Annexe 1. Éléments du dispositif d’observation
p. 185-191
Texte intégral
1Pour examiner quels partenaires les acteurs solliciteraient selon leurs besoins d’assistance et comprendre les logiques sous-jacentes à leurs choix, on a procédé à une enquête par questionnaire de type « réseau personnel ». Ce questionnaire répond à trois objectifs principaux :
- Repérer quasi exhaustivement les opportunités relationnelles de chaque individu saisir les propriétés de chaque relation citée.
- Susciter des choix préférentiels, en amenant les personnes interrogées à réagir à des qui mettent en scène des difficultés plus ou moins passagères.
- Révéler et analyser les profils d’obligations de différents rôles, au moyen de scénarii.
2Deux précisions méritent d’être apportées, car elles résultent de décisions théoriques et méthodologiques qui participent de manière conséquente à la création et à la compréhension des résultats observés : le choix de l’individu comme unité d’observation (et non du ménage); les générateurs de noms utilisés pour extraire les relations pertinentes pour la recherche.
L’INDIVIDU COMME UNITÉ D’OBSERVATION
3La plupart des grandes enquêtes françaises qui étudient l’entraide rédigent leur analyse à partir d’échanges entre des ménages ; peu réfléchissent directement sur la base d’échanges entre des individus.
4Par exemple, le module de l’enquête « Modes de vie » (INSEE, 1988-1989) répertorie les aides qu’un foyer a soit données, reçues ou échangées avec d’autres foyers. Les données recueillies décrivent la teneur des relations entre les ménages, au moyen des contenus et des catégories relationnelles qui précisent la nature du lien qui unit le foyer enquêté aux autres foyers. Cette catégorisation est effectuée dans le souci de différencier au sein des structures de parenté, les ménages ascendants, descendants ou collatéraux, et de spécifier les ménages non apparentés, comme des ménages amis, des ménages collègues, etc. Cette technique de désignation des partenaires présuppose que les foyers, bien qu’ils réunissent souvent un ou plusieurs individus, peuvent être représentés et classés à l’aide d’un seul critère relationnel englobant et significatif.
5De même, l’enquête « Relations entre générations et soutien familial » (CNAV, 1990) joue sur l’ambiguïté entre des aides fournies ou reçues par la personne enquêtée, et des aides fournies ou reçues par elle et son conjoint/sa conjointe. Au résultat, les cycles de transmissions sont présentés de sorte à décrire finement les flux d’entraide entre trois générations au sein de la parenté – en tant que position généalogique dans les cycles familiaux : les grands-parents, les parents, les enfants, gommant simultanément les différences enregistrées entre ce que donne et reçoit l’individu et ce que donne et reçoit le couple, au profit d’un éclairage des liens de filiation.
6Unité statistique avant tout, le ménage repère un groupe d’individus qui habitent sous le même toit, à un instant donné. Catherine Bonvalet et Éva Lelièvre (1995) remarquent qu’en tant qu’unité de co-résidence, le concept de ménage est une notion hybride qui aboutit quelquefois à des contresens. Pour des commodités d’écriture ou de compréhension, les chercheurs sont en effet tentés d’assimiler, parfois abusivement, le ménage à la famille, occultant une des composantes pourtant fondamentales de la parenté, à savoir les liens de filiation. Si le ménage a l’avantage d’être empiriquement identifiable et aisément repérable, son utilisation pose parfois de légers problèmes car il ne rend pas compte d’une réalité sociale ou familiale bien précise. Notamment, à travers le ménage, l’observateur ne décrit pas une cellule familiale nucléaire typique (un couple avec ou sans enfants en bas âge), mais il aborde des configurations sociales et familiales infiniment plus variées.
7Plus dangereux, en partant du ménage pour examiner les principaux aidants, on s’interdit d’analyser des échanges qui se produisent en son sein, omettant volontairement du domaine de l’aide, les soutiens déployés au sein du foyer, et en particulier ceux effectués par les conjoints. Elke Bruckner et Karin Knaup (1990) contestent l’intérêt exclusif pour les relations extérieures au ménage, parce qu’il néglige les capacités d’entraide au sein du foyer comme si elles allaient de soi. La composition du réseau relationnel, et notamment du ménage, a pourtant des effets sur la manière dont les individus perçoivent et se servent de leur entourage. Surtout, le choix des aidants évolue selon l’absence ou la présence d’un conjoint et d’enfants adultes au sein du foyer. Si les enquêtes témoignent majoritairement du faible recours à l’aide des proches, c’est sans doute en grande partie parce que les possibilités offertes à l’intérieur même du foyer sont délaissées par le protocole d’observation. Dans ces conditions, l’analyse du choix des aidants impose de prendre en compte les aides au sein du foyer. Et ce d’autant plus que pèse sur ces personnes de la parenté un certain nombre d’obligations légales de soutien.
8L’utilisation du ménage ou de l’individu comme unité d’observation aboutit à une définition différente du réservoir des aidants. La prise en considération des échanges entre les ménages ampute le réseau des partenaires les plus proches (le conjoint, les enfants à domicile). C’est pourquoi, il semble plus pertinent de partir des individus. Cette unité tient compte de l’appartenance des individus à un couple, de leurs liens avec leurs enfants adultes même lorsqu’ils cohabitent avec eux, et de leurs associations extérieures.
9Mais encore, l’examen des seuls échanges entre les ménages conduit à considérer la relation conjugale comme une unité allant de soi, attestant d’une méconnaissance profonde de sa réalité, de ses enjeux et de son organisation. Les modes de fonctionnements familiaux connaissent en effet une grande diversité. Les formes adoptées par les relations conjugales s’expriment à travers des degrés variables tant du point de vue de la cohésion interne du couple, que des procédés de régulation mis en œuvre par les conjoints, que de leurs modes d’insertion au sein de leur environnement social (Kellerhals, 1987). La manière dont les conjoints élaborent une unité englobante cohérente peut être plus ou moins fondée sur une très forte autonomie de chacun, ou à l’opposé, sur la recherche d’un consensus systématique, quasi fusionnel, entre eux deux. Or le style de cohésion développée au sein d’un couple n’est pas sans incidence sur la manière dont ses membres perçoivent leur entourage, ni sur la manière dont ils le sollicitent pour répondre à leurs besoins. Il semble alors plus difficile de considérer le couple, et à plus forte raison le ménage, comme une entité uniforme et univoque.
10Le choix de l’individu admet que les couples élaborent des formes de cohésion qui se répercutent sur leur façon de percevoir leur entourage, et sur les types de relations que les conjoints d’une part, le couple d’autre part, vont créer et développer. En clair, des conjoints peuvent fonder des relations interindividuelles en marge du couple ou même qui l’excluent, comme des relations peuvent être des « relations de couple ». Le refus d’utiliser le ménage comme unité d’observation prend acte des configurations relationnelles possibles entre des relations strictement individuelles et celles qui sont l’apanage des couples.
11La variabilité du degré d’autonomie dont disposent les membres d’un couple pour créer leurs propres relations n’est pas pour autant entièrement résolue en choisissant l’individu comme unité d’enquête. Cette décision laisse seulement la liberté à la personne enquêtée de décrire ses propres liens ou ceux de son couple. Mais rien n’interdit à une personne de se penser-en tant qu’enquêtée-comme représentante de son couple, et de concevoir son entourage dans cette optique. Dans ces cas extrêmes, les relations qu’elle cite sont alors plus celles de son couple que les siennes.
12Le dernier écueil tient à la nature même de l’objet observé. En effet, l’aide peut être à la fois le fruit d’une action individuelle singulière ou celle d’un groupe ; tout comme elle peut concerner un groupe ou une personne dans un groupe. Si certaines aides ne prêtent à aucune confusion dans la mesure où elles sont adressées à une personne particulière et précise, d’autres peuvent être envisagées comme répondant aux deux situations : pour une personne particulière ou pour le couple. Par exemple, quand des parents font un prêt d’argent à leur fille mariée, il est parfois difficile de différencier le donneur (le père ? la mère ? les deux parents ?) mais également le receveur. Si la bénéficiaire de la somme d’argent prêtée semble être clairement identifiable (la fille), les deux membres du couple (la fille et son mari) peuvent en profiter. Là encore, le choix de l’unité pose de manière plus ou moins saillante le problème : choisir le ménage le résout en le noyant, choisir l’individu l’intègre mais laisse entière l’ambiguïté.
LE RÉSEAU PERSONNEL : UNE REPRÉSENTATION DE SON ENTOURAGE
13Les analyses de réseaux personnels portent très rarement sur la totalité des relations d’un acteur, parce qu’elles nécessiteraient un examen de toutes ses relations, en pratique peu réalisable (Boissevain, 1974). C’est pourquoi, ces analyses sont généralement fondées sur un sous-ensemble isolé, plus ou moins étendu, des relations nécessaires aux propos limités d’une recherche. Plus qu’une difficulté pragmatique, la décision de n’observer qu’un ensemble partiel de relations part du principe que le lien qui unit un acteur au millier de personnes qu’avec patience, méthode et courage il pourrait recenser, est souvent beaucoup trop ténu pour être perçu par lui-même comme un élément significatif de son environnement relationnel.
14Les acteurs disposent à l’intérieur de leur espace relationnel d’un vaste réseau de soutiens potentiels, composé de relations variées (Wellman et al., 1988) dont les contours ne sont pas d’emblée et formellement dessinés. Ils deviennent identifiables au gré des événements qui perturbent le cours de la vie. Ce manque de lisibilité des frontières impose donc à l’observateur de recourir à divers indicateurs qui facilitent le travail d’identification des relations afin de les rendre apparentes. En s’attachant à explorer le choix d’un aidant en tenant compte des disponibilités effectives des individus, on vise à recueillir un segment relativement large des relations de chacun. Si le choix d’un partenaire s’appuie sur des contraintes normatives, sur l’histoire singulière de chaque relation, etc., il dépend aussi grandement des « absences » constatées du réseau relationnel. Tout simplement, on ne peut faire appel à des parents décédés. Cette approche qui cherche à mettre en lumière les choix en fonction des disponibilités effectives impose alors de construire une image très large du réseau des relations individuelles. Quels critères définir et retenir pour qu’émergent de la totalité des relations, toutes celles qui seraient a priori à même d’apporter leurs soutiens, indépendamment des jeux des circonstances variables qui les induisent ?
15Peter V. Marsden (1990) regrette que les chercheurs qui analysent le fonctionnement des réseaux adoptent trop souvent une position objectiviste des relations sociales, et négligent les représentations qu’ont les acteurs de la structure qu’elles constituent. Sans mettre en doute l’utilité de considérer la structure objective formée par l’agencement – identifié par l’observateur – de relations diverses, les actions ou les stratégies que les individus poursuivent sont en partie motivées par leurs propres constructions mentales des situations et de leur contexte relationnel. La manière dont ils perçoivent leur environnement relationnel éclaire considérablement leurs stratégies, les contraintes dont ils peuvent devoir tenir compte et les façons dont ils exercent leur contrôle sur la circulation des ressources. Il ne s’agit donc pas tant d’observer un réseau de relations, objectivé au moyen du recoupement des indications partielles fournies par plusieurs informateurs, mais plutôt l’environnement relationnel des acteurs et leur propre participation à cette unité relationnelle, tels que les individus enquêtés se les représentent.
16Les relations sont des créations, qui se transforment en s’éloignant des circonstances qui les ont suscitées, qui se maintiennent et qui, parfois, s’achèvent – y compris les liens les plus formellement définis. La conséquence est qu’elles embrassent des formes mouvantes de sorte que leur disparition est un événement souvent insaisissable pour les acteurs eux-mêmes. Ainsi, des relations plus ou moins endormies persistent parfois, et sont quelquefois réactivées au gré de circonstances fortuites. François Héran (1988) note à propos des relations amicales que les acteurs conservent dans la représentation qu’ils construisent de leur réseau, des relations anciennes dont les liens ne sont pas traduits par des actes perceptibles depuis plusieurs années. Ces relations latentes, qui ne participent pas au quotidien apparent des individus, peuvent redevenir actives au vu d’événements conjoncturels et se révéler des sources d’aides importantes à l’approche de certaines péripéties biographiques. Dès lors, pour dessiner le réseau des relations a priori susceptibles d’apporter un jour une aide, on ne peut pas tenir compte des relations à travers leur existence légale (du fait des ruptures possibles), ni à travers leurs aspects plus visibles que sont les rencontres, les conversations, les soutiens (du fait d’éventuelles relations latentes).
17On a donc cherché à répertorier toutes les personnes avec lesquelles l’individu entretient un lien significatif pour les personnes enquêtées, tant par l’engagement matériel et affectif manifesté à travers des actes concrets, que par l’importance que les individus enquêtés accordent à leurs partenaires.
18L’objet de l’analyse de réseaux est une construction de l’observateur, inhérente aux méthodes d’investigation employées. La formulation des questions, qui ont pour but d’enclencher chez les personnes enquêtées les processus cognitifs de remémoration et de sélection des relations jugées pertinentes ou adéquates au sein du « réseau personnel total », est de ce fait primordiale. Cette importance a suscité de nombreux travaux comparant les données obtenues selon les types de questions posées, et mettant en valeur les vertus et les handicaps des générateurs de noms les plus couramment usités (Campbell et Lee, 1991 ; van der Poel, 1993b).
19Une première procédure se base sur les contacts ou les interactions que les individus ont eues au cours d’un temps donné. Par exemple, l’enquête « Contact entre les personnes » (INSEE, 1982-1983) effectue un relevé systématique des personnes avec lesquelles l’individu enquêté a discuté (à l’exclusion des discussions avec les membres du foyer et des discussions strictement professionnelles) au cours de chacune de ses activités, pendant sept jours consécutifs (Héran, 1988). Le terme « contact » signifie ici un « échange de paroles ». L’inconvénient majeur des questions qui partent d’une simple interaction comme indicateur d’une relation est qu’elles ne tiennent pas compte du contenu réel des liens. Elles s’appuient sur un trait révélateur trop peu précis pour servir de définition d’un réseau de soutien, parce qu’elles suscitent un certain nombre de relations qui ont peu de portée pour les acteurs (van der Poel, 1993b). Ce type de questions induit par exemple l’expression des liens avec les commerçants, avec les travailleurs sociaux, avec l’enquêteur… (Héran, 1988), et omet les relations latentes.
20Une deuxième technique d’identification et de sélection des relations utilise les dénominations de rôle pour dégager l’ensemble des relations étudiées. Le désavantage de ce procédé est que les rôles, bien qu’ils soient culturellement déterminés et circonscrits, se traduisent concrètement par des contenus momentanés ou permanents variés selon les milieux et les histoires personnelles. Par exemple, certaines personnes n’ont aucun contact avec leur parenté, d’autres ne connaissent aucun de leurs voisins (van der Poel, 1993b). La plupart du temps ces approches visent à évaluer systématiquement les relations d’un univers social spécifique, comme par exemple la famille ou le monde du travail. Elles se concentrent alors sur une catégorie de rôle. La restriction du réseau a priori à certaines catégories relationnelles conduit à négliger les soutiens que les personnes peuvent recevoir des autres catégories. Sachant que la grande majorité des aides que reçoivent les individus provient de certains apparentés et, dans certains cas d’amis, le champ d’investigation pourrait se limiter aux familiers et aux amis. Avec un tel procédé, on sacrifie des relations qui ne sont pas normativement définies comme des aidants potentiels alors même qu’elles sont parfois une source de soutien. Ces méthodes présentent le défaut de sous-sélectionner certains secteurs du réseau au détriment du reste des relations (McCallister et Fischer, 1978). Le dernier inconvénient de cette approche est lié aux fortes variations des significations de certaines dénominations de rôle. Il est connu que les sens du mot « ami » changent selon les cultures et selon les individus : les enquêtes attestent notamment que les classes populaires et les classes moyennes ont des conceptions assez différentes de ce qu’est un ami ou de ce qu’il pourrait être (Fischer, 1982b ; Bidart, 1991). De même pour les voisins, François Héran (1987b) montre que le voisinage est une notion à géométrie variable structurée par le type d’habitat : plus les personnes vivent dans des zones d’habitat denses, plus l’aire du voisinage se rétrécit (le village, le quartier, la rue, l’immeuble…).
21La valeur subjective d’une relation peut également servir de point de départ pour amener les répondants à nommer les relations qui ont acquis une certaine signification pour eux. Par exemple, on peut leur demander de citer les personnes dont ils se sentent les plus proches, ou celles qui sont particulièrement importantes pour eux. Le danger de cette approche est qu’elle repose sur un critère de subjectivité propre à chaque individu, qui est variable et souvent énigmatique pour l’observateur. La proximité peut en effet être interprétée en termes de comportements (par exemple le partage de confidences) ou en termes de rôles. Dans ce dernier cas, les personnes proches sont généralement assimilées aux apparentés (McCallister et Fischer, 1978). Là encore, des relations moins intimes sont ignorées alors qu’elles peuvent s’avérer être une source de soutiens appréciables.
22Le dernier procédé consiste à identifier les relations à partir de leurs contenus. Cette approche se base sur le fait que les relations se définissent en partie par des interactions et des échanges, et qu’elles sont le support de la circulation d’informations, d’objets, de services qui ont généralement des implications plus larges que la simple transaction. Les interactions proposées pour identifier les relations font très souvent référence à des gestes de support social ou à des activités de sociabilité. Les répondants sont conviés à nommer les personnes qui leur ont apporté une aide instrumentale (qui effectuent des tâches ménagères, des menus travaux de bricolage, etc.) ou une aide psychologique (avec qui parlent-ils de leurs problèmes personnels ?). Ils peuvent être également amenés à citer les personnes avec lesquelles ils partagent des activités de sociabilité (avec qui ils vont au cinéma, au restaurant ?). Selon Lynne McCallister et Claude S. Fischer (1978), ces méthodes qui proposent une liste plus ou moins importante d’interactions diversifiées permettent de capter le « cœur du réseau », c’est-à-dire la fraction des relations qui influencent le plus « les attitudes, les comportements et le bien-être des individus ». Cette approche présente trois inconvénients. D’une part, les liens qui n’ont donné lieu à aucun soutien récent ou qui n’ont participé à aucune activité de sociabilité ne sont pas pris en compte – excluant ainsi les liens latents dans l’élaboration des réseaux de soutien personnel. D’autre part, en se concentrant uniquement sur les relations qui fournissent des récompenses, les liens persistants et conflictuels sont omis. Enfin, comme dans la plupart des cas, les questions proposent des situations de soutien très générales et relativement ordinaires, cette méthode manque inévitablement les associés dont les échanges sont extrêmement spécialisés1 (Fischer, 1982a). Pour répondre à cet obstacle, il faudrait détailler très précisément toutes les situations qui permettent d’identifier les partenaires dont les soutiens s’avèrent très spécialisés. Cette solution est malheureusement extrêmement coûteuse parce qu’elle multiplie les générateurs de noms pour obtenir en définitive très peu de relations supplémentaires.
23Comment rendre émergeant l’ensemble des relations qui font sens pour les acteurs en regard du soutien social ?
24Selon Mart van der Poel (1993b) la méthode qui permet aux enquêtés d’identifier leurs relations à partir de contenus précis est particulièrement adaptée pour délimiter le réseau personnel de soutien social. Et ce, parce que les interactions spécifiées par les questions renvoient justement aux situations d’appuis et d’aides qu’ont pu connaître plus ou moins récemment les personnes interrogées. Plus encore, parce que les acteurs fondent et justifient en partie leurs attentes de soutien futur sur la base de leurs expériences passées. Cette approche assure donc que seules les personnes pertinentes (les sources de soutien) sont incluses dans le réseau. Néanmoins, le réseau de soutien potentiel qu’on recherche est compris dans un sens beaucoup plus large que le simple réseau de soutien existant ou passé, puisqu’on intègre les liens latents, et qu’on souhaite laisser apparaître les liens manquants – ces absences qui peuvent expliquer des choix à première vue incongrus. Ce réseau se veut également assez large pour pouvoir observer les interdits liés aux attributs des rôles et les conflits qui, sans remettre en doute les relations, font partie de leur histoire afin de soupçonner des échanges qui ont mal tourné. Par ailleurs, il existe une certaine circularité à générer des relations à partir des contenus de soutien existants pour demander ensuite aux répondants de sélectionner des personnes aidantes au sein de ce réseau préalablement décrit. De ce fait, on a opté pour l’emploi de plusieurs générateurs de noms et pour la combinaison de différents caractères des relations.
25Le premier générateur de noms associe un critère de subjectivité (les personnes dont les répondants se sentent proches) à des indicateurs des types de relations, qui précisent les différentes catégories de relations qui peuvent être concernées par cette proximité (parmi la famille, les amis, les voisins, les collègues, ou d’autres personnes). Cette association a pour but de réaffirmer le caractère affectif (et non normatif) du sentiment de proximité. Ce critère de l’importance des relations décrétée par l’acteur est alors considéré comme l’instrument approprié pour faire citer d’une part les relations qui constituent l’entourage quotidien et certaines relations latentes. Le deuxième générateur de noms est établi sur le fait que la famille est une source importante d’aides et que ce ne sont pas nécessairement les apparentés dont on se sent proche qui seraient sollicités, mais que la fréquence des contacts favorise l’entraide. Le critère choisi impose aux enquêtés de citer les apparentés avec lesquelles ils entretiennent des contacts réguliers, en face-à-face, au téléphone ou par courrier. La troisième série de générateurs de noms complète les deux précédents et propose une liste de trois activités (des activités ménagères, des discussions autour de problèmes importants, des appuis pour la réalisation de travaux de bricolage) dont la formulation renvoie plus à un domaine d’activités qu’à une activité très précise. Les enquêtés doivent nommer les personnes qui les ont aidés au cours des douze derniers mois selon les domaines considérés. Ces trois générateurs de noms ont pour vocation de visualiser la portion du réseau de soutien existant, et de laisser apparaître les liens spécialisés qui ne sont ni des proches, ni des membres de la famille.
Notes de bas de page
1 Cf. à ce propos Mark Granovetter (1973) qui témoigne de la force de ces liens dits faibles, qui sont parfois une clef de l’assistance dont les acteurs peuvent bénéficier, comme lors de la recherche d’emploi.
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