Chapitre VI. Premier âge d’or d’une vie politique : une carrière ministérielle qui débute avec le Cartel des gauches (1924-1926)
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Texte intégral
Charles Daniélou candidat de concentration républicaine et député de la Gauche radicale (1924-1925)
Les manœuvres de Daniélou pour figurer sur une liste de concentration républicaine
1La situation politique de Charles Daniélou avait considérablement évolué depuis les élections de 1919. Désormais proche de Briand et membre des Républicains de gauche, il avait renié son engagement dans la droite finistérienne. Il devait maintenant se faire accepter par ceux qu’il avait combattus depuis son entrée en politique.
2Daniélou adhéra, en octobre 1923, au parti Républicain démocratique et social dont Bouilloux-Lafont était membre directeur. En rejoignant le maire de Bénodet, dans ce parti modéré de centre gauche, Daniélou souhaitait obtenir le début d’une légitimité à gauche. Cependant, l’intégration du maire de Locronan sur une liste de gauche ne fut pas chose facile, d’autant plus que Georges Le Bail souhaitait former dans le Finistère un Cartel avec les socialistes et qu’il était hors de question pour Daniélou de figurer sur une liste à leurs côtés.
3Bouilloux-Lafont contacta Le Bail dès octobre 1923 afin qu’il accepte Daniélou sur sa liste. En effet, celui-ci souhaitait être présent sur une liste regroupant modérés et radicaux :
« À l’exclusion des deux extrêmes, il est tout disposé à voir son nom voisiner avec celui de Le Bail ; celui-ci par contre y est jusqu’à présent formellement opposé 1 »
4Toutefois, une liste où figureraient les noms de Bouilloux-Lafont, Daniélou et Le Bail, pourrait, sans doute, rassembler de nombreux suffrages. D’ailleurs, le sous-préfet de Châteaulin, croyant à un possible accord entre ces trois hommes, estimait que : « Daniélou [était] à [son] sens le pivot de cette combinaison2 » car le maire de Locronan possédait dans la région de Châteaulin une :
« [...] situation personnelle prépondérante et excellente malgré son évolution récente qui lui fera en somme balancer ses pertes sur ses gains. Au scrutin uninominal son élection serait certaine en tout état de cause, et je ne pense pas qu’il trouverait un concurrent sérieux contre lui3 »
5En somme, faire figurer le nom de Daniélou sur une liste, et ceci malgré son évolution politique récente vers la gauche, devait être un atout. Il allait falloir pourtant de laborieuses négociations, pressions, manœuvres, pour que Daniélou soit accepté sur la liste menée par Le Bail. Celui-ci était partisan d’une alliance avec les socialistes finistériens pour former un vaste Cartel des gauches, seul moyen de vaincre la droite à la majorité absolue. Les négociations entre Le Bail et le socialiste Émile Goude avançaient et le maire de Plozévet devait faire consacrer cette alliance au congrès radical de Châteaulin, le 23 mars 1924. Il y réussit à rassembler une majorité cartelliste contre les notables radicaux comme Lancien ou Bennac. Le Cartel irait donc du centre gauche aux socialistes ; ces derniers s’étant prononcés en faveur de cette alliance lors de leur congrès à Brest, le 30 mars 1924.
6C’est lors du congrès radical de Châteaulin que la candidature de Daniélou fut annoncée. Il était certain qu’elle serait mal acceptée par beaucoup car Daniélou avait été depuis 1910 l’adversaire déclaré des radicaux et avait personnifié le conservatisme. Il se retrouvait donc au milieu d’adversaires d’hier comme Louppe devenu sénateur. Les notables du Parti radical tels que Louppe et Lancien, s’ils furent pendant longtemps opposés à cette candidature : « [...] seraient maintenant bien disposés en faveur de Daniélou4 ». D’ailleurs, lors de ce congrès, Daniélou obtint un nombre de voix qui le fit arriver au troisième rang après Le Bail et Bouilloux-Lafont. Pourtant, un coup de tonnerre claqua dans le ciel politique finistérien : le 11 avril, Charles Daniélou télégraphia qu’il renonçait à se présenter dans le Finistère et qu’il retirait sa candidature.
7Cette décision, qui fit l’effet d’une bombe, fut annoncée le jour où les délégués modérés et radicaux étaient réunis à Châteaulin pour désigner les sept candidats républicains avancés et modérés appelés à être sur la liste du Cartel des gauches. Le télégramme de Daniélou :
« [...] A provoqué une légitime surprise et dérouté bien des délégués car, bien que son changement rapide d’opinion était commenté avec peu d’indulgence, il n’en est pas moins vrai que ses réelles qualités d’homme politique n’étaient ignorées de personne. C’est ce qui explique le grand nombre de suffrages qu’il aurait obtenu5 »
8Ainsi, malgré son changement de camp politique récent, Daniélou apparaissait comme un homme de valeur, d’expérience, à la notoriété politique croissante, dont le nom aurait permis d’apporter de nombreux suffrages à cette liste. De plus, une rumeur qui courait depuis janvier 19246 fut renforcée par l’annonce de ce retrait : elle évoquait le départ de Daniélou du Finistère pour briguer le cinquième siège récemment attribué à la première circonscription de Loire-Inférieure en figurant sur la liste emmenée par Aristide Briand7 Il n’était pas du tout inimaginable, en effet, vu les difficultés de Daniélou à s’intégrer parmi ses adversaires d’hier, de voir ce fidèle et proche collaborateur de Briand se présenter aux côtés, et sur les terres, de l’ancien président du Conseil.
9Dans La Dépêche de Brest, Charles Daniélou justifiait son retrait, tandis que le quotidien évoquait la véritable surprise suscitée dans les milieux parlementaires par cette décision :
« M. Daniélou ne se présente pas.
« M. Daniélou donne ses explications dans les couloirs de la Chambre : "La situation politique dans mon département est faussée par un petit état-major d’ex-sillonistes qui s’intitulent démocrates-chrétiens et qui, par la violence de leurs agissements a, d’une part, divisé l’ancien parti libéral et provoqué d’autre part, pour les combattre, l’union de toutes les forces républicaines. Je suis de tout cœur avec celles-ci pour l’œuvre de police locale qu’elles ont entreprise. Malheureusement elles ont cru pouvoir réaliser un Cartel qui à mon sens ne répond pas à la moyenne des aspirations des partis politiques de mon département. Un grand nombre de républicains se sont émus du rapprochement de noms de certaines personnalités sur la même liste. Cette émotion je l’ai ressentie moi-même, mais je suis trop discipliné pour me dresser contre une décision prise à la majorité. J’approuve tout ce qui sera fait pour bouter hors de notre beau département breton ces sillonistes que M. Poincaré a qualifié d’anarchistes et de démagogues de droite plus dangereux que les démagogues de gauche. Je me retire purement et simplement."8 »
10Charles Daniélou justifiait donc son retrait par l’attitude de Simon, Jadé et Balanant qui avait conduit, pour les combattre, à la formation d’un Cartel allant du centre gauche aux socialistes. Et figurer sur la même liste que ces derniers étaient inconcevables pour lui :
« Élu en 1919 sur une liste de droite, j’ai fait depuis peu un pas à gauche. Mais il ne m’est pas possible de figurer sur une liste du Cartel à côté des socialistes. L’opinion publique ne comprendrait plus9 !
11Daniélou justifiait ainsi son retrait de la bataille électorale. Cette décision était-elle une simple manœuvre visant à faire pression pour faire échec au Cartel ou était-elle réellement définitive et donc certainement lourde de conséquences pour sa future carrière ? Car ne plus être député mettrait fin, du même coup, à son ascension dans les sphères du pouvoir. C’était, sans doute, ce qu’il ressentait quand, amer, il déclarait :
« J’étais arrivé à un tournant de ma vie politique où j’aurais pu tout obtenir dans la prochaine Chambre. Il m’aurait été possible d’avoir un portefeuille10 ! »
12L’annonce du retrait de la candidature de Charles Daniélou s’apparentait bien à une manœuvre des modérés du camp républicain pour faire échec à la constitution du Cartel. En effet, Bouilloux-Lafont était également hostile à l’alliance avec les socialistes et avait menacé de tenir à l’écart de la campagne électorale le quotidien le plus lu par les électeurs de gauche, La Dépêche de Brest, seul journal à pouvoir s’opposer à la campagne menée par celui des conservateurs et des démocrates-chrétiens : L’Ouest-Éclair. Ces modérés avaient également imposé la candidature de l’amiral Guépratte « provocation vivante pour les socialistes11 » dans le seul but de conduire à un échec des négociations en vue du Cartel. Le 14 avril 1924, les socialistes, réunis à Brest, annoncèrent la rupture du Cartel des gauches ; la présence de Guépratte ayant servi de prétexte.
13La gauche, qui renonça au Cartel, se présentait à la bataille électorale divisée. Les radicaux et les modérés formèrent une concentration laissant les socialistes isolés. Daniélou pouvait dès lors revenir sur sa décision : il allait figurer sur la liste emmenée par Georges Le Bail. Pourtant son nom fut évoqué le 17 avril lors d’une réunion entre parlementaires et conseillers généraux Républicains de gauche. Cette rencontre qui se tint à la mairie de Quimper avait pour objectif de former une liste autonome pour les législatives ; liste qui aurait présenté des candidats d’origines diverses, venant de la politique, comme Daniélou et Le Gorgeu, ou du monde agricole comme Feuteun et Le Floch12. Ce projet ne vit pas le jour. Et pour Charles Daniélou c’était la première campagne à gauche.
Charles Daniélou, candidat de concentration républicaine : campagne virulente et première victoire à gauche
14La campagne électorale s’annonçait virulente en raison du passage à gauche de Daniélou. Ses anciens amis lui avaient déjà montré à la Chambre leur rancune et cette campagne devait être pour eux l’occasion de se venger en essayant d’empêcher son élection. Le Courrier du Finistère attaqua avec hargne Daniélou, dès janvier 1924, en annonçant que : « Daniélou sera le merle de la liste Bouilloux-Lafont-Le Gorgeu et compagnons, compagnons encore à désigner13 » En avril, au moment des délicates négociations en vue de constituer le Cartel, l’hebdomadaire conservateur ironisait sur l’attitude de Daniélou qui avait accompagné Briand, en février, à un congrès à Carcassonne :
« M. Daniélou a servi de porte-queue à M. Briand toute la législature, il a applaudi son patron en réclamant le Cartel des gauches. A-t-il cependant la "tripe laïque" assez développée ? Est-elle à point, au goût de M. Goude14 ? »
15Puis, Le Courrier du Finistère évoquait, à sa manière, la tactique menée par Bouilloux-Lafont pour faire échec à la formation du Cartel :
« Bouilloux-Lafont savait que les socialistes boudaient aux candidatures de Guépratte et Daniélou. Il poussa MM. Guépratte et Daniélou. Il voulut leur succès. Il parla, il agit, il toucha au but. Au congrès de Brest, ses hommes obtinrent le 3e et 4e rang après Le Bail lui même ; c’était un camouflet d’abord aux socialistes puis aux baillistes qui, à Châteaulin, avaient laissé Daniélou en carafe15 »
16Mais plus que le maire de Bénodet, c’était bien Daniélou qui était la cible privilégiée des attaques de la droite :
« Daniélou a retourné sa veste. Sur la bonne liste en 1919 il tourna aussitôt le dos à ses camarades pensant être nommé ministre... Il alla à la suite des socialistes à Carcassonne, tant il avait peur d’être repoussé par les radicaux du Finistère. Il avait beau « faire le beau » devant ceux-ci, il sentit bien vite que ses simagrées ne plaisaient pas. Il déclara alors qu’il ne figurerait sur aucune liste. Trois jours après, il était sur la liste des radicaux qui avaient d’abord eux-mêmes marché avec quatre socialistes. Daniélou est un renégat politique et rien de plus16 »
17L’hebdomadaire conservateur n’acceptait ni ne pardonnait l’évolution à gauche de Daniélou et le considérait comme un traître prêt à tout pour satisfaire son ambition politique. Le Bas Breton quant à lui n’évoquait pas beaucoup la campagne du maire de Locronan et préférait se faire l’écho de la déception de Le Bail : « Le Cartel hélas a vécu ! C’était pourtant le moyen le plus sûr de battre l’adversaire17 »
18Georges Le Bail était donc à la tête de la liste de concentration républicaine qui comptait six radicaux-socialistes et cinq Républicains de gauche. Outre le maire de Plozévet, Le Louédec, Cloarec, Croissant, Le Febvre et Le Morvan étaient présentés par le Parti radical tandis que Bouilloux-Lafont, Daniélou, Guillemot, Le Gorgeu et Belhommet représentaient les républicains de gauche. Le temps de l’Union sacrée était bien terminé et cette campagne était dominée par le retour du clivage droit contre gauche. Les thèmes défendus par cette liste étaient les suivants : une politique d’ordre et de progrès social, la défense d’une laïcité réelle de l’État et de l’École, la promotion de la diffusion de l’instruction, le respect des libertés syndicales, le développement de l’agriculture et de l’économie maritime. Ils n’omettaient pas de dire leur attachement à l’impôt sur le revenu et leurs préoccupations à propos de la situation internationale.
19Georges Le Bail présenta chacun des candidats figurant sur sa liste. Il devait donc évoquer le nouveau venu, l’adversaire d’hier, Charles Daniélou. L’exercice ne fut pas facile, mais le maire de Plozévet, avocat de métier, trouva la parade pour présenter celui qu’il qualifia plus tard sans concessions de : « serpent que le radicalisme a réchauffé en son sein...18 » :
« Voici Daniélou, un jeune ! Son père fut maire de Douarnenez et l’un des premiers radicaux-socialistes du département. Administrateur remarquable, dialecticien redoutable, il donnait à cette ville l’empreinte de sa forte personnalité. Dix mille citoyens suivirent son cercueil. Son fils, Charles Daniélou n’était qu’un enfant à la mort de son père. Il fut parfois dans le passé en désaccord avec nous. Depuis quatre ans il a eu à subir les attaques multipliées et injustes de la part des ex-sillonistes et il a émis à la Chambre des votes républicains. Sa compétence en politique étrangère est de premier ordre19 »
20Afin d’avoir à dire le moins possible sur le fils, Georges Le Bail évoquait le père. D’ailleurs, Le Courrier du Finistère ne s’y trompait pas :
« Daniélou, le renégat, il faut l’élire "parce que le père..." etc. Encore le père ? C’est tout l’éloge que Le Bail fait du renégat. Évidemment l’enfant de chœur de Briand, le repêché du bloc des gauches, le tourne-à-tous les vents ne vaut pas cher20 »
21Depuis l’entrée de Charles Daniélou sur la scène politique finistérienne, la personnalité d’Eugène Daniélou fut très souvent évoquée par les radicaux afin de montrer quel fils indigne était Charles qui, fils d’un père radical, se présentait aux côtés des conservateurs. En 1924, Le Bail y fit, à nouveau, référence afin de faire accepter plus facilement cet ex-conservateur au sein de la coalition. Et même s’il lui trouvait quelques qualités, on ne sent pas, dans ce portrait, un grand enthousiasme de Georges Le Bail pour Daniélou. D’ailleurs, certains ne l’accusaient-ils pas d’être : « responsable de la rupture du Cartel des gauches21 » si cher au cœur du maire de Plozévet ?
22La veille des élections, l’hebdomadaire conservateur en rajoutait sur le thème « Daniélou, traître et girouette électorale » :
« Le parti des renégats s’est enrichi du lèche-bottes de Briand, Daniélou. Celui-ci, qui se couvrait en 1919 du pavillon tricolore de nos amis, fraternise en 1924 avec les hommes du drapeau rouge, ceux qui plantent dans le fumier le drapeau de la France22 »
23Cinq listes s’affrontaient lors de ces élections législatives. À gauche, outre la liste de concentration républicaine, il y avait celles du Parti socialiste et du Parti communiste. À droite, outre celle d’action économique et sociale, il y avait celle d’Union républicaine avec notamment Simon, Trémintin et Balanant ; elle était la liste favorite selon les prévisions de l’administration préfectorale. Les élections qui se déroulèrent le 11 mai 1924 n’entraînèrent pas de bouleversements dans le rapport de force politique dans le Finistère. La liste de concentration républicaine obtint trois élus : Le Bail, Bouilloux-Lafont et Daniélou. Ce dernier avait rassemblé 46 135 suffrages sur son nom ce qui était un bon score pour un récent transfuge conservateur23 À l’analyse du vote de ses administrés on ne peut qu’être frappé par le vote massif pour la liste de concentration républicaine dans cette commune jusqu’alors marquée par le vote conservateur. En effet, alors qu’aux élections législatives de 1919 Locronan donnait 97 suffrages à la liste de droite contre 37 à celle menée par Le Bail et 32 à celle des socialistes, en 1924, la droite obtenait 39 voix, les socialistes 15 et les communistes une, tandis que la liste où figurait Daniélou en recueillait 91. Les Locronanais avaient suivi leur maire en choisissant peut-être plus que la liste, l’homme politique seul capable, à leurs yeux, de contribuer au développement de leur cité. Si l’évolution politique de Daniélou avait été acceptée à Locronan, elle l’avait été aussi plus largement car il était un des trois élus de la liste de concentration républicaine. Si au plan national la gauche remportait ces élections, sa poussée dans le Finistère ne lui permettait pas d’obtenir plus de sièges : stabilité totale car, comme en 1919, six députés conservateurs étaient élus contre trois de concentration républicaine et deux socialistes. L’événement marquant de ces élections était donc :
« L’étonnante évolution de Charles Daniélou, ami personnel d’Aristide Briand, de la droite au centre gauche24 »
24Cette victoire électorale de Charles Daniélou, la première à gauche, était un véritable tournant dans sa vie politique. Elle officialisait l’évolution de sa pensée politique vers le centre gauche. Sans doute, sa forte personnalité et sa bonne implantation locale furent-ils déterminants dans la réussite de ce changement de camp politique. Ayant gagné ce difficile pari, il pouvait espérer voir sa carrière auprès de Briand prendre un nouvel essor. La victoire du Cartel des gauches ouvrait une nouvelle ère pour le pays. Et pour Daniélou
Un député de la Gauche radicale dont l’action est dominée par la politique étrangère
25Charles Daniélou s’inscrivit au groupe de la Gauche radicale comme Bouilloux-Lafont ou de Chappedelaine. Ce groupe comptait quarante membres, modérés pour la plupart, élus sur des listes non cartellistes et aux positions politiques antagonistes à celle de la SFIO. Le Cartel qui comprenait les députés SFIO, les Républicains socialistes et les radicaux, comportait 287 élus mais n’avait pas la majorité. La Gauche radicale s’affirmait alors comme l’arbitre de la situation. Ces hommes du centre gauche soucieux de ne pas se couper des radicaux firent partie, dans un premier temps, de la majorité du Cartel. Ce groupe, situé à la droite du Parti radical, était l’élément charnière de la nouvelle Chambre.
26Membre de la Gauche radicale, Charles Daniélou faisait à nouveau partie de la commission des Affaires étrangères dont il était le secrétaire. Il était également secrétaire de la commission des Finances et faisait partie de celle ayant la responsabilité de la Marine militaire. Membre de ce groupe charnière et d’importantes commissions parlementaires, proche de Briand, Daniélou avait des atouts à faire valoir dès le début de ce nouveau mandat.
27Le début de la législature du Cartel fut marqué par la crise présidentielle, rendue inévitable par l’engagement du Président de la République, Millerand, en faveur du Bloc national. Les dirigeants du Cartel décidèrent alors de refuser de constituer un gouvernement tant que Millerand serait à l’Élysée. Charles Daniélou vota le 10 juin 1924 contre le ministère de droite et de centre droit emmené par François-Marsal. Millerand démissionna le lendemain. Le nouveau Président de la République, Gaston Doumergue, confia la responsabilité du gouvernement au président du Parti radical, Édouard Herriot. Celui-ci souhaita prendre des mesures symboliques destinées à effacer l’action du Bloc national et ainsi marquer une rupture avec la politique menée depuis la fin de la guerre. Charles Daniélou approuva la politique générale du gouvernement Herriot : laïcité et suppression de l’ambassade au Vatican.
28Après être intervenu à la tribune de la Chambre, le 29 août 1924, dans la discussion sur l’approbation du traité de Lausanne, en déclarant que la France devait amplifier ses relations avec le monde musulman et plus particulièrement avec la Turquie, Daniélou fut chargé par la commission des Affaires étrangères de deux importants rapports. Le premier concernait le projet de transformation en ambassade de la légation française à Varsovie. Après avoir dressé un bilan de la situation polonaise, il déclara que le temps était venu pour la France de reconnaître l’effort de redressement financier, économique et politique réalisé par ce pays au cours des dernières années :
« En témoignage de l’amitié profonde que les deux pays éprouvent l’un pour l’autre et eu égard aux liens particuliers qui maintenant les unissent, a France se devait d’être la première à marquer son admiration pour la nation sœur et sa confiance dans ses destinées en rendant à sa représentation diplomatique à Varsovie tout son lustre d’autrefois25 »
29Ce rapport fut adopté à l’unanimité en décembre 1924. Le second qui lui fut confié concernait l’éventualité de l’envoi d’une ambassade auprès du gouvernement de l’Union des républiques socialistes soviétiques. Dès le 17 juin 1924, Herriot avait annoncé, dans sa déclaration d’investiture, sa volonté de reconnaître l’Union soviétique. Les conclusions de Daniélou allaient dans son sens : il estimait que le temps n’était plus à l’expectative mais plutôt à une reconnaissance permettant le retour des échanges économiques. Maintenir l’isolement de Moscou était, selon lui, un handicap dans l’élaboration du projet de paix européenne et ne faciliterait pas non plus le règlement des questions internationales. Pragmatique, Daniélou estimait qu’il fallait comprendre que la volonté de l’ancienne Russie :
« ne peut se manifester aujourd’hui, qu’on le regrette ou non, que par l’organe du gouvernement de l’Union des républiques socialistes soviétiques26 ».
30Mais s’il évoquait les avantages économiques et politiques de cette reconnaissance éventuelle, il était très ferme à propos des risques révolutionnaires en France :
« Il est un point sur lequel il ne saurait y avoir de conciliation possible : c’est la question de l’immixtion du gouvernement de Moscou dans les affaires intérieures [...] La France n’admettra jamais que l’étranger puisse venir sur son territoire pour y fomenter la guerre civile27. »
31Charles Daniélou, en défendant la reconnaissance de l’URSS, participait à la volonté, exprimée par le gouvernement du Cartel, de développer une nouvelle politique étrangère, marquée à gauche. En janvier 1925, il apprit qu’une correspondance avait été échangée, en 1923, entre le gouvernement français et celui de Moscou. Or, cela lui avait été caché au moment de la rédaction de son rapport. Amer, Daniélou adressa alors un courrier au président du Conseil, Edouard Herriot :
« [...] Le rapport que j’ai pu présenter et faire adopter par la commission des Affaires étrangères ne correspond plus à la réalité des faits. Je compte saisir la commission des Affaires étrangères à sa première réunion de cet incident et pour le faire le plus utilement je me permets de vous demander de me faire parvenir d’urgence, une copie intégrale de la correspondance en question28 »
32Déçu, il terminait ainsi :
« J’exprime, d’ores et déjà, le regret qu’un dossier de cette importance ait pu ne pas être communiqué au rapporteur qualifié de la commission des Affaires étrangères29 »
33La politique étrangère dominait donc l’action parlementaire de Charles Daniélou en ce début de législature. Il se voyait confier d’importants rapports ce qui était révélateur de la reconnaissance dont il bénéficiait de la part de ses collègues à la Chambre. Mais la reconnaissance de ce travail allait-elle lui permettre d’obtenir plus ? Le gouvernement dirigé par Herriot, confronté à de graves problèmes financiers et à l’opposition des catholiques, fut renversé le 10 avril 1925 par le Sénat sur une question financière. L’agonie du Cartel commençait. Pas celle de Daniélou.
Charles Daniélou sous-secrétaire d’État des gouvernements Painlevé et Briand (avril 1925-juillet 1926)
34Associé depuis quelques années aux affaires aux côtés de Briand, Charles Daniélou avait obtenu diverses responsabilités à la Chambre. Mais 1925 et 1926 sont les années du premier âge d’or de sa vie politique : il accède à quarante-sept ans au pouvoir, en charge tout d’abord de la Marine marchande puis du sous-secrétariat d’État à la présidence du Conseil et aux Affaires étrangères, fonction éminemment politique et délicate. Une carrière ministérielle débute.
Contexte politique des nominations de Charles Daniélou au gouvernement
35Le gouvernement Herriot tombé, mais la majorité du Cartel toujours en place, le Président Doumergue fit successivement appel à deux hommes acceptables pour la gauche mais dont l’image allait déplacer vers le centre l’axe de la majorité. Ces deux hommes, Paul Painlevé et Aristide Briand, appelèrent Charles Daniélou au gouvernement. Depuis 1886, aucun Finistérien n’avait été membre d’un gouvernement de la République.
Sous-secrétaire d’État de Paul Painlevé (17 avril 1925-22 novembre 1925)
36Nommé président du Conseil le 17 avril 1925, Paul Painlevé forma un gouvernement de radicaux modérés, de Républicains-socialistes et d’hommes de la Gauche radicale. Ce ministère était beaucoup moins marqué que celui d’Herriot par ses origines cartellistes afin de se concilier la Gauche radicale et les sénateurs. Cette ouverture au centre et aux modérés fut l’occasion pour Painlevé d’appeler, parmi les députés de la Gauche radicale, Charles Daniélou. Cette nomination fut un événement pour le Finistère car depuis trente-neuf ans et le passage de Paul Rousseau au sous-secrétariat d’État à la Marine et aux colonies, d’avril 1885 à janvier 1886, aucun Finistérien n’avait été appelé au gouvernement. Cette nomination montre également que Daniélou était rapidement devenu un membre important et influent de la Gauche radicale. Sous-secrétaire d’État, son ambition de faire partie du gouvernement était enfin satisfaite et l’occasion ratée de 1921 oubliée.
37Avec cette nomination comme sous-secrétaire d’État aux Travaux publics, chargé des Ports, de la Marine marchande et des Pêches, s’ouvrait pour Daniélou une période importante. Il fut associé pendant plus d’un an au pouvoir et fit partie des cinq cabinets qui se succédèrent d’avril 1925 à juillet 1926. Il était d’ailleurs le seul Breton, avec Briand, au gouvernement durant cette période. Nommé à la Marine marchande le 17 avril 1925, il fut reconduit à ce poste dans le nouveau cabinet Painlevé, formé le 29 octobre 1925, malgré le rééquilibrage de ce ministère sur sa gauche.
38Ces nominations ne furent évidemment pas du goût du Courrier du Finistère qui estimait que Daniélou obtenait ainsi : « la récompense de sa palinodie cartelliste30 » ; ajoutant plus loin que « manger de ce pain-là, n’est pas le fait d’un homme d’honneur, mais d’un triste sire31 ». Le ministère Painlevé fut renversé le 22 novembre 1925 à cause de la défection de la Gauche radicale qui rejoignit l’opposition. L’heure de Briand était revenue.
Les élections municipales de 1925 et le classement de la place de Locronan aux monuments historiques
39Membre du gouvernement Painlevé, Daniélou retourna devant ses administrés lors des élections municipales du 3 mai 1925. Sa situation politique était très favorable car député-maire, il était surtout sous-secrétaire d’État depuis quelques semaines. Tout était réuni pour qu’il soit réélu : Charles Daniélou obtint 124 voix32 contre 115 en 1919 et fut élu maire de Locronan, le 17 mai 1925, à l’unanimité du conseil municipal.
40Au gouvernement depuis avril, Daniélou usa sans doute de son influence pour faire classer divers bâtiments de Locronan. Si la démarche avait été engagée depuis longtemps, le classement de la place ne fut effectif qu’en avril 1925. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’une polémique vit le jour à propos de la paternité directe et indirecte de cette mesure. En effet, Le Courier du Finistère laissait entendre que sans l’intervention auprès de Daniélou de M. Colle, artiste-peintre à Quimper, la demande serait restée à : « dormir dans les cartons33 ». Cinq jours plus tard, Henri Waquet, président de la Société archéologique du Finistère, contestait cette vision des faits et rétablissait le rôle de chacun dans cette affaire :
« Des journaux locaux semblent attribuer le mérite du classement de la place de Locronan à une personnalité quimpéroise. Il convient de remarquer que la demande initiale a été faite par la Société archéologique, et que le classement est dû aux démarches et à l’influence personnelle de Monsieur Daniélou, sous-secrétaire d’État à la Marine marchande, maire de Locronan34 »
41Voilà qui mettait les choses au clair. Le Courrier du Finistère, qui avait qualifié Charles Daniélou, après sa réélection à la mairie de Locronan, de « maire honoraire35 », avait cherché à amoindrir son rôle dans le classement de la place, ce qui n’était pas sans arrière-pensées politiques. Entre 1925 et 1927, Charles Daniélou intensifia les démarches visant à faire classer aux monuments historiques fontaines, calvaires, chapelle, mais aussi les maisons particulières autour de la place : « on se mit à protéger, à classer, envers et contre tous, les édifices publics et les maisons particulières. [1915, 1925-1926, 1927]36 ».
42Daniélou et Hémon, son fidèle adjoint, firent tout ce qu’ils pouvaient afin de protéger cette place, par amour de l’histoire de Locronan mais peut-être aussi ont-ils avant beaucoup d’autres : « pressenti la valeur qu’allait acquérir le passé37 ». Beaucoup des bâtiments classés le furent durant la présence de Daniélou au gouvernement, en 1925-1926. Son action au plus haut niveau avait dû faciliter les choses.
Sous-secrétaire d’État d’Aristide Briand (28 novembre 1925-17juillet 1926)
43Appelé par Gaston Doumergue, Aristide Briand forma un gouvernement constitué majoritairement de membres du Parti radical, de la Gauche radicale et de socialistes indépendants. Ce ministère était marqué par son glissement vers la concentration. Membre de la Gauche radicale, ami de Briand, Daniélou fut appelé pour la troisième fois consécutive au gouvernement. Mais, proche de Briand depuis des années, on aurait pu penser que le président du Conseil aurait confié d’autres responsabilités que la Marine marchande à son protégé. Or, Daniélou fut maintenu, le 28 novembre 1925, aux fonctions de sous-secrétaire d’État aux Travaux publics, chargé des Ports, de la Marine marchande et des Pêches.
44Aristide Briand avait pourtant souhaité lui confier le sous-secrétariat d’État à la présidence du Conseil et aux Affaires étrangères. Or, Daniélou avait rencontré Pierre Laval très déçu de ne pas avoir été appelé par Briand. Il lui fit alors cette étonnante proposition :
« - Il y a peut-être encore un moyen d’arranger les choses. Briand m’a appelé au double sous-secrétariat de la présidence du Conseil et des Affaires étrangères. Veux-tu ma place ? Moi, je demeurerai une fois de plus à la Marine marchande38 »
45Pour justifier cela, Daniélou expliqua que :
« Nous avions plus d’intérêt à conserver Laval parmi nous, plutôt qu’à le voir se jeter dans l’opposition39 »
46Pierre Laval devint membre du ministère Briand ; Daniélou restant à la Marine marchande. Il était clair, cependant, qu’il avait l’ambition de décrocher un portefeuille plus important. Ambition que Briand partageait pour lui.
47Le 6 mars 1926, le ministère Briand fut renversé sur ses projets financiers. Le président du Conseil forma alors un nouveau gouvernement, plus nettement axé au centre en appelant plusieurs membres de la Gauche radicale, notamment Raoul Péret à qui il confia les finances. Charles Daniélou faisait à nouveau partie du gouvernement, mais cette fois, il se voyait confier : « La charge modeste mais particulièrement importante40 » de sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil et aux Affaires étrangères. Grâce à ce poste, il fut : « étroitement associé par Briand à la conduite des affaires41 ». Daniélou fut d’ailleurs reconduit à cette fonction dans le dixième ministère Briand, le 23 juin 1926, et y resta jusqu’à la chute du gouvernement, le 17 juillet 1926.
48Par son appartenance à la Gauche radicale, devenue un des groupes pivots de la Chambre, et grâce à son amitié avec Briand, Charles Daniélou fut membre du gouvernement pendant quinze mois consécutifs. Sa carrière prenait ainsi une dimension nationale. Premier Finistérien depuis près de quarante ans à être appelé aux affaires, seul Breton avec Briand dans les gouvernements du Cartel des gauches, il était devenu une personnalité politique qui comptait. Au gouvernement, il devait agir.
Quinze mois au gouvernement : sous-secrétaire d’État à la Marine marchande puis à la présidence du Conseil et aux Affaires étrangères
Sous-secrétaire d’État aux Travaux publics, chargé des Ports, de la Marine marchande et des Pêches (17 avril 1925-8 mars 1926)
49Charles Daniélou s’installa rue du Boccador au sous-secrétariat à la Marine marchande où il remplaçait Léon Meyer, député-maire du Havre. Il prit comme directeur de cabinet un jeune avocat, ami de son fils Jean, Georges Izard. Celui-ci devint d’ailleurs, trois ans plus tard, son gendre. Jean Daniélou devenait son secrétaire particulier ; fonction qu’il occupa de 1924 à 1925. Breton originaire de Douarnenez, membre de la commission de la Marine, passionné par la chose maritime, Daniélou se voyait offrir par cette nomination l’occasion de prendre des mesures permettant d’améliorer le sort, la vie quotidienne des marins. En charge de ce département sous trois cabinets successifs, il bénéficia de onze mois pour agir. À l’heure des bilans, on constate que s’il fut à l’origine de réformes importantes au plan national, il subit, en revanche, l’échec de ne pouvoir faire construire un port en eau profonde à Douarnenez.
50Charles Daniélou fit appliquer le décret, pris le 31 mars 1925 par son prédécesseur, concernant la loi des huit heures dans la Marine et travailla avec le Bureau international du travail à l’internationalisation de cette loi. Mais il fut surtout à l’origine de la création du Conseil permanent d’arbitrage. Cet organe fut institué par le décret préparé par Daniélou et signé le 24 septembre 1925 par le Président de la République. Il devait permettre
51de proposer des solutions en cas de conflits d’ordre collectif entre les compagnies de transports maritimes et leurs équipages. La procédure serait la suivante : lors d’un conflit, en cas d’échec des tentatives de conciliation, le problème serait porté devant le Conseil permanent d’arbitrage siégeant à Paris et composé de deux hauts magistrats du Conseil d’État ou de la Cour de cassation assistés de coarbitres appartenant aux groupements professionnels. Ce conseil, après avoir entendu les diverses parties, rendrait un avis. Avec ce décret, Daniélou souhaitait éviter que des conflits sociaux se généralisent et provoquent d’importantes perturbations, très graves dans le contexte économique de l’époque où déjà la concurrence faisait rage :
« Nous n’avons pas évidement la prétention, par un simple décret, de faire disparaître les grèves ; mais nous croyons avoir réussi à établir une organisation susceptible d’aplanir les conflits lorsqu’ils n’auront pu être prévenus42 »
52Ce texte, que la presse appela le « décret Daniélou », avait pour atout d’avoir été élaboré avec l’approbation des groupements professionnels des armateurs et des marins : « C’est ce qui fait sa force43 »
53Charles Daniélou fit voter le Code du travail maritime et s’intéressa de très près aux liaisons entre la métropole et l’Afrique du Nord. Il fit aussi voter une loi réorganisant le Crédit maritime mutuel, le 30 décembre 1925 ; loi qui devait faciliter le fonctionnement des caisses régionales et locales du Crédit maritime et donner ainsi aux marins le maximum de facilités pour reconstituer, le cas échéant, leur matériel de pêche.
54Charles Daniélou voulait rénover la Marine marchande en développant la flotte commerciale mais aussi la flotte de pêche. En ce qui concerne la première, il souhaitait doter les grandes lignes postales de navires rapides pour faire face à la concurrence internationale. Il voulait aussi améliorer les liaisons entre la France et les colonies et développer les grands ports commerciaux. En ce qui concerne la seconde, il souhaitait voir le tonnage de la pêche française augmenter et proposait d’aider les pêcheurs à transformer les flottilles de pêche en chalutiers. Il souhaitait également développer la « propagande » pour valoriser le poisson et ainsi en faire augmenter la consommation. Il défendit cette idée lors du IXe Congrès national des pêches, à Bordeaux, le 14 septembre 1925. Ce congrès fut aussi l’occasion pour Daniélou d’annoncer les priorités de son action en faveur de la pêche. Il considérait comme essentiel de développer l’intensification des pêches maritimes mais aussi les possibilités de conservation et de transport du poisson sur tous les marchés du monde. Daniélou avait une haute idée du rôle que pouvait et que devait jouer la Marine :
« Une flotte marchande n’est pas seulement pour son pays un instrument de fortune, c’est encore une enseigne, la preuve affirmée devant les autres pays de sa puissance44 »
55Preuve affirmée de puissance, mais aussi élément essentiel pour l’avenir de l’économie d’un grand pays :
« L’avenir de tous les grands pays est sur les mers et leur puissance économique se mesure au plus ou moins grand nombre de leurs lignes maritimes que bat leur pavillon45 »
56Il accorda une grande importance aux relations entre la métropole et les colonies. Il liait d’ailleurs bien souvent, dans ses discours, politique maritime et politique coloniale ; cette dernière étant essentielle pour préserver l’indépendance nationale par l’approvisionnement de la métropole en céréales, laine, coton, etc.
57Mais une de ses grandes préoccupations fut de faire construire un port en eau profonde à Douarnenez. Si ce souhait répondait à une nécessité pour l’avenir de ce grand port sardinier, il y avait là aussi sans doute un aspect sentimental pour ce sous-secrétaire d’État originaire de Douarnenez. Alors qu’il n’était membre du gouvernement que depuis trois mois, Charles Daniélou adressa un courrier à la municipalité de Douarnenez, le 17 juillet 1925, dans lequel il proposait le concours de l’État pour financer la création d’un port en eau profonde, aux abords de l’île Tristan. La pêche au thon et la pêche langoustière complétaient les pêches saisonnières traditionnellement pratiquées par les pêcheurs douarnenistes : la sardine et le maquereau. Cette diversification rendait nécessaire une amélioration des installations portuaires et notamment la création d’un port en eau profonde : « dont on a ressenti la nécessité dès les années 189046 ».
58Le coût total des travaux nécessaires à la création de ce port était évalué à 7 500 000 F47. L’État financerait ce projet à hauteur de trois millions de Francs. 4 500 000 F resteraient à la charge de la Ville et du Département. La municipalité de Douarnenez qui avait trois mois pour étudier cette proposition répondit dès le 15 août 1925. Le maire, Daniel Le Flanchec, avait mis cette question à l’ordre du jour du conseil municipal qui décidait de rejeter la proposition du sous-secrétaire d’État :
« Le conseil municipal après en avoir délibéré : considérant que la situation financière de la ville ne permet pas de supporter une telle dépense, décide de ne pas donner suite au projet de construction d’un port en eau profonde à Douarnenez, à moins que l’État prenne à sa charge les deux-tiers de la dépense et que ce ne soit pas toujours les pêcheurs qui paient ce qui doit tomber dans le domaine de l’intérêt général48 »
59Cette décision ne pouvait que décevoir Daniélou qui était à l’initiative de ce projet : « En souvenir de [ses] origines douarnenistes. »49 II relança à plusieurs reprises Daniel Le Flanchec qui, malgré des : « démarches prés-santés et personnelles »50, refusa de modifier sa position. Les délibérations du conseil municipal du 12 juin 1926, du 11 septembre 1926, et du 6 novembre 1926 reprenaient la même exigence d’une participation de l’État aux deux-tiers de la dépense totale ; la Ville acceptant alors de s’engager à hauteur de la moitié du tiers restant. Cela n’était pas acceptable pour le gouvernement. Chacun restant sur ses positions, l’échec de ce projet était inévitable :
« L’incapacité à dominer les querelles liées aux intérêts des différentes parties [commerçants du port existant, pêcheurs], le refus aussi d’envisager une trop forte participation financière de la ville [...] entraînent un échec du projet51 »
60Déçu et sans doute amer d’avoir échoué dans cette entreprise pour laquelle il avait réservé trois millions de francs sur son budget, Charles Daniélou rendait Daniel Le Flanchec responsable de cet échec : « malheureusement la municipalité était en 1926 communiste52 ». Il laissait ainsi entendre que le refus du maire de Douarnenez était plus dicté par des considérations politiques que par une réelle insuffisance financière. Ce projet fut complètement abandonné en février 1927 et les crédits devant être alloués à Douarnenez furent affectés, le 11 août 1927, à Lorient-Keroman. Daniélou déclara plus tard à Charles Chassé :
« Qu’un de ses grands regrets [était] d’avoir quitté le sous-secrétariat de la Marine marchande sans avoir pu doter Douarnenez, sa ville natale, d’un grand port en eau profonde [...]53. »
61Le député de Châteaulin se vit ensuite confier de nouvelles fonctions révélatrices de son ascension politique.
Sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil et aux Affaires étrangères (9 mars 1926-17juillet 1926)
62En nommant Charles Daniélou à ce poste, si important et si politique, Aristide Briand récompensait un collaborateur fidèle, ambitieux et dévoué. L’objet de ce sous-secrétariat d’État était d’établir une liaison administrative entre les services du ministre chargé de la présidence du Conseil et les autres ministères. Daniélou, qui remplaçait Pierre Laval à ce poste, fut salué lors de sa prise de fonctions par Le carnet de la semaine qui lui consacra un article :
« La sagesse d’A. Briand a appelé auprès d’elle la poétique ardeur de Daniélou. Ce qui prouve que les esprits réalisateurs ne méprisent pas les poètes. Car Daniélou, cet homme qui organise et qui réorganise, qui crée, qui diffuse, qui s’astreint aussi bien aux besognes ardues de l’administration qu’aux vastes pensées de la diplomatie est avant tout le poète des Armoricaines54. »
63Charles Daniélou avait pour chef de cabinet Alexis Léger (Saint-John Perse), Jean Giraudoux était chargé du service de presse et son fils, Jean, de son secrétariat. Outre les tâches importantes de coordination administrative des différents ministères, Daniélou s’occupa particulièrement des questions maritimes et coloniales en même temps que de politique étrangère et collabora de très près avec le président du Conseil. Il fut sans doute, plus que jamais durant cette période, l’habile négociateur, l’homme des tractations discrètes : « Un homme de couloirs55. » Il connut les crises ministérielles avec leurs négociations politiques et leurs savantes compositions de gouvernement. Dans son livre de souvenirs, il raconte celle de mars 1926. Vers cinq heures du matin, le 9 mars 1926, il accompagna Briand qui portait la démission de son ministère au Président de la République. Il décrit la scène :
« - Monsieur le Président, dit Briand, excusez-nous de ne vous demander audience qu’à l’heure où tombent les têtes.
- La vôtre, répondit Doumergue, est encore solide sur vos épaules56. »
64C’est ainsi que Briand se voyait chargé de former le nouveau gouvernement. Une autre anecdote révèle qu’il était en prise directe avec les principaux événements politiques : il assista aux négociations qui eurent lieu entre Caillaux et Briand pour constituer le fameux dixième ministère Briand où Caillaux avait rang de vice-président du Conseil, en charge du ministère des Finances. II était clair que Charles Daniélou faisait partie du premier cercle autour de Briand. D’ailleurs lorsqu’il était simplement député, il allait déjà rejoindre quelques amis :
« dans la chambre de Briand au Quai d’Orsay, où nous lui rendions compte de la situation parlementaire57. »
65Cette première expérience ministérielle classait désormais Charles Daniélou parmi les hommes de gouvernement. Au cœur du pouvoir pendant quinze mois, il fréquenta de près l’ensemble du personnel politique de l’époque, fut associé aux manœuvres et aux compositions politiques et montra surtout sa capacité à gérer ses départements ministériels. Après la chute du gouvernement en juillet 1926, il regagna la Chambre où il siégeait à la commission de la Marine militaire et à celle de la Marine marchande. Député-maire, il fit de sa circonscription un fief inexpugnable.
Notes de bas de page
1 ADF 3 M 319, sous-préfet de Châteaulin à préfet, le 13 octobre 1923.
2 ADF 3 M 319, sous-préfet de Châteaulin à préfet, le 13 octobre 1923.
3 Ibidem.
4 ADF 3 M 319, commissaire spécial de Quimper à préfet, le 6 mars 1924.
5 ADF 3 M 319, sous-préfet de Châteaulin à préfet, le 12 avril 1924.
6 ADF 3 M 319, commissaire de police à préfet, le 24 janvier 1924.
7 .Idem, le 11 avril 1924.
8 La Dépèche de Brest, 11 avril 1924.
9 ADF 3 M 318, commissaire de police à préfet, le 14 avril 1924.
10 ADF 3 M 318, commissaire de police à préfet, le 14 avril 1924.
11 Maurice Lucas, « Les temps incertains » (1914-1945), dans Le Finistère des origines à nos jours,
St-Jean d’Angely, Bordessoules, 1991, p. 466.
12 . ADF 3 M 318, commissaire de police à préfet, le 18 avril 1924.
13 Le Courrier du Finistère, 26 janvier 1924.
14 Idem, 12 avril 1924.
15 Ibidem, 26 avril 1924.
16 Ibidem, 19 avril 1924.
17 . Le Bas Breton, 26 avril 1924.
18 Maurice Lucas, « À propos d’un cacique radical et bigouden : Georges Le Bail », dans Études sur la
Bretagne et les pays celtiques. Mélanges offerts à Yves Le Gallo, Brest, UBO, 1987, p. 349.
19 ADF 3 M 318, article de presse, Le Citoyen ( ?), non daté.
20 Le Courrier du Finistère, 3 mai 1924.
21 ADF 3 M 319, sous-préfet de Quimperlé au préfet, le 24 avril 1924.
22 Le Courrier du Finistère, 10 mai 1924.
23 ADF 3 M 320, résultats des législatives de 1924.
24 Maurice Lucas, Le Finistère [...], op. cit. p. 468.
25 Charles Daniélou, Les Affaires étrangères, op. cit., p. 239.
26 Charles Daniélou, Les Affaires étrangères, op. cit., p. 243.
27 Idem, p. 254.
28 Le Bas Breton, 24 janvier 1925.
29 Idem, 5 mai 1928.
30 Le Courrier du Finistère, 25 avril 1925.
31 Idem.
32 ADF 3 M 580, élections municipales de Locronan, 1925.
33 Le Courrier du Finistère, 23 mai 1925.
34 Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 1925, p. XXV.
35 . Le Courrier du Finistère, 9 mai 1925.
36 Maurice Dilasser, Un pays de Comouaille [...], op. cit., p. 419.
37 Maurice Dilasser, Un pays de Comouaille [...], op. cit., p. 419.
38 Charles Daniélou, Dans l’intimité de [...], op. cit., p. 149 124
39 Charles Daniélou, Dans l’intimité de [...], op. cit., p. 149 124
40 Dictionnaire des ministres (1789-1989), sous la dir. de Benoît Yvert, Paris, Perrin, 1990, p. 508.
41 Idem, p. 426.
42 Charles Daniélou, La Marine marchande, Paris, Eugène Figuière, 1927, p. 27.
43 Idem, p. 29.
44 Ibidem, p. 8.
45 Charles Daniélou, Paroles nationales, op. cit., p. 62.
46 Claude Geslin, « Industrie et mouvement ouvrier entre les deux guerres », dans Histoire Je la Bretagne et des pays celtiques de 1914 à nos jours, tome V, Morlaix, Skol Vreizh, 1983, p. 58.
47 Archives municipales de Douarnenez, registre des délibérations du conseil municipal, 15 août 1925.
48 Archives municipales de Douarnenez, registre des délibérations du conseil municipal, 15 août 1925.
49 Charles Daniélou, Finis Terrae, op. cit., p. 91.
50 Idem, p. 91.
51 Claude Geslin, « Industrie et mouvement (...) », op. cit., p. 58.
52 Charles Daniélou, Finis Terrae, op. cit., p. 91.
53 Charles Chassé, « Une visite chez C. Daniélou », La Dépêche de Brest, 26 novembre 1927.
54 Le carnet de la semaine, cité par Le Bas Breton, 31 mars 1928.
55 Alain Daniélou, Le chemin du tabymithe, op. cit., p. 34.
56 Charles Daniélou, Dans l’intimité de f...], op. cit., p. 322.
57 Idem, p. 322.
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