Chapitre V. La montée en puissance (1920-1923)
p. 101-120
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Index géographique : France
Texte intégral
Un député qui prend de l’importance
Un important discours sur la propagande prononcé à la Chambre
1Les élections législatives de 1919 marquèrent l’envoi au Palais Bourbon de la célèbre Chambre « bleu horizon », composée majoritairement d’hommes politiques nouveaux, anciens combattants et conservateurs. Charles Daniélou, retrouvant son siège de député, devait choisir un groupe parlementaire. Élu sur la liste républicaine et démocratique d’Union nationale, il décida de s’inscrire au groupe des Républicains de gauche aux côtés de Balanant, Jadé, Simon, Inizan et Le Trocquer. Cela était révélateur de l’évolution politique de Charles Daniélou qui avait glissé de la droite cléricale en 1910 vers le centre droit de l’échiquier politique. Les Républicains de gauche étaient, en effet, « des hommes du centre que le malheur des temps oblige à siéger à droite1 ». Daniélou côtoyait, dans ce groupe, des clemencistes comme Tardieu et Loucheur mais aussi des démocrates chrétiens ayant accepté le régime de laïcité comme Paul Simon.
2Le 17 janvier 1920 se déroula l’élection du Président de la République. Georges Clemenceau, auréolé de son action à la tête du gouvernement victorieux, espérait remplacer Raymond Poincaré arrivé au terme de son mandat. Or, Briand manœuvrait afin que le « Tigre » ne soit pas élu. Car ce dernier avait déclaré que lui à l’Élysée, Briand ne serait jamais président du Conseil. Briand pesait donc contre Clemenceau et Daniélou allait dans son sens en déclarant que l’Assemblée nationale devait faire preuve d’entente nationale en choisissant Deschanel :
« Il n’y a plus de question politique d’autant que le Parlement tiendra à donner à Clemenceau un hommage sous une forme quelconque2 »
3En adoptant une telle position Daniélou faisait le jeu de Briand. Il était déjà dans son entourage et participait à ses manœuvres politiques. Cette entente qui n’était qu’à ses débuts, se renforça rapidement.
4Charles Daniélou était membre de la commission des Comptes définitifs et surtout de la plus prestigieuse des commissions de la Chambre, celle des Affaires étrangères aux côtés de René Viviani, d’André Tardieu ou de Maurice Barrès. Le député du Finistère intervint, le 26 mai 1920, lors de la discussion portant sur le traité de Saint-Germain, réglant la paix avec l’Autriche : « L’actif député du Finistère, M. Daniélou dont la compétence en matière d’Affaires étrangères est appréciée en très haut lieu [...]3 » demanda si l’article 88 du traité interdisait l’union austro-allemande. En effet, si la France l’assurait, l’Angleterre le niait. Daniélou demanda à Alexandre Millerand, président du Conseil, de chasser toute équivoque à ce sujet, ce qu’il fit en répondant que seule la Société des Nations pourrait autoriser une telle union.
5Charles Daniélou fit, le 21 juin 1920, une importante intervention à la tribune de la Chambre, lors de la discussion générale du budget des Affaires étrangères. Le député du Finistère ouvrit le débat par une allocution sur la propagande française à l’étranger. Ce discours était un véritable programme de gouvernement en matière de propagande vers l’extérieur : il aborda l’ensemble des moyens à développer pour valoriser et étendre à l’étranger une image forte de la France.
6Il partit d’un constat plus qu’amer :
« Comment a-t-il pu se faire que nos alliés, rentrés chez eux après Verdun et la Marne, aient paru oublier tout à coup notre magnifique effort ? [...] Cette attitude ne tient-elle pas à l’insuffisance de notre propagande4 ? »
7La question était posée. La réponse était aussi nette :
« J’accuse l’insuffisance de notre propagande à l’étranger5 »
8Charles Daniélou évoqua la Maison de la Presse, cet organisme dont la création par Briand et Berthelot remontait à 1915. Il aborda ensuite la mission des services de l’information diplomatique dont le but était d’informer non seulement la presse étrangère mais aussi la presse française. C’est d’ailleurs de ce type de service qu’il avait été chargé par Briand pendant la guerre. Mais au-delà du rôle important de tels services, l’essentiel pour lui était de toucher les peuples :
« Partout dans le monde si nous voulons nous assurer la sympathie des peuples, c’est à ceux-ci qu’il faut aller par la propagande, par-dessus la tête des gouvernements6 »
9Daniélou évoquait ensuite l’importance et le rôle dévolu à de tels services ailleurs qu’en France, notamment en Angleterre et surtout en Allemagne où le service de propagande était l’un des plus importants du ministère des Affaires étrangères.
10Au-delà de ces constats, Charles Daniélou proposait diverses mesures. La plus audacieuse était, sans conteste, celle consistant à demander la création d’un ministère du Rayonnement français. C’était pour lui fondamental. Pour l’heure, il prônait des mesures plus simples et moins coûteuses. Il proposait, par exemple, que les amiraux puissent établir sur leurs navires des musées et ainsi faire découvrir la France à l’étranger. Musées, mais aussi cinémas ou échantillons de produits inventés par des Français ; en somme tout ce qui pouvait valoriser le pays à l’extérieur. Autre proposition originale : fonder à côté des ambassades françaises des « Maisons de France7 » qui serviraient de musées, d’académies accueillant diverses expositions. Daniélou avait mené une solide réflexion car il détaillait le service de propagande en sections : section des écoles, section artistique et littéraire, sections touristique, sportive, cinématographique et photographique, missions et comités d’actions à l’étranger, information diplomatique. Il concluait son intervention en déclarant qu’il était :
« Nécessaire de faire une propagande de plus en plus active dans tous les pays du monde. Pour se faire aimer il suffit à la France de se faire connaître mais encore faut-il qu’elle se fasse connaître8 »
11Ce discours était très important pour Charles Daniélou : il avait eu l’honneur d’ouvrir la discussion générale du budget des Affaires étrangères en abordant un thème moderne et novateur. Son passage au service de presse du Quai d’Orsay l’avait convaincu du rôle primordial que devait jouer la propagande. Il en était devenu le spécialiste auprès d’Aristide Briand. Ce type d’intervention prônant une valorisation de l’image de la France à l’étranger ne pouvait que plaire dans le climat politique d’après-guerre. Cette démarche était, pour Le Courrier du Finistère, celle d’un vrai patriote :
« Ces désirs sont d’un patriote et d’un sage. Nous ne pouvons qu’avec Millerand et la Chambre, qu’y applaudir et nous devons souhaiter qu’ils soient non seulement applaudis mais réalisés9 »
12Daniélou était très passionné par la politique extérieure et, en tant que membre de la commission des Affaires étrangères, il fut mêlé de très près aux questions internationales. Le député du Finistère prenait de plus en plus d’importance.
13L’ascension politique de Daniélou tient beaucoup à sa capacité à se montrer dynamique à la Chambre : en intervenant sur des sujets aussi divers que le traité de paix de Saint-Germain-en-Laye avec l’Autriche ou en interpellant en 1920 le gouvernement sur la politique extérieure, mais en ne négligeant pas d’intervenir, comme en 1919, sur les tarifs des chemins de fer et sur la propagande révolutionnaire en France. Daniélou « suivait tous les grands débats, se manifestant par quelque brève intervention ou par le dépôt d’un ordre du jour [...]10 ».
14Une volonté d’apaisement de la querelle religieuse se manifesta dès la fin de la guerre. L’élément essentiel de cette politique de rapprochement avec les catholiques fut la décision de rétablir l’ambassade de France auprès du Vatican, supprimée en 1904. Daniélou fit partie des 391 députés qui votèrent, le 30 novembre 1920, pour le rétablissement des relations avec le Vatican. Il défendit, ainsi, le projet de Briand :
« À partir du moment où les relations avec Rome ont été reconnues indispensables, en particulier pour le règlement de la question religieuse en Alsace-Lorraine, il eut été insensé de ne pas les rendre officielles et de ne pas pratiquer la politique de présence partout où des intérêts français étaient en jeu11. »
15Daniélou était donc partisan d’officialiser les relations entre Rome et Paris. Il préférait être pragmatique plutôt qu’idéaliste. Pour lui, les réalités l’emportaient sur les prises de position idéologiques. Son dynamisme et son intérêt pour des sujets très divers, ainsi que ses amitiés politiques en nombre croissant, permettaient au député du Finistère de se voir confier d’importants travaux parlementaires.
Charles Daniélou, rapporteur du traité de Trianon (1920)
Une enquête en Hongrie pour un rapport adopté à l’unanimité
16Les conséquences les plus apparentes de la guerre et de la victoire alliée furent les transformations territoriales qu’elles entraînèrent en Europe. La conférence de la Paix en janvier 1919 et la signature des traités de paix règlent le conflit. Si le traité de Versailles est le plus connu, il n’est pas le seul : toute une série de traités mirent fin à la guerre avec les alliés de l’Allemagne, avec les héritiers de l’Autriche-Hongrie et avec les puissances balkaniques. Le 4 juin 1920, les puissances victorieuses fixaient le sort de la Hongrie, au Trianon, à Versailles. Par ce traité de Trianon, les deux tiers du territoire de la Hongrie passaient à la Yougoslavie, à la Roumanie et à la Tchécoslovaquie. Sa population passait ainsi de vingt millions à 7,6 millions d’habitants. L’Autriche-Hongrie cessait d’exister. L’Empire des Habsbourg était disloqué. Ce texte mettait fin aux hostilités entre les alliés et la Hongrie, désormais réduite à la plaine pannonienne.
17Charles Daniélou fut désigné par la commission des Affaires étrangères pour examiner les clauses du traité dans le cadre d’un rapport de commission. Il convient de préciser les conditions de sa désignation. Louis Barthou, président de la commission en 1920, se trouvait face à un problème délicat. Le président du Conseil, Millerand, était venu rendre compte, devant la commission des résultats obtenus dans l’application des traités et des conférences interalliées auxquelles il avait participé. Or, un membre de la commission donnait ces informations confidentielles à la presse ce que Louis Barthou ne pouvait pas accepter. Daniélou apprit, par un ami journaliste, qui était l’informateur et annonça lors d’une réunion de commission qu’il connaissait le nom de l’auteur des fuites. Refusant de dénoncer en public son collègue, il dit accepter de révéler son nom, au président de la commission, sous le sceau du secret :
« Quand nos collègues se furent retirés et que je demeurai seul avec lui, Barthou vint à moi et, sans me donner le temps de prononcer un mot, il me dit : " Cher ami, j’ai contracté une dette envers vous ; je paierai."12 »
18Dès la semaine suivante, lors de la réunion de la commission, et alors que certains membres pensaient faire acte de candidature pour être rapporteur du traité de Trianon, Louis Barthou proposa d’emblée celle de Charles Daniélou :
« Je ne doute pas que vous soyez d’accord avec moi pour demander à notre collègue, qui me paraît tout particulièrement qualifié pour cela, de vouloir bien accepter ce travail13. »
19Si cette désignation était la conséquence de la promesse de Barthou, elle était aussi une nouvelle preuve de la reconnaissance de ses capacités dans le domaine diplomatique. Nommé rapporteur du traité de Trianon, Daniélou consacra ses vacances à Locronan à l’étude de la situation politique et diplomatique de la Hongrie. Il se fit envoyer par le Quai d’Orsay de la documentation qui, d’ailleurs, ne le satisfaisait pas :
« Il me suffit de parcourir cette abondante paperasse pour m’assurer que le meilleur usage que j’en pouvais faire était de m’en servir pour attiser les bûches de ma cheminée de campagne14 »
20Il consulta son « vieil ami 15 » Georges Leygues qui dirigeait le gouvernement et les Affaires étrangères. Celui-ci lui proposa alors de poursuivre ses recherches sur place et le chargea « pour le faire le plus utilement possible, d’une mission16 » qui l’accréditait auprès « de notre ministre de France à Budapest et auprès du gouvernement Hongrois17 ». Avant de quitter Paris, le 14 octobre 1920, Charles Daniélou rendit visite au Président de la République, Alexandre Millerand, au président du Conseil, Georges Leygues ainsi qu’au président de la commission des Affaires étrangères, Louis Barthou.
21Arrivé à Budapest, le Haut-Commissaire de France, Fouchet, se mit à la disposition de Charles Daniélou afin qu’il puisse prendre contact avec des personnalités du monde politique, diplomatique et économique hongrois.
22Daniélou rencontra le président du Conseil, Paul Téléki, qui avait chargé le comte Czaki, ministre des Affaires étrangères, de faciliter son travail à Budapest et dans l’ensemble du pays. Il fut également reçu par l’amiral Horthy qui fut régent de Hongrie après avoir combattu le pouvoir communiste de Bela Kun. Puis Daniélou rencontra au Parlement les chefs des partis, notamment celui de l’influent parti agraire, tandis qu’à son hôtel, il recevait des délégations d’opposants. Il souhaita s’entretenir de la situation économique du pays avec des chefs d’entreprises et des industriels. Il visita ensuite plusieurs points des nouvelles frontières de la Hongrie et les grandes plaines agricoles. Il pouvait désormais avoir une bonne vision de la situation réelle de ce pays, issu des découpages territoriaux négociés à Paris.
23De grandes réceptions furent données en l’honneur de Charles Daniélou avant son départ. Étaient présents : le président du Conseil, le ministre des Affaires étrangères, des industriels hongrois et le général Hamelin, chef de la mission française en Hongrie ainsi que le Haut-Commissaire de France à Budapest. Daniélou était satisfait de son enquête et rentrait à Paris avec « un bagage plus vivant d’informations que les deux caissons d’imprimés que le Quai d’Orsay [lui] avait naguère adressés en Bretagne18 ». Si Daniélou était satisfait, cela semblait aussi être le cas des Hongrois :
« Les milieux dirigeants hongrois se déclarent très satisfaits de l’esprit d’équité qui a présidé à l’enquête de M. Daniélou et le journal le Pesti Naplo, ordinairement peu tendre pour les Français, écrit que « la manière dont le très consciencieux député breton a conçu sa mission, que son aptitude à pénétrer le fond des questions et que son souci d’exactitude méritent d’être érigés en exemple scolaire19 »
24Charles Daniélou présenta son rapport sur le traité de Trianon le 23 novembre 1920 à la commission des Affaires étrangères. Outre Louis Barthou qui était président de la commission, les responsabilités en son sein étaient réparties entre Maurice Barrès, vice-président et Charles Daniélou qui en était le secrétaire. Celui-ci débuta son exposé en déclarant que la France « peut être appelée à jouer un rôle important de pacification dans l’Europe danubienne20 », puis dressa un historique de la région des Balkans. Daniélou justifia ensuite la sévérité du traité de Trianon par les responsabilités prises par la Hongrie dans le déclenchement du conflit. Il se félicita ainsi de l’adhésion de ce pays à la Société des Nations et évoqua « le grand service rendu à la civilisation occidentale par le peuple Magyar dans sa lutte victorieuse contre le bolchevisme de Bela Kun21 ». Mais il exprima
25ses craintes à propos du tracé des frontières car au vu de la composition ethnique des nouveaux États dans lesquels un grand nombre de Hongrois avaient été incorporés, il réclamait une protection efficace des minorités. Le rapporteur évoqua aussi les clauses militaires, économiques et celles relatives aux réparations puis fit un examen de la situation financière du pays ; déclarant en conclusion, que la Hongrie : « a été réduite à ses plus étroites limites et que privée de ses territoires industriels, elle se trouve dans l’impossibilité de vivre si elle ne reçoit pas des concours du dehors22 ».
26Pour Daniélou, il était urgent d’aider la Hongrie afin qu’elle ne tombe pas aux mains des communistes :
« Quelle politique est possible pour la France à l’égard de son ennemie d’hier avec le double souci d’affermir la paix dans l’Europe danubienne, et, en hâtant son relèvement économique de la préserver de la contamination bolcheviste que la Hongrie a déjà, une première fois, écartée23 »
27Pour finir, Daniélou demanda à la commission d’accepter ce rapport et déclara qu’il était favorable à la ratification du traité par la Chambre. S’il reconnaissait que les clauses du traité étaient très sévères, il espérait qu’elles seraient complétées de manière à permettre au pays de se relever et de vivre en paix. Ce rapport fut effectivement adopté à l’unanimité des membres présents et, après avoir annoncé que ce document serait publié, Barthou « se faisant l’interprète de l’ensemble des membres de la commission, a félicité le rapporteur de la manière dont il s’était acquitté de sa lourde tâche24 ».
28Ainsi, le député du Finistère faisait reconnaître, de plus en plus souvent, ses compétences dans le domaine diplomatique. Après avoir prononcé un véritable discours programme sur l’expansion française à l’étranger, il s’était vu confier ce rapport quelques semaines plus tard, et apparaissait comme un spécialiste de ces questions internationales. Charles Daniélou prenait de plus en plus d’importance et sa collaboration, discrète pour l’instant, auprès d’Aristide Briand, allait lui permettre de consacrer officiellement son ascension politique.
Charles Daniélou, collaborateur d’Aristide Briand, président du Conseil (1921-1922)
Haut-Commissaire à défaut d’être sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères
29Le 12 janvier 1921, Georges Leygues ayant été renversé par une majorité déçue, travaillée par Briand, c’est celui-ci qui fut chargé, par le Président de la République, de constituer le nouveau gouvernement. Briand forma, le 16 janvier 1921, son septième ministère et tenta une expérience de centre gauche bien que cela ne correspondait pas à la tonalité de la Chambre.
30Le président du Conseil créa pour Charles Daniélou le sous-secrétariat d’État aux Affaires étrangères25 Un tel sous-secrétariat d’État n’existait pas auparavant et Briand, qui cumulait la présidence du Conseil et les Affaires étrangères, souhaitait sans doute se décharger d’une partie des dossiers sur un proche collaborateur. Choisir Charles Daniélou révélait la nature des relations qu’entretenaient les deux hommes et la confiance qu’il inspirait au président du Conseil. Ce dernier, que les Affaires étrangères passionnaient, avait nommé à ce poste un homme dont il était assuré de la compétence. Toutefois, ce sous-secrétariat d’État ne pouvait exister qu’après l’adoption d’une nouvelle loi le créant officiellement. Or, dans le climat d’austérité de l’époque, les parlementaires souhaitaient plutôt la suppression de postes ministériels, trop nombreux selon eux. La Chambre refusa donc la création de ce sous-secrétariat d’État ce qui empêchait, du même coup, l’entrée de Daniélou au gouvernement.
31Aristide Briand trouva la parade à cet échec en proposant au Président de la République, lors du conseil des ministres du 19 février 1921, la création d’un Haut-Commissariat de la Propagande et de l’Expansion française à l’étranger, dépendant du ministère des Affaires étrangères. Millerand accepta et Daniélou fut nommé Haut-Commissaire le 19 avril 192126 Si Briand n’avait pas réussi à faire du député du Finistère un sous-secrétaire d’État, il avait tenu à lui confier des fonctions officielles. Charles Daniélou était désormais chargé de centraliser et de coordonner l’action des divers services concourant au développement de l’influence française dans le monde. L’attribution d’une telle fonction n’était pas un hasard car elle était directement liée au discours programme prononcé le 21 juin 1920 lors duquel il avait réclamé la création d’un ministère du Rayonnement français. À défaut d’un ministère, il avait obtenu la création d’un Haut-Commissariat et pouvait désormais essayer d’appliquer ce qu’il préconisait quelques mois plus tôt.
32Car le Haut-Commissaire avait une idée très précise des actions à mener pour valoriser la France à l’extérieur. L’essentiel était d’établir une centralisation pour susciter une impulsion unique vers l’étranger. Il importait d’être offensif en envoyant des conférenciers français partout dans le monde et en donnant, par exemple, de la documentation aux journalistes étrangers en France. Daniélou organisa d’ailleurs des voyages pour faire connaître le pays à la presse étrangère, comme celui qui, durant l’été 1921, permit la visite des installations touristiques bretonnes. Ces voyages avaient pour objectif principal de leur montrer le niveau technique, l’efficacité économique française et permettaient ainsi de diffuser le nom de grandes firmes vers l’extérieur. Par ailleurs, Daniélou considérait qu’il fallait associer le cinéma à la radio : « le meilleur de nos instruments de propagande27 ». Au moment où l’Angleterre, mais surtout l’Allemagne, développaient leur propagande en produisant des films « où notre histoire, nos mœurs, nos institutions sont odieusement travesties28 », il lui apparaissait essentiel de développer le cinéma français car les films sont :
« à la portée de tous, et l’élite aussi bien que le peuple en suit avec le même plaisir et le même intérêt toutes les manifestations29 ».
33Outre la radio, le cinéma et le théâtre, Daniélou souhaitait maintenir les écoles françaises à l’étranger, augmenter les bibliothèques afin d’en faire le centre de l’influence française. Le Haut-Commissaire souhaitait aussi que chaque Français voyageant à l’étranger devienne un représentant de son pays, adoptant ainsi le système de « commis voyageur allemand » qui avait servi de façon si efficace le développement économique de l’Allemagne avant-guerre. Cette politique était vraiment nécessaire afin de lutter efficacement contre la propagande allemande qu’il jugeait agressive : « Sa pointe vise d’abord la France. Une vaste entreprise de diffamation anti-française30 » était, selon lui, menée par l’Allemagne depuis la fin de la guerre :
« Une action de propagande française doit être opposée à l’action de propagande allemande dans le monde. Une organisation nouvelle doit être échafaudée ou notre ministère des Affaires étrangères adapté à ce rôle de ministère de la propagande31 »
34Il était clair que Charles Daniélou était désormais le responsable de la propagande française auprès du président du Conseil et qu’il ne manquait pas d’ambition pour concrétiser les nombreuses idées énoncées dans son discours programme de 1920. En siégeant au groupe des Républicains de gauche mais surtout en devenant un proche collaborateur de Briand, qui d’ailleurs le maintint dans ses fonctions le 7 octobre 1921, Charles Daniélou reniait son engagement politique d’avant-guerre. Cette évolution ne plaisait évidemment pas à ses anciens amis politiques de droite. Un incident le révéla en devenant une « affaire » dont il fut fait écho à la Chambre des députés.
Charles Daniélou attaqué par ses anciens colistiers
35Les anciens colistiers du député du Finistère, Jadé, Balanant et Paul Simon, cherchèrent à mettre en difficulté le Haut-Commissaire en l’attaquant à propos de l’une de ses interventions prononcée lors d’un banquet à Roscoff, le 12 juin 1921.
36Charles Daniélou, qui souhaitait se rendre à l’inauguration d’un monument aux morts érigé à Roscoff, fut accueilli par le sous-préfet de Morlaix en grande tenue. Le sous-préfet et le maire de Roscoff appelèrent Daniélou « Monsieur le ministre ». Et ce dernier aurait annoncé qu’il prononçait son discours « au nom du gouvernement32 » auquel il avait « l’honneur d’appartenir33 ». Puis, au banquet, il évoqua la conférence de Londres qui fixait le montant et les modalités du paiement des réparations. Alors qu’il évoquait la situation diplomatique et les difficultés que le gouvernement Briand rencontrait depuis cinq mois, il fut interrompu par Simon et Balanant :
« — Vous n’avez pas à faire ici de la politique
- Est-ce faire de la politique, riposta Daniélou, que de vous exposer la situation de la France à l’égard des alliés et vis à vis de l’Allemagne ? Qui pourrait s’étonner ici que le collaborateur immédiat du chef du gouvernement, devant certaines insinuations mette au point ce que fut l’action du président du Conseil et ses efforts de tous les instants pour faire exécuter le traité de Versailles34 ? »
37Cet échange entre Daniélou et ses anciens colistiers, qui aurait pu en rester là, fut monté en épingle par les députés de droite. Ils lui reprochaient d’avoir accepté les honneurs ministériels alors qu’il était Haut-Commissaire du gouvernement et non pas ministre. C’était là l’occasion non seulement d’attaquer un homme qui les avait reniés mais aussi de chercher à nuire au président du Conseil, fidèle soutien de Daniélou. Jadé interpella Briand à la Chambre et, après avoir relaté les points de litige, lui posa la question suivante :
« M. Daniélou est-il oui ou non, membre du gouvernement ? Dans l’affirmative, l’avez-vous chargé, ainsi qu’il l’a prétendu, de venir tenir à Roscoff les propos qu’il y a tenus35 ? »
38Aristide Briand répondit en réaffirmant, avec force, son soutien à Charles Daniélou :
« On a mis en cause, au début d’une manière risible, à la fin, d’une manière fâcheuse, un membre de cette assemblée, qui est mon ami et qui, en même temps, a bien voulu m’accorder son concours pour une œuvre difficile et que rendent ingrates les conditions dans lesquelles il l’accomplit, M. Daniélou, qui se montre pleinement digne de la tâche à laquelle il s’est voué. Je me dois même d’ajouter que si des raisons budgétaires et la nécessité de tenir compte de certaines manifestations parlementaires ne m’en avaient empêché, ce serait pour moi un grand plaisir et un grand honneur... [Mouvements divers] J’ai le droit de dire mon sentiment [...] que de le voir accomplir cette tâche dans des conditions meilleures36 »
39Au-delà de cet hommage appuyé, le président du Conseil ne répondait pas sur le fond de l’affaire. Sans doute trouvait-il ce genre de querelle sans grand intérêt. Daniélou, selon La Libre parole, paraissait serein lors de l’intervention de Jadé :
« M. Daniélou, debout dans l’hémicycle, adossé au premier banc de l’extrême gauche, a l’air de prendre un vif plaisir aux plaisanteries amères que lui décoche de la tribune M. Jadé ; la Chambre finit par s’amuser autant que lui. Daniélou prend très gaiement le parti d’être sur la sellette bien qu’il donne quelques signes de dénégation au fur et à mesure du récit de l’interpellateur37 »
40Cette polémique fut relatée avec passion par la presse nationale et surtout locale. Le Courrier du Finistère accorda, par exemple, deux colonnes à cet incident sous le titre ironique : « Petitesses de grands hommes ou des coqs s’étant rencontrés38 » L’hebdomadaire conservateur vouait une hostilité à Daniélou à la mesure du soutien qu’il lui avait apporté pendant une dizaine d’années. La collaboration de Daniélou auprès de Briand était vécue comme une véritable trahison non seulement par ses amis politiques, mais aussi, sans doute, par les électeurs qui lui avaient accordé leurs suffrages quelques mois auparavant. Si Le Courrier du Finistère ne le soutenait plus, Le Bas Breton approuvait son évolution politique. À changement de camp politique, changement de soutien médiatique.
41Collaborateur du président du Conseil, Daniélou fut chargé d’organiser le voyage de la délégation française à la conférence de Washington sur le désarmement et accompagna Briand, Viviani et Sarraut, jusqu’à bord de leur transatlantique, le 29 octobre 1921, au Havre.
42La chute de Briand, en janvier 1922, mit fin du même coup aux fonctions de Haut-Commissaire qu’occupait, depuis avril 1921, Charles Daniélou. Redevenu député, il était membre de diverses commissions. Membre de la commission de la Marine militaire, il intervint lors de la discussion budgétaire de 1923 à propos de la place à donner aux forces navales. En 1922, il devint vice-président de la commission des Comptes définitifs et des Économies, devenant ainsi un de ses principaux dirigeants, en charge de l’analyse des rapports de la Cour des comptes et de l’examen des pièces comptables afin de contrôler les dépenses des exercices périmés.
43Daniélou, qui n’avait évidemment pas oublié la virulente attaque de Jadé à son encontre, a l’occasion, en juin 1923, de se venger. Alors que Rio, sous-secrétaire d’État à la Marine marchande, était attaqué par Jadé, Daniélou :
« [...] téléphona à tous ses amis d’accourir. Ceux-ci déférèrent à son invitation. Tout au long de son discours, en effet, Jadé vit Daniélou et ses amis rire à gorge déployée ce qui le désarçonna. [...] Daniélou savourait sa vengeance39 »
44Maire de Locronan, Charles Daniélou venait régulièrement dans sa commune. Il prenait le train le vendredi soir pour la Bretagne, réglait quelques affaires, gardant ainsi le contact avec ses concitoyens, et repartait pour Paris le lundi ou le mardi. Il était sollicité depuis quelques années pour prendre des mesures afin de protéger la place. Déjà, dans une lettre adressée au préfet, le 2 juillet 1913, Jos Parker, président de la Fédération régionaliste de Bretagne, s’inquiétait d’éventuelles destructions de maisons, ce qui enlèverait, bien sûr, du charme à cette place symbole « d’une époque que la vie moderne efface chaque jour40 ». Le 26 octobre 1922, le président de la Société archéologique du Finistère41 réclamait à son tour une protection officielle de la place. En réponse à ces demandes, le conseil municipal de Locronan, décida de solliciter le classement aux monuments historiques de toutes les vieilles maisons de la place. C’était une œuvre de longue haleine qui débutait car seules l’église et la chapelle Bonne-Nouvelle étaient jusqu’alors classées.
45L’activité politique de Charles Daniélou devenait de plus en plus prenante et, l’importance de ses responsabilités augmentant, il avait des difficultés à assister aux congrès de l’URB. Il s’excusa de ne pas participer au congrès de Guérande en 1920, préparant alors son voyage en Hongrie, et il ne put assister non plus à celui de Perros-Guirec, en 1921, ni à celui de Concarneau en 192242 Ainsi, malgré son évolution politique récente, il restait membre de l’organisation régionaliste, pourtant nettement marquée à droite. Cet engagement conservait donc toujours la même importance.
46Les années 1920-1923 sont donc décisives pour Charles Daniélou. C’est l’époque de sa montée en puissance à la Chambre et de ses débuts officiels auprès de Briand. Ces années révèlent aussi sa rupture fondamentale : son passage de la droite à la gauche, ou plus précisément au centre gauche. Mais Daniélou devait désormais se faire accepter par la gauche finistérienne. C’était loin d’être acquis mais cela lui était indispensable car les élections approchaient.
Notes de bas de page
1 . Jean-Marie Mayeur, La vie politique [...], op. cit., p. 260.
2 Le Courrier du Finistère, 24 janvier 1920.
3 . Idem, 5 juin 1920.
4 Le Courrier du Finistère, 10 juillet 1920.
5 Charles Daniélou, Les Affaires étrangères, Paris, Eugène Figuière, 1927, p. 10 et 11.
6 Charles Daniélou, Les Affaires étrangères, Paris, Eugène Figuière, 1927, p. 10 et 11.
7 Ibidem, p. 12.
8 Ibidem, p. 21.
9 Le Courrier du Finistère, 10 juillet 1920.
10 Jean Jolly, Dictionnaire des parlementaires [...), op. cita., p. 1935.
11 Charles Daniélou, Paroles nationales, op. cita., p. 137.
12 Charles Daniélou, Dans l’intimité de [...], op. cita., p. 241.
13 Charles Daniélou, Dans l’intimité de [...], op. cita., p. 241.
14 Ibidem, p. 260.
15 Ibidem, p. 261.
16 Ibidem, p. 261.
17 Ibidem, p. 261.
18 Ibidem, p. 263.
19 Le Courrier du Finistère, 6 novembre 1920.
20 Le Bas Breton, 6 novembre 1920.
21 Charles Daniélou, Le Traité de Trianon, Paris, Eugène Figuière, 1923, p. 51
22 . Idem, p. 149.
23 Ibidem, p. 150.
24 Le Courrier du Finistère, 27 novembre 1920.
25 Le Bas Breton, 22 janvier 1920.
26 Le Bas Breton, 26 février 1921.
27 Charles Daniélou, Les Affaires étrangères, op. cita., p. 27.
28 28. Idem, p. 52.
29 Ibidem, p. 52.
30 . Ibidem, p. 52.
31 Ibidem, p. 97.
32 Le Courrier du Finistère, 25 juin 1921.
33 Idem.
34 Le Bas Breton, 25 juin 1921.
35 Le Courrier du Finistère, 25 juin 1921.
36 Le Bas Breton, 25 Juin 1921, texte de la réponse de Briand, du 18 juin 1921, parue au Journal Officiel.
37 La Libre parole, citée dans Le Bas Breton du 25 juin 1921.
38 Le Courrier du Finistère, 25 juin 1921.
39 Le Finistère, 8 décembre 1923.
40 ADF 4 T 38, lettre de Jos Parker au préfet, le 2 juillet 1913.
41 . Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, 1922, p. XL.
42 . Bulletins de l’URB 1920 à 1923
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