Les crimes de guerre dans l’Indre et dans le Cher : un repère mémoriel de la Seconde Guerre mondiale ?
p. 187-202
Texte intégral
1Le 4 septembre 2013, la présence conjointe des présidents français et allemand à Oradour-sur-Glane est largement relayée dans les médias nationaux : elle donne lieu à des images symboliques qui marquent une nouvelle étape dans la commémoration des crimes de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Depuis 1944, le massacre d’Oradour-sur-Glane incarne, en France, la figure du crime de guerre. Jacques Chirac, alors président, y a inauguré, en juillet 1999, un « centre de la mémoire » qui accueille chaque année plusieurs dizaines de milliers de visiteurs, en particulier des publics scolaires. Depuis, Oradour reçoit la visite régulière des dirigeants de la République (Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin, François Fillon, ou encore Manuel Valls). Omniprésente, la mémoire d’Oradour occulte-t-elle celle des milliers de « petits » crimes de guerre perpétrés sur le territoire français, par l’occupant nazi, entre 1940 et 1944 ?
2Une mémoire de ces autres crimes de guerre existe-t-elle et sous quelle forme ? Les politiques et les traces mémorielles de la Seconde Guerre mondiale ont fait l’objet d’études globales à l’échelle nationale1. Dans les représentations collectives et les pratiques commémoratives associées se concurrencent non seulement les conflits contemporains, mais aussi, au sein du second conflit mondial, des faits de natures diverses, portés par des groupes différents se situant à des échelles variées, du local à l’international. Qu’en est-il des formes, des acteurs et des vecteurs du souvenir des exactions allemandes commises dans l’Indre et dans le Cher ?
3Traditionnellement épargnés, les deux départements berrichons connaissent les affres de la guerre en juin 1940, puis l’occupation (totale après novembre 1942), enfin une période insurrectionnelle mouvementée durant l’été 1944, laquelle s’achève, en septembre, par une libération sans intervention directe des armées alliées. Quelle réalité historique ont pu revêtir les crimes de guerre dans cette région ? Ces faits particuliers ont-ils généré une trace matérielle dans le paysage local ? Une pratique mémorielle s’est-elle installée autour de ces crimes ? Cette mémoire est-elle vraiment distincte et spécifique des autres « repères » de la Seconde Guerre mondiale ? Des lieux de mémoire en relation directe avec ces crimes de guerre ont-ils émergé dans le Berry ?
Les crimes de guerre dans le Berry : une réalité diffuse
4Catégorie juridique, l’expression « crime de guerre » concerne la violation des conventions relatives aux lois et coutumes régissant les conflits armés. Le droit international de la guerre a été défini, avant 1940, lors de conférences tenues à La Haye puis à Genève. Dans l’esprit de la déclaration interalliée du 13 janvier 1942, le Gouvernement provisoire de la République française prévoit la répression des crimes de guerre dans l’ordonnance du 28 août 1944. L’article 2 dresse une liste de 32 « actes considérés comme crimes de guerre2 » parmi lesquels, « 1. Meurtres et massacres », « 2. Exécutions d’otages », « 3. Tortures de civils », « 5. Viols » et « 7. Déportations », mais aussi « 13. Pillage » et « 20. Destructions ». Cet inventaire numéroté suggère implicitement une hiérarchisation de la gravité des faits en relation avec les représentations des contemporains3. Dès l’automne 1944, la presse locale relaie des appels à témoins afin d’alimenter des « enquête[s] sur les atrocités et exactions commises par les Allemands »4.
5Définis sur le plan international à l’été 1945, les « crimes de guerres » désignent les
« atrocités ou délits commis sur des personnes et des biens en violation des lois et usages de la guerre, y compris l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation […], des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre […], l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifie pas la nécessité militaire5 ».
6En conséquence, la Préfecture de l’Indre sollicite les personnes susceptibles de communiquer des renseignements aux maires pour la « recherche des crimes de guerre6 ». Un service régional de recherches des crimes de guerre ennemis fonctionne depuis plusieurs mois à Orléans (pour le Cher) et à Limoges (pour l’Indre) : il ouvre un dossier par commune et interpelle chaque municipalité sur le sujet. Ces enquêtes permettent d’établir une mesure du phénomène.
7En raison de la nature policière et judiciaire de la source, ce bilan privilégie une approche juridique. Parmi les actes relevant des crimes de guerre sur les territoires de l’Indre et du Cher, une comptabilité fine a été établie pour les faits apparaissant comme les plus traumatisants, à savoir les meurtres. Ont également été pris en compte, mais seulement en termes d’indications approximatives, les viols, pillages, incendies et prises d’otages. Les arrestations, internements et déportations7 n’ont pas été compris dans ce recensement.
8Environ 500 personnes ont été tuées dans des circonstances relevant du crime de guerre, soit un habitant pour 1 000. Ce bilan modeste au regard des soldats tués durant la Grande Guerre (près de 25 000 Berrichons) n’en reste pas moins important et supérieur à celui des personnes non revenues des camps de concentration (80 dans l’Indre, 414 dans le Cher)8. Surtout, une majorité de civils est concernée, les militaires comptabilisés mourant en dehors des combats (maquisards blessés achevés ou prisonniers exécutés). 28 viols ont été déclarés, commis pour la plupart lors du passage de la 95e brigade indienne de la Wehrmacht en août 1944.

9D’autres exactions apparaissent également en nombre comme les incendies de maisons et de bâtiments (276 dans l’Indre, 272 dans le Cher). 1 047 pillages ont eu lieu dans l’Indre, seulement 200 dans le Cher (avec une sous-estimation évidente). Au moins 400 personnes sont prises en otage dans les deux départements. Ces différents actes se déroulent essentiellement durant la période insurrectionnelle qui court de juin à septembre 1944 et renvoient donc à un épisode traumatique ponctuel. S’étend-il pour autant à l’ensemble du territoire étudié ?
10Une commune sur quatre doit déplorer au moins un tué relevant des crimes de guerre. Les communes concernées (villes, gros bourgs) rassemblent cependant une majorité des habitants du Berry. Ces actes multiples et localisés dans le temps ont-ils été connus de la population au-delà des témoins directs ? L’information a-t-elle circulé constituant ainsi un socle pour l’émergence d’une mémoire durable ?
11Dans un climat de crainte et de peur, ces exactions ont été connues très rapidement dans leur environnement immédiat. Quand le nombre des victimes est important (Argenton, jusqu’à Oradour), la nouvelle censurée dans les médias se répand comme une traînée de poudre (non sans déformation)9. En outre, les cadavres des « victimes » sont dans la mesure du possible montrés, exposés dans un lieu public10 ou photographiés (voir illustrations 22 et 24 du cahier en couleur). Les obsèques donnent lieu à des rassemblements massifs en présence de l’occupant (Argenton-sur-Creuse, Thauvenay). Ces funérailles revêtent un décorum patriotique dans les semaines qui suivent la Libération car des corps de victimes, après avoir été exhumés, rejoignent leur commune d’origine. La presse foisonnante11 regorge de récits sur les combats héroïques de la résistance ; elle relate également en détail les crimes de guerre locaux.
12Les enquêtes sur les crimes de guerre s’appuient sur des relais locaux qui ne se limitent pas aux brigades de gendarmerie et aux municipalités. Dans le Cher, la cheville ouvrière des enquêtes est une association : le Comité berrichon du souvenir et de la reconnaissance (CBSR), qui déploie une grande activité sous couvert de la Préfecture non seulement pour accumuler les témoignages et rédiger des rapports, mais aussi pour rendre publiques ces informations sous la forme d’expositions (voir illustrations 22 et 23) et de publications12. En Sologne, aux confins du Loiret, du Loir-et-Cher et du Cher, le curé d’Ardon, Paul Guillaume, fait office de « correspondant » du service régional chargé des enquêtes. Il publie, dès 1945, une plaquette sur les crimes de guerre avec une préface du Commissaire régional de la République13. Le souci de faire connaître les faits a donc été immédiat, mais a-t-il correspondu avec la volonté de perpétrer leur souvenir ?
La pétrification précoce et massive des crimes de guerre dans l’univers local
13Les témoins directs des actes concernés et les autorités locales se sont préoccupés de la conservation d’une trace édifiante des crimes de guerre. Dans les premiers jours d’octobre 1944, le préfet de l’Indre accompagné du président du Comité départemental de Libération visitent les ruines du village de Sainte-Gemme incendié un mois plus tôt. La presse quotidienne narre les faits et conclut en ces termes :
« Faut-il reconstruire Sainte-Gemme ? Il faut évidemment redonner un foyer à ses habitants, mais ne conviendrait-il pas de le leur bâtir en dehors de l’enceinte de l’ancien bourg ? Les ruines, nous les conserverions comme un témoignage de la barbarie allemande ; ainsi les jeunes Français de demain pourraient, en passant devant ce village détruit, méditer sur les ruines et se souvenir que l’Allemand est un barbare contre lequel il faut se prémunir14. »
14Une pratique généralisée a consisté à ajouter une plaque aux monuments aux morts déjà en place, édifiés pour la plupart dans l’entre-deux-guerres. Au moins 80 % des communes du Berry ont été dans cette situation15. Dans une moindre mesure, cette adjonction a lieu également dans les églises. Toutefois, si les victimes des crimes de guerre ont alors leur nom gravé dans le marbre, elles ne sont pas identifiables et côtoient sans nuance les autres morts pour la France entre 1939 et 1945. Exceptionnelle, la distinction n’utilise jamais la mention « crimes de guerre » sur le monument aux morts : « militaires », « civils », « déportés et fusillés » à Mehun-sur-Yèvre ou encore « morts du bombardement », « déportés », « résistants », « victimes civiles » à Issoudun.
15Depuis 1945, les événements de la Seconde Guerre mondiale ont généré des traces matérielles spécifiques visibles dans l’espace public : monuments, stèles, plaques… La place des crimes de guerre dans ces marqueurs spatiaux est-elle significative16 ?

16Avec près de 200 traces, les crimes de guerre « locaux » ont une présence importante par rapport aux éléments matériels qui concernent uniquement des combats ou des victimes de la déportation. Une minorité de communes ayant connu des crimes de guerre sur leur territoire ne possède pas de marqueurs mémoriels matérialisés (10 dans l’Indre, 29 dans le Cher).
17La forme la plus répandue est la stèle localisée en milieu rural (village, bois, campagne) qui évoque une date de l’été 1944 liée à l’activité des maquis. Morts au combat et victimes de crimes de guerre figurent très souvent sur la même inscription17. Si elles sont distinguées, voire mentionnées, les victimes civiles apparaissent toujours après les victimes militaires. À Vorly (Cher) est élevée une colonne sur les lieux où le 25 août 1944 a été abattu par les Allemands le gendarme Pasdeloup. Rien de tel pour le civil Fromion – pourtant au service de la Résistance – tué au même moment dans le bourg par les mêmes auteurs.

18La chronologie de la « matérialisation » fait apparaître trois temps distincts : l’après-guerre où fleurissent les monuments, les trente années suivantes marquées par une faible activité, une reprise de la création de traces aux formes diverses à partir des années 1980. Les premières années suivant le second conflit mondial constituent la période majeure où sont édifiées la plupart des marques visibles dans l’espace public, en particulier les stèles.

19À cette période, les initiateurs (et souvent financeurs) de la matérialisation sont des anciens du maquis, constitués ou non en association, accessoirement la famille, souvent avec le soutien de la municipalité, voire du comité local de libération lorsqu’il est encore en place. En milieu urbain, des organismes spécifiques à dimension professionnelle sont à l’origine de l’apposition de plaques (la SNCF à trois reprises dans les halls de gare, les PTT, les Sociétés nationales de constructions aéronautiques du Sud-Ouest et du Centre, l’Aérospatiale, des services municipaux, des établissements scolaires). À Bourges, le Parti communiste français élève, en 1995, une plaque monumentale en souvenir de ses propres disparus (tués, exécutés, morts en déportation) en relation avec une cérémonie annuelle apparue dès l’après-guerre.
20Que révèlent des intentions de leurs auteurs les inscriptions figurant sur ces différents supports ? Elles mentionnent généralement une date et se réfèrent souvent au lieu (50 occurrences de « ici », « en ce lieu », « en cet endroit »). Elles comportent des noms et expriment la volonté de rendre hommage à des personnes (68 occurrences de « à la mémoire de »). Les renseignements individuels sur les personnes mentionnées insistent sur le décès (41 « tombés », 36 « morts pour la France », 24 « morts », 19 « tués ») plutôt que sur les conditions du décès (37 « fusillés », 17 « assassinés », 3 « massacrés », 1 « martyrisé »). Dix-huit noms sont qualifiés de « victimes », mais avec des causes diverses (« du combat », « de son courage », « du devoir » et seulement 5 « de la barbarie allemande » ou « nazie »). La mention « à nos victimes civiles » n’apparaît qu’une seule fois, quatre « martyrs » dans le Cher, un « innocent » dans l’Indre. L’expression « aux victimes du nazisme » voit le jour tardivement (3 occurrences à partir de 1979). L’interpellation directe du passant reste rare (13 fois « n’oubliez pas », « n’oublie pas », « souvenez-vous », « souviens-toi », « n’oublions jamais », « gardons le souvenir de »). La prise d’otages n’est évoquée que deux fois : à Belâbre (en référence à Oradour) et à Buzançais (sur une plaque apposée en 1999).
21Souvent employée à propos des monuments aux morts issus de la Grande Guerre, l’expression « mémoire de pierre » s’applique aux stèles et aux plaques installées dès l’immédiat après-guerre en relation avec des crimes de guerre. Ces « mémoires de pierre » de la Seconde Guerre mondiale ne sont cependant pas érigées au cœur d’un espace à dimension collective (place, cimetière…) comme un écho local différé et omniprésent de faits survenus sur un front lointain. Cette pétrification a lieu « in situ » à l’endroit même où l’atrocité s’est commise avec la volonté d’en conserver la mémoire. Ces traces mémorielles ont-elles donné lieu à des manifestations commémoratives ?
Un rituel du souvenir autour des mémoires de pierre
22Des sondages dans la presse locale permettent de recenser et d’observer les pratiques et les discours évoquant les crimes de guerre locaux18. Dans un contexte où la Résistance exerce encore une influence politique et médiatique importante, les premières cérémonies commémoratives interviennent dès l’été 1945 et se réfèrent à des événements survenus un an plus tôt entre le débarquement et le départ définitif des troupes allemandes en septembre. Il s’agit de mettre en valeur les combats de la Résistance contre l’occupant et ses suppôts, la souffrance et le martyr de ses héros, les exactions allemandes qui légitiment la lutte contre la barbarie nazie. Le rassemblement sur le lieu de l’affrontement ou de la fusillade coïncide avec ou précède de peu la pétrification. Ce culte du souvenir se maintient chaque année jusqu’à nos jours autour des stèles et de plaques. Il se déroule aux dates anniversaires en fin de journée dans la semaine ou les dimanches les plus proches. Rares sont les traces délaissées19 ou fréquentées épisodiquement20. L’apparition d’une cérémonie nouvelle autour d’un lieu reste également exceptionnelle.
23Les Amis de la Résistance ANACR de l’Indre ont produit un calendrier des cérémonies comportant 64 rassemblements fixés dans l’année pour commémorer des événements locaux. 97 % concernent l’été 1944 avec comme point de repère les stèles dans 55 cas (soit 67 stèles concernées pour seulement 6 monuments et 11 plaques). En dehors des journées nationales (déportation, 8 mai, 14 juillet et 11 novembre), les dates renvoient à des épisodes marqués par la présence de crimes de guerre. Ce document associatif indique l’existence de circuits où des rituels ont lieu successivement dans un espace proche auprès de plusieurs stèles (en correspondance avec le passage d’une troupe allemande).
24Les articles de presse souvent accompagnés d’une photographie évoquent la fréquentation, les gestes et les paroles durant ces cérémonies. Dans les premières années, de 1945 à 1947, une foule nombreuse assiste à la commémoration : anciens résistants, membres des municipalités, familles des acteurs et des victimes, habitants de tous âges. La communauté locale se recueille unie dans le deuil et la fierté. Les discours patriotiques célèbrent les héros tombés en martyrs et ayant fait le sacrifice de leur vie « pour que vive la France ». Les « atrocités » sont évoquées pour réclamer la « justice » contre les « criminels ».
25À partir de 1950 jusqu’à la fin des années 1980, l’assistance décline, vieillit et se limite aux adhérents des associations d’anciens résistants21 en présence d’élus locaux (de la commune et/ou du canton). La population se mobilise de moins en moins pour ces rassemblements tenus en fin de soirée ou le dimanche, en dehors du temps scolaire et pendant les grandes vacances. « La jeunesse presque insouciante est toujours clairsemée dans les cérémonies du souvenir comme celle qui se déroule ici : puisse-elle prendre conscience que des hommes sont morts pour assurer sa liberté » déplore l’adjoint au maire d’Heugnes (Indre) durant l’été 1984. La prise de parole officielle évoque la lutte contre l’oubli, mais aussi le respect de l’homme, le maintien de la paix et des libertés en dehors de tout sentiment de haine : « le souvenir ne doit pas être entaché d’esprit de vengeance. » La situation est particulière dans les « villes martyres » où la population civile a été durement éprouvée (morts, pillages, incendies…) : Saint-Amand-Montrond (8 juin), Argenton-sur-Creuse (9 juin), Issoudun (10 juin), Valençay (16 août). Des opérations de répression allemande s’y sont déroulées à la suite d’actions menées par les maquis sur place ou à proximité. Or, la résistance disparaît pratiquement des cérémonies commémoratives de la fin des années quarante jusqu’au début des années 1990. Son absence est flagrante à Argenton-sur-Creuse en 1950, lors de la remise de la Croix de Guerre par le président du Conseil Georges Bidault. Dans la même localité, lors de la commémoration du quarantième anniversaire, la presse ne mentionne aucunement le maquis dans le rappel des faits. À Issoudun, le 10 juin 1984, le journaliste indique vaguement en fin d’article la présence de représentants de la résistance au milieu de la liste des associations patriotiques.
26Partout en Berry, le rituel proprement dit évolue peu depuis la Libération et présente une structure globale identique : dépôt de gerbes, sonneries aux morts précédées parfois d’un appel, Marseillaise et Chant des Partisans, discours des autorités, parfois d’un résistant. Les messes encore présentes dans l’immédiat après-guerre tendent cependant à disparaître22. Les cérémonies du cinquantenaire marquent une rupture avec l’apparition d’une scénographie, d’une théâtralisation voire d’une esthétisation, en particulier dans les agglomérations.
27Une réactivation est, en effet, observable à partir du début des années 1990 et elle se maintient depuis, peu ou prou. À plusieurs reprises, en 1994, 2004 et 2014, plusieurs centaines de personnes assistent, dans un même lieu, à des commémorations anniversaires. Les cérémonies valorisent les résistants (acteurs et témoins vivants de l’événement commémoré) qui cèdent leur place d’organisateurs et d’animateurs. Dans les discours des élus, le récit historique prend une place importante face à un public renouvelé qui ne connaît plus ou peu les faits : habitants des alentours, mais souvent non originaires de la région, enfants des familles d’acteurs et de victimes, jeunes présents en tant que scolaires ou amenés par leurs parents. Les expressions « devoir de mémoire » et « esprit de résistance » émergent. Depuis les années 2000, les crimes de guerre sont explicitement mentionnés. La presse s’en fait l’écho à travers les titres d’articles : « Les victimes du 31 août », « Le massacre de Longeville », « En souvenir des massacrés », « En mémoire des martyrs », « Un massacre évité »…
28Ainsi, les multiples stèles élevées dans l’Indre et dans le Cher en relation avec des crimes de guerre sont devenues des lieux du souvenir où annuellement se déroule un rituel commémoratif. Comme l’écrit François Dosse, « Le rite permet d’entretenir la mémoire en réactivant la part créative de l’événement fondateur d’identité collective. Le rite est un marqueur d’identité par sa capacité de structuration de la mémoire (dont il représente la cristallisation par couches successives sédimentées) »23. Ces cérémonies du souvenir revêtent un caractère identitaire. Dans le village de Neuillay-les-Bois, une voiture des francs-tireurs et partisans français (FTP) se heurte à une colonne allemande le 31 août 1944. Les trois occupants sont tués brutalement, l’un brûlé dans la voiture, les deux autres abattus en s’enfuyant. Ils sont inconnus localement. En 1945 et 1946, hommage leur est rendu non pas à Neuillay, mais dans le cimetière de Châteauroux où ils ont été inhumés. Les anciens maquisards FTP font cependant édifier une stèle à Neuillay, point de départ d’une cérémonie commémorative annuelle. En 2004, c’est bien la municipalité et les villageois qui assistent au rituel et se sont appropriés l’événement, le maire inaugurant une « rue de la Résistance et du Souvenir » où se trouve la stèle.
29Toutefois, si les noms des victimes (militaires et civiles) des crimes de guerre figurent sur ces « mémoires de pierre », pendant un demi-siècle (de 1950 à 1995) les discours prononcés et les récits de presse n’insistent pas sur les atrocités commises.
Les crimes de guerre dans la mémoire locale de la Seconde Guerre mondiale : une question sensible
30Pourquoi cette émergence précoce des monuments, mais une parole longtemps lapidaire, partielle et incomplète autour des crimes de guerre locaux ? Dès l’origine, cette mémoire spécifique est liée à l’activité des maquis. Le rôle des anciens résistants a été décisif dans l’élévation des stèles où l’endroit du combattant héroïque l’emporte sur l’envers de la victime martyrisée. Cherchant à se faire connaître et surtout reconnaître, la résistance locale veut asseoir une légitimité virile née dans l’affrontement et la souffrance. Elle se satisfait pas de l’amalgame avec les tués de la Grande Guerre et les autres morts de la Seconde Guerre mondiale et s’engage dans une fièvre mémorielle pour produire ses propres lieux de recueillement. À la Libération, les enjeux sont aussi bien politiques et matériels que symboliques dans un champ mémoriel que tentent d’occuper des groupes de « victimes », requis du STO, prisonniers de guerre, déportés politiques, soldats de la France Libre… Le jeu des échelles peut également jouer dans cette concurrence. Jusque dans les années 1970, la mémoire collective nationale privilégie la figure du déporté en camp de concentration comme victime de la barbarie nazie. Prévaut ensuite celle du déporté juif raflé et envoyé en centre d’extermination.
31Répété et répandu sur tout le territoire, le crime de guerre local pourrait aussi souffrir de sa dimension réduite : il faudrait un minimum de morts, de destructions, de pillages, d’otages, de viols… pour que l’événement constitue un marqueur mémoriel. Oradour serait le phare à l’échelle nationale qui nuirait, affaiblirait, effacerait la reconnaissance des « petits » crimes de guerre. Raisonnement erroné, car si Oradour demeure une référence constante valorisée à la « Une » des titres de presse berrichons dès juin 1945, ce crime de guerre de dimension européenne représente un point d’appui plutôt qu’un obstacle pour valoriser les crimes locaux : à Belâbre, une plaque apposée sur une colonne de la Place de la République rappelle qu’« ici le 10 juillet 1944, face aux mitrailleuses nazies, tous les hommes de 14 à 70 ans faillirent subir le sort des martyrs d’Oradour-sur-Glane ». Michel Sapin, maire d’Argenton, évoque, en 1999, un massacre « perpétré la veille d’Oradour » apparenté à un prélude24. En 2004, la commémoration de la bataille du 25 août dans le chef-lieu de canton d’Ecueillé donne lieu à l’expression « On a évité Oradour ».
32Les centaines de dossiers ouverts pour rechercher les crimes de guerre n’indiquent pas seulement l’ampleur du phénomène, ils révèlent que les présumés coupables n’ont jamais été identifiés. Sauf exception25, la justice n’a pas été rendue, la parole n’a pas circulée publiquement, les responsabilités n’ont pas été établies. La brutalité de la répression allemande provoque une incompréhension durable au sein de la population, chez les compagnons des maquisards assassinés, dans les familles des victimes civiles ou militaires. La question lancinante du « pourquoi » soulève bien des interrogations. Soixante ans après, les articles de presse utilisent des expressions comme « massacre suite probablement à une dénonciation » ou encore « probablement sur dénonciation ». Officieusement, dès l’été 1944, certains habitants accusaient les maquis d’être à l’origine des malheurs subis.
33La politique impitoyable décidée par les autorités nazies sur le front Ouest à partir du début du printemps 1944 (l’ordre Sperrle du 3 février 1944) consistait à terroriser les habitants dans les régions « infestées » de « terroristes » afin de suspendre au moins un temps le soutien de la population à la résistance locale. Après le débarquement en Normandie, le centre de la France est ainsi le théâtre de plusieurs crimes de guerre où les victimes sont surtout civiles (Tulle, Guéret…, mais aussi dans le Berry, Argenton-sur-Creuse, Saint-Amand-Montrond, Issoudun, Cluis-Ardentes). Ces faits douloureux introduisent un germe de division durable au sein des communautés. Sous le feu de la répression, les dirigeants municipaux nommés par Vichy essaient d’atténuer la sévérité des mesures de représailles décidées par les responsables allemands : Dupuis à Argenton, Caillaud à Issoudun, Sadrin à Saint-Amand jouent le rôle de bouclier aux yeux d’une population tétanisée. Cet épisode assure a posteriori aux trois notables un retour rapide à des mandats électifs locaux : Dupuis, maire d’Argenton de 1947 à 1959, Caillaud maire d’Issoudun de 1949 à 1971, et Sadrin conseiller général de Saint-Amand de 1949 à 1961. Une parole souterraine locale circule accusant de « bêtises » militaires et/ou de « fautes » morales les jeunes blancs-becs, « voyous » ou « rouges » du maquis. C’est la raison principale de l’effacement des résistants locaux lors des cérémonies commémoratives pendant près de 40 ans dans ces villes martyres.
34Ces tensions internes sont encore palpables au moment du cinquantenaire alors que les maquisards encore vivants réoccupent le devant de la scène. « Fallait-il libérer Saint-Amand ? » s’interroge un journaliste iconoclaste du Berry Républicain en juin 1994. Quelques polémiques s’ouvrent (enfin ?) dans la presse, mais les pouvoirs locaux pratiquent désormais l’apaisement et véhiculent un discours historique consensuel. En juin 2004, le maire d’Argenton-sur-Creuse cherche ainsi à réconcilier les points de vue :
« Trois événements se succèdent alors et s’entremêlent sans pour autant avoir entre eux un véritable lien. Le premier est la prise de la gendarmerie et du commissariat par le maquis (action non violente et convenue à l’avance). Le second est l’attaque en gare par les maquisards d’un convoi de wagons d’essence destinés aux Allemands. Le dernier et le plus terrifiant est la prise d’otages et le massacre de 67 personnes par les SS de la division Das Reich26. »
35Au moment où les derniers acteurs et témoins disparaissent, les manifestations du soixante-dixième anniversaire confirment, en 2014, cette volonté de célébrer les valeurs de la résistance tout en diffusant une information historique dépassionnée. L’Indre et le Cher offrent toutefois deux configurations distinctes quant à la gestion actuelle de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et des crimes de guerre. Ces situations contrastées révèlent le poids des acteurs dans la transmission d’une mémoire locale et l’émergence de lieux de mémoire.
L’Indre et le Cher : deux configurations mémorielles différentes
36Département marqué par la guerre, les rafles et une forte activité résistante, l’Indre présente un visage mémoriel à la fois éclaté et vivant. Le Bas-Berry ne possède pas de lieu public dédié à la résistance et à la déportation où pourraient être évoqués les crimes de guerre. Une opportunité majeure a été perdue dans les années 1980 avec la disparition du musée des Trois Guerres, privé et patriotique, situé au Château de Diors près de Châteauroux27. En position hégémonique depuis une vingtaine d’années, l’ANACR de l’Indre exerce un magistère moral sur la mémoire de la Résistance. Elle milite depuis longtemps en faveur de l’ouverture d’une structure muséale, mais en se plaçant comme l’acteur incontournable de sa mise en place. Elle a récemment réédité un ouvrage fondé sur les témoignages des acteurs où figurent des récits des crimes de guerre empruntés directement aux journaux de la Libération28. L’ANACR l’offre aux lauréats départementaux du Concours national de la Résistance et de la Déportation. Les « Amis de la Résistance » ont largement pris le relai des « anciens » dans l’association. Des comités locaux dynamiques interviennent à l’échelle cantonale et animent aux côtés des élus municipaux les commémorations annuelles autour des lieux du souvenir. Le site internet de l’ANACR 36, ouvert en 2012, confirme cette orientation « mémorielle » en mettant en valeur les cérémonies, les rassemblements autour des stèles, les valeurs de la Résistance.
37En 1999, l’ANACR de l’Indre dénombre « 165 plaques, stèles ou monuments érigés dans 82 communes de l’Indre pour transmettre aux générations futures le souvenir de celles et ceux qui, résistants français ou étrangers, ont payé de leur vie, leur amour de la Liberté ». La même année, la mairie d’Argenton-sur-Creuse rénove le monument inauguré en 1947 en mémoire du 9 juin 1944. Elle ajoute notamment un message en trois langues (français, anglais, allemand) qui interpelle le visiteur : « Passant, souviens-toi. » Sur proposition de l’ANACR, elle érige sur un sentier 12 panneaux avec des « plaques rappelant à la suite de la stèle d’Argenton et dans un ordre chronologique le nom de douze villes ou lieux-dits de l’Indre qui ont été les témoins des exactions de l’armée nazie ». Les crimes de guerre reçoivent une exposition privilégiée29 dans cette tentative de création d’un « mémorial » départemental implanté là où s’est déroulé le massacre le plus important de l’Indre. Préfacée par Michel Sapin et rédigée avec le concours de l’ANACR de l’Indre, une plaquette « aide-mémoire » expose la démarche et reçoit une large diffusion30. Depuis 1999, les pratiques commémoratives locales (cantonales tout au plus) ont perduré et la cérémonie annuelle d’Argenton n’a élargi ni son audience ni son propos. Le « mémorial » n’est pas devenu un lieu de mémoire départemental arpenté par les scolaires et fréquenté par les touristes.
38Le département du Cher présente une tout autre configuration mémorielle. Les travaux historiques sur la Résistance, l’Occupation ou les crimes de guerre n’y sont pas plus nombreux. En revanche, le Cher possède, dès les années 1980, deux musées dédiés à l’histoire de la Résistance et de la Seconde Guerre mondiale : le musée municipal de Fussy constitué d’objets patiemment rassemblés par son maire, Alain Rafesthain et le musée associatif de l’ANACR du Cher, avec ses panneaux didactiques, patriotiques et communisants localisé dans des locaux de la mairie de Bourges. Cette volonté de mettre à disposition du public un lieu qui présente des documents et diffuse une information historique trouve un relai politique puissant au niveau du conseil général du Cher. Le projet de son président de 2003 à 2013, Alain Rafesthain, aboutit à l’émergence d’un musée départemental unique inauguré en 2010. Implanté dans les Archives départementales qui assurent son fonctionnement, bénéficiant des collections des deux musées précédents ainsi que des riches fonds archivistiques locaux, doté d’un service éducatif, ce nouveau musée propose des animations variées et accueille un public diversifié31.
39Les associations du Haut-Berry investies dans la mémoire de la Seconde Guerre mondiale apparaissent comme moins actives que celle de l’Indre. Elles restent présentes lors des cérémonies commémoratives autour des stèles, mais ne possèdent pas ou plus un réseau irriguant le territoire ou encore une fenêtre ouverte sous la forme d’un site internet : le relais générationnel fonctionne moins bien. Les associations comme l’ANACR du Cher ou les anciens du 1er RI interviennent en soutiens actifs et précieux des pratiques didactiques développées à destination du milieu scolaire. Elles accompagnent le déplacement des classes jusqu’à deux repères départementaux identifiés, un lieu d’apports et de réflexion historiques (le musée de Bourges) et un lieu de recueillement mémoriel (le site de Guerry), situé à une dizaine de kilomètres32. L’assassinat de Français et d’étrangers de confession juive raflés à Saint-Amand et jetés vivants dans les puits de Guerry constitue un crime contre l’humanité : c’est l’atrocité nazie du Cher reconnue comme telle dès la Libération. Le CBSR y mène les recherches durant l’hiver 1944-1945, procède à l’édification d’une plaque et publie une brochure régulièrement rééditée depuis lors. Une seconde plaque avec la mention « crime contre l’humanité » a été ajoutée il y a seulement quelques années et plusieurs sculptures érigées. En dehors des cérémonies (Journée des déportés, commémoration anniversaire…), ce lieu mémoriel reçoit la visite de groupes de scolaires et d’adultes avec une référence constante : « j’ai la même sensation qu’à Oradour », « moi aussi, ça sent la barbarie », « venir ici, ça permet de ne pas oublier les atrocités commises »33. Ainsi, le département du Cher parvient-il à mettre en synergie les trois outils mémoriels commémoratifs, pédagogiques et culturels. L’association des différents « vecteurs culturels de la transmission » permet un vrai travail de la mémoire, un travail historique34.
*
40Bien que la notion de crimes de guerre reste une catégorie juridique que les populations (du Berry) ne s’approprient que partiellement, les « atrocités » restent un point de fixation essentiel de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale depuis 1945 : les numéros spéciaux de La Nouvelle République en 1984, 1994 et 2014 évoquent toujours les mêmes faits à travers des images récurrentes comme l’enterrement des victimes à Argenton ou les cadavres sortis des puits de Guerry. Dès la Libération, dans une fièvre mémorielle, les protagonistes des faits soucieux d’asseoir la légitimité de leur action ont commémoré les combats de la Résistance et les exactions nazies érigeant in situ une multitude de traces matérielles. Les crimes de guerre intervenus durant l’été 1944 dans le Berry sont ainsi parties prenantes de l’émergence d’une mémoire de pierre et de l’enracinement de lieux du souvenir au niveau local. La célébration annuelle des héros et des victimes est un ciment identitaire et répond parfaitement à l’injonction du devoir de mémoire sous la forme de l’impératif du Deutéronome (« Souviens-toi »). Les acteurs en charge du champ mémoriel de la Seconde Guerre mondiale se sont multipliés sans pour autant coordonner leurs interventions. Dans le Cher, fonctionne depuis peu un cercle vertueux entre le travail d’histoire et le travail de mémoire fondé sur la mise en relation des dimensions scientifiques, pédagogiques et culturelles où le « crime » (de guerre ou contre l’humanité) à l’échelle départementale est un repère majeur. Lorsque se rompt le temps des témoins, le travail historique ne produit pas « sur les grands traumatismes collectifs du passé un savoir froid, il participe à la construction puis à la transmission de la mémoire sociale35 ».
Notes de bas de page
1 Pour les traces mémorielles, voir Serge Barcellini, Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi !. Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Paris, Graphein, 1999. Sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, voir Olivier Wieviorka, La Mémoire Désunie. Le souvenir politique des années sombres de la Libération à nos jours, Paris, Le Seuil, 2010. Concernant la commémoration des guerres contemporaines, voir Rémi Dalisson, Les guerres et la mémoire, Enjeux identitaires et célébrations de guerre en France de 1870 à nos jours, Paris, CNRS Éditions, 2013.
2 Archives départementales du Loiret, 274 W 60681.
3 L’opinion publique ne découvre qu’au printemps 1945 la violence extrême pratiquée à des milliers de kilomètres à l’encontre des déportés dans les camps de concentration et dans les centres d’extermination.
4 La Nouvelle République du Centre-Ouest, édition de l’Indre, 16 novembre 1944. Les témoins sont invités à déposer auprès des mairies.
5 Extrait du texte fixant le statut du tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945.
6 La Nouvelle République du Centre-Ouest, édition de l’Indre, 9 août 1945.
7 Pour ces dernières, en raison de leur caractère complexe, mais aussi de leur localisation à l’extérieur du territoire local.
8 Le bilan indrien concerne les déportés pour faits de résistance et motifs politiques (Claude Dugenit, La déportation dans l’Indre. Étude statistique, sans indication). Le bilan pour le Cher date des années 1959-1964 et semble inclure les déportés juifs.
9 Comme l’indique le commissaire des renseignements généraux de l’Indre dans ses rapports de l’été 1944 (Archives départementales de l’Indre, 1290 W 2).
10 Archives départementales du Loiret, 274 W 60678, « Munie comme tout le monde d’un bouquet de fleurs, j’y allai. Dans une grande salle du château, ils étaient étendus, avec leurs uniformes boueux sur des lits de sangle, disparaissant déjà jusqu’à la taille sous les fleurs dont l’odeur violente, ajoutée à l’obscurité, à l’attitude figée de deux camarades au garde à vous depuis déjà un long moment, contribuait à rendre l’atmosphère toute particulière. Je m’approchai d’eux. Et jamais je n’oublierai leurs pauvres têtes affreusement mutilées […] Trois jours après, une cérémonie émouvante et grandiose de simplicité réunissait au Monument aux Morts, autour des familles éplorées, toute la population florentaise. »
11 Les quotidiens ou bi-hebdomadaires La Marseillaise du Berry, Le Berry Républicain, Le Républicain d’Issoudun, La Voix de la Résistance, La Nouvelle République du Centre-Ouest, mais aussi les périodiques de la Résistance comme Liberté et Le Bazouka dans l’Indre. Les témoignages de déportés n’apparaissent qu’à la fin du printemps 1945.
12 La tragédie des Puits de Guerry, Bourges, 1945. Outre les éléments documentaires laissés par le CBSR au sein des dossiers de la préfecture du Cher et de la police régionale d’Orléans, les papiers de l’association ont été versés aux Archives départementales du Cher (fonds 11 J).
13 Paul Guillaume, Les martyrs de la Résistance en Sologne, Loddé, Orléans, 1945. La plaquette est vendue « au profit du monument à élever à la mémoire des fusillés ».
14 La Nouvelle République du Centre Ouest, édition de l’Indre, 4 octobre 1944. Cette question évoque la situation d’Oradour, mais aussi celle de Maillé (Indre-et-Loire) : pour expliquer l’oubli de Maillé dans la mémoire collective nationale (et régionale), l’historien Sébastien Chevereau met en avant la reconstruction rapide du village et l’effacement de la trace matérielle du crime de guerre. Voir Sébastien Chevereau, 25 août 1944, Maillé… Du crime à la mémoire, Parçay sur Vienne, Anovi, 2012.
15 Cette estimation est établie à partir des relevés en ligne par départements et par communes sur le site Mémorial GenWeb à l’adresse URL : [http://www.gencom.org/France/Departements.aspx].
16 Le repérage de ces traces mémorielles se fonde sur plusieurs sources : la presse locale, un inventaire national de l’Office national des anciens combattants, lancé en 1986, ayant généré la tenue de dossiers communaux, les photographies en ligne sur le site du musée de la Résistance et de la Déportation du Cher, les indications disponibles sur le site de la section indrienne de l’Association nationale des anciens combattants de la résistance (ANACR). En raison du manque de précision des informations en notre possession, les noms donnés à des rues ou des lieux publics ne font pas l’objet d’un recensement.
17 La dimension militaire en lien avec l’intervention de l’armée allemande prime : seules 5 communes dans le Cher et 3 dans l’Indre ayant connu des tués au combat ne disposent pas d’éléments matériels rappelant ces faits d’armes. Sur ce sujet, voir aussi Noëlline Castagnez dans ce volume, infra, p. 269-286.
18 Ont été systématiquement dépouillés les deux principaux quotidiens de l’Indre et du Cher depuis la Libération, La Nouvelle République du Centre-Ouest, édition de l’Indre et Le Berry Républicain dans les quatre années suivant la Libération (1944, 1945, 1946, 1947), puis les années « anniversaires » se terminant en 4 (1954, 1964, 1974, 1984, 1994, 2004), ainsi que celles en 0 (1950, 1960, 1970, 1980, 1990, 2000) afin de disposer d’une année hors anniversaire, celle-ci correspondant aux événements de juin 1940. Aux Archives départementales du Cher, le fonds Rafesthain (140 J) contient des dossiers constitués sur les cérémonies (articles de presse, photographies, courriers, invitations).
19 C’est le cas de la stèle de Bommiers (Indre), éloignée du village, qui mentionne la mort de maquisards de passage, inconnus dans la commune, capturés et fusillés par une colonne allemande en retraite. Le monument a été élevé à la Libération par une association d’anciens maquisards sans attaches locales.
20 Isolée dans la campagne en bord de route sur la commune de Ségry, une stèle évoque l’exécution du résistant Roger Barlier originaire de la ville voisine d’Issoudun. Il appartenait à un petit maquis local ayant entretenu des relations tendues avec une partie de la population autochtone. Une cérémonie (toujours discrète) n’y a pas lieu tous les ans.
21 Ces associations présentent un caractère local (« Nord-Indre Vallée du Cher », « Cher Est », « Cher Nord) se réfèrent à une unité constituée (« 1er RI », « 8e Cuir ») ou correspondent à une section locale ou départementale d’une structure de dimension nationale. L’identité associative s’exprime par une inscription ou un symbole présent sur le monument ou sur une plaque (souvent ajoutée).
22 Les messes tenues dans l’église la plus proche précèdent le rassemblement autour du monument. Ce rite est maintenu par les associations nées autour d’une unité constituée, souvent dirigées par d’anciens officiers de carrière (1er RI, 8e Cuir) et en relation avec des municipalités conservatrices (Ecueillé dans l’Indre, Saint-Amand dans le Cher).
23 François Dosse, « Entre histoire et mémoire : une histoire sociale de la mémoire », Raison présente, septembre 1998, p. 5-24.
24 Mémorial Indre, 1930-1945. Argenton-sur-Creuse. Préface de Michel Sapin (sans date, ni lieu d’impression). Elle est commentée par Jean-Louis Laubry et reproduite dans Pierre Allorant et Noëlline Castagnez, Se Souvenir de la guerre en région Centre-Val de Loire de nos Jeanne d’Arc à nos jours, Orléans, Corsaire Éditions, 2014, p. 43.
25 Le cas du procès du « gestapiste » Paoli devant la Cour de justice de Bourges en 1946 est unique à notre connaissance.
26 La Nouvelle République du Centre Ouest, édition de l’Indre, 10 juin 2004.
27 Les 30 000 pièces de ce musée ont été achetées par le conseil général de la Meuse.
28 Georgette Gueguen-Dreyfus, Résistance Indre et Vallée du Cher, Paris, Éditions Sociales, 2 tomes, 1970 et 1972.
29 Parmi les 12 lieux retenus, deux n’évoquent pas des crimes de guerre : le combat de « Pérassay-Genest » et la libération de Châteauroux. N’y figure pas l’incendie du village de Sainte-Gemme (30 août 1944).
30 Mémorial Indre, 1930-1945, op. cit.
31 Voir Alain Rafesthain, « Les musées de la Résistance et de la déportation en région Centre », dans Pierre Allorant et Noëlline Castagnez, op. cit., p. 14-15.
32 Le concept de « lieu de mémoire », créé par Pierre Nora, peut posséder plusieurs sens. Nous le tenons pour une « unité significative d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique d’une quelconque communauté », 1993, Le Grand Robert.
33 Le Berry Républicain, 9 mars 2013, article titré « Une cinquantaine de Saint-Amandois se sont rendus aux puits de Guerry ».
34 Serge Barcellini, « Au croisement de deux cycles mémoriels », Le Débat, no 176, 2013/4, p. 154-159.
35 Lucette Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », Annales E.S.C., no 3, mai-juin 1993, p. 498.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008