de vue des contribuables. Le recensement, par exemple, sera qualifié d’« opération extrêmement lourde, qui coûte également très cher », si bien que l’angle de la séquence sera de vérifier si cette dépense est légitime. Ce cadrage de l’action des institutions publiques autour du coût ou de la paperasse générée facilite la narration et permet de mobiliser sens commun et affects des téléspectateurs-contribuables selon deux modalités. Soit les journalistes mettent l’accent sur les implications concrètes des informations dans le quotidien du public, soit ce dernier est invité à s’identifier aux protagonistes des reportages. Par exemple, le sujet consacré à Eyne, village fortement endetté, met l’accent sur ce qui est vécu comme un drame par ses habitants (22 mars 1999) : une pression fiscale « énorme » qui amène le journaliste à agir en porte-parole des habitants de la commune, leur suggérant les mots adéquats pour témoigner de leur malheur. Aussi l’État, la « Sécu » ou l’Europe sont-ils systématiquement réifiés (« Paris », « Bruxelles », « l’administration », etc.) sous les traits d’une bureaucratie anonyme, rarement invitée par les journalistes à défendre des décisions pourtant contestées par ceux qu’on pose en victimes.
21Mais parallèlement à ces registres accusatoires, de nombreux reportages valorisent non seulement les attributions régaliennes et protectrices (policiers, gendarmes, pompiers sont fréquemment mis en scène) mais également les attentes locales envers les services publics de santé, d’éducation, d’équipement, etc. Les fermetures de classe ou de bureaux de poste en zone rurale fournissent ainsi un support quasi quotidien d’informations. À travers ces séquences, l’État fait donc tout autant l’objet de critiques mais la perspective ne porte plus sur ses excès mais sur ses insuffisances et sur son incapacité à satisfaire les demandes de la population. Dès lors, au-delà d’un discours exclusivement anti-fonctionnaire, on observe une mise en scène régulière et flatteuse du travail des enseignants, des agents de l’équipement ou des salariés des hôpitaux, effectuant leur tâche avec « dévouement », au contact de la population, et eux-mêmes mécontents du traitement que leur réserveune administration centrale gestionnaire et indifférente aux difficultés des administrés. Comme le suggèrent Pierre Leroux et Philippe Teillet, la thématique politique du JT se révèle bel et bien « ambiguë », son idéologie « protéiforme » pouvant s’accorder « aux lectures multiples d’un large public hétérogène dont une grande partie sanctionnerait probablement un produit politiquement trop marqué39 ».
22Ainsi réifié, l’État (ou « l’administration ») n’est donc pas identifié à une majorité politique ou à une catégorie socioprofessionnelle précise. S’indigner de ses incompétences constitue donc une prise de position peu coûteuse en termes d’audiences40. Cette posture permet au contraire de signaler sa sympathie à l’égard de préoccupations et de craintes partagées par une large partie des publics visés, de s’afficher comme le porte-parole des « petits » face à l’arrogance et au mépris de « Paris », de construire des scénarios routiniers, aisément reproductibles et satisfaisant aux contraintes de production et d’économie du travail télévisuel (temps, mobilisation des effectifs, iconographie, etc.).
***
23Norme commerciale (privilégier le concret et le connu, impliquer le public), argument justificateur (montrer le « réel », porter des revendications locales souvent inaudibles), principe organisationnel (faciliter l’élaboration et la mise en scène de sujets souvent interchangeables), l’impératif journalistique de « proximité » ne devient donc interprétable qu’à condition d’articuler ces différentes rationalités. Mais si cet impératif se déploie selon des modalités spécifiques aux différentes entreprises médiatiques et s’il ne peut suffire à épuiser le contenu du Treize heures de TF1, il est indéniable que le succès de ce programme renforce la croyance dans l’efficacité d’une telle construction de l’information télévisée. C’est d’ailleurs au nom de cette exigence de « proximité » avec les publics que fut progressivement remodelé le journal de la mi-journée de France 2, du moins jusqu’à la rentrée 2004 et l’élaboration d’une formule alternative aux recettes promues par Jean-Pierre Pernaut et son équipe41.
Notes de bas de page
2 Cf. par exemple Casseti (F.), Odin (R.), 1990, « De la paléo-à la néotélévision. Approche sémio-pragamatique », Communications, n° 51, p. 9-26; Neveu (E.), 1997, « Des questions « jamais entendues ». Crise et renouvellements du journalisme politique à la télévision », Politix, n° 37, p. 44-48; Esquenazy (J.-P), 2001, « Télévision et acteurs pluriels du politique », Mots, n° 67, p. 44-45; Jost (F.), 2001, La Télévision du quotidien. Entre réalité et fiction, Bruxelles, INA/De Boeck et Larcier, p. 59 sq.
3 Voir notamment François (B.), Neveu (E.), 1999, « Pour une sociologie politique des espaces publics contemporains », inFrançois (B.), Neveu (E.) (dir.), Espaces publics mosaïques. Acteurs, arènes et rhétoriques des débats publics contemporains, Rennes, PUR, p. 32-33; Cardon (D)., Heurtin (J.-P.), Lemieux (C.), 1995, « Parler en public », Politix, n° 31, p. 5-19.
4 Lemieux (C.), 2000, Mauvaise Presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, p. 60-62.
5 Sources : Médiamétrie Hebdo (www. mediametrie.fr/chiffre/television/mediamat_hebdo/2003/sommaire. htlm ; site consulté en septembre 2003). Malgré des demandes répétées, il ne nous a pas été possible d’accéder à la structure de l’audience par CSP, sexe et classes d’âge. Toutefois, Pierre Leroux et Philippe Teillet signalent que ce journal est « fait avant tout pour un public potentiel, moins important en nombre que celui du journal de 20 heures, mais aussi moins urbain, plus âgé et supposé moins demandeur d’actualité politique nationale ou internationale, plus tourné vers des réalités qui lui sont proches », cf. Leroux (P.), Teillet (P.), 2000, « La résurrection médiatique des terroirs », in Régions, Nations, Europe. Conditions et perspectives historiques, culturelles et politique, Szedeg (Hongrie), Presses de l’Université de Szedeg, p. 46.
6 C’est en 1988 que TF1 confie la charge de son journal de Treize heures à Jean-Pierre Pernaut afin de reconquérir une audience en déclin. Son arrivée coïncide avec la mise en place d’une formule qui se stabilisera au début des années quatre-vingt-dix et qui réservera une part plus importante aux aspects « magazines », c’est-à-dire à des reportages qui ne sont pas directement suscités par l’actualité. Lors des interviews qu’il réalise dans la presse écrite (presse télévisée, presse people, etc.), Jean-Pierre Pernaut tient régulièrement à afficher son rôle de concepteur de la formule et de rédacteur en chef du journal. Cette personnalisation de la décision rédactionnelle semble confirmée par certains interlocuteurs JRI (journalistes reporters d’images) que nous avons pu rencontrer en 2002 au cours de discussions informelles.
7 Voir son interview dans l’hebdomadaire Paris-Match (20 août 2003) : « J’ai toujours dit que les stars étaient souvent des étoiles filantes et je n’ai pas du tout l’intention d’en être une, d’ailleurs je reste où je suis. Je suis très provincial, très picard, très attaché à ma terre. »
8 Voir le droit de réponse qu’il adresse au Monde diplomatique dans Pernaut (J.-P.), 1996, « TF1 et la réalité sociale », Le Monde diplomatique, juin, p. 18. À Alain Rémond, chroniqueur de Télérama, il écrit : « Nous ne partageons pas les mêmes valeurs et j’en suis fier » in Rémond (A.), 1998, « Pernaut, les vaches et moi », Télérama, n° 2542, 7 octobre, p. 98.
9 Voir par exemple, « La Vox populiste », Télérama, n° 2552, décembre 1998, p. 96. Parmi les nombreuses attaques adressées à Jean-Pierre Pernaut, les humoristes et autres « chroniqueurs télé » se distinguent. Citons notamment les Guignols de l’info qui le mettent en scène dans un décor médiéval, Charlie-Hebdo dont le dessinateur Bernar le croque régulièrement. Voir également Schneidermann (D.), 1994, « Jean-Pierre, Paulette et Marie-Chantal », Arrêts sur images, Paris, Fayard, p. 83-86 ou encore Rémond (A.), 1998, « Pernaut, les vaches et moi », art. cité.
10 Pernaut (J.-P.), 1996, « TF1 et la réalité sociale », art. cité. Nous soulignons.
11 Leroux (P.), Teillet (P.), 2001, « La politique de l’apolitique », Mots, n° 67, p. 59-69.
12 Certes Pierre Péan et Christophe Nick montrent bien l’alliance stratégique entre certains membres de la direction de TF1 et la fraction de la droite parlementaire qualifiée de balladurienne, dans les années 1993-1995 in Péan (P.), Nick (C.), 1997, TF1, un pouvoir, Paris, Le Seuil, notamment p. 515. Néanmoins, un soutien trop explicite risquerait de cliver les publics et pourrait se révéler coûteux en termes d’audience. Plus que l’application scrupuleuse de consignes exigeant un soutien à un camp, il semble plutôt que le contenu idéologique du journal soit le produit d’ajustements réussis entre les dispositions professionnelles et politiques de J.-P. Pernaut et les stratégies industrielles de TF1 et de ses actionnaires. La formule étant couronnée de succès en termes d’audimat et d’image, la direction n’a donc pas besoin de s’impliquer au quotidien dans l’élaboration du JT. Quant aux rédacteurs et journalistes reporters d’image, qui ne partagent pas toujours les choix rédactionnels de leur hiérarchie, ils mobilisent des modes de traitement, certes contraints, mais routinisés (ce qui facilite leur travail) et justifiés par la forte audience (ce qui leur procure un certain nombre de gratifications professionnelles).
13 « L’erreur consiste précisément à supposer une “lecture politique” du journal à propos de contenus attirant plutôt par leur aspect apparemment dépolitisé » inLeroux (P.), Teillet (P.), 2000, « La résurrection médiatique des terroirs », art. cité, p. 50. Néanmoins, on ne pourrait manquer de s’interroger sur des effets plus subtils : légitimer un certain nombre de revendications sociales ou d’arguments politiquement orientés, publiciser et valoriser certaines pratiques, fournir des illustrations ou des scénarios éloquents susceptibles d’être mobilisés par les téléspectateurs pour étayer leurs représentations et croyances sociales.
14 La notion de « cadrage » souffre de conceptualisations hétérogènes. En effet, elle peut être définie à la fois comme « angle » narratif applicable à de nombreux sujets médiatiques (« cadres génériques » tels que le conflit, la course de petits chevaux, les conséquences économiques) et comme participation aux luttes symboliques pour la définition de la réalité sociale (« cadres spécifiques » qui s’affrontent lors de controverses publiques). Ici, on pourra retenir la définition proposée par Gamson et Modigliani : un « cadre », c’est « une idée organisatrice centrale ou un scénario qui fournit des significations à une séquence d’événements. Le cadre suggère l’enjeu de la controverse et la nature du problème » in Gamson (W.), Modigliani (A.), 1989, « Media Discourse and Public Opinion on Nuclear Problem. A Constructionist Approach », American Journal of Sociology, 95 (1), p. 4. Sur cette question, voir également Entman (R.), 1993, « Framing : Toward Classification of a Fractured Paradigm », Journal of Communication, 43 (4), p. 51-58; Scheufele (D.-A.), 1999, « Framing as a Theory of Media Effects », Journal of Communication, 49 (1), p. 103-122.
15 En parlant du « discours du journal de Treize heures », il faut garder en tête que ce discours est le produit d’une pluralité d’énonciateurs aux intentions et rationalités diverses. Mais, malgré cet éclatement du journal en séquences apparemment autonomes, le souci de fidélisation de l’audience impose aux rédacteurs une stricte définition des formats et la sédimentation de la formule quotidienne. Sur la « tyrannie des formats », cf. Lemieux (C.), 2000, Mauvaise Presse…, op. cit., p. 389 sq. Par ailleurs, nous assumons le parti pris « média centriste » qui structure ce travail.
16 Kaciaf (N.), 1999, Le Journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut : un imaginaire conservateur, mémoire de maîtrise de science politique sous la direction de Philippe Braud, Université Paris I.
17 Voir Mercier (A.), 1996, Le Journal télévisé. Politique de l’information et information politique, Paris, Presses de la FNSP, p. 227-228.
18 Voir Le Bohec (J.), 2001, Les Mythes professionnels des journalistes, Paris, L’Harmattan, p. 230-234; Mercier (A.), 1996, Le Journal télévisé…, op. cit., p. 195 sq.; Bourdon (J.), 1992, « Une identité professionnelle à éclipse », Politix, n° 19, p. 56-66.
19 « Une telle grille de lecture du réel privilégie le proche plutôt que le lointain, le connu plutôt que l’inconnu, le concret plutôt que l’abstrait, les explications simples sur les causalités multiples » inLeroux (P.), Teillet (P.), 2001, « La politique de l’apolitique », art. cité, p. 62.
20 Pour comprendre l’intérêt des médias nationaux pour « l’échelle infranationale » et pour un « “local” à forte résonance identitaire », cf. Leroux (P.), Teillet (P.), 2004, « L’Europe en creux », in Marchetti (D.) (dir.), En Quête d’Europe. Médias européens et médiatisation de l’Europe, Rennes, PUR, p. 265-289.
21 Gasnier (T.), 1992, « Le local. Une et indivisible », inNora (P.) (dir.), Les Lieux de mémoire, Livre III, tome 2, Paris, Gallimard, p. 463.
22 J.-P. Pernaut, cité par Télérama, « La vox populiste », art. cité, p. 98.
23 Cette notion de « pays » est utilisée de façon récurrente. Ainsi, entend-on : « Ce qui manquait au pays », « On rencontre l’authenticité des gens du pays », « On s’aperçoit que tout le pays est convaincu que les Dominici n’y sont pour rien », « Philippe de Villiers s’est arrêté au stand des cochons de son pays », « Le fils de Parisiens a choisi de vivre ici, pris l’accent du pays ».
24 « L’hospitalité typiquement montagnarde », « Le charme rustique des traditionnelles grillades d’anguilles vivantes », « Pour les amoureux d’authentiques, il y a des tas de petits villages », « Si la fête du citron prend bien ses racines dans la tradition carnavalesque », etc.
25 « Les Gersois sont attachés au charme de leur paysage », « Ces enseignants à la retraite puisent dans la contemplation de ces paysages leur sérénité », « Il y a aussi la possibilité de découvrir plus au calme la montagne telle qu’elle est : la nature, les petites chapelles, l’histoire », etc.
26 La terre agricole « rassemble toutes les valeurs d’une civilisation paysanne dont les racines plongent dans les millénaires et qui paraît encore vivante sous les paysages contemporains. […] La terre paysanne soudain archaïque, restitue aux Français une image nostalgique d’eux-mêmes, le passé idéalisé des stabilités perdues. » cf. Fremond (A.), 1992, « La terre », in Nora P. (dir.), Les Lieux de mémoire,op. cit., p. 54.
27 Voir Lipiansky (E.-M.), 1991, L’Identité française. Représentations, mythes, idéologies, Paris, Éditions de l’espace européen, p. 86.
28 Pour un recensement plus systématique des thématiques véhiculées par ce journal, nous nous permettons de renvoyer à nouveau aux travaux de Pierre Leroux et Philippe Teillet ou à notre mémoire de maîtrise.
29 Selon Pierre Bourdieu, les différents éléments qui viennent d’être décrits caractériseraient le discours « purement réactionnel » des dominants in Bourdieu (P.), 1982, Ce que Parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, p. 155. Il précise : « Cette nostalgie de la protodoxa s’exprime en toute naïveté dans le culte de tous les conservatismes pour le “bon peuple” (le plus souvent incarné par le paysan) dont les euphémismes du discours orthodoxe (“les gens simples”, les “classes modestes”, etc.) désignent bien la propriété essentielle, la soumission à l’ordre établi » (ibid.). Roland Barthes évoquerait sans doute lui aussi une « parole dépolitisée » empruntant le langage de l’évidence et de la nature : « Le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d’en parler ; simplement, il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n’est pas celle de l’explication mais du constat » inBarthes (R.), 1957, Mythologies, Paris, Le Seuil, coll. « Points-Essais », p. 230.
30 Gaxie (D.), 1978, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégations politiques, Paris, Le Seuil, p. 46.
31 Sur les « styles » de présentation, cf. Coulomb-Gully (M.), 1995, Les Informations télévisées, Paris, PUF, p. 78-80.
32 Voir Boltanski (L.), 1993, La Souffrance à distance, Paris, Métailié, p. 58-87.
33 Voir Lemieux (C.), 2000, Mauvaise Presse…, op. cit., p. 406 sq.
34 Sur la narration dans le journalisme télévisuel, cf. Mercier (A.), 1996, Le Journal télévisé…, op. cit., p. 229 sq.
35 Ce cadre d’exposition journalistique inscrit ce discours dans ce que Dominique Cardon et al. désignent en tant que « régime du partage ». Ce régime mobilise son public par « appropriation » du récit ou du témoignage d’une expérience vécue : « C’est finalement par la voie de l’imagination que se réalise, dans le régime du partage, le “copiage” des expériences entre un locuteur et un public d’écoutants » inCardon (D.), Heurtin (J.-P.), Lemieux (C.), 1995, « Parler en public », art. cité, p. 12.
36 Paperman (P.), 1992, « Les émotions et l’espace public », Quaderni, n° 18, p. 105.
37 Cette terminologie, résumant « la morale de l’histoire », est employée régulièrement par J.-P. Pernaut.
38 Charaudeau (P.), 1997, Le Discours d’information médiatique. La construction du miroir social, Paris, INA/Nathan, p. 208.
39 Leroux (P.), Teillet (P.), 2001, « La politique de l’apolitique », art. cité, p. 68.
40 Au contraire, par ce procédé conforme à son ambition d’élaborer le « journal des Français », Jean-Pierre Pernaut met en forme son public, en constituant « un “nous” opposé à tous les “eux” […] du mondepolitico-institutionnel des décideurs » inMacé(E.), 2001, « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? »,Réseaux, 19, p. 210-215.
41 Pour l’exposition des mutations vécues par un correspondant local de France 2 au début des années quatre-vingt-dix, cf. Balbastre (G.), 1995, « Journal d’un JRI ou les sherpas de l’information », in Accardo (A.)(dir.), Journalistes au quotidien. Outils pour une socio-analyse des pratiques journalistiques, Bordeaux, LeMascaret, p. 63-187
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La proximité en politique
Usages, rhétoriques, pratiques
Christian Le Bart et Rémi Lefebvre (dir.)
2005
Aux frontières de l'expertise
Dialogues entre savoirs et pouvoirs
Yann Bérard et Renaud Crespin (dir.)
2010
Réinventer la ville
Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique
Lionel Arnaud
2012
La figure de «l'habitant»
Sociologie politique de la «demande sociale»
Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009