Introduction
p. 289-290
Texte intégral
1S’ouvrant résolument à des approches pluridisciplinaires, ces « regards croisés sur les mots de guerre » saisissent les mémoires des guerres par les angles originaux et renouvelés de l’anthropologie et de la littérature.
2Cette dernière partie donne la parole à d’autres témoins que les victimes, par le biais des correspondances des occupants prussiens et bavarois de l’Orléanais. Ils sont donnés à entendre à travers leurs écrits du for privé, donc perçus de l’intérieur, en tant qu’individus de chair, de sang et de sentiments, très différents des hordes de barbares cruels caricaturées par les représentations françaises jusqu’à la Grande Guerre. Dernier verrou sur la Loire avant la prise de Paris, Orléans revêt une importance toute particulière, non seulement comme enjeu stratégique, mais surtout comme symbole, en tant que ville de Jeanne d’Arc, héroïne nationale et incarnation du patriotisme et du devoir, bien connue des Allemands grâce à Schiller. Si Orléans n’était plus digne d’un miracle, c’est que décidément la France ne le méritait plus.
3Les mémoires allemandes de l’occupation d’Orléans conjuguent le souci d’apparaître comme des occupants modèles et celui de justifier leur fermeté par le délabrement moral du peuple français. Armée du peuple formée de bons pères de famille, aimant les enfants et les fêtes de Noël, les soldats et officiers allemands s’étonnent de la faible instruction de leurs ennemis, mais découvrent, de Loigny à Orléans, leur ténacité et leur sens du sacrifice. Animés par la cause, à leurs yeux juste, de l’unité d’une nation naissante derrière Germania, les Allemands renvoient aux Français l’accusation de barbarie, stigmatisant le recours aux « hordes sauvages d’Afrique », des tirailleurs algériens aux Turcos.
4Le regard littéraire saisit sur le champ les mots de guerre et fournit un éclairage singulier sur un enfant « d’Orléans qui êtes au pays de Loire », Charles Péguy, intellectuel au cœur des polémiques d’avant 1914 sur les rapports entre socialisme et patriotisme. La mort du poète-soldat est immédiatement mise en mots par le discours nécrologique. Et l’hommage à Péguy tombé au champ d’honneur neutralise la dimension polémique de son itinéraire et de son œuvre.
5À partir des coupures de presse qui annoncent sa disparition le 17 septembre 1914, jusqu’au premier anniversaire de sa mort commémoré le 5 septembre 1915 à Villeroy et dans sa ville natale d’Orléans, la mémoire immédiate de la mort de Péguy est analysée dans son cadre théorique, celui de l’éloge funèbre, et au prisme des enjeux du moment de cette première année de la Grande Guerre. Cette mémoire est déterminée d’emblée par la chronique nécrologique d’un autre grand poète national emblématique, Maurice Barrès, dans l’Écho de Paris. Alors que l’armée française est victorieuse sur la Marne, Barrès trouve en Péguy le héros dont la France de l’Union Sacrée a besoin. Largement repris, le double geste d’héroïsation et de neutralisation de Péguy auquel se livre Barrès imprègne tous les hommages. Mais dès septembre 1915, le discours d’Union Sacrée du notable radical orléanais Fernand Rabier devant la maison natale de l’écrivain ne mobilise plus. En revanche, l’enrégimentement de l’œuvre de Péguy se reproduit à l’heure de la montée des périls, puis sous le régime de Vichy.
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