Annexe III. Neuf documents relatifs aux débuts du Département de musicologie de l’université de Poitiers
p. 205-215
Texte intégral
1Cette sélection de documents (cinq lettres rangées par ordre chronologique, deux écrits sur la musicologie et deux tableaux de chiffres) vient compléter ma contribution des pages 27 à 51
2La transcription des lettres de Solange Corbin respecte sa graphie et ses abréviations.
Document A
35 novembre 1961 : Lettre de Solange Corbin conservée à l’EPHE, Paris.
4Cher Maître [non identifié]
5Je vous dois une explication : je vous ai dit ce matin brutalement que je ne suis pas encore nommée à Poitiers et la chose est plus grave : il semble que la décision de créer une chaire ait été rapportée. Je m’en inquiète assez peu : j’ai accepté cette surcharge parce que c’est un devoir de bagarrer pour que les élèves aient plus tard des places où se caser. Si, finalement, le ministère refuse que je réside, enseigne etc... à Poitiers, je me trouve très bien au 6 Bellechasse, et je considère que ma carrière est aux Hautes-Études, non en université.
6Ceci posé, j’ai depuis deux ans remué tant de choses et de gens à Poitiers que j’ai des élèves, et même sérieux puisqu’ils désirent des sanctions et diplômes. Si je ne suis pas nommée en université (cela me semble vraisemblable) je conserverai sûrement une petite charge (un séminaire de recherche) au Centre médiéval. Je n’irai que tous les 15 jours, cela simplifiera ma vie, et je ferai faire force diplômes.
7Ces jours-ci je vais fréquenter le ministère et je saurai si ma nomination est : égarée, possible, vraisemblable ou invraisemblable. Je vous en préviendrai.
8Je n’ai pas encore prévenu M. Chailley de ce contre-temps : je l’informerai dès que j’aurai mis le thermomètre dans les dossiers du ministère.
9Croyez cher Maître à tout mon dévouement
10Solange Corbin
Document B
1115 mars 1962 : Lettre de Solange Corbin conservée à l’EPHE, Paris.
12Cher Maître [non identifié],
13Il y a longtemps que j’aurais dû vous écrire. Cette création de Poitiers a été infernale (une création d’une discipline pareille, en ce moment, sans un livre et sans argent !). Les détails sont savoureux. Côté ministère pour l’administration, côté local... Et toute la faculté des lettres m’accueille gentiment. Qu’est ce que ce serait si j’avais trouvé visage de bois. Tiraillée, poussée, poussant, on s’en tire comme suit :
14Je suis entrée en fonctions le 1er octobre 61,
15on a créé un certificat le 21 novembre 61,
16on m’a nommée chargée d’enseignement à partir du 1er octobre 61, par décret du 16 janvier 62.
17Poitiers songe donc à me payer. Mais le secrétaire général étant un bizut, n’a pas su qu’il faut en premier transmettre à l’École une ampliation de ma nomination avant de réclamer le certificat de cessation de payement. L’affaire est donc cuite pour Mars. Le dit secrétaire a tout de même dû envoyer Lundi mon ampliation à l’École, de sorte que vous pourrez cesser de me payer en Avril et que je serai payée à Poitiers.
18Confidentiellement, il y a eu mieux. Localement on avait envie de faire partir ma nomination de mars 62... Cela me faisait sauter six mois d’avancement, et surtout six mois de cumul : tout de même j’ai désormais une vie coûteuse et j’ai demandé qu’on fasse partir traitement et nomination du 1er octobre 61, date où j’ai commencé à me massacrer les méninges pour faire marcher ma classe.
19Je commence à comprendre pourquoi les camarades restent tranquilles dans leurs planques de Paris. Moi qui suis imprudente et qui aime le métier... Le travail que je fais à Poitiers vaut la peine, je vous assure. Sans argent, sans un livre acheté pour eux, mes jeunes gens ont déjà fait des merveilles et créé, le mot n’est pas trop fort, tout autour d’eux. Le Samedi on fait Séminaires Hautes-Études ; on a des diplômes en route. Bien sûr, il faudra du temps et de la patience. Mais je possède tout cela.
20Je possède aussi une terrible sinusite, qu’on vient d’opérer, j’ai pris froid sur le tout, je suis patraque et vexée de l’être. Je grogne à huis clos.
21Veuillez croire, cher Maître, à tout mon dévouement.
22Paris 15.3.62
23Solange Corbin
Document C
245 octobre 1963 : Lettre de Solange Corbin conservée à l'EPHE, Paris.
25Mon cher collègue et ami [non identifié]
26Votre téléphone de l’autre soir me donne à réfléchir. Je pense depuis très longtemps à une « maison populaire de la musique ancienne », dont la formule serait propre à Poitiers : enseignement assez large des instruments anciens, histoire de la musique, récupération des bons sujets à l’Université et au Conservatoire, après séjour souvent nécessaire dans le secondaire. Voici comment j’ai manœuvré. J’ai commencé par me rendre compte que l’Université (ma classe de Faculté) et le
27Conservatoire (municipal) ne sont pas assez souples pour créer une pareille affaire. Je suis allée droit au primaire. J’ai rendu pas mal de menus services et constaté le vide des programmes officiels où la musique n’existe que sur le papier (à l’heure du loisir dirigé c’est fin !) et les instituteurs qui la pratiquent en réalité ont la vie rude. Je les ai réunis et, 1re démarche, nous avons tous ensemble élaboré un programme nouveau en demandant à être considérés comme département-pilote. Nos papiers seront examinés au conseil interministériel d’Octobre.
28Ceci fait, j’ai posé des fondations : on me demande des exécutants, à Paris & ailleurs. J’ai profité des circonstances et fait créer dans le cadre du Centre régional de documentation pédagogique des cours d’instruments anciens : flûte à bec, guitare → guitare à double corde → luth. J’annonce pour l’an prochain la harpe médiévale. Mes enseignants ont trouvé bon accueil et vont probablement venir de Paris s’installer ici. Il y a donc un noyau solide, incrusté dans le Primaire. Mais c’est le primaire.
29Comment organiser cela en « Maison » sous la protection de l’École ? Ce serait un coup fumant. J’ai affaire à une Mairie un peu somnolente et méfiante, à des préventions contre la musique. Nous avons une Maison des Jeunes, mais la Maison de la Culture n’est prévue que pour plus tard. Juridiquement, pratiquement, il faut trouver une formule. On vivra sur l’affiche avant de réaliser la chose pratique.
30En outre je ne puis assumer seule la direction. Le Conservatoire doit être associé à cette entreprise, et dans le comité de direction doivent figurer des gens tels que le directeur artistique de la Maison des Jeunes.
31Enthousiasmée à l’idée de passer aux actes – il me faut tout de même un mode d’emploi – ensuite ça ira.
32Le père Prim se délecte de ses documents et une de mes nièces bisque et rage de s’être laissée distancer. C’est bien fait.
33Mille bien amicaux souvenirs
34Solange Corbin
Document D
3515 novembre 1965 : Lettre de Solange Corbin conservée à l’EPHE, Paris.
36Londres 15.XI.65
37Cher ami [non identifié],
38Je passe la journée à Londres pour voir un manuscrit de Stace qui va passer en vente publique (ms Libri-Philips-Robinson). Je profite d’un instant vide.
39J’ai pu créer dernièrement à Poitiers une association d’appui à ma classe : intitulé ci-dessus [Collegium Musicae Antiquae]. Tout marche bien. L’université m’a offert un local assez généreux (3 pièces) et une installation sonore qui permet les disques. L’entrepreneur de disques fournit un clavecin.
40J’ai profité de cette euphorie pour relancer mon idée d’une « maison de la musique ancienne ». La municipalité avait été jadis très réticente. Elle s’est renouvelée, et la nouvelle équipe suit.
41Seriez-vous disposé – ainsi que vous l’avez dit au début de mon séjour à Poitiers – à prendre sur le papier la responsabilité de ce « laboratoire » ? Affiches, annuaires, etc... nous feraient une large audience en dehors des frontières. Peut-être même obtiendrions-nous à ce titre un chargé de conférences temporaires.
42J’ai suggéré cette idée à la municipalité – car côté Université un tel laboratoire ne peut être envisagé. Eux veulent bien payer et m’aider. Peut-être pouvons-nous trouver une formule ?
43Merci de votre aimable avis et à bientôt avec mes amitiés.
44Solange Corbin
Document E
456 juin 1973 : Lettre de Solange Corbin conservée à l’EPHE, Paris.
46S. CORBIN
47Hôpital Bellier 4 rue Curie 44 Nantes
48Le 6 6-73
49Cher ami [Michel Fleury ?]
50Il est bon, Marichal [président de la IVe section de l’EPHE], en me demandant d’urgence le rapport dactylogr. ! Impossible de m’asseoir, à + forte raison de taper à la machine et je n’ai guère de dactylo à portée ! Je navigue d’ambulance en avion (je suis ambalata !) de clinique en hôpital etc ! La guérison est pour Janvier, j’ai eu double thrombose opérée en Mars : je désire ne reprendre qu’au 1er jour du 2e semestre 74. heureuse que Lesure tienne en attentant [sic]. Je vais donner des consignes.
51Voudriez-vous me faire faire [sic] la liste des gens qui se st inscrits à mon cours ? il doit y avoir là 1 ou 2 personnes (qui écrivent, me bardent de lettres !) à titulariser comme : Mme Ann[i]e Dennery 86 Bd des Batignolles aussi Mme Françoise Duquesne mais j’aimerais mieux n’en pas oublier. Le rapport n’est pas difficile car on a beaucoup travaillé. En réalité l’année 1971-1972 avait été très lourde. J’étais fatiguée. Les invitations américaines (6 universités) sont arrivées là-dessus et m’ont fait une vie dite de chien en 1972-3.
52Le résultat – opération à chaud le 17 mars à Yale – les meilleurs spécialistes du monde dit-on. Je vais d’un hôpital à l’autre mais me voici largemt convalescente. Je devrais être « reprise par mon tempérament » vers Septembre. On a (Solesmes) réclamé un cours de grégorien « par ville de conservatoire » et Solesmes a exigé ma candidature : j’ai demandé Poitiers, Bourges, Paris (et quoi encore ?) Je ne voudrais reprendre le mors aux dents qu’en Février, doublée d’une fille de Solesmes formée à Rome, qui prendrait la partie direction pratique, trop dure physiquement pour moi.
53J’arrête d’écrire ! c’est assez fatigant pour moi, je suis peu et mal installée.
54Croyez à toute mon amitié. Merci d’avoir pris tant de peine pour Lesure.
55Solange Corbin
56Ces cours grégoriens sont intéressants car il faut insérer la discipline dans l’Hre Gle de la musique (Chailley y tient) et je ne fais que ça depuis 40 ans. Puis invoquer... les épopées, cantillations etc... la musique du Proche Orient...
Document F
5726 octobre 1961 : Cours de Solange Corbin [Méthodologie de la musicologie] conservé au Centre François-Garnier, Châtillon-sur-Indre.
58« Cours Poitiers 26 octobre 1961 »
59Point de vue administratif
60M. le professeur Labande a bien voulu accepter qu’une question d’histoire de la musique figure au programme d’histoire du moyen âge. Il est probable qu’il s’agira de paléographie, ou d’histoire générale relative à la période en cause.
61Lorsque j’ai présenté comme il se doit les fiches d’inscription, j’ai fait remarquer que déjà l’un d’entre vous a demandé à passer un CES musicologie comme quatrième certificat de licence. Que ceux qui s’intéresseraient à un tel certificat l’ajoutent à leur fiche, car j’ai désormais à réclamer la sanction administrative de notre enseignement, et évidemment la chose sera bien plus simple s’il existe par avance des candidats.
62Je reprends cette idée de Chailley, dans la préface de notre Précis de musicologie [1958] : il n’y a musicologie que dans la recherche du nouveau, le reste est analyse musicale ou histoire de la musique.
63Premier exposé
64Un musicologue ? ! Nature de la musicologie. Définitions – donc :
65Chacun sa définition : en réalité, le goût de la recherche appliqué à la musique, à son histoire, et même à son environnement. Il est entendu qu’un musicologue doit avoir des connaissances de musique mieux que rudimentaires, et le rêve serait qu’il fût aussi bon musicien que bon érudit. Mais dans la réalité, on se contente de ce qu’on a : j’ai vu rendre des services signalés à la musicologie par des gens qui n’auraient pu dominer la plus simple dictée musicale (ex. la bibliographie, la paléographie, la philologie, etc.) et là encore il faut admettre qu’il y a autant de formes de curiosité que de formes d’esprit. On verra dès ce matin que des philologues pourraient aisément, une fois dûment prévenus, rendre les plus grands services à la philologie et même à la musique. Réciproque.
66Il se trouve que la musique, nous la connaissons actuellement comme une jouissance esthétique, une occupation gratuite de l’esprit.
67Elle est cela en effet depuis quelques centaines d’années. Mais c’est là un fait récent. Auparavant, elle est procédé incantatoire, au sens très large du mot :
68On pourrait, si l’on voulait faire un schéma (inexact comme ils sont tous) dire que de musique incantatoire donc sacrée (qu'elle soit l’œuvre du sorcier, du grand prêtre ou du moine bouddhiste) ou un chant de travail, qui est aussi un appel à des forces mystérieuses, dont on recherche l’appui, a été et n’est au premier chef qu’une musique sacrée.
69On le sent encore vivement dans les chants ethniques, dans les musiques traditionnelles ou religieuses qui ne sont pas le plain-chant. On le sent bien plus vivement encore dans les chants religieux.
70Ne me dites pas que j’insiste trop sur le côté religieux : dans le Moyen Âge, tout s’y rattache et si l’on ne veut pas étudier le côté religieux des faits, il faut se tourner vers des périodes différentes. C’est graduellement, lentement, que la musique, d’abord incantatoire, devient musique sacrée, puis se spécialise lentement :
Musiques de travail
De religions
De danses sacrées
Puis profanes
Puis peu à peu musiques de distraction, et c’est à ce niveau que naît notre musique, la musique composée, inventée par un tel homme qu’on connaît
71Tout cela, nous le saurons à travers les faits, dès la fin de l’année.
72L’aspect matériel :
Écrits (livres, films, photos)
Sonores (bandes, magnétos, chaîne, électro, disques)
73Tout cela nous viendra : probablement bien à temps car il me semble qu’il suffit d’abord de nous informer, 1) de nous dépayser 2).
74Finalement, ce matériel n’existe que depuis une dizaine d’années et auparavant, il y a eu des musicologues. Ils travaillaient comme ils pouvaient : un jour, après les examens, je vous raconterai comment cela se passait : évidemment, c’était moins facile que de nos jours. Mais on m’a tout de même enseigné, bien qu’il y ait déjà longtemps, et la musique et la musicologie.
75Les documents écrits.
76Livres : ceux que nous trouverons dans les bibliothèques de Poitiers : Univ., municip., CESCM, C d’Orientation pédagogique, IPES, Ligugé (à travers revue Mabillon, énorme documentation)
77Enfin, notre documentation à nous : j’achèterai autant de livres que notre budget le permettra, et mettrai un cahier de rêves à la disposition des étudiants. Voici pour Poitiers.
La bibliothèque personnelle de votre chargé d’enseignement fera souvent le voyage, et l’on y adjoindra des prêts de la Sorbonne, consentis à la même personne.
Enfin vous pouvez demander des livres dans les bibl. Universitaires sous forme de prêt qui vous soit personnel. Ces prêts doivent être rendus relativement vite pour ne pas priver d’autres lecteurs éventuels, mais ils sont très secourables.Les manuscrits. Il arrive souvent que des bibliothèques municipales possèdent une grande collection de manuscrits contenant de la musique, ou relatifs à la musique (Tours, Angers, Orléans). Ces manuscrits proviennent en général de sécularisations effectuées depuis le 16e siècle et de legs (le cas de Mazarin et de Colbert) mais Poitiers est une des plus pauvres. Il se trouve pourtant un ou deux textes utiles à la Municipale, et aux Archives des débris de livres ayant servi de brochage, et fort utilisables pour la paléo. En plus, certaines bibl de province ont accepté de nous prêter ici, pour un temps indéterminé, des manuscrits notés de telle ou telle époque. Nous les demanderons lorsqu’un travail précis, pour l’un de vous, l’exigera. Nous travaillerons aussi à l’aide de microfilms. J’en possède moi-même une bonne collection, et il sera probablement possible d’en faire faire des répliques positives pour le travail. Il faut très vite nous accoutumer au maniement du microfilm et des agrandissements qui constitueront notre ressource principale.
78Enfin, il reste la question des livres. Vous vous attendez à ce que je vous donne une bibliographie ; je voudrais que vous regardiez, chacun pour la période qui vous paraît tentante, le Précis de musicologie que nous avons établi sous la direction de Chailley voici trois ans [éd. 1958]. Nous avons tenté de traiter l’ensemble des grandes questions ; ce sont les remarques, ce sont les questions des étudiants qui nous diront si notre entreprise est réussie, et en tout cas qui nous dicteront les aménagements à apporter à la prochaine édition.
79Dans l’Histoire de la musique de la Pléiade (Gallimard), vous retrouverez les mêmes auteurs, mais si j’ose dire en liberté. Là, nous n’étions plus occupés à des travaux scolaires, et chacun de nous a tenté de prendre son sujet du mieux qu’il a pu. Mais le volume I seul paru ne va que jusqu’à Bach. Enfin deux encyclopédies dans l’ordre du dictionnaire : Larousse, plus scolaire, Fasquelle, plus volumineuse, articles de très grands spécialistes. A l’époque où Larousse a paru, je n’ai pu y prendre part. Mes articles se trouvent donc dans Fasquelle à partir de la lettre C seulement. Encyclopédie MGG, Dict. Graves. Vous avez là 4 instruments de travail généraux.
80Surtout, feuilletez des revues. Je vous promets, aussitôt mon budget de l’année acquis, l’achat des volumes récents de la Revue de musicologie.
81(Faire circuler No biblio)
82Pensez bien que là seulement, vous allez trouver le dernier état connu de telle question ; pensez aussi qu’il est indispensable de connaître vos collègues, vos aînés, et quand vous serez tout-à-fait des adultes en musicologie, vos cadets dangereux ou non.
83Tout cela vous semble long, mais il me faut vous faire entrer dans ce monde fermé !
84Dépaysement.
85L’autre fait sur lequel je veux insister aujourd’hui – je lui consacrerai le séminaire de demain – est le dépaysement. Je vous l’ai dit, nous n’avons pas à proposer des jugements, mais à comprendre. Aussi la réflexion de deux d’entre vous m’a-t-elle été droit au cœur l’autre jour : nous voulons comprendre. C’est le cœur de la question. Et pour comprendre il faut souvent chercher très loin dans le contexte historique ou littéraire ou religieux, chacun dans la sphère, pour le but qui vous seront propres. Dès qu’on s’éloigne du XIXe siècle, et dès qu’on s’éloigne de l’Europe occidentale, il semble que le musicologue ait affaire à des dialectes étrangers ; les juger, les utiliser sans comprendre leur sens profond, leur technique, c’est juger sans appel une langue qu’on ignore.
86Musique utilitaire : indispensable
87Le facteur esthétique : aucun rôle alors qu’il règne sur notre musique.
88Je vous l’ai dit en vous accueillant ici même : apprendre, comprendre, parce que vous allez immédiatement vous apercevoir que c’est la vie même de l’homme qui s’écoule avec la musique. Vous êtes venus ici poussés par le goût de la musique, celle que vous connaissez : et il semble en effet qu’une pièce quelconque de notre répertoire moderne nous livre quelque chose de l’affectivité de son auteur. À pénétrer dans d’autres cercles musicaux, vous allez connaître d’autres hommes, d’autres façons de penser, de vivre, et cela non pas par curiosité, mais parce que vous ne pourriez juger en rien de ce que le son vous transmet si vous n’en connaissez le contexte...
METHODE
89Vous devez y recourir en premier, non pour résoudre les questions elles-mêmes, quelles soient générales ou de détail, mais pour vous rendre compte de la place que ces mêmes questions occupent dans l’histoire (dans la mesure du possible) et aussi dans l’esprit de vos aînés. Ex d’une question très intéressante mais rebattue. Exemple de la question difficile etc...
90Et il est tout-à-fait nécessaire que vous lisiez un peu vous-même, parce que d’ici très peu d’années, vous devrez vous mettre au travail personnel et nous donner des thèses. Vous devez donc posséder une information générale abondante, mais poussée, pour chacun de vous, dans le sens de vos propres tendances.
91Comment dépasser les généralités ? Comment savoir si tel sujet est étudié, si tel autre est libre ? Il y a naturellement le moyen enfantin des dictionnaires : tout le monde en dit du mal et tout le monde l’emploie à cause de sa simplicité mais rendez-vous compte que l’article, sitôt imprimé, est mort ! il vous donne l’état de l’esprit de celui qui l’a écrit à une date déterminée, rien de plus, sans détails. Vous pouvez recourir au Précis, mais tous les auteurs qui ont signé vous diront comme moi qu’ils ont été bien modestes dans l’énoncé des problèmes et de la bibliographie.
92Il existe une ou deux bibliographies dont j’ai demandé l’achat à différentes bibliothèques de Poitiers : Hewitt, les Allemands etc..., Arch. LW,
Document G
9317 nov. 1962 : « Discours de Mlle S. Corbin, maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines », Rentrée solennelle du samedi 17 novembre 1962, Rapport annuel du CESCM, Année 1961-1962, p. 16 et suivantes.
LA MUSICOLOGIE
94Monsieur le Préfet,
95Monsieur le Recteur,
96Mesdames, Messieurs,
97Si j’ai accepté l’honneur de prononcer les quelques mots qui, pour une petite part, vont marquer le début officiel de nos travaux universitaires, c’est parce que la discipline que j’enseigne, la musicologie, est un peu nouvelle dans nos Universités. Au surplus, elle traîne avec elle on ne sait quel relent de fantaisie qui ne serait pas sans éveiller tout d’abord une trace de suspicion. La musique proprement dite en effet reste en dehors des préoccupations officielles de nos Universités françaises ; alors que dans plusieurs pays étrangers de grande culture elle fait partie de l’Enseignement Supérieur à l’égal de sa sœur érudite la musicologie, les deux disciplines sont, en France, l’une pratiquée dans les Conservatoires, en dehors de l’Université, et l’autre jusqu’ici réservée à un auditoire plus que restreint : une seule chaire de musicologie en Sorbonne, une à l’Université de Strasbourg, une direction d’études dans chacune des quatrième et sixième sections de l’Ecole Pratique des Hautes-Études (Sorbonne) constituaient l’ensemble de l’enseignement. C’est à POITIERS, l’une des plus dynamiques des Universités de Province, que fut adressée la première demande de création de poste ; l’accueil réservé à ces études nouvelles fait honneur à la largeur d’esprit de ceux qui l’ont admise à égalité avec les disciplines classiques.
98Or la musicologie n’est pas une branche si récente de la connaissance ; avant même d’avoir acquis un nom, elle avait trouvé des serviteurs fidèles et désintéressés dont l’œuvre est encore indispensable et préfigure celle qui nous attend. C’est cette préhistoire de la musicologie, ce sont ses tâches que je voudrais évoquer devant vous. [...] il est temps de procéder à la vision que les musicologues actuels prennent de leur métier et de leurs tâches.
99Comment considérons-nous notre discipline ? Pour Jacques Chailley, la musicologie est essentiellement « un travail neuf et de première main ». Pour Paul-Marie Masson, elle est « la méthode scientifique normale appliquée aux manifestations de l’art musical » et cela, qu’on ait recours aux sciences exactes ou aux sciences humaines. Les travaux vont s’organiser comme en un diptyque : sciences exactes (acoustique, mesures de toute sorte) et humaines (histoire, philologie etc...). Les savants grecs déjà avaient connu cette ambivalence de la musica : tantôt ils la traitent en mathématiciens, tantôt ce sont des grammairiens qui considéreront le rythme. Il n’est pas jusqu’à la médecine qu’on ne questionne pour déceler le fonctionnement de la voix humaine et nos vues à ce sujet ont été récemment transformées. Pourtant, il semble que la musicologie ait surtout tenté les fervents des sciences humaines, pour ce que la musique contient, et qui ne s’explique souvent que par la connaissance de l’homme, de son histoire, de son langage.
100Quelle que soit leur formation scientifique, nos collègues cherchent à éclairer l’origine, le rôle, l’évolution de la musique, ses rapports avec le langage et le comportement humain. On voit que nos ambitions sont immenses, d’autant plus qu’elles ne sont pas limitées à notre civilisation occidentale où la présence de l’écrit permet la recherche jusque dans un passé relativement lointain. Le musicologue moderne semble plus tenté par la musique des sociétés très éloignées de la nôtre, soit dans le temps, soit dans l’espace. À ce niveau, la musicologie prend ses modèles dans les techniques des autres sciences de l’homme et en particulier dans l’ethnologie. On peut paraphraser un titre connu, et dire que la musique commence à Sumer : en réalité, elle commence bien auparavant, avec les premières fresques pariétales représentant des embryons de harpes et de flûtes.
101Les moyens d’action dont nous disposons seront donc ceux des autres disciplines, à un préalable près : la connaissance de la musique elle-même, et la formation de l’oreille. Condition qui retarde l’évolution de la musicologie en France, où l’éducation n’est pas encore distribuée au niveau du primaire avec la même constance par exemple qu’en Hollande ou en Allemagne. L’acquisition tardive des qualités de l’oreille est longue, onéreuse, imparfaite, alors qu'elle se fait sans peine à l’âge du sucre d’orge. Du moment que la musique est un langage, du moment que l’écriture musicale exprime ce langage, on conçoit mal que des éléments aussi banaux ne fassent pas partie de l’éducation enfantine, dont ils constituent un puissant ressort.
102Enfin, nous devons indiquer la nature des documents que nous utilisons. Ce sont naturellement ceux de toutes les disciplines historiques : les notations écrites, l’iconographie, les textes littéraires où nous trouvons descriptions et commentaires. Comme dans toutes les autres disciplines, les témoins se raréfient à mesure qu’on remonte le cours du temps et l’on s’estime heureux, à la période préhistorique, de compter sur les découvertes récentes de fresques et sur les fragments d’instruments que nous livrent les sépultures. Les ethnomusicologues, qui s’adressent à des civilisations de tradition orale, profitent maintenant de la ressource du magnétophone qui leur permet d’enregistrer presque à l’infini.
Document H
103Subventions obtenues par le COLLEGIUM MUSICAE ANTIQUAE, d’après le livre de comptes conservé au Département de musique, université de Poitiers.
Document I
104Comptabilité du COLLEGIUM MUSICAE ANTIQUAE, d’après le livre de comptes conservé au Département de musique, université de Poitiers.
Année | Recettes | Dépenses | Solde |
1965 | 3 826,57 | 2 810,25 | 1 016,32 |
1966 | 6 933,92 | 5 973,74 | 960,18 |
1967 | 10 157,68 | 9 695,51 | 462,17 |
1968 | 7 342,17 | 4 634,04 | 2 708,13 |
1969 | 4 708,43 | 2 778,66 | 1 929,77 |
1970 | 6 343,08 | 3 429,58 | 2 913,50 |
1971 | 5 894,50 | 4 392,68 | 1 501,82 |
1972 | ? | ? | 10 022,00 |
1973 | 17 346,00 | 14 955,25 | 2 390,75 |
1974 | 12 893,20 | 8 438,07 | 4 455,13 |
1975 | 16 876,00 | 7 900,00 | 8 976,00 |
1976 | 14 309,62 | 7 446,84 | 6 862,78 |
1977 | 18 448,00 | 5 671,00 | 12 777,00 |
1978 | 25 138,00 | 22 418,00 | 2 720,00 |
1979 | 14 316,50 | 13 385,02 | 931,48 |
1980 | 13 560,00 | 7 357,81 | 6 202,19 |
1981 | 19 142,18 | 7 652,24 | 11 489,94 |
1982 | 20 672,88 | 11 359,05 | 9 313,83 |
1983 | 20 788,00 | 9 131,57 | 11 656,43 |
1984 | 22 010,00 | 8 416,12 | 13 593,88 |
1985 | |||
1986 | 14 840,00 | 14 703,00 | 137,00 |
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Solange Corbin et les débuts de la musicologie médiévale
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3