Annexe 4. L’exploration des devoirs d’entraide
p. 211-218
Texte intégral
1Pour explorer les disparités des attentes normatives à l’égard de son entourage selon les milieux sociaux, et rendre compte de l’existence de « sous-cultures » relationnelles, on a comparé deux sous-populations : une première assimilable aux « catégories populaires » et une seconde assimilable aux « catégories supérieures ».
PRINCIPES DE CONSTRUCTION DES DEUX SOUS-ÉCHANTILLONS
2Deux indicateurs ont permis la construction de ces deux sous-populations : la Pcs et le niveau de diplôme des membres adultes du ménage. Trois principaux groupes socioprofessionnels ont servi de socle à ce découpage : le groupe des cadres et professions intellectuelles supérieures, le groupe des employés et le groupe des ouvriers. Un élément qui divise ces trois groupes a l’avantage de coïncider avec un facteur discriminant de la sociabilité : le capital culturel. En effet, le niveau culturel – déterminé par le niveau de diplôme ou de formation – explique la propension de chacun à entretenir des contacts avec ses parents, avec ses amis, à profiter de contacts liés aux sorties, à s’engager au sein d’associations, ou à élaborer de bonnes relations de voisinage… (Forsé, 1993). Or, le groupe des cadres et professions intellectuelles supérieures est construit de sorte à réunir principalement des personnes qui possèdent une formation de niveau supérieur, alors que les ouvriers et les employés présentent en moyenne un niveau de diplôme, quoique parfois hétérogène, de toute façon moins élevé. Le groupe socio-professionnel des « cadres et professions intellectuelles supérieures », qui réunit des personnes cadres supérieurs, salariées de la fonction publique ou des entreprises, et des personnes exerçant une profession libérale, présente, de fait, une sociabilité fortement élective, focalisée sur la formation d’amitiés, profitant de moments passés ensemble pour assister à des spectacles, voire pour certains d’entre eux, présente une sociabilité résolument tournée vers l’extérieur liée à un fort engagement associatif (Forsé, 1993). Les employés et les ouvriers, dont les propriétés s’opposent parfois (notamment, le premier groupe est essentiellement composé de femmes alors que le second est plutôt masculin), témoignent d’une sociabilité davantage organisée autour de la parenté.
3Reste cependant les personnes exerçant une profession intermédiaire, qui composent une part importante de l’échantillon initial (28 % des personnes interrogées). Or, si l’objectif demeure de comparer des catégories, opposées et opposables, relativement homogènes, il semble toutefois également important d’exploiter les réponses d’un maximum de personnes. Le niveau de diplôme a permis d’intégrer la majorité des personnes exerçant une profession intermédiaire à l’une ou l’autre population. Puisque le capital culturel est une dimension essentielle des pratiques de sociabilité, il ne semblait pas absurde de diviser ce groupe selon le niveau d’études. Dès lors, on a pris la décision d’associer les titulaires d’une formation supérieure aux catégories supérieures et les titulaires d’un diplôme inférieur au baccalauréat aux catégories populaires.
4Toutefois, si le procédé qui consiste à inférer l’appartenance sociale du ménage de l’appartenance socio-professionnelle de la personne de référence (qui correspond le plus souvent à celle de l’homme) est couramment utilisé – alors même que l’activité professionnelle et l’autonomie des femmes se sont considérablement développées – cette assimilation pose ici un certain nombre de difficultés. En effet, même en arguant de la forte homogamie des couples, les caractéristiques du ménage ne sont pas entièrement réductibles aux seuls attributs d’un de ses membres. Les travaux sur le monde ouvrier montrent par exemple que les orientations normatives des couples où les deux membres sont ouvriers, ou ceux dont l’homme est ouvrier et la femme inactive, sont distinctes de celles où la femme exerce une profession intermédiaire (infirmière, institutrice…). Aussi, pour toutes les questions qui ont trait à la transmission des valeurs, des savoirs et des savoir-faire, il semble plus rigoureux de prendre en compte la cellule familiale dans son ensemble. En considérant qu’une grande partie des constructions normatives qui guident les orientations des acteurs est le résultat du jeu savant des discussions que les individus entretiennent les uns avec les autres et de la perception des croyances, des valeurs, des principes et des pratiques de leur entourage, il devenait impensable de restreindre l’appartenance sociale des personnes interrogées à leur seule appartenance socio-professionnelle.
5Par conséquent, on a distingué les deux sous-populations en combinant la PCS de la personne enquêtée et celle de son conjoint, en dépit du fait que le type d’informations dont nous disposons pour les conjoints n’est pas identique – le codage en PCS des personnes enquêtées a été effectué à partir de leur profession, alors que la répartition des conjoints entre ces différentes catégories est le fait des personnes enquêtées. Cette combinaison qui caractérise les couples (et dans de nombreux cas le ménage au sens de l’INSEE) permet d’éviter de réduire le monde social des enquêtés à leur simple appartenance socioprofessionnelle ou à celle de leur conjoint.
6Quels principes ont alors prévalu à la construction des deux sous-échantillons ?
- Les personnes enquêtées sans conjoint déclaré, exerçant une profession libérale ou assimilée aux cadres supérieurs, sont codées parmi les catégories supérieures. Les personnes enquêtées sans conjoint déclaré, ouvrières ou employées, sont rangées parmi les catégories populaires. Les personnes inactives, tout comme celles exerçant une profession intermédiaire, sont triées en fonction de leur niveau de diplôme : celles qui possèdent un niveau de diplôme équivalent au minimum à un bac + 2 sont rangées parmi les catégories supérieures, alors que celles qui disposent d’un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat sont associées aux catégories populaires.
- Pour les personnes qui déclarent un conjoint, la catégorisation s’avère un peu plus complexe.
- Si un des membres du couple appartient au groupe socio-professionnel des « cadres et professions intellectuelles supérieures », et si l’autre membre du couple est également cadre supérieur ou assimilé, ou chef d’une entreprise de plus de 10 salariés, ou encore exerce une profession intermédiaire, les personnes enquêtées sont classées parmi les catégories supérieures. Les personnes enquêtées inactives, ouvrières ou employées, qui vivent avec un conjoint lui-même inactif, employé ou ouvrier, sont rangées parmi les catégories populaires.
- Quand la personne enquêtée exerce une profession intermédiaire et que son conjoint est inactif, employé ou ouvrier, elle est cataloguée parmi les catégories populaires, à partir du moment où son niveau de diplôme est inférieur au baccalauréat. Si les deux membres du couple exercent une profession intermédiaire, les personnes enquêtées sont répertoriées parmi les catégories supérieures uniquement lorsque leur niveau de diplôme est au minimum équivalent à un bac + 2.
7Les deux sous-populations obtenues sont naturellement très différentes selon leur niveau de diplôme. 88 % des personnes appartenant aux catégories supérieures présentent un niveau d’études supérieur au baccalauréat, alors que 90 % des personnes répertoriées parmi les catégories populaires disposent d’un niveau de formation inférieur au baccalauréat. Elles sont, par contre, composées de manière relativement analogue concernant la répartition selon le sexe des enquêtés. L’échantillon des catégories populaires est composé de 55 % de femmes (de 45 % d’hommes) tandis que l’échantillon des catégories supérieures est composé de 51 % de femmes (de 49 % d’hommes). La différence n’est pas significative.
8Concernant la situation matrimoniale, la situation est un peu plus complexe, comme l’indique le tableau suivant :
Situation matrimoniale des personnes enquêtées (en %)
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9Il apparaît notamment que si la proportion de personnes célibataires est identique au sein des deux sous-échantillons, la proportion de personnes qui vivent actuellement en couple est légèrement plus élevée parmi les catégories supérieures que parmi les catégories populaires, qui sont plus souvent séparées, divorcées ou veuves que les premières.
10Concernant la moyenne d’âge, les catégories supérieures sont globalement un peu plus jeunes que les catégories populaires : la moyenne d’âge des premières est de 45 ans (écart-type de 7,3 ans), alors qu’elle est de 50 ans (écart-type de 7,6 ans) pour les secondes ; ce qui n’est pas très étonnant si on tient compte de l’élévation générale du niveau de diplôme au sein de la société française.
RÉSULTATS DES CLASSIFICATIONS
11Trois tableaux exposent les résultats obtenus des classifications ascendantes hiérarchiques qui ont permis de déterminer les profils d’obligations d’entraide pour chacun des rôles.
12Un premier tableau indique la proportion d’éléments d’une classe qui possèdent une obligation d’entraide. On a considéré que ces obligations deviennent un trait caractéristique du profil de rôles, dès que cette proportion s’avère significativement importante. Pour déterminer la significativité d’une obligation pour chaque classe, on s’est basé sur la proportion globale de rôles pour lesquels une obligation était attribuée. La significativité d’une obligation n’est donc pas définie de manière absolue, mais dans son rapport avec le taux général exprimé pour chaque obligation, tous rôles confondus. En effet, comme les aides introduisent des obligations de rôle en nombre plus ou moins grand, il semblait profitable de prendre en compte cette relativité des obligations.
13Les deux autres tableaux présentent les caractéristiques des différentes classes obtenues, mais cette fois-ci vis-à-vis des types de rôles. Le premier tableau indique la répartition des rôles entre les différentes classes, le second tableau montre la composition relationnelle de chaque classe. Ces deux tableaux permettent d’examiner dans quelle mesure certains profils d’aides (dessinés par les différentes classes dégagées) correspondent à des rôles spécifiques.
Caractéristiques des neuf classes de la classification ascendante hiérarchique. Échantillon des catégories populaire (en %)
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Répartition des rôles au sein des neuf classes de la classification ascendante hiérarchique. Échantillon des catégories populaires (en %)
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Caractéristiques relationnelles des neuf classes de la classification ascendante hiérarchique. Échantillon des catégories populaires (en %)
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Répartition des neuf classes de la classification ascendante hiérarchique. Échantillon des catégories supérieures (en %)
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Répartition des rôles au sein des neuf classes de la classification ascendante hiérarchique. Échantillon des catégories supérieures (en %)
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Caractéristiques relationnelles des neuf classes de la classification ascendante hiérarchique Échantillon des catégories supérieures (en %)
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Les règles de l'entraide
Ce livre est cité par
- Privat, Hélène. Urien, Bertrand. Cherrier, Hélène. Valette-Florence, Pierre. (2020) Les systèmes d’échanges locaux : création d’une échelle de mesure des motivations au sélisme et identification de profils de sélistes. Recherche et Applications en Marketing (French Edition), 35. DOI: 10.1177/0767370119859832
- Jonas, Nicolas. Le Pape, Marie-Clémence. (2007) Famille ou belle-famille ?. SociologieS. DOI: 10.4000/sociologies.842
- Privat, Hélène. Urien, Bertrand. Cherrier, Hélène. Valette-Florence, Pierre. (2020) The Local Exchange Trading System in France (Système d’Échange Local (SEL)): Creating a scale to measure motivations for participation in SEL practice and identification of SEL member profiles. Recherche et Applications en Marketing (English Edition), 35. DOI: 10.1177/2051570720917312
Les règles de l'entraide
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