Une morale littéraire révolutionnaire ? Les écrivains Charles Baudelaire, Alexandre Dumas, Paul Féval et Eugène Sue à la recherche d’une morale républicaine sous la IIe République1
p. 79-98
Texte intégral
1Dans ses pétitions envoyées en 1848 au gouvernement, la Société des gens de lettres insiste sur le fait qu’il « appartient à un gouvernement populaire et éclairé, de rallier, par reconnaissance, les lettres contemporaines à une œuvre de paix et de régénération morale2 ». Pour s’assurer de ce concours des lettres la Société des gens de lettres invite à rompre avec l’ancienne politique monarchique à l’égard de celles-ci, c’est-à-dire soutenir, financièrement et moralement, les écrivains, car l’écrivain peut œuvrer à « l’amélioration des mœurs et de la société » comme à « la dégradation du goût et des mœurs », « à la corruption des esprits, auxiliaire fragile et fugitif des gouvernements vicieux3 ». La révolution de Février 1848 doit annoncer une période de régénération morale. Mettant en lumière la faillite de la Révolution française du fait de ses difficultés à mettre en pratique une nouvelle religion ou à restaurer la « vraie » religion, romanciers et poètes dessinent une éthique de l’action, de la responsabilité et le modèle politique à fonder ou refonder, en rupture ou non avec l’État et l’Église, dans un contexte – éphémère – de liberté totale d’expression. Dénonçant la corruption de la royauté déchue, les ouvriers de l’intelligence, comme ils aiment à se présenter, entendent moraliser le peuple républicain. Romantiques libéraux et/ou socialistes, spiritualistes et chrétiens, héritent à la fois des théories sur l’art social qui émergent dans les années 1830-1840, du feuilleton politique et plus largement de la place de l’homme de lettres en France depuis le XVIIIe siècle. Romanciers et poètes investissent la presse politique. 10 % au minimum des journaux politiques parisiens sont liés à des romanciers, souvent feuilletonistes, des dramatuges et des poètes (Achard, Karr, Henry de Kock, Léo Lespès, Montépin, Zaccone...) à travers des articles, des poèmes, des romans plus ou moins politisés4. Ainsi, Alexandre Dumas réclame un ministère de la Paix dirigé par un artiste et se présente, comme Paul Féval, aux élections législatives d’avril 1848. La Commune de Paris de Sobrier et La Démocratie pacifique de Considerant soutiennent l’art social d’Eugène Sue5 et sa candidature à l’Assemblée nationale tandis que Charles Baudelaire participe aux barricades de février et de juin 1848. Dans un pays de plus en plus alphabétisé et où l’imprimé ne cesse de se développer mais aussi en pleine crise agricole et industrielle, les trois romanciers feuilletonistes à succès Dumas, Féval et Sue et le jeune poète Baudelaire se font donc les chantres de la régénération morale et politique de la nouvelle France. S’appuyant sur la conscience et la raison, leur morale se veut surtout une science qui enseigne les règles à suivre pour faire le bien et éviter le mal, une doctrine des mœurs centrée sur les devoirs envers Dieu et ses semblables6. Si les quatre membres de la Société des gens de lettres sont d’accord sur l’importance de la régénération morale – qui semble menacée dès les premiers mois par de nombreux conflits –, ils n’interprètent pas de la même manière la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité » et son inscription dans les mœurs. État, Église, religion, travail, famille, propriété sont décryptés en fonction de morales distinctes, socialistes pour Baudelaire et Sue, libérales pour Dumas et Féval. à travers les journaux politiques qu’ils fondent ou auxquels ils collaborent, leurs professions de foi et leur œuvre littéraire, alors très politisée, ces moralistes de 1848 ont du mal à s’accorder sur les fondements politiques, sociaux et religieux de la morale, publique comme privée. Il s’agit donc ici d’étudier la moralisation de la société républicaine par la « souveraineté de quelques-uns », les « révélateurs » (pour reprendre une notion chère au philosophe saint-simonien et socialiste Pierre Leroux) durant la révolution de 1848, temps de remise en question de la morale établie et de cristallisation et de concurrence de discours moraux, et plus largement sous la IIe République, carrefour essentiel dans la reconfiguration des morales religieuses, judéo-chrétiennes, et des morales séculières, libérales et socialistes. En s’appuyant sur les travaux littéraires sur l’artiste romantique prophète, sociologiques sur la figure sociale, professionnelle, de l’intellectuel, et historiques sur la IIe République, l’on insistera sur la dimension morale inhérente au discours et à l’action de ces écrivains, que ce soit dans leur stratégie d’imposer leur ministère spirituel et dans leur tentative d’offrir une science morale, plus ou moins révolutionnaire, à leurs contemporains.
Le sens de l’histoire. Morale et République
Une République annoncée
2Interprètes du sens de l’histoire et plus particulièrement de la Révolution française, les écrivains tiennent à se distinguer des premières Lumières en insistant sur leur rôle de reconstructeurs.
3Aux électeurs qui lui reprochent sa proximité avec la royauté déchue (amitié du défunt duc d’Orléans, privilège du Théâtre-Historique grâce au duc de Montpensier) lorsqu’il se porte candidat à l’Assemblée nationale constituante, Dumas, fils d’un général républicain, s’appuie sur l’histoire et sa poésie omnisciente pour démontrer en quoi son républicanisme est historique – et se distingue du républicanisme révolutionnaire et du républicanisme social. Histoire, providence et signes cabalistiques, dont il détient la clé, éclairent son rôle de prophète7. Aux 20 000 abonnés8 du Mois (no 26, mars 1848-1er février 1850) il explique que depuis longtemps il avait prévu l’avènement de la République, citant à ce propos dans son numéro daté du 1er août 1849 son essai Gaule et France (1833) – qui reprend la lutte des races du « père de l’histoire de France » Augustin Thierry – et ses Impressions de voyage en Suisse (1833-1834). Sa démonstration s’appuie aussi sur une lecture des signes annonciateurs. Ainsi, dans le premier numéro du mensuel, la troisième prise des Tuileries le 24 février 1848, en vertu du chiffre cabalistique 3, est présentée comme la dernière et dans le vingtième la mort du duc d’Orléans, prince idéal, comme décrétée par la providence pour assurer le triomphe de la République.
4Sue démontre de même que cet avènement était annoncé. Dans ses articles offerts à La Liberté de penser et à La Feuille du peuple en 1850-1851, il reprend aussi l’histoire dialectique d’Augustin Thierry de la lutte des races, opposant les Gaulois aux Francs. 1789 comme 1848 symbolisent la revanche des Gaulois sur les Francs et donc la naissance de la République, voire la renaissance de celle-ci puisque se dessine une vision circulaire du progrès. Dans ses Mystères du peuple (1849-1857) la Gaule originelle est une République représentative d’un âge d’or que l’avenir réserve au peuple, c’est-à-dire chez Sue les paysans, les ouvriers et la petite bourgeoisie. A un premier état originel idyllique correspond une période anhistorique, à la rupture de cet état le début de l’histoire, aux tentatives de le retrouver le déroulement de l’histoire, et à la restauration éventuelle de l’état originel la fin de l’histoire9.
5Romantisme et tradition révolutionnaire sont interdépendants dans ces années 1840. Les causes morales de la Révolution française et de Février 1848 sont toutefois jugées différentes. Dans un article offert à La Liberté le 29 mars 1848, Dumas distingue l’action des ministres de la destruction du XVIIIe siècle Voltaire, Crébillon fils et Rousseau, qui ont respectivement sapé la religion, les mœurs et le pouvoir, de celle des reconstructeurs du XIXe siècle : Chateaubriand qui retrouve Dieu, Napoléon qui rétablit l’ordre matériel et Saint-Simon et Fourier qui théorisent le bonheur général et dont la Constitution de 1848 doit être le fruit.
La dénonciation unanime de la corruption
6Surtout Baudelaire, Dumas, Féval et Sue s’accordent dans leur dénonciation de l’immoralité du gouvernement déchu. « Peuple et bourgeoisie ont secoué du corps de la France cette vermine de corruption et et d’immoralité10 ! » peut-on lire dans les 400 exemplaires de l’éphémère Salut public (2 no, 27 février-1er mars 1848) distribués par Baudelaire dans les cafés parisiens avoisinant la rue Saint-André-des-Arts11. Sue dresse, dans un roman écrit avant la révolution de Février mais publié à l’automne 1848, et dont l’action se déroule à la fin de la Monarchie de Juillet, un portrait moral du gouvernement de Juillet à travers la figure d’un banquier député Thomas Rousselet, « chef d’une de ces riches maisons, moralement tarées », incarnation des « fervents adeptes de ce bel axiome qui résume toute notre époque : Enrichissez-vous !!! ils siègent fièrement à la Chambre, prennent héroïquement le sobriquet d’honorables, et visent au ministère12 ». Un des personnages principaux, le banquier Pascal, permet de même à l’auteur de brosser un portrait au vitriol du monde du capitalisme financier sous la Monarchie de Juillet.
7Cependant, face aux divisions que connaît la République durant l’année 1848, le partisan de l’Ordre Dumas se montre plus nuancé à l’hiver 1849. Pour lui même les ennemis les plus acharnés de l’ex-roi ne peuvent que rendre hommage à ses mœurs et ne peuvent parler de son influence corruptrice sur les pouvoirs publics qu’en distinguant sa « moralité politique » et sa « moralité privée », « deux morales contraires qui le rendraient à la fois digne de respect et de mépris13 ». Alors que la correspondance, publique et privée, de Louis-Philippe est publiée dans la presse, Dumas met en avant sa philanthropie, soulageant les misères rurales, mais aussi son courage politique, lorsque le roi se rend sans escorte au cloître de Saint-Merry lors des émeutes du 6 juin 1832, son refus d’utiliser l’échafaud politique envers les conspirateurs et le souci du bien public en refusant de verser le sang et en préférant quitter le trône en février 1848. En effet le Gouvernement provisoire puis la Commission exécutive ont inquiété les libéraux Dumas et Féval, avant qu’à la fin de l’été 1848 ils ne dénoncent et le despotisme de Ledru-Rollin et ses commissaires et celui de Cavaignac, qui a pourtant sauvé la France en juin 1848 selon eux. Pour le journaliste de La Tribune nationale, Baudelaire, le Gouvernement provisoire, « nouvelle étape vers le jacobinisme14 », puis la Commission exécutive, ont montré l’exemple de l’improbité, de l’immoralité politique, par le cumul des mandats des journalistes du National et de La Réforme, et personnifié le désordre matériel, intellectuel et moral, par le despotisme de Ledru-Rollin et le conservatisme de Marrast. Enfin, dès août 1848 chez Féval, puis à l’hiver 1849-1850 chez Dumas, le spectre d’un rétablissement impérial fait craindre une nouvelle dictature. Quant à Sue – qui, lui, a défendu l’action politique, sociale et morale du Gouvernement provisoire – il s’attaque, comme Féval, à la candidature bonapartiste à la présidence, en détruisant la légende de l’oncle, tyrannique, dans sa brochure Le Berger de Kravan, publiée fin novembre 1848, et demeure un farouche opposant de Louis Napoléon avant et après son coup d’État. La critique la plus radicale du gouvernement, de l’État, demeure toutefois celle développée par Baudelaire, proche des idées de Proudhon sous la IIe République15. Chez ce dernier le pouvoir étatique est par essence contre-révolutionnaire. Et quelques poèmes baudelairiens des futures Fleurs du Mal, publiés dès 1850-1852, permettent ce rapprochement avec l’auteur des Confessions d’un révolutionnaire16.
Travail, famille, propriété, une morale de droite ou de gauche ?
8Les quatre écrivains, comme nombre de contemporains, cherchent avant tout à remédier à la crise économique – qui concerne aussi l’industrie littéraire – et plus largement aux conséquences du capitalisme, mises en lumière par les enquêtes morales et statistiques des économistes, libéraux comme socialistes, dès sous la Monarchie de Juillet. Il s’agit de maximiser le bien-être matériel et moral.
Liberté et droit au travail
9Dès la naissance de la IIe République, notamment avec la proclamation du droit au travail et la mise en place des ateliers nationaux par le Gouvernement provisoire, les premières réserves apparaissent.
10Le rédacteur politique en chef de La Liberté (du 25 mars au 25 mai 1848) – qui tire jusqu’à 80 000 exemplaires17 –, Dumas, n’est pas contre la création de cités-ouvrières et la vie associative mais il refuse tout droit au travail. En créant les ateliers nationaux le gouvernement n’a fait que rémunérer la paresse au lieu de réhabiliter le travail. De même, le libéral Féval tient à démontrer que seule la liberté du travail peut garantir la fortune de la France et engendrer le bien-être particulier et l’abolition de la misère. Il s’appuie sur l’exemple américain, jugé modèle libéral fonctionnant au profit des consommateurs, en citant à plusieurs reprises les études de Michel Chevalier parues dans Le Journal des débats. Contre les économistes, anarchistes, socialistes et « monopoleurs » comme Proudhon et Louis Blanc, il montre que la liberté de travail et la concurrence illimitée entraînent une baisse des prix des produits et une augmentation des salaires permettant le bien-être matériel et moral de chaque individu et non tous les maux comme le suggère Louis Blanc : « La morale que prêche M. Louis Blanc à la face du monde civilisé [n’est que] blasphèmes18 ! » Il exhorte les ouvriers des campagnes, les laboureurs, les gens de métier, à ne pas se laisser bercer par les utopies et les fausses promesses. Pour Dumas et Féval, les provinciaux, à travers le renfort de gardes nationales venues à Paris, ont d’ailleurs sauvé Paris en juin 1848. Février devient désormais chez eux une révolution parisienne et les journées de juin symbolisent la réconciliation entre Paris, déchristianisée, et les provinces – alors qu’émergent des campagnes rouges –, chrétiennes, voire la véritable naissance de la France : « Notre France à nous, notre France nouvelle est née le 26 juin, le lendemain de la victoire19. » Lors des journées de juin, ils distinguent un bon et un mauvais peuple. Le premier est celui qui écoute la voix de sa conscience et de son cœur, qui rejette toute théorie anti-libérale et qui combat les insurgés. Le second est le peuple sorti des immondices, des égouts et sur les barricades20. Désormais la « logique et la morale, qui est au-dessus de la logique, ont le droit de se faire entendre21 », les mœurs parlementaires nouvelles de se former enfin, en répudiant les débauches orageuses des débuts de la République. La France doit être délivrée « des fainéants du travail et des acrobates de la philanthropie22 ».
11Le secrétaire de rédaction de La Tribune nationale Baudelaire traite de l’amélioration du sort des travailleurs dans un article du 6 juin 184823 et passe en revue les projets du saint-simonien libéral et collaborateur au Journal des débats Michel Chevalier, du saint-simonien Olinde Rodrigues, du catholique démocrate Lamennais et de l’anarchiste Proudhon, tout en s’attaquant au socialisme étatique des ateliers nationaux. L’auteur de l’article défend le droit au travail et espère que tous ces projets amélioreront le sort des travailleurs mais craint qu’ils ne suffisent pas. Le journaliste politique, intéressé par cette question du bien-être matériel si liée à l’ordre moral républicain, écrit dès les premiers numéros de La Tribune nationale :
« Ce journal poursuivra hautement [...] le triomphe de cette moralité, de cet honneur qui doivent toujours présider à la distribution du travail, à la répartition des profits, [...] nous prétendons élever chaque citoyen à la dignité morale et au bien-être par l’instruction et le travail24. »
12Baudelaire insiste sur la nécessité de rétablir le crédit et de faire revenir les capitaux effrayés. Donc ni despotisme utopique de La Réforme ni conservatisme républicain du National. Au lieu de ramener la confiance, de faire renaître le crédit et le travail – et d’être probes politiquement –, ces hommes ont divisé la France et vont provoquer une guerre civile. Pour Baudelaire la question du travail se résume donc à la question financière. S’il n’y a plus de crise économique et que le gouvernement est stable, le travail ne peut que renaître. Son socialisme est alors réformateur et non étatique25. Cependant, après les journées de juin, qui illustrent la lutte fratricide entre propriété et travail, que voulaient tant éviter Baudelaire comme Proudhon26, le jeune poète choisit le camp des travailleurs. Il se mêle aux barricades des insurgés lors de ces journées27 et combat les « bêtes féroces de la propriété28 ».
13Quant à Sue sa morale socialiste est au carrefour de différents courants socialistes : fouriérisme, saint-simonisme, catholicisme social de Buchez et anarchisme de Proudhon. Plus qu’un théoricien il se veut pratique et retient tous les projets qui lui semblent permettre l’amélioration du bien-être moral et matériel du peuple. De même pas de lutte des classes entre bourgeoisie et prolétariat chez Sue mais une solidarité entre petite-bourgeoisie et prolétariat urbain et rural. C’est pourquoi il invite lors des élections présidentielles à voter aussi bien pour Cavaignac que pour Lamartine, Ledru-Rollin et Raspail. Dans son Républicain des campagnes, paru en avril 1848 et qu’il distribue aux paysans du Loiret chaque samedi au marché de Beaugency, Sue défend l’organisation des ateliers nationaux mais confesse, dans la réédition de 1851, que la pensée qui a présidé à ceux-ci était bonne mais l’application mauvaise. Les ateliers nationaux auraient dû être formés par des corps d’État. Dans une lettre (13 avril 1848) offerte à La Commune de Paris de son ami Sobrier, qui tire jusqu’à 5 000 exemplaires29, il expose un modèle, presque militaire (architecture, uniformes), de cité ouvrière30. Surtout il privilégie l’association des travailleurs (caisses communes, maisons ou fermes-modèles, déjà esquissées dans Le Juif-Errant). Il s’agit de remédier à la misère par l’instauration de crèches et de salles d’asile communales, de maisons de retraite pour les travailleurs âgés ou infirmes, la mise en culture des biens communaux, et de concilier propriété et travail, en baissant par exemple l’impôt sur la petite propriété et en mettant en place l’impôt progressif. Dans La Liberté de penser il défend le crédit foncier, un mode de répartition proportionnelle au rendement, au produit, un salaire minimum fixe, et de nouveau les associations agricoles31. Son souci est moins l’égalité socio-économique parfaite entre tous que l’équité entre riches et pauvres. C’est pourquoi il soutient et la philanthropie, action nécessaire mais non suffisante, et l’organisation étatique et/ou individuelle du travail, pour que tout un chacun ait accès à la propriété. Répétant ses propos des Mystères de Paris et du Juif-Errant, il conclue son roman L’Orgueil, écrit et publié en feuilleton avant la révolution de Février puis édité en volume en octobre 1848, sur le sacerdoce que représente pour les riches l’amélioration morale et matérielle de tous ceux que la société a déshérités. Dans L’Avarice. Les Millionnaires, paru dans Le Siècle entre le 26 juin et le 2 août 1851, un des protagonistes, à la tête d’une fortune considérable, fonde à Chaillot une maison pour douze ouvrières infirmes ou trop âgées pour travailler. Ainsi par toutes ces mesures le peuple « aura une foi profonde à l’amélioration [...] de l’humanité, dans l’ordre moral et dans l’ordre matériel. Cette foi, le peuple la pratiquera en s’employant corps et âme à faire disparaître du monde cette horrible trinité du mal : l’Ignorance, la Misère et l’Oisiveté32 ». Pour le socialiste Sue l’immoralité des masses, rurales comme urbaines, est liée à l’ordre social actuel. Les vices s’expliquent par l’ignorance et la misère. En s’attaquant à ces deux fléaux les individus se moraliseront naturellement.
La famille, reflet moral de la République ?
14Si les conflits autour de la question du travail et de la propriété recoupent la division chez les quatre écrivains entre la droite, ici libérale, et la gauche, ici socialiste (cette dernière ne s’entendant pas forcément sur le rôle de l’État), les conflits autour de la famille et de la place de la femme dans la société transgressent, eux, ces catégories politiques. Chez Proudhon comme pour la droite libérale et conservatrice le domaine réservé de la femme est celui du foyer domestique.
15Pourtant, le collaborateur de La Liberté Dumas s’attaque, dans son article « La Patrie. La Famille. La Propriété » du 24 mai 1848, à la représentation de la famille chez les socialistes. Par leur défense d’une solidarité universelle primant sur la solidarité familiale, les socialistes s’élèveraient contre la voix de la morale, de la religion et de la nature et donc de la famille. Pour le libéral Dumas c’est l’amour familial (morale privée), s’incarnant dans le respect de la hiérarchie naturelle et des siens, qui fait le bon citoyen (morale publique), à même d’encadrer et de guider les Français. Féval use pour sa part du pamphlet mais le but demeure le même : la famille socialiste s’oppose à la voix de la morale, de la religion. Ainsi le « héros » de ses Tribulations, Désiré Théodore Langouty, est présenté comme un « homme mûr, père de famille et président du club démocratique-général-central-populaire-socialiste33 », un usurier qui élève son enfant dans la religion païenne, « comme tout père vertueux et de bon sens34 » ironise Féval. La correspondance entre la petite famille, la cellule domestique, et la grande famille, républicaine, n’est pas chose nouvelle en 1848. Sous l’Ancien Régime comme sous la Ire République, cette correspondance est déjà établie35. Toutefois le code civil napoléonien réaffirme que la famille est une communauté dirigée par le mari et le père, séparée de la société politique. C’est justement ce code civil qui est remis en question par Sue. Dans son compte-rendu de l’ouvrage d’Ernest Legouvé, Histoire morale des femmes (1849)36, tiré de leçons l’année précédente au Collège de France – où Legouvé avait obtenu une chaire, grâce au ministre de l’Instruction Carnot, pour envisager les différents moyens de relever la condition féminine –, ou dans ses romans pédagogiques, le code civil apparaît comme un humiliant archaïsme. Sue invite les moralistes et les législateurs à se pencher sur l’ouvrage de Legouvé afin de mettre fin à la tyrannie voire à la prostitution légale et sociale qui pèse sur les femmes, comme l’exprime l’héroïne de La Paresse : « Le mariage ne doit plus être que pour moi un dégradant servage37. » S’il trouve le livre très bien, il va plus loin que l’auteur sur la question du divorce, qui avait fait l’objet d’un projet de décret de rétablissement proposé à l’Assemblée par le ministre de la Justice Crémieux en mai 1848 mais avait été violemment rejeté. Celui-ci n’est pas envisagé comme une mesure transitoire (permettant les mariages d’amour) avant que le mariage ne redevienne indissoluble, mais comme une liberté, car le bonheur et l’amour ne se résument pas dans le mariage selon Sue. Cette dernière revendication est ridiculisée par Féval dans Le Pamphlet. Le romancier ironise sur les « semences philorganiques38 » et la promiscuité des sexes des fouriéristes et sur l’idée que le divorce est « réclamé par la morale publique39 ». Sue, lui, rejoint les combats de La Voix des femmes d’Eugénie Niboyet – qui soutient la candidature de Legouvé aux élections partielles de juin 1848 – sur l’éducation et la défense d’un salaire digne des femmes. Dans la conclusion de son roman L’Avarice, un des héros fonde une école de filles et de garçons qui y restent jusqu’à l’âge de 12 ans, avant d’entrer en apprentissage. Les enfants sont nourris, logés et reçoivent 10 sous par jour, afin que les parents, pressés par la misère, n’envoient pas trop tôt leurs enfants en apprentissage et qu’ils soient intéressés à leur instruction. De plus chaque année le héros dote chaque femme se mariant à une certaine date. L’explication suit : les jeunes femmes, probes et laborieuses mais gagnant des salaires insuffisants, éviteront ainsi de tomber dans le vice dû à la misère et goûteront aux saintes joies de la famille, souvent ignorées du fait de la pauvreté. Pour le romancier les femmes doivent donc avoir accès à une instruction élémentaire gratuite puis professionnelle et gagner des salaires raisonnables afin de rester dignes. Amour, famille et travail sont ici présentés comme « les trois plus grands bonheurs40 » de l’homme et de la femme.
16Mais c’est surtout sur la question de l’émancipation politique de la femme que les débats sont les plus virulents. Lorsque se déroule un banquet de femmes socialistes le 9 avril 1849 à la salle de la Fraternité rue Martel proposant la candidature parisienne à l’Assemblée législative de Jeanne Deroin – ancienne saint-simonienne devenue fouriériste, proche de Considerant, et icarienne –, directrice du journal L’Opinion des femmes et ancienne collaboratrice de La Voix des femmes41, le rédacteur du Mois s’écrie : « Où sont les mots qui expriment le dégoût, le mépris [...] pour les jeter à la tête de ces mégères échappées du foyer domestique ou plutôt des cabanons de Bicêtre42 ! » Pour lui la circulaire électorale de Jeanne Deroin réclamant la consécration du principe d’égalité civile et politique des deux sexes, base de l’avenir social des femmes et respect des dogmes républicains « Liberté, égalité, fraternité », n’est qu’une plaisanterie. Proudhon lui fait écho et demande aux socialistes, au nom de la morale publique, de se désolidariser de cette candidature :
« L’égalité politique des deux sexes, c’est-à-dire l’assimilation de la femme à l’homme dans les fonctions publiques, est un des sophismes que repousse non seulement la logique mais encore la conscience humaine et la nature des choses. [...] La famille est la seule personnalité que le droit politique reconnaisse. [...] Le ménage et la famille, voilà le sanctuaire de la femme43. »
17Quant à Baudelaire les sources sous la IIe République manquent mais l’antiféminisme ou plutôt sa misogynie sont notoires dans ses notes intimes des années 1860. De plus l’influence de Proudhon dans les années 1848-1850 ne pourrait servir une quelconque défense de l’émancipation sociale et politique de la femme chez le jeune poète.
18Ainsi seuls les fouriéristes de La Démocratie pacifique et les cabétistes soutiennent Jeanne Deroin, malgré un suffrage « universel » seulement masculin. Sue, proche de La Démocratie pacifique et trouvant trop timide l’Histoire morale des femmes – qui traite de la femme de l’Antiquité à 1848 sous divers aspects (fille, amante, épouse, mère et citoyenne) –, semble souhaiter l’émancipation politique des femmes mais sa priorité, comme chez beaucoup de socialistes, est avant tout l’instruction et le travail des femmes. Sue pense qu’il est sûrement trop tôt, en raison des préjugés contemporains, pour obtenir la citoyenneté féminine44. Par contre, toujours sous l’influence fouriériste, il s’intéresse à la sexualité des femmes – au moins dans un mariage d’amour. Réhabilitant la luxure, l’héroïne Madeleine (au prénom très symbolique) de son roman homonyme conseille ainsi son amie mariée :
« C’est un peu bien cru ce que je te dis, ma bonne Sophie, mais enfin le bon Dieu sait ce qu’il fait : il ne nous a pas créées d’essence immatérielle. Tout n’est pas matière, soit ; mais tout, non plus, n’est pas esprit. Va, crois-moi, il est quelque chose de divin dans le plaisir ; aussi faut-il le parer, le parfumer, l’adoniser. Enfin, pardonne-moi cette énormité, en ménage, vois-tu, une petite pointe de luxure n’est pas de trop pour réveiller les sens endormis par l’habitude ; [...] car, après tout, Sophie, voyons, pourquoi les devoirs de femme et de mère, seraient-ils incompatibles avec les séductions et les voluptés de la maîtresse ? Pourquoi le père, le mari, ne serait-il pas aussi un amant ravissant45 ? »
La Deuxième République ou la nouvelle Alliance ?
L’avènement du Christ républicain en Février 1848
19Une réflexion sur le rôle de l’Église catholique, comme institution et principe spirituel, et aussi du message biblique et de Jésus-Christ est développée chez les quatre écrivains. Lors de l’avènement de la République autorité politique et autorité religieuse doivent s’allier pour ces derniers. Le règne de la fraternité, chez ceux-ci comme chez nombre d’acteurs contemporains, doit advenir. Religions anciennes et religions de la conscience – un mot qui revient régulièrement dans leurs écrits et leurs professions de foi – ne sont pas antinomiques. Baudelaire, qui a fait le coup de feu sur les barricades de février, s’adressant aux prêtres, écrit « aujourd’hui [que la société] est foncièrement spiritualiste et chrétienne46 ».
« Jésus-Christ, votre maître, est aussi le nôtre ; il était avec nous aux barricades, et c’est par lui seul que nous avons vaincu. Jésus-Christ est le fondateur de toutes les républiques modernes ; quiconque en doute n’a pas lu l’Évangile. [...] Nous avons le même Dieu : pourquoi deux autels47 ? »
20« Homme de religion et de liberté48 », le Breton Féval, défenseur de la liberté des cultes et de religion, comme l’indique le sous-titre de son journal L’Avenir national, « Journal des libertés civiles, politiques et religieuses », lui répond en plaçant la France sous la protection de Dieu et en rendant synonyme sagesse populaire et sagesse divine :
« [ce] bon sens populaire [...] a laissé choir deux dynasties : l’une impuissante contre le mal, l’autre vivant par le mal ; cette sagesse fondera la République sur d’inébranlables bases. [...] Le bon sens du peuple, la sagesse de tous ; c’est le don suprême de Dieu qui protège la France49. »
21Alors que des prêtres bénissent des arbres de la liberté dès les lendemains de la révolution, et que, de fin février à novembre 1848, les évêques français, encouragés par le gouvernement républicain, célèbrent des messes en faveur de la République et de sa constitution50, illustrant une nouvelle rencontre entre Église et République, spiritualisme et christianisme semblent se confondre. Aux élections partielles de début juin 1848 Dumas demande le soutien des curés parisiens puisque défenseur et du spiritualisme et de la religion chrétienne en proclamant l’âme immortelle. Dès la mi-mars 1848, dans son affiche promouvant la publication du Mois – et qui se termine par les mots « Dieu dicte et nous écrivons » –, il met de plus en lumière l’action réformiste du pape Pie IX.
22Dans sa présentation en décembre 1847 des doctrines de La Liberté de penser, journal auquel collaborera Sue à l’automne-hiver 1850-1851, le philosophe universitaire Amédée Jacques place son mensuel sous l’autorité des doctrines spiritualistes – pour lui universellement reconnues par toute la philosophie française –, c’est-à-dire la reconnaissance de la souveraineté de la raison, de la providence de Dieu, de la liberté et de l’immortalité de l’âme et d’une morale du devoir51. Mais le spiritualisme alors commun au moins à Baudelaire, Dumas et Sue tient à se démarquer de celui de Victor Cousin. Dans leur condamnation morale du gouvernement de Juillet, les écrivains s’en prennent à la philosophie éclectique, pendant philosophique au conservatisme politique et social de Guizot. Féval s’en prend ainsi au foyer de la philosophie du juste milieu : l’Université est dépeinte, comme chez Baudelaire52, comme une « organisation jésuitique53 ». C’est entre autres pour cette raison qu’il défend, aux côtés de L’Univers, la liberté de l’enseignement et la fin du monopole de l’éducation par l’État. Quant à Sue, il pointe, dans son second volume du Berger de Kravan (avril 1849), Entretiens démocratiques et socialistes sur les petits livres de Messieurs de l’Académie des sciences morales et politiques et sur les prochaines élections, l’ineptie et l’incompréhensibilité du philosophe Cousin.
23La concorde religieuse vole cependant en éclat après les journées de juin. Féval, très attristé de la mort du « martyre » Affre, archevêque de Paris, sur les barricades, s’attaque à Lamennais, décrit comme un prêtre plein de fiel et de violence. S’il veut sa pensée « chrétienne, républicaine et fraternelle54 » l’enthousiasme de Février est retombé. La fraternité sur terre n’est plus qu’utopie. La plus belle de toutes les vertus ne peut se réaliser qu’au ciel55. Le catholique bleu, c’est-à-dire ouvert aux idées de progrès et de démocratie, va devenir un catholique blanc, c’est-à-dire clérico-royaliste, contre-révolutionnaire, sous le Second Empire56 – et ce dès avant 1876-1877, date de sa « conversion » et de sa désormais défense des jésuites57. Sa position peut alors être rapprochée de celle du Baudelaire lecteur de Maistre (à partir de 1851-1852), qui lui aussi distingue et même oppose progrès matériel et progrès moral, alors que chez Dumas et Sue les deux suivent la même direction. Chez Baudelaire et Féval le règne de l’argent, du matérialisme économique, entraîne une dégradation morale, tandis que pour Dumas et Sue la diffusion de la propriété et l’enrichissement matériel, accompagnés de l’accès à l’éducation (laïque), permettent le progrès moral, ce que défendait Baudelaire dans La Tribune nationale en avril-juin 1848. Mais après avoir été « physiquement dépolitiqué58 » par le coup d’État, la démocratisation économique et politique ne lui paraît plus aller de pair avec le progrès moral59. Républicain voire athée quand l’Église catholique soutient la réaction monarchique, Baudelaire se dit catholique quand il s’agit de s’opposer au progrès matériel indéfini60.
L’Église romaine, « ennemi[e] de toute émancipation morale ou matérielle61 ? »
24Lors des élections partielles d’avril 1850, le futur représentant du peuple Sue incarne quant à lui la lutte contre le droit divin et les jésuites62. Il critique avec véhémence Montalembert et le despotisme ultramontain du parti de l’Ordre et de la papauté romaine. L’anticléricalisme, voire l’anticatholicisme, de Sue se nourrit des lectures de Quinet et du philosophe Jean Reynaud63. Si dans les années 1830, avant sa « conversion » au socialisme, Sue s’attaque aux philosophes du XVIIIe siècle Voltaire et Rousseau, dans les années 1840-1850, il reprend les idées de Rousseau sur la bonté naturelle de l’homme, menacée par la mauvaise éducation et l’ignorance :
« par la force expansive de la vertu originelle de l’homme, qui, n’étant pas faussée, comprimée, le porte instinctivement vers le juste et le bien, l’humanité tout entière [jouira] enfin des trésors de la création incessamment, indéfiniment augmentés par l’intelligence et par le travail de chaque génération64 ».
25Dans une lettre de décembre 1852, Sue revient sur son évolution philosophique et politique :
« Dans [mes] premiers romans il y a un côté politique et philosophique [...] radicalement opposé à mes convictions à partir de 1844 [...] ; il serait peut-être curieux de voir par quelles transformations, successions de mon intelligence, de mes études, de mes idées, de mes goûts, de mes liaisons (Schoelcher, Considerant, etc.) je suis arrivé après avoir cru fermement à l’idée religieuse et absolutiste incarnée dans les œuvres de Bonald, de Maistre, de Lamennais [...], mes maîtres en ces temps là, je suis arrivé par la seule instruction du juste, du vrai, du bien, à confesser directement la République démocratique et sociale65. »
26Alors que le « parti ultramontain » s’illustre à travers la loi Falloux sur l’enseignement du 15 mars 1850, Sue, dans un compte-rendu de l’ouvrage L’Enseignement du peuple du représentant du peuple, vilipende une nouvelle fois le « parti prêtre », qui trahit la révolution de Février, la Constitution de 1848 et Jésus, « cet homme vraiment divin66 ». Son article-pièce « Monsieur Duchignon ou la famille ! ! la propriété ! ! la religion ! ! », paru dans Les Veillées du peuple (2no, novembre 1849-février 1850), dont Sue appartient au conseil d’administration, entraîne la saisie du premier numéro du mensuel et l’accusation contre Sue par le juge d’instruction du parquet d’Orléans d’avoir excité à la haine les citoyens les uns contre les autres. Le procès n’a pas lieu du fait d’un vice de procédure (dépassement du délai légal d’accusation) mais la circulation n’en est pas moins entravée, en vertu de la loi défendant l’impression et la vente des imprimés saisis67. Le projet de diffusion du mensuel – qui tire son second numéro à 8 000 exemplaires le 23 mars 185068 – inquiète le ministère de l’Intérieur qui, dans une circulaire du 15 janvier 1850, demande aux préfets de surveiller ces manœuvres propagandistes et mesures anarchiques, jugées coupables en vertu de la loi du 27 juillet 184969. Quant aux Mystères du peuple, qui mettent en scène la lutte multiséculaire entre les bons Gaulois et les mauvais Francs, alliés des jésuites, et qui bénéficient d’une publicité dans la presse démoc-soc et d’une distribution par la Librairie Sociétaire et la Librairie phalanstérienne, liées à La Démocratie pacifique, leur diffusion est soigneusement surveillée par le pouvoir. Imprimeurs, colporteurs sont inquiétés par le gouvernement, qui cherche jusqu’à entraver les lectures privées du romancier socialiste. Ainsi lorsque le romancier fait alternativement à Lusignan (Vienne), chez trois personnes, des lectures privées à une soixantaine d’auditeurs au printemps 1850, celles-ci sont rapportées par la gendarmerie et la Cour de Poitiers cherche, malgré leur caractère non public et le fait qu’elles n’occasionnent aucun trouble extérieur, à interdire ces réunions70. Puis l’imprimeur Decan est condamné en novembre 1850 à 3000 francs d’amende pour avoir tiré une lettre de Sue à ses abonnés sans y mentionner le nom de l’auteur et en faire le dépôt71. En avril-mai 1852 le ministère de la Justice continue de s’inquiéter du colportage des Mystères du peuple72. Finalement le romancier, représentant du peuple depuis avril 1850, suspend sa publication entre 1851 et 185373. Les œuvres de Sue entrent aussi à l’Index romain – dont la censure a un moindre effet – en 1852, la papauté se penchant sur la dangerosité de la littérature romantique au XIXe siècle74. Parallèlement, Dumas, sous l’influence de son ami Victor Hugo, s’attaque aussi à l’obscurantisme ultramontain de la loi Falloux. Le pape Pie IX est désormais un ennemi du progrès et c’est une honte pour la France d’avoir aidé sa restauration temporelle sur le trône pontifical75. Dans son dernier numéro du Mois, le journaliste écrit croire en Dieu malgré Proudhon, à la République malgré Molé et à l’honneur de la France malgré l’alliance avec l’Autriche et le siège de Rome. Le divorce entre catholicisme et socialisme voire entre catholicisme et libéralisme leur semble alors irrémédiable76.
27S’établit ainsi une distinction entre Église et Dieu et son fils. L’anticlérical Sue plaide en faveur d’une séparation entre Église et État et une morale laïque77 mais va aussi plus loin en remettant en question la morale biblique et en réhabilitant les sept péchés capitaux dans son œuvre romanesque. Il s’appuie alors sur les passions fouriéristes pour mieux défendre le libre arbitre et examen, tant menacé par Rome et les ultramontains. Dans ses Sept péchés capitaux (1847-1852) on peut lire : « Dieu crée des forces, et l’homme, dans son libre arbitre, emploie ces forces au bien ou au mal78. » Enfin Baudelaire, sous l’influence de Proudhon et de Maistre, d’ailleurs lu par Proudhon, rend synonyme Dieu et tyrannie et manque d’être poursuivi par la justice après la publication de son poème Le Reniement de Saint-Pierre dans La Revue de Paris en octobre 185279.
28Unanimes à dénoncer la corruption de la Monarchie de Juillet et à désirer un âge de régénération morale lors de l’avènement de la IIe République, Baudelaire, Dumas, Féval et Sue se retrouvent sur les fondements nécessaires du régime républicain : Dieu, travail, famille et propriété. Cependant l’interprétation de ceux-ci et leur rapport à l’État et à l’Église divergent. Les quatre écrivains ont d’abord cru dans l’alliance du gouvernement républicain et de l’Église catholique. Mais la République devient sous la plume de Féval synonyme de déchéance et le romancier défend bientôt un roman feuilleton conservateur, critique une société française matérialiste et arbore son légitimisme après le coup d’État du 2 décembre 1851. D’abord défenseur du parti de l’Ordre et de Louis Napoléon Dumas se réfugie dans une éthique individuelle de type héroïque se résolvant dans le spiritualisme, critiquant la mainmise de l’Église catholique, française comme romaine, et celui du futur empereur sur la société.
29Sue et Baudelaire développent une morale de la révolte contre l’ordre établi. Le premier dénonce la trahison du message biblique et de Jésus-Christ par l’Église et le parti de l’Ordre tout en appelant à dépasser la morale socio-économique de Jésus (effacement de la charité et de l’aumône au profit de l’accès au travail et à la propriété pour tous) puis à l’insurrection collective, avant de s’opposer au coup d’État et de s’exiler en Savoie en janvier 1852. De même il dessine une morale familiale privée et publique en rupture avec la hiérarchie familiale traditionnelle – et le Code civil napoléonien si empreint de la morale du Décalogue. Le second va jusqu’à peindre Dieu sous les traits d’un tyran assoiffé de sang mais, « dépolitiqué » par le coup d’État, déçu du pouvoir comme du peuple, sa révolte de collective devient individuelle.
30Entre morales religieuses et morales séculières leurs religions de la conscience se sont heurtées aux désabusements nés des conflits républicains : politique sociale du Gouvernement provisoire, insurrection de juin 1848, restriction du suffrage universel masculin et coup d’État. De plus leur discours sur la morale et le pouvoir que l’on prêtait à l’expressivité de la littérature au XIXe siècle ont entraîné un raidissement des autorités politiques et religieuses. Littérature de divertissement comme littérature politique – ou politisée – ont été jugées par les autorités comme par les écrivains catholiques conservateurs et socialistes pernicieuses dès 1848, l’anathème ou la louange individuels n’étant pas exclus de cette police des mœurs littéraires.
31La professionnalisation de l’écrivain80 a entraîné sa responsabilité individuelle et publique, que la loi du 16 juillet 1850 entend encadrer et que réclamait dès le 3 juillet 1848 la Société des gens de lettres, comme « mesure indispensable à la dignité, à la moralité de la littérature politique81 ». à l’été 1850, feuilleton, roman et théâtre sont strictement encadrés. Pour autant malgré leurs désirs de toucher un lectorat modeste, les journaux, les feuilletons et les romans et poèmes de Baudelaire, Dumas, Féval et Sue sont restés avant tout souscrits par la bourgeoisie voire la petite bourgeoisie, fréquentant les cabinets de lecture, les artisans et les petits employés soucieux de promotion sociale, plutôt que les ouvriers82. Mais il s’agit de prévenir la démoralisation des lecteurs et des spectateurs, et plus particulièrement des ouvriers et des femmes. Ainsi il est tout naturel qu’en 1853 l’Académie des sciences morales et politiques lance un concours sur le sujet « Exposer et apprécier l’influence qu’a pu avoir en France sur les mœurs la littérature contemporaine, considérée surtout au théâtre et dans le roman », tandis que les poèmes de Baudelaire et la prose de Dumas et Sue continuent d’inquiéter les gardiens de la morale publique, en France, comme à Rome.
Notes de bas de page
1 Je remercie infiniment mon directeur de thèse Jacques-Olivier Boudon, ainsi que Philippe Boutry, Isabelle Dasque et Vincent Robert de leur relecture attentive et de leurs précieux conseils.
2 Mémoire et requête du Comité de la Société des gens de lettres concernant la situation des lettres au ministère de l’instruction publique, Paris, 20 décembre 1848, p. 8.
3 Ibid.
4 Ce calcul, effectué dans l’état actuel de mes recherches, s’obtient en divisant le nombre de journaux politiques parisiens publiés entre 1848 et 1852, environ 500, par le nombre de journaux, environ 50, auxquels collaborent ces écrivains. Mon corpus comprend une trentaine de romanciers.
5 Un des premiers exemples d’application culturelle de l’expression « art social » se trouve dans un article paru dans L’Artiste en 1834, « L’Art social et progressif », de Théophile Thoré, critique d’art et républicain socialiste – condamné par contumace en 1849. Voir aussi McWilliam N., Rêves de bonheur. L’art social et la gauche française (1830-1850) (1993), sl, Les Presses du Réel, « Œuvres en sociétés », 2007, 495 p.
6 Nodier C., Dictionnaire de l’Académie, 1835 ; Barré L., Complément du Dictionnaire de l’Académie ; Boiste, Dictionnaire universel de la langue française, 10e édition revue, corrigée, considérablement augmentée, Paris, Firmin Didot frères, Rey et Gravier, 1841. Tandis qu’apparaît dans les années 1840 une science des religions les différents dictionnaires de la Monarchie de Juillet illustrent une laïcisation de la morale et offrent une typologie de celle-ci. La morale publique se partage entre morale divine et morale humaine, ou entre morale générale et morale particulière, cette dernière elle-même divisée en morale individuelle, morale sociale et morale religieuse.
7 Le sociologue Max Weber, dans Le Métier et la vocation d’homme politique (1919), range parmi les figures du pouvoir charismatique le prophète – et le démagogue (dont fait partie le journaliste). Paul Bénichou a mis en lumière la tentative d’un pouvoir spirituel laïc dans les années 1820-1850, après une première tentative entre 1760 et 1789. Son projet est défini comme une préhistoire des intellectuels dans Le Sacre de l’écrivain (1973). Christophe Charle explique quant à lui, dans La Naissance des « intellectuels », 1880-1900 (1990), que la figure sociale de l’intellectuel – néologisme né au moment de l’affaire Dreyfus et désignant à l’origine une avant-garde culturelle et politique osant défier la raison d’État – peut se réclamer d’une tradition ancienne, celle du philosophe, du poète romantique et de l’artiste de l’art pour l’art.
8 Dumas, « Aux Abonnés du journal le Mois », Le Mois, volume 1, no 12, 30 novembre 1848, p. 384.
9 . Thiesse A.-M., « Un roman/manuel d’histoire plébéienne : Les Mystères du peuple d’Eugène Sue », H. Moniot (dir.), Enseigner l’histoire. Des manuels à la mémoire, Berne, Francfort-sur-Main, Nancy, New York, Peter Lang, 1984, p. 31.
10 Le Salut public, no 1 [27 février 1848], p. 3B. Les lettres mentionnées en note indiquent la colonne.
11 Toubin C., Ce que j’ai vu. Souvenirs d’un septuagénaire (jamais publié entièrement) et lettre de Champfleury à Armand Baschet [1852], cités dans Bandy W. T. et Pichois C., Baudelaire devant ses contemporains, sl, Klinsieck, 1995, p. 57-58.
12 Sue, La Luxure. Madeleine (Le Constitutionnel, 18 octobre-24 novembre 1848), Sue, Les Sept péchés capitaux, Paris, Jules Rouffet Cie, sd, p. 1003. L’ouvrage paraît en volume pour la première fois en 1849 chez A. Cadot.
13 Le Mois, volume 2, no 15, 1er mars 1849, p. 83A.
14 « Une réaction dénoncée par Le Bien public », La Tribune nationale, 27 mai 1848, Baudelaire, Œuvres complètes, volume 2, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1976, p. 1045.
15 Entre 1846 et 1852 Proudhon développe une critique du jacobinisme tandis que l’expérience quarante-huitarde l’amène à dénoncer l’inefficacité de l’action parlementaire.
16 Pour R. E. Burton, dans Baudelaire and the Second Republic (Oxford, Clarendon Press, 1991, 380 p.), Baudelaire a d’abord été proche de Blanqui avant d’être sous l’influence de Proudhon après les journées de juin puis appartient au camp des démocs-socs jusqu’en 1851. Walter Benjamin écrivait déjà à la fin du chapitre « La Modernité » de Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’époque du capitalisme : « L’action de Blanqui a été sœur du rêve de Baudelaire. Les deux sont joints, ce sont les mains jointes sur une pierre sur laquelle Napoléon III avait enterré les espérances des combattants de Juin. », cité dans Oehler D., « Juin 1848 chez Baudelaire et Flaubert », J.-L. Mayaud (dir.), 1848, Paris, Créaphis, 2002, p. 145. Si Baudelaire a peut-être partagé une forme d’action blanquiste, sa critique du despotisme néo-jacobin au printemps 1848 l’éloigne de la forme du gouvernement prônée par Blanqui. Voir aussi Laforgue P., « Baudelaire et la royauté du spleen. Le poète, la mélancolie et la révolution », A. Guyaux et B. Marchal (éd.), Les Fleurs du mal, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2003, p. 143-160.
17 Guiral P., « La Presse de la IIe République », C. Bellanger et al. (dir.), Histoire générale de la presse, t. 2 : De 1815 à 1871, Paris, PUF, 1969, p. 209.
18 Le Bon sens du peuple., no 2, 30 mars-1er avril 1848, p. 3B-4A.
19 « Le Présent et l’Avenir. I. Le Présent », L’Avenir national, no 19, lundi 12 juin 1848, p. 1A-B.
20 Dans un article non signé, « Le premier discours de M. Victor Hugo », paru dans La France nouvelle le 22 juin 1848, Dumas reprend la tripartition sociale et morale du peuple selon le lieu occupé dans la rue de son ami : la maison représente la famille et la propriété, le pavé les émeutes et les barricades et l’égout les immondices.
21 L’Avenir national, no 2, mercredi 5 juillet, p. 1A.
22 Ibid., no 11, vendredi 14 juillet, p. 1B.
23 « Des moyens proposés pour l’amélioration du sort des travailleurs », La Tribune nationale, 6 juin 1848. Claude Pichois estime toutefois que cet article ne peut être entièrement rédigé par Baudelaire (« “La Tribune nationale”. Notice », Baudelaire, Œuvres complètes, vol. 2, op. cit., p. 1559-1560).
24 Baudelaire, « Avis », La Tribune nationale, no 3, vers le 10 avril 1848, Baudelaire, Œuvres complètes, volume 2, op. cit., p. 1040-1041.
25 G. (Van) Slyke, dans « Dans l’intertexte de Baudelaire et de Proudhon : pourquoi faut-il assommer les pauvres ? » (Romantisme, no 45, 1984, p. 57-77), souligne le fait que le droit au travail et la défense du crédit par Baudelaire répondent au projet, contemporain de ses articles, de banque d’échange du représentant du peuple Proudhon (gratuité, ou quasi-gratuité, du crédit devant garantir le travail dans un système d’auto-gestion du travail et l’abolition progressive de la propriété). Cependant si dans l’article du 6 juin 1848 le projet de Proudhon paraît meilleur que les projets saint-simoniens, il ne semble pas être le seul retenu ni une solution définitive à l’amélioration du bien-être des travailleurs, dont le journal veut être le porte-parole.
26 Si Proudhon regrette cette guerre civile parisienne, dont la faute revient à la réaction, et espérait que le peuple travailleur – tout du moins une partie – ne se soulèverait pas, il n’en condamne pas moins l’immoralité de la répression et loue la moralité des travailleurs insurgés dans ses Confessions d’un révolutionnaire (1849). Cependant comme son journal Le Représentant du peuple juge inexcusable l’insurrection (c’est-à-dire servant la réaction), la presse ironise sur le non soutien de Proudhon aux insurgés. Féval écrit ainsi dans son Avenir national : « Pour le vigoureux esprit qui a trouvé cette formule : la propriété c’est le vol, tout se transforme, la morale, comme la logique. Nous voudrions gager que, dans le décalogue de M. Proudhon, représentant du peuple, l’ingratitude est la plus magnanime de toutes les vertus » (no 1, mardi 4 juillet, p. 2A).
27 Lettre d’Ernest Prarond à Eugène Crépet (1er octobre 1886), dans Pichois C., « Sur la jeunesse de Baudelaire » (Mercure de France, septembre 1954), Baudelaire. Études et témoignages (1967), Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1976, p. 31-32. L’ami de Baudelaire rapporte dans ces souvenirs que Le Vavasseur, du côté de la garde nationale, a rencontré Baudelaire « à l’heure où les barricades étaient à peu près prises, exalté, l’odeur de la poudre aux mains ». Sur cette question de l’engagement du jeune Baudelaire en 1848, Claude Pichois, qui s’appuie avant tout sur le témoignage de ses amis et ses notes intimes, plaide en faveur d’une explication psychanalytique (la haine envers son beau-père, second mari de sa mère, le général Aupick, à la tête de Polytechnique en février 1848) et d’une jeunesse fougueuse, tandis que Dolf Oehler, qui s’appuie surtout sur ses articles, ses poèmes et sa proximité avec Proudhon, défend l’adhésion idéologique du jeune poète au républicanisme socialiste et révolutionnaire. Voir Pichois C. et Ziegler J., Baudelaire (1987), Paris, Fayard, 2005, 827 p. et Oehler D., op. cit., p. 141-158.
28 Baudelaire, « A P.-J. Proudhon [Paris, 21 ou 22 août 1848] », Correspondance, Gallimard, « Folio classique », 2000, p. 63.
29 Gossez R., « Presse parisienne à destination des ouvriers, 1848-1851 », J. Godechot (dir.), La Presse ouvrière, 1819-1850, Paris, Société d’histoire de 1848, « Bibliothèque de la Révolution de 1848 », 1966, p. 176-187.
30 Sue, « De la création de bataillons de travailleurs volontaires », La Commune de Paris, no 50, mercredi 26 avril 1848, p. 1C-D.
31 Sue, « Réalités sociales. Études sur le prolétariat dans les campagnes. Première étude. Jean-Louis le Journalier. Troisième article », La Liberté de penser, t. 7, no 39, février 1851, p. 241-268.
32 Sue, « Réalités sociales. Études sur le prolétariat dans les campagnes. Première étude. Jean-Louis le Journalier. Deuxième article », La Liberté de penser, t. 7, no 38, janvier 1851, p. 159-160.
33 Le Pamphlet, no 13, mardi 6 juin 1848, p. 3B.
34 Ibid., no 19, lundi 12 juin 1848, p. 1A.
35 Même si, comme le souligne A. Verjus, entre 1789 et 1794, l’on passe d’une communauté politique inégalitaire et socio-naturelle à une association d’individus construite sur des principes rationnels, égalitaires et libéraux. La famille n’est plus tant alors une communauté, que défendent ici Dumas et Féval, qu’une association d’individus libres et égaux. Toutefois entre 1794 et 1804, date du code civil, l’on revient à une séparation juridique plus stricte entre la sphère familiale domestique et la société civile et politique et à une réaffirmation de la famille comme communauté patriarcale, séparée de la société civile et politique (Heuer J. et Verjus A., « L’invention de la sphère domestique au sortir de la Révolution », Annales historiques de la Révolution française, no 327, 2002/1, p. 1-28). Voir aussi Verjus A., Le cens de la famille. Les femmes et le vote, 1789-1848, Paris, Belin, 2002, 256 p. L’auteure insiste sur le fait que l’introduction du suffrage universel masculin en 1848 met fin au « suffrage familialiste » et individualise désormais le vote. Sur la question du vote des femmes sous la IIe République elle semble défendre la position de George Sand, c’est-à-dire l’obtention d’une émancipation civile avant toute émancipation politique, et s’élever contre la défense de la citoyenneté féminine au nom de la différence (le statut de mère) et non de l’égalité. Chez les rédactrices de L’Opinion des femmes les deux arguments ne paraissent pas inconciliables.
36 Sue, « Histoire morale des femmes par Ernest Legouvé », La Démocratie pacifique, 18e année, no 128, vendredi 11 mai 1849 (édition du matin), p. 5D-6A.
37 Sue, La Paresse (1849), Sue, Les Sept péchés capitaux, op. cit., p. 1155-1556.
38 [Féval], « Les tribulations d’un terroriste de 1848 », Le Pamphlet, no 17, samedi 10 juin 1848, p. 1C.
39 Ibid., no 19, lundi 12 juin 1848, p. 3C.
40 Sue, La Luxure, op. cit., p. 1010.
41 Sur toute la presse féminine de la IIe République voir Sullerot E., « Journaux féminins et lutte ouvrière 1848-1849 », Godechot J. (dir.), La Presse ouvrière, op. cit., p. 88-122.
42 Le Mois, volume 2, no 17, 1er mai 1849, p. 141A.
43 Le Peuple, 12 avril 1849, cité dans Riot-Sarcey M., Histoire du féminisme (2002), Paris, La Découverte, 2008, p. 47.
44 De plus Michèle Riot-Sarcey souligne, qu’après juin 1848, les femmes socialistes ayant choisi le camp des ouvriers, tout en prêchant la concorde, la solidarité socio-économique l’emporte désormais sur la solidarité féminine (Histoire du féminisme, op. cit., p. 45).
45 Sue, La Luxure. op. cit., p. 1135.
46 « La première et la dernière », Le Salut public, no 2, [1er mars 1848], p. 3B. L’article se termine sur ces mots : « Voilà pourquoi 1848 sera moral, humain et miséricordieux » (3B-4A).
47 « Aux prêtres », ibid., p. 2A. Voir aussi Bowman F. P., Le Christ des barricades, 1789-1848, Paris, Cerf, 1987, 361 p.
48 Féval, Aux électeurs du Finistère [15 mars 1848], s. l., n. d., 1 p.
49 Le Bon sens du peuple, no 3, 6-9 avril 1848, p. 1A-2A.
50 Voir Lalouette J., « La politique religieuse de la IIe République », Revue d’histoire du XIXe siècle, no 28, 2004/1, p. 79-94. Le préambule de la Constitution de 1848 commence ainsi : « En présence de Dieu et du peuple français », et l’article 7 comme suit : « Chacun professe librement sa religion, et reçoit de l’État, pour l’exercice de son culte, une égale protection. » (« Constitution française de 1848 », Le Mois, volume 1, no 12, 30 novembre 1848, p. 371A et 372A).
51 Jacques A., « Avant-propos », La Liberté de penser, no 1, décembre 1847, p. 4. Le mensuel, publié de décembre 1847 à novembre 1851, aura entre autres pour collaborateurs Ernest Renan, Jules Simon, Jules Michelet.
52 Baudelaire, « À Auguste Poulet-Malassis ([Paris], samedi 20 mars [1852]) », Correspondance, op. cit., p. 69-72.
53 Le Bon sens du peuple, no 2, 30 mars-1er avril 1848, p. 4A.
54 « Fraternité », L’Avenir national, no 12, samedi 15 juillet 1848, p. 1C.
55 L’Avenir national, no 22, mardi 25 juillet 1848, p. 1A.
56 Sur ces distinctions entre catholiques et plus précisément sur le milieu familial de Féval voir Lagrée M., Mentalités, religion et histoire en Haute-Bretagne au XIXe siècle, Paris, Klincksieck, 1977, p. 334-337.
57 Il narre ces étapes dans son récit plus ou moins autobiographique Les Étapes d’une conversion, publié entre 1876 et 1881.
58 Lettre à Narcisse Ancelle ([Paris], samedi 20 mars [1852]), Baudelaire, Correspondance, op. cit., p. 69.
59 Dans ses notes intimes des années 1860 le poète dénonce les religions du progrès mais continue de croire en la force morale, au progrès moral individuel.
60 « Catholicisme », Pichois C. et Avice J.-P., Dictionnaire Baudelaire, Tusson, Éditions du Lérot, 2002, p. 110.
61 Sue, « Le suffrage universel et la vile multitude au IIIe siècle », La Liberté de penser, t. 6, no 34, septembre 1850, p. 310.
62 Boutiquiers et vous tous commerçants, ouvriers et propriétaires [...] Votons pour Sue, Paris, De Soye et Cie, 1850, 1 p.
63 Edgar Quinet avait publié en 1835 son Ahasvérus, mis à l’Index, et en 1844 L’ultramontanisme ou l’Église romaine et la société moderne. Jean Reynaud publie avec Pierre Leroux L’Encyclopédie nouvelle (1839-1847), avant de devenir sous-secrétaire du ministre de l’Instruction publique Carnot en 1848. Comme le souligne Philippe Boutry, dans « Papauté et culture au XIXe siècle. Magistère, orthodoxie, tradition » (Revue d’histoire du XIXe siècle, no 28, 2004/1, p. 31-58), l’ultramontanisme devient au XIXe siècle le prête-nom et le fourre-tout de l’anticatholicisme européen.
64 Sue, « Réalités sociales. Études sur le prolétariat dans les campagnes. Première étude. Jean-Louis le Journalier. Troisième article », La Liberté de penser, op. cit., p. 267.
65 Sue, « [A Hetzel] (Annecy-le-Vieux, 14 décembre 1852) », cité dans Bory J.-L., Eugène Sue. Dandy mais socialiste (1962), Paris, Mémoire du livre, 2000, p. 473.
66 Sue, « L’Enseignement du peuple, par Edgard Quinet. Premier article », Le Peuple de 1850, no 7, mercredi 14 août 1850, p. 7B.
67 La deuxième partie de la pièce paraît dans le second numéro mais sa dernière partie seulement en 1851 dans La Nation, journal bruxellois, puis chez l’éditeur belge Tarride à Bruxelles.
68 Gossez R., op. cit., p. 182.
69 AN, F/18/2.
70 AN, BB/30/364, avril-mai 1850.
71 AN, BB/21/534 : demande en grâce de Decan (11 pièces, avril-septembre 1850).
72 AN, BB/30/403.
73 Les 24 et 25 septembre 1857 le Tribunal correctionnel de Paris reproche de façon posthume à Sue, mort le 3 août précédent, d’avoir entrepris et poursuivi son œuvre dans un but évident de démoralisation et ordonne la destruction de l’œuvre. Parmi les délits retenus figurent ceux d’outrage à la morale publique, à la morale religieuse et aux bonnes mœurs ainsi que les attaques contre le principe de la propriété.
74 Voir Boutry P., op. cit., p. 44-50 et Amadieu J.-B, « La littérature française du XIXe siècle à l’Index », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 104, 2004/2, p. 395-422.
75 Dumas, « Allemagne. Hongrie. Italie », Le Mois, volume 2, no 21-22, 1er septembre 1849-1er octobre 1849, p. 257A-267B et 288A-303B.
76 Il existe bien un catholicisme libéral et un catholicisme social, mais ce dernier est désormais minoritaire. Le socialisme chrétien, qui voulait concilier démocratie et catholicisme, s’efface au profit des catholiques conservateurs, libéraux ou non.
77 Sue, « L’Enseignement du peuple, par Edgard Quinet. Deuxième Article », Le Peuple de 1850, no 9, dimanche 18 août 1850, p. 5B-6C.
78 Sue, L’Envie. Frédérik Bastien (Le Constitutionnel, 7 mars-14 mai1848), Sue, Les Sept péchés capitaux, op. cit., p. 698. Le roman est écrit avant la révolution de Février.
79 Le poème ouvrira la section « Révolte » des Fleurs du Mal lors de la publication du recueil. La Revue de Paris est dirigée, entre autres, par Arsène Houssaye, Théophile Gautier et Maxime Du Camp, et publiera aussi en 1856-1857 Madame Bovary de Flaubert, bientôt en procès, comme quelques mois plus tard Baudelaire, après la publication des Fleurs du mal.
80 Gisèle Sapiro souligne qu’au XIXe siècle la dénomination d’homme de lettres, qui désigne un état, est de plus en plus concurrencée par celle d’écrivain, qui renvoie au public et donc à une mission (« De la responsabilité pénale à l’éthique de responsabilité. Le cas des écrivains », Revue française de science politique, volume 58, no 6, décembre 2008, p. 877-898).
81 Pétition adressée à l’Assemblée nationale par le Comité de la Société des gens de lettres (3 juillet 1848), Paris, Imprimerie Proux et Cie, 1848, p. 2.
82 Lyons M., « Les nouveaux lecteurs au XIXe siècle. Femmes, enfants, ouvriers », G. Cavallo et R. Chartier (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental (1995), Paris, Seuil, 2001, p. 393-430.
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