Introduction
p. 205-206
Texte intégral
1Du local au national, étudier les divers usages des mémoires des guerres permet de déconstruire leurs rejeux, de Jeanne d’Arc aux lendemains de la Libération, en fonction des besoins du temps.
2Ainsi l’histoire de la mémoire de Jeanne d’Arc de 1429 à 1792 souligne sa place dans le culte civique orléanais entretenu par les autorités à la fois civiles et religieuses. Conduite par le clergé, la procession réunit les habitants de la ville, derrière sa bannière, selon un modèle bien établi ; mais il s’agit aussi de la « fête de la ville » conduite par son procureur et qui se traduit par un monument sur le pont. Son rayonnement dans le royaume et son caractère johannique amplifié au cours de la période expliquent que la mémoire orléanaise de la Délivrance de 1429 puisse continuer à s’incarner dans des rites civiques après la Révolution française, alors que ceux des autres villes n’ont pas pu reprendre.
3Les usages mémoriels des guerres de Religion témoignent également d’une réactivation de la mémoire à travers les manifestations de fierté civique et les rivalités urbaines au XVIIIe siècle. De Chartres à Sancerre, les villes de l’Orléanais et du Berry ont joué un rôle dans les guerres de Religion, et l’anamnèse se produit à la faveur de la contestation janséniste, qui fait ressurgir le vocabulaire du tyrannicide et les débats sur le statut des protestants, dressant un parallèle entre Louis XVI et le bon roi Henri. Les histoires des villes, par leurs topographies et leurs récits, présentent les protestants comme rebelles aux ordres du roi dans une dialectique entre enjeux locaux et logique nationale. Au prisme des guerres de Religion, les processions construisent l’événement autant qu’elle le reflète : elles commémorent, affirment l’identité urbaine et incarnent une religion civique.
4De même, les mémoires douloureuses des populations civiles victimes des guerres de 1870-1871 et de 1914-1918 montrent les rejeux à l’œuvre tout en offrant un terrain d’études comparées entre les départements picards et le Loiret, dont les situations sont assez proches en 1870-1871 (occupation), mais radicalement différentes en 1914-1918 (zones de combat dans la Somme, « front intérieur » pour Orléans). La transmission familiale se fait à l’oral ou par l’intermédiaire d’écrits du for privé, notamment des journaux intimes féminins qui insistent sur la forte présence des occupants, leurs relations avec les civils et les pénuries. La culture de guerre apparaît dans des brochures imprimées qui contribuent à l’animalisation de l’ennemi dès les lendemains de 1871. Par les plaques, noms de rues et monuments, la mémoire des invasions et occupations est entretenue dans les zones qui les ont subies. Ces divers vecteurs provoquent des rejeux de mémoires, chez les Français comme chez les Allemands qui, se souvenant des actions des francs-tireurs en 1914, les anticipent et justifient par avance leurs crimes. Chaque nouvelle guerre fait écran à la mémoire de la précédente, écran symbolisé par la fusion des commémorations du 11 octobre 1870 et du 11 novembre 1918 à Orléans.
5Dans le cadre resserré d’Orléans, la ville deux fois martyre, et de ses alentours, la mémoire immédiate de la Seconde Guerre mondiale dans la vie politique locale détermine durablement la mémoire collective dans l’urgence du rétablissement de la légalité républicaine et de la reconstruction urbaine. À travers cette micro-histoire, on observe comment les mémoires de l’Occupation, de la Résistance et de la Collaboration se reconfigurent, refoulant les unes, valorisant les autres, pour permettre la reconstruction politique de la cité. L’union de la Résistance se fissure et la guerre des mémoires se cristallise face aux communistes et aux Américains. La sacralisation des martyrs et l’inscription de leur mémoire dans l’espace et la pierre n’empêchent pas l’éclipse de la Victoire de 1945 : pour réconcilier durablement les Orléanais, le 8 mai 1429 finit par absorber le 8 mai 1945.
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