Chapitre 4. Une société fortement hiérarchisée
p. 159-209
Texte intégral
1Les choix politiques et idéologiques de cette société aussi bien avant 1939 que pendant l’Occupation peuvent se comprendre à travers les structures de la société, ses conditions de vie quotidienne. Seule une première approche est possible à travers la fortune des ménages et de sa composition entre 1919 et 1939, à travers aussi sa vie quotidienne, ses loisirs, et, dans ce cadre si divers et si cloisonné à la fois, à travers ses Anciens Combattants.
Structure familiale et sociale de la population étudiée
De quelques problèmes de méthode
2Pour étudier la structure familiale, la hiérarchie d’une société donnée au xxe siècle, se pose d’emblée le problème des sources accessibles. Si pour les siècles antérieurs, y compris le xixe siècle, la majorité des sources sont d’accès libre pour le chercheur, sans restriction, il n’en est pas de même pour le xxe siècle. A. Daumard, dans le cadre de sa thèse et de nombreux articles méthodologiques1, a recensé les nombreuses sources disponibles, mais la plupart, parce qu’elles touchent à la vie privée des individus, ne sont pas accessibles pour le xxe siècle.
3Pour la période, une seule source pratiquement est d’accès libre : les listes nominatives de recensements. Celles-ci fournissent certes les professions mais avec un manque de rigueur total, dû aussi bien aux intéressés qu’à l’agent recenseur : il est généralement impossible de savoir qui est artisan, qui est ouvrier ; de même dans le monde agricole : qui est propriétaire ? Fermier ? La seule certitude que l’on puisse avoir concerne le nombre de domestiques (et encore !) et le nombre de personnes résidant habituellement en ce lieu, mais si l’une d’elles est absente le jour du recensement, rien ou presque n’est dit sur son compte. Sur dérogation, il a été possible d’avoir accès aux déclarations de mutation après décès pour la période de 1919 à 1939. Par rapport aux inventaires après décès, il est certain que les déclarations de mutation apportent au chercheur moins de renseignements. Malgré leurs imperfections, elles permettent d’étudier la fortune des ménages à un moment donné, même si dans la pratique divers problèmes se posent2.
4Pour l’étude de la fortune du ménage, ces sources ont des limites3. Elles sont une coupe à un moment donné et les déclarations sont parfois sous-estimées pour échapper partiellement au fisc, mais avec cette source on dispose du bilan d’une vie. Elle permet d’apprécier l’importance des patrimoines, la stabilité de la société, sa cohésion géographique4.
5Les déclarations de mutation après décès ne concernent qu’une partie des défunts, ceux qui entre 1919 et 1939 ont une succession supérieure à 200 F. De fait, pour chacun des cantons ou des communes retenus, seul le tiers des défunts fait l’objet d’une déclaration de mutation comme l’apprennent les tables de succession et d’absence5. Compte tenu de l’ampleur de la source6, la nécessité de procéder par sondage s’imposait que ce soit sur le plan géographique, chronologique et même à l’intérieur d’une même année7. Au total, ce travail porte sur 775 déclarations auxquelles il faut en ajouter 19 concernant de grosses fortunes étudiées à part8.
Age et situation familiale
6Même pour l’état civil, les sources sont lacunaires puisque pour 33 % de l’échantillon l’âge du défunt9 reste inconnu. 29,29 % des défunts dont l’âge est connu, ont entre 50 et 69 ans lors de leur décès c’est-à-dire qu’ils rejoignent la moyenne de l’espérance de vie à la naissance des Français de cette époque10. Les hommes constituent un peu plus de la moitié de l’échantillon (53,16 %). L’échantillon donne une même proportion de décès par classe d’âge quel que soit le lieu. Le pourcentage d’hommes décédés et recensés ici est un peu plus élevé dans les villes (54 % de notre échantillon) que dans les campagnes (51 %). L’échantillon forme une population dont l’âge au décès correspond à la moyenne française et dont la proportion hommes-femmes est également conforme à la moyenne française. Tout en se méfiant de toute extrapolation un peu rapide, on peut conclure de cette première approche que cet échantillon n’est pas aberrant par rapport à la structure par âge et à la répartition hommes-femmes de l’ensemble de la population.
7L’analyse de la situation familiale des défunts est tout aussi significative, qu’il s’agisse de leur situation maritale ou du nombre de leurs enfants. La situation maritale des défunts dans l’ensemble du département reflète celle de la population et le poids des mentalités. Dans les villes comme dans les campagnes, les célibataires constituent environ 10 % de l’échantillon. La seule divergence constatée en ce qui concerne les célibataires est la plus forte proportion de femmes célibataires (41,30 %) dans les communes rurales que dans les villes (37 %) ; vraisemblablement une partie importante d’entre elles est restée à la ferme après la guerre soit pour élever des frères et sœurs plus jeunes et orphelins, soit pour aider un frère lui-même célibataire ou veuf. Seulement cinq défunts sont divorcés et un seul n’habitait pas en ville, ce qui montre la force de l’interdit religieux et social. Ils sont en effet complètement exclus de la vie sociale rurale puisqu’une bonne partie des activités de la communauté villageoise sont liées à l’appartenance à la communauté catholique. Mis totalement au ban de l’Église, ils ne peuvent que se retrouver étrangers dans leur propre village dans un département où la pratique religieuse est aussi forte. Cette pression de l’Église peut se retrouver aussi dans le nombre d’enfants par couple.
8Sur l’ensemble des défunts non célibataires, 13,48 % des couples sont sans enfants, les citadins étant un peu plus nombreux dans ce cas. L’ensemble des couples avec enfants (vivants ou morts au moment du décès) a en moyenne 2,6 enfants par couple avec un écart entre la ville et la campagne puisque les couples citadins ont 2,4 enfants par couple et ceux résidant dans les communes rurales : 2,86 enfants par couple. Enfin si l’on rapporte à l’ensemble des couples (avec et sans enfants), pour l’ensemble du département, la moyenne d’enfants par couple s’établit à 2,27 et l’écart diminue entre les couples citadins (2,06 enfants par couple) et les couples ruraux (2,45 enfants par couple). Autrement dit, les ménages citadins assurent de justesse la reproduction du couple, contrairement aux ménages ruraux. Avec 2,27 enfants par couple en moyenne, le département (selon l’échantillon) dépasse le simple renouvellement de génération et appartient à cette Bretagne « réservoir démographique » qui alimente les autres régions françaises, faute de travail chez elle11. « Réservoir démographique » d’autant plus remarquable que la guerre l’a profondément touchée et le département dans son ensemble ne retrouve pas son niveau de population de 1911 avant 193912.
9La proportion de couples ayant un ou deux enfants est majoritaire chez les couples citadins (54 %) et minoritaire chez les ruraux (42 %). Quant aux familles de quatre enfants et plus, elles sont plus souvent rurales (22,9 % des ménages) que citadines (17,13 %). L’image que renvoie cet échantillon d’hommes et de femmes décédés pendant l’entre-deux-guerres est classique avec des villes où les familles nombreuses sont plus rares et donnent leur préférence à un ou deux enfants. Certes, il s’agit d’une conception parfois antérieure à la guerre, mais cela ne concerne pas la totalité de l’échantillon et montre surtout que très tôt cette différenciation existe dans le département, sans pour autant tomber en-dessous du renouvellement des générations.
10Le nombre d’enfants varie aussi en fonction de la profession du chef de famille.
11Le nombre d’enfants par défunt non célibataire selon la catégorie socioprofessionnelle varie de 1 à 2,79. En France en 1936, le taux varie de 1,3 à 2,2 pour les cultivateurs13. Le groupe qui n’assure pas la reproduction du couple comprend aussi bien des domestiques que des professions libérales ou des employés et le groupe qui a plus de 2,1 enfants rassemble des négociants, des cultivateurs et des ouvriers. Si les domestiques par leur statut ont rarement la possibilité d’avoir des enfants, les employés et les cadres moyens résident depuis peu en ville et adoptent le comportement malthusien des professions libérales et des cadres supérieurs. De ce point de vue, cet échantillon ne suit pas la règle dégagée par Adeline Daumard pour le xixe siècle qui montre que plus l’on monte dans la hiérarchie des fortunes et des professions plus le nombre d’enfants croît ; en revanche, le comportement des négociants et des industriels du département va en ce sens14. Parmi ceux qui ont deux enfants et plus, la présence des cultivateurs ne surprend pas dans ce pays catholique de petites exploitations agricoles peu mécanisées. Quant aux ouvriers, ils sont encore proches de leurs origines rurales et, sans garantie du lendemain, assurent leur avenir.
12Cette population mêle des caractères généraux que l’on retrouve dans toute la France telle la dichotomie ville-campagne, et, l’appartenance à la Bretagne catholique, « réservoir démographique » de la France avec une population agricole plus féconde que dans d’autres régions.
Situation professionnelle des défunts
13La situation professionnelle des défunts bien qu’elle ne soit pas toujours indiquée ou avec beaucoup d’imprécisions, permet d’affiner l’étude de la hiérarchie sociale fondée sur les fortunes.
14Le premier problème est la fréquence des sans profession ou des indéterminés, même si elle est réduite quand la succession permet de pallier cette carence en signalant la présence de bétail, d’un fonds de commerce, d’un office de notaire. La profession de 47 personnes soit 6,06 % de cette population n’a pu être définie. On peut distinguer les « indéterminés » des « sans profession » car dans certains cas, il s’agit réellement de sans profession ou peut-être de propriétaires ou rentiers. Le contenu de la déclaration de mutation conduit à pouvoir opérer cette distinction. Parmi les hommes sans profession, certains auraient pu être classés propriétaires ou rentiers de même parmi les femmes, mais on a préféré conserver la dénomination déclarée par la famille car dire que le défunt est sans profession ou propriétaire ou rentier n’est pas innocent et indique une volonté consciente ou inconsciente de se classer dans la bourgeoisie traditionnelle. Pour les femmes, le problème se pose un peu différemment. Pour un certain nombre d’entre elles particulièrement dans les villes, il s’agit de femmes dont l’époux exerce une profession libérale, est magistrat, etc. et dont il est clair d’après la succession qu’elle n’exerce elle-même aucune profession15. Or, elles représentent 40,38 % des femmes de la population étudiée.
15Parmi les catégories socio-professionnelles16, sont présents quelques rares domestiques et ouvriers, évidemment sous-représentés par rapport à leur place dans la population départementale, mais il est en soi remarquable qu’il y en ait quelques-uns dans les déclarations de mutation après décès car, depuis 1920, il n’y a pas de procédure obligatoire lorsque l’actif de la succession est inférieur à 200 F. Certains domestiques (femmes principalement) sont logés, nourris ; dans ce cas, ils peuvent parfois disposer d’un petit avoir sur un livret de caisse d’épargne ou bien après un héritage de quelques ares de terre. Pour les ouvriers, ce dernier cas est plus fréquent. Par ailleurs, étant donné la structure sociale d’ensemble de l’Ille-et-Vilaine, il est logique que les cultivateurs et les commerçants et artisans constituent l’essentiel de l’échantillon (43,22 %). Les cultivateurs prédominent avec 27,09 % du total, chez les hommes (32,52 %) comme chez les femmes exerçant une activité professionnelle (35,02 %), tandis que les commerçants et artisans forment également une part importante avec 16,12 % des déclarations. La présence non négligeable d’employés est significative de cette catégorie capable de disposer de quelques biens (livret de caisse d’épargne, quelques ares de terre pour les fils d’agriculteurs) ; les trois-quarts appartiennent à la fonction publique, voire aux chemins de fer de l’État. Enfin, les propriétaires et rentiers représentent tout de même 5,80 % de la population étudiée, bien que certains soient parmi les sans profession ; ils ont été rattachés à leur profession d’origine lorsque la déclaration de mutation permet de le déduire. Pour les autres, il semble bien que l’on ait affaire à des personnes vivant réellement de leurs rentes de propriétaires17.
16A priori, car ce sera à préciser avec l’étude des fortunes, la bourgeoisie (petite, moyenne ou grande) est bien représentée, de même que les agriculteurs avec une répartition sans surprise entre les villes et les campagnes.
Mobilité sociale et géographique intergénérationnelle
17Savoir si les enfants conservent le statut social de leurs parents ou connaissent une certaine ascension sociale ou au contraire un déclin, savoir s’ils restent dans la même commune ou sont partis, permet de mesurer la mobilité sociale et géographique ainsi que le degré de rigidité de cette société. Les limites des sources apparaissent à la lecture du tableau n°24. Le chiffre total ne prend en compte que les enfants des défunts exerçant une profession. Quelques traits généraux peuvent être dégagés en tenant compte de la faiblesse de certains chiffres.
18Une seule catégorie sociale a un comportement tout à fait homogène : les cultivateurs voient leurs enfants exercer la même profession qu’eux (76,43 %) ; ensuite, ils se répartissent en parts quasi égales entre commerçants-artisans et domestiques (domestique agricole ou bonne pour les filles). Cette absence totale de mobilité sociale est le reflet de facteurs économiques, sociaux, culturels. L’agriculture bretonne vit alors en circuit fermé ou presque ; la vente des produits se fait dans les villes les plus proches ou auprès de négociants qui passent dans les fermes. Le produit de cette vente suffit généralement pour acheter les quelques produits nécessaires. L’agriculteur pratique alors une agriculture peu mécanisée, demandant beaucoup de bras18 ; il commence seulement à utiliser des engrais chimiques et des semences sélectionnées. Etre cultivateur demande alors peu d’investissements, l’endettement est faible et l’autoconsommation forte. Choisir un autre métier est difficile aux enfants de cultivateurs, car il faut soit des disponibilités financières, soit avoir pu suivre l’école dans de bonnes conditions. C’est pourquoi, en dehors de ceux qui héritent d’une ferme, les autres sont domestiques agricoles (souvent en attendant d’hériter de la ferme paternelle ou d’une partie de celle-ci). Signe de promotion sociale, quelques-uns deviennent commerçants ou artisans, quand ils disposent d’un peu de bien et quand leur goût, leur ambition, la conjoncture leur permettent de s’établir, sans avoir été régulièrement à l’école. Enfin, d’autres, tout aussi peu nombreux, quittent la campagne pour la ville19 en devenant ouvriers, ou pour les plus instruits, possesseurs du certificat d’études, employés. La promotion sociale est rare chez les enfants d’agriculteurs, reflet d’un monde fermé, figé mais aussi d’un manque de moyens financiers voire intellectuels, d’un manque de curiosité, une sorte de timidité envers l’inconnu20.
19Toutes les autres catégories socio-professionnelles ont un taux de reproduction sociale inférieur à 50 %. Représentent encore un effectif important les enfants de commerçants-artisans dont 31,5 % exercent le même métier et environ 12 % sont employés. Certains travaillent soit chez leurs parents, soit chez d’autres patrons en attendant de se mettre à leur compte ; en ce sens, ils sont les héritiers professionnels de leurs parents. Contrairement à ceux-ci, les enfants devenus ouvriers subissent un déclassement social21. Leurs parents sont de petits commerçants de bourgs ruraux où leur niveau de vie n’est guère supérieur à celui d’un ouvrier. Le sentiment d’un déclin social peut venir de la perte du statut d’indépendance plus que du revenu, identique ou très proche.
20Pour les autres défunts, le petit nombre d’individus ne permet pas de tirer de conclusions fermes, mais, à défaut, des tendances. Les pères qui exercent une profession libérale (avocat, médecin,...), ont des enfants pour qui l’héritage social a complètement fonctionné ; sur sept recensés, trois exercent une profession libérale, un est encore étudiant et les quatre sans profession sont des filles encore célibataires ou mariées dans le même milieu. L’héritage culturel et social jouent totalement aussi pour les enfants de cadres supérieurs. Chez les négociants et industriels, 22 % des enfants ont le même métier et 17 % sont commerçants : la frontière entre négociants et commerçants est parfois mince, certains de ces fils commerçants sont probablement de futurs négociants, seul le volume de leurs affaires faisant la différence. Quant aux enfants d’ouvriers, 22 % sont ouvriers. 36 % deviennent soit artisans, soit employés. En devenant artisans, ils effectuent une ascension sociale dans la lignée de leurs parents : il existe une sorte de fidélité au métier, mais le statut a changé. De même pour les 18 % qui deviennent employés, plus de la moitié sont des employés des chemins de fer dont le mode de vie, l’héritage culturel sont en fait très proches des ouvriers, surtout s’ils travaillent aux ateliers. Dans les autres catégories sociales, la dispersion est assez forte. Peu d’enfants de cadres moyens peuvent être classés comme tels. La plupart sont à proximité ; commerçants, ils changent de statut par rapport à leur père en devenant indépendants, mais ils restent dans la classe moyenne. Mobilité sociale oui, mais timide, liée au statut et elle n’entraîne pas un véritable changement sur l’échelle sociale. D’autres sont employés de commerce ; apparent déclin social, mais peut-être n’ont-ils pas achevé leur trajectoire professionnelle. Un seul, exerçant une profession libérale, est en situation d’ascension sociale. Les enfants des cadres moyens se maintiennent dans les classes moyennes.
21Les professions des enfants de propriétaires et rentiers renseignent souvent sur celle exercée par leurs parents antérieurement. Sur les 23 enfants, fils ou filles de propriétaires dont la profession est connue, huit sont cultivateurs22, certains sont peut-être en réalité fils ou filles de gros agriculteurs. Six sont commerçants et ont certainement profité de l’aide parentale ou repris le commerce tenu antérieurement par leurs parents. Quatre se déclarent propriétaires rentiers, maintenant une attitude, une mentalité de rentiers tels qu’il en existait au xixe siècle et dont on voit ici les ultimes traces. Enfin, deux sont devenus cadres moyens, soit ils n’ont pas achevé leur trajectoire professionnelle, soit leurs parents sont de petits rentiers.
22De ce tableau n°24, on peut tirer une typologie de la mobilité sociale (sans perdre de vue le petit nombre d’individus concerné). Il existe des métiers où l’héritage filial est très fort : cultivateurs, professions libérales, commerçants-artisans dans une moindre mesure. Une seconde catégorie est celle où derrière une apparente dispersion, il y a maintien dans la même classe sociale (ni ascension, ni déclassement mais parfois changement de statut, d’indépendant vers salarié et vice versa) : négociants, industriels, cadres supérieurs, cadres moyens. Enfin, une catégorie qui, tout en connaissant l’héritage professionnel, connaît une certaine ascension sociale, ce sont les enfants d’ouvriers vers des métiers non manuels : employés et commerçants23.
23Enfin, il est remarquable de constater que la proportion de chaque catégorie professionnelle chez les défunts comme chez les enfants soit presque totalement identique ce qui confirme que l’on a affaire dans l’ensemble à une société figée, repliée sur elle-même où la mobilité sociale ascendante ou descendante est en définitive marginale24, ceci dans le cadre d’une étude de mobilité réduite à l’étude professionnelle25. Cette impression d’une société figée et vivant sur elle-même se confirme avec l’analyse de la mobilité géographique.
24Pour l’ensemble de cette population, il existe une assez forte propension à rester dans la même commune (60,85 %) ou à défaut dans le même canton (les deux tiers). Le reste du département est un pôle attractif, au même titre que la région parisienne qui drainent l’un et l’autre 9 % des enfants. A peine un peu plus de 1 % est attiré par les colonies ou l’étranger et le reste de la Bretagne n’attire guère plus.
25Les enfants dont les parents résident dans une commune rurale restent plus volontiers dans le département que les citadins. En fait, les enfants de citadins sont soit totalement immobiles et résident dans la même ville (64 %) soit, pour le cinquième d’entre eux, ils préfèrent quitter le département et même la région pour aller vers la région parisienne, ou, à part presque égale, vers d’autres régions françaises ; enfin, ils sont un peu plus nombreux à quitter la France. Par rapport aux enfants de citadins, ceux des communes rurales sont à peine moins nombreux à partir vers la région parisienne, mais quand ils quittent la région (16 % d’entre eux), ils vont plus volontiers vers Paris que vers le reste de la France26. Ils ne quittent leur commune que parce qu’ils y sont poussés par des contraintes économiques plus que par volonté. Les motivations sont sûrement différentes chez les citadins qui trouvent plus facilement du travail dans la même ville, sans compter qu’ils héritent souvent de l’office ou du cabinet paternel. En revanche, le départ hors de la région est dû à des motivations similaires quelle que soit l’origine géographique des parents : volonté de trouver un travail mieux rémunéré, plus intéressant, volonté d’ascension sociale, de « voir du pays », de quitter un cadre étouffant pour les fortes personnalités.
26Dans l’ensemble la mobilité géographique est contrastée ; si les deux tiers restent fortement enracinés dans leur commune ou leur canton, quitter le département est le fait du cinquième des enfants de la population étudiée ici. Mobilité contrainte, oui, comme dans les décennies qui ont précédé ou plus forte ? On manque d’éléments de réponse et de comparaison. Ces 20 % ne sont-ils pas le signe d’un exode par manque de dynamisme économique du département et non par manque de dynamisme de ses enfants ? N’est-ce pas aussi le signe que les élites sociales de la Bretagne préfèrent conserver un mode de vie, d’économie traditionnels plutôt que de se tourner vers un avenir économique moderne ? En ne cherchant pas à investir, en perpétuant leur mode de vie, leur formation tournée vers le Droit, elles contribuent de longue date à cet engourdissement. Inconscience ? Manque de volonté ? Ou plutôt volonté de ne pas aller contre « l’ordre naturel », de ne pas rompre l’équilibre social ? Cette prégnance de la société traditionnelle rurale, conservatrice fait que l’Ille-et-Vilaine appartient bien à cette Bretagne alors atteinte de léthargie économique. Rennes n’arrive même pas à attirer les enfants des défunts habitant dans d’autres communes du département, puisque seuls 3,3 % d’entre eux viennent y résider ce qui confirme l’image d’une préfecture peu dynamique où l’armée, la magistrature et l'Université tiennent le haut du pavé mais où les industries sont rares. Au moins retient-elle les siens puisque 69 % des enfants des défunts rennais vivent à Rennes au moment du décès de leurs parents.
27Cette société apparemment figée, peu mobile, où la reproduction sociale est une constante a-t-elle une telle attitude parce qu'elle est pauvre ou parce que les détenteurs de l'avoir et du savoir n'ont pas su faire preuve d'esprit d'entreprise ? La composition des fortunes éclaire ce comportement.
La fortune de cette société
28Dans les déclarations de mutation, on a pris en compte à la fois les biens du défunt et ceux du conjoint pour connaître la composition de la fortune du ménage afin d’évaluer la réalité de ce qu’il possède et le situer dans la hiérarchie sociale27. Pour la composition de la fortune, on a retenu les catégories suivantes : l’argent liquide, le mobilier meublant (assuré ou prisé), le mobilier professionnel, les livrets de caisse d’épargne, les comptes courants, les pensions, les biens fonciers et immobiliers, les actions et les obligations ainsi que le fonds de commerce ou l’office, la dot ou l’héritage. Enfin l’actif est l’actif non de la succession, mais de la fortune du ménage. On a aussi tenu compte du passif, afin d’évaluer le niveau d’endettement.
Une forte opposition ville-campagne et le modernisme rennais
29Les caractères généraux de la fortune des ménages en Ille-et-Vilaine sont appréhendés ici à travers plusieurs indicateurs énumérés ci-dessus.
30La première approche peut être faite à travers la fortune du ménage28, le passif et la part qu’il représente dans cette fortune. Le total brut de l’échantillon est de 62 millions de francs soit 80 620 F par individu et le passif est de 4 millions environ, soit par individu une moyenne de 5 301 F.
31D’emblée il apparaît une grande différence entre les villes et les campagnes. La fortune moyenne à Rennes est nettement plus élevée ainsi que le passif ; l’écart entre les communes rurales et Rennes est de 1 à 3 ce qui confirme, dans un autre domaine, la dichotomie ville-campagne déjà mise en évidence pour le comportement politique et religieux.
32Si l’actif et la part du passif montrent un comportement différent entre villes et campagnes, d’autres éléments sont révélateurs de la pénétration de techniques bancaires relativement récentes comme les livrets de caisse d’épargne et les comptes courants ou de la persistance de certaines habitudes de placement dans les biens fonciers ou dans les valeurs mobilières.
33Sur l’ensemble des fortunes recensées ici (775), le tiers des défunts environ possède des livrets ou (et) des comptes courants. 25 % ont un livret de caisse d’épargne et 10 % seulement un compte courant dont moins de 1 % a un compte chez un notaire et 5 % dans une banque nationale. La répartition entre les différents dépôts sur un compte (en dehors des livrets de caisse d’épargne) se fait d’abord auprès d’une banque nationale, puis, les banques locales et la banque de Bretagne comme les comptes postaux ne recueillent que 1 à 2 % des ouvertures de compte dans la population étudiée. Personne n’a de compte à l’étranger dans cet échantillon. Dans l’ensemble, la population citadine possède plus fréquemment un livret de caisse d’épargne ou un compte courant que les ruraux et en même temps les dépôts moyens des ruraux sont inférieurs à ceux des citadins. Pour les livrets, l’écart va de 1 à 1,4 mais de 1 à 5 pour les comptes courants. Le réflexe du « bas de laine » est encore solidement ancré dans les populations rurales et ne disparaît que lentement dans les villes, mais l’Ille-et-Vilaine appartient à cette France qui a plus confiance en son bas de laine qu’en des modes de dépôt modernes29 ; elle n’appartient pas apparemment à la France dynamique investissant dans l’entreprise, encore faut-il le vérifier. Le seul point particulier est le comportement des Rennais qui possèdent beaucoup plus fréquemment des livrets de caisse d’épargne et des comptes courants, respectivement 43 % et 24 %. La proximité géographique des agences n’y est pas étrangère de même qu’un état d’esprit plus moderne. La dichotomie est profonde entre Rennes et le reste du département malgré la présence de villes assez importantes.
34On peut penser que cette même opposition ville-campagne existe pour les biens fonciers et immobiliers. La possession de terres par les défunts est connue avec assez de précision mais pour les immeubles, les renseignements sont plus confus. C’est pourquoi on a seulement retenu la valeur des maisons et non la superficie.
35Qu’il s’agisse de terres ou d’immeubles, de chiffres absolus ou relatifs, les citadins ont des propriétés plus importantes en superficie et en valeur. En ce qui concerne les terres, la superficie moyenne possédée par un défunt citadin est 5,6 fois supérieure à celle d’un défunt du monde rural pour une valeur globale quatre fois supérieure. Le prix par are est légèrement supérieur pour les défunts résidant dans des communes rurales ; dans ce dernier cas, la terre est plus fréquemment une terre cultivable d’où un prix plus élevé. Quant aux immeubles, les propriétaires citadins ont des propriétés d’une valeur supérieure à celle des ruraux puisque le rapport est de 1 à 3,7. Quelle que soit la propriété considérée, les défunts citadins apparaissent plus riches que les ruraux. On retrouve toujours le clivage ville/campagne. La plupart de ces terres sont acquises dans la même commune ou à la rigueur dans le même canton. La possession de biens hors du département est rare et généralement liée à un héritage reçu par le défunt ou à un bien venant du conjoint lorsque celui-ci n’est pas de la même région.
36Pour tous les autres biens, on retrouve cette opposition ville-campagne. Ainsi, en règle générale, la valeur moyenne du portefeuille d’actions est nettement plus élevée chez les défunts citadins (2,7 fois plus), mais tous pratiquent le placement de « père de famille » : l’obligation au rendement régulier, tandis que les valeurs étrangères représentent 40 % du portefeuille des citadins et 25 % de celui des ruraux.
37Les autres éléments qui composent la fortune des défunts sont parfois plus insaisissables. Ce sont : l’argent liquide, le mobilier prisé30 mais aussi professionnel31, les pensions civiles et militaires, le fonds de commerce et les créances commerciales ainsi que les dots ou héritages32 et enfin, les possesseurs d’une automobile. C’est évidemment pour le mobilier que les déclarations sont les plus nombreuses avec toujours une opposition ville-campagne. Dans les campagnes, le mobilier assuré ne concerne que 38 % des déclarations. Les villes connaissent une proportion inverse : peut-être parce que ce mobilier est plus riche mais aussi parce que les habitants des villes sont plus sollicités par les démarches des assureurs, peut-être aussi parce que les cultivateurs préfèrent assurer leur outil de travail et ne pas payer une seconde prime en assurant un mobilier parfois très pauvre. En revanche dans les villes, l’outil de travail, moins coûteux est plus rarement assuré contrairement au mobilier privé. Que les pensions civiles (salaires, traitements) soient plus nombreuses en ville n’est pas pour surprendre. Les dots et héritages sont plus importants en ville jusqu’à quatre fois plus élevés, signe d’une population dont le niveau de vie et de fortune est plus élevé. Le faible nombre de voitures déclarées (huit) ne permet pas de conclure mais montre encore la faiblesse de son expansion, avec un double handicap ici dû à la population étudiée : population plus âgée qui n’a connu que tardivement l’arrivée de la voiture, population qui peut avoir vendu sa voiture car ne pouvant plus s’en servir ?33.
38Pour toute la période étudiée et pour cet échantillon de population, la composition de la fortune est marquée par une forte opposition ville-campagne, mais sans lien avec le contexte géopolitique ou religieux. Cette hiérarchie géographique : Rennes, les autres villes, le monde rural, recouvre d’importantes différences sociales.
Hiérarchie des fortunes et hiérarchie sociale34
39— Une hiérarchie très accentuée
40La fortune et le passif donnent une première classification des catégories socio-professionnelles.
41Le premier constat est l’importance de l’écart entre la moyenne la plus élevée et la plus faible ; cet écart est de 1 à 65. La catégorie qui laisse l’héritage le plus faible est le clergé qui cumule le handicap du célibat et d’avoir des revenus faibles étant donné le statut de l’Église en France (ils ne disposent pratiquement que d’un avoir d’« héritier »). Si on exclut le clergé de cette hiérarchie des fortunes, le rapport est tout de même de 1 (domestique) à 59 (profession libérale). L’important écart de patrimoine révèle de fortes inégalités sociales.
42Deux catégories socio-professionnelles sont au sommet de la hiérarchie : les négociants et industriels, et, les professions libérales. Toutefois, en associant négociants et industriels, on déforme quelque peu la réalité puisque la moyenne pour un industriel est de l’ordre de 460 000 F alors que pour un négociant, elle est de plus d’un million ; ces derniers dominent nettement la pyramide sociale en terme de fortune. Le négociant cumule à la fois des biens fonciers, immobiliers et une fortune mobilière alors que les industriels, les professions libérales ont l’une des deux, mais rarement les deux à la fois. Les cadres supérieurs (du secteur privé comme du secteur public) sont très proches des précédents, mais avec une relative hétérogénéité. Les magistrats ont en effet une fortune moyenne de un million de francs courants et les biens fonciers y ont une part prépondérante. Ils appartiennent le plus souvent à de vieilles familles bourgeoises et l’effet cumulatif des héritages venant des générations précédentes aussi bien chez l’homme que chez la femme explique une fortune qui n’a évidemment rien à voir avec leur traitement mais qui doit tout, ou presque, à leur situation d’héritier. Dépassant également les 100 000 F, les propriétaires et rentiers ont surtout une fortune foncière (81 %) ainsi que quelques titres (12 %). Dans le second groupe, ayant une fortune estimée entre 50 000 à 100 000 F, voisinent les sans profession, les cadres moyens, les commerçants et artisans. Dans ce groupe se retrouvent aussi bien des personnes qui par leur profession ont un patrimoine immobilier important comme les commerçants et artisans, que des salariés à la fois héritiers et épargnants ou des sans profession qui sont surtout des héritiers. Enfin, dans le dernier groupe voisinent des cultivateurs, des domestiques, des ouvriers, des employés et des religieux. Il est révélateur de constater la présence des cultivateurs qui ne précèdent que les ouvriers, les domestiques et le clergé, toutes professions qui ne nécessitent pour l’exercer la possession d’aucun matériel professionnel contrairement aux cultivateurs. La faiblesse de la fortune moyenne de ces derniers reflète la fréquence de leur situation de fermiers35 ; la faible mécanisation et la petite superficie moyenne des exploitations (9,2 ha en 1929), un bétail peu nombreux font que les cultivateurs ne peuvent qu’avoir une fortune assez faible. Certes, on a inclu dans cette catégorie les journaliers et les jardiniers, mais même en excluant ceux-ci, la moyenne de la fortune des cultivateurs ne serait que de 30 000 F.
43Ce tableau donne aussi une idée de l’endettement des défunts. Leur passif varie de 0 à 100 000 F environ ; la moyenne est de 5 301 F, mais si l’on ne prend en compte que ceux qui ont un passif, la moyenne s’élève à 6 000 F. Les catégories socio-professionnelles ayant un passif supérieur à 6 000 F, sont du premier groupe : les professions libérales, les négociants, les industriels. En fait, à l’intérieur de ces trois catégories, les passifs les plus élevés sont ceux des notaires avec 394 000 F en moyenne soit 22 % environ de leur actif brut moyen, suivis des négociants avec 157 000 F en moyenne soit 13 % environ de leur actif brut moyen. Les négociants et les notaires amenés plus que d’autres à investir, à emprunter pour mener à bien leurs opérations, ont des dettes relativement élevées, liées directement ou indirectement à leur métier. Pour les cadres moyens, il s’agit manifestement d’un « accident » statistique ; l’un d’eux a en effet un passif de 96 000 F soit 88 % de son actif brut, les autres cadres moyens ayant un passif moyen de l’ordre de 2 000 F. Les propriétaires se situent dans la moyenne ce qui laisse entendre une gestion prudente tandis que les domestiques et le clergé n’ont pas de dettes. A l’exception des passifs les plus élevés, il s’agit généralement de frais médicaux et pharmaceutiques dus à la dernière maladie du défunt. Dans l’ensemble, la population étudiée a un comportement très prudent quant à la gestion de sa fortune. L’endettement, de fait, n’existe pas, de même que les faillites sont rares36. On est là dans une mentalité où avoir des dettes (quel que soit le milieu social) est mal vu. Avoir des dettes signifie encore être à part, être incapable de subvenir à ses besoins. On a affaire à une société, à des comportements, des mentalités où le crédit ne peut être qu’un recours exceptionnel dans le cadre de sa vie privée et c’est alors mal vécu par les intéressés. La persistance de cette mentalité « bourgeoise » explique certes le faible endettement de cette population mais aussi la faiblesse du dynamisme économique.
44Ce tableau sur la fortune par catégories socio-professionnelles permet d’identifier des groupes sociaux. D’après le tableau n°29, les groupes précédemment définis ont des comportements homogènes. Ainsi le groupe I (plus de 100 000 F de fortune) n’a pas ou rarement de livrets de caisse d’épargne, le groupe II (de 50 000 F à 100 000 F) accorde la même part à l’immobilier et aux valeurs mobilières, enfin le groupe III est assez hétérogène sauf par l’absence quasi totale de compte courant.
45Cette étude préliminaire montre une société divisée et hiérarchisée en trois groupes : une élite sociale, une classe moyenne, et le « petit peuple »37
46— L’élite sociale
47Sous ce terme, sont regroupés les professions libérales, les négociants, les industriels, les cadres supérieurs et les propriétaires-rentiers dont la fortune, lors de leur décès, dépasse les 100 000 F.
48Tableau n°29 : Composition générale de la fortune par catégorie socioprofessionnelle (en % de leur fortune-1-et en valeur moyenne-2-).
49Le comportement de cette catégorie sociale n’est pas totalement homogène (tableau n°29) sauf par rapport au livret de caisse d’épargne et au compte courant, avec des nuances. Assez hostiles au livret de caisse d’épargne, les négociants, les industriels, les propriétaires, les professions libérales sont les plus favorables à la possession d’un compte courant. Le comportement vis-à-vis du circuit monétaire reflète le niveau social, le degré d’ouverture vers l’extérieur, de modernisation, mais la détention d’un livret comme d’un compte courant reste minoritaire pour l’ensemble de la période malgré une progression.
50Tous déposent sur leur compte courant une somme d’argent bien supérieure à celle qui se trouve sur leur livret de caisse d’épargne lorsqu’ils en ont un. De plus, la hiérarchie établie entre eux pour la fortune se retrouve en ce qui concerne la somme d’argent déposée. Logiquement, les notaires ont le dépôt le plus important sur leur compte courant (97 000 F en moyenne), les autres membres des professions libérales se contentent de 20 000 F en moyenne. Les négociants plus que les industriels ont un compte bancaire fourni. Enfin parmi les cadres supérieurs, les comptes courants des magistrats sont les mieux approvisionnés (environ 27 000 F). Leur attitude vis-à-vis du livret de caisse d’épargne est presque inverse puisque les négociants comme les notaires n’en ont pas. Les magistrats en revanche en détiennent un avec une moyenne de 6 000 F déposés. Les professions libérales (sauf les notaires) et les industriels ont 300 à 500 F sur leur livret tandis que les cadres supérieurs y ont un dépôt moyen de 4 600 F. Les salariés utilisent plus le livret, même si celui-ci ne représente qu’une faible part de leur fortune. Manifestement, ce groupe I, quelque peu réticent vis-à-vis du livret de caisse d’épargne, comprend au contraire les principaux détenteurs d’un compte courant. Ce dernier apparaît ainsi réservé à une élite sociale fondée à la fois sur la fortune et sur l’instruction.
51Pour la possession de biens fonciers, quelques différences apparaissent à l’intérieur de cette élite puisque les négociants-industriels possèdent beaucoup moins de terres que les autres membres de ce groupe38. C’est moins lié au type d’activité de ces derniers qu’à un choix personnel de placement : rêve de devenir propriétaire-rentier par tradition familiale ? sociale ? par référence à un monde disparu (et rêvé) où le propriétaire foncier peut vivre des revenus de la terre sans travailler, par volonté consciente ou inconsciente d’imiter l’ancienne noblesse ? Les professions libérales détiennent la plus importante superficie en terre, qu’ils soient notaires bien sûr, mais aussi avocat ou médecin. Beaucoup sont des héritiers. Leurs propres revenus leur permettent d’accroître ces biens fonciers afin d’en percevoir les fermages sans avoir à faire beaucoup de dépenses d’investissements, encore qu’il faudrait savoir s’ils se montrent avides de modernisation agricole. Chez les cadres supérieurs, il s’agit manifestement aussi d’une situation d’héritiers, magistrats, appartenant à de vieilles familles bourgeoises, qui possèdent une superficie moyenne de 130 hectares. Enfin, les propriétaires n’arrivent qu’en troisième position dans ce groupe I avec une moyenne d’une cinquantaine d’hectares ce qui est peu par rapport aux professions libérales ou aux cadres supérieurs. Dans l’ensemble, pour beaucoup de ces « héritiers », il s’agit de transmettre intact, voire amélioré un patrimoine par ailleurs malmené par une inflation jusque-là quasi inconnue des Français.
52La propriété immobilière permet de préciser le rapport de force à l’intérieur de cette élite sociale puisque les négociants-industriels ont le patrimoine le plus important. La valeur de ce patrimoine immobilier varie du simple au double à l’intérieur de ce groupe social39. Or, les propriétaires-rentiers sont encore moins bien pourvus que pour la possession de terres. Signe de déclin ? Population-témoin d’un autre siècle ? d’autres mœurs ? Il ne faut pas exagérer ce phénomène. Dans l’échantillon, il existe peu de propriétaires nobles. Or, pour les mêmes années, quelques exemples relevés prouvent que dans leur cas la valeur de leurs terres et de leurs propriétés immobilières peut représenter de 60 % à 85 % de leur fortune, mais cela ne prouve-t-il pas a contrario qu’être « propriétaire foncier et immobilier » est signe de tradition, d’un comportement qui se rattache plus aux siècles antérieurs ? Deux facteurs peuvent amoindrir arbitrairement la position des propriétaires-rentiers, les sources elles-mêmes et leur comportement face à l’héritage à laisser à leurs enfants. Les sources, en effet, ne permettent pas de bien connaître le phénomène des donations en avance d’hoirie ce qui peut contribuer à diminuer apparemment les biens possédés par le ménage.
53Enfin, un portefeuille d’actions et d’obligations complète leurs investissements. Tous possèdent des actions et des obligations et souvent de plusieurs types. Avec la possession de ce portefeuille d’actions et d’obligations, se détache ce groupe social qui constitue une sorte d’élite de la fortune en Ille-et-Vilaine. Dans l’ensemble du groupe I, les professions libérales, les cadres supérieurs et les négociants-industriels ont un portefeuille d’actions et d’obligations qui représente le double, voire plus de la moyenne départementale. Seuls, les propriétaires sont dans la moyenne départementale pour la valeur de leurs obligations mais bien en-dessous pour les actions. Les actions, en définitive, ne concernent que les détenteurs d’une fortune assez importante. Ayant plus de disponibilités, ils peuvent risquer un investissement moins sûr et plus avantageux. Bien que la valeur moyenne des actions détenues par eux soit supérieure à celle des autres catégories socio-professionnelles, leur comportement reste un peu timoré face aux investissements productifs.
54Bien des nuances existent dans la composition de la fortune des membres de ce groupe. Plus de la moitié de la fortune des propriétaires est composée de terres ; ils forment une véritable bourgeoisie foncière dont les rentes sont solidement ancrées dans la terre, n’imaginant pas (ou ne voulant pas ?) de placements plus rentables ou plus modernes. Il s’agit pour eux d’un placement et non d’une volonté d’investir dans l’« économie » agricole qui d’ailleurs n’est pas envisagée en ces termes-là à l’époque. Certes, ils détiennent des valeurs mobilières, mais ils se contentent prudemment de prêter à l’État français sous la forme de la « rente française », ce qui ne témoigne guère d’une grande capacité à innover, à entreprendre. La majorité des actifs (professions libérales, cadres supérieurs) préfère se constituer un portefeuille d’actions et d’obligations qui représente environ le cinquième, voire le quart de leur fortune. Peut-être est-ce parce que cela ne nécessite pas de disposer d’un capital important, tout en procurant des revenus immédiats. Quant aux négociants et aux industriels, ils se distinguent par la valeur de leur fonds de commerce qui forme l’essentiel de leur fortune (42 %). Celle-ci repose principalement (75 %) sur leur outil de travail40 ; par métier et par héritage, ils sont les seuls à présenter une image dynamique de l’élite sociale investissant dans le secteur économique, industriel ou commercial.
55Signe également de cette tendance à développer le patrimoine hérité plus qu’à innover est le fait que la fortune des négociants et industriels provient à 40 % de la dot de l’épouse ou (et) de l’héritage (du fonds de commerce ou de l’usine le plus souvent). Autrement dit, ceux qui pourraient a priori paraître les plus dynamiques sont en fait d’abord des héritiers et ensuite seulement des entrepreneurs, alors que pour les professions libérales, les cadres supérieurs de même que pour les propriétaires (plus étonnant) les dots ou (et) héritages n’entrent que pour 10 % dans leur fortune.
56En définitive, cette élite de la fortune est aussi une élite de l’instruction41, une élite sociale. Tous, les uns plus dynamiques que les autres, incarnent les notables de ce département. Ils appartiennent à cette bourgeoisie provinciale qui intériorise les vertus d’une bourgeoisie « éternelle » telle qu’elle pouvait se définir au xixe siècle42.
57— Une classe moyenne ?
58Ce terme ambigu, mal défini est fréquemment utilisé au pluriel en particulier pour les années trente43, pour mieux insister sur son aspect composite, parfois aux limites de la bourgeoisie. Ici, l’utilisation du singulier s’appuie sur le cas de l’Ille-et-Vilaine où se discerne une unité due à la fortune et au mode de vie, entre des catégories sociales qu’on ne peut non plus assimiler à la bourgeoisie provinciale traditionnelle44. Dans ce groupe II, sont rassemblés ceux qui ont un héritage de 50 000 à 100 000 F c’est-à-dire les sans profession, les cadres moyens, les commerçants et artisans.
59Ce groupe se comporte dans deux cas de manière assez homogène (tableau n°29) : la possession de livrets de caisse d’épargne et celle d’immeubles. Cette tendance à ouvrir un livret de caisse d’épargne correspond à des catégories socio-professionnelles qui épargnent un peu sans avoir d’importantes disponibilités numéraires. Seuls les cadres moyens ont plus volontiers un compte courant par commodité pour le versement de leurs salaires. Les commerçants et artisans utilisent beaucoup moins les moyens modernes de dépôt y compris le livret de caisse d’épargne (5 101 F en moyenne) que les cadres moyens (7 957 F environ sur le livret et 5 827 F sur leur compte courant). Le salarié est plus enclin à utiliser un moyen moderne de dépôt que les petits indépendants que sont les commerçants-artisans. Il est vrai qu’ils sont surtout en milieu rural où les banques sont peu représentées.
60Le cinquième des membres de ce groupe II possède des terres et 40 % des biens immobiliers mais leur valeur est fort différente d’une catégorie sociale à l’autre en fonction du mode de vie, du type de fortune. Les actifs ne possèdent guère de terres et les commerçants et artisans, bien qu’ils soient souvent très proches du monde rural, ne semblent guère avoir conservé (ou acquis ?) de liens avec la terre. Tous ont des biens immobiliers importants ; ce sont des citadins ou des hommes ayant un mode de vie de type urbain45. Pour tous également, le portefeuille en valeurs mobilières est dominé par les obligations à la fois en valeur moyenne et en pourcentage de l’actif. Cependant, les sans profession ont un pourcentage d’actions et d’obligations nettement supérieur à la moyenne puisqu’environ les 4/5 de ce groupe en possèdent.
61Dans ce groupe II, les investissements sont prudents, se dirigeant vers des valeurs sûres : terres, livrets de caisse d’épargne et obligations. Par le montant de leur fortune, par le refus d’ouvrir un compte courant ou d’acheter des actions, ils n’appartiennent pas à l’élite sociale, mais par leur capacité à épargner ils appartiennent bel et bien à cette classe moyenne qui par son mode de vie, ses types de placement s’efforce de ressembler à la bonne bourgeoisie et de se distinguer des classes populaires auxquelles, en aucun cas, elle ne veut être assimilée. Homogène par la gestion de sa fortune, elle forme une classe moyenne au singulier.
62— Les classes populaires
63Ce groupe III (tableau n°29) rassemble aussi bien des ruraux (cultivateurs) que des citadins (employés, ouvriers, domestiques, clergé) ou des marins. Groupe hétéroclite, il existe une prédominance des salariés du petit peuple des villes. Inférieure à 50 000 F dans tous les cas, leur fortune est en-dessous de la moyenne départementale. Le clergé et les domestiques se différencient par le caractère très concentré de leurs placements, les autres catégories sociales ont un comportement très disparate (sauf pour les obligations). Par exemple, elles n’ont pas la même attitude face à la possession d’un livret de caisse d’épargne ou d’un compte courant. Les domestiques plus que d’autres sont tentés par le livret, mais ils n’ont pas de compte courant. A fortune équivalente (employés et cultivateurs/ouvriers et domestiques), l’importance de la somme sur le livret de caisse d’épargne est très variable et les cultivateurs sont très réticents devant l’usage de la caisse d’épargne, contrairement aux employés.
64Cette dualité que l’on voit s’instaurer à l’intérieur d’un même niveau de fortune a plusieurs causes. Les milieux vivant repliés sur eux-mêmes sont méfiants vis-à-vis des usages urbains et préfèrent le numéraire ou investir dans la terre pour devenir propriétaire-exploitant. En revanche, les employés vivant en ville ont plus souvent besoin de liquidité et sont complètement intégrés dans l’économie d’échange. Quant à la dichotomie qui existe entre domestiques et ouvriers, les ouvriers sont un peu plus des « héritiers » (terres, immeubles) que les domestiques qui placent leurs économies dans des formules sûres à défaut de pouvoir acheter un bout de terrain. Mais le livret de caisse d’épargne est beaucoup plus utilisé (toute proportion gardée) par les couches populaires que par les autres groupes sociaux.
65A l’intérieur de ce groupe, la propriété foncière est essentielle chez les cultivateurs, mais leur relative pauvreté affecte aussi ce poste puisque les employés en détiennent une valeur supérieure. Fermiers, les quelques arpents de terre possédés permettent aux cultivateurs lorsqu’ils ne peuvent plus exploiter une ferme, de ne pas être trop dépendants de leurs enfants. Enfin, s’ils sont loin d’être des privilégiés, ils sont les seuls de ce groupe à avoir un mobilier professionnel important (21 % de leur fortune)46. Ces classes populaires, dès qu’elles ont un peu d’épargne, privilégient les placements rentables et sûrs (rente française, bons du Trésor) au détriment des actions qui n’apparaissent qu’accidentellement.
66Bien que disparate, ce groupe ne comprend pas les éléments les plus pauvres de la population puisqu’ils ont une succession ; son existence montre comment lorsque ces derniers ont quelque disponibilité, ils placent leurs économies. Leur attitude répond à deux réactions : améliorer leur situation professionnelle (les cultivateurs), s’assurer des revenus réguliers pour l’avenir et en particulier pour la retraite (domestique), ou en cas de maladie, etc. Seuls les religieuses et les ecclésiastiques sont en dehors de cette stratégie puisqu’ils sont des héritiers (propriétaires d’immeubles ou de terres) qui conservent ce patrimoine, pour leurs neveux ou nièces après leur mort.
67Dans l’ensemble, pour ces 775 successions il existe une totale corrélation entre hiérarchie des fortunes, hiérarchie sociale et hiérarchie de l’instruction du moins telle que les professions permettent de le deviner. Il existe cependant quelques nuances puisque le clergé a une instruction supérieure à celle des autres catégories du groupe III, de même que dans le groupe I les études des professions libérales sont souvent plus poussées que celles des négociants ou des industriels. Dans le groupe I comme dans le groupe III, la hiérarchie de la fortune est associée presque toujours à celle de l’instruction ; en revanche le groupe II est bien cette classe moyenne où s’entrecroisent à niveau de fortune égal des niveaux d’instruction bien différents. C’est aussi là que la mobilité sociale est la plus forte, mobilité inter-ou intra-générationnelle.
68La fortune privée totale par habitant dans le département se situe dans la moyenne (38e sur 90 en 1934). En définitive, la hiérarchie sociale classique est respectée, mais ce qui caractérise cette société est, pour la composition de sa fortune, la persistance de réactions assez semblables à celles de la bourgeoisie du début du siècle. Les valeurs qui font recette, sont les possessions foncières et les obligations tout comme au xixe siècle ; répartition que l’on retrouve chez les propriétaires nobles avec un pourcentage plus élevé de biens fonciers et immobiliers47. La vocation « terrienne », le rêve de la propriété terrienne par imitation voire assimilation aux nobles restent un trait dominant de cette société. II est vrai que parmi tous ceux qui dominent la hiérarchie sociale, on a manifestement affaire à des héritiers et surtout à des personnes dont une partie de la vie adulte s’est déroulée avant 1914, et qui conservent leurs réflexes d’avant la guerre.
69La composition des fortunes révèle plutôt une volonté de placer son argent que d’investir dans une entreprise à quelques rares exceptions près ; on note une légère modernisation mais sans aventurisme économique. Attitude timorée, prudente, reflet d’une société refermée, d’une mentalité qui sur ce point n’évolue pas ou peu, reflet d’une génération, il manque de pouvoir étudier les actifs dont le comportement est peut-être différent. L’échantillon montre aussi que face à l’argent, à l’économie, le clivage est social et non géopolitique. Enfin, n’oublions pas le poids des indigents parmi la population âgée ; les deux tiers des défunts environ n’ont pas de succession et n’apparaissent pas dans cette analyse. Ces successions révèlent aussi en étant confrontées à d’autres sources, des éléments de la vie quotidienne et des mentalités.
La vie quotidienne : inégalités et mentalités
70L’analyse de la fortune des ménages montre une société profondément inégalitaire, fermée. Or, cette inégalité, ce cloisonnement se retrouvent dans tous les aspects de la vie quotidienne, qu’il s’agisse du logement, de l’alimentation, des moyens de communication, des loisirs.
Une vie quotidienne, reflet de l’inégalité des fortunes
71La vie quotidienne des habitants est tributaire de leur niveau de fortune, de leur place dans la hiérarchie sociale. L’habitat, l’alimentation, les moyens de transport, de communication en sont les éléments les plus visibles avec bien sûr les vêtements, les études poursuivies.
72— Des logements rares et souvent insalubres
73Le problème du logement se révèle être le problème crucial aux lendemains de la guerre ; le manque de logements est reconnu unanimement. En 1919, L’Ouest-Éclair presque chaque jour évoque la crise du logement en particulier à Rennes : « Rennes est bondée... archibondée... Il faudrait construire »48 mais en même temps il déplore que des appartements restent vides en raison des exigences des propriétaires. Outre des loyers prohibitifs, certains refusent de louer à des familles avec de jeunes enfants. L’Ouest-Éclair peut titrer : « Les enfants « indésirables » ! » et poursuit sur le fait que les propriétaires ne trouvent rien à redire à la présence d’un chien, « des pianos bruyants dont les gammes énervent du matin au soir toute une maison, mais des enfants ! »49. Ce paradoxe de logements restant vides alors que des familles ne trouvent pas à se loger, conduit à une prise en main du problème par les différentes instances politiques et aboutit à la constitution d’offices municipaux d’Habitations à bon marché (HBM) à Rennes en septembre 1919, à Vitré, Redon et Fougères entre 1919 et 1920, tandis que le Conseil général crée un office départemental d’HBM le 19 août 192150. Il lance alors une grande enquête sur la situation du logement pour les ouvriers d’industrie et d’agriculture. 332 communes répondirent sur 360 ; sur ces 332 communes, 83 communes urbaines ou rurales demandent une intervention urgente. Les cinq villes de Fougères, Redon, Rennes, Saint-Malo et Vitré sont concernées mais aussi la plupart des communes côtières comme Saint-Lunaire, Dinard, Cancale, des communes rurales du bassin de Rennes, le sud-est du département sont très demandeurs. Deux zones n’ont pas de demandes : l’Ouest et la région entre Fougères et Vitré c’est-à-dire les deux zones où l’activité unique est l’agriculture ; ailleurs, la présence du chemin de fer, de carrières, d’ardoisières explique une plus forte demande de logements ouvriers. Pour l’ensemble du département, l’enquête montre qu’en dix ans le nombre de maisons d’habitation dans le département est passé de 129 249 à 124 01351 Or, pendant ce temps, la population totale diminue de 49 447 habitants, mais celle des villes augmente de 5 779 personnes. Les campagnes ont perdu plus de 55 000 habitants. La proportion de maisons d’habitation par rapport au nombre d’habitants est stable sur tout le département, mais la diminution du nombre de maisons est inégale entre les villes et les campagnes et n’a pas les mêmes causes. Dans les villes, le manque de logements disponibles est surtout dû à la croissance du nombre d’habitants. Dans les campagnes, les causes sont multiples ; certaines maisons sont tombées en ruines, d’autres sont devenues bâtiments d’exploitation, d’autres encore ont parfois été réunies afin qu’une même famille dispose d’un logement plus grand.
74Devant cette situation, le Conseil général prévoit un programme de construction de maisons. A aucun moment en effet, il n’est envisagé la construction d’immeubles, symbole d’une certaine conception de la vie. Parmi les réalisations, celle de Montreuil-sur-Ille est assez caractéristique, prévoyant des maisons jumelles avec chacune une grande pièce commune et deux chambres avec un jardin de 500 m2 52. Peu à peu, les constructions de logements ouvriers se développent, mais à un rythme très lent. A la fin de 1924, pour tout le département, 96 familles soit 500 personnes sont logées dans des maisons de l’office d’HBM et un an plus tard 136 familles53. Pour accélérer cette politique de construction, le Conseil général envisage un concours pour les meilleures maisons d’HBM afin de permettre ensuite une standardisation et diminuer les coûts, mais il ne semble pas que ce projet a abouti. Des difficultés financières ralentissent la construction de ce programme dans les communes rurales. Dans les villes, des efforts assez importants sont faits. À Rennes, à la cité Villebois-Mareuil, 192 logements sont terminés pour loger 846 personnes en 193254. Excepté ces constructions réalisées par l’office départemental d’HBM, rares sont les constructions d’immeubles ou de maisons neuves en raison du coût de construction. Des efforts réels sont faits, insuffisants par rapport aux besoins. Les logements restent surpeuplés, principalement dans les villes ; souvent insalubres, ils favorisent le développement de la tuberculose. Dans les campagnes, si les ouvriers agricoles sont mal logés, généralement avec les bêtes, le logement n’est guère meilleur pour l’exploitant, qu’il soit fermier ou propriétaire. Les fermes n’ont que de petites ouvertures, le sol est en terre battue et elles ne comprennent qu’une pièce. Quant aux sanitaires, ils sont à l’extérieur55. L’eau courante n’existe pas ou rarement ; ces conditions d’habitat vétustés expliquent l’état sanitaire de la population56. La pauvreté de l’intérieur des logements ruraux et ouvriers est montrée par les rares descriptions de mobilier que donnent les déclarations de mutation après décès57. Deux exemples. En 1936, un cultivateur d’Argentré-du-Plessis, âgé de 73 ans ayant eu huit enfants laisse à sa mort comme meubles : deux lits, une table et ses bancs, quatre chaises, deux vieilles armoires et une horloge58. Une ouvrière en chaussures (piqueuse) à Fougères, âgée de 66 ans, laisse à sa mort en 1920 : un lit, une table, quatre chaises, une armoire, une table de nuit, une horloge59.
75Le mauvais état des logements touche en premier lieu les enfants. C’est ainsi qu’au nom de la natalité pour F. de La Riboisière, conseiller général de Louvigné-du-Désert, et au nom de l’amélioration de la situation sociale pour Quessot, conseiller général SFIO de Rennes sud-est, il « faut faire la guerre aux taudis où les enfants s’étiolent et meurent »60. Certes des établissements de prévention sont construits, comme celui de La Bouëxière près de Rennes, mais ils ne peuvent pallier l’insalubrité des logements jointe à une alimentation déséquilibrée.
76La classe moyenne vit dans des appartements ou maisons où chaque pièce a sa destination propre, aux fenêtres larges. Dans les villes, elle dispose le plus souvent d’eau courante ; à défaut, les bonnes vont la chercher à la fontaine. Le chauffage central n’existe pas et les bonnes alimentent les cheminées en bois. Surtout le mobilier n’a rien à voir avec celui des précédents. Sans même chercher à comparer avec ceux qui disposent des fortunes les plus élevées, le mobilier de la classe moyenne -définie précédemment-est 1,5 fois supérieur à celui des cultivateurs ou des ouvriers. L’écart de fortune se traduit aussi dans l’ameublement mais plus encore dans l’écart de confort, de salubrité ; enfin, le facteur géographique (ville-campagne) est aussi un élément de différenciation.
77Dans les logements de la moyenne, de la grande bourgeoisie et ceux de la noblesse (le groupe I), la ou les pièces de réception jouent un rôle important dans leur vie sociale. Pendant l’entre-deux-guerres, il existe toujours un « carnet de visites » annuel indiquant les jours et les heures de réception des « notabilités religieuses, militaires, administratives et civiles à Rennes » ce qui dénote l’importance de ce rite social61. Les femmes des notables y ont leur « jour ».
78En quinze ans, la pratique du « jour » de réception des femmes de notables ne s’est pas restreinte et le nombre de femmes qui reçoit, s’est même accru de plus de 40 % en quinze ans. Les traditions semblent soigneusement entretenues, cet accroissement étant bien supérieur à la croissance générale de la population de Rennes. En même temps, la présence des nobles reste remarquablement constante ; les « de » forment à peu près le quart des femmes qui ont leur jour de réception et les femmes titrées environ 12 %. Cette statistique, sommaire, montre les permanences de la tradition dans cette société bourgeoise et nobiliaire de province. Tous résident à Rennes dans un périmètre bien délimité : le centre reconstruit après l’incendie de 1720 et le quartier Sévigné-Duchesse-Anne limité au nord par la rue de Fougères et au sud par la rue de Paris. En 1923, 57 % des femmes qui ont leur jour résident dans ce périmètre et 82 % en 1938 !...
79En même temps, ces carnets montrent des différences de comportement entre les femmes de notables. Certes, les femmes appartenant au milieu de l’Éducation nationale ont leur jour comme les femmes d’officiers, de magistrats, avocats, notaires. Toutefois, dans ce milieu de l’enseignement, le rythme de réception est moins soutenu puisque la plupart ne reçoivent qu’une à deux fois par mois et cette pratique n’y est pas générale : moins de la moitié des femmes des professeurs de Faculté, le quart des femmes des professeurs de lycée et quelques femmes elles-mêmes professeurs au Lycée de jeunes filles (moins du cinquième) dont des célibataires, alors que dans les autres professions, presque toutes les femmes reçoivent. Les professeurs par leur culture, souvent par leur famille (surtout chez les femmes) appartiennent à la bourgeoisie, mais plus rarement par leurs revenus, sauf si leur mariage ou leurs parents en font des héritiers non seulement de la culture mais aussi de la fortune, ce qui explique ce décalage des us et coutumes entre la bourgeoisie et le milieu des professeurs.
80L’apparence, les réceptions, la vie sociale sont un élément important dans la noblesse et la bourgeoisie traditionnelle ; le logement, le personnel domestique, l’alimentation y participent.
81— L’alimentation
82Celle-ci dépend certes du niveau de revenu, mais aussi des traditions locales. On a peu d’exemple portant sur les dépenses alimentaires par ménage. Trois budgets ou types de budget ont été retrouvés qui permettent de mesurer à la fois la variété de l’alimentation et sa place dans un budget ouvrier en 1920, en 1924 et en 193062.
83Entre 1920 et 1931, seul le poste habillement est quasi immuable. Si pour le chauffage, cela est dû à la différence de saison, en revanche, la part du loyer double et le poste « divers » (loisirs, journaux,...) se multiplie par sept ce que permet la diminution du poste alimentation. Celui-ci occupe toujours une place importante et la répartition du budget d’un ménage ouvrier en 1920 s’apparente encore à celle d’un budget ouvrier de la fin du xixe siècle. Cependant, le budget de 1931 marque une baisse assez rapide de la part de l’alimentation, baisse dont l’ampleur ne peut être exactement mesurée du fait de la disparité des sources, mais cette alimentation reste déséquilibrée63.
84Les chiffres mis en parallèle dans ce tableau ne sont certes pas tout à fait comparables ; en 1920 et en 1930, il s’agit d’un budget-type ouvrier pour l’ensemble du département tandis qu’en 1924, c’est celui des agents communaux de Fougères. Sans perdre de vue cet aspect, on peut en tirer quelques enseignements : la place importante des féculents64, l’apparition d’améliorations avec une croissance de la consommation de légumes verts, de fromage, de sucreries. La viande occupe une place plus faible en 1930 qu’en 1920, mais elle est de meilleure qualité. Dans l’ensemble n’est comptabilisé que ce que l’ouvrier achète ; or, certains disposent de la production d’un petit jardin ou de celle de parents cultivateurs, de même pour les œufs. La présence de sucre, de café dénote une certaine démocratisation de ces produits ; en revanche, le beurre même dans ce pays d’élevage reste cher et est moins consommé que la graisse de saindoux. Quant au poisson, il n’apparaît que sous la forme de boîtes de sardines à l’huile ou de saumon (une boîte par mois). Il est remarquable que dans une région proche de la mer, le poisson frais est peu consommé, pour des raisons de conservation65, mais aussi de coût. L’alimentation se diversifie progressivement tout en continuant de peser lourd dans le budget des ouvriers. Dans cette région cidricole, la consommation de cidre et de vin est élevée. La consommation de vin progresse au détriment de celle du cidre. Mais surtout les chiffres qui sont probablement les plus proches de la réalité sont ceux de 1924 (125 litres par mois pour quatre personnes dont deux enfants...). Dans sa thèse, Th. Fillaut66 montre que si la Bretagne est une région dominée par l’alcoolisme, l’Ille-et-Vilaine est le premier département breton pour sa consommation de cidre par adulte et par an ainsi que par le nombre de débits de boisson. Un adulte (ouvrier ou agriculteur principalement) boirait 3 à 4 litres de cidre par jour « en période de repos ». Le département a en 1920 un débit de boisson pour 70 habitants (un pour 93 en France) et en 1936 un pour 6567. Tout ceci entraîne une surmortalité masculine en Ille-et-Vilaine supérieure de 15 % à la moyenne nationale en 192868. Quant à la plus forte consommation de cidre par rapport au vin, elle est liée à la situation de l’Ille-et-Vilaine comme département producteur et le litre de vin est à peu près quatre fois plus cher qu’un litre de cidre. Ces budgets confirment les statistiques donnant au département une réputation d’alcoolisme.
85Les sources sont malheureusement beaucoup plus silencieuses pour la bourgeoisie. Marguerite Perrot69 dans une étude nationale montre que pour l’entre-deux-guerres dans les familles bourgeoises, la part de l’alimentation varie de 22 à 25 % de leur budget dégageant ainsi un surplus important pour le loyer, les vêtements, gages des domestiques, etc. mais sans que l’on puisse faire de comparaison avec notre région. Toute famille de la bourgeoisie a au moins un domestique comme il est de règle à cette époque, voire deux : professions libérales, cadres supérieurs, négociants, industriels ont tous au moins une bonne70. Cela correspond à une fortune moyenne supérieur à 100 000 F (groupe I). Le nombre de domestiques dépend aussi du nombre d’enfants. Par exemple un médecin de campagne ayant cinq enfants a deux domestiques en 1936, mais avant leur naissance une seule71. Enfin à la présence permanente d’une ou deux domestiques, il faut ajouter celles des lingères, blanchisseuses, repasseuses qui sont employées deux à trois fois par semaine par ces mêmes ménages bourgeois pour des tâches spécifiques. Petits métiers très nombreux et nécessaires à une époque où toute activité ménagère est compliquée par l’absence ou la rareté de l’eau courante, de l’électricité et d’appareils électro-ménagers même si ceux-ci commencent à apparaître dans les ménages bourgeois de la fin des années trente, tel l’aspirateur.
86— Les moyens de communication
87Si le chemin de fer, le tramway, la bicyclette et les diverses carrioles sont les moyens de communication les plus courants, l’automobile commence à se répandre lentement. Quant au téléphone, son apparition est encore plus timide.
88Les récits des enfants des campagnes se rendant à l’école à pied témoignent de la rareté des moyens de locomotion personnels et qui ne sont utilisés qu’exceptionnellement. En dehors des notables possédant une automobile, seuls les commerçants dans les bourgs ruraux ont de plus en plus souvent des camionnettes. Sur les longues distances, le TIV et le chemin de fer ont un réseau assez dense pour satisfaire aux besoins de la plus grande partie de la population, même si les trajets restent assez longs72. Quant à la bicyclette déjà assez répandue dans les années vingt, elle voit son importance s’accroître pendant ces deux décennies.
89Pour mesurer l’expansion de l’automobile, les statistiques sont malheureusement incomplètes73. A l’exception des quelques commerçants ayant des camionnettes, les possesseurs d’automobiles au début des années vingt sont : négociants, industriels, membres des professions libérales, propriétaires fonciers, cadres supérieurs ; ils appartiennent nettement à cette partie de la population appartenant au sommet de la hiérarchie sociale. Dans les années vingt, l’automobile est un objet de luxe. Pour les années trente, on dispose d’une source indirecte qui permet de connaître le nombre d’automobiles74. Selon les cantons, le taux varie de 91 automobiles pour 10 000 habitants à 426 pour celui de Dinard ; par ville, Rennes a la plus forte densité d’automobiles avec 1 280 automobiles pour 10 000 habitants. La densité d’automobiles plus élevée sur la côte d’Émeraude s’explique en temps de paix par la présence de riches étrangers, mais il peut s’agir ici de véhicules abandonnés lors de l’exode. Malgré leur fragilité, outre la faiblesse de l’équipement automobile de ce département par rapport à la France, ces chiffres font ressortir une nouvelle fois la dichotomie ville/campagne et plus encore entre la préfecture et le reste du département.
90Autre moyen de communication nouveau et qui se répand très lentement : le téléphone75. L’étude de l’annuaire du téléphone d’Ille-et-Vilaine porte sur les mêmes années que celles étudiées dans les déclarations de mutation après décès et concerne les personnes privées.
91Le nombre de particuliers possédant le téléphone pendant ces années-là ne cesse d’augmenter : +55,25 % entre 1921 et 1925 et+117 % entre 1925 et 1937. En même temps, le nombre de communes équipées du téléphone augmente de 61 % entre 1921 et 1925, un effort important est fait et se poursuit dans les années suivantes, ignorant seulement une dizaine de communes, les plus petites. Certaines communes équipées du téléphone n’ont pas d’abonnés privés ; en 1921, c’est le cas de 22 % d’entre elles, en 1925 29 %, mais seulement 13 % en 1937. La géographie des abonnés privés s’étend à tout le département. Cette extension géographique s’accompagne d’une croissance du nombre d’abonnés privés, puisque le nombre d’abonnés passe de 42 pour 10 000 habitants en 1921 à 142 pour 10 000 en 1937 ; désormais environ 1 % des habitants a le téléphone. Cette source ne permet guère de savoir à qui nous avons affaire à l’exception des médecins et des châtelains. Bien entendu, les villes ont une densité d’abonnés privés plus forte que la campagne, mais il existe des différences entre elles.
92Toutes les villes ont une moyenne d’abonnés supérieure à celle du département, mais on distingue deux groupes de villes : les unes ont un nombre d’abonnés privés pour 10 000 habitants de l’ordre de 90 en 1921, 120/ 130 en 1925 et 250/260 en 1937 (le double de la moyenne départementale), les autres ont déjà en 1921 plus de 200 abonnés pour 10 000 habitants et atteignent plus de 440/450 en 1937. Cette dichotomie s’effectue entre les villes de l’intérieur et les villes côtières. Les villes balnéaires sont mieux équipées en téléphone privé que les villes de l’intérieur ; elles attirent été comme hiver des Parisiens, mais plus encore des Britanniques, des Américains qui forment l’essentiel de la clientèle de la côte d’Émeraude en hiver76. Ces villes ont proportionnellement plus d’abonnés que Rennes (près de trois fois plus dans le cas de Dinard en 1921 et encore le double en 1937), en raison de la présence d’une population plus riche, habituée au confort moderne ; elle fait installer le téléphone dans les villas qu’ils en soient propriétaires ou locataires. A contrario, Saint-Servan qui est en marge de ce tourisme a un taux d’équipement équivalent à celui des villes de l’intérieur. Quant aux villes non balnéaires, elles voient toutes leur taux d’abonnés augmenter, et, atteindre 2 % de la population en 1937 (on reste loin des 4 à 5 % de Dinard, Saint-Lunaire ou Saint-Malo !). La rareté du téléphone, le fait que les taux d’abonnés dans les villes de l’intérieur sont similaires, sont autant de signes que son usage personnel et privé est réservé à une frange riche de la société et adepte des objets modernes.
93Qu’il s’agisse du logement, des moyens de transport ou de communication, cette société est très inégalitaire, l’accès à un minimum de confort moderne reste réservé à une minorité. Une amélioration se produit entre 1920 et 1939 ; bien que difficilement mesurable, ces améliorations existent en terme de confort, d’accès (encore restreint) à certains biens de consommation.
Des loisirs, reflets de l’inégalité socio-économique et socio-culturelle
94Cette société inégalitaire dans son habitat, son mode d’alimentation est tout aussi inégalitaire face aux loisirs. La durée et le type de loisirs sont très différents selon les habitants. De fait, les agriculteurs en ont peu ; leur seul temps de repos relatif est l’hiver, période creuse pour les travaux agricoles, le dimanche matin lorsqu’ils vont au bourg pour la messe, mais aussi pour discuter de leurs affaires au café après celle-ci (ou pendant...). Les ouvriers jusqu’en 1936 n’ont guère que le repos du dimanche de même que les employés sauf dans la fonction publique et certaines entreprises privées où ils disposent parfois d’une semaine de congés payés ; la situation est à peu près la même pour les cadres. Dans cette dernière catégorie sociale et au sommet de la hiérarchie sociale, il faut mettre à part les femmes qui n’exercent aucune profession et occupent leurs « loisirs » (bonnes œuvres, visites...). Parmi les professions libérales, les négociants et les industriels, quelques-uns prennent des congés. Quant aux propriétaires fonciers, rentiers, les plus riches partagent leur temps entre la ville (Rennes, parfois Paris) et leur résidence de campagne ou balnéaire. Enfin, les enseignants sont les seuls à bénéficier de longues vacances. La relation aux loisirs est également différente en fonction de la durée de la journée de travail. Elle est certes de huit heures en principe pour les ouvriers, mais pratiquement il faut attendre 1925 pour que cela soit appliqué partout. En outre, certains métiers sont plus saisonniers et subissent de fortes variations dans la durée de la journée de travail (bâtiment, chaussure à Fougères).
95Ces inégalités engendrent des formes de loisir différentes (individuelles, organisées) et des choix tout aussi divers (sport, lecture, musique...). Dans le chapitre précédent, les loisirs ont été présentés par référence à un groupe défini (laïque, syndical ou confessionnel le plus souvent), mais bien évidemment en plus de cela le loisir est aussi et même d’abord choix individuel plus qu’idéologique, qu’il implique ou non une relation collective. Plus le loisir est individuel, plus il est difficile à saisir. Parmi ces activités de loisir, saisies sous l’angle personnel, on retrouve le sport, le théâtre mais comme spectateur, le cinéma, la musique et les fêtes temporaires.
96— L’activité sportive77
97Elle est à la fois activité de loisir pour les pratiquants mais aussi spectacle pour les amateurs. La plupart de ces activités sportives se déroulent au sein d’associations, les unes strictement sportives, les autres liées à des associations à caractère idéologique78. Si tous les sports collectifs se pratiquent en association avec une cohésion du groupe, souvent idéologique, pour le sport individuel ce phénomène est moins prégnant ; l’individu adhère à une association par commodité d’accès aux installations plus que par choix idéologique.
98La période de 1919 à 1939 voit une véritable floraison d’associations sportives. Pendant ces vingt années, 443 associations sont créées ; le tiers d’entre elles le sont entre 1920 et 1924 et 37 % d’entre elles de 1932 à 1937. Un grand nombre de spécialités sont représentées: le football bien sûr, mais aussi par ordre d’importance le palet, le tennis de table, le cyclisme, le jeu de boule, le tennis, l’aviation, la boxe, le motocyclisme et l’automobile, l’escrime, la marche, le rugby et la lutte79.
99Les jeux de boules et surtout de palets sont pratiqués depuis longtemps dans les villages du département. Avec la fin de la Première Guerre mondiale, naissent des sociétés de jeux de boules ou de palets comme la Société des Paletistes Rennais déclarée en 1923. Au total 2l associations de jeux de palets se créent pendant ces vingt ans. Cette vitalité s’appuie sur une forte tradition et contribue à la sociabilité villageoise. Les règles, tacites jusque-là, se codifient et permettent des compétitions tandis que le jeu de boules a toujours une diffusion restreinte.
100A côté de ces sports traditionnels se développent les sports collectifs comme le football, le basket et rarissime le rugby. Le football est de loin le plus populaire ; toutes les associations sportives, de quelque obédience qu’elles soient, ont leur équipe de football. Certaines réunissent les salariés d’une même entreprise telle l’Amicale sportive des Halles Centrales de Rennes fondée en 1934, l’Association sportive des Nouvelles Galeries de Rennes créée en 193380, etc. Les municipalités font des efforts en finançant en partie des terrains, en subventionnant peu ou prou des équipes de football. Dans le cadre de ces sports collectifs, la pratique et le spectacle se mêlent et la fréquentation est surtout celle des classes populaires, des employés.
101Les sports de pratique individuelle sont plus nombreux et connaissent une expansion et des formes de pratique bien différentes les unes des autres ; le plus populaire est le cyclisme. La bicyclette est le seul moyen de locomotion accessible à la plus grande partie des ouvriers, employés et agriculteurs. Le passage du moyen de locomotion quotidien à sa pratique sportive s’effectue naturellement. Dans les fêtes de village, de patronage, des syndicats, les courses cyclistes se généralisent dès les années vingt. À Rennes même un vélodrome est ouvert en 1923 ; il voit plusieurs grandes manifestations sportives. En même temps le cyclisme est de plus en plus associé non seulement à l’idée de sport, mais aussi à celle de tourisme. Le cyclotourisme connaît un certain succès dans les années trente, favorisé par les congés payés à partir de 1936 et par le développement du camping et des auberges de jeunesse. Le cyclotourisme est l’apanage aussi bien des jeunes ouvriers, employés que des étudiants. De ce point de vue, il facilite les contacts entre des classes sociales qui autrement ne font que se côtoyer, même si ces contacts restent somme toute assez superficiels. Le cyclisme allie une pratique quotidienne, un cadre sportif et un cadre de loisirs.
102En revanche, la natation reste une pratique rare. Jusqu’en 1926, la natation ne peut guère se pratiquer qu’en bord de mer ou en rivière. En bord de mer, les stations ne sont fréquentées que par une clientèle aisée. Le seul essor décisif pour une pratique de la natation plus grande et surtout non saisonnière est donné par l’ouverture d’une piscine couverte à Rennes81. L’idée de cette piscine revient au maire de la ville Jean Janvier82. Ce projet de piscine est largement combattu pour des raisons multiples dont l’importance des dépenses engagées ; certains regardent avec méfiance ce lieu où les corps seraient dénudés (relativement aux normes de l’époque), on craint aussi pour la moralité, tandis que les partisans de la piscine y voient la possibilité de favoriser un sport permettant un développement harmonieux du corps. La piscine est inaugurée le 21 juin 1926. Elle est ouverte aux associations sportives, aux scolaires et au grand public83. Dès 1926, les enfants des écoles vont à la piscine le jeudi ainsi que les lycéens. Très vite, l’horaire imparti se révèle insuffisant84. Enfin, le grand public se voit réserver les trois quarts des horaires. A l’époque, pas question que les bains soient mixtes, des jours sont réservés aux hommes et d’autres aux femmes dans une proportion de 59 % des heures d’ouverture pour les hommes et 17 % pour les femmes. Cette discrimination correspond à une pratique du sport beaucoup plus rare chez les femmes en grande partie en raison d’interdits moraux et sociaux. Mais, dès la fin de l’année 1926, le dimanche matin est réservé aux « bains de famille » : les hommes sont admis s’ils accompagnent leur femme, leur fille, leur sœur. Qui fréquente la piscine ? Les entrées sont nombreuses ; en six mois d’ouverture en 1926, on compte plus de 29 000 bains et pour l’année 1935 plus de 59 000. Ce succès est dû à un tarif particulièrement bas destiné à favoriser l’entrée de la piscine à l’ensemble de la population ; il est probable que le public devait appartenir au monde des employés, ouvriers, cadres moyens. On peut douter en revanche de la présence de la bourgeoisie peu encline à se « mélanger » avec le peuple (et se retrouver dans une tenue où toute barrière sociale s’effondre...). La piscine est enfin le lieu de manifestations sportives (une vingtaine en 1927).
103Nettement plus élitiste sont les sports liés à l’automobile, aux motos, à l’aviation et au tennis. Ce dernier s’est implanté par l’intermédiaire des Britanniques présents à Dinard, puis à Rennes où deux clubs existent, mais il reste étroitement circonscrit à un cercle social restreint. Automobile, moto et aviation sont des inventions encore récentes et en raison de leur coût, cette pratique est réservée à une élite de la fortune. L’Union auto-motocycliste d’Ille-et-Vilaine est fondée en 1933 ; un an auparavant est créé l’Aéro-Club d’Ille-et-Vilaine par de Toulouse-Lautrec, conseiller général de Mordelles. A défaut d’avoir de nombreux membres, ils jouent un rôle important comme spectacle sportif.
104Des courses et des rallyes de moto et d’automobile se déroulent pendant les années trente mais elles sont peu nombreuses et ne semblent pas avoir attiré beaucoup de monde. Certaines sont organisées sur la plage de Saint-Malo-Paramé c’est-à-dire sur 3 km85. Plus récents et plus spectaculaires sont les fêtes aériennes, les rallyes aériens qui drainent un public nombreux. La plupart se déroulent soit à Dinard, soit à Rennes, présentant des numéros acrobatiques, et cela dès 1919. La plus grande fête a lieu lors de l’inauguration de l’aérodrome de Rennes-Saint-Jacques le 30 juillet 1933, terrain de 109 hectares inauguré à l’occasion du passage du Tour de France aérien et qui donne lieu à trois jours de spectacle aérien devant une foule très nombreuse86. Élitiste quant à ceux qui peuvent les pratiquer, ces sports sont cependant populaires grâce à leur aspect spectaculaire et au fait qu’il est possible d’y assister pour une somme modique. L’activité sportive comme pratique ou comme spectacle reflète les écarts sociaux, non sans ambiguïté.
105— Les spectacles culturels87
106Les spectacles culturels connaissent aussi un développement important tel le théâtre professionnel ou le cinéma des circuits commerciaux.
107Le théâtre professionnel existe à Rennes, Fougères, Dinard et Saint-Malo. Les salles permettent de représenter aussi bien des pièces de théâtre que des spectacles lyriques ou des concerts. Si Dinard, Fougères et Saint-Malo accueillent uniquement des spectacles extérieurs à la ville, en revanche à Rennes existe une troupe lyrique permanente.
108Le théâtre municipal de Rennes présente le plus grand nombre de spectacles, entre 140 en 1936/1937 et 275 en 1928/1929 (troupe rennaise et troupes de passage). Cette extrême variation du nombre de spectacles est liée à la conjoncture, aux difficultés financières, la tendance étant plutôt à la baisse dans les années trente. Le répertoire théâtral est dominé par les comédies et les vaudevilles. Quant aux représentations lyriques, elles sont assurées pour l’essentiel par la troupe du théâtre88. L’orchestre, plus stable est recruté principalement parmi les anciens élèves du conservatoire de Rennes. De 1919 à 1939, l’opéra voit sa part décliner au profit de l’opérette89. Le tournant s’effectue vers 1930/1931 pour des raisons financières. La fréquentation du théâtre dépend à la fois du type de représentation et du prix des places. Si en 1919 le prix des places est fonction du type de représentation, l’opéra étant plus cher que la comédie, par la suite les tarifs sont indépendants du type de représentation90. Il est a priori difficile de dire qui fréquente le théâtre ; le faible prix des places les moins chères (une heure de travail d’un ouvrier) le rend accessible à une grande partie de la population. L’opéra a cependant un public à la fois cultivé et appartenant à une certaine élite sociale tandis que l’opérette ou la comédie sont plus appréciées de la classe moyenne. Le théâtre a de nombreuses connotations sociales et réaffirme la hiérarchie sociale en fonction du type de spectacle, de la place occupée dans le théâtre.
109Pendant ces vingt années, le cinéma connaît une révolution, d’ordre technique avec le passage du cinéma muet au cinéma parlant et un allongement de la durée des films, d’ordre économique avec le passage de l’arrière-salle d’un café à la salle permanente.
110Le cinéma touche d’abord les grandes villes mais aussi les petites villes et même les bourgs ruraux avec les cinémas de patronage. Les grands cafés des villes ont très vite des salles où l’on peut passer des films tout en prenant une consommation, mais en même temps, elles se dotent de salles de cinéma permanentes dès le début du siècle comme à Rennes en 1908. Dans cette même ville, en 1919, existent trois salles de cinéma, puis quatre à partir de 1922, nombre inchangé jusqu’en 1939. Le nombre de places par salle variait de 700 à 1 400 (par comparaison le théâtre comprend environ 800 places). Des salles sont peu à peu construites dans les petites villes. Malgré des sources lacunaires, il semble que le nombre d’entrées ne cesse d’augmenter et atteint à Rennes environ 130 000 entrées par an en 1925/ 192791. On manque de chiffres globaux pour les années trente lors de l’arrivée du parlant ; cependant, la plus grande salle de Rennes dépassait les 400 000 entrées par an à la fin des années trente. Le cinéma connaît un réel engouement tout en touchant la totalité de la population contrairement au théâtre et surtout l’on y va pour voir un film92.
111L’ensemble de ces spectacles et concerts est soumis aux règles de censure générale des spectacles, censure qui porte principalement sur la moralité mais aussi parfois sur des thèmes politiques. La censure morale s’exerce au niveau national (particulièrement sur les films) de la part des autorités publiques, parfois au niveau local : le maire comme le préfet peut interdire telle ou telle pièce ou film. La censure s’exprime aussi par l’intermédiaire de cotes de moralité émanant des autorités religieuses conseillant ou interdisant de voir tel ou tel film ce qui conduit les catholiques à assister ou non à ces spectacles. Une pièce fait grand bruit à Rennes, celle d’Yves Le Febvre, intitulée Terre des prêtres qui est représentée le 29 novembre 193393. L’annonce de cette représentation d’une pièce anticléricale au théâtre de Rennes fait immédiatement l’objet d’une polémique. Les journaux prennent partie. L’Ouest-Éclair, Le Nouvelliste du Dimanche94 critiquent cette représentation tandis qu’inversement Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, L’Aurore d’Ille-et-Vilaine95 lui font de la publicité. Il est vrai que la représentation est organisée par le comité de Défense laïque et la Ligue des droits de l’homme. L’après-midi de la représentation, une trentaine de personnes déposent une gerbe au Panthéon rennais à la mémoire des ecclésiastiques tués sur le front. A la sortie du théâtre, une importante manifestation se déroule avec quelques incidents. Cette soirée met en lumière l’exaspération des esprits par rapport à la laïcité et au cléricalisme. Dès le lendemain, dans les journaux, est posée la question des manifestations et plus nettement celle de l’autorisation des processions religieuses, ce que Les Nouvelles Rennaises posent en termes virulents : « Puisque nos adversaires entendent contester à un public qui paie, le droit d’occuper une salle, il faudra savoir si les ennemis de cette modeste liberté réclamée par la majorité des citoyens de cette cité auront le droit de prendre toute la ville pour eux, avec la permission du maire nommé par nous, pour y installer, en arrêtant la circulation, leurs cavalcades, lesquelles sont interdites dans toutes les grandes villes »96. Un tel affrontement sur une représentation est resté unique entre 1919 et 1939, mais sur le sujet la sensibilité est extrême et l’intolérance totale. La censure politique, quant à elle, s’exerce sur les films d’actualité projetés avant le film lui-même ; c’est ainsi qu’il est interdit de projeter les perquisitions au siège de la Ligue d’Action française à Paris ou encore les manifestations organisées par le Front populaire en février 1936.
112L’activité culturelle est géographiquement très localisée dès lors qu’il ne s’agit plus de représentations d’amateurs, mais de spectacles ou représentations où le comportement individuel (l’individu comme membre d’une classe sociale et non d’un camp idéologique) prime. Cette discrimination entre villes et campagnes et entre villes elles-mêmes, s’accompagne d’une discrimination sociale qui n’est pas ouvertement exprimée mais est très forte dans son non-dit. Dire que l’on va à l’opéra et que l’on est placé au premier balcon en dit plus long que bien des discours sur le statut social, la richesse ; c’est le signe d’appartenance à une élite sociale fondée sur un subtil mélange de fortune, de culture, de naissance. Cette inégalité sociale dans les loisirs « quotidiens » se retrouve aussi vis-à-vis du tourisme.
113— Le tourisme
114Il est essentiel pour l’économie et la société de la côte d’Émeraude. Ce n’est pas le tourisme d’une saison, mais de deux : l’été et l’hiver. De 1919 à 1939, plusieurs phases se succèdent : jusqu’en 1929/1930, une période faste, puis une période de crise jusqu’en 1934/1935 et enfin une croissance rapide jusqu’à la guerre. Ce tourisme est très différencié. Il existe un tourisme hivernal où les riches étrangers dominent et un tourisme estival avec toujours des étrangers mais aussi des familles de la bourgeoisie française plus ou moins fortunée et à partir de 1936, les « congés payés ».
115Les étrangers sont en effet assez nombreux. Pendant l’été 1919 (juin-août 1919), on peut compter au moins 300 étrangers en villégiature avec une forte majorité de Britanniques, de Suisses mais aussi des Russes et des Serbes, etc., une nouvelle vague avec les mêmes nationalités arrive pendant l’hiver97. La plupart (Britanniques, Suisses, Roumains, Serbes) sont sans profession accompagnés de femmes de chambre, gouvernantes, valets de pied ; en revanche, les Russes, fuyant la révolution, sont plus mélangés socialement : une partie d’entre eux appartient à l’aristocratie ou à la grande bourgeoisie de l’ancienne Russie mais une minorité sont d’anciens cadres ou artisans. Cette présence d’étrangers reste forte pendant toutes les années vingt ; en 1926/1927, on a même un afflux de Britanniques attirés par la baisse du franc (conséquence de la « stabilisation » de Poincaré), de condition sociale plus modeste ; en juillet 1926, 30 000 Britanniques environ débarquent à Saint-Malo (le double de juillet 1925) avant de gagner d’autres régions. La même année, apparaissent pour la première fois depuis la guerre des touristes allemands98. Si cette arrivée massive satisfait pleinement les hôteliers, restaurateurs et commerçants, la population est mécontente car la présence d’étrangers ayant un pouvoir d’achat plus important en raison du change maintient artificiellement des prix élevés selon elle99. Un sentiment xénophobe se fait jour chez le commissaire spécial en 1925 estimant que le nombre de Britanniques propriétaires d’immeubles sur la côte « s’accroît journellement et menace de devenir un péril national »100 ! ! !.. Par delà ces propos excessifs, leur présence ou leur absence fait de la saison estivale ou hivernale une réussite ou un échec.
116Dans les années vingt, le pôle d’attraction des Britanniques et des Américains est Dinard plus que Saint-Malo. Appartenant à l’aristocratie ou membres de la grande bourgeoisie d’affaires de leurs pays, ils font construire des villas ou en louent101. Leur présence favorise avant la guerre le développement de la côte avec le golf de Dinard en 1887, la création d’un casino dans la même ville en 1876. Après 1918, des casinos existent à Saint-Lunaire, à Saint-Malo, à Paramé et à Dinard.
117Les casinos sont un atout important pour des stations balnéaires désirant maintenir une saison hivernale et retenir une clientèle riche. Celui de Saint-Lunaire, intégré au Grand Hôtel est fréquenté assidûment par la clientèle britannique surtout, mais aussi américaine, au moins de 1924 à 1931102. Pour mieux faire face à la concurrence de La Baule, le casino de Dinard, le plus important de la côte, est rebâti. Cette décision est encouragée par la hausse constante des recettes entre 1923 et 1927, l’ouverture du casino pendant la saison d’hiver se révélant fructueuse103. A la lecture de ces rapports sur les casinos, les années vingt semblent bien être les « années folles » pour leur riche clientèle et une source d’enrichissement pour les hôteliers et restaurateurs.
118Cette période faste est assombrie par la crise économique de 1929. Dès novembre 1929, le krach de New York provoque le départ d’Américains ou des annulations venant d’Amérique ce qui diminue le taux de remplissage des grands hôtels dès la saison hivernale104. L’année 1930 et surtout 1931 marquent un creux avec des saisons qualifiées de « médiocres »105. Cette situation de crise dure jusqu’en 1932. L’été 1933 voit une certaine affluence de touristes et l’hôtellerie fait une bonne saison, mais ce n’est plus la même clientèle car les recettes des casinos restent assez faibles par rapport à la période antérieure au krach de 1929106 et c’est encore vrai en 1934 et 1935. Après la crise de 1929, la côte d’Émeraude ne retrouve pas sa riche clientèle ; celle-ci pendant quelque temps ralentit ses dépenses, puis passés les effets immédiats de la crise, elle ne retrouve plus le chemin de la côte d’Émeraude107. Le malaise persiste pour l’hôtellerie de luxe, les casinos et d’une façon générale tout ce qui était lié à cette clientèle huppée. A partir de 1933, la clientèle étrangère (britannique essentiellement) appartient désormais à la moyenne bourgeoisie et fait la fortune de l’hôtellerie moyenne, des propriétaires de villas ou d’appartements, de pensions de famille. La clientèle française et étrangère est désormais du même monde avec les mêmes comportements économiques.
119La dernière période, celle de 1935-1939, est une phase d’expansion touristique, essentiellement pour des raisons politiques avec la loi sur les congés payés qui s’accompagne d’une totale modification de la clientèle. Certes, la bourgeoisie du département ou de la région parisienne est toujours présente, mais désormais des employés, des ouvriers viennent si bien que toute la côte sur 20 km à l’intérieur des terres affiche complet108 ; la clientèle fortunée déserte définitivement la côte. Le relais est pris par la moyenne bourgeoisie, beaucoup plus tournée vers la vie familiale, un peu vers le sport ou le théâtre, mais non vers les jeux du casino.
120Tourisme, spectacles culturels ou sport expriment les loisirs d’une société. Observés ici d’un point de vue de l’individu, les choix de celui-ci sont liés à ses goûts, mais plus encore à son appartenance sociale, tout comme son logement, son mode d’alimentation, ses moyens de communication. Les quelques éléments restitués par les sources sur les loisirs de cette société renforcent l’image inégalitaire et traditionaliste de cette société.
121Les clivages sociaux sont visibles dans le train de vie (nombre de domestiques), dans l’habillement (femmes en cheveux ou en chapeau), dans les loisirs, mais en même temps si le clivage passe entre les classes sociales, il passe aussi verticalement entre laïques et catholiques et dans ce cas les loisirs rassemblent des mondes socialement antinomiques mais idéologiquement proches. C’est ainsi que les différentes activités des patronages ou des cercles populaires ou laïques regroupent des catégories sociales fort éloignées les unes des autres. Toutefois, rapprochement ne signifie pas égalité à l’intérieur de ces associations. Les clivages sociaux s’y reproduisent, les dirigeants, présidents ou présidentes des œuvres (confessionnelles ou laïques) étant les notables ou femmes de notables.
122L’hétérogénéité, le cloisonnement social et idéologique ne se manifestent pas de la même façon chez les Anciens Combattants.
Les Anciens Combattants
123Département rural, l’Ille-et-Vilaine a eu de fortes pertes dont témoignent les monuments aux morts, la mémoire collective. Elles s’élèvent à 24 % des mobilisés (environ 25 000 tués). Deux secteurs ont durement payé leur tribut à la guerre : les cadres qui, comme officiers subalternes ou sous-officiers, partaient les premiers à l’attaque, les agriculteurs qui dans l’infanterie furent constamment en première ligne. Par exemple, les instituteurs et les normaliens ont 111 tués sur 500 mobilisés soit 22 % des mobilisés109. Le souvenir de la guerre ne peut qu’être permanent et très présent dans la mémoire collective soit par le souvenir de ce qui a été vécu (cas des Anciens Combattants), soit par le souvenir d’un proche disparu, soit par le sentiment plus ou moins inconscient qu’un monde a disparu, mais ce dernier aspect n’apparaît pas tout de suite.
Le souvenir
124Le souvenir se manifeste dès les fêtes de la Victoire qui se succèdent pendant l’été 1919, puis avec l’érection des monuments aux morts, de stèles et enfin à chaque 11 novembre.
125— Les fêtes de la Victoire
126Le 14 juillet 1919 est l’occasion de célébrer la victoire ; en fait, les cérémonies se déroulent du 12-13 juillet au 7 septembre 1919 selon les communes. Ces fêtes de la Victoire mêlent le souvenir et la fête populaire.
127Dans les communes rurales, le schéma suivi est presque toujours le même : une messe suivie ou précédée d’une visite au cimetière (les monuments aux morts n’existent pas encore), un vin d’honneur, des courses et des jeux, un bal et un feu d’artifice quand la commune en a les moyens ; l’ensemble se déroule sur la journée. Dans certains gros chefs-lieux de canton comme à Janzé, la fête s’étend sur deux jours110. Les réjouissances sont les mêmes pendant les deux jours sauf le soir : le premier soir a lieu un concert suivi d’un bal populaire, le second un « banquet populaire où les dames sont invitées », puis une retraite aux flambeaux et un bal populaire111. Dans plusieurs communes, des distributions de pain sont faites aux pauvres (suivant en cela une tradition ancienne) dans les villes, mais aussi dans divers villages comme Bédée, Bruz, Montfort. Enfin, cinq communes (mais peut-être y en eut-il plus) plantent un « chêne de la Victoire »112 sans que l’on puisse rattacher cette plantation à une tradition ancienne remontant aux différentes périodes révolutionnaires françaises.
128Les fêtes de la Victoire se sont placées sous le signe de la joie (les courses, bals populaires, feux d’artifice, etc.), mais aussi sous le signe du Souvenir: celui des morts, mais également hommage aux blessés et aux invalides. À Rennes, les festivités de la Victoire sont inaugurées par un concert donné par les mutilés de guerre113.
129— Les monuments aux morts114
130Après les fêtes de la Victoire, le souvenir des morts de la guerre ne quitte pas les esprits. Un peu partout surgissent des monuments, des plaques commémoratives, mais avec un rythme et des moyens bien différents selon les communes. Cet hommage aux morts a en Ille-et-Vilaine deux origines : les autorités républicaines et les autorités religieuses. A la demande de l’archevêque de Rennes, dans toutes les églises est apposée une plaque à la mémoire des soldats de la paroisse morts pendant la guerre115.
131Quant aux monuments aux morts, la plupart sont construits entre 1920 et 1925116. Leur construction est le résultat d’un consensus entériné par les conseils municipaux117. Le financement provient d’une subvention de l’État, de la commune, de fonds recueillis par un comité de souscription aux monuments aux morts ; la part des uns et des autres est variable. Dans les plus petites communes, la faiblesse des moyens a des répercussions sur le monument lui-même. Des communes de taille aussi différente que Saint-Malo, Cancale (6 600 habitants environ) ou Saint-Méloir-des-Ondes (2 600 habitants) lancent une souscription. Après le lancement du projet, la municipalité choisit et contrôle le coût, l’emplacement, etc. ; à l’échelon départemental, un comité artistique de la préfecture prend la décision finale. Le projet le plus important est réalisé -sans surprise- par la ville de Rennes qui décide de dresser un Panthéon avec la liste des soldats nés à Rennes et morts pour la France en 1914-1918118.
132Les remarques qui suivent, se fondent sur un corpus de 189 monuments c’est-à-dire la majorité des monuments aux morts d’Ille-et-Vilaine119 Trois éléments sont pris en compte : le type de monument, les inscriptions et le lieu120.
133Le type de monument dominant est incontestablement l’obélisque : la moitié de l’échantillon d’Hélias, 61 % du mien. Les monuments-statues représentent 23 % de mon échantillon dont la moitié sont des Poilus, les autres statues sont soit des Jeanne-d’Arc (dans trois cas), soit des femmes et environ 16 % sont des monuments religieux réaménagés pour la circonstance ou construits spécialement121. A ces monuments sont associés divers signes qui précisent le contexte : la croix latine, la croix de Malte (symbole de la croix de Guerre), une palme (aussi symbole de la croix de Guerre) ; une ou plusieurs combinaisons sont possibles, que le monument principal soit un obélisque, un Poilu, une autre figure.
134D’après mon enquête, rares sont les monuments qui ne présentent pas un symbole complexe ; six seulement n’en portent aucun. Qu’il s’agisse de l’obélisque ou du Poilu, dans les deux cas, la croix latine est le symbole qui revient le plus souvent, soit seule (le cinquième des obélisques, la moitié des Poilus), soit associée à un symbole de la guerre 14-18 (croix de Malte ou palme) pour près du tiers des monuments et, parfois, ces trois symboles sont présents (croix latine, croix de Malte et palme) comme pour réaffirmer l’Union Sacrée face à l’ennemi. La symbolique des monuments est une symbolique d’Union Sacrée, mais le plus souvent le fait religieux y est présent. Ce sont les autorités publiques qui suggèrent l’érection du monument, mais pour elles la référence chrétienne va de soi, indépendamment de la réglementation officielle. Sur les 104 monuments, 49 portent ostensiblement une croix latine et 16 sont des monuments religieux soit 62 % de l’échantillon. Quant aux monuments religieux, à l’exception de trois d’entre eux, ils n’éprouvent pas le besoin, dans leur symbolique, de faire référence à la guerre. On a là une christianisation consciente ou inconsciente directement issue de la mentalité collective122.
135Les Poilus soit ont une attitude de vigilance avec l’arme au pied123, soit ils brandissent une couronne de lauriers en signe de victoire124. Enfin, le Poilu est parfois représenté mourant comme à La Chapelle-Bouëxic ou à La Selle-en- Coglès. Un seul, à Pacé, est présenté en gisant.
136Les monuments religieux sont : des croix dressées pour l’occasion, parfois réutilisées, des calvaires, des reposoirs réaménagés. Les croix anciennes ou nouvelles sont de loin les plus nombreuses (17 sur 21 monuments religieux). Les croix anciennes utilisées sont souvent des croix de Mission comme à Visseiche, Saint-Jean-sur-Vilaine, etc. Dans ce cas, des plaques de marbre sont rajoutées soit avec tous les noms des morts du village, soit avec une inscription dédicataire. Parfois, ce sont d’anciens calvaires réaménagés comme au Lou-du-Lac. Dans certains cas, elles sont dressées spécialement à cette occasion comme à Saint-M’Hervé, à Balazé125. Les monuments aux morts utilisant des monuments religieux (reposoirs pour la Fête-Dieu par exemple) sont plus rares (Mondevert, Saint-M’Hervon,...) ; une plaque donne la liste des morts. Ces monuments reflètent en fait la pauvreté des moyens de leur commune, trop petites pour pouvoir s’offrir la construction d’un monument plus important. Tous ces monuments à caractère nettement religieux se situent dans les arrondissements de Vitré et de Fougères, les plus conservateurs et les plus pratiquants.
137Dans mon échantillon, trois monuments aux morts représentent des figures qui ne sont pas des Poilus : deux femmes et un homme. Le monument le plus original est celui de Montauban-de-Bretagne représentant un homme se découvrant devant la liste des « morts pour la France » de la commune.
138Les monuments reflètent la richesse de la commune, le rapport entretenu avec le christianisme y compris dans le cadre d’un monument républicain, mais la mort, rite de passage par excellence, est aussi le lieu social où l’appartenance communautaire est revendiquée : appartenance à la commune, au christianisme, ce qu’expriment doublement ces monuments « républicains-chrétiens ».
139Les inscriptions sont de deux sortes : listes nominatives des morts et dédicaces.
140Les listes nominatives sont très fréquentes : 81 % de mon échantillon. Elles sont le plus souvent par ordre alphabétique (61 %), sinon par ordre chronologique (20 %). Rarissimes sont les listes où les grades sont indiqués ou encore celles qui répercutent la hiérarchie militaire. Mobilisés également, tous ces hommes, morts pour la France, doivent être égaux dans l’hommage qui leur est rendu126. Ces listes précèdent ou suivent les inscriptions dédicataires dont on peut noter la régularité rhétorique : formes stéréotypées (« Aux enfants de X morts pour la France », « X à ses enfants morts pour la France »,...), permanence du style dédicataire avec une dominante métaphorique. La dédicace est le plus souvent mémorielle (82 % de l’échantillon d’Hélias)127. Les termes sont empruntés au vocabulaire républicain patriotique classique. Sur les côtés ou à l’arrière du monument, il arrive parfois que soient cités les vers de Victor Hugo : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie ont droit qu’à leur tombeau la foule vienne et prie »128 ; c’est là l’inscription la plus longue et la plus explicite. Même dans ce cas, les termes utilisés restent sobres et ne présentent aucun caractère agressif ni rappelant qu’en mourant sur le front, ils ont contribué à la victoire. Par leur dédicace c’est-à-dire par le dit clairement exprimé, les monuments aux morts de la guerre 14-18 sont des monuments où le Souvenir des morts dans leur ensemble, au-delà de leur individualité, est un souvenir de mémoire, de commémoration et non de célébration glorieuse ou de célébration de la victoire. Ces inscriptions rappellent la part prise par chaque commune à la guerre comme partie d’un tout sans que l’idée qu’elles sont aussi partie prenante de la victoire soit exprimée ; les pertes sont trop lourdes pour vraiment se réjouir.
141L’emplacement du monument aux morts est le résultat d’un choix réfléchi ; c’est pourquoi, ce choix peut refléter la culture politique dominante, mais c’est souvent plus complexe. La place de l’église est généralement la seule et unique place du village, dès lors, y ériger le monument aux morts est évident. La présence du monument sur la place de l’église n’est pas suffisante pour lui donner un sens religieux, il faut y associer d’autres signes (emplacement par rapport à l’église, présence de croix,...). De même la présence du monument aux morts dans le cimetière n’est pas a contrario signe d’une forte laïcisation : le cimetière entoure fréquemment l’église ou si le cimetière est séparé, c’est souvent la croix centrale du cimetière qui est alors le monument. La connotation religieuse n’est jamais très loin, qu’elle soit explicite ou implicite. Rarissimes sont les monuments sans caractère religieux (symboles utilisés ou lieu).
142Sur les 104 monuments, 63 sont situés sur la place de l’église, 44 adossés à elle, intégrés au monde catholique ; les 19 autres sont face à elle, mais sans lui tourner le dos, créant une sorte d’aller-retour entre elle et ce monument civique commémoratif. Les monuments dressés dans les cimetières entourant l’église s’affirment comme partie prenante d’une enceinte chrétienne, toutefois cinq de ces monuments129 sont insérés dans le mur d’enceinte du cimetière surmonté d’une croix avec l’inscription tournée vers la route qui borde le cimetière (le caractère religieux est réel mais en même temps, il existe une volonté de rendre public le souvenir des morts). Avec les 13 monuments situés dans un cimetière indépendant de l’église, la symbolique est plus complexe. Quatre d’entre eux sont des croix avec un Christ et cinq une croix latine sans Christ. Quatre seulement n’ont aucune référence religieuse dont le monument de Coësmes, village républicain ayant une population d’ouvriers assez importante et peu pratiquante par rapport aux communes de l’arrondissement. Enfin quatorze sont situés sur diverses places, souvent la place de la mairie ; le monument aux morts est alors un monument civique, républicain-laïque.
143Au total, 82 % des monuments de mon échantillon, soit par le lieu, soit par le type de monument, soit par le principal symbole représenté, soit par plusieurs de ces éléments combinés sont des monuments aux morts où la référence chrétienne est très présente à mon avis. En cela, je ne partage pas le point de vue d’Hélias qui considère que le monument aux morts est le lieu où s’organise pour la première fois un rituel laïque brisant le monopole religieux et estime que « manifester spatialement la compatibilité, c’est éviter la confrontation, mais c’est aussi entretenir l’équivoque »130. Certes le monument aux morts est le lieu d’un rituel laïque, mais ce n’est pas la première fois, le 14 juillet est également célébré dans les petites communes. De plus, ce rituel n’est pas totalement laïque puisque la cérémonie au monument aux morts est toujours précédée d’une cérémonie religieuse. En outre, 15 à 20 % des monuments de mon échantillon qui n’ont pas de référence religieuse sont situés soit dans des villes comme Rennes, Fougères ou Vitré qui sont des villes bleues, républicaines par rapport à leur campagne, soit dans des communes où la tradition républicaine est plus forte que la tradition catholique comme Coësmes. Pour moi, excepté ces quelques communes où aucune référence religieuse n’apparaît, la compatibilité du monument aux morts avec la symbolique chrétienne ne repose pas sur l’équivoque mais est naturelle ; la question tout simplement ne se pose pas pour les contemporains et ne suscite pas de controverses particulières.
Le mouvement des Anciens Combattants
144Les Anciens Combattants de 14-18 appartiennent à la même génération, ont affronté la même guerre et pour la plupart d’entre eux pendant la même durée sauf pour les plus jeunes et pour les « affectés spéciaux » (peu nombreux dans le département) qui ne connurent pas cinq années de front. Ils forment la majeure partie de la population adulte masculine.
145Des associations d’Anciens Combattants se sont créées dès la guerre pour défendre et regrouper les mutilés131. D’emblée, le thème de l’union domine. Peu à peu après la guerre, d’autres associations se constituent ; en Ille-et-Vilaine la plus importante est l’UNC (Union nationale des combattants). Déclarée dès le 11 novembre 1918 à la préfecture de police de Paris, elle bénéficie ouvertement du soutien des officiers supérieurs et de l’Église132 ; très vite, elle est dominante dans le département133. La presse, les autorités laïques et religieuses ne lésinent pas pour appeler à la formation de sections de l’UNC dans les différentes communes. L’éditorial de L’Ouest-Éclair Au 27 décembre 1919 est particulièrement éloquent à cet égard :
« Anciens Combattants, organisez-vous ! Que dans chaque commune quelqu’un se lève (...).
La conférence (réunissant les Anciens Combattants) devra avoir lieu, autant que possible, un dimanche matin, après la messe principale (...). Aucune considération, de caractère politique ou confessionnel ne doit arrêter l’organisateur dans son choix de la salle. Les Anciens Combattants entendent se réunir sur le large terrain de « l’Union Sacrée ». Au front ils ont souffert, lutté et vaincu ensemble, sans s’occuper des opinions particulières de chacun. C’est le même esprit qui doit animer leurs « formations » du temps de paix. A la conférence projetée devront donc être obligatoirement invités le maire de la commune, le curé, les instituteurs de l’enseignement public et privé (...). Si, comme c’est généralement le cas, il y a des combattants parmi eux, ceux-ci seront tout indiqués pour tenir un emploi dans le bureau de la section. Exemple : le curé ou l’un des vicaires sera élu trésorier, l’instituteur public se verra confier les fonctions de secrétaire, ou inversement. Ce qu’il convient d’éviter, c’est de donner à l’association une couleur politique quelconque, ce qui nuirait à son développement et l’empêcherait d’atteindre son but. A condition de bien prendre garde à cet écueil, le succès est certain. »
146Ce texte met en évidence dans ses aspects matériels et idéologiques l’esprit qui préside à la fondation des sections UNC en Ille-et-Vilaine. Dans cette terre de chrétienté, l’assemblée générale des Anciens Combattants ne peut avoir lieu qu’après la grand-messe du dimanche, quand tous les hommes du village sont censés être venus au bourg pour s’y rendre ; en zone d’habitat dispersé, c’est effectivement le seul moment où le village se rassemble. Quant aux aspirations que ce texte reflète, c’est le thème classique du maintien de « l’Union Sacrée » comme au front, marquant la volonté de dépasser les clivages traditionnels entre laïques et catholiques. Dans cette volonté de maintien de l’union, il faut voir un rappel de l’égalité du citoyen devant la guerre qui est après tout l’un des apports de la IIIe République : que chacun contribue à la défense du pays. Cette notion de défense du pays est certes polysémique, mais il s’agit de rappeler que face au danger d’invasion, il n’y eut qu’un seul peuple sans distinction d’opinion, de classe sociale. Dans une région où le clivage pratiquants/non pratiquants est très fort, il est nécessaire d’insister sur cette idée, pour que tous les Anciens Combattants se retrouvent dans les mêmes associations, ici l’UNC.
147L’UNC s’implante rapidement. Le 6 mars 1919 est créée la fédération d’Ille-et-Vilaine et dès le début de septembre existent des sections locales à Rennes, Saint-Malo, Dinard, Paramé, Cancale, Cesson, Mordelles c’est-à-dire les zones côtières et les petites communes proches de Rennes134. Plus tard, en 1932, l’UNC est hégémonique en Ille-et-Vilaine avec 25 000 adhérents environ tandis que l’UF (Union fédérale) ne rassemble que 2 900 adhérents135 ; quant à l’ARAC (Association républicaine des Anciens Combattants) créée le 11 juillet 1919 en Ille-et-Vilaine, elle est marginale et ne rassemble que les Anciens Combattants communistes en 1932136. L’UNC est omniprésente mais avec des nuances. Elle est très puissante dans les arrondissements de Fougères et de Vitré, dans celui de Montfort mais aussi dans la région côtière, mais elle est assez peu implantée au nord dans le triangle Combourg-Antrain-Saint-Aubin-d’Aubigné et au sud dans le triangle Redon-Guichen-Bain-de-Bretagne. La taille des communes n’est pas en jeu. A priori, des raisons politiques ont joué au nord ; à cela s’ajoute le rôle des personnalités, d’hommes capables d’organiser et de diriger une section de l’UNC. Sur l’ensemble du département, l’UNC a 203 sections (sur 360 communes) dont 59 seulement dépassent les cent membres137. L’UNC est l’association la plus puissante avec un rôle réel de rassemblement mais le 6 février 1934 marque une rupture.
148Au niveau national, depuis 1933, l’UNC avec Jean Goy prend de plus en plus des allures de ligue politique d’extrême-droite appelant à une réforme de l’État dans un sens autoritaire. Lors de la préparation de la manifestation du 6 février 1934, la section de Rennes appelle à soutenir financièrement la campagne de propagande de l’UNC afin, selon le docteur Patay qui la préside, de « permettre, dans la légalité, d’obtenir un gouvernement propre, indépendant des basses combinaisons » ; après avoir libéré le territoire, les Anciens Combattants doivent le libérer « aujourd’hui de toutes les saletés qui l’infectent »138. Cet état d’esprit atteint son paroxysme après le 6 février 1934. L’UNC a encore accru le nombre de ses sections en 1934 par rapport à 1932 avec 252 sections pour 24 901 adhérents139. L’Assemblée générale d’Ille-et-Vilaine du 11 février 1934 voit la démission de son président Léon Thébault qui, député, a voté pour le gouvernement de Daladier140. En opposition avec la majorité nationale et départementale de l’UNC, il ne peut rester président départemental ; il est d’ailleurs remplacé par le président de la section de Rennes, le docteur Patay. Cette démission n’est pas la seule ; d’autres sont signalées à la section de Dol-de-Bretagne (plus de 200 membres)141, mais les sources ne permettent pas de savoir, s’il y en eut d’autres et quelle est l’évolution ultérieure du nombre d’adhérents de l’UNC en Ille-et-Vilaine.
149Quoi qu’il en soit et par-delà ses divergences qui n’apparaissent que dans les années trente confirmant cette rupture, ce tournant perçu dans les aspects politiques et syndicaux, le monde des Anciens Combattants s’efforce de rester uni.
La commémoration
150La notion de commémoration fait appel à la « mémoire collective » (Halbwachs) ou encore à la « mémoire sociale » comme « phénomène qui dans la société fait fonction de référence »142. Chez les Anciens Combattants, il s’agit bien pour ses commémorations de rappeler à eux-mêmes et à la société ce phénomène de référence.
151L’unité du monde Ancien Combattant est liée au caractère homogène de l’épreuve subie ; les cinq années de guerre sont vécues de la même manière par ces Anciens Combattants, fantassins pour la plupart ; tous subirent les mêmes épreuves. Leur mémoire collective de la guerre est univoque ; cette unicité du vécu permet celle du Souvenir et leur capacité à se retrouver par-delà les clivages idéologiques. C’est pourquoi l’on peut parler d’une véritable mémoire collective des Anciens Combattants, induisant une sociabilité qui leur est propre.
152Pour les Anciens Combattants de la guerre 14-18, la date de commémoration est sans hésitation aucune celle de l’armistice du 11 novembre. Cette date est leur date pour commémorer leur guerre, commémorer et non célébrer. Les Anciens Combattants font de ce jour le jour du Souvenir et non de la Victoire. Le 11 novembre se déroule toujours de la même manière immuable et quasi identique dans tout le département : une messe, un cortège jusqu’au monument aux morts, l’appel des morts, dépôt de gerbe et minute de silence, puis le vin d’honneur et parfois un banquet. Enfin, l’après-midi, se déroule parfois des festivités (jeux et courses dans le village). On assiste à une séparation temporelle entre le moment du souvenir, celui de la convivialité entre les Anciens Combattants et celui des réjouissances avec les autres villageois (ce dernier temps n’existe pas toujours). A cette séparation temporelle correspond parfois une séparation spatiale entre le moment religieux et le moment laïque de la cérémonie, distanciation plus ou moins forte selon l’emplacement du monument aux morts. Cérémonie du Souvenir parce que le prix payé est trop lourd pour que l’on se réjouisse pleinement, aussi, l’ampleur des pertes dans chaque village est rappelée par la longueur de l’appel. Celui-ci le plus souvent associe les enfants des écoles afin que le souvenir du sacrifice se perpétue. Jamais ces commémorations n’entraînent de cris de victoire143. Il y domine la volonté de rendre hommage aux morts, de rappeler que la guerre tue et de montrer aux futurs citoyens qu’elle doit être évitée. En effet, après le souvenir, le second caractère de ces commémorations du 11 novembre est leur aspect pacifique : pas de défilé militaire, juste un porte-drapeau. Seules les villes, siège de caserne, ont un défilé militaire, mais défilé militaire et non défilé des Anciens Combattants qui restent rebelles à cet aspect. Civils mobilisés pour la guerre, quand celle-ci s’achève, ils redeviennent des civils ; pas question de revêtir un ancien uniforme pour l’occasion.
153Pacifiques, les Anciens Combattants le sont certainement, ne voulant pas d’une nouvelle guerre ; sont-ils pour autant pacifistes ? Difficile à cerner, le clivage existe cette fois à l’intérieur du monde combattant. Depuis 1920, le 11 novembre suscite à Rennes et à Fougères un cortège pacifiste. Ce jour-là, les deux villes connaissent deux cortèges (à deux moments différents) : le cortège officiel et le cortège pacifiste. Ce dernier regroupe les forces de gauche : syndicats ouvriers, délégués des partis de gauche (dont parfois des représentants du Parti radical-socialiste). À Rennes, en 1935, 3 000 pacifistes participent à ce cortège ; à la différence du cortège officiel, ils vont aussi fleurir les tombes des soldats allemands144. Ils se rassemblent à l’appel des organisations de gauche, mais parmi ces 3 000 pacifistes de 1935, combien d’Anciens Combattants ? Rien ne permet de le dire et surtout, il est probable que la position des Anciens Combattants d’Ille-et-Vilaine évolue comme la presse et l’ensemble de l’opinion à la fin de 1938.
154Le monde des Anciens Combattants représente une force nouvelle dans la société, une force avec laquelle doivent compter les hommes politiques comme le montrent ces affiches signées « un groupe d’Anciens Combattants » lors des campagnes électorales145. Dans ces déclarations par voie d’affiche, rien qui ressemble de près ou de loin à des déclarations de principe mettant en jeu les valeurs pour lesquelles se seraient battus les Anciens Combattants (bien opposés en cela à ceux de la Seconde Guerre mondiale). Mais ils jouent dans les villages un rôle structurant. C’est autour d’eux que s’organise la vie des villages, voire les réjouissances. Ils ont un rôle de sociabilité, de transmission du vécu historique, du type « plus jamais ça » et en même temps un rôle intégrateur : modération particulière au département peut-être, mais aussi consensus « naturel » par rapport au fait religieux 146.
155La société d’Ille-et-Vilaine de 1919 à 1939 est une société rurale, vivant parfois repliée sur elle-même pour des raisons techniques et économiques. Cette situation accentue la dichotomie ville-campagne qui est très nette aussi bien en considérant la hiérarchie des fortunes que les loisirs. Ce n’est qu’en abordant le monde Ancien Combattant que ce clivage tend à disparaître, tout comme le clivage laïque/non laïque s’atténue.
156Ce ne sont pas les seuls clivages qui s’estompent dans le cadre du monde Ancien Combattant ; en son sein, s’atténuent les différences sociales. L’analyse des déclarations de mutation après décès mesure l’importance du clivage entre les groupes sociaux, dû à la fortune, au patrimoine hérité et acquis. Cette hiérarchie sociale est présente par l’éducation reçue, la vie quotidienne et les loisirs. Elle n’est affectée ni par le facteur religieux, ni par la mentalité collective de chaque région. Mais si la permanence domine chez les défunts, ce n’est pas toujours le cas chez leurs enfants. En effet, le cinquième de ceux-ci ont choisi (?) de quitter la région et les enfants issus de la classe moyenne sont socialement mobiles. Autrement dit, sous la permanence, cette société bouge, sans que l’on puisse mesurer l’ampleur des transformations ni savoir si elles peuvent modifier durablement le devenir de cette société.
Notes de bas de page
1 Daumard (Adeline), La bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848, Paris, SEVPEN, 1963, et plus particulièrement, « La fortune mobilière en France selon les milieux sociaux (xix-xxe) », Revue d’histoire économique et sociale, 1966, p. 364-392 ; « A la recherche de la bourgeoisie française au xxe : réflexion de méthode », Bull, d’histoire moderne et contemporaine, 1984/14, p. 59-84. et en collaboration avec Furet (François), « Problèmes de méthode en histoire sociale. Réflexion sur une note critique », RHMC, 1964, p. 291-298.
2 Je renvoie à la version dactylographiée de ma thèse, chapitre 5, p. 332-338.
3 Daumard (Adeline) (s.d.), Les fortunes françaises au xixe, Mouton, 1973, p. 52 et suivantes.
4 Autres sources : matrices cadastrales, recensement général agricole de 1929 pour l’Ille-et-Vilaine, voire recensements de population.
5 Elles donnent la liste des défunts déclarés dans une année par canton et précisent s’ils font l’objet d’une déclaration de mutation après décès. Le report des déclarations sur les registres s’effectuait dans un délai approximatif de six mois en moyenne après le décès ce qui fait que les personnes mortes au cours du second semestre d’une année donnée, sont enregistrées dans le courant de l’année suivante.
6 ADIV : série 3 Q : les déclarations de mutation pour une seule année sont regroupées en un ou plusieurs folios selon la taille des communes. La liste complète des registres consultés est indiquée dans les sources.
7 Voir la version dactylographiée p. 337-338.
8 Au total, 900 déclarations, les 125 qui n’entrent pas dans les statistiques sont soit des grosses fortunes, soit des déclarations très faibles concernant de jeunes défunts, soit des conjoints de défunts déjà comptabilisés et dont on a utilisé les éléments de fortune pour le premier des deux conjoints décédé, soit ce sont des compléments de déclaration réinsérés au défunt concerné.
9 L’état civil n’étant pas accessible.
10 Sauvy (A.), Histoire économique... op. cit, t.2 : p. 11. L’espérance de vie à la naissance était de 54 ans pour les hommes et de 59 ans pour les femmes.
11 Le taux moyen en France en 1936 est de 1,8.
12 Il faut attendre pour cela le recensement de 1962. Mais cette diminution non totalement résorbée est due à l’importance de l’émigration vers la région parisienne qui a joué un rôle-clé; la situation de « réservoir démographique » n’a pas suffi à la compenser malgré une légère croissance globale de la population (558 574 en 1921 à 565 766 en 1936).
13 Mais la comparaison est difficile car l’Enquête Familles de 1936 ne retient que les grands secteurs d’activité économique ; cf. sur ce point Maurice Garden dans Lequin (Yves) (s.d.), Histoire îles Français, x1x-xxe siècles, tome 1 : Un peuple et son pays, A. Colin, 1984, p. 252-253.
14 Daumard (Adeline), Les bourgeois..., op. cit., p. 152-153.
15 Le nombre de propriétés déclarées est éloquent. Leurs filles mariées «bourgeoisement » n’exercent elles-mêmes aucune profession ; rien (fonds de commerce, arriéré de pension, etc.) ne permet de conclure à l’exercice d’une profession.
16 Pour certaines, on a effectué quelques regroupements. Les cultivateurs sont aussi bien des agriculteurs que des jardiniers ou des journaliers agricoles (peu nombreux car ils font rarement l’objet d’une déclaration de mutation après décès, leurs possessions étant très faibles). De même ont été regroupés les employés du secteur privé, généralement employés de commerce et ceux du secteur public (chemins de fer, PTT,...). Parmi les cadres moyens, sont classés les représentants, les instituteurs, les sous-officiers et pour les cadres supérieurs : les ingénieurs, les magistrats, les professeurs et les officiers.
17 D’une certaine manière car on ne peut apprécier jusqu’à quel point il s’agit de jeunes retraités qui ont décidé de se retirer pour vivre en rentier, selon le modèle du xixe siècle, modèle de plus en plus résiduel.
18 En janvier 1941, on dénombre 333 tracteurs dans tout le département; ADIV - 18 W 20 : recensement des véhicules automobiles en tous genres du 15 janvier 1941.
19 Le fait d’être commerçant ou artisan n’entraîne pas un départ obligatoire vers la ville, parfois vers le chef-lieu de canton.
20 À nuancer avec l’analyse de la mobilité géographique et Thélot (Claude), Tel père, tel fils : position sociale et origine familiale, Dunod, 1982, p. 70-72.
21 Sauf dans l’hypothèse d’un ouvrier chez un artisan mais seule la mention «ouvrier » est donnée pour les huit cas observés ici et l’adresse ne permet pas d’en tirer une conclusion du même type que pour les employés de commerce.
22 Mais sans que l’on puisse savoir s’il s’agit d’agriculteurs exploitant eux-mêmes leurs terres ou de propriétaires terriens. De plus, les successions elles-mêmes assez importantes par rapport à la moyenne départementale permettent de rester dans le doute pour deux ou trois.
23 Notons également que quinze enfants (1,67 %) sont devenus religieuses ou prêtres. Ht les enfants sans profession sont des filles mariées ou non.
24 A l’exception des propriétaires-rentiers qui représentent près de 5 % des parents mais moins de 1 % des enfants. Il est probable que l’âge des enfants au moment du décès de leurs parents n’est pas étranger à cette situation.
25 Sans prendre en compte diplômes et fortunes, les sources ne le permettent pas.
26 Les départs vers les colonies sont principalement le fait de religieux missionnaires.
27 Pour le calcul effectué, se reporter à la version dactylographiée, p. 358.
28 Cette fortune moyenne a été établie d’après les déclarations de mutation étudiées et selon mes calculs qui ne prennent pas en compte les différentes déductions fiscales et qui, inversement, incluent la fortune provenant du conjoint survivant lorsque les sources le permettent.
29 Cf. de ce fait la sous-évaluation probable des actifs des agriculteurs. D’après Cornut (Paul), Contribution à la recherche de la répartition de la fortune privée en France et dans chaque département, au cours de la première moitié du xx siècle, A. Colin, 1963, p. 240, l’Ille-et-Vilaine est en 75e position pour la répartition moyenne par habitant en 1934, tandis que les autres départements bretons s’échelonnent de la 61e place (Loire-Inférieure) à la 83’ (Côtes-du-Nord).
30 Sa valeur est soit prisée c’est-à-dire estimée lors de l’inventaire soit celle correspondant à l’assurance conclue par le défunt. Sur cette source, une déduction fiscale forfaitaire est faite dont on ne tient pas compte puisque c’est la fortune dans son ensemble qui m’intéresse.
31 Celui-ci concerne à la fois les artisans mais aussi et surtout le matériel des cultivateurs et le bétail.
32 La dot est rare en fait et ne concerne que quelques rares familles de la bourgeoisie ou de la noblesse.
33 Sur la proportion d’automobiles par habitant, cf. ci-dessous p. 189.
34 Pour cette étude il n’existe pas d’éléments comparatifs avec d’autres départements, l’étude de Cornut porte sur l’ensemble des habitants et ne nous permet pas, malheureusement, de comparaison sociale.
35 Le fermage est majoritaire en Ille-et-Vilaine. Noël (Gilbert), L’Ille-et-Vilaine agricole de 1919 à 1939, mémoire de maîtrise, Rennes 2, 1976, p. 225.
36 Elles concernent 43 commerces ou petites entreprises entre 1919 et 1939 dans l’arrondissement de Vitré et 72 dans celui de Redon sans progression significative pendant les années trente. ADIV - inventaire de la série 3 U 3 et 3 U 6.
37 Terme à mettre entre guillemets étant donné que les catégories sociales qui en font partie, sont différentes par leur mode de vie, leur formation, leur statut. Et cette étude ne concerne pas les 2/3 des décédés qui n’ont pas de succession supérieure à 200 F.
38 Les industriels possèdent un peu plus de terres que les négociants.
39 Pour l’ensemble de l’échantillon, le rapport est de 1 à 40.
40 Celui-ci est constitué de l’immobilier (19 %), de l’usine ou du fonds de commerce (42 %), des créances commerciales (13 %).
41 Ils sont pratiquement les seuls à avoir fréquenté les collèges religieux, les lycées, voire l’Université où ils se retrouvent entre eux.
42 Daumard (Adeline), Les bourgeois..., op. cit., p. 35-68 et 261-264.
43 Cf. le numéro spécial de Vingtième siècle (janvier 1993) sur les classes moyennes.
44 Daumard (Adeline), Les bourgeois..., op. cit., p. 51 et suivantes.
45 Dans le cas des commerçants et artisans, il s’agit principalement de leur fonds de commerce qui constitue environ 37 % de leur fortune.
46 Il comprend leur matériel agricole, leur bétail voire les récoltes; tous ces éléments sont souvent regroupés sur les registres sans que l’on puisse connaître la valeur des uns et des autres.
47 En outre à partir du milieu des années vingt, ils ont systématiquement un compte courant.
48 O.E., 22 juin 1919.
49 O.E. 3 juillet 1919.
50 Plusieurs lois fragmentaires se sont succédé de 1894 à 1912 en attendant une loi du 5 décembre 1922 qui codifie les précédentes et donne leur statut aux HBM ; Coutard (Jean), Les Habitations à bon marché : leur but, leur organisation, leurs résultats, Paris, 1937, thèse de Droit, p. 1-6. ADIV - 1 Na : procès-verbaux du Conseil général en 1921.
51 ADIV -2 X 65 M : résultat global de l’enquête de 1922.
52 Sont également prévus une cave, un grenier, des toilettes intérieures, des cheminées dans toutes les pièces. Un confort moderne est ainsi proposé. ADIV - 2 X 65M: descriptif de la société « Rey frères » à Montreuil-sur-Ille, 26 juin 1922.
53 ADIV - 2 X 65 M : rapport du président de l’office départemental d’HBM du 21 juillet 1924.
54 ADIV -2 X 65 M : rapport du président de l’office départemental des HBM (août 1933). Notons que les familles ouvrières sont statistiquement plus grandes dans les campagnes (5,2 personnes par logement) que dans les villes (4,4).
55 Il en est souvent de même en ville.
56 La plupart des fermes ont été construites avant 1870.
57 Et encore ne s’agit-il pas des plus défavorisés puisqu’ils font l’objet d’une déclaration.
58 ADIV-3 Q 15/424.
59 ADIV-3 Q 13/493.
60 ADIV - 1 Na : procès-verbaux du Conseil général de 1920.
61 ADIV - 2 Per 159, ont été consultées les années 1921, 1923 et 1938. Ce carnet et ce rite social ne sont pas particuliers à l’Ille-et-Vilaine, cf. Daumard (A.), Les bourgeois et la bourgeoisie en France, Aubier, 1987, p. 292.
62 ADIV - 60 (Ma 13) : grèves de 1920-1921. Il s’agit d’un budget établi par le secrétaire du syndicat de l’industrie du bâtiment à l’occasion de discussion sur les salaires lors de grèves en mars 1920. Le document présente les coûts en mars 1919 et mars 1920 pour les mêmes quantités de produits. Nous n’avons retenu ici que l’exemple de mars 1920. Le budget de 1924 est repris de L’Aurore d’Ille-et- Vilaine, 21 juin 1924 et a été établi par les agents municipaux de Fougères. Celui de 1930 est le résultat d’un travail de la commission régionale d’études relatives au coût de la vie (Rennes). Dans les trois cas, ce sont des budgets pour une famille de quatre personnes. Leblanc (Fabrice), Conditions de vie et mode de vie des ouvriers en Ille-et-Vilaine (1919-1929), 1989, mémoire de maîtrise, Rennes 2, p. 43-50.
63 En France, en 1937, la part de l’alimentation dans une famille ouvrière est de 60 %; à Toulouse, à la même date, elle est de l’ordre de 55-56 %. Delpech (Henry), Recherches sur le niveau de vie et les habitudes de consommation (Toulouse, 1936-1938), Paris, Sirey, 1938, p. 65-72.
64 La consommation de pain par personne et par an est à peu près dans la moyenne nationale qui en 1920 est de 229 kg par personne et par an ; ici au pain il faudrait ajouter la consommation de galettes de blé noir.
65 Les poissons en provenance de Dieppe et Boulogne mettent 24 heures à arriver dans le département et d’Arcachon 36 heures. ADIV- 1 Z 511 : circulaire n°1237 du 10 juillet 1924, cartes du transport de la marée.
66 Fillaut (Thierry), Alcool, alcoolisation et alcoolisme en Bretagne (1852-1980), thèse d’État, Rennes 2, 1987, p. 360 et suivantes.
67 Id., p. 368 et p. 400-401.
68 Id, p. 457.
69 Perrot (Marguerite), Le mode de vie des familles bourgeoises (1873-1953), PFNSP, « Références », 2e édition 1982, p. 178-179.
70 D’après les recensements de 1921 et de 1936 ainsi que les déclarations de mutation où un legs est souvent fait en leur faveur surtout s’il s’agit de domestiques employés depuis longtemps dans la famille.
71 Recensement de 1936 du canton de La Guerche.
72 Dans une province où le réseau ferré à voie métrique est le plus dense, l’Ille-et-Vilaine a le plus long réseau avec 516 km de voies vers 1924/1928 ; Hulot (R.), « Les tramways dans la région malouine et en Ille-et-Vilaine», Société d’histoire et d’archéologie de Saint-Malo, annales, 1987, p. 200.
73 ADIV - S : immatriculation d’automobiles (1913-1923).
74 ADIV - 18 W 20 : il s’agit d’une enquête datant du 15 janvier 1941 recensant les automobiles, les camionnettes et les tracteurs. On a calculé le nombre d’automobiles pour 10 000 habitants par canton, voire par ville.
75 ADIV - Annuaire d’Ille-et-Vilaine de 1921, 1925 et 1937.
76 ADIV - 4 M 306 : registre des étrangers.
77 Gay-Lescot (Jean-Louis), Le développement du mouvement associatif sportif et de l’éducation physique en Ille-et-Vilaine de 1870 à 1939, Rennes, thèse de 3e cycle, 1985, 299 p.
78 Cf. ci-dessus chapitre 3, p. 120-121.
79 Gay-Lescot (J.-L.), op. cit.. p. 212-217.
80 Soit trois ans après l’ouverture du magasin ; en revanche, le basket ne connaît qu’une diffusion restreinte et le rugby n’a qu’une seule équipe à Rennes depuis 1922. Guénée (Michèle), Les loisirs à Rennes durant l’entre-deux-guerres, mémoire de maîtrise, Rennes2, 1988, p. 50.
81 En 1921, il n’existe en France que 21 piscines couvertes chauffées contre 467 au Royaume-Uni et 591 en Allemagne.
82 Il est déjà à l’origine de nombreux projets de construction comme le Palais du Commerce, toujours perçus par ses concitoyens comme grandioses. Il ne voit pas la piscine achevée puisqu’il meurt en 1923.
83 Il existe des sociétés spécialisées comme le Cercle des nageurs rennais ou le Comité de Bretagne de natation.
84 ADIV - 1 T(P) 3 : rapport de l’inspecteur d’académie.
85 ADIV - 1 Z 511 : arrêté préfectoral du 22 juin 1926 autorisant l’Automobile-club de l’Ouest à organiser cette course.
86 Le Rennais, 5 août 1933.
87 Guénée (M.), op. cit. et AMR - RX 120 à 155 : théâtre municipal.
88 Composée d’une douzaine de personnes ; cette troupe se renouvelle par moitié chaque année, en particulier les premiers rôles ne restent guère plus de deux ans à Rennes qui ne peut leur offrir de réelles possibilités de carrière. Parfois, pour certaines représentations d’opéra, on fait venir certains premiers rôles de l’Opéra de Paris, tel le ténor Georges Thill qui vient chanter Werther en février 1936 (Les Nouvelles Rennaises, 20 février 1936).
89 Les opéras représentés sont presque uniquement des opéras français (Gounod, Massenet principalement) et rarement étrangers. Les seuls compositeurs étrangers fréquemment représentés sont Verdi avec La Traviata, Puccini avec La Bohême, chantés en français comme c’est d’ailleurs l’habitude à cette époque y compris à l’Opéra de Paris.
90 En 1919, le prix des places pour une comédie varie de l,10F à 6 F et pour un opéra de 1,30 à 10 F. Puis, l’écart entre les places les moins chères et les plus chères varie de 1 à 6 ou 7 (de 2F à 13,50 F en 1937/1938 par exemple).
91 ADIV - 4 M 56 à 67 : rapports de police de 1919 à 1927.
92 Au théâtre et encore plus pour les opéras, si les spectateurs y vont pour la représentation en elle- même, une bonne partie d’entre eux vient aussi pour « paraître ».
93 La pièce se déroule dans cette « terre des prêtres » qu’est le Léon. Dans une ferme, un fils est prêtre et sa sœur célibataire est enceinte d’un prêtre. Pour que le scandale n’atteigne pas l’Église, la fille devra se marier avec le domestique alcoolique de la ferme. Tous acceptent cette « solution » pour « sauver » l’Église. Le soir de ses noces, le gendre, ivre, tue sa belle-mère. Un drame a eu lieu mais l’Église n’est pas touchée par le scandale.
94 OE, 29 novembre 1933 et Le Nouvelliste du Dimanche, 26 novembre 1933.
95 Le Semeur, 18 novembre 1933 et L’Aurore, 25 novembre 1933.
96 Ce qui était inexact. Les Nouvelles Rennaises, 30 novembre 1933.
97 ADIV -4 M 306 : contrôle des étrangers (1919).
98 ADIV - 1 Z 564 : rapport du commissaire spécial à Saint-Malo (4 août 1926).
99 ADIV - 1 Z 564 : rapport du commissaire spécial de Saint-Malo (20 juillet 1926).
100 ADIV - 1 Z 564 : rapport du commissaire spécial de Saint-Malo (3 juillet 1925).
101 Le grand-duc Cyrille de Russie, prétendant depuis la mort de Nicolas II, s’est installé à Saint- Briac ; il est également le frère de la reine de Roumanie. Il réside alternativement à Saint-Briac et à Neuilly où il meurt en 1938.
102 ADIV - 1 Z 536 : rapport de police d’octobre 1924 à octobre 1931.
103 Un complexe s’ouvre comprenant le casino, un théâtre, une salle des fêtes, un hammam, et un balneum. On assiste aussi à une volonté de modernisation à Saint-Malo; pour la saison de 1929 avec l’aménagement d’un théâtre de 900 places et le recrutement d’artistes. ADIV - 1 Z 536: de l’exploitation éventuelle des jeux au Casino-Balneum de Dinard (1928) et ADIV - 1 Z 537: rapport de police sur le casino de Saint-Malo le 17 octobre 1929.
104 AN - F7 12 759 : rapport de police du 30 novembre 1929.
105 Pour l’année 1930, si le nombre de touristes est équivalent à celui de l’année 1929, en revanche leurs dépenses sont plus faibles et les recettes des casinos sont inférieures de 50 % à celles de 1929 à la même époque ; avec l’hiver 1931, ce sont les Britanniques qui font défaut en raison de la dévaluation de la livre intervenue en septembre, aggravant les difficultés de la zone côtière. AN - F 12 761, 12 762 et 12 763 : rapports de police des 30 juin 1930, 31 juillet 1930, 1er septembre 1930 et 2 janvier 1931.
106 AN - F7 13 034 : rapport du commissaire spécial de Saint-Malo du 2 septembre et du 4 octobre 1933.
107 Celle-ci ne peut plus lui offrir des prestations équivalentes à celles d’avant la crise en grande partie à cause des frais engagés juste auparavant et que les investisseurs n’ont pu amortir.
108 ADIV - 3 M 389 : rapport du sous-préfet de Saint-Malo du 31 août 1937.
109 ADIV - 1 Na : rapport de l’inspecteur primaire de 1919.
110 Le 14 juillet était un lundi.
111 OE, 7 juillet 1919. Le banquet républicain, civique est une affaire d’hommes comme la guerre d’où le caractère exceptionnel de la présence des femmes qui est ici souligné.
112 Bruz, Saint-Père, Saint-Broladre où il est baptisé « chêne de la Liberté », Saint-Médard-sur-Ille et Vitré d’après OE de juillet et août 1919.
113 OE, 10 juillet et 13 juillet 1919. On peut le mettre en parallèle avec le défilé de la Victoire à Paris ouvert par les invalides de guerre.
114 Hélias (Yves), Les monuments aux morts: essai de sémiologie politique, DEA d’études politiques, RennesI, 1977, 195 p. et mes propres pérégrinations.
115 La Semaine Religieuse, 1919.
116 Hélias (Yves), op. cit., p. 7.
117 ADIV - 6 Z 48 : monument aux morts de la sous-préfecture de Vitré (1916-1923). Antoine Prost dans sa thèse montre que la loi du 25 octobre 1919 sur « la commémoration et la glorification des morts pour la France au cours de la grande guerre », n’oblige nullement les communes à dresser un monument ; Prost (Antoine), Les Anciens Combattants et la société française (1914-1930), PFNSP, 1977, vol.3 : Mentalités et idéologie, p. 39.
118 La dépense est de 248 352 F et nécessite un emprunt. Le Panthéon est dressé au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Ville. OE, 20 septembre 1919 et AMR- délibérations du conseil municipal. La ville a déjà un monument aux morts dressé aux abords du Champ de Mars où se déroulent manœuvres et défilés militaires (3 casernes sont à proximité immédiate de ce terrain proche du centre ville). II a été dressé à la mémoire des combattants de la guerre 1870-1871.
119 104 monuments étudiés par moi-même et 111 par Hélias (Y.), op. cit., p. 9 et annexe n°1, mais 26 forment doublon.
120 Prost (Antoine), op. cit., vol. 3 : p. 41 et suivantes.
121 Théoriquement, les municipalités doivent respecter la loi de Séparation, les projets ne doivent comporter « aucun emblème religieux lorsque le monument doit être élevé sur une place publique ».
ADIV-6 Z 48.
122 Cela semble le cas pour les croix latines sur les obélisques où elles ont dû paraître «naturelles » à l’époque.
123 À Le Ferré (canton de Louvigné-du-Désert), Le Pertre (canton d’Argentré-du-Plessis), Vitré, Saint- Grégoire près de Rennes, Irodouër (canton de Bécherel).
124 À Saint-Georges-de-Reintembault, Saint-Jean-sur-Couësnon et Saint-Étienne-en-Coglès, au nord- est, où manifestement les statues sont rigoureusement identiques et proviennent du même fabricant.
125 A Balazé, le préfet s’y oppose, mais la municipalité ne cède pas et finalement la croix est élevée dans le bourg sur un bout de terrain appartenant à une vicomtesse (bail de 99 ans) ; la municipalité ne reçut pas de subvention. ADIV - 6 Z 48.
126 C’est là une différence essentielle avec les Résistants dont l’engagement est individuel, volontaire; l’individu y est valorisé.
127 Hélias (Y.), op. cit.. p. 87-95.
128 Sur les monuments aux morts de Quédillac et de Lécousse par exemple. Ces vers sont extraits du poème « Hymne » dans Les Chants du crépuscule, 3.
129 Dont ceux de Champeaux, Taillis, La dans l’arrondissement de Vitré.
130 Hélias (Yves), op. cit., p. 47.
131 Prost (Antoine), op. cit., vol.1 : Histoire, p. 7-46.
132 Prost (Antoine), op. cit., vol.1 : p. 58-60.
133 Pour montrer le quadrillage de l’UNC, Prost prend l’Ille-et-Vilaine en exemple; cf. Prost (A.), op. cit., vol.2 ; Sociologie, p. 68-70.
134 OE, 12 mars et 4 septembre 1919.
135 D’après L’annuaire des Anciens Combattants et Victimes de guerre de 1932, cité par Prost (A.), op. cit., vol.2 : p. 68.
136 OE, 11 juillet 1919. L’ARAC au lendemain de la guerre prend des positions internationalistes et au milieu des années vingt, elle est contrôlée par le PCF ; cf. Prost (A.), op. cit., vol.1 : p. 72 et 102.
137 Prost (A.), op. cit., p. 77.
138 Le Nouvelliste de Bretagne, 5 février 1934.
139 Idem, 9 février 1934.
140 Ci-dessus chapitre 1, p. 58-59.
141 Les Nouvelles Rennaises, 8 mars 1934.
142 Namer (Gérard), Mémoire et société, éd. Méridiens Klincksieck, 1987, p. 233.
143 L’attitude des Anciens Combattants d’Ille-et-Vilaine ne se distingue pas de celle de l’ensemble des Anciens Combattants français ; cf. Prost (Antoine), op. cit., vol.3 : p. 52-62.
144 Les Nouvelles Rennaises, 14 novembre 1935.
145 Sans que l’on puisse discerner l’impact réel de prises de position manifestement partisanes et n’allant guère dans le sens du rassemblement.
146 Devant les morts pas de divergence idéologique, de problèmes d’associations d’Anciens Combattants.
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