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p. 191-202
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Texte intégral
Charles Daniélou candidat conservateur aux élections législatives de 1910
1Extraits de la profession de foi de Charles Daniélou, candidat de l’Action libérale populaire lors des élections législatives de 1910. Jeune candidat de trente-deux ans, il défend avec force, voire avec violence, les arguments traditionnels du camp conservateur et ne fait aucune concession à une gauche qu’il rejette très fortement. Les remèdes qu’il propose sont sans surprise : l’Ordre, l’Armée, la Patrie, le Protectionnisme, l’Anti-syndicalisme. Il n’y a pas d’ambiguïtés : Charles Daniélou est bien là le candidat des conservateurs.
2« [...] Deux républiques vous sont proposées : l’une est celle que nous subissons depuis dix années. Elle n’est que la masque de la vraie république contenue dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle a laissé blasphémer le nom sacré de la patrie ; elle a laissé profaner le drapeau. Elle a opprimé la majorité des citoyens ; elle a domestiqué les représentants du peuple et les fonctionnaires ; elle a introduit chez nous le système ignoble de la mouchardise et de la délation. Elle a étranglé la liberté des vivants ; elle a violé la volonté des morts. Elle a porté atteinte à nos droits de pères de famille sur l’âme de nos enfants ; elle a déclaré la guerre religieuse et divisé les Français. Elle a compromis notre réussite nationale en désorganisant notre armée et notre marine. Elle a augmenté les impôts et gaspillé les deniers publics. Elle a abusé la classe ouvrière par des mensonges et de vaines promesses. Elle a gouverné par le favoritisme. Elle a mis le pays à la merci des anarchistes et des apaches. Elle est la fausse république, la république biocarde et maçonnique, la république tyrannique qui supprimera la propriété après avoir supprimé la liberté ; elle est la république du drapeau rouge qui nous mènera au collectivisme, à la guerre civile et à la domination étrangère ; elle est la république des jouisseurs, des gavés et des repus ; elle est la république des « Quinze Mille ».
3Je ne suis pas de cette république là. [...] Une autre république est possible. Elle fera respecter le travail et la propriété qui en est le fruit. Elle multipliera les écoles publiques et aidera au développement des écoles libres parce que chacun a le droit de recevoir l’enseignement du maître qui lui convient le mieux. Elle améliorera la condition du travailleur des villes et du travailleur des champs par des lois sociales basées sur la justice. Elle établira l’égalité des droits politiques de tous les citoyens. Elle sera économe des deniers publics et s’efforcera de diminuer les impôts. Elle défendra les produits français contre la concurrence étrangère. Elle opposera le syndicalisme du travail au syndicalisme de la paresse et de la guerre civile. Elle sera la république du progrès dans la paix et frappera l’anarchie qui est la pire des barbaries ; elle entretiendra une armée forte et disciplinée qui la fera respecter de l’étranger, lui vaudra de sérieuses alliances et assurera la paix du monde [...]. Je suis prêt à donner ma vie pour abattre la dictature biocarde. [...] »
4Archives départementales du Finistère, série 3 M, profession de foi de Daniélou, 1910.
Le régionalisme de Charles Daniélou
5Extraits du discours de Charles Daniélou prononcé le 9 septembre 1912 à Redon lors de l’ouverture du congrès annuel de l’Union régionaliste bretonne. Charles Daniélou dresse dans cette allocution un beau portrait de
6Nominoé ; retraçant ses combats contre les Francs et sa lutte tenace pour faire la Bretagne. Mais c’est aussi l’occasion pour lui d’évoquer l’esprit de résistance du peuple breton et de magnifier les hommes providentiels de l’Histoire ; ici Nominoé, le grand héros victorieux des troupes de Charles le Chauve à Ballon, succès qui assura l’indépendance bretonne. L’histoire sert au régionalisme de Charles Daniélou : elle lui permet de revivifier le sentiment national grâce à l’évocation des grandes figures du passé breton.
7« Mesdames, Messieurs,
8Mes chers compatriotes,
9« L’herbe d’or est fauchée ; il a bruiné tout à coup. - Bataille ! » C’est la ballade du tribut de Nominoé. C’est le grand chef de famille qui descend de l’Arez pour demander justice, c’est la vision du héros précédé de ses grands chiens folâtres ; il a son arc à la main et porte un sanglier sur l’épaule. C’est sa parole que vous voulez entendre : « Il est un Dieu dans le ciel, je le crois ; il est un chef en Bretagne, si je puis ! » Il a ferré son cheval à rebours. La nuit est noire et le chemin glacé. Bataille !
10Quand votre Président m’a demandé de venir ici aujourd’hui pour dégager de la brume des siècles la physionomie du grand chef breton, je lui ai conseillé de faire appel à un historien ou à un barde plutôt qu’à un homme politique pour remplir ce rôle de panégyriste. Il a insisté ; je n’ai pas voulu me dérober ; et comment pouvais-je me dérober puisqu’il s’agissait d’honorer ma patrie et de glorifier ses héros ! Je pensais seulement qu’un autre, moins absorbé que moi par les soucis quotidiens d’une vie d’action et de combat, vous eût mieux dit ce que vous souhaitiez entendre.
11Vous m’aviez obligé à jeter quelques regards en arrière. Je vous remercie de m’avoir une fois de plus donné l’occasion d’écouter la grande voix du passé. Elle est berçante et charmeuse dans la poésie de ses légendes et de ses mystères ; elle est instructive et féconde dans la réalité précise de ses monuments et de ses dates.
12C’est la grande voix de l’histoire qui confronte les générations successives, et par l’exemple des aïeux, nous enseigne ce que la patrie est en droit d’attendre de nous, et de chacun de nous. Au timide, elle dit : « Ose ! », à l’audacieux : « Prudence ! » Conseillère d’énergie, il nous suffit de l’écouter pour apprendre d’elle à triompher.
13Aujourd’hui que nous dit-elle : « Nominoé a fait ce qu’aucun chef ne fit jamais : il a ferré d’argent poli son cheval, et il l’a ferré à rebours. Il est allé payer le tribut en personne, tout prince qu’il est. »
14Messieurs, il a fait la Bretagne. [...]
15[...] Au moment où nous tournons la dernière page de la vie du grand chef dont nous honorons la mémoire, qui de nous ne demeurerait pas accablé sous les enseignements que dégage une pareille histoire, et qui trouverait des mots assez lumineux pour dire ce qu’à cette heure et dans ce lieu nous éprouvons à l’évocation d’un génie si complet !
16Pour moi j’ai trop conscience de la médiocrité de mes moyens pour pouvoir à coup sûr y prétendre, et je laisse à chacun de vous le soin de tirer de cette apologie la leçon qui l’éclairera. Mais ce que je sens, mais ce que tous nous sentons, c’est que ce chef est un aïeul, c’est que nous sommes de sa race, c’est que cet amour pour la terre bretonne qui fut l’essence de son génie, oui, cet amour nous l’avons tous, oui, cet amour un jour venant peut centupler nos forces. L’histoire des hommes est un perpétuel recommencement.
17Au cours de cette brève étude, à chaque étape du chemin que nous venons de parcourir, n’avez-vous pas cru voir surgir dans la série des siècles, d’autres étapes de notre histoire ? N’avez-vous pas cru voir apparaître, plus proches de nous, d’autres grandes ombres de l’histoire de la bien-aimée France, notre plus grande Patrie !
18Et, soit que nous évoquions la Bretagne armoricaine avant Nominoé, la France avant la grande et sainte Jeanne, nous pouvons dire : « Patrie, tu ne peux pas mourir ! Aux jours les plus troublés que tu connus, un génie était là, toujours proche, prêt à secouer tes chaînes. » Aujourd’hui même, à l’heure où nous sortons à peine d’une longue période de divisions et d’humiliations, pendant laquelle nous n’avons jamais désespéré de nos frères, ni de nous-mêmes, qui de nous, qui de vous va faire la patrie unie, forte et glorieuse ? Qui de nous ? Chacun d’entre nous, Messieurs, et nous tous à la fois, parce que nous avons aimé et recueilli les leçons du passé et qu’elles nous ont appris à nous connaître nous-mêmes.
19« L’herbe d’or est fauchée » ; à nous de la faire refleurir ! »
20Bulletin de l’Union régionaliste bretonne, Congrès de Redon du 9 au 15 septembre 1912, pages 274 à 282.
Texte intégral intitulé « l’idée régionaliste »
21Dans ce texte, comme dans toutes ses déclarations, Daniélou s’inscrit dans la ligne de l’Union régionaliste bretonne : il défend un régionalisme passéiste refusant le progrès et la modernité coupables de nuire à l’ordre social et politique. Son ambition : défendre la Bretagne mais dans le cadre français tout en prônant un conservatisme social dont une des finalités est de préserver les Bretons du socialisme.
22« L’idée régionaliste
23La nécessité de décongestionner la capitale d’une centralisation excessive a été l’une des principales causes du réveil de l’idée régionaliste et, pour beaucoup d’entre nous, l’occasion de répondre à l’appel de la petite. Nous avons compris et senti que nous étions inséparables de la terre, que nous tenions d’elle toutes nos ressources intellectuelles et morales, et que plus nous la laisserions se manifester en nous, plus aussi la personnalité de chacun de nous s’accentuerait dans son originalité propre.
24Il y a quelques années, un congrès de l’alimentation entreprit de définir les aliments, dans le but d’éviter les falsifications susceptibles de nuire à notre santé. Les congrès nombreux qui se sont déjà tenus autour de l’idée régionaliste n’ont pas fait autre chose que de définir, eux aussi, les influences utiles ou nuisibles à la santé politique et morale du grand peuple que nous sommes.
25Pour ma part, j’ai vu avec une joie véritable le mouvement régionaliste breton se dresser pour la défense de ces grandes traditions locales qui déterminent la physionomie d’une race. La nôtre, simple, timide et trop confiante n’avait pas senti toute l’importance des atteintes portées par l’anarchisme primaire à sa langue et à ses traditions, à tout ce qui faisait son unité et sa force.
26En renonçant à sa langue, à cette vieille, noble et rude langue celtique, sonore comme la mer quand elle roule les galets sur les grèves, et qui, après vingt siècles nous rapporte encore, de bouche en bouche, la leçon des Druides qui ne fut jamais écrite, l’enfant de nos campagnes n’allait-il pas se fermer à lui-même le champ intellectuel de sa personnalité et perdre, du même coup, le sens de la mesure et conséquemment de la poésie, que nous lui avions connu :
"Quand le soleil se couche,
Quand la mer s’enfle, je chante sur le seuil de ma porte.
Quand j’étais jeune, je chantais ; devenu vieux, je chante encore. "
(La prophétie de Gwenc’hlan. Barzaz Breiz)
27En renonçant à son costume, n’allait-il pas perdre le sens de l’harmonie et de la beauté ; en renonçant à ses croyances, pourrait-il garder cette sérénité placide, quelque peu faite de fatalisme, qui fut sa force dans tous les temps ; en renonçant à tous les usages coutumiers de ses pères, ne perdrait-il pas l’amour de la terre, du village et du foyer ?
28Ce n’est pas à dire que la pensée nous soit jamais venue que l’étude de la langue nationale dût être négligée au profit de la langue traditionnelle et locale. Nous ne sommes pas des séparatistes et nous estimons que la langue française, indispensable à l’unité de la nation d’abord, à toutes les manifestations de la vie sociale ensuite, doit demeurer au premier plan de l’instruction publique.
29Mais nous avons le droit de dire que ce serait méconnaître les intérêts de nos provinces, et de la Bretagne en particulier, que d’interdire à nos compatriotes la connaissance et l’usage de la langue ancestrale. C’est cependant ce que firent la plupart des instituteurs en infligeant des punitions aux petits enfants de nos campagnes qu’ils entendaient parler breton ; et c’est ce que voulut M. Combes quand, par un décret significatif, il interdit au clergé de Bretagne de prêcher dans sa langue maternelle.
30Une si grande erreur, si elle avait été consommée, n’aurait pas atteint seulement un vocabulaire usuel, elle aurait ruiné toute une littérature avec ses poètes épiques et lyriques, ses chanteurs populaires, ses philosophes et ses historiens. « Il est impossible écrivait M. Y.-M. Goblet que la France s’obstine à maintenir une méthode condamnée partout ailleurs et qui, également impuissante à faire oublier le breton et à enseigner le français, n’a d’autres résultats en Bretagne que de multiplier le nombre d’illettrés. »
31Pourquoi donc les pouvoirs publics s’obstinaient-ils dans leur mépris pour la langue celtique ? L’écrivain breton l’expliquait ainsi : « C’est que la renaissance des Celtes est d’abord idéaliste ; et certains préfèrent des troupeaux humains ignorants du passé de leur race et indifférents à son avenir, à des peuples intelligents, fortements attachés à leurs traditions et voulant évoluer conformément à leur esprit racial. »
32Mais les régionalistes devaient être plus forts que les ennemis de la tradition ; les instructions et le décret demeurèrent sans effet. Déjà les Celtes d’Angleterre et d’Irlande ont obtenu le droit à l’enseignement bilingue. Le gouvernement français s’honorerait en accordant le même droit aux Celtes de France ; il ferait même une œuvre nationale.
33Si la poésie, naturelle au Breton qui parle sa langue maternelle, disparaît chez celui qui ne connaît plus que le mauvais français des foires et des marchés, de même la grâce de nos filles et l’élégance de nos gars s’évanouissent chez ceux qui, avec une inconscience regrettable, abandonnent les coiffes de fines dentelles et les chapeaux à rubans multicolores, les robes et les gilets brodés, les fins tabliers et les bragous antiques, pour s’affubler du costume des villes pour lequel ils ne sont point faits.
34Après avoir naïvement prêté l’oreille aux railleries de quelques commis-voyageurs qui les traitaient de barbares parce qu’ils parlaient un langage inaccoutumé et qu’ils portaient des vêtements en apparence étranges, ils ont cru se civiliser en s’exprimant en mauvais français et en prenant des habits taillés maladroitement à la mode des villes.
35Nul n’était encore venu leur dire en les voyant ainsi se dégrader, que sans avoir espoir d’atteindre à la civilisation du boulevard parisien ils renonçaient à une civilisation tout au moins aussi conforme à l’élégance et à la beauté, et qui présentait la supériorité de leur être propre.
36Cela encore les régionalistes ont eu le bon goût de le leur dire ; et puis ils leur ont rappelé qu’ils étaient une race différente des autres, sans être inférieure à aucune, et que leur langue avait été jadis, pour une grande partie de l’ancien monde, « la langue du commandement ».
37Oui chez tous les peuples, la langue se rattache à la religion et à la politique, et c’est pourquoi nous avons le devoir d’avertir nos gouvernants, que le jour où, en proscrivant sa langue et ses traditions, on lui aura enlevé sa foi, le Celte perdra du même coup son respect de l’autorité ; il deviendra le plus indiscipliné des citoyens et les meneurs de l’anarchie feront chez lui leurs plus excellentes recrues.
38Aussi nous ne cesserons de protester contre les atteintes portées aux croyances et aux traditions de ce peuple de grands marins et de patriotes ardents, le plus contemplatif qui soit, qui fut toujours prêt à donner son sang pour la France, et chez qui la foi est le plus sûr garant de l’audace, de la bravoure et de la discipline. »
39Études Contemporaines, page 11 à 16.
Charles Daniélou, rapporteur du traité de Trianon
40Chargé par Louis Barthou, président de la commission des Affaires étrangères à la Chambre, de rédiger le rapport sur le traité de Trianon qui fixait le sort de la Hongrie, Charles Daniélou mena son enquête sur place en octobre 1920. Il fait reconnaître ici encore ses compétences dans le domaine diplomatique : il prend de plus en plus d’importance à la Chambre.
41« Hungaria
42Ayant été chargé de l’examen des clauses de ce traité de Trianon, dont les chefs d’État - las de l’effort que leur avait demandé la rédaction du traité de Versailles, n’avaient rien voulu connaître et dont les stipulations avaient été confiées par eux à quelques commis - dont l’un d’eux représentait la France - je m’adressai à ce dernier pour me renseigner.
43Celui-ci voulut bien me faire adresser par ses bureaux en Bretagne-où je passais l’été - deux belles caisses de bois blanc, d’un poids de dix kilos chacune, et qui contenaient en vrac tous les imprimés qui relataient dans les moindres détails les échanges à propos d’une jeunesse diplomatique qui s’exerçait pour la première fois dans l’art du découpage des États.
44Il me suffit de parcourir cette abondante paperasserie pour m’assurer que le meilleur usage que j’en pouvais faire, était de m’en servir pour attiser les belles bûches de ma cheminée de campagne.
45Ayant, après cela, fait savoir à un libraire que je m’intéressais aux Affaires de l’Europe danubienne, cet homme m’adressa une bonne Histoire de la Hongrie, à laquelle je pris le plus grand intérêt.
46Mon vieil ami Georges Leygues, qui présidait alors le gouvernement et dirigea nos Affaires étrangères après l’échappée de Millerand à la Présidence de la République, me suggéra de poursuivre mes investigations sur place et me chargea, pour le faire le plus utilement possible, d’une mission qui m’accréditait auprès de notre ministre de France à Budapest et auprès du gouvernement hongrois.
47Fouchet, fin diplomate, qui était notre représentant là-bas, se mit aussitôt à ma disposition, me renseigna sur toutes choses et me fit prendre contact avec les personnalités les plus autorisées du monde politique hongrois.
48La courtoisie magyare est assez connue - et, dans la circonstance, les Hongrois avaient si grand intérêt à la faire aussi empressée que possible - pour qu’on imagine quel accueil je reçus, auprès d’eux.
49Le jeune comte Czaki, qui avait vécu à Paris et qui collaborait déjà comme secrétaire d’ambassade avec le comte Téléki, fut chargé par celui-ci de faciliter mon enquête dans la capitale danubienne, dans tout le pays et jusqu’à ses nouvelles frontières si fantaisistement découpées au petit Trianon.
50Je vis le président Paul Téléki plus illustre géographe que politicien de carrière, le comte Bethlen dont la charge était d’accueillir les Hongrois expulsés des régions détachées de leur pays par l’inexorable traité et qui vivaient innombrables dans des wagons immobilisés sur des voies de garage ; le vieux comte Appony qui passait pour le plus germanophile des Magyars et enfin, dans son grand palais, l’amiral Horty qui, depuis qu’il avait mâté le bolchevisme de Bela Kun, régentait dictatorialement sa patrie.
51Au Parlement, dont le splendide édifice, dentelé comme une cathédrale gothique, s’étalait sur les bords du Danube, les chefs de parti-et du parti agraire surtout, devenu le plus influent - m’apportèrent leurs doléances, tandis qu’entre-temps je recevais dans ma chambre d’hôtel des délégations protestataires - parmi lesquelles celle des montagnards de la Ruthénie - conduite par leur évêque qui crut devoir s’agenouiller pour faire appel à ma pitié. À toutes ces prospections et visites succédaient des réceptions organisées par la jeune comtesse Téléki, au charme oriental et avec laquelle rivalisait dans une élégance sévère, qui convenait davantage à son origine protestante, la comtesse Bethlen, toute imprégnée de notre culture française. Je connus par celle-ci qu’aucun de nos bons auteurs ne lui était étranger, qu’Anatole France et Zola étaient les plus appréciés par ses compatriotes, mais que les œuvres de nos meilleurs écrivains quels qu’ils fussent, n’étaient propagées en Hongrie, dans la langue française, que par des éditions qui ne sortaient que des imprimeries allemandes.
52Ainsi mon voyage au pays de Saint-Étienne - outre les informations que j’étais venu chercher - me révélait les insuffisances de notre propagande dans les pays étrangers. Et j’eusse été retenu de longs jours encore sur les bords du Danube- que d’ailleurs je n’ai jamais vu bleu mais teinté de gris sombre - si l’urgence de la mise au point du travail dont j’avais été chargé ne m’avait rappelé à Paris.
53J’y revenais avec un bagage plus vivant d’informations que les deux caissons d’imprimés que le Quai d’Orsay m’avait naguère adressés en Bretagne. À la gare de Budapest, Czaki m’apporta le dernier salut de son ministre et je quittai la belle cité danubienne avec d’autant plus de regrets que je ne pensais plus la revoir avant qu’il soit longtemps. La commission des Affaires étrangères attendait mon rapport. Je pense qu’il fut tel qu’il était désiré puisque aussi bien lorsque je le présentai, il fut adopté par l’unanimité de mes collègues.
54Je m’y étais montré sévère pour les responsabilités de l’empire austro-hongrois dans le déclenchement de la guerre ; mais je n’avais pas pu ne pas relever avec quelle légèreté et quelle ignorance surtout de la géographie et des nationalités, les fonctionnaires des pays alliés avaient découpé les frontières de la nouvelle Hongrie, qui ne pouvait vivre telle qu’ils l’avaient faite et qui, dans son exaspération et sa misère, pouvait devenir une menace pour l’avenir de la paix.
55Il ne m’appartenait pas d’apporter aucune modification, de quelque ordre que ce fût, à un traité signé par toutes les puissances intéressées et mes observations ne pouvaient être retenues que comme la manifestation d’une opinion, à laquelle l’adhésion du Parlement ajoutait une force qui n’était pas négligeable.
56Dans l’intimité de Marianne, page 260-264.
À l’approche des élections législatives : un rapport du sous-préfet de Châteaulin au préfet du Finistère
57Dans ce rapport du 13 octobre 1923 sur la situation électorale dans son arrondissement, le sous-préfet de Châteaulin fait de Charles Daniélou le pivot d’une coalition réunissant les modérés, dont il fait partie, et les radicaux tel que l’incontournable Georges Le Bail. On y devine aussi le début des manœuvres et des tractations de Daniélou pour faire échec au Cartel des gauches souhaité par Le Bail et pour encourager la formation d’une liste de concentration républicaine, liste excluant les socialistes.
58« M. Daniélou, transfuge de la liste d’Union nationale, et qui vient d’adhérer au Parti républicain démocratique et social, dont M. Bouilloux-Lafont est membre directeur, est agréé par les autres colistiers. Je sais bien que toute la question est là, à l’heure actuelle, et se pose de savoir lequel des deux, entre Daniélou et Le Bail, sera sacrifié à ses idées. M. Daniélou, acceptant de faire le bloc de tous les républicains à l’exclusion des deux extrêmes, est tout disposé à voir son nom voisiner avec celui de M. Le Bail, celui-ci par contre, y est jusqu’à présent formellement opposé. Néanmoins, mon avis est qu’à l’approche du danger commun, et il faut bien le dire aussi, devant l’appoint incontestable qu’apporterait à une liste composée déjà de MM. Bouilloux-Lafont et Guépratte, la juxtaposition des noms de MM. Daniélou et Le Bail, l’accord se fera aisément, M. Daniélou était à mon sens le pivot de cette combinaison.
59J’estime donc que la bataille se livrera entre cette liste, patronnée par M. Louppe, Lancien, Fenoux et Bénac, et la liste républicaine et démocratique qui dénoncera le bloc Daniélou-Le Bail comme un déguisement habile du bloc des gauches et qu’un grand nombre d’électeurs suivront, et la liste socialiste. Il est incontestable que M. Daniélou député de Châteaulin y possède une situation personnelle prépondérante et excellente malgré son évolution récente qui lui fera en somme balancer ses pertes par ses gains. Au scrutin uninominal son élection serait certaine en tout état de cause, et je ne pense pas qu’il trouverait un concurrent sérieux contre lui. »
60Archives départementales du Finistère, série 3 M 319, élections législatives de 1924.
Rapport de Charles Daniélou sur les relations diplomatiques avec l’URSS
61Charles Daniélou participe ici à la volonté exprimée par le Cartel des gauches de développer une politique étrangère marquée à gauche. Il se montre donc favorable à l’envoi d’un ambassadeur à Moscou. Mais s’il souhaite voir s’établir des échanges économiques entre les deux pays, il reste très ferme à propos des risques révolutionnaires en France. Ce texte de décembre 1924 est la conclusion de son rapport.
62[...] « Messieurs,
63Nous avons énuméré les raisons essentielles qui ont déterminé le gouvernement français à vous demander le rétablissement d’une ambassade auprès de l’Union des républiques socialistes soviétiques de Russie. Nous avons rappelé les travaux préliminaires de la commission de Monzie. Ces diverses considérations, qui ne sont point nouvelles pour vous, ont déjà emporté la décision de votre commission, qui m’a fait l’honneur de me demander de conclure dans un sens favorable au projet gouvernemental. Cependant, nous n’aurons garde d’oublier que cette décision n’a pas été prise sans discussion, sinon sans réserves.
64[...] Nous tenons à rendre hommage aux préoccupations patriotiques des uns et des autres. Mais tout d’abord, il ne nous paraît pas opportun d’apporter ici des réserves qui ne seraient que rétrospectives, après la reconnaissance déjà consentie par plusieurs autres puissances, et cette reconnaissance étant aujourd’hui pour nous même un fait accompli. Ce n’est d’ailleurs pas sur elle que nous discutons, mais sur l’envoi d’un ambassadeur à Moscou.
65Il n’échappera à aucun de nos collègues l’inconvénient grave qu’il y aurait à laisser durer trop longtemps la situation actuelle. Le gouvernement de l’Union a un ambassadeur à Paris. Il ne se passe pas de jours que des contacts ne soient pris entre son entourage et le Quai d’Orsay et toute sorte de problèmes posés, en particulier le problème des passeports. Il n’est pas admissible que nous n’ayons pas à Moscou la contrepartie - et dans le plus proche délai - pour nous informer nous-mêmes des dispositions de Moscou à l’égard de la politique internationale et pour défendre les droits des nombreux porteurs français de fonds russes, en apportant au gouvernement de l’Union des suggestions pour le règlement amical de cette question, telle que l’octroi de « concessions » de compensation. Nos collègues voudront bien se souvenir que c’est avec l’assentiment de M. Noulens qui représentait les intérêts des porteurs dans la commission de Monzie que le problème des dettes ne fut pas évoqué avant la reconnaissance.
66Les puissances limitrophes auxquelles des liens si puissants d’amitié nous rattachent ont reçu toutes assurances qui leur permettent, non seulement de ne pas s’inquiéter de nous voir reprendre des relations officielles avec la Russie, mais encore de pouvoir compter sur l’influence pacificatrice de la France pour dissiper des malentendus et empêcher des incidents de dégénérer en actes irréparables. De quelque côté que ce soit, la France demeure respectueuse des engagements pris.
67Nous ne méconnaissons pas les objections de ceux qui nous mettent en garde contre des espérances démesurées. Nous nous rendons parfaitement compte des difficultés de tout ordre que notre gouvernement rencontrera dans ses négociations. Mais notre programme est modeste. Il consistera à rechercher les éléments de contrats possibles et l’exécution de ces contrats limités nous permettra de juger si le gouvernement de l’Union des républiques soviétiques est capable d’accords internationaux plus étendus. Convaincus que nous ne faisons qu’une expérience - et nous la faisons en toute bonne foi - s’il advenait que cette expérience échouât, la France n’en garderait pas moins l’avantage moral d’avoir - une fois de plus au regard du monde - manifesté son large esprit de conciliation internationale et sa volonté de paix.
68Mais il est un point sur lequel il ne saurait y avoir de conciliation possible-et nous demandons à votre commission de la proclamer avec la dernière énergie - c’est la question de l’immixtion du gouvernement de Moscou dans nos affaires intérieures.
69Nous nous sommes félicités que-dans sa dépêche du 29 octobre 1924, en réponse à la note française - le Comité central exécutif de l’Union des Républiques socialistes soviétiques nous ait donné l’assurance de son accord avec nous sur la non-intervention. Mais cette assurance n’aurait aucune valeur si nous ne pouvions compter sur la collaboration effective de la représentation de l’Union pour dénoncer et combattre avec nous par tous les moyens toute propagande révolutionnaire d’origine russe, aussi bien en France que dans nos colonies, nos protectorats et sur les territoires placés sous mandat français.
70Si nous n’avons pas à juger les rapports existant entre un gouvernement étranger et une organisation révolutionnaire, nous ne pourrions admettre que le gouvernement de Moscou se déclarât irresponsable des agissements de la IIIe Internationale de Pétrograd, s’ils se manifestaient sur notre sol.
71La France, qui a répandu le meilleur de son sang pour la défense de la liberté du monde et qui a consenti tant de sacrifices au maintien de la paix européenne n’admettra jamais que l’étranger puisse venir sur son territoire pour y fomenter la guerre civile.
72Messieurs,
73Sous ces réserves, s’appuyant sur les motifs d’ordre économique et politique que nous avons eu l’honneur de vous présenter, convaincu surtout qu’il serait préjudiciable aux intérêts français que l’ambassade russe existant à Paris n’ait pas dans le plus prochain délai sa contrepartie à Moscou, votre commission des Affaires étrangères donne un avis favorable au projet gouvernemental. »
74Les Affaires étrangères, page 251-255-
Charles Daniélou, les ouvriers et les socialistes
75Charles Daniélou retrace dans cet article publié dans Le Bas Breton peu de temps avant les élections législatives de 1928, comment il a œuvré au gouvernement pour améliorer la condition des ouvriers. L’objectif est clair : insister sur sa capacité d’action pour améliorer concrètement leur sort en faisant apparaître la contradiction existant chez les socialistes qui disent vouloir défendre la classe ouvrière mais qui en même temps refusent de participer au gouvernement. Il souhaite ainsi apparaître comme un pragmatique, un homme de pouvoir face à des socialistes doctrinaires et idéalistes.
76« Je n’ai jamais conçu que je pourrai apporter des modifications à notre législation du travail, régler les conflits, améliorer la situation matérielle des travailleurs sans les avoir préalablement consultés et discuté avec eux de leurs intérêts. Je crois être le ministre qui, le plus souvent, a consulté des commissions paritaires où l’État, le patronat et la classe ouvrière ont été également représentés. J’ai appliqué la loi de 8 heures que mon prédécesseur avait décrétée et travaillé avec le Bureau international du Travail à l’internationalisation de cette loi. J’ai constitué le conseil permanent d’arbitrage pour la solution des conflits d’ordre collectif entre les compagnies et les équipages. J’ai fait voter le code du travail maritime. Sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil j’ai fait engager la révision des échelles des traitements du personnel des fonctionnaires titulaires et auxiliaires et des ouvriers d’État. Je ne sache pas qu’un socialiste fut jamais allé plus loin que je ne l’ai été dans cette collaboration avec la classe ouvrière. J’ai eu l’honneur de définir au nom du gouvernement les attributions, de présider l’une des premières séances, et de défendre auprès du Sénat le Conseil National Économique.
77Le socialisme, qui se présente volontiers comme le porte-parole de la classe ouvrière ne saurait prétendre à une politique du travail plus démocratique que celle qui a été la nôtre et qui a été approuvée par tous les travailleurs avec lesquels nous avons collaboré et qui ont pu nous juger - et nous jugeront demain - non sur les doctrines et sur des promesses, mais sur nos actes.
78En refusant d’entrer au gouvernement, les socialistes ont perdu le bénéfice des résultats obtenus par nous et que nous étions prêts à partager avec eux. L’attitude du parti socialiste a été dictée par des doctrinaires au lieu de l’être par les réalisateurs. Je ne lui en fais pas le reproche. »
79Article paru le 11 février 1928 en première page du Bas Breton.
L’élection de Daniélou à la présidence de la Gauche radicale
80Cet article retrace l’élection de Charles Daniélou à la présidence de la Gauche radicale. Ce succès est décisif car cette présidence était un atout essentiel : il allait désormais pouvoir peser directement sur la vie politique et pouvait espérer entrer au gouvernement avec rang de ministre. Ces responsabilités prenaient là-encore un nouvel élan au plan national.
81« M. Daniélou, président de la Gauche radicale
82« L’importance de cette élection n’échappera à personne. À diverses reprises, nos rédacteurs politiques ont exposé ici le rôle de premier plan que la Gauche radicale était appelée à jouer dans la législature qui commence, par sa situation dans l’axe de l’assemblée, par la valeur des hommes qui la composent parmi lesquels nous comptons deux ministres du gouvernement actuel, MM. Loucheur, Bokanowski, des anciens ministres comme MM. Landry, Le Trocquer, Eynac, Guernier et de plus hautes personnalités du monde politique, administratif et financier, telles que MM. Bouilloux-Lafont, Bascou, Deligne, Germain-Martin.
83Dès le lendemain des élections, M. Daniélou avait compris le rôle d’arbitre que pouvait jouer la Gauche radicale dans la législature nouvelle. Sans prendre de repos au lendemain de sa campagne électorale il avait entrepris la réorganisation de son groupe. Il compte aujourd’hui 56 membres au lieu de 38 dans la dernière législature. Tout le monde politique a depuis trois semaines suivi avec attention les initiatives de la Gauche radicale qui se réunissait pour enfin constituer son bureau. À l’unanimité et par acclamation, M. Daniélou en était élu le président.
84En prenant possession du fauteuil, le député du Finistère, après avoir avec émotion remercié ses collègues de leur confiance, leur traçait aussitôt un large programme de politique intérieure et extérieure qui reçut l’approbation générale. Rarement élection à la présidence d’un groupe parlementaire fut accueillie avec plus de sympathie par les autres groupes de la Chambre et par le gouvernement. »
85Article paru le 9 juin 1928 dans Le Bas Breton.
Charles Daniélou et Aristide Briand
86Charles Daniélou vouait une forte admiration à Aristide Briand qui fut son « maître » en politique. Il était véritablement fasciné par ce grand homme d’État qui, alors qu’il était la personnalité politique incontournable de l’époque, lui avait offert de travailler à ses côtés puis de débuter une belle carrière ministérielle. Daniélou évoqua Briand dans son ouvrage de souvenirs et surtout dans un « livre-hommage » qui mêlant anecdotes, réflexions et citations permet d’approcher : Le vrai visage d’Aristide Briand.
87« Une seule pensée toute sa vie »
88« Une seule pensée avait inspiré toute la vie politique d’Aristide Briand, la Paix. Socialiste, il avait débuté au milieu des conflits sociaux et n’avait songé qu’à les résorber. Entré au Parlement en plein drame de la Séparation de l’Église et de l’État, il avait imposé au pays sa politique d’apaisement. Au lendemain de la guerre, il avait pris l’initiative du rapprochement des peuples qui venaient de s’entre-tuer.
89« J’ai condamné les violences, disait-il ; toujours, j’ai fait effort pour assagir la classe ouvrière, pour l’appeler à une collaboration efficace avec les partis de démocratie, pour l’organiser dans son ensemble, afin d’assurer l’amélioration de son sort et, dans la mesure du possible, de son émancipation. »
90En pleine crise des croyances, il déclarait : « C’est un honneur pour le parti républicain qu’ayant eu, après des batailles passionnées, violentes, haineuses même, à régler le sort des croyances, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus délicat ; c’est un honneur pour le Parlement, pour la République, d’avoir fait aux consciences leur ample part de liberté, d’avoir permis à tous les sentiments religieux de s’exprimer librement, sans avoir à craindre aucune persécution. »
91Et, au lendemain de la grande guerre, il s’écriera : « J’ai pensé qu’après l’effort de la guerre, mon pays avait le droit à la paix. Je me suis souvenu que les vastes convulsions qui accompagnent et qui suivent les guerres, entraînant bien des déceptions, même pour ceux qui ont remporté la victoire, j’ai compris que l’équilibre se referait difficilement dans le monde, et qu’un des premiers devoirs de la France était de s’employer de tout son cœur à assurer cet équilibre mondial indispensable à une paix durable. »
92Paix sociale, paix des esprits, paix des nations ! Tel avait été tout le programme de sa vie. »
93Dans l’intimité de Marianne, pages 354 et 355.
94« Les ans ont passé. Et son nom est sur toutes les plumes et dans toutes les bouches, pour faire confiance à son idée ou pour la combattre, comme s’il était encore vivant ; comme s’il n’était que momentanément éloigné de nous, parti pour une de ces croisières de repos qu’il aimait dans ses interrègnes ministériels et comme si, au premier rappel, il pouvait encore être de retour pour « arranger » les choses aux heures difficiles.
95Son ombre flotte parmi nous, sans bruit, comme naguère il passait au milieu de nous à pas feutrés. Et plus le monde s’agite, et plus les peuples s’énervent et s’inquiètent de leur destin, plus ils ressentent son absence.
96Il avait mis tout son génie au service de la paix. Il ne pouvait imaginer que l’homme
97qui a fait appel à la science pour sauvegarder sa vie des maladies pestilentielles ne fit effort pour s’attaquer au pire des fléaux qu’est la guerre.
98Il avait dit : « Tant que je serai là, elle ne sera pas. » Il est parti. Mais sa pensée demeure et elle se dresse en notre esprit contre l’esprit de destruction. »
99Texte de conclusion du Vrai visage d’Aristide Briand.
Charles Daniélou et Marianne
100Ce texte est la conclusion de son ouvrage de souvenirs. Il retrace ici la longue déliquescence de la IIIe République et les assauts qu’elle s’efforça de repousser avant de sombrer finalement dans la guerre et la trahison de ceux qu’il qualifie « d’ambitieux —civils et militaires ».
101« J’arrête ici cette série d’anecdotes pour ne pas mettre en cause des hommes dont le destin n’est pas encore révolu. Cependant à d’autres soupers chez Marianne, j’étais encore venu plus d’une fois m’asseoir. Mais l’atmosphère y avait perdu de sa sérénité et les convives s’y trouvaient de jour en jour moins nombreux.
102Avec Clemenceau, Poincaré et Briand avaient disparu les trois derniers de la longue lignée des hommes d’État dont Marianne s’était si justement fait gloire. Ils étaient partis dans l’angoisse de la grande indigence de successeurs possibles dans laquelle ils laissaient le pays. Ceux qui restaient - avec toute l’énergie dont ils étaient capables, mais avec de moindres moyens - s’efforçaient de sauvegarder les grandes traditions des anciens, avec leur foi démocratique.
103Mais parmi eux, quelques ambitieux-civils et militaires-à qui naguère la République avait donné sa confiance et assuré l’ascension, séduits par le prestige si rapidement acquis par des dictatures étrangères, s’imaginaient être de taille à dominer la France, s’ils parvenaient à faire d’abord table rase de ses institutions. Le 6 février 1934, ils tentaient leur premier assaut. Mais le peuple de Paris déjouait leur complot. En 1936, ils renouvelaient leurs attaques. Avec de puissants moyens financiers - dont l’origine ne faisait point de doute - ils se jetaient dans la mêlée électorale, aux cris de : « Sus aux anciens ! Sus aux vieux ! » Pour la seconde fois, leur entreprise était déjouée par le suffrage du pays. Ils mirent alors tout leur espoir dans les armées des dictatures, dans l’invasion et la défaite de leur pays. Ils consommèrent leur trahison. Et, cette fois, ils réussirent. Et Marianne dut se terrer-avec tous ses fidèles - dans la clandestinité et dans le maquis.
104Ce fut là qu’un jour de juin de 1940, elle reçut le réconfort d’une voix française, venue de Londres qui affirmait sa certitude dans la victoire des démocraties alliées et la pérennité de la France. Dans les souffrances de ses martyrs, elle attendait, pleine d’espoir-depuis quatre ans - quand, enfin, l’heure sonna de sa libération. Et, sur sa robe de misère et de deuil, notre Troisième Marianne put épingler, avec une croix de Lorraine, sa vieille cocarde aux trois couleurs :
105- Et maintenant, je puis mourir, dit-elle ; car, dans notre France immortelle la république revivra. »
106Dans l’intimité de Marianne, page 357 à 358.
Charles Daniélou et la IVe République
107Cet extrait d’une longue interview menée par Charles Chassé révèle un Charles Daniélou critique envers ces jeunes parlementaires de la IVe République qu’il décrit comme ambitieux et impatients d’être ministres. La remarque finale sur la discipline qu’imposent les partis rappelle étrangement son attaque de 1911 contre ceux qu’il avait alors appelé les « encagés de la Chambre ».
108« Les élus de la IVe République se sont parfois montrés sévères pour leurs devanciers de la IIIe. Nous ne leur jetterons pas la pierre. Naguère, ceux qui étaient nos aînés se plaisaient à encourager les jeunes qui arrivaient au Parlement et chez lesquels ils discernaient des aptitudes au gouvernement. Ils les poussaient, en toutes occasions, à prendre leurs responsabilités comme rapporteurs de budget, présidents de groupe ou de commissions, débatteurs dans les grandes interpellations, soit sur la politique intérieure soit sur les affaires internationales, et cela se poursuivait pendant des années avant qu’on ne songeât à leur offrir un portefeuille ministériel car on ne s’improvise pas homme d’État.
109La seule réserve que nous pourrions formuler à l’égard de nos successeurs, c’est que ceux-ci ont cru, au lendemain de la Libération, dans leur enthousiasme juvénile que pour avoir été d’authentiques et parfaits résistants, ils avaient acquis de ce fait toutes les capacités nécessaires à l’administration d’un grand pays comme la France. Mais gouverner est un métier et celui-ci sans doute plus que tout autre exige un long apprentissage. Ce n’est d’ailleurs pas la faute de nos cadets s’ils n’ont pas eu le temps de réaliser une formation aussi complète. La discipline trop absolue des partis a peut-être aussi empêché quelques caractères de se révéler. »
110Déclaration parue dans Le Télégramme de Brest le 14 mars 1949.
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