Annexe 3. La population enquêtée
p. 203-209
Texte intégral
1L’enquête a été réalisée à Lille, entre octobre 1998 et avril 1999, auprès d’une population de 198 personnes. Les personnes interrogées ont été sélectionnées à partir de deux critères : 1) être âgé de 35 à 65 ans ; 2) habiter certains quartiers de Lille. La délimitation de la population enquêtée à cette tranche d’âge s’appuie sur deux constats.
2D’une part, les divers travaux sur la sociabilité montrent que les caractéristiques de l’environnement relationnel se modifient avec la position dans le cycle de vie. François Héran (1988) détermine trois âges de la vie auxquels correspondent trois univers de sociabilité. Il qualifie ces trois périodes comme autant d’étapes que les individus franchissent au cours de leur vie : la première étape où la plus grande proportion des relations se concentre autour de la fréquentation des amis, la deuxième étape où les relations de travail deviennent un instant privilégiées, enfin la dernière étape pendant laquelle les relations se restructurent autour des liens de parenté. En réalité, si le nombre des contacts avec les apparentés demeure stable au cours de la vie d’un individu (bien que les caractéristiques des liens familiaux se modifient au fur et à mesure), les relations d’amitié ont tendance à décroître et les relations de travail à disparaître avec l’avancée vers des âges plus élevés. C’est pourquoi, la taille des réseaux a tendance à diminuer avec l’âge.
3D’autre part, les jeux de la solidarité informelle se différencient selon la position dans le cycle de vie. Claudine Attias-Donfut (1995) rapporte que les transferts des formes d’entraide varient suivant la position généalogique que les individus occupent dans la structure de parenté. Ainsi qu’être parent d’enfants adultes, jeune adulte ou déjà grand-parent, modifie le volume et les types de services et de biens que l’on donne et que l’on reçoit. La « génération-pivot » (les parents d’enfants adultes et enfants de parents âgés) se trouve être une des principales sources de soutien envers ses enfants et ses parents, toutes deux très demandeuses et réceptrices des solidarités informelles. Dès lors, limiter les âges de la population étudiée a semblé primordial. Cette limitation permettait d’atténuer la très grande diversité des configurations de l’environnement relationnel liée au statut occupé en fonction des temps sociaux (le temps des études fut-ils bref, celui de l’activité professionnelle, celui de la retraite). Elle permettait également d’homogénéiser un tant soit peu les types de pratiques solidaires dans lesquelles les individus se trouvaient engagés au moment de l’enquête.
4L’échantillon a été constitué, par tirage aléatoire, à partir d’une base de noms et adresses extraits de l’annuaire téléphonique.
5Les personnes interrogées ont été contactées en deux temps. Les logements sélectionnés recevaient d’abord un courrier précisant rapidement le thème et les enjeux de l’enquête, les informant de la nécessité de leur participation, et les prévenant d’un appel téléphonique ultérieur. Chaque logement été ensuite contacté pour prendre rendez-vous avec un membre du ménage, à partir du moment où il correspondait à la population ciblée.
CADRAGE SOCIO-DÉMOGRAPHIQUE DE LA POPULATION ENQUÊTÉE
6La population observée sera décrite à l’aide de quatre indicateurs : l’âge, la situation matrimoniale, le niveau du dernier diplôme obtenu, et l’appartenance sociale vue sous l’angle des PCS. À travers ces différents éclairages, on souhaite rendre compte de la distorsion de l’échantillon par rapport à la population ciblée.
Répartition de la population enquêtée selon l’âge (en %)

7La population enquêtée est plutôt « jeune » – au sein même des restrictions d’âge de l’enquête. La moyenne d’âge est de 47 ans (avec un écart-type de huit années), hommes et femmes confondus. La distribution entre les classes d’âge des personnes interrogées est relativement conforme à celle de la population lilloise de mêmes âges.
8Le deuxième tableau montre la répartition des personnes enquêtées selon leur situation matrimoniale : personnes célibataires, individus vivant en couple, ou connaissant les suites possibles de la vie de couple : séparation, divorce ou veuvage.
Situation matrimoniale des personnes enquêtées selon le sexe (en %)

9La population enquêtée comprend beaucoup plus de personnes en couple que ne le repère l’INSEE : trois quarts des personnes interrogées vivent en couple, alors que le mariage concerne une bonne moitié de la population lilloise à ces âges. Cependant, il n’est pas possible de comparer termes à termes ces deux informations, puisque la définition de la situation de couple est beaucoup plus large dans le cadre de cette enquête – elle regroupe les conjoints mariés, en union libre (y compris s’ils ne vivent pas sous le même toit) ou en concubinage – alors que les données reçues de l’INSEE ne rassemblent que des couples mariés.
10C’est au regard de l’appartenance sociale que les disparités entre les personnes interrogées et la population lilloise de même âge et de même sexe accusent un écart accru. Les personnes enquêtées ont en effet un niveau de diplôme beaucoup plus élevé que l’ensemble de la population lilloise ; elles appartiennent plus souvent à des catégories sociales aisées.
Dernier diplôme obtenu selon le sexe (en %)

11Plus de la moitié des personnes enquêtées ont un diplôme supérieur au baccalauréat, alors qu’ils sont moins d’un tiers, habitant à Lille et âgés entre 35 et 65 ans, à posséder un tel niveau de diplôme. À l’opposé, trois cinquièmes des Lillois de cette classe d’âge disposent d’un diplôme inférieur au baccalauréat. Or seul près d’un tiers de l’échantillon présente un niveau de formation similaire. L’échantillon étudié sur-représente donc très fortement les personnes hautement diplômées, et ce de façon plus marquée encore concernant la population masculine.
12Au regard de la situation sociale, l’échantillon constitué se caractérise surtout par une forte part d’hommes cadres supérieurs ou exerçant une profession intellectuelle supérieure (ils sont deux fois plus nombreux que dans la population source) et par une faible proportion d’ouvriers. Cet échantillon présente également un pourcentage plus élevé de femmes exerçant une profession intermédiaire. La distorsion apparaît néanmoins plus importante pour les hommes que pour les femmes.
Professions et catégories sociales des personnes enquêtées selon leur sexe (en %)

13Outre les aléas inévitables d’une telle enquête, deux aspects expliquent ces décalages.
14Le premier est lié à la création de la base de données qui a servi au tirage aléatoire. La décision méthodologique – relevant de la faisabilité pratique – qui a consisté à choisir certaines rues de certains quartiers est un inévitable biais au regard de la population lilloise globale. La concentration des visites autour de certains quartiers réputés populaires n’est pas venue à bout de la suprématie des professions supérieures. La réalité sociale de ces quartiers s’est en effet révélée plus hétérogène qu’il y paraît.
15Le deuxième biais provient de la plus grande facilité des personnes diplômées à comprendre les enjeux d’une enquête et à accepter la lourdeur du protocole (lettre + téléphone + rendez-vous, le plus souvent à domicile). La décision de donner son accord pour participer à une enquête sociologique est assez complexe et on ne dispose pas d’informations permettant d’affirmer que les couches populaires ont plus souvent refusé d’y participer que les autres. Néanmoins, on peut supposer que la plus grande familiarité avec le monde universitaire ait avantagé un plus grand taux d’acceptation parmi les personnes hautement diplômées.
16Ces quatre tableaux dessinent un profil de la population enquêtée (composée à parts égales d’hommes et de femmes) plutôt jeune, vivant – officiellement ou non – en couple, fortement diplômée, et appartenant aux classes moyennes et supérieures. Décision a été prise de ne pas effectuer de redressement statistique de la population dans la mesure où les objectifs de ce travail ne sont pas de quantifier précisément les comportements des acteurs mais de décrire certains processus sociaux qui conduisent les acteurs à choisir un aidant.
DESCRIPTION DES RÉSEAUX PERSONNELS ET DE SOUTIEN
17Cette section vise à dessiner la physionomie des réseaux personnels et à dresser un portrait des réseaux des personnes aidantes. Deux traits des réseaux personnels retiendront l’attention : leur taille (c’est-à-dire le nombre de partenaires que comporte le réseau) et leur composition – essentiellement en termes de proportions de membres de la famille et d’amis.
Taille et composition des réseaux personnels selon le sexe (en nombre et en %)

18Les personnes enquêtées sont insérées dans un réseau – composé de personnes qualifiées de proches, de membres de la famille et de personnes qui ont donné au moins une aide l’année précédant l’enquête – qui totalise en moyenne 20 relations. Ces réseaux sont constitués aux trois cinquièmes des membres de la famille et d’un cinquième d’amis. On observe une légère disparité entre les hommes et les femmes. La proportion d’apparentés cités par les femmes est un peu plus élevée que celle des hommes ; leurs amis constituent également une part un peu plus importante de leur réseau. Les hommes entretiennent plus couramment des relations avec leurs collègues, ou avec le milieu associatif.
19Ce constat global masque cependant des différences entre les catégories sociales. Le tableau suivant présente ces mêmes informations pour quatre catégories : les cadres et professions intellectuelles supérieures, les professions intermédiaires, les employés, et les ouvriers.
Taille et composition des réseaux personnels selon le sexe et la PCS (en nombre et en %)

20Sans surprise, les cadres supérieurs et les professions intellectuelles ont des réseaux plus étendus que les autres catégories sociales. Les plus petits réseaux sont très nettement ceux des hommes ouvriers. Les femmes des catégories supérieures se distinguent fortement : elles sont insérées dans des réseaux de grande taille – près de 30 personnes. Ce dynamisme de la vie sociale des femmes fortement diplômées converge avec les résultats obtenus par François Héran (1988) ou par Catherine Bonvalet et son équipe (1993) qui constatent que les femmes riches en capital culturel cumulent les univers de sociabilité. Les femmes des catégories supérieures disposent d’un réseau achalandé en parents et diversifient leurs relations entre leurs très nombreux amis, leurs collègues, ou des personnes qu’elles rencontrent dans le cadre de leurs activités associatives, voire dans leur voisinage. À l’extrême opposé, les hommes ouvriers sont insérés dans des réseaux de taille modeste. Leur réseau, composé en moyenne de 13 personnes, est fortement centré sur la parenté qui représente sept dixièmes de leur réseau. Autre caractéristique de cette sociabilité en retrait : ils citent peu d’amis.
21Quelle est la taille des réseaux d’entraide ? De quelles relations sont-ils composés ?
Taille et composition des réseaux des aidants selon le sexe (en nombre et en %)

22La taille du réseau des aidants, mesurée à partir des six « mises en scène » du protocole d’enquête au cours duquel les acteurs pouvaient choisir au maximum deux personnes (c’est-à-dire qu’ils pouvaient sélectionner au maximum douze de leurs partenaires) est, en moyenne, de 6 personnes. Ces réseaux d’aidants sont constitués à plus de deux tiers de membres de la famille. La proportion d’amis y est faible : ils ne représentent que 15 % des personnes aidantes. Parmi l’ensemble de ces différents aidants, les femmes sont tout juste majoritaires.
23Par ailleurs, les réseaux des personnes aidantes sont composés de partenaires avec lesquels les acteurs entretiennent des liens d’aides réguliers : plus de quatre cinquièmes des personnes constituant ce réseau ont reçu (au cours des six derniers mois) au moins une aide des personnes enquêtées ; en moyenne, trois cinquièmes d’entre elles ont donné au moins une aide au cours de l’année précédent l’enquête. L’aide est très souvent une affaire cumulative : on donne à ceux de qui on reçoit, on reçoit de ceux-là à qui l’on a donné…
24Dernière remarque, le profil des réseaux de personnes aidantes présente de légères différences selon les hommes et les femmes. Le réseau d’entraide des femmes est plus ouvertement parental et féminin. De même, la proportion d’aidants qui ont reçu une aide de la part des femmes interrogées ou qui leur en ont donnés une, est globalement plus importante que pour les hommes. Ce résultat témoigne de l’activité des femmes quant à l’aide et de leur réelle insertion dans un réseau d’entraide.
25Les réseaux d’entraide sont-ils différents selon les catégories sociales ?
Taille et composition des réseaux des aidants selon la PCS et le sexe (en nombre et en %)

26La composition des réseaux de soutien est légèrement différente selon les milieux sociaux. Ils sont plus étendus à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie sociale. Des variations se repèrent également au niveau de la composition de ce réseau. Les hommes exerçant une profession intermédiaire semblent moins « famille » que les hommes ouvriers qui marchent à la parenté, puisque leur réseau d’aidants est constitué à plus des trois quarts de parents. Les hommes cadres supérieurs confinent également leurs demandes de soutien aux membres de leur parenté. Par contre, la proportion d’aidants apparentés est plus faible pour les femmes cadres supérieures qu’elle ne l’est pour leurs homologues masculins. De même, ces dernières font moins souvent appel à leurs apparentés que les femmes qui exercent une profession intermédiaire ou qui sont employées. La proportion d’amis aidants est plus grande au sein des classes moyennes et supérieures (cadres supérieurs et profession intermédiaire) que parmi les hommes ouvriers et les femmes employées. Seuls les hommes cadres se distinguent : ils font plus rarement appel à leurs amis.
27À mesure que s’élève le statut social, le réseau d’aidants est moins restreint aux seules femmes. Les hommes ouvriers, les femmes employées et titulaires d’une profession intermédiaire recourent plus souvent à des femmes, que les hommes ou les femmes cadres supérieurs ou les hommes exerçant une profession intermédiaire.
28Dernières remarques, le réseau des personnes aidantes des femmes cadres supérieures se distingue parce qu’il apparaît effectivement comme un réseau d’entraide : les femmes des catégories supérieures témoignent d’une réelle pratique d’échange d’aides avec les partenaires qu’elles sollicitent. Elles reçoivent des aides de leur part et leur en donnent. Sur ce point, les hommes ouvriers manifestent une attitude contraire : ils n’ont pas reçu beaucoup d’aides des personnes qu’ils sollicitent, comme ils n’ont pas été grand pourvoyeur de soutiens.
29Cette hétérogénéité entre les milieux sociaux met en lumière un exercice différent de la sociabilité, elle illustre également la perception distincte de ce qui est appelé par le sens commun une aide, dont on a vu qu’elle est intimement liée à l’image des rôles sociaux et des obligations de chacun. En d’autres termes, que le réseau de soutien des hommes ouvriers témoigne d’une plus faible pratique d’échange d’aide que celui des femmes cadres est sans doute la conséquence d’une conception plus traditionnelle des rôles sociaux.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les règles de l'entraide
Ce livre est cité par
- Privat, Hélène. Urien, Bertrand. Cherrier, Hélène. Valette-Florence, Pierre. (2020) Les systèmes d’échanges locaux : création d’une échelle de mesure des motivations au sélisme et identification de profils de sélistes. Recherche et Applications en Marketing (French Edition), 35. DOI: 10.1177/0767370119859832
- Jonas, Nicolas. Le Pape, Marie-Clémence. (2007) Famille ou belle-famille ?. SociologieS. DOI: 10.4000/sociologies.842
- Privat, Hélène. Urien, Bertrand. Cherrier, Hélène. Valette-Florence, Pierre. (2020) The Local Exchange Trading System in France (Système d’Échange Local (SEL)): Creating a scale to measure motivations for participation in SEL practice and identification of SEL member profiles. Recherche et Applications en Marketing (English Edition), 35. DOI: 10.1177/2051570720917312
Les règles de l'entraide
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3