Chapitre I. L’épuration française en débat au Québec 1945/1947
p. 25-64
Texte intégral
1Alors que l’épuration fait rage en France et un peu partout en Europe, le Canada ne connaît pas de procédure comparable. Au contraire, Jean-François Nadeau y observe : « Les fascistes emprisonnés pendant la guerre retrouvent en 1945 leur liberté et leur droit de parole. Ils ne connaissent pas de véritable procès. Plusieurs gagnent, du fait même de leur emprisonnement sous le coup des mesures d’exception, une sorte de gloriole qui suscite un certain intérêt en leur faveur1. »
2Un préambule important, ne serait-ce que pour mieux souligner un phénomène largement méconnu2 de ce côté de l’Atlantique et pourtant partagé à la même époque, à savoir la pratique très répandue au Canada de l’internement de civils pendant la Seconde Guerre mondiale. Outre la présence sur le sol canadien de nombreux prisonniers de guerre3, l’histoire de la société canadienne, en guerre loin du front, révèle que de nombreux civils y furent internés : des « ressortissants ou des Canadiens originaires des puissances ennemies » (Italie, Allemagne4, Japon…) et d’autres citoyens canadiens en vertu des mesures de guerre adoptées dès juin 1940. Un sujet bien informé désormais dans l’historiographie canadienne5 mais qui reste sensible au niveau mémoriel6.
3À compter de mai 1940, à l’instar de ce qui se passe en Angleterre pour Oswald Mosley et ses militants fascistes, la Gendarmerie Royale (GRC) procède dans tout le pays à des arrestations7 de personnes susceptibles d’être des espions ou de saboter, bref de constituer une 5e colonne. La demande sociale va d’ailleurs dans ce sens, une manifestation de 10 000 personnes à Montréal réclamant ces mesures : The Montreal Daily Star titre « 10 000 Ask Ottawa to intern all Fifth Columnists in Canada8 ». C’est ainsi qu’au Québec, le Parti de l’Unité Nationale du Canada (PUNC) d’Arcand est déclaré illégal, dès le 6 juin 1940, au même titre que de nombreuses autres organisations fascistes ou communistes. De fait, Arcand et des cadres de son parti fasciste sont internés pour le temps de la guerre à Petawawa, un camp sous autorité militaire situé dans l’Ontario9. Il y retrouve Camillien Houde, le maire de Montréal, sympathisant fasciste assumé10 et farouche militant anti-conscription, qui est arrêté à la sortie de son hôtel de ville le 5 août 1940. En 1949, M. Garson, ministre de la Justice, répondant aux Communes à une question sur le nombre de personnes arrêtées et emprisonnées au Canada « au cours de la dernière guerre, à cause de tendances ou d’agissements favorables aux nazis » donnera les chiffres suivants : « Allemands et pro-Allemands 847, Italiens 632, Parti de l’Unité Nationale 2711. » Témoin de la diversité des populations internées au Canada à l’époque, avec Arcand, on dénombrait encore à l’été 1945 à Petawawa 70 internés dont 26 Canadiens français, deux citoyens britanniques, 33 Canadiens de l’Ouest d’origine allemande, une dizaine d’origine italienne12…
4Une action préventive qui se suffit à elle-même et qui ne sera suivie d’aucune mesure répressive complémentaire à la sortie de la guerre, ce qui n’empêchera pas certains québécois de se sentir très concernés par l’épuration à l’œuvre en France à compter de 1945. C’est précisément l’objet de ce chapitre dont l’enjeu consistera notamment à voir si, comme le suggérait Éric Amyot en conclusion, « l’épuration en France allait être l’occasion de reprendre la lutte entre gaullistes et pétainistes13 » au Québec.
Le procès Pétain au miroir de la presse québécoise
5Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons qu’au moment où de Gaulle et son gouvernement s’installent à Paris, Pétain séjourne depuis le 7 septembre 1944 à Sigmaringen (Sud de l’Allemagne) où il a été emmené dans leur retraite par les Allemands le 20 août 1944. Au cœur de cette bourgade danubienne serrée autour du château de Hohenzollern, se reconstitue un microcosme collaborationniste14 qui espère encore, dans certaines de ses composantes, pouvoir jouer un rôle. Contraint à cet exil, le maréchal Pétain se considère ici comme prisonnier sans avoir cependant renoncé formellement à son pouvoir.
6Au printemps 1945, face à l’avance des alliés et en particulier de la 1re armée française de de Lattre de Tassigny qui est à Ulm le 22 avril et à Constance le 23, le maréchal Pétain demande à la Suisse l’autorisation de transiter par son territoire pour se livrer aux autorités françaises.
7C’est chose faite le 26 avril 1945 au poste-frontière de Vallorbe, en présence du général Koenig pour le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF). Arrêté, il devient « l’inculpé Philippe Pétain », est conduit en train et sous bonne escorte à Paris pour être incarcéré au fort de Montrouge. Il a alors 89 ans et il va devoir répondre de ses actes devant la justice française.
8Dans le même temps et en son absence, l’instruction de son procès a déjà commencé devant la Haute Cour. Le 15 mars 1945, cette dernière annonce que Pétain sera jugé par contumace, puis le 24 avril, elle fixe la date d’ouverture de son procès au 17 mai. Ce sont sans doute ces premières procédures qui expliquent la confusion de Fabrice Mosseray, qui parle d’un Pétain jugé en avril et condamné en août15. Force est de constater que le retour inopiné du maréchal Pétain brouille les cartes et prend de court les nouvelles autorités. Sa décision, contre toute attente, gêne le gouvernement français et constitue un premier coup de théâtre du procès Pétain.
9En effet, il n’est guère contestable aujourd’hui que dans les sphères gouvernementales, on ne souhaitait pas in fine le retour du maréchal Pétain sur le territoire français. Sur ce point, toutes les sources convergent. Ainsi, de Lattre, devant la progression rapide de ses troupes et demandant à de Gaulle des instructions sur l’attitude à adopter s’il se trouvait en présence du maréchal Pétain, se voit répondre cette formule curieuse « qu’il ne désirait pas qu’on eût à le rencontrer16 ». De fait, tout en souhaitant sincèrement un jugement, le général de Gaulle, à cette date, inclinait clairement en faveur d’un procès par contumace : « On sait, par ses Mémoires, que le général de Gaulle, tout en tenant lui aussi à un jugement, préférait le procès par contumace qui éviterait d’exposer au pays un grand vieillard dont la plus grande part de la vie avait été estimable et qui risquait de réveiller des sympathies dans le pays17. » Sous cet angle, affirmer que la France libérée n’aurait pas été si mécontente que la Suisse accorde à Pétain l’asile politique est plausible18. Ce faisant, en l’état de nos informations, il n’est pas établi que de Gaulle ait tenté des manœuvres diplomatiques dans ce sens, comme l’affirmera par la suite Jacques Isorni, défenseur du maréchal Pétain. Ce qui est certain en revanche, c’est que des membres du cabinet Suisse étaient disposés à lui accorder cet asile19. Mais d’une part, cette position ne semble pas avoir eu les faveurs de la majorité du Conseil fédéral et d’autre part cette solution n’avait pas la préférence du maréchal.
10Saisie depuis le printemps du dossier Pétain, la Haute Cour prépare alors son procès de manière contradictoire. Instituée par les ordonnances du 18 novembre 1944 et du 18 janvier 1945, cette dernière, sur le modèle des juridictions suprêmes, est la seule qualifiée pour juger les crimes et délits commis par le personnel politique et les hauts fonctionnaires du régime de Vichy. Des magistrats professionnels y assurent les fonctions clés : en particulier, le travail d’instruction, la présidence du tribunal et la fonction de procureur général (ministère public20). Ils sont secondés dans leur tâche par 24 jurés, choisis par moitié parmi deux listes, une de douze parlementaires en cours de mandat au 1er septembre 1939 (et n’ayant pas voté les pleins pouvoirs à Pétain) et l’autre de douze personnalités désignées par l’assemblée consultative provisoire, sur la base de leurs « sentiments patriotiques incontestables ». Ainsi, la Haute Cour comme les autres juridictions civiles d’exception créées en France à la Libération, affirme une justice au caractère populaire21 mais aussi « Résistant » marqué. Une composition « non neutre » qui aura son importance pour de nombreux regards extérieurs posés sur ce procès.
11À l’ouverture des débats, le président Mongibeaux souligne « Ce procès est un des plus grands de l’histoire. Il importe qu’il se déroule dans la sérénité et la dignité22 », suggérant par la suite que les historiens jugeront un jour la cour et le climat dans lequel le procès s’est déroulé. Il ne croyait sans doute pas si bien dire… En ce sens, il ne faisait que répondre au vœu de l’accusé qui, après sa rencontre avec Hitler à Montoire, avait déclaré, de manière prémonitoire, le 24 octobre 1940 : « C’est moi seul que l’Histoire jugera. » Pourtant, on constatera très vite qu’il est très difficile d’établir la responsabilité et la culpabilité personnelles d’un homme à travers la nature et les actes d’un régime. Pensé pour l’Histoire, ce procès est d’emblée placé sous le sceau de l’ambivalence des autorités et de l’opinion françaises sur le sujet. En effet, au regard de ce qui précède, on constate qu’y compris au plus haut niveau de l’État, le procès était à la fois souhaité (en particulier par contumace) et redouté (notamment en présence de l’accusé). De même, la volonté contradictoire de Pétain de rentrer en France pour comparaître devant ses juges tout en refusant rapidement de leur répondre participera de la confusion. Quant à l’opinion dont une partie est déjà, à cette date, lasse de l’épuration, Jean Schlumberger traduit assez bien son état d’esprit, lorsqu’il écrit dans Le Figaro, à l’ouverture du procès : « Ce procès est nécessaire mais il est affreux. Procès pénible par l’âge du prévenu, pénible par les faiblesses et les hontes que l’accusation essayera sans doute d’accumuler sur une seule tête et que la défense tâchera de rejeter sur le plus grand nombre possible de Français23. »
12Au sortir d’une instruction assez rapide, le procès s’ouvre enfin le 23 juillet 1945. Il va durer jusqu’au 15 août 1945. Au terme de 17 jours d’audience et l’audition d’une soixantaine de témoins, Philippe Pétain est condamné à mort pour trahison (article 75.5) et atteinte à la sûreté intérieure de l’État (article 8724). Le premier sanctionne prioritairement la collaboration alors que le second condamne plutôt l’expérience du régime de Vichy, la Révolution nationale et les agressions contre la République. La Haute Cour assortit cependant sa condamnation du souhait de ne pas voir la sentence exécutée en raison du grand âge du condamné. De fait, dès le 18 août, de Gaulle accède à cette demande de clémence et commue la peine en détention à vie.
13Un événement, investi d’une telle charge historique mais aussi dramatique, ne pouvait laisser indifférent, ni en France, ni hors des frontières. Dès lors, qu’en a-t-il été du regard Québécois ? Ce dernier, dont on esquissera une typologie, s’inscrit-il dans la continuité des positions adoptées à l’égard de Vichy et de la France libre lors des années précédentes ? Doit-on et peut-on pour autant parler d’une singularité québécoise ?
Trois attitudes dominantes
14Le procès Pétain tel que vécu et surtout perçu au Québec n’est pas un sujet neuf. Il a déjà intéressé des historien(ne)s, notamment Sylvie Guillaume25, Lise Quirion26 et dans une moindre mesure Fabrice Mosseray27. Bien entendu, je m’appuierai sur ces travaux tout en les croisant avec des sources diplomatiques françaises encore inédites28.
15À la croisée de cet ensemble, on constate d’emblée, ce qui renforce l’intérêt de cette étude, que la presse canadienne en général, et Québécoise en particulier, témoigne d’un intérêt très marqué pour le procès. L’ambassadeur de France à Ottawa parle d’un « intérêt passionné avec lequel une grande partie de l’opinion, en particulier au Canada-français, avait suivi le déroulement du procès29 ». Fabrice Mosseray souligne avec raison : « Le procès Pétain suscite de vives passions. Il ravive les tensions créées par l’ambiguïté du régime de Vichy. Cette dernière, vécue bien sûr par les Français eux-mêmes, se traduit au Québec par les divergences de la presse30. » Un intérêt qui n’est pas isolé, loin s’en faut sur la scène internationale, mais qui reste néanmoins inégal au Canada entre presse anglophone ou francophone et au sein même de cette dernière. De même, l’attention portée à l’événement est variable dans le temps. Très soutenue avant et au début du procès, elle retombe au moment du verdict en raison des évolutions de la guerre : « Coïncidant avec la nouvelle de la fin de la guerre dans le Pacifique, l’annonce de la condamnation de Pétain a été reléguée à l’arrière-plan dans la presse canadienne31. » Une évolution commune à la Grande Bretagne où le dénouement du procès est également couvert « par le fracas de la bombe atomique et le carillon de la Victoire32 ». De tous les périodiques, le journal Le Devoir33 apparaît d’emblée comme le plus remarquable. C’est de loin celui qui consacre le plus de place à l’événement, selon Sylvie Guillaume : « Le procès du Maréchal Pétain est ainsi certainement l’événement français qui a été suivi avec le plus de minutie par Le Devoir, qui ne lui a pas consacré moins d’une vingtaine d’articles de fond. Chaque jour, des pages entières sont consacrées au déroulement du procès34. » Lise Quirion insiste également sur cet aspect : « Le Devoir suivit le déroulement du procès avec une constance que l’on ne retrouve dans aucun autre des journaux étudiés35. » Une permanence dans la ligne éditoriale que soulignent également les services diplomatiques français, au cœur d’une décennie 1940 marquée pour ce journal par un soutien assez inconditionnel au maréchal Pétain. Ainsi en décembre 1949 un rapport bimensuel note encore : « Pour ne pas manquer à son habitude, Le Devoir a publié deux plaidoyers en faveur de Pétain et un éditorial où les mesures d’amnisties adoptées en France étaient jugées insuffisantes36. » Dès lors, qu’en a-t-il été du positionnement du reste de la presse sachant qu’il s’agit moins ici de revenir sur une typologie des attitudes, déjà pour partie connue, que d’interroger sa signification ? En fait, trois groupes semblent se dégager sachant que, par définition, toute typologie est réductrice et comprend des catégories hybrides.
Les prudents
16La neutralité est de mise pour les autorités fédérales37. C’est aussi la ligne politique suivie par la presse libérale francophone38, telle que Le Soleil, Le Canada ou encore Le Jour. Une pensée libérale longtemps sous-estimée ou considérée comme peu représentative de l’opinion québécoise profonde et qui aujourd’hui doit être tenue comme un courant important dans le champ intellectuel et politique39. Le premier argument développé réside dans un devoir de non-ingérence sur le mode « c’est d’abord l’affaire des Français ».
17Ainsi, Le Soleil de Québec :
« Ce n’est pas aux amis canadiens de la France qu’il appartient de blâmer la justice française pour l’œuvre exemplaire et punitive qu’elle accomplit en ce moment40. »
« C’est à la justice française, opérant au grand jour, de passer jugement sur les agissements de Pétain. Elle est mieux informée et se montrera plus impartiale que la plupart des écrivains qui condamnent ou exonèrent déjà ce malheureux41. »
18ou encore Le Canada,
« C’est là une affaire qui ne regarde que les Français, et d’abord ceux d’entre eux qui ont souffert dans leur âme et dans leur corps, parce qu’ils étaient du parti de l’honneur. […] Il n’y a donc pas lieu d’écrire d’assommantes et longues colonnes de commentaires, ici au Canada, sur une question qu’il appartient à la justice française de régler42. »
19Pour ces journaux, ce procès et ce verdict, aussi pénibles soient-ils, sont logiques. Ils constituent une condition indispensable à la reconstruction démocratique de la France. L’épuration est alors perçue comme un mal nécessaire. C’est la perspective adoptée par L’Événement-journal43 mais aussi par Le Jour, pour qui la condamnation est même « une question de principe » permettant « à la vraie France de reprendre ses droits44 ».
20Un second argument vise surtout à ne pas réveiller des conflits internes au Québec où les querelles entre gaullistes et pétainistes ont été parfois vives. Ainsi, Le Soleil met en garde : « Ce n’est pas le moment de poursuivre ici une campagne contre l’auteur d’une intervention lamentable, qui a longtemps divisé le Canada-français45. » Le Jour46 de Jean-Charles Harvey mais aussi L’Événement-journal adoptent la même position. On constate cependant que la réserve n’est pas toujours neutralité : Le Canada qualifie les opposants à Vichy de « camp de l’honneur » et Le Soleil incline clairement pour la culpabilité de l’intéressé sans en faire pour autant sa ligne éditoriale47. Il y a ici une évidente volonté de tourner la page du début des années 1940 et de ne surtout pas importer ou poursuivre au Québec un conflit qui ne serait pas le sien. Ce faisant, si la préoccupation d’unité nationale semble sincère pour Le Soleil, Le Canada comme Le Jour n’hésitent pas à stigmatiser ceux qui, au Canada et parmi les Canadiens français en particulier, malgré l’évolution des événements, persistent à défendre Pétain. C’est notamment pour eux l’occasion d’en découdre avec Le Devoir. Comme souvent, l’analyse d’un événement extérieur se fait ici au prisme déterminant de préoccupations politiques intérieures.
21Dans cette première catégorie, La Presse48 incarne sans doute la neutralité la plus absolue par son refus d’ajouter le moindre commentaire aux dépêches ou faits bruts qu’elle livre à ses lecteurs. Ainsi ce journal, plus d’information que d’opinion il est vrai, ne consacre pas d’éditorial au procès Pétain. Un sujet que le journal considère comme secondaire au regard de sa ligne rédactionnelle ou sur lequel il préfère ne pas se positionner pour ne pas froisser un lectorat qu’il pressent assez partagé sur la question ? La vérité doit se situer entre les deux.
Les intransigeants
22Avec ou sans animosité à son égard, une partie de la presse affirme que la culpabilité de Pétain ne fait aucun doute et que sa condamnation est souhaitable. On vient de le voir, c’est déjà l’opinion d’une partie de la presse francophone libérale même si par calcul ou conviction, elle préfère adopter une ligne plus médiane et réservée.
23C’est globalement l’attitude de la presse anglophone au Québec et au-delà : ainsi, The Montreal Daily Star mais aussi The Toronto Globe and Mail, The Evening Citizen d’Ottawa, ou encore The Winnipeg Free Press, avec plus ou moins de nuances, approuvent le verdict : « Les preuves présentées par l’accusation étaient écrasantes et aucune autre issue n’était possible49. »
24Sylvie Guillaume établissait déjà un distinguo entre une presse libérale « fidèle à son rôle d’élément modérateur » et « une presse anglophone très hostile à Pétain50 ». Une hostilité qui mériterait selon moi d’être nuancée et n’en comporte pas moins une grande part de compréhension pour l’accusé. En effet, une fois la condamnation prononcée, les sources diplomatiques montrent que la presse de langue anglaise escomptait assez largement une mesure de clémence à l’égard de Pétain51.
Les indulgents
25La presse clérico-nationaliste du Québec52 incarne, non sans des nuances parfois importantes, une position qui témoigne à Pétain du respect voire de la sympathie et lui accorde en général au moins le bénéfice du doute.
26Avant même de se prononcer sur le cas Pétain, cette presse dénonce notamment le climat « révolutionnaire » qui règne en France à l’époque et qui, selon elle, est impropre à toute justice juste et sereine. L’image de la France qui se dégage de certains périodiques est en effet celle d’un pays en proie à l’hystérie dans un climat de guerre civile digne des heures les plus sombres et sanglantes de son histoire. Dès lors, la thèse de nouvelles autorités françaises dominées ou influencées par les communistes est fréquente, dans une lecture très idéologisée et annonciatrice du contexte de guerre froide. Le Devoir par exemple s’inquiète de voir que « le général de Gaulle a jeté en prison un grand nombre de gens d’opinion modérée, qui auraient dû être ses alliés naturels. Sous prétexte de collaborer avec Vichy, il se prive des appuis dont il aurait le plus besoin53 ». Dans la même veine, le procès Pétain, à l’instar de l’ensemble de l’épuration, est fréquemment dénoncé comme « un procès à la mode de Moscou » et une « purge révolutionnaire54 ». Certains n’hésitent pas à crier au complot, ainsi un éditorial de L. P Roy, dans l’Action Catholique, voit dans le procès et son verdict « une vengeance de la Franc-maçonnerie55 ». Le journal poursuit ici un de ses combats traditionnels où le religieux l’emporte sur la lecture politique : « La Franc-maçonnerie que le Maréchal avait interdite s’est bel et bien vengée. Elle a réussi à emprisonner la justice loin de ce tribunal où tous les personnages officiels conspiraient pour condamner à tout prix56. » Le journal Le Temps57 est également sensible à ce discours sur le péril « rouge ». Dans son édition du 17 août 1945, il commente ainsi le verdict : « Les communistes français lui en voulaient. Ils ont tout mis en branle pour obtenir sa tête. Ils l’ont. […] L’esprit de 1789 n’est donc pas mort en France58. » Même constat pour La Patrie qui formule le vœu que le général de Gaulle « ait l’énergie nécessaire pour résister aux extrémistes59 ».
27À un autre niveau, certains reviennent sur la légalité « indiscutable » du régime de Vichy, via une transmission « absolument régulière » des pouvoirs en juillet 1940. Des périodiques québécois en profitent pour renvoyer les Américains à leurs propres hésitations de 1940-194260 tout en soulignant que de Gaulle et son GPRF disposent encore en 1945 d’une assise démocratique limitée et fragile61. À mots voilés, et même si ce genre de critique ouverte est minoritaire, la nouvelle France officielle n’est pas toujours présentée comme légitime, elle est même à front renversé, comparée à des émigrés62 rentrant en France dans « les valises » des Alliés : « Un gouvernement made in England rentre en France derrière les armées britanniques et américaines et il reproche au gouvernement de Vichy d’avoir usurpé le pouvoir… Les Français de Londres fusillent les Français de Vichy, pour se donner raison d’avoir eu tort63. »
28Plusieurs journaux soulignent, par ailleurs, la responsabilité dans la défaite du Front Populaire et de la IIIe République. Le Devoir, en particulier, ne manque pas une occasion de renvoyer de Gaulle et le procès de Pétain à ses contradictions. Ainsi, le 5 septembre 1945 : « Le Général de Gaulle combat la IIIe République et veut la supprimer. Or, au procès du Maréchal Pétain, ce fut l’un des principaux griefs invoqués contre l’accusé que d’avoir trahi la IIIe République », puis encore deux jours plus tard : « Après les procès de la purge gaulliste, où l’une des principales accusations, c’était de n’avoir pas préparé le pays en guerre, il est étrange que M. Blum puisse encore se montrer64. » Le statut de Résistant des communistes est également présenté comme sujet à caution.
29Ceci étant et au-delà d’une mauvaise foi parfois déconcertante, ces journaux, par leur stratégie de défense, montrent qu’ils ont compris un enjeu majeur du procès. En effet, son objectif initial voire principal était bien de démontrer l’illégalité du régime de Vichy. L’instruction du dossier Pétain va d’ailleurs consacrer beaucoup de temps et d’énergie à étayer cette thèse, y compris en recherchant un hypothétique complot de sa part contre la République. Durant le procès lui-même, Bénédicte Vergez-Chaignon souligne « la place exorbitante laissée à la période de l’armistice et de la fin de la République au détriment du reste65 ». Une orientation que confirme Henry Rousso, aux dépens notamment du sort des juifs et des lois raciales : « La question [présente dans l’acte d’accusation] disparaît presque complètement des débats proprement dits qui se focalisent sur “le complot” contre la République, sur l’armistice, la collaboration politique et militaire et la répression66. » L’omniprésence du personnel politique de la IIIe République67 durant le procès ne sera d’ailleurs pas sans susciter un certain malaise voire agacement dans l’opinion française. Au sujet de ces responsables politiques, on note « [qu’] ils sont écoutés sans sympathie : ils restent les représentants d’une République discréditée et sont trop associés à la défaite dont il est si largement question. Certains, qui ne sont pas si rares, voudraient les voir comparaître eux aussi pour justifier leurs insuffisances68 ». Dans un tel contexte, rien d’étonnant, qu’ils soient assez nombreux au Québec à penser que Pétain constitue un bouc émissaire commode et son procès un exutoire. C’est ce qui pousse La Patrie à écrire au lendemain du procès : « Nous ne pouvons qu’éprouver beaucoup de sympathie pour le vieillard, symbole d’un régime aujourd’hui honni, et qui paie de sa personne des fautes qu’il n’a pas toutes commises69. »
30C’est sur cette base que certains qui se refusent à rejeter frontalement la nouvelle France70, prônent plutôt la (ré)conciliation entre les camps, en montrant combien ce procès nuit gravement à l’unité nationale dont la France aurait tant besoin. Pour eux, la poursuite de « ces guerres franco-françaises » ne peut que dégrader l’image de la France dans le monde.
31On entre là dans un argumentaire plus subtil que le précédent qui, s’il ne nie pas certaines erreurs de Pétain71, veut croire en sa sincérité et en sa loyauté à l’égard de son pays et des Français. On souligne alors, non sans jouer habilement de la chronologie, que c’est beaucoup plus facile d’être clairvoyant en 1945 qu’en 1940. On s’entretient dans l’idée que de Gaulle et Pétain, chacun à leur place, ont cherché in fine à servir leur pays. Le Devoir défend ainsi la théorie du bouclier et du double jeu. L’Action nationale tente aussi le grand écart :
« Nous n’approuvons pas tout ce qu’a fait le gouvernement de Vichy, nous ne condamnons pas tout ce qu’ont fait les hommes de Londres. Le premier a dû poser des actes qui lui répugnaient et qui lui étaient imposés par la brutalité allemande. Les autres pouvaient, raisonnablement, dans la liberté, continuer la résistance. Les deux attitudes pouvaient, en dernier ressort servir la France72. »
32C’est également une option que l’on retrouve dans La Patrie voire dans certaines composantes de L’Action catholique mais aussi du journal Le Temps. De même, plus ou moins habilement, voit-on se mettre en place la thèse des deux Vichy un bon et un mauvais Vichy, au profit de Pétain et au net détriment de Laval, sachant que cette attitude est assez largement partagée dans l’opinion canadienne.
33L’argument massue enfin, qui transcende d’ailleurs bien des clivages, est d’ordre plus moral. Ce procès d’un homme si âgé qui a tant apporté à la France n’est pas digne d’un si grand pays. Ainsi, L’Action catholique use de cette formulation ambiguë : « Ne jugeons pas la France par cet abcès73. » Pour La Patrie, la France tend des bâtons pour se faire battre : « Le procès Pétain donne aux détracteurs de la France l’excuse d’en faire grand étalage, au détriment de son prestige et c’est ce qui paraît pénible et regrettable aux yeux de ceux qui l’aiment74. » Pour les tenants de cette théorie, ce procès est un défi à la raison et à l’intelligence. Il est ridicule et disgracieux (L’Action Catholique), il est excessivement passionné (La Patrie), pire, ce sera « une tâche dans l’histoire de la France75 ». La revue Relations résume bien cette tendance : « La condamnation du maréchal Pétain ne relèvera pas la France et sa justice aux yeux du monde76. »
34Notons dans ce paysage que le journal Le Temps, organe de l’Union nationale, parti nettement conservateur au pouvoir au Québec avec Duplessis, se démarque par une position médiane. En effet, s’il incline plutôt, au fil du procès, en faveur de l’indulgence à l’égard d’un homme porteur de valeurs qui sont aussi celles du parti (l’ordre, la religion, la famille, la patrie…), le journal estime néanmoins que sa principale responsabilité est de ne pas avoir abandonné le pouvoir et qu’en conséquence il est coupable des crimes qui ont alors été commis sous son autorité.
Un simple prolongement des positions conflictuelles du début des années 1940 ?
35À première vue, les rapports de forces semblent assez nets autour de trois grands pôles, la presse anglophone d’un côté et au sein de la presse francophone un clivage marqué entre la presse libérale et la presse cléricalo-nationaliste.
36Des lignes éditoriales qui reproduisent, pour partie, les attitudes face à la guerre au début des années 1940.
37Pour simplifier,
- La presse anglophone adopte souvent le point de vue anglais et condamne donc majoritairement Pétain et son régime avec fermeté. Pour elle, l’armistice fut clairement une trahison et de Gaulle soutenu par Churchill y bénéficie plutôt d’un capital sympathie.
- La presse libérale francophone est partagée entre sa volonté de voir la France se reconstruire sur des bases démocratiques et son souhait de ne pas nuire à l’unité du Canada. Aussi, tout en affichant sa confiance dans les nouvelles autorités françaises pour ce procès et son attachement au fédéralisme, elle veille également à ne pas exacerber les divisions entre canadiens-français.
- Enfin, la presse francophone nationaliste et catholique ne cache pas, par anglophobie et conviction traditionaliste ou réactionnaire, une réelle proximité à Pétain ou à son régime.
38Des positionnements qui, on le voit, restent principalement conditionnés par le contexte canadien : la lecture de la politique intérieure française se faisant d’abord sur cette base. De même, Éric Amyot souligne avec raison : « Les réactions de la presse canadienne-française au jugement et à l’exécution de Pierre Pucheu en mars 1944 avaient déjà donné un avant-goût du débat à venir : les médias libéraux approuvant la décision prise par le CFLN, les médias cléricaux s’en désolant77. » Ainsi, le journal Le Devoir s’inquiète face à cette première épuration en Afrique du Nord :
« Pierre Pucheu a été exécuté ce matin à Alger. C’est une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui aiment la France de façon désintéressée, qui espéraient que les Français réussiraient à faire la véritable union sacrée pour se remettre rapidement des terribles épreuves de ces dernières années. […] l’accusation de trahison portée contre l’ancien ministre de l’Intérieur de Vichy pourrait valoir en substance contre tous ceux qui ont participé à une fonction importante au gouvernement de France depuis la défaite de 1940, à partir du maréchal Pétain en descendant. On comprend que le condamné lui-même et ses avocats aient représenté aux membres du tribunal qu’une condamnation courrait le risque d’allumer la guerre civile parmi les Français78. »
39Une position que ne partage pas le journal Le Canada, pour qui seule une épuration ferme et légale peut limiter le risque de guerre civile en France :
« Quant au spectre de la guerre civile en France, nul n’a l’assurance qu’on saura l’éviter, quoi qu’on fasse. Mais il est bien certain que rien n’inciterait plus les Français à la révolution et à la guerre civile que le soupçon que même le général de Gaulle et son entourage ne seraient pas fermement résolus à punir les quislings – et Pierre Pucheu était indéniablement un des quislings les plus en vue de France après Laval79. »
40Dès lors, doit-on postuler le triomphe de la continuité, comme le suggérait, avec nuance il est vrai, Lise Quirion : « Bien qu’étant rattachées à un contexte qui diffère considérablement des premières années du conflit, les prises de position de la presse québécoise face au procès Pétain se révèlent comme un prolongement des attitudes conflictuelles qui caractérisent l’opinion canadienne-française face à Vichy au début des années 194080. »
41En fait, le Québec de 1945, exception faite peut-être pour Le Devoir ou L’Action nationale du moins au regard du sujet qui nous préoccupe, n’est plus tout à fait celui de 1940-1942. Chez « les indulgents », une partie non négligeable de cette presse nationaliste et catholique reconnaît désormais une part de responsabilité à Pétain et admet même la nécessité d’un procès (L’Action catholique, La Patrie, Le Temps). Inversement, dans le camp des intransigeants, on lui trouve bien des circonstances atténuantes et le procès est rarement considéré comme très glorieux. En définitive, ce qui domine c’est plutôt l’ambivalence d’une presse anglophone comme francophone pas si sévère que cela avec Pétain. De fait le vichysme apparaît beaucoup plus largement rejeté que le maréchalisme. Sous cet angle, je partage la conclusion de Sylvie Guillaume, pour qui « les divergences de la presse devant la France [...], l’embarras des journaux [québécois] traduisent aussi l’ambiguïté du régime de Vichy, telle somme toute, qu’elle a été vécue par les Français eux-mêmes81 ».
42Il est vrai que dans tous les camps et pour des motifs différents, on trouve très vite, au travers de la personne de Laval, le « vrai » coupable apte à décharger Pétain de ses responsabilités. Très clairement, c’est lui qui incarne la collaboration et la trahison82 alors que ces accusations font toujours débat pour Pétain. Ainsi, Le Montréal Star83, fait porter les charges les plus lourdes sur Laval, notamment celle d’avoir exposé la France au risque de deux guerres, une contre les Anglais et une guerre civile.
43Au-delà et plus profondément, c’est le regard porté sur la justice française de la Libération qui est riche d’enseignements pour l’historien de l’épuration a fortiori français. En effet, qu’ils soient partisans ou détracteurs de Pétain, de nombreux articles laissent poindre en filigrane la perplexité sur les procédures judiciaires suivies. Ce trait permet de souligner combien la société québécoise dans son ensemble est imprégnée d’une culture juridique « anglo-saxonne ». De fait, ils sont nombreux au Québec, toutes sensibilités confondues, à dénoncer le mauvais usage que font les Français de la justice mais aussi du parlementarisme. Ainsi La Patrie, pourtant plutôt « nationaliste » déclare « notre conception anglo-saxonne de la procédure judiciaire s’accommode mal de ce qui s’est passé à la Haute cour84 ». Le même quotidien observant non sans un certain réalisme : « Son procès apparaît ainsi, non comme une procédure judiciaire régulière, mais comme un exutoire qui permettra à des forces passionnelles de se libérer et qui favorisera peut-être ensuite l’apaisement de l’atmosphère politique à Paris85. » L’exceptionnalité des juridictions mises en place en France à la Libération est souvent stigmatisée86. La composition « partisane » de la cour dérange, en particulier via la désignation de jurés « Résistants ». Le Devoir, au lendemain du verdict, indique qu’un procès où « juges et jurés sont décidés d’avance à condamner » ne peut que constituer une « parodie de justice87 ». Une posture assez largement partagée et qui fait écho aux débats qui agitent la France, dans les mêmes termes, au même moment. En effet, en Haute Cour, les excès des jurés mais aussi les pressions de l’opinion ou du public lors des procès Pétain et plus encore Laval (octobre 1945) vont finir par imposer sa refonte selon une orientation parlementaire exclusive (loi du 27 décembre 1945) et plus conforme à la tradition républicaine88. Fred Kupferman confirme, lors du verdict Pétain, un net clivage entre jurés résistants et jurés parlementaires, « tous les jurés de la Résistance [ayant voté] pour la mort, alors que les jurés parlementaires, moins trois, [avaient voté] contre89 », tout en insistant sur la forte pression exercée sur les jurés dans le prétoire et en dehors, par les partisans comme par les adversaires du Maréchal90.
Peut-on parler d’une singularité québécoise ?
44Ou pour poser la question différemment : le Québec francophone, du fait de son passé, d’aucuns diraient passif, pétainiste durant la guerre, entretient-il un rapport si particulier à ce procès ?
45D’abord, il convient de rappeler que le Québec, y compris francophone, ne fut jamais unanimement pétainiste, pas plus en 194091 qu’en 1945. De même, est-il utile de préciser que la pluralité des réactions observées au Québec reflète assez fidèlement les clivages qui prévalent en France au même moment, y compris dans la presse92. En effet, les Français apparaissent pour le moins très partagés sur le sort à réserver à Pétain : après avoir massivement penché pour la clémence en sa faveur, l’opinion française tend ensuite, courant 1945 et jusqu’au procès, vers davantage de sévérité, s’exprimant néanmoins toujours majoritairement contre la peine capitale à son endroit93. Aussi, ne voit-on pas vraiment pourquoi les Québécois, moins bien informés et qui n’ont qu’une perception très lointaine des réalités de Vichy et de la guerre, auraient été plus clairvoyants que les Français dans cette affaire ? Avoir de la sympathie pour Pétain au Canada, dans un pays qui n’a subi ni ses lois, ni l’occupation, ne saurait avoir la même signification qu’en France. Plus encore, en déplaçant la focale et en sortant du vis-à-vis franco-canadien, on constate que le regard porté sur ce procès par la presse québécoise n’est pas unique, ni même franchement original.
46D’une part, on constate que le procès Pétain a été suivi avec beaucoup d’intérêt dans de nombreux pays démocratiques et occidentaux94. Ainsi, M. de Vaux Saint Cyr, ministre de France en Suède, parle « d’un vif intérêt de l’opinion suédoise » pour ce procès95. René Massigli à Londres, indique : « Une très large place a été faite dans les journaux aux comptes-rendus des audiences et débats96. » On observe la même attention soutenue en Suisse ou encore en Italie, où « l’opinion publique a suivi ces publications [relatives au procès] avec beaucoup d’intérêt97 ».
47D’autre part, on y observe une diversité de jugement en tout point comparable avec celle relevée au Québec. Ainsi, la situation de la Suisse apparaît même assez proche de la scène québécoise. Bien entendu, le passage de l’intéressé par ce pays pour se constituer prisonnier avive sans doute l’intérêt de l’opinion et lui attire plutôt un capital sympathie. La presse helvétique, dans sa large majorité, souligne alors « le courage » du vainqueur de Verdun, son geste « digne de respect » et souhaite qu’il bénéficie d’un procès équitable rappelant que « les souffrances des Français ont été infiniment moindres que celles des Hollandais et des Norvégiens » (Neue Zürcher Zeitung). Selon La Gazette de Lausanne, sa condamnation produirait « une impression douloureuse », du fait de son âge et de son statut de vieux soldat. Seule la presse socialiste (La Voix ouvrière, Arbeiter Zeitung) dénonce « un traître », voire un « criminel ordinaire ». Néanmoins, selon l’ambassadeur de France en Suisse, « il ne faut pas se dissimuler que la thèse soutenue par les journaux socialistes ne reflète qu’une faible partie de l’opinion helvétique98 ». Plus intéressant encore, la lecture du procès se fait, là aussi, au travers d’un clivage linguistique interne au pays. Un télégramme de Berne, insiste sur cette dimension :
« Les réactions de la presse suisse au verdict du procès Pétain différent sensiblement selon qu’il s’agit des journaux alémaniques ou de ceux de suisse romande […]. Les premiers ont dans leur ensemble approuvé la sentence rendue […]. Les journaux romands qui s’étaient montré perméables pendant toute la guerre à un certain maurrassisme vichyssois ont fait entendre un écho beaucoup plus favorable à la thèse de la défense du condamné99. »
48De manière plus globale, on voit qu’un peu partout le procès est d’abord analysé sur la base de préoccupations politiques intérieures. En Irlande, par exemple dans une situation « postcoloniale » apte à la comparaison avec le Canada, le représentant diplomatique français commente ainsi le verdict du procès Pétain : « Dans l’opinion où cantonne encore un préjugé d’indulgence à l’égard du régime d’ordre moral que prétendait ressusciter Vichy et dont une politique d’isolement et de neutralité a faussé le jugement, les appréciations ont, en général, été défavorables100. » Plus loin, il souligne que cette position est particulièrement celle de la « presse nationaliste », citant notamment l’Irish News du 16 août 1945. Inversement en Grèce, la presse socialiste « voit dans la condamnation un exemple qui souligne l’insuffisance de l’épuration [dans le pays]101 ». Aux États-Unis, où la presse réserve de très nombreux éditoriaux et commentaires au retour de Pétain en France et à l’annonce de son procès, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur « l’illégalité d’un régime » reconnu par eux, le Vatican, la Russie… Le Philadelphia Inquirer estime même que ce procès permettra « de juger dans quelle mesure était justifiée la politique du gouvernement américain à l’égard de Vichy ». Certains journaux républicains ou conservateurs qui n’avaient pas cessé les dernières années de prendre la défense de Vichy en profitent également pour justifier leur attitude : tel l’isolationniste Times Herald de Washington102.
49Ce qui frappe ensuite, dans cette revue de presse internationale, c’est la tonalité assez générale d’indulgence à l’égard de l’accusé et plus encore le regard assez critique voire sévère porté sur la forme de son procès. Des réserves, on l’a vu, largement formulées également au Québec. En Angleterre, l’opinion reste dubitative « elle s’attendait à assister au procès de la collaboration, elle s’est étonnée de voir une affaire nationale réduite en partie à des querelles personnelles ». En fait, pour beaucoup d’observateurs britanniques, « il ne s’agissait pas en l’occurrence de rendre la justice mais de régler une affaire politique » : le Daily Telegraph traduisant un sentiment assez général parle « d’un beau lavage de linge sale ». Comme le dit notre ambassadeur : « De nombreux journaux ont souligné que les jurés pris parmi les membres de la Résistance étaient tous a priori hostiles à l’accusé et qu’une forte pression a été exercée par la presse pour que le maréchal fût condamné à la peine capitale. […] Dans ce pays où l’on a de la justice et de ses formes une conception très stricte, l’opinion s’est retrouvée égarée par la présentation de l’affaire103. » Ces critiques des procédures judiciaires suivies en France sont assez générales, y compris parmi les opposants à Pétain. Même en Suède, où la presse est unanimement contre l’accusé, « des réticences quant aux formes du procès et la nuance qu’elle [la presse] apporte dans ses appréciations sur le cas Pétain ressortent notamment dans le parallèle que la presse suédoise ne manque pas de faire entre ce cas et le procès Quisling qui se déroule actuellement à Oslo (Norvège104) ». En Suisse, la presse alémanique, pourtant très majoritairement hostile à Pétain, regrette le caractère politique du procès. Le Bund de Berne du 17 août, évoquant la question des jurés trop partisans mais aussi des pressions extérieures, estime que « la démocratie se devait de faire mieux105 ». Un avis largement partagé par la presse romande et à l’origine « du malaise que la sentence finale laisse subsister dans l’opinion publique de ce pays et que les conversations de la rue […] révèlent plus ouvertement que les commentaires de la presse106 ». Même son de cloche en Belgique où La Nation Belge, bien que convaincue en mai 1945 du caractère « indispensable du procès de Pétain », et même de son « écrasante responsabilité », parle à son issue d’une « impression pénible laissée par le procès107 ».
50Des réticences à l’égard de la justice française qui vont s’aggraver avec le procès Laval. En effet, si en Angleterre, « les journaux sont unanimes à reconnaître que le verdict est juste » pour punir celui qu’ils surnomment « l’archi-traître », on déplore cependant les circonstances du procès : « Dans ce pays, où la justice est considérée avec un respect sans égal, on s’étonne de constater que la cour se soit montrée si peu représentative des institutions qu’elles prétendaient incarner. » Notre ambassadeur alerte même la chancellerie pour lui montrer « à quel point les Anglais peuvent être choqués par des irrégularités de procédure qui nuisent à notre prestige108 ». Constat analogue en Suisse où « la presse et l’opinion dans leur ensemble critiquent sévèrement la manière dont le procès Laval est mené ». L’accusé ne jouit pourtant dans ce pays d’aucune sympathie (le Journal de Genève dit que « sa cause est exécrable ») mais on regrette d’autant les conditions de la sentence. Le Journal de Genève traduit « exactement l’opinion générale dans ce pays » en titrant « pour qui se fait de la Justice, une image saine, le procès est irrémédiablement et déplorablement faussé109 ». La Suède va plus loin encore et les conditions de l’exécution suscitent de vives attaques contre la France, un journal libéral de Stockholm parlant même « d’écœurement confinant au mépris pour la manière dont la justice française a mené le procès110 ».
51Plusieurs également estiment que toutes les responsabilités, notamment des hommes de la IIIe République n’ont pas été suffisamment établies et que Pétain constitue un bouc émissaire commode. C’est le cas en Italie mais aussi en Irlande voire aux États-Unis111. La presse anglaise laisse même poindre un soupçon de mépris « à l’égard de la nation française qui après s’être abritée derrière le vainqueur de Verdun accable aujourd’hui le chef de l’État Vichyssois112 ». Enfin, rares étaient les démocraties qui souhaitaient in fine la mort de Pétain, et sous cet angle le soulagement observé au Canada après la commutation de sa peine est assez largement partagé, en Suède, en Angleterre113, en Suisse, ou encore aux États-Unis114.
52Difficile de conclure à ce stade, tant il apparaît qu’au Québec comme en de nombreux autres lieux, le procès de Pétain a constitué l’impossible « jugement dernier115 » d’une période éminemment complexe et d’une page sombre que l’on prétendait précisément tourner. Le point de vue exprimé par François Mauriac à l’époque, était sans doute assez proche de la sensibilité québécoise.
« Un procès comme celui-ci n’est jamais clos et ne finira jamais d’être plaidé. Si Pétain avait honteusement cherché refuge au bord d’un lac suisse, son affaire eût été classée. Mais parce qu’il s’est livré à notre justice, rien n’est achevé pour lui, le dialogue de l’accusation et de la défense va se poursuivre de siècle en siècle. Pour tous, quoi qu’il advienne, pour ses admirateurs, pour ses adversaires, il restera une figure tragique, à mi-chemin de la trahison et du sacrifice116. »
53Au-delà des divergences d’opinion relevées dans la presse québécoise, le sentiment dominant est bien celui d’un procès dérangeant et inachevé. Certes, de Gaulle est populaire au sein de la province : l’accueil enthousiaste qui lui est réservé en juillet 1944 ainsi qu’à son représentant diplomatique, l’ambassadeur Jean de Hauteclocque (novembre 1944-décembre 1947117) en témoigne. Nombreux sont ceux qui souhaitent désormais une France apaisée et enfin réconciliée avec elle-même. Encore une fois, nous ne sommes plus en 1940 ou 1942, mais, « le Québec de 1945 n’est pas encore celui de la Révolution tranquille118 ». et la lecture du procès Pétain montre qu’il subsiste au sein d’une certaine élite francophone une méfiance à l’égard de la France républicaine et laïque, a fortiori dans un contexte de poussée à gauche perceptible dès 1945. Ne s’agit-il pas déjà « d’un combat d’arrière-garde » ? comme le suggérait Éric Amyot119. Même si je ne suis pas loin de partager cette conclusion, sans doute est-il trop tôt pour répondre, mais nous retrouverons ce courant de pensée à la manœuvre dans l’affaire Bernonville (1948-1951) et ce sera un révélateur plus efficace de son influence réelle dans la société québécoise. Nul doute enfin que ces regards étrangers et décentrés apportent à la connaissance de l’épuration française. Ils permettent de mieux cerner certaines de ses réalités et limites, parfois sous-estimées ou négligées en France, tout en témoignant des difficultés à rendre une justice sereine en situation de transition démocratique.
Retour sur une querelle entre milieux littéraires français et québécois (1946-1947)
« Dans les pages qui suivent, j’ai tenté modestement de cristalliser le sentiment de toute une partie de la littérature canadienne. La controverse n’a été pour nous que l’occasion de définir certains buts et de préciser notre position à l’égard de l’Europe120. »
54Lorsque Robert Charbonneau121 publie fin 1947 son Journal d’une querelle122, il rend public une crise entre certains milieux littéraires français et québécois qui couve depuis plusieurs mois. Elle concerne sans doute un public restreint mais n’en constitue pas moins un bon révélateur de l’évolution des relations culturelles entre la France et le Québec pendant et au sortir de la Seconde Guerre mondiale. De fait, outre ces enjeux plus strictement littéraires, cette controverse permet de revenir sur la situation « extraordinaire » de l’édition française en Amérique du nord et en particulier au Québec entre 1940 et 1945. De même, elle témoigne d’une perception brouillée des engagements des uns et des autres au prisme des enjeux de l’épuration en France mais aussi, et déjà, d’une culture de guerre froide.
L’effort de guerre exceptionnel des éditeurs québécois
55La Seconde Guerre mondiale marque pour l’édition française aux Amériques un moment exceptionnel. Un phénomène plus marqué au nord, et notamment au Canada, qu’au sud mais qui reste pourtant largement méconnu du grand public québécois comme français.
Veillée d’armes
56Deux traits marquants et sans doute, au moins en partie, complémentaires caractérisent le monde du livre québécois à la veille du second conflit mondial : un grand retard en équipement culturel et un rôle voire contrôle encore déterminant de l’Église dans le secteur.
Un grand retard québécois
57Le Québec des années 1930-1940 accuse un grand retard en équipement culturel dédié aux livres (bibliothèques, librairies). Le contraste est particulièrement saisissant par rapport au reste du Canada notamment anglophone. Ainsi, une enquête de 1937 révèle que sur 642 bibliothèques publiques au Canada, 26 seulement sont ouvertes au Québec dont 17 anglophones. Une situation qui, malgré l’embellie éditoriale de la Seconde Guerre mondiale, perdure à la fin des années 1940, puisqu’en 1949 on considère encore que 65 % de la population urbaine et 95 % de la population rurale de la province du Québec n’ont pas accès au livre123. Ce dernier ne dispose donc à l’époque au Québec que d’un rayonnement social limité et en dehors d’une élite scolarisée ou cultivée, une part importante de la population particulièrement canadienne-française n’entretient qu’un rapport assez lointain avec lui et a fortiori avec la littérature124. Le caractère étroit de ces circuits de diffusion ne peut par ailleurs qu’en faciliter le contrôle par les autorités politiques ou religieuses. Paradoxalement, ces difficultés n’empêchent pas au sein du champ littéraire l’expression d’une certaine vitalité qu’incarne parfaitement La Relève et son équipe. Une revue fondée en 1934 par Robert Charbonneau et Paul Beaulieu qui affirme son originalité par une quête de modernité mais aussi d’autonomie à l’égard d’une influence française reconnue comme décisive mais non exclusive.
Les mauvaises fréquentations de Céline au Canada en 1938
58Céline a séjourné à deux reprises au Canada avant-guerre. Or, si son premier voyage du printemps 1925, dans le cadre d’une mission et délégation médicales de la SDN, est bien documenté, il faut bien admettre que le second de 1938125 reste plus mystérieux. De fait, la plupart de ses biographes ne mentionnent pas126 ce bref séjour de 1938 ou l’évoquent rapidement et souvent de manière allusive127. Certains chercheurs canadiens128 ont été plus curieux sur les conditions et les motivations exactes de cette visite que Céline lui-même avait voulue discrète. Certes, il convient de ne pas accorder plus d’importance que nécessaire à un fait qui conserve un caractère anecdotique voire atypique pour notre propos. Néanmoins, au-delà de sa brièveté, cet épisode apporte à la connaissance de ce personnage aussi détestable que considérable. Sur la raison première du voyage d’abord qui semble bien ne pas avoir été de pur agrément ni à vocation professionnelle (médicale ou littéraire129). C’est sans doute pour cela qu’il n’annonce pas sa visite130 alors qu’il dispose déjà d’une notoriété importante depuis Voyage au bout de la nuit. De fait, son motif est clairement politique et selon sa propre déclaration au quotidien La Presse : « J’ai rencontré les chefs d’un parti fasciste à l’avenir duquel je m’intéresse131. » En effet, au soir du 5 mai, il assiste à un imposant meeting du Parti national socialiste chrétien (PNSC) d’Arcand à Montréal. Une photographie immortalise d’ailleurs l’instant dans cette salle pavoisée de croix gammées parmi plus de 350 militants pour la plupart en uniformes132. Fondé par Adrien Arcand en 1934, le PNSC est alors un parti pronazi qui affiche un programme résolument pancanadien133 voire panaméricain, ce qui le distingue nettement des groupuscules d’extrême-droite nationaliste plus traditionnels du Canada français. On le voit, on est tout de même assez loin de la simple « réunion politique » à laquelle Céline aurait assisté un peu par hasard ou curiosité selon François Gibault, Philippe Alméras ou Henri Godard134. Dans la réalité, il était même l’invité d’honneur d’Adrien Arcand en même temps que le leader fasciste de l’Ontario Jos. C. Farr. Le journal du parti, Le Fasciste canadien, se félicite d’ailleurs de cette présence parmi eux « d’un écrivain réputé qui vient de publier Bagatelles pour un massacre, livre au succès immense dans le monde entier135 ». La correspondance d’Arcand démontre également que Céline passa deux jours complets auprès des fascistes de Montréal et qu’il rencontra plusieurs de leurs chefs. Aussi, même s’il assiste au fond de la salle et plutôt en retrait au meeting, sans y prendre la parole contrairement à Farr, on ne peut le considérer comme « un simple témoin anonyme136 ». A contrario, cette escapade montréalaise constitue, selon moi, une étape de sa conversion lente et d’ailleurs incomplète au fascisme. Entre la publication de Bagatelles pour un massacre en 1937 et de L’école des cadavres à son retour en France (novembre 1938), il n’hésite plus désormais à s’afficher publiquement avec des militants ou mouvements pro-nazis137. Dans son itinéraire littéraire comme politique, cette année marque donc sa mise « au service d’Hitler138 ». Nul doute que son séjour montréalais en constitue un modeste mais authentique témoignage139. D’ailleurs, la personnalité même de son contact « littéraire » à Montréal, le fameux Victor Barbeau140 ne doit sans doute rien au hasard. Autre explication possible à son voyage, la quête d’un refuge. En effet, selon certains de ses biographes141, alors que Céline est violemment attaqué142 en France en raison de la virulence extrême de ses pamphlets antisémites, il pense très tôt à l’exil pour fuir « ses persécuteurs » et la menace d’une nouvelle guerre qu’il redoute. Frédéric Vitoux cite même des propos « très céliniens » où, dès 1936, il exprime son attachement à un Canada idéalisé et sanctuarisé : « Un seul pays au monde résistera encore un siècle, celui où les curés sont rois, le Canada, le plus emmerdant de tous les pays… mais j’irai, je servirai la messe. J’enseignerai le catéchisme. Il n’y aura pas le choix si l’on veut sauver ses… et moi j’y tiens143. » Un horizon américain fantasmé, au point de se faire établir en 1944 des faux papiers au nom de Louis-François Deletang né à Montréal ou de se rêver en 1945, dans la tragicomédie de Sigmaringen, gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon. En 1950, la correspondance de Céline montre qu’il pense encore au Canada comme terre d’exil pour un ami dans la même situation que lui :
« Un seul espoir : Le Canada. Quand tu auras mûri un projet, je te donnerai une liste d’amis sûrs, susceptibles d’être intéressés eux aussi. Des gens « biens », selon le bon sens du terme, valable chez tous les bourgeois du monde, avec des ronds, sans passé politique et la bonne intention d’un repli en pays sérieux144. »
59Dans l’immédiat, l’heure n’est cependant pas encore à la fuite. En 1939-1940, il appartient au camp des vainqueurs et ce sont d’autres auteurs ou éditeurs qui prennent en nombre le chemin de l’exil. Une situation qui va bouleverser profondément le paysage éditorial français aux Amériques.
Une nouvelle donne éditoriale : Montréal, capitale du livre français
60Les conditions nouvelles nées de la défaite, du régime de Vichy et de l’Occupation145, conduisent à une réduction significative de l’activité éditoriale en France. Du moins faut-il bien conserver à l’esprit que cette dernière est très encadrée et limitée par le poids de contraintes idéologiques146 et matérielles (pénurie et accès au papier). La convention signée par le syndicat des éditeurs parisiens le 28 septembre 1940 avec les services de la Propaganda Staffel, soumet d’ailleurs à l’acceptation de la censure… le droit de publier et plus encore l’obtention des quotas de papier pour le faire. Parallèlement, la capacité des éditeurs français à satisfaire les marchés extérieurs se réduit considérablement alors même que les éditeurs canadiens reçoivent, dès 1940, l’autorisation de réimprimer tout ouvrage édité en territoire ennemi ou occupé et nécessaire au marché local147.
61S’ajoutent à cette conjoncture déjà favorable, trois autres facteurs importants. D’une part, les États sont de plus en plus interventionnistes au titre de l’économie de guerre et ils apportent, notamment au Canada, un soutien nouveau au secteur de l’édition. D’autre part, on assiste à une certaine libéralisation, y compris au Québec sous l’influence du gouvernement libéral de Godbout. En cohérence avec le combat pour les démocraties en Europe, ce dernier multiplie les réformes (droit de vote des femmes, gratuité de l’enseignement primaire, scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans…) dont bénéficie le monde éditorial via un assouplissement de la censure et du contrôle de l’Église. Ainsi, la période est-elle indéniablement marquée par un souffle de pluralité et de liberté sur le secteur. Les textes « subversifs » (comme Gide ou Rimbaud, par exemple) y circulent plus facilement et on voit se créer de nombreuses maisons d’éditions laïques. Enfin, l’existence d’un important exil intellectuel ou artistique aux Amériques y favorise le développement de foyers culturels français dynamiques148. C’est particulièrement vrai des États-Unis (André Maurois, Jules Romains, André Breton, Saint John Perse, Antoine de Saint-Exupéry, Claude Lévi-Strauss, Jacques Maritain, Etiemble, Pierre Lazareff…) mais aussi au Mexique (Victor Serge, Jean Malaquais, Benjamin Péret) ou encore du Brésil (Georges Bernanos).
62Profitant de ces circonstances exceptionnelles, le Québec va jouer un rôle de tout premier plan dans la diffusion de l’édition et de la littérature françaises dans « le monde libre ». Il devient même l’épicentre de l’édition française avec Montréal pour nouvelle capitale149. Cela se traduit par une véritable explosion éditoriale. Le nombre de maisons d’éditions double quasiment durant la période : Les éditions de l’Arbre fondées à l’automne 1940 par Robert Charbonneau et Claude Hurtubise, Les éditions Variétés de Henri-Paul Peladeau et André Dussault en 1941, Lucien Parizeau éditions en 1943… Le décollage est tel qu’on crée en 1943 une société des éditeurs canadiens de langue française : Robert Charbonneau en devient le président de 1945 à 1947 ce qui explique sans doute en partie son implication dans la querelle qu’il anime. Loin de la stopper, la libération progressive de l’Empire français puis de l’Europe amplifie cette dynamique. Entre 1944 et 1946, s’implantent sur le marché : La société des éditions Pascal, les éditions Serge, les éditions BD Simpson, les éditions F. Pilon… Les éditeurs québécois n’hésitent pas alors à traverser l’Atlantique pour passer des accords commerciaux avec leurs collègues parisiens. Lucien Parizeau signe ainsi en 1945 des contrats d’édition et de distribution avec les éditions Seghers et les éditions de Minuit, contribuant à la diffusion des auteurs de la Résistance au Canada. Jean-Paul Sartre150, Albert Camus, Vercors, Pierre Seghers font alors le voyage vers l’Amérique et visitent le Québec où ils suscitent un réel engouement. L’édition québécoise est alors à son apogée et cela profite à tous, éditeurs préexistants au conflit (Fides ou Valiquette) comme nouveaux venus, mais aussi à l’ensemble des métiers du livre (impression, illustration…). C’est tout un secteur qui fait des « affaires d’or » selon l’expression de Jacques Michon. Une vitalité qui touche également le champ des revues intellectuelles avec là aussi des créations comme La Nouvelle Relève151 de Robert Charbonneau (1941), L’Amérique française (1941), Gants du Ciel (1943)152 … sans oublier Le Monde Libre, revue trimestrielle de l’International Free World Association, imprimé à Montréal à compter de 1943 aux éditions de l’Arbre.
63Les effets de cette bonne santé sont multiples. Au niveau quantitatif d’abord, les tirages s’envolent. On passe de 82 titres inédits publiés au Québec en 1940 à 417 en 1944153, Jacques Michon évaluant à plus de 2000 le nombre de titres publiés entre 1940 et 1945. Pour la première fois de son histoire, le monde du livre québécois est autosuffisant et même largement exportateur : on avance parfois le chiffre impressionnant de 21 millions de livres (ré)imprimés au Québec entre 1940 et 1947154. Profitant de cet essor, les écrivains canadiens français gagnent en visibilité en particulier ceux qui cherchent à s’émanciper du traditionalisme et « terroirisme » dominants. Une nouvelle génération, moins conformiste, s’avance dans le champ du roman social ou psychologique (Robert Charbonneau, Roger Lemelin, Gabrielle Roy…) comme de la poésie (Anne Hébert). Témoins de cette nouvelle notoriété, les éditions Pascal publient en 1945 Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy qui sera prix Femina à Paris en 1947. Inversement, le Québec s’ouvre à d’autres littératures et multiplie les traductions en particulier d’auteurs américains. Les auteurs français réfugiés aux Amériques y publient également des œuvres inédites : c’est le cas d’Antoine de Saint-Exupéry155 aux éditions Valiquette (1942) mais aussi de Jacques Maritain pour son Crépuscule de la civilisation (L’Arbre, 1941). Proches des réseaux « Maritain », les éditions de L’Arbre publient également des exilés comme Jean Wahl ou encore Gustave Cohen156. À compter de 1942, les éditeurs Québécois renforcent leurs liens avec les maisons de New York, mais aussi Rio, Mexico ou Buenos Aires… Une nouvelle coopération panaméricaine dont témoigne la coédition de Bernanos157, Lettre aux Anglais (Atlantica Editora de Rio et L’Arbre à Montréal, 1942). Pour certains Canadiens-Français, c’est l’occasion de promouvoir une autre américanité québécoise autour notamment d’une latinité revigorée comme culture commune à des millions d’Américains francophone, hispanophone et lusophone. Ce concept permet de (re)concilier héritage français et continentalité autour d’un transnationalisme latin et catholique. Dès lors, rien d’étonnant que l’ULA (Union des Latins d’Amérique) ait pu séduire une part significative de la classe politique canadienne française mais aussi des nationalistes radicaux comme les frères O’Leary avec la complicité active, et parfois agaçante pour Ottawa, de diplomates latino-américains en poste au Canada158. Un phénomène commun au Mexique où le discours sur la latinité, tombé en désuétude, évolue aussi pendant la Seconde Guerre mondiale vers un registre nationaliste pour mieux se démarquer du puissant voisin américain159.
Des lendemains qui déchantent… la crise de 1947-1948
64À partir de 1947, la situation de l’édition d’expression française se dégrade brutalement au Canada sous les effets conjugués de plusieurs facteurs. Au niveau externe d’abord, il faut compter sur la volonté de « reconquête » des parts de marché perdues par les éditeurs parisiens160 et ce, y compris via de complexes contentieux autour de la rétrocession des droits d’auteurs161. Une reprise en main de l’édition française un peu « brutale », qui s’accompagne de déclarations maladroites de certains milieux littéraires de la Résistance à l’égard du Québec et des Québécois. Dès 1945, Georges Duhamel s’adressait au nom des éditeurs parisiens à ces collègues québécois en ces termes vifs :
« Jamais nous n’accepterons que vous veniez nous vendre à Paris, les œuvres de Racine ou d’autres grands écrivains français. Vous avez pu, à notre insu, réimprimer pendant la guerre, un certain nombre d’ouvrages. Mais aujourd’hui c’est fini, bien fini, nous publierons nous-mêmes nos livres162. »
65Signe de ce nouveau climat, en 1948, un accord commercial entre la France et le Canada impose une proportion d’un livre canadien importé en France pour trois livres français exportés au Canada. Pour notre ambassadeur au Canada, cet accord est bon et même « inespéré » pour les Canadiens, particulièrement français, puisqu’il permet de maintenir « un débouché en France à l’édition canadienne créée artificiellement du fait de la guerre163 ». En interne ensuite, la sortie de guerre voit la réduction puis la disparition de certaines aides gouvernementales (fédérales notamment) à l’édition. Pire, à l’échelle québécoise, la victoire de l’Union Nationale de Duplessis ouvre sur un contrôle renforcé de ce secteur suspect de s’être trop libéralisé aux yeux du gouvernement comme d’une partie de la hiérarchie catholique. C’est « le retour des éteignoirs » pour reprendre la formule de Jacques Michon164.
66Le résultat ne se fait pas attendre, l’édition québécoise, confrontée à une contraction de ses marchés extérieur et intérieur, rencontre très vite de très grosses difficultés et traverse même une crise majeure. La production s’effondre et on passe de 417 titres en 1944 à 93 en 1949. C’est un peu un retour à la case départ, le livre scolaire étant le seul secteur à tirer encore son épingle du jeu. La situation s’avère particulièrement catastrophique pour les maisons créées depuis 1940. Les faillites sont nombreuses et sur vingt-deux maisons actives en 1945 au Québec, sept seulement survivront à la crise de 1947-1948. Les éditions de l’Arbre de Robert Charbonneau comptent parmi les victimes de ces faillites (en 1948) et cette situation n’est sans doute pour rien dans la querelle étudiée ci-après. En effet, on peut aussi la lire comme l’expression d’une amertume (d’ailleurs à bien des égards légitime) d’un éditeur québécois par rapport à des collègues parisiens qui, sur fond de normalisation post-Libération, entendent reprendre leur ascendant voire leur monopole sur l’édition et la littérature d’expression française.
Une perception brouillée des engagements des uns et des autres
67Le retour en force des éditeurs français est d’autant plus mal vécu par Robert Charbonneau qu’il s’accompagne parfois d’une conception déséquilibrée de la relation France/Québec.
Pour en finir avec un certain « colonialisme » culturel
68En effet, à l’origine de la querelle, il y a notamment une métaphore malheureuse de Georges Duhamel, de retour d’un séjour au Canada, pour décrire la situation littéraire du Québec. Dans un article intitulé « L’arbre et la branche », il décrit le monde canadien comme « une branche de l’arbre français », ajoutant « une branche robuste et qui semble séparée du tronc original […] mais une branche quand même165 ». Une comparaison mal venue lorsque l’on sait que Georges Duhamel, par ailleurs lu et apprécié au Québec, est alors en charge du dossier sensible de la rétrocession aux éditeurs français des droits accumulés, pendant la guerre, par les éditeurs canadiens français. Impossible égalité que soulignait également Francisque Gay, au moment de l’accord de 1948 :
« Vous comprenez comme moi, qu’on peut difficilement échanger des kilos de Lamartine et de Hugo contre des kilos de Fréchette et de Crémazie. En d’autres termes, il est assez difficile pour vous, Canadiens français, de posséder une élite intellectuelle aussi nombreuse, aussi forte que la nôtre, laquelle est le produit de siècles de culture. C’est pourquoi l’échange de livres français et canadiens ne peut se faire à base de réciprocité166. »
69Une position de sujétion ou de dépendance défendue par André Billy, au nom de « l’antériorité spirituelle et culturelle française167 », par Stanislas Fumet168 via l’image du maître (La France) et de l’élève (le Canada français) ou encore par les frères Tharaud qui voient dans la littérature de Montréal « une preuve magnifique de la vitalité de notre esprit169 ». Des déclarations inacceptables pour Robert Charbonneau, à un moment où s’exprime au Québec une volonté d’autonomie des lettres québécoises dont la vitalité déployée pendant la guerre témoigne pleinement selon lui170. Aussi récuse-t-il cette conception « coloniale » de la culture, affirmant au passage son américanité et sa canadianité : « Nous ne sommes pas des Français ; notre vie en Amérique, nos relations cordiales avec nos compatriotes de langue anglaise et les Américains, notre indépendance politique, nous ont faits différents. Nous sommes fiers d’être Canadiens171. » Pour lui, l’amitié franco-canadienne, qu’il souhaite ardemment par ailleurs, ne saurait être « une abdication de notre liberté », reprochant au passage à la France de ne se souvenir du Canada qu’en temps de guerre172. Une accusation de distance condescendante à laquelle n’échappe pas François Mauriac, pourtant sincèrement admiré par Robert Charbonneau. Ce dernier accepte en effet assez mal son intervention dans l’affaire de la censure du film Les enfants du paradis173 au Québec. Gros succès en France à sa sortie en 1945, il est néanmoins classé par la Centrale catholique du cinéma dans la catégorie « À déconseiller ». Aucun distributeur québécois ne prend donc le risque d’en acheter les droits. Aussi, lorsqu’en 1947, les étudiants de l’université de Montréal souhaitent, avec l’accord de leur Recteur Mgr Maurault, en obtenir une copie pour une projection lors de leur gala annuel, ils se tournent assez naturellement vers les services diplomatiques français. Le consulat de Montréal accepte de faire venir le film et l’attaché culturel, René de Messières, assiste même à la projection… qui est annulée le soir même suite à l’intervention du bureau de la censure du Québec174. Cette interdiction se transforme en incident diplomatique lorsque l’ambassadeur de France, Jean de Hauteclocque, dénonce une campagne antifrançaise dans un communiqué officiel tout en annonçant son intention d’organiser dans ses locaux une projection pour la presse, les parlementaires et les représentants diplomatiques. Dans Le Devoir du 24 février 1947, Maurice Duplessis, premier ministre, lui réplique vertement : « Les censeurs ont bien fait leur devoir » précisant « ceux qui ne respectent pas la loi se rendent coupables d’un manque d’égard à l’endroit de l’autorité constituée, ce qui est plus grave qu’un manque d’égard envers la susceptibilité ». L’incident pourrait prêter à sourire175 si on n’y retrouvait pas certains stéréotypes récurrents des relations culturelles entre les deux pays : complexe de supériorité d’un côté et tendance à la francophobie de l’autre à l’égard d’une France « immorale et décadente ». À l’Assemblée législative du Québec, René Chaloult, que l’on retrouvera plus tard parmi les plus ardents défenseurs des miliciens français réfugiés au Canada, en profite pour se lancer dans une violente diatribe contre la France et son représentant au Canada, dénonçant au passage l’épuration :
« J’en viens aux Enfants du Paradis et je dénonce cette singulière intrusion du gouvernement français dans l’administration provinciale, par l’intermédiaire de son ambassadeur qui s’est permis de critiquer notre censure québécoise qui avait défendu la représentation du film Les Enfants du Paradis à l’Université de Montréal. [...] Mais je demande, de quel droit le représentant d’un gouvernement étranger se permet de juger notre Bureau de censure et d’ameuter contre lui l’opinion publique de chez nous et des autres personnes. De quoi se mêle-t-il, M. de Hauteclocque ? Il faut avoir du toupet et de l’insolence pour venir protester parce que M. de Messière a été froissé. Cela me paraît déplacé. […] La France a mieux à faire que de nous envoyer des “culturels” comme cela. Quand on lui demandait de réclamer en faveur du Maréchal, M. de Hauteclocque répondait : “Charbonnier est maître chez soi”, certes. Mais nous sera-t-il permis de le rappeler à ceux de nos cousins de France, qui, charitablement désirent nous “libérer” ; il y a en Amérique près de six millions de Français qui voudraient bien, eux, libérer la France légale de la menace communiste. Le héros de Verdun, l’illustre Maréchal, va finir ses jours en prison, alors que l’infect Maurice Thorez devient vice-président du Conseil. Des milliers de nobles patriotes français, échappés aux balles des boches, tombent sous les coups de leurs compatriotes assassins… Nous ne comprenons pas ça ici. […] Avant de nous libérer, M. de Hauteclocque et consorts devraient bien tenter de soustraire la France à la dictature communiste et étrangère. J’invite le gouvernement à étudier la question176. »
70Robert Charbonneau, pourtant peu sensible à cette rhétorique qui émane en général des milieux les plus conservateurs du Québec, auxquels il n’appartient pas, prend néanmoins, dans un contexte de crispation, ombrage des critiques de François Mauriac, mais aussi de René Garneau, sur le sujet177. Sa réponse à Mauriac est même assez cinglante :
« Aujourd’hui, cherchant à reconquérir leur influence, ils [les écrivains français] le font de manière agressive […]. Il est peu délicat de la part de M. Mauriac de se mêler des questions de politique canadienne, comme il était impertinent de la part de l’ambassadeur de France de critiquer les lois du pays où il est accrédité. Ce n’est pas à nous de décider si les tribunaux parisiens doivent condamner Henry Miller. Pourquoi M. Mauriac, se croit-il le droit – qu’il nous refuserait et à juste titre dans le cas de Miller – d’intervenir dans nos affaires ? »
71Un objet de controverse qui témoigne pour le moins d’une incompréhension mutuelle que la question de l’épuration du monde des lettres, à l’œuvre en France à l’époque, va exacerber encore.
Le refus d’être considérés comme des traîtres
72« Quoiqu’en disent Aragon et Cassou, les Canadiens français ne sont pas des traîtres178 » écrit Charbonneau le 17 mars 1947, en réponse à des attaques des Lettres françaises179 qui accusent les éditeurs québécois de continuer à publier des auteurs épurés et de faire preuve ainsi d’un « Maurrassisme impénitent ». De fait, bien qu’ayant constitué un espace de diffusion largement ouvert à la France libre et à la Résistance, les éditeurs québécois refusent après 1945 de céder aux injonctions du CNE (Comité national des écrivains) et de retirer de leurs catalogues des écrivains frappés d’interdits en France180. Peu suspect d’un quelconque soutien même implicite à Vichy ou à l’idéologie de la collaboration181, Robert Charbonneau réagit vivement à titre personnel mais aussi sans doute pour défendre l’honneur d’une profession voire d’une communauté182 même s’il n’a, a priori, aucun mandat pour le faire.
« Il est regrettable que les premiers à mentionner le nom des éditions de l’Arbre à Paris le fassent pour nous reprocher un ouvrage indifférent alors qu’ils n’ont pas trouvé un petit espace pour parler des livres tels que ceux de Jacques Maritain, de Georges Bernanos, du comte Sforza, de Cohen, de la collection France Forever… Si Les Lettres françaises ont le sens de la justice, il y a une manière de le prouver. Qu’elles jugent L’Arbre sur les 160 titres parus depuis 1940. Cette liste peut se comparer aux plus belles de la Résistance183. »
73Son indignation repose d’abord sur le refus d’être solidaire d’une épuration qui n’est pas la sienne. On retrouve ici un sentiment déjà exprimé à l’occasion du procès Pétain, à savoir la volonté de ne pas transposer au Québec une guerre « franco-française » : « La France a eu et elle garde toute notre sympathie, mais nous devions et nous devons toujours refuser de suivre une partie des français dans l’intolérance, la division, la haine. Notre mal ne guérirait pas le leur184. » Une lecture qui reprend la position qui a longuement prévalu pendant la Seconde Guerre mondiale au Québec mais aussi ailleurs185, celle d’un conflit d’abord et principalement « européen » au risque parfois de ne pas en saisir les implications idéologiques. Sous cet angle, il est certain que Charbonneau, comme nombre de Québécois trop éloignés de la scène française et de son cortège de souffrances, ne perçoit ni l’urgence ni la nécessité de l’épuration en France. Il apparaît plutôt sincèrement heurté par l’ampleur de l’épuration qui frappe les gens de plume et par certaines de ses procédures. Il exprime notamment son aversion pour la reprise et l’inversion du principe des « listes noires d’ouvrages ou d’écrivains indésirables186 ». Il y voit une pratique comparable aux autodafés totalitaires ou dignes de l’Inquisition187. Ainsi, à contrecourant de ses homologues français, il tend à vouloir distinguer création littéraire et engagement politique. Selon lui, le talent et la qualité littéraire d’une œuvre ne peuvent se confondre avec le comportement politique ou criminel de son auteur, dont il admet qu’en certaines circonstances, il peut relever des tribunaux.
« Sur le plan judiciaire, aucune discussion n’est possible. Si M. Cassou juge que Maurras est un ennemi de son pays, c’est une question pour les tribunaux, mais quel que soit le verdict, il ne saurait engager le talent. […] Maurras a été jugé par des tribunaux mais son œuvre, comme celle des autres collaborateurs n’est pas justiciable des mêmes tribunaux188. »
74Au même moment en France, « le talent est un titre de responsabilité » selon de Gaulle et il constituait fréquemment une circonstance aggravante189. Enfin, pour délégitimer ses contradicteurs, il n’hésite pas à brandir la menace communiste, reprenant ici une représentation fréquente d’une Europe et d’une France sous l’influence grandissante des communistes. Un argument commode et facile au sein d’un Québec de Duplessis où l’anticommunisme est quasi officiel depuis l’adoption de la loi dite du cadenas en 1937 et exacerbé par l’entrée en guerre froide. Ainsi, les épurateurs du CNE et Aragon en tête sont traités de « fanatiques », animés « de l’esprit du Parti » qui perçoivent la réalité au prisme « de leurs oeillères » ou de « leurs verres colorants190 ». Bien entendu, Charbonneau a par ailleurs beau jeu de stigmatiser la difficulté de ses adversaires à voir la vérité en face alors qu’au même moment, Les Lettres Françaises attaquent et condamnent unilatéralement Arthur Koestler pour sa dénonciation du système soviétique191. Inversement, l’aveuglement reproché à ses détracteurs ne l’épargne pas totalement lorsqu’en contradiction avec ses propres convictions, il dénie toutes qualités à la production littéraire issue de la Résistance qu’il a pourtant accueillie à bras ouverts en 1945192.
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75 In fine, cette querelle nous dit bien l’ambivalence des relations culturelles entre la France et le Canada français à l’époque193. Si la France reste une référence incontournable, y compris parfois pour mieux s’en détacher, la volonté d’un rapport moins exclusif et plus égalitaire gagne du terrain au sein d’élites en quête de modernité et d’une identité encore incertaine194. Robert Charbonneau incarne parfaitement cette évolution accélérée par la guerre, même si, à cette date, il reste sans doute minoritaire, y compris dans son milieu. En effet, la situation n’est pas encore mûre pour sa cause « autonomiste » et « non-conformiste » qui ne touchera un large public qu’à partir des années 1960. Ainsi René Garneau, critique littéraire avisé du journal Le Canada et très francophile, estime que Charbonneau se trompe de combat dans cette querelle195. Pour lui, la fidélité à la littérature française est non seulement souhaitable mais nécessaire. Mieux, il reproche au(x) partisan(s) de l’autonomie de la littérature canadienne de faire le jeu des conservateurs ou cléricaux canadiens hostiles, par principe, à « l’humanisme libéral » et qui n’hésitent pas, pour ce faire, à adopter des positions résolument « antifrançaises196 ». Ce Journal d’une querelle n’en constitue pas moins, à l’échelle du champ littéraire, un document fondateur, au même titre que le manifeste Refus global publié la même année (1948) par Borduas pour les arts picturaux197. Il est vrai également que, dans cette controverse, Charbonneau connaît beaucoup mieux ses « adversaires » ou leurs œuvres que l’inverse. Une fréquente méconnaissance de l’Autre, chez bon nombre de ses collègues et confrères français, que soulignera Étienne Gilson, un de ses rares soutiens en France dans cette affaire :
« Le Canada est-il une branche de l’arbre de la France ? […] Le Canada se souvient de bien des choses, car non seulement il a une mémoire, il en est une. Il se souvient d’avoir été une branche de l’arbre français, mais aussi d’en avoir été coupé, puis laissé sur le sol, d’y avoir tout seul pris racine, d’avoir vécu sans nous, grandi sans nous, conquis par son seul courage, par sa seule perspicacité et par une continuité de vues qui ne nous doit rien le droit à sa propre langue, à ses propres méthodes d’éducation et à sa propre culture. Si nous sommes l’arbre, jamais arbre ne s’est moins soucié de sa branche. Qu’il s’en soucie aujourd’hui, rien de mieux, mais ce qu’il retrouve, après l’avoir si longtemps négligé, ce n’est plus une branche, c’est un arbre : un arbre de même espèce que lui, mais un autre arbre, qui est un arbre comme lui. […] Il existe, sur les rives du Saint Laurent, un peuple de culture française, mais ce peuple ne nous la doit pas, elle est à lui et si elle circule en lui comme une sève, ce n’est pas notre sève, c’est la sienne198. »
76Dans une lecture plus politique, cette controverse est également riche d’enseignements, pour peu qu’on ne la considère pas isolément. Au Québec d’abord, elle traduit des réticences certaines à l’égard du processus d’épuration engagé en France à l’époque. Elle pourrait y être rapprochée du réquisitoire contre l’épuration de Gabriel Marcel, publié en 1946 dans La Nouvelle Relève, sous le titre « Philosophie de l’épuration : contribution à une théorie de l’hypocrisie dans l’ordre politique199 ». Il y regrette les excès d’une procédure, dont il est l’un des acteurs comme membre du CNE, et notamment la pratique des listes noires. Dans la même veine, mais du Mexique cette fois, Benjamin Péret200, dans le Déshonneur des poètes en 1945, dénonce le « stalinisme littéraire » d’Aragon et Éluard, et leur volonté de mise au pas des écrivains au service d’un « parti triomphant ». Au-delà, mais toujours sur le volet réception de l’épuration stricto sensu, il y aurait intérêt à comparer cette « querelle » avec d’autres textes contemporains qui ont notamment en commun de s’adresser à ou d’émaner de membres du CNE201. En effet, elle s’inscrit à sa façon, sans les recouper strictement, dans les dissensions internes à cette structure entre tenants de l’indulgence et partisans de la fermeté202. Perceptibles dès 1944, ces tensions conduisent à des démissions en cascade au sein du CNE, notamment en 1946-1947 : Albert Camus, Jean Paulhan, Georges Duhamel, François Mauriac, les frères Tharaud, Gabriel Marcel… Ces dernières s’accompagnent de nombreuses lettres ouvertes ou publications203 qui prolongent sous un jour différent mais complémentaire notre querelle. Autour de l’épuration et de la question sous-jacente de la responsabilité de l’écrivain, l’ensemble constitue un corpus convergent qui éclaire l’entrée dans une nouvelle ère de l’engagement204 « qui oublie la communion spirituelle de la Résistance et les espoirs qu’un tel mouvement avait fait naître205 ». La pluralité de ces regards internes et externes, entre sortie de la Seconde Guerre mondiale et entrée dans la guerre froide, témoigne des recompositions en cours dans le paysage intellectuel français, y compris et surtout au sein des milieux issus de la Résistance.
Notes de bas de page
1 Jean-François Nadeau, Adrien Arcand Führer canadien, Montréal, Lux, 2010, p. 311.
2 Notons néanmoins qu’il n’est pas ignoré et que Denis Peschanski par exemple s’en faisait l’écho tout en appelant à des travaux complémentaires : « Au même moment, d’autres pays démocratiques en usèrent de façon comparable (ainsi en Angleterre, au Canada puis aux États-Unis). Les modalités en furent parfois différentes et la comparaison devrait permettre aussi de mesurer le poids des présupposés idéologiques », Denis Peschanski, La France des camps, L’internement 1938-1946, Paris, Gallimard, 2002, p. 487.
3 Au moins 34 000 prisonniers de guerre allemands (PGA) disséminés en 25 camps, selon Martin F. Auger, Prisonniers de guerre et internés allemands dans le sud du Québec 1940-1946, Outremont, Athéna éditions, 2010, p. 9.
4 Environ 4 000 civils allemands (souvent réfugiés mais aussi marins de la marine marchande…). L’impératif de sécurité intérieure aboutit parfois à des aberrations. Ainsi, de 1941 à 1943, 300 juifs allemands sont internés au fort de l’île aux Noix au milieu de la rivière Richelieu. De même, dans les cantons de l’Est, à Sherbrooke, des juifs sont internés avec des PGA, Martin F. Auger, op. cit., p. 8 et Jean-François Nadeau, Adrien Arcand…, op. cit., p. 264.
5 On peut penser aux travaux de Ted Jones sur le camp de Fredericton, William et Kathleen Repka sur les internés communistes, Ken Adachi et Patricia E. Roy sur les japonais, Franca Iacovetta sur les Italiens, Andrée Laprise sur le camp de femmes de Kingston ou encore sur ces politiques à des échelles plus vastes Jonathan F. Vance ou Bodhan Kordan.
6 En particulier pour la population asiatique au sujet de laquelle Martin F. Auger souligne, non sans raison, « La relocalisation et l’internement des civils d’origine japonaise par les gouvernements canadien et américain nous rappellent que certaines démocraties n’ont pas hésité à brimer certaines minorités ethniques au nom de la sécurité nationale », Martin F. Auger, op. cit., p. 37. Le journal Le Devoir parle de plus de 20 000 nippo-canadiens concernés par ces opérations d’internement, de déplacement forcé mais aussi de séquestre des biens… « À la mémoire des Japonais du Canada », Le Devoir, 11 juillet 2006, P. A1. En fait, il apparaît que 22 000 Canadiens-Japonais (Japonais, Canadiens naturalisés et Canadiens nés) pour l’essentiel de Colombie-Britannique, ont été internés et/ou relocalisés dans d’autres provinces canadiennes pendant le conflit, non sans confiscation totale ou partielle de leurs biens. En 1946, près de 3 000 d’entre eux sont « rapatriés volontairement » au Japon, en fait, dans la plupart des cas, expulsés. Pour une bonne mise au point sur le sujet, Patricia E. Roy, The Triumph of Citizenship : The Japanese and Chinese in Canada, 1941-1967, Vancouver, UBC Press, 2007.
7 Prioritairement dans les milieux fascistes dont les principaux leaders sont arrêtés : Joseph Farr à Toronto, John Schio en Saskatchewan, John Lynd au Manitoba, C. S Thomas en Colombie Britannique, Daniel O’Keefe au Nouveau Brunswick et William Mc Duffen Nouvelle Écosse… Jean-François Nadeau, Adrien Arcand…, op. cit., p. 256.
8 The Montreal Daily Star, 28 mai 1940, p. 3, cité par Jean-François Nadeau, Adrien Arcand…, op. cit., p. 375. Craignant d’être arrêtées, certaines personnes optent pour l’exil notamment au Québec dans la mouvance nationaliste radicale voire « séparatiste » : c’est le cas des frères O’Leary des Jeunesses patriotes ou de Paul Bouchard de La Nation qui partent en Amérique du Sud.
9 Sur ce camp qui regroupe toutes les catégories d’internés voir Lucile Chaput, L’internement au Canada durant la Seconde Guerre mondiale. Le camp de Petawawa 1939-1946, mémoire de master 2 d’histoire contemporaine, université Rennes 2, juin 2014.
10 Maire d’une ville où réside une forte communauté italienne, il déclarait bien imprudemment le 7 février 1939 : « Les canadiens français de la province de Québec sont fascistes par le sang sinon par le nom et, si l’Angleterre doit aller en guerre contre l’Italie, leurs sympathies iront vers les italiens », cité par Jean-François Nadeau, Adrien Arcand…, op. cit., p. 263.
11 Réponse de l’honorable Stuart Sinclair Garson, ministre de la Justice et Procureur général du Canada à M. McCullough (député de Assiniboïa), BUL, Compte-rendu officiel des Débats de la Chambre des Communes, 1949, séance du 2 mars 1949, p. 1090. Notons que, dans la même réponse, il avance également le chiffre de 133 communistes.
12 Jean-François Nadeau, Adrien Arcand…, op. cit., p. 267.
13 Éric Amyot, Le Québec entre Pétain et de Gaulle, Montréal, Fides, 1999, p. 332. La phrase complète est la suivante : « La victoire du général de Gaulle n’a d’ailleurs pas totalement dissipé chez certains le désir d’en découdre avec cette France laïque et républicaine que l’on refuse toujours d’accepter. L’épuration en France allait être l’occasion de reprendre la lutte entre gaullistes et pétainistes. »
14 Sur ce point, lire Henry Rousso, Un château en Allemagne La France de Pétain en exil, Sigmaringen 1944-1945, op. cit., mais aussi Jean-Paul Cointet, Sigmaringen La France en Allemagne, op. cit.
15 Fabrice Mosseray, « L’opinion des Canadiens-français envers le général de Gaulle et le maréchal Pétain : 1940-1946 », Bulletin d’histoire politique, 3,3-4 (printemps-été 1995), p. 175.
16 Cité par Fred Kupferman, Le procès de Vichy : Pucheu, Pétain, Laval, Bruxelles, Complexe, 1980, p. 72.
17 Bénédicte Vergez-Chaignon, Histoire de l’épuration, Paris, Larousse, 2010, p. 488.
18 Des membres de l’entourage de Pétain semblent avoir entrepris des démarches en ce sens notamment monsieur Jardin. Voir, MAE, 28CPCOM/5, plusieurs notes de l’ambassade de France en Suisse, avril 1945.
19 En particulier, Walter Stucki, sous-secrétaire d’État aux affaires étrangères mais aussi ex-ambassadeur de la Suisse à Vichy (et représentant des intérêts de 19 pays dont les États-Unis à compter de novembre 1942).
20 Trois magistrats vont principalement animer le procès Pétain : le juge Bouchardon, en charge de l’instruction, le premier président Mongibeaux et le procureur Mornet. S’ils n’ont pas siégé dans les multiples juridictions d’exception installées par Vichy et bien que parfois membre de la Résistance (Mornet), aucun d’entre eux n’a été véritablement irréprochable pendant la guerre. Cf. Alain Bancaud, Une exception ordinaire. La magistrature en France 1930-1950, Paris, Gallimard, 2002.
21 En réintroduisant notamment des jurys, comme en cours d’assises.
22 Fred Kupferman, op. cit., p. 89.
23 Le Figaro du 24 juillet 1945, extrait cité par Fred Kupferman, op. cit., p. 74.
24 Cet article réprime notamment les attentats dont le but est la destruction ou le changement de gouvernement.
25 Sylvie Guillaume, Les Québécois et la vie politique française 1914-1969 : parenté et dissemblances, Thèse de doctorat de IIIe cycle, université Bordeaux 3, 1975, p. 129-143.
26 Lise Quirion, « La presse québécoise d’expression française face au procès du maréchal Pétain », Bulletin d’histoire politique, 7/2, hiver 1999, p. 43-58.
27 Fabrice Mosseray, « L’opinion des Canadiens français envers le général de Gaulle et le maréchal Pétain : 1940-1946 », Bulletin d’histoire politique, 3/3-4, été 1995, p 168-177.
28 MAE, 28CPCOM/5 et 6. Il s’agit des analyses des réactions de la presse étrangère aux procès Pétain et Laval par le personnel diplomatique français en poste à l’étranger. Comportant de larges extraits voire des coupures de presse, cette source reste marquée par un regard français et « diplomatique ». Notons cependant que les diplomates semblent particulièrement attentifs à restituer la diversité des réactions enregistrées dans leur pays de résidence. En absence de « sources d’opinion » comme il peut en exister en France (sources administratives ou de police : rapports des préfets, RG…), il faut ici admettre les limites des sources consultées. Les analyses des milieux diplomatiques sont bien entendu à corréler avec les cercles assez restreints qu’ils fréquentent. De manière classique, la presse nous en apprend autant sinon plus sur la ligne du journal étudié que sur son lectorat, qui ne recoupe pas lui-même l’intégralité de la société québécoise, malgré l’expansion indéniable de la presse, quotidienne durant le premier vingtième siècle. Ainsi, les sources croisées privilégient sans doute une réception de l’événement par des catégories socialement et culturellement moyennes ou favorisées au détriment relatif des classes les plus populaires urbaines et plus encore rurales.
29 MAE, 28CPCOM/5, Monsieur Jean de Hauteclocque, ambassadeur de France à Ottawa au MAE, le 23 août 1945.
30 Fabrice Mosseray, op. cit., p 175.
31 MAE, 28 CPCOM/5, Jean de Hauteclocque ambassade de France à Ottawa, le 23 août 1945.
32 MAE, 28 CPCOM/5, Ambassade de France à Londres, René Massigli, le 3 septembre 1945.
33 Le Devoir a un tirage quotidien d’environ 20 000 exemplaires à l’époque ce qui n’est pas énorme au regard de la population de la province du Québec (En 1945, le Canada compte 12,1 millions d’habitants dont 3,6 millions pour le seul Québec) mais son influence réelle va au-delà car il est souvent lu comme l’organe de l’élite « nationaliste » canadienne-française. De ce fait, il est présenté, à juste titre, comme un journal incontournable dans le paysage politique et médiatique de la province du Québec.
34 Sylvie Guillaume, op. cit., p. 141.
35 Lise Quirion, op. cit., p. 50.
36 Cf. MAE, Série Amérique, Sous-série Canada, 83 QO/16, revue de presse canadienne des services de l’Ambassade au MAE, 1948-1952. Autre exemple de ces mentions laconiques parce qu’habituelles à son sujet dans les revues de presse réalisées par quinzaine : « Le Devoir a comme d’habitude publié de longs articles sur le sort de Maurras et Pétain », 1er et 15 avril 1950. Notons néanmoins que durant les années 1950, sous l’égide d’une nouvelle équipe dirigeante (notamment André Laurendeau), Le Devoir va s’éloigner de cette ligne traditionaliste pour évoluer vers un nationalisme modernisé et laïcisé.
37 Au niveau fédéral, le pouvoir appartient aux libéraux sous la direction de Mackenzie King d’abord jusqu’en 1948 puis avec Louis Saint Laurent comme chef du gouvernement de 1948 à 1957.
38 Nous reprenons ici la classification de Robert Arcand, « Par presse libérale, nous entendons l’ensemble des journaux qui prônent les grandes valeurs libérales de démocratie, de liberté et de progrès », Robert Arcand, « Pétain et de Gaulle dans la presse québécoise », RHAF, 44/3, hiver 1991, p. 365. Rappelons que les libéraux ont été au pouvoir au Québec de 1939 à 1944 avec Adélard Godbout comme premier ministre. Le Canada, (Montréal), est souvent considéré comme l’organe « officieux » du parti libéral fédéral. Il tirait à 15 000 en 1940. Le Soleil (de Québec) est durant la Seconde Guerre mondiale la propriété du sénateur libéral Jacob Nicoll (tirage, 59 600 en 1940).
39 Fernande Roy a été l’une des premières à dénoncer cette centralité accordée dans l’historiographie au seul discours clérico-nationaliste. Cf. Fernande Roy, Progrès, harmonie, liberté : le libéralisme des milieux d’affaires francophones de Montréal au tournant du siècle, Montréal, Boréal, 1989. Force est de constater que cette lecture monolithique visant à faire de la pensée libérale un courant marginal au premier vingtième siècle a encore la vie dure. Pour autant, les estimations des tirages respectifs de la presse libérale et de la presse clérico-nationaliste sont en effet à l’époque beaucoup plus proches qu’on ne l’imagine : ainsi, Le Canada et Le Soleil pèsent presque aussi lourds que Le Devoir et L’Action catholique.
40 MAE, 28CPCOM/5, extrait du Soleil cité par Monsieur Jean de Hauteclocque, ambassadeur de France à Ottawa, le 23 août 1945.
41 Le Soleil, 15 août 1945, cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 131.
42 Le Canada, 25 juillet 1945, cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 130.
43 Lise Quirion, op. cit., p. 53-54. L’Événement-Journal est un quotidien de Québec. Notons qu’il y a hésitation sur son positionnement politique : pour Éric Amyot, il appartient au sénateur libéral Nicoll comme Le Soleil ou le journal trifluvien Le Nouvelliste. De fait, il semble bien relever de la mouvance libérale (tirage : 17 000 en 1940, selon Florent Lefebvre).
44 Le Jour du 18 août 1945, cité par Lise Quirion, op. cit., p. 54.
45 Le Soleil, 15 août 1945, cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 131.
46 Le Jour est un hebdomadaire, « d’allégeance libérale », cf. Florent Lefebvre, « La presse canadienne-française et la guerre », dans Beauregard Claude, Bernier Serge, Munn Edwidge (dir.), La presse canadienne et la Deuxième guerre mondiale, Institut Canadien des affaires internationales, 1997, p. 42-43. Selon Robert Arcand, il est néanmoins sur une ligne politique plus radicale que Le Canada ou Le Soleil qui incarneraient davantage un courant « libéral conservateur ». Une façon de rappeler qu’il n’existe pas un libéralisme mais des libéralismes dans le paysage politique canadien de l’époque.
47 Ainsi, il commente le verdict en ces termes : « Quels que soient les sentiments de sympathie que l’on éprouve pour l’ancien héros de Verdun, on ne saurait le déclarer victime d’un jugement inique de ses pairs. » MAE, 28 CPCOM/5, extrait cité par Monsieur Jean de Hauteclocque, ambassadeur de France à Ottawa, le 23 août 1945.
48 Quotidien de Montréal, sans allégeance politique revendiquée, il s’agit d’un journal d’information à grand tirage (140 000 en 1940, selon Florent Lefebvre).
49 MAE, 28 CPCOM/5, extrait du Montréal Daily Star cité par Monsieur Jean de Hauteclocque, ambassadeur de France à Ottawa, le 23 août 1945.
50 Sylvie Guillaume, op. cit., p. 131.
51 MAE, 28 CPCOM/5, Le rapport précise que la grâce accordée par de Gaulle « n’a pas été commentée dans la presse canadienne de langue anglaise qui l’escomptait généralement ». Monsieur Jean de Hauteclocque, ambassadeur de France à Ottawa, le 23 août 1945.
52 Nous empruntons toujours à la classification de Robert Arcand, « La presse clérico-nationaliste propose une hiérarchie des valeurs axée sur la primauté de concepts traditionnels, tels la famille, le ruralisme, le respect de l’ordre social et l’obéissance à l’Eglise catholique, définis comme les conditions essentielles à la survie du peuple canadien-français », Robert Arcand, « Pétain et de Gaulle dans la presse québécoise », RHAF, 44/3, hiver 1991, p. 365. Le caractère élitaire de son lectorat dans les milieux catholiques (L’Action Catholique) ou « nationaliste » (Le Devoir) souvent souligné a certainement contribué depuis à l’attention très (trop ?) importante qu’on lui a accordée jusqu’alors, y compris dans l’historiographie. De même Robert Arcand souligne avec raison que pas plus que la presse libérale, ce courant ne constitue un bloc homogène. Ainsi, il rappelle opportunément que durant la guerre, Le Devoir s’oppose farouchement à toute participation directe du Canada (et des canadiens français) au conflit alors que L’Action Catholique, influencée par la position du Cardinal Villeneuve notamment, défend une position différente et soutient l’effort de guerre canadien.
53 Le Devoir, 19 juin 1945, cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 122.
54 Le Devoir, 16 août 1945, éditorial de P. Sauriol cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 134.
55 MAE, 28 CPCOM/5, extrait cité par Monsieur Jean de Hauteclocque, ambassadeur de France à Ottawa, le 23 août 1945. L’Action Catholique, quotidien de Québec tire à environ 60 000 exemplaires en 1940 ; il est souvent considéré comme l’organe de l’élite catholique et des milieux ecclésiastiques.
56 L’Action Catholique, 15 août 1945, cité par Lise Quirion, op. cit., p. 55.
57 C’est un hebdomadaire à la solde de L’Union Nationale, parti de Maurice Duplessis au pouvoir au niveau provincial de 1944 à 1959.
58 Le Temps, le 17 août 1945, cité par Lise Quirion, op. cit., p. 55.
59 La Patrie, 15 août 1945, extrait cité par Lise Quirion, op. cit., p. 54. La Patrie, quotidien de Montréal, tire à 12 000 exemplaires en 1940. Il est considéré sans allégeance politique par Florent Lefebvre alors que Sylvie Guillaume le range plutôt dans le camp « nationaliste » et que Lise Quirion place ce journal du côté de la « presse conservatrice ».
60 Ils soulignent la suspicion initiale et durable des américains notamment à l’égard du général de Gaulle et du GPRF, tout en jouant habilement du soutien plus immédiat et spontané de Moscou. C’est la ligne du journal Le Devoir en 1944-1945.
61 C’est la position de P. Vigeant dans Le Devoir en 1944-1945. Cf. Sylvie Guillaume, op. cit., p. 119-121.
62 Le Devoir, dans son édition du 11 septembre 1944, souligne que « Le groupe du général de Gaulle, au contraire ne tenait son mandat que d’un petit groupe d’émigrés, prétendant parler au nom de la France […] », extrait cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 121.
63 L’Action Nationale, no 6, juin 1945, extrait cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 139. L’Action nationale est une revue fondée en 1933 par Lionel Groulx. Ce dernier est l’un des maîtres à penser du nationalisme des canadiens-français du premier vingtième siècle.
64 Le Devoir, éditions des 5 et 7 septembre 1945, cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 137 et 142.
65 Bénédicte Vergez-Chaignon, Histoire de l’épuration, Paris, Larousse, 2010, p. 493.
66 Henry Rousso, « Une justice impossible. L’épuration et la politique antijuive de Vichy », Annales ESC, mai-juin 1993, no 3, p. 751.
67 Sept jours d’audiences complets sur les 17 sont consacrés à leurs auditions.
68 Bénédicte Vergez-Chaignon, op. cit., p. 494.
69 La Patrie, 15 août 1945, extrait cité par Lise Quirion, op. cit., p. 54.
70 C’est par exemple la position de L’Action Catholique.
71 « Il a fait des erreurs ? Qui n’en a fait dans le chaos de la défaite et de l’occupation ? Mais pourquoi ces cris de trahison et ce procès lamentable […] ? », dans la revue jésuite Relations, septembre 1945, no 57, extrait cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 136.
72 L’Action Nationale, juin 1945, extrait cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 136. On notera combien le choix des mots trahit clairement les inclinaisons de la revue, notamment l’opposition entre « nous n’approuvons pas tout » et « nous ne condamnons pas tout ».
73 L’Action Catholique, 15 août 1945, extrait cité par Lise Quirion, op. cit., p. 55.
74 La Patrie, 24 juillet 1945, extrait cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 135.
75 Le Devoir, 15 août 1945, cité par Lise Quirion, op. cit., p. 56.
76 Relations, septembre 1945, no 57, extrait cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 136.
77 Éric Amyot, Le Québec entre Pétain et de Gaulle, op. cit., p. 332.
78 Le Devoir, 20 mars 1944, éditorial de Pierre Vigeant, extrait cité par Éric Amyot, op. cit., p. 312-313.
79 Le Canada, 22 mars 1944, extrait cité par Éric Amyot, op. cit., p. 313. Une référence à Quisling qui montre que son nom s’impose très vite en Europe et ailleurs comme le « stéréotype » de la collaboration au point de devenir un nom commun pour la désigner.
80 Lise Quirion, « La presse québécoise d’expression française face au procès du maréchal Pétain », Bulletin d’histoire politique, 7/2, hiver 1999, p. 43.
81 Sylvie Guillaume, op. cit., p. 145.
82 C’est la position de L’Action Catholique : Laval est le principal artisan des politiques les plus répréhensibles.
83 C’est le périodique anglophone le plus lu après-guerre au Québec avec la Gazette de Montréal. Voir ici son édition du 2 août 1945, dans Sylvie Guillaume, op. cit., p. 131-132.
84 MAE, 28 CPCOM/5, extrait cité par Monsieur Jean de Hauteclocque, ambassadeur de France à Ottawa, le 23 août 1945.
85 La Patrie, 24 juillet 1945, extrait cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 135.
86 On retrouvera souvent cet argument dans l’affaire Bernonville.
87 Le Devoir, 16 août 1945, éditorial de P. Sauriol cité par Sylvie Guillaume, op. cit., p. 134.
88 Émile Garçon (dir.), Code pénal annoté, Paris, Sirey, 1952, p. 275, art. 219-222.
89 Fred Kupferman, Les procès de Vichy : Pucheu, Pétain, Laval, Bruxelles, Complexe, 1980, p. 125.
90 Fred Kupferman, op. cit., p. 86.
91 Robert Arcand, op. cit.
92 Presse française dans laquelle on retrouverait sans peine les partisans de l’indulgence (Le Figaro), de la fermeté (L’Humanité) ou de la neutralité plus ou moins bienveillante.
93 Du moins dans la limite des sondages disponibles : en septembre 1944, 64 % des sondés ne souhaitent pas de peine pour Pétain. À compter de janvier 1945, la proportion s’inverse et toujours plus des deux tiers des Français souhaitent une sanction. Ce faisant, que cela soit avant ou pendant son procès, on n’enregistre jamais plus de 44 % d’avis favorables à la peine de mort. Bulletin d’information de l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP), cités par Peter Novick, L’épuration française, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1985, p. 274.
94 Pour conserver sa cohérence à la comparaison, je me limite à ces derniers. Les cas de l’Espagne ou du Portugal, par exemple, sont, en raison de la nature de leur régime, sensiblement différents et non abordés ici, bien que présents dans nos sources.
95 MAE, 28 CPCOM/5, Note M. de Vaux Saint Cyr, ministre de France en Suède à G. Bidault MAE, le 23 août 1945.
96 MAE, 28 CPCOM/5, Ambassade de France, René Massigli à Bidault MAE, le 3 septembre 1945.
97 MAE, 28 CPCOM/5, Monsieur G. Remerand, Consul de France à Florence au MAE, le 10 octobre 1945.
98 MAE, 28 CPCOM/5, Notes de l’ambassadeur de France en Suisse (Henri Hoppenot), les 18 avril et 2 mai 1945.
99 MAE, 28 CPCOM/5, Télégramme de L’ambassadeur de France en Suisse (Henri Hoppenot), le 17 août 1945.
100 MAE, 28 CPCOM/5, Télégramme de Monsieur Rivière, au MAE, le 18 août 1945.
101 MAE, 28 CPCOM/5, Télégramme d’Athènes, le 19 août 1945.
102 MAE, 28 CPCOM/5, Henri Bonnet, ambassade de France Washington, à Bidault, MAE, le 5 mai 1945.
103 MAE, 28 CPCOM/5, Ambassade de France, René Massigli à Bidault MAE, le 3 septembre 1945.
104 MAE, 28 CPCOM/5, Note M. de Vaux Saint Cyr, ministre de France en Suède à G. Bidault MAE, le 23 août 1945. Pour les suédois, Quisling symbolise la figure du traître qui a reçu son pouvoir des Allemands, alors que le cas de Pétain reste plus ambigu.
105 MAE, 28 CPCOM/5, Note de l’ambassadeur de France en Suisse (Henri Hoppenot), le 23 août 1945.
106 MAE, 28 CPCOM/5, Télégramme de l’ambassadeur de France en Suisse (Henri Hoppenot), le 17 août 1945.
107 MAE, 28 CPCOM/5, La Nation Belge du 14 août 1945.
108 MAE, 28 CPCOM/6, note de René Massigli, ambassadeur à Bidault MAE, le 16 octobre 1945.
109 MAE, 28 CPCOM/6, Télégramme de Hoppenot, Berne, le 10 octobre 1945.
110 MAE, 28 CPCOM/6, Légation de France en Suède, le 22 octobre 1945.
111 MAE, 28 CPCOM/5, La presse italienne regrette parfois « qu’on n’ait pas établi les responsabilités de ceux qui conduisirent la France au désastre militaire », cf. Monsieur G. Remerand, Consul de France à Florence au MAE le 10 octobre 1945 ; Pour le New York Times, ce procès ne saurait être seulement celui d’un homme mais aussi celui de « toute une classe dirigeante française », Henri Bonnet, ambassade de France Washington, à Bidault MAE le 5 mai 1945.
112 MAE, 28 CPCOM/5, Ambassade de France, René Massigli à Bidault MAE, le 3 septembre 1945.
113 MAE, 28 CPCOM/5, Ambassade de France, René Massigli à Bidault, MAE, le 3 septembre 1945 : la décision de De Gaulle a été bien accueillie dans l’opinion car « l’exécution d’un vieillard eut choqué ».
114 MAE, 28 CPCOM/5, Henri Bonnet, ambassade de France, Washington, le 5 mai 1945. Aux États-Unis, où dans l’ensemble « la presse américaine n’a pas manifesté à l’égard de Pétain une sévérité particulière ». L’ambassadeur français ajoutant : « Mais si l’opinion américaine paraît souhaiter, qu’en raison de son grand âge, Pétain échappe aux peines les plus dures, elle ne lui témoigne aucune sympathie. »
115 Par référence au titre du recueil d’articles de Joseph Kessel, Jugements derniers. Les procès Pétain, de Nuremberg et Eichmann, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2007.
116 François Mauriac, dans Le Figaro du 16 août 1945, extrait cité par Fred Kupferman, op. cit., p. 126-127. Catholique et Résistant, Mauriac incline clairement à la Libération pour la modération en matière d’épuration au point d’hériter du surnom de « Saint François des Assises ».
117 Il s’agit du cousin du général Leclerc, lui-même très apprécié au Canada. D’ailleurs, au moment de sa disparition brutale en décembre 1947, les archives diplomatiques françaises évoquent de nombreux hommages et des manifestations de sympathie dans toutes les villes canadiennes où la France dispose de représentations consulaires. MAE, 83 QO/71. Notons que le général Leclerc était également parent de Pauline Vanier (épouse de Georges Vanier, ambassadeur du Canada à Paris de 1945 à 1954).
118 Éric Amyot, op. cit., p. 331.
119 « Mais ces derniers zélateurs du maréchal Pétain livrent un combat d’arrière-garde. La réalité socioéconomique du Québec les rattrape et rend illusoire le Canada français dont ils rêvent. Certes, une partie du clergé et de l’élite canadienne-française essaie, du mieux qu’il le peut, de freiner le processus, mais c’est peine perdue… », Éric Amyot, op. cit., p. 336.
120 Robert Charbonneau, La France et nous. Journal d’une querelle, Montréal, éd. de l’Arbre, 1947, rééd Bibliothèque Québécoise, 1993, p. 35. La réédition de 1993 est une édition critique de la version originale, présentée par Elisabeth Nardout-Lafarge. Cette dernière est titulaire d’une thèse sur Le champ littéraire québécois et la France 1940-1950, Thèse Ph. D., Littérature, université McGill, 1987. Je remercie le professeur Yvan Lamonde (université McGill) d’avoir attiré mon attention sur ce document important. Sur le contexte propre à cette partie, voir Philippe Roy, Le livre français au Québec 1939-1972, Paris, Publibook, 2008.
121 Robert Charbonneau (1911-1967) a alors 36 ans : fondateur et directeur des éditions de L’Arbre de 1940 à 1948, journaliste (La Patrie, Le Canada), il est déjà un auteur connu et reconnu au Canada (roman et essai) où il est par ailleurs l’un des fondateurs et principaux animateurs de la revue La Relève (1934), devenue La Nouvelle Relève (1941). De 1945 à 1948, il préside la société des éditeurs canadiens de langue française.
122 Ce petit opuscule se compose de 23 articles majoritairement publiés dans la revue La Nouvelle Relève entre février 1946 et juin 1947 en réponse à certains intellectuels français comme Louis Aragon, Jean Cassou, François Mauriac ou Georges Duhamel qui eux écrivent principalement dans Les Lettres Françaises, Le Monde ou Le Figaro. Sur la forme, précisons que, si Robert Charbonneau cite abondamment ses sources et « ses adversaires », son journal, présenté sur un mode épistolaire, reste une vision unilatérale.
123 Données tirées de Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, François Ricard (dir.), Histoire du Québec contemporain : le Québec depuis 1930, tome 2, Montréal, Boréal, nouvelle édition, 1989, p. 185. Gérard Bouchard confirme ce constat : « Une enquête réalisée en 1939 à l’échelle canadienne révélait aussi que les francophones étaient ceux qui lisaient le moins et qui étaient les plus mal équipés en bibliothèques publiques. », Gérard Bouchard, La pensée impuissante. Échecs et mythes nationaux canadiens-français (1850-1960), Montréal, Boréal, 2004, p. 253.
124 Sachant que le Canada français accuse également un retard notable en matière de scolarisation, le décrochage intervenant surtout après le primaire. Ainsi durant les années 1950, le taux de fréquentation universitaire était de 3 % chez les francophones du Québec contre 11 % pour les anglophones. Gérard Bouchard, op. cit., p. 254.
125 Parti de Bordeaux sur un petit cargo (Le Celte) le 15 avril 1938, il arrive à Montréal le 5 mai après un passage à Saint-Pierre et Miquelon (du 26 au 28 avril). Il quitte Montréal le 7 ou le 8 mai pour New York où il réembarque le 18 mai (à bord du Normandie) à destination du Havre.
126 Antoine Peillon, Céline, un antisémite exceptionnel. Une histoire française, Lormont, Éd. Le Bord de l’eau, 2011.
127 François Gibault, Céline 1932-1944 : Délires et persécutions, Paris, Le Mercure de France, 1985, p. 187 ; Frédéric Vitoux, La vie de Céline, Paris, Grasset, 1988, Gallimard, coll. « Folio », éd. augmentée, 2004, p. 551-554 ; Philippe Alméras, Dictionnaire Céline, Paris, Plon, 2004 [4 entrées : Victor Barbeau, Canada, Le Celte, Saint-Pierre-et-Miquelon] ; Henri Godard, Céline, Paris, Gallimard, coll. Biographie NRF, 2011, p. 280-281.
128 Hélène Le Beau, « D’un voyage à l’autre », Études littéraires, 18/2, 1985, p. 419-432 ; Jean-François Nadeau, « L’ami Céline » dans Adrien Arcand Führer canadien, Montréal, Lux, 2010, p. 201-222.
129 « Ce voyage n’a pas de motifs attestés », selon Philippe Alméras, Article « Le Celte », op. cit, p. 179.
130 De fait, la presse et les milieux littéraires québécois (notamment Victor Barbeau, président de la société des écrivains du Canada-français), n’apprennent sa présence à Montréal que tardivement et un peu par hasard. Trois journaux évoquent plus ou moins longuement sa visite dans leurs éditions du 7 mai : Le Devoir, La Presse et Le Canada. Ils semblent avoir été informés par Victor Barbeau (lui-même averti par un ami membre du parti fasciste d’Arcand).
131 Jean-François Nadeau, Adrien Arcand…, p. 207.
132 Ibid., p. 209 et 221.
133 En juillet 1938, lors d’un congrès fondateur à Kingston, Arcand qui a fait alliance avec la Canadian Union of Fascists de Joseph C. Farr (Toronto) et le Canadian Nationalist Party de William Whittaker (Winnipeg) crée le Parti de l’Unité Nationale du Canada (PUNC).
134 « En quittant Saint-Pierre et Miquelon, Céline se rendit au Canada où il aurait assisté à une réunion politique avec Victor Barbeau, avant de se rendre à New York […] », François Gibault, op. cit., p. 187. Une phrase imprécise car Victor Barbeau n’assistait pas à la réunion mais ayant appris que Céline y était présent vient le retrouver à la sortie. Pour Philippe Alméras, « Il [Ce voyage] est l’occasion d’une participation à une réunion du Parti national social chrétien d’Adrien Arcand », op. cit., Article « Canada », p. 161. Dans un autre article, il émet clairement des doutes sur sa motivation première pour ce meeting considérant les témoignages postérieurs de Victor Barbeau comme sujet à caution : « L’unique raison de ce voyage aurait été cette réunion […] », Article « Victor Barbeau », op. cit., p. 79. Enfin, Henri Godard mentionne bien le séjour à Montréal et même le meeting, mais cela apparaît davantage comme le fruit du hasard que le but initial du voyage.
135 Jean-François Nadeau, Adrien Arcand…, p. 207. De même, ce journal « cite » longuement Céline ou, du moins, lui prête des propos.
136 « Il [Victor Barbeau] finit par le retrouver à une réunion politique d’extrême-droite où Céline assistait, simple témoin anonyme dans la salle. », Frédéric Vitoux, op. cit., p. 553.
137 En France, il assiste tout aussi « anonymement » la même année à une réunion de Darquier de Pellepoix mais aussi du docteur Montandon. Frédéric Vitoux, op. cit., p. 564. Antoine Peillon, op. cit, p. 58-59.
138 Selon l’expression de Hans Erich Kaminski, Céline en chemise brune, Paris, éd. Mille et une nuits, 1997, p. 27. Pour Pascal Ory, il est clair qu’à cette date, Céline est déjà en contact avec le Weldienst de Rosenberg. Pascal Ory, Les collaborateurs, Paris, Le Seuil, Points Histoire, 1985, p 25. De même, pour Philippe Alméras, l’année 1938, marque son entrée dans une période militante active voire activiste sur le plan politique.
139 Lors de son séjour, interrogé par la presse québécoise, il refuse de se définir comme fasciste mais dit « avoir de la sympathie pour Hitler ».
140 Victor Barbeau (1896-1994), professeur de littérature française à l’école des HEC de Montréal de 1925 à 1963, professeur de lettres à l’université McGill de 1939 à 1942. Co-fondateur et président de la société des écrivains canadiens de 1937 à 1944, fondateur et président de l’Académie canadienne-française en 1944. Membre actif de la Société Saint Jean Baptiste (SSJB) de Montréal à la fin des années trente. Victor Barbeau est à l’époque un promoteur convaincu du corporatisme : entre 1936 et 1939, il donne pas moins d’une vingtaine de conférences sur le sujet. Le Portugal de Salazar et l’Autriche de Dolfuss sont alors ses modèles. Proche de l’Action Française (dans ses déclinaisons française comme canadienne) il professe par ailleurs un antisémitisme virulent. Pour de plus amples renseignements à son sujet, on peut se référer à Catherine Pomeyrols, Les intellectuels québécois : formation et engagements 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1996.
141 Pour François Gibault, c’est une des motivations de son arrêt à Saint-Pierre et Miquelon, François Gibault, op. cit., p. 186. Philippe Alméras, considère également cette piste comme crédible, « Le but de ce séjour pouvait être la recherche d’un refuge éventuel pour lui ou son trésor de guerre », Article « Canada », op. cit., p. 161. Selon Godard, ce voyage aurait deux motivations principales, le délassement [« Il se donne cinq semaines de répit »] et le « refuge possible », op. cit., p. 280.
142 Suite à la sortie de Bagatelles pour un massacre, il doit renoncer à certaines activités ou fonctions médicales (démission du dispensaire de Clichy et du laboratoire La Biothérapie pour lesquels il travaillait).
143 Frédéric Vitoux, op. cit., p. 552. Précisons qu’il s’agit de propos « rapportés » par un témoin.
144 Philippe Alméras, op. cit., Article « Canada », p. 161-162. Notons que cette lettre est concomitante de notre affaire lui donnant un éclairage particulier, même si Céline, in fine, se ravisera une semaine plus tard, à l’égard de son interlocuteur, lui écrivant : « Réfléchissant. Si c’est trop compliqué pour le Canada. Vise le Chili. J’ai d’excellents renseignements. », op. cit., p. 162.
145 Sur cette séquence voir le remarquable ouvrage (en particulier pour la qualité des sources reproduites) publié par Robert. O Paxton, Claire Paulhan et Olivier Corpet (dir.), Archives de la vie littéraire sous l’Occupation. À travers le désastre, Paris, Tallandier, IMEC éditeur, 2011. Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains 1940-1953, Paris, Fayard, 1999, reste toujours une référence.
146 L’édition française est aryanisée (Calmann-Levy, Fernand Nathan) et censurée par Vichy et l’Occupant : cf. les fameuses listes d’ouvrages interdits (Bernhard puis Otto).
147 Les premières directives, en ce sens, interviennent au niveau fédéral dès septembre octobre 1939 et s’appliquent à compter de juin 1940. La contrepartie à cette autorisation de reproduire des livres français était de provisionner, au nom des auteurs et éditeurs originaux, une taxe (de l’ordre de 10 % du prix de vente) à un bureau des séquestres à Ottawa. Sébastien Vincent, « Les canadiens français et la défaite de la France », Bulletin d’histoire politique, 19/3, printemps 2011, p. 156.
148 Emmanuelle Loyer, Paris à New York…, op. cit. Voir également, Laurent Jeanpierre, Des hommes entre plusieurs mondes : étude sur une situation d’exil. Intellectuels français et réfugiés aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale, Thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2004.
149 Fort de près de 30 ans de recherche sur le sujet, Jacques Michon est le spécialiste de l’histoire de l’édition québécoise : cf. Le temps des éditeurs 1940-1959, tome 2 de son Histoire de l’édition littéraire au Québec au XXe, Saint Laurent, Fides, 2004, mais aussi Les éditeurs québécois et l’effort de guerre, Québec, PUL, 2009. Voir également Carole Gerson, Jacques Michon (dir.), Histoire du livre et de l’imprimé au Canada, volume III 1918-1980, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 2007.
150 Deux fois, à un an d’intervalle en mars 1945 puis mars 1946. De larges extraits de sa conférence sur « la littérature clandestine de 1940 à 1945 », prononcée le 10 mars 1946 devant plus de 600 auditeurs et diffusée sur Radio Canada, sont reproduits dans Robert O. Paxton, Claire Paulhan et Olivier Corpet (dir.), Archives de la vie littéraire sous l’Occupation…, op. cit., p. 351-353.
151 La Nouvelle Relève est une revue littéraire d’idées, de critique et de création au caractère générationnel marqué. Puisant à différentes sources dont la revue Esprit, qui lui sert de « modèle », mais aussi Jacques Maritain, François Mauriac ou Gabriel Marcel, elle s’élève au nom d’une quête de modernité contre un certain conformisme et traditionalisme ambiants.
152 Guy La Rochelle, « Trois revues littéraires de 1943 à 1946 au Québec : La Nouvelle Relève, L’Amérique française et Gants du Ciel », Maîtrise en littérature canadienne, université de Sherbrooke, 1991.
153 Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, François Ricard (dir.), Histoire du Québec contemporain…, op. cit., p. 189.
154 Idem. Un dynamisme des éditions de langue française commun à tout le continent. Ainsi à New York, trois maisons ou collections d’édition française se créent pendant la guerre : Les éditions de la Maison française, les éditions françaises Brentano’s et Pantheon Books de Jacques Schiffrin (en collaboration avec les éditions Didier). Selon les chiffres d’Antoine Bon, dans Livres français parus en Amérique, Rio, Institut franco-brésilien de la culture, 1944 : entre 1940 et 1944, 608 livres furent publiées au Canada, 240 aux États-Unis, 182 au Brésil et 66 en Argentine. Pour le détail de ces chiffres, notamment par année, voir Denis Rolland, « Le livre français en exil 1940-1944 : l’Amérique du nord au sud », Matériaux pour l’Histoire de notre temps, no 67, 2002, p. 77.
155 Réfugié à New York depuis décembre 1940, il y publie aux éditions de la Maison française en 1942, la première édition originale de Pilote de guerre. La même année, au Québec, Bernard Valiquette inscrit (sans autorisation) à son catalogue une nouvelle version augmentée d’une centaine de pages inédites de Terre des hommes. Robert. O Paxton, Claire Paulhan et Olivier Corpet (dir.), Archives de la vie littéraire sous l’Occupation…, op. cit., p. 343.
156 Emmanuelle Loyer, op. cit., p. 248-250.
157 Le cas de Bernanos installé au Brésil dès 1938 montre combien la frontière est ténue entre exil volontaire et exil forcé, même si son opposition à Vichy est immédiate. Dés septembre 1940, il dénonce en effet « le vieux syndic de la faillite » et « la voix du traître », Denis Rolland, « Le livre français en exil 1940-1944 : l’Amérique du nord au sud », op. cit., p. 77.
158 Maurice Demers, « L’autre visage de l’américanité québécoise. Les frères O’Leary et l’union des latins d’Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale », Globe, vol 13/1, 2010, mais aussi Pan-Americanism re-invented in Uncle Sam’s backyard: Catholic and Latin identity in French Canada and Mexico in the first half of the 20th century, Thèse Ph. D, York university, Canada, 2010. Pour mémoire, les frères O’Leary ont opté pour l’exil en Amérique latine au début de la guerre.
159 Denis Rolland le soulignait bien. Dans ce pays, c’est clairement la guerre et en particulier l’influence de la France Libre qui conduit à cette « régénération du contenu sémantique de la latinité » avec des supports tels que Terres Latines, revue de l’institut français d’Amérique latine. Pour lui, « le concept est de nouveau fonctionnel, même dans un Mexique où les échanges commerciaux sont pour les 9/10e tournés vers le voisin anglo-saxon ». Denis Rolland, op. cit., p. 325.
160 Ces derniers développent des librairies spécialisées en livres français au Canada : en 1949, Librairie Paris/Montréal avec le soutien de Flammarion, en 1950, la librairie La Palatine avec le concours de Plon. Nathalie François-Richard, La France et le Québec 1945-1967 dans les archives du MAE, Thèse de doctorat d’Histoire, Paris 8, Jacques Portes (dir.), 1998, p. 76-77.
161 Un arrêté ministériel fédéral imposait la tenue de comptes précis en matière de droits d’auteurs. Georges Duhamel fut chargé par les éditeurs parisiens de recouvrer auprès des éditeurs canadiens français les droits accumulés pendant la guerre.
162 Extrait cité dans Jean-Pierre Chalifoux, Jean-René Lassonde, Suzanne Ledoux (dir.), Coup d’œil sur l’inventaire bibliographique des relations France-Québec depuis 1760, Montréal, BNQ, 1999, p. 65.
163 Citation de Francisque Gay, reprise par Nathalie François-Richard, op. cit., p. 83. Notons néanmoins que si les importations canadiennes en livres français augmentent en effet entre 1946 et 1953 (x par 5 en valeur, le Québec en absorbant l’écrasante majorité), elles ne représentent qu’une (très) faible part des importations totales de livres du Canada (moins de 5 % quand les francophones représentent 30 % de la population). Nathalie François-Richard, op. cit., p. 76.
164 Jacques Michon, Les éditeurs québécois et l’effort de guerre, op. cit., chapitre 8.
165 Georges Duhamel, dans Le Figaro littéraire, le 1er janvier 1946, extrait cité dans Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 15.
166 Déclaration « franche » de l’ambassadeur de France en mai 1948 lors d’une réception organisée à Montréal par la Société des éditeurs canadiens, discours cité par Pierre Savard, « L’ambassade de Francisque Gay », op. cit., p. 15.
167 André Billy, essayiste, critique littéraire et surtout biographe, dans Le Littéraire, du 15 mars 1947 et réponse de Robert Charbonneau le 29 mars 1947, Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 73-77.
168 Stanislas Fumet, essayiste et journaliste, dans Les Lettres françaises, le 28 mars 1947, et réponse de Robert Charbonneau le 12 avril 1947, Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 71-73.
169 Je souligne intentionnellement. Jérôme et Jean Tharaud, dans Le Figaro, sous le titre « Fidélité » et réponse de Robert Charbonneau dans La Nouvelle Relève de juin 1947, Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 79-82.
170 Même s’il faut bien admettre que le champ intellectuel canadien français n’était pas, à cette époque, en mesure de faire jeu égal avec la France. Au lendemain de la déclaration de Francisque Gay, le quotidien Montréal Matin, pourtant souvent sévère à l’égard de la France, l’admet bien volontiers « Il n’y a rien d’humiliant pour nous à reconnaître que notre littérature ne peut encore se comparer avec la production intellectuelle française. Il ne faut pas croire naïvement à la génération spontanée dans le domaine de l’esprit ». Pierre Savard, « L’ambassade de Francisque Gay », op. cit., p. 15. Gérard Bouchard parle même d’une situation de « sous-développement », notamment par une imitation trop servile du « modèle » français. Gérard Bouchard, op. cit., p. 255. Un constat que n’est pas loin de partager Robert Charbonneau, même s’il n’en tire pas les mêmes conclusions.
171 Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 66.
172 « Jusqu’ici, si pénible que cela soit à écrire, nous n’avons jamais compté pour la France qu’en temps de guerre. », Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 68.
173 Sur cet épisode, voir « Les enfants du paradis », dans Pierre Hebert, Yves Lever, Kenneth Landry (dir.), Dictionnaire de la censure au Québec. Littérature et cinéma, Fides, 2006, p. 239-243 ; Yves Lever, Anastasie ou la censure du cinéma au Québec, Sillery, Septentrion, 2008.
174 La censure le juge trop immoral pour être diffusé à un public de 800 jeunes. René de Messière quittera furieux la salle dénonçant « une insulte faite à la France ».
175 Le film sera tout de même interdit de diffusion cinématographique près de 20 ans.
176 BAAN, CR des débats de l’Assemblée législative, séance du 9 avril 1947, p. 11-12.
177 François Mauriac dans Combat le 25 avril 1947 et René Garneau dans Le Canada le 3 mars 1947, réponse de Robert Charbonneau dans La Nouvelle Relève, juin 1947, extrait cité dans La France et nous…, op. cit., p. 83.
178 Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 65-68.
179 Louis Aragon, « La crise de l’esprit critique au Canada », Les Lettres françaises, 143, 17 janvier 1947, p. 5 et Jean Cassou, « Maurrassisme impénitent », Les Lettres françaises, 113, 21 juin 1946, p. 5, extraits cités dans Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 47-49 et 58-59. Principaux protagonistes de cette querelle, Cassou et Aragon ont en commun d’être membre (Aragon) ou compagnon de route (Cassou) du parti communiste. Ils exercent par ailleurs une forte influence au sein du CNE que Cassou préside de 1946 à 1948.
180 C’est particulièrement vrai de Maurras qui a toujours disposé au Québec d’une certaine audience mais aussi de Léon Daudet, Drieu La Rochelle, Henri Massis, Henry de Montherlant. Les éditions de L’Arbre n’échappent pas à la critique pour avoir accepté de publier Gérard de Catalogne, militant de l’Action française notoire proche de certains milieux collaborationnistes (Je suis partout, Candide…).
181 Les lignes éditoriales de L’Arbre comme de La Nouvelle Relève en témoignent. Aux éditions de L’Arbre, Henri Laugier dirigeait une collection des comités France Libre d’Amérique du Nord, France Forever.
182 Il use souvent du nous, pour désigner la position des canadiens français.
183 La Nouvelle Relève, avril 1946, Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 41.
184 Ibid., p. 39.
185 On peut penser à certains milieux isolationnistes américains.
186 Une première paraît dans Les Lettres françaises du 16 septembre 1944 avec 94 noms, une seconde de 158 noms est publiée le 21 octobre 1945. Pour une synthèse solide sur l’ensemble du processus (professionnel, judiciaire) voir Gisèle Sapiro, « L’épuration du monde des lettres », dans Marc-Olivier Baruch (dir.), Une poignée de misérables, Paris, Fayard, 2003, p. 243-285.
187 « Hier, tout le monde s’accordait pour condamner l’Inquisition et les autodafés, ce n’est pas pour qu’on recommence en 1946. », La Nouvelle Relève, juin 1946 ; « Je ne puis que répéter ce que j’ai écrit au sujet des Allemands, mais qui s’applique à tous ceux qui suivent leur exemple : brûler des livres ne sera jamais que l’aveu d’une impuissance, la réaction de barbares devant les choses de l’esprit », Carrefour, le 18 février 1947, Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 49 et 68.
188 Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 48.
189 Selon sa formule pour refuser la grâce de Brasillach, Gisèle Sapiro, « L’épuration du monde des lettres », op. cit., p. 252.
190 Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 41, 60-61.
191 Ibid., p. 71. Et ce avant que n’éclate l’autre grosse affaire Kravchenko.
192 Sur un ton résolument polémique, il la qualifie même de globalement « médiocre » dans un article « Les livres français », publié dans La Nouvelle Relève, juin 1946. Il reprend ici l’argument classique des milieux les plus conservateurs (sur le plan religieux comme politique) du Québec, selon lequel on ne doit rien attendre de bon d’une France républicaine et laïque en crise spirituelle et intellectuelle.
193 Pour une mise en perspective sur un temps plus long, Fernand Harvey, « Les relations culturelles entre la France et le Canada 1760-1960 », dans Serge Joyal, Paul-André Linteau (dir.), France-Canada-Québec 400 ans de relations d’exception, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 2008, p. 95-126.
194 Dans un rapport dialectique à la France qui oscille entre tentation de l’imitation et affirmation d’une originalité « nationale », sachant que les deux positions ont en commun d’attendre de la France une certaine forme de reconnaissance. L’énergie déployée par Robert Charbonneau dans cette controverse témoigne aussi de cette attente.
195 Les échanges entre les deux hommes sont très présents dans ce Journal d’une querelle, op. cit., p. 49-54, 69-71, 84-86. Ils apportent à cette controverse une dimension canado-canadienne.
196 René Garneau évoque notamment l’exploitation, scandaleuse selon lui, de l’incident des Enfants du paradis à des fins de campagne « antifrançaise ». Il vise en particulier Roger Duhamel qui, à la tête de la Société Saint Jean-Baptiste de Montréal d’abord puis de Montréal Matin, critique en effet sévèrement l’épuration française notamment le procès Pétain mais aussi celle des intellectuels. Martin Langevin, « Le nationalisme de Roger Duhamel 1927-1947 », Cahiers d’histoire du Québec au XXe siècle, 1, 1994, p. 25-43.
197 En ce sens elle est annonciatrice des évolutions des années 1950-1960 et des recompositions en cours au sein du paysage intellectuel québécois. Selon Yvan Lamonde, « La décennie de 1940 se distingue par quatre caractéristiques. La notion d’engagement, les brèches de la laïcisation, la convergence d’un certain nombre d’initiatives des intellectuels et la visibilité plus grande d’une cible à viser […] Monsieur Duplessis. », Yvan Lamonde, « La spécificité des intellectuels des années cinquante au Québec », Bulletin d’histoire politique, vol. 3, no 1, automne 1994, p. 20.
198 Étienne Gilson dans Le Monde, 7 janvier 1946, cité dans Robert Charbonneau, La France et nous…, op. cit., p. 74-76. Médiéviste et philosophe spécialiste de Thomas d’Aquin, il est le cofondateur de l’Institut d’études médiévales de Toronto en 1929 et préside l’Institut scientifique franco-canadien de 1937 à 1951.
199 Gabriel Marcel, La Nouvelle Relève, 417, janvier 1946, p. 559-588, 418, février 1946, p. 684-703. Il est d’ailleurs étonnant que Robert Charbonneau ne fasse pas allusion à cette publication qui pourrait servir son propos, de la part d’un auteur qu’il connaît et dans une revue qu’il dirige.
200 Poète, ancien combattant de la Grande Guerre, sympathisant communiste durant les années 1920, internationaliste, combattant en Espagne auprès des trotskistes et anarchistes, puis réfugié au Mexique de 1941 à 1948.
201 Les principaux protagonistes du Journal d’une querelle sont tous membres du CNE : F. Mauriac, G. Duhamel, J. Cassou, L. Aragon, les frères Tharaud…
202 Sur une base générationnelle notamment : en effet, sauf exception (Camus), les aînés du CNE sont plus « indulgents » alors que la génération montante apparaît plus intransigeante. Les premiers contestent rapidement l’idée de s’ériger « en juge et mouchard » surtout lorsqu’ils constatent la sévérité des premières condamnations judiciaires.
203 « Lettre ouverte de Vercors à Messieurs G. Duhamel, J. Schlumberger, G. Marcel, J. Paulhan démissionnaires du CNE », publiée le 27 décembre 1946, dans Les Lettres françaises. Réponse de G. Duhamel dans Le Figaro du 27 décembre 1946 sous le titre « Note pour l’inventaire de décembre ». Jean Paulhan, diffuse également 4 lettres aux membres du CNE en 1946 et 1947. Publiées dans un premier temps sous le titre De la paille au grain chez Gallimard en 1948, elles constituent un véritable brûlot contre l’épuration menée par le CNE. En 1952, il récidive dans sa Lettre aux directeurs de la Résistance aux éditions de Minuit, où il dénonce l’appropriation de l’esprit de la Résistance par les communistes. Un pamphlet qui suscitera de vives réactions par presse interposée, notamment de Vercors, mais aussi de Jean Cassou qui lui répond dans La mémoire courte (1953). La plupart de ces textes sont reproduits dans le catalogue Archives de la vie littéraire sous l’Occupation…, op. cit., p. 414-418.
204 Devoir d’engagement qu’incarne désormais la génération de la Résistance : Pascal Ory, Jean-François Sirinelli, Les intellectuels en France, Paris, A. Colin, 1987, Perrin, coll. « Tempus », 2004, p. 226-233.
205 Robert O. Paxton, Claire Paulhan et Olivier Corpet (dir.), Archives de la vie littéraire sous l’Occupation…, op. cit., p. 364.
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