Chapitre IV. Pourquoi châtier ?
p. 173-204
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Texte intégral
Restituer un équilibre
L'apaisement social par une compensation équitable
1Le premier souci de la justice coutumière est l'apaisement du corps social par la compensation qu'apporte le criminel à tous ceux que son acte a pu léser. On a vu que cette volonté déterminait le type de pénalités, de l'amende pécuniaire à l'amende honorable, et qu'elle soutendait également l'application de la loi du talion. Celui qui ne peut éteindre la vengeance légitime des victimes par la somme d'argent prévue par la loi doit « rendre le poing ». Cette mutilation compensera celle qu'il a infligée à une famille en la privant d'un des siens ; certaines coutumes exigent tête pour tête en cas de meurtre.
2La justice, quelle qu'elle soit, doit être rendue dans cette optique d'une absolue équité dans la compensation. Quand Philippe de Beaumanoir évoque les arbitrages, donnés parallèlement aux sentences des tribunaux seigneuriaux ou royaux, il insiste déjà sur la nécessité d'un tel équilibre pour réussir ces apaisements entre parties. Prenant l'exemple d'un bourgeois qui avait « vilené un autre en tele maniere qu'il li ocist son palefroi dessous lui et le bati sans mort et sans mehaing », il expose les termes de la paix conclue par les trois arbitres nommés pour en souligner le caractère excessif. Comme lesdits arbitres n'ont agi ni « selonc droit ne selonc pitié », ils ont imposé en effet une compensation trop exigeante : ils commandaient à l'agresseur trois pèlerinages, l'un à Saint-Jacques, le second à Saint-Gilles, le troisième à Jérusalem où il devait rester trois ans, et lui extorquaient trois cents livres ainsi qu'un serment d'allégeance proche de l'entrée en servitude. L'arbitrage, qualifié « d'outrageuse ordonnance », « pleine de cruautet haineuse », ne reçut pas l'aval de la cour qui ramena la querelle « a estimacion de loial jugement, c'est à savoir que cil qui fist la vilenie l'amenda a celi à qui il la fist et li rendi ses damages de son palefroi qu'il avoit ocis ; et si l'amenda au seigneur de soixante livres et fu fes asseurements entre les parties »1.De la sorte, Beaumanoir fait valoir la bonne justice délivrée par les autorités princières par contraste avec une médiocre résolution des conflits, entachée de parti pris.
3Le but qu'assigne de même Jean Boutillier à la justice reste empreint de pacification et de modération. Pour cela « la peine (doit) estre entendue en la moins aspre partie par le juge car selon le Sage, justice sans miséricorde est trop dure chose et miséricorde sans justice est trop lasche chose »2.
4C'est encore la volonté de ne pas compromettre à jamais un équilibre social qui conduit les juges médiévaux à une très grande prudence qu'exprime clairement le Grand Coutumier de France : « Les jugemens sont doub- teux, et doit l'en toujours plus estre enclin à absolution que à condempnation ; et vauldroit mieulx espargner deux coulpables que punir ung innocent »3.
La purification nécessaire
5Cependant que pareille réflexion soutend l'action des juges, juristes et théoriciens politiques développent l'idée d'une justice rétributive qui se doit d'appliquer à chaque coupable une peine4. À chacun son droit, donc à chaque criminel sa peine. C'est un devoir de bon gouvernement de la part des autorités, c'est également une exigence d'efficacité.
6La justice qui distribue les pénalités apparaît ici comme l'auxiliaire indispensable du pouvoir politique. Elle endosse un rôle plus grave que le simple maintien de l'équilibre social, celui de délivrer société et espace des éléments nocifs, malsains. Comme le souligne Claude Gauvard, les termes de purification prennent une ampleur inégalée jusque-là dans le vocabulaire des juristes, qui confondent volontiers péché et crime5. Le mode de sanction appliqué à quelques crimes contre nature répond parfaitement à cette définition : quand on brûle les sodomites et que l'on associe dans les flammes les hommes coupables de bestialité et les animaux qu'ils ont choisis pour partenaires, quand on réduit en cendre les sorciers ou sorcières, les peines prononcées visent à purifier la communauté chrétienne de ceux qui ne contribuent qu'à la vicier et dont le corps mérite d'être totalement éliminé parce qu'il porte en lui les traces voire les principes même du Mal. Pour les mêmes raisons on se soucie d'imposer à des cadavres des exécutions significatives. En 1373, Metz se débarrasse par le feu de plusieurs sorciers et sorcières accusés d'avoir fait « des veulz et des diablerie et autre cas deffendus par saincte Eglise ». L'un des inculpés se pend dans sa prison mais cela ne lui épargne pas le supplice mérité par son crime. Philippe de Vigneulles explique comment, lorsqu'on « le trouva mors, il fut lié et trainné jusques en l'isle du Pont des Mors, et illec, ainsy tout mors, fut lié à ung paulx et fut brullés et ars comme les aultre »6. Dans la répression des Turlupins, secte hérétique, voisine des Vaudois, que condamna Grégoire XI et que pourchassèrent les tribunaux du roi Charles V, on trouve un épisode illustrant bien l'aspect purificateur que l'on veut donner à la sanction pénale. En effet, l'un de ces hérétiques meurt en prison « avant que avoir sa santance ». On imagine alors de conserver le corps jusqu'à ce qu'il soit possible de terminer le procès. Pour ce faire on n'hésite pas à le garder quinze jours et « affin que le corps ne pourist » on le met dans de la chaux. À l'issue de ce délai, « fut le corps jugiés d'estre airs et brullé »7.
7Le sentiment que le Malin peut s'insinuer en tout être pour le pousser à des actes criminels préside à ces curieux procès faits à des animaux. Le registre de Saint-Martin-des-Champs signale ainsi une truie traînée et pendue pour avoir causé la mort d'un enfant, ainsi qu'un cheval qui pour semblable cause est condamné en justice. Son maître ayant eu soin de l'éloigner de la juridiction de Saint-Martin c'est en effigie que les gens de Saint-Martin le traînent et le pendent aux fourches à Noisy-le-Grand8. Ces étranges pratiques se situent plutôt dans la première moitié du xive siècle, mais on en rencontre mention en Bourgogne au xve siècle.
8Le souci d'apaiser la colère divine en punissant le criminel-pécheur se manifeste également dans les pénalités infligées aux suicidés. On a vu que les instructions ouvertes en cas de suicide portaient sur l'état mental du défunt et que l'on ne décidait aucune sanction lorsque la défaillance d'esprit de celui-ci était attestée. Dans le cas contraire le cadavre de celui qui a été criminel envers lui-même reçoit même peine qu'un meurtrier : l'infamie d'être traîné puis pendu. C'est le sort qui échoit à un nommé Jehan Marceau, vieil homme, bonnetier de son état, qui a été trouvé pendu chez lui, rue Saint-Denis, le 6 juin 1465. Dépendu, le corps est transporté au Châtelet pour y subir l'examen des médecins. Leur rapport suffit à confirmer le suicide et là dépouille est alors envoyée au gibet de Paris9. Un ancien messager de Metz, âgé de plus de soixante-cinq ans, Jehan Robert commet un suicide identique en 1484. Le chroniqueur insiste sur l'absence flagrante de motifs qui l'auraient poussé à se détruire. Riche homme « à qui ne falloit riens, il n'a pu agir ainsi que par tentation de l'Ennemi ». La justice se montre expéditive : le jour même il est traîné « hors de sa maison par dessoubz le pas de son huis, et puis — trainnés au gibet et pendus avec les aultres »10.
9Les sanctions pénales seraient-elles l'expression d'une condamnation de Dieu ? Il est certain que les exécutions judiciaires conservent à la fin du Moyen Âge l'aspect de quelques ordalies des temps plus reculés. La noyade par exemple fait référence à ces années du xiie siècle où l'on jetait à l'eau, pieds et poings liés les coupables présumés. Si l'eau les rejetait, s'ils ne coulaient pas, le signe de leur culpabilité apparaissait. Une telle épreuve de l'eau figure dans le De vita sua de Guibert de Nogent qui relate comment ce jugement de Dieu permit en 1119, de démasquer le voleur du trésor de Notre-Dame de Laon qui n'était autre que son gardien laïc, Anseau11.
10En réalité l'ordalie ne constitue pas une peine judiciaire, car elle vient avant l'inculpation pour déterminer la responsabilité d'un suspect. Aussi est-elle avantageusement remplacée, dès le règne de Saint-Louis par l'enquête et le recours aux témoins, du moins dans l'espace du domaine royal puisque les juridictions seigneuriales continuent à l'utiliser. Toutefois, même si l'on abandonne le jugement de Dieu, on conserve le sentiment que Dieu préside aux exécutions et supervise leur déroulement. C'est pourquoi, tout incident de parcours, tout obstacle imprévu dressé contre l'accomplissement habituel de la cérémonie punitive se comprend comme une intervention divine favorable au condamné et lui vaut une grâce immédiate. Louis-Théo Maes, traitant de la situation malinoise aux xive et xve siècles, propose pour cet usage une explication qui relie ce rituel « ordalique » au rituel sacro-païen du droit germanique. L'influence du christianisme aurait à peine atténué cette conception d'un criminel impur que l'on sacrifie à l'apaisement divin. À tel point que l'exécution réussie a pu signifier l'acceptation de la sentence par Dieu, ce qui a conduit certaines personnes à recueillir des éléments du corps ou des habits des suppliciés ou bien la corde de la pendaison tels des phylactères ou, plus fréquemment comme des moyens de pratiquer la sorcellerie12.
Protéger la société
11Outre ces premières considérations qui conduisent tantôt à modérer les peines par désir de pacification, tantôt à les cibler sur certains crimes dotés d'une valeur peccamineuse exemplaire, les mesures pénales visent bien à protéger la société civile autant que la société chrétienne.
« Les mauvais garçons »
12La protection passe par l'éviction d'éléments pernicieux et dangereux. Les termes sont sans ambiguité. Dans le Coutumier d'Artois, comme dans le Grand Coutumier de France, les juristes emploient le verbe « nettoyer » pour désigner l'œuvre essentielle de la justice. « Il appartient à l'office de toute loial justice, de netoier sa province et sa juridiction de mauvaises hommes et de mauvaises femmes »13. Jacques d'Ableiges considère que « si gens sont oiseux ou taverniers (c'est-à-dire piliers de taverne), la justice Les doit prendre et getter hors de la cité, car à la justice appartient de punir et de nettoyer les cités de telles gens »14.
13C'est supposer qu'il existe des gens irrécupérables pour la société dont il convient de se débarrasser d'une manière ou d'une autre. La définition du mauvais sujet se trouve dans de nombreux documents judiciaires. Au fil des témoignages on apprend que tel passe pour « noiseux »auprès de ses voisins, que tel autre s'enivre continuellement au point de multiplier les blasphèmes et les violences, que telle femme bafoue régulièrement les principes de la pruderie et de l'honneur.
14Les enquêtes de moralité aboutissent à la conclusion que celui qui s'est manifesté comme un délinquant, sinon un criminel et qui se voit traduit devant les tribunaux pour quelque affaire porte en lui les prédispositions au Mal parce qu'il ne respecte guère une morale convenue. Cette morale comporte des obligations de soumission à l'autorité hiérarchique, de modestie dans le maintien et les propos. On peut reconnaître les racines d'un dévoiement dans un enfant qui ne respecterait pas ses parents. Une ribaude de Dijon fait l'unanimité contre elle car dès l'enfance - précisent certains voisins, elle n'a jamais réjoui ses parents et ne valait rien avant qu'elle fut mariée15.De même le portrait que font les témoins du nommé Bertrand, impliqué dans une affaire de vol aggravé, s'avère celui d'un « fils désobéissant à sa mere en tout cas ». Il l'a menacé de mort, et ne cesse quotidiennement de proférer à son égard16 des paroles « deshonnestes... en la tutoyant, menassant, appelant vieille »16.
15Les sentences qui frappent de telles personnes servent à protéger les contemporains de ces mauvais garçons. À Metz, en 1492, une bande organisée en abbaye de jeunesse, dite de « Mal Gouverne », mérite pour ses méfaits divers les sanctions des juges communaux. Après une rixe sanglante, de nuit, dans les rues de la ville, les participants sont condamnés à l'amende honorable, mais comme ils apparaissent encore rebelles à l'exécution de cette peine, on exige d'eux cent vingt livres d'amende ou la perte d'un poing ainsi que la prise en charge des frais du barbier pour soigner les blessés victimes de leur violence. Parmi ces jeunes criminels se rencontrent les fils des plus notables de la cité, « gens de bonne maison »17.
L'expulsion
16La solution adoptée, hormis ces compensations, passe souvent par l'expulsion des indésirables. Le bannissement débarrasse la ville de Metz d'un compagnon parce qu'il s'était moqué d'une bonne prude femme. Son absence de respect pour la morale publique fait de lui un brandon de discorde, l'occasion d'un ébranlement social ; il représente une menace réelle pour l'ordre établi. Son éviction reçoit l'approbation des juges car d'autres manquements à la morale familiale le condamnent et le classent dans la catégorie des mauvais garçons : il s'avère que « aultre fois avoit batus son perre »18.
17Le système toutefois repousse les dangers hors de la ville, de la seigneurie ou de l'État pour les faire ressurgir ailleurs. Hanna Zaremska19 analyse, à partir d'exemples polonais et allemands, les conséquences des bannissements sur la formation de bandes de pillards ou de meurtriers, véritables professionnels du crime, voués à l'errance et à la marginalité par la sentence de proscription. Elle découvre également les prémices de l'unification politique à travers l'unité de droit qui associe plusieurs villes ou plusieurs seigneuries dans l'application de la même sentence. Des villes de Flandre ou d'Allemagne se communiquent en effet la liste de leurs bannis de façon à réduire les risques criminogènes de ces marginaux ; d'autres, formant déjà un groupe économique puissant au sein de la Hanse, adoptent une politique commune de défense et, publiant les méfaits commis dans les villes partenaires, se proposent d'appliquer le verdict sur un plus large espace que celui de la juridiction d'origine. La tendance à un contrôle efficace des indésirables s'affirme dès le xiiie siècle. En France, comme en Angleterre, ces progrès suivent ceux de « l'interventionisme » de la justice royale.
Abatis et arsin de maison
18Dans les chartes de communes, une clause prévoit le sort des personnes qui ne peuvent se soumettre à la discipline de paix interne ou qui refusent de s'amender pour un crime. L'expulsion ne suffit ni à compenser le dol, ni à rassurer pleinement les membres de la communauté qui se sont juré la paix. Aussi tout récalcitrant, considéré comme dangereux se voit rayé du nombre des habitants, exclu selon une procédure lourde de sens. Pour oublier tout de lui et anéantir ce qui justifiait sa participation à la cité, on procède avec l'aide d'un grand nombre des hommes de la Paix, à la destruction de ses biens par la démolition ou par le feu : l'abatis ou l'arsin de maison20. À Laon cette sorte d'excommunication civile doublée d'une vengeance collective s'est appliquée, au xiie siècle, à des familles entières, la proscription concernant tous ceux qui dépendent financièrement du coupable à l'exception de ses serviteurs salariés. À partir des usages germaniques où il était déjà connu comme adjuvant d'une mise hors la loi, l'abatis s'est prolongé dans le droit municipal des villes de commune du Nord. Il concerne à Arras le criminel qui, semons par la justice, refuse de comparaître devant les échevins et que les hommes de la ville peuvent aller débusquer chez lui. À cette occasion, sans encourir l'inculpation pour forfait, « viri Attrebatenses domum ejus,... si voluerint prosternere possunt »21. On le retrouve mentionné dans les Coutumes de Calais, en 1317, il vise plutôt alors les étrangers ou forains qui auraient méfait à l'encontre d'un bourgeois ou d'une bourgeoise. Si le coupable ne vient pas amender la villenie « dedenz huit jours »... « cil de (la) dite ville porront aler abatre sa meson et sera sang forfait et sanz amende »22. Une clause à peu près identique figure dans la keure d'Aire-sur-la-Lys, en 1374, et insiste sur l'aspect communautaire de la procédure, qui met en œuvre une justice populaire directe, « les maire, eschevins et communauté » allant ensemble abattre la maison du forain inculpé. Le bailli de la châtellenie associera même le châtelain à cette éviction du trublion en donnant le premier coup23. Pourtant le système de l'abatis ne reste pas circonscrit aux pays du Nord, Flandre, Artois, Calaisis. On le trouve prévu dans les Établissements de Rouen, ainsi que par les Établissements de Saint-Louis (II, 36)24. Beaumanoir y fait allusion à propos de ceux qui, en Beauvaisis, accueillent un banni : « qui reçoite le banni de son seigneur sur la hart, il desert qu'on li abate sa meson... »25. Dans la région parisienne, L'abatis accompagne la peine capitale dans quelques cas d'homicide.
19Il apparaît de façon épisodique aux xiie et xiiie siècles dans le droit pénal des villes de consulat du Midi mais son emploi est là plutôt réservé aux hérétiques cathares, selon la même volonté d'éradication totale des coupables et de leur présence dans la communauté. S'il semble s'éclipser au xiiie siècle dans les pays du sud et du sud-ouest de la France, on vérifie au contraire sa pérénnité au xve siècle dans certaines juridictions septentrionales. L'exécution de Jean Hardi en 1474, écartelé, dépecé, puis mis en cendre révèle assez l'acharnement que l'on a mis à réduire à néant, ce corps criminel. L'obstination à détruire complètement, les traces de son existence en tant que manant et propriétaire paraît assez frénétique, selon le rapport des chroniqueurs. On y lit en effet que ses « maisons furent raiées, rompues et arachées de fon en fons, sans aulcuns esperances de restaublissement »26, où que « mesmement le lieu de sa nativité (fut) gecté par terre, sans jamais y estre faict edifice »27. La pénalité vise donc à l'effacement perpétuel de la qualité sociale du criminel qui se trouve comme rayé du Livre de Vie de la société. En fait les juges médiévaux ne font là que reprendre les peines prévues pour trahison (prodosia) dans la Grèce antique. Relayant ce procédé de l'abatis, l'arsin consiste à détruire par le feu les biens immobiliers des criminels. Dans la keure de Bergues, il est conçu comme une peine en soi, sans que le bannissement le complète. Il punit celui qui aura hébergé un banni28, ou celui qui aura tenu taverne hors de l'oppidum de Bergues29.
Censure
20Le danger de désordre et de violence que le refus d'une discipline commune introduit dans la société, les autorités le découvre également dans les propos qui sont échangés entre les habitants. Au fil des derniers siècles du Moyen Âge se précise un nouveau type de crime : un crime de parole qui consiste à émettre des jugements sur des supérieurs, sur des personnes publiques, et sur des institutions consacrées par l'usage. De « périlleux parleurs » ont l'audace de faire connaître à autrui leur conception personnelle de la morale, de la politique, de la religion. Ce discours comporte déjà par son caractère individuel des ferments de division car il se superpose à une parole commune, apprise et répétée, collective et conforme à un schéma préétabli. De tels criminels se reconnaissent facilement par leurs exagérations : excès d'intensité sonore, ils parlent plus haut, plus fort que les autres, « moult haultement et outralgeusement », jusqu'à crier et brailler, avec, à l'appui, force insultes ou blasphèmes. Excès de paroles ; leur débit les distinguent — soit qu'ils répètent inlassablement des injures à l'adresse des mêmes victimes, soit qu'ils engagent des discours politiques dans les assemblées. Les excès de paroles deviennent crimes, enfin, par le contenu subversif des propos tenus. Celui-ci se révèle à l'emploi systématique de formules irrévérencieuses pour la hiérarchie, l'usage du tutoiement là où le vous respectueux s'impose, les emprunts au vocabulaire scatologique qui remplacent les titres et les grades habituellement conférés aux personnes d'importance, l'oubli des marques de révérence afin de nier la place de l'autorité.
21Le mot de sédition qualifie souvent le crime de ces bavards imprudents. Alors que l'État monarchique ou princier se construit chaque jour plus fermement, une telle déviance devient plus lourde de conséquences. Il faut - consignent les textes, « doubter que telz gens fussent bien pretz de fere une sedicion et commotion de peuple s'ilz avaient gens de leur voulenté »30. On attribue les propos condamnés à un « mauvais courage », à des intentions perverses. Le terme « felonnement » qualifie la manière dont le coupable a proféré ses paroles. Celui-ci se voit décerner les traits d'un « homme séditieux, noiseux, et plain de malvais langage »31.
22En conséquence des pénalités sévères s'abattent sur de tels coupables. La législation sur les blasphèmes prévoit des peines symboliques et analogiques. Philippe Auguste, Louis IX, Philippe le Bel, puis les rois Valois ont fait châtier les criminels de ce type par l'aménagement d'amputations progressives, correspondant aux réitérations du même méfait. La langue, l'organe coupable, est celui que l'on mutile : percement, coupe, excision, quand ce ne sont pas les lèvres sur lesquelles on applique un fer chaud. Ces supplices sont partagés par les responsables de discours séditieux, bien que les mutilations ne soient pas aussi systématiques dans de tels cas. Tout dépend de la gravité politique des propos tenus. Philippe de Vigneulles évoque un exemple extrême de la dure justice imposée à un nommé Simon, citoyen de Compiègne, qui, « trop abandonné en parolle », a prétendu que le roi Édouard III d'Angleterre avait plus de droit à la succession du trône de France que Philippe VI de Valois. Ces paroles, en 1345, ont valeur de trahison et le coupable reçoit la peine « cruelle » correspondant à une réelle félonie. Sans délai, sans procès apparemment, il est « levé dessus ung eschauffault » et démembré vif. « Premierement il olt les bras coup- pés, puis après les jambes et les cuisses, et finablement fut decapité »32.
23L'élimination totale du maugréeur impénitent vise à sauver l'ensemble de la société d'une éventuelle vengeance divine. Le raisonnement vaut encore en 1520, quand François 1er interdit les assemblées et danses publiques aux jours de fêtes dans le diocèse de Meaux, sous prétexte qu'elles sont l'occasion de plusieurs crimes et débordements « par lesquelles Dieu notre createur (est) grandement offencé... qui peuvent provoquer l'ire de nostre createur, à permettre mortallitez, guerres et famines »33.
24Le mauvais parleur qui critique l'ordre étatique ou social fait courir un même danger à la communauté. Le crime qu'il commet justifie son éradication. Aussi la pénalité qui le frappe est très souvent le bannissement après des expositions infamantes, des pénitences publiques, ou des châtiments corporels. À Dijon, blasphémateurs et séditieux sont ensemble compris dans les mesures d'exclusion. Pour avoir dit tout haut qu'à Dijon nul n'aimait le duc de Bourgogne, qui devrait mieux se rendre en la Comté où il était plus apprécié, la femme de Jehan le Jaudelet est condamnée a être fustigée, pilorisée « par trois jours de marché, parmi la ville et à chaque carrefour et bannie perpetuellement ». Certains de ses amis s'entremettent pour lui éviter fustigation et exposition, mais le bannissement est maintenu. C'est la part essentielle de la pénalité34. Pour « d'outrageuses paroles du fait et gouvernement du roi notre Sire et de Monseigneur de Charolais », « pour certains langages et outrages à la charge de Monseigneur le Duc », « pour des paroles rigoureuses contre l'honneur de Messeigneurs les mayeur et eschevins » on bannit encore des vignerons, des ouvriers de draps, des tisserands de toile, des hommes de Dijon, ainsi que des émigrés des villages voisins35.
25Persuadées du caractère dangereusement pervers de ces gens parce qu'ils « sèment » des idées subversives, parce que, déclenchée par la seule colère, ou bien par l'étourderie voire par le désespoir de la misère, leur audace prêche d'exemple, les autorités se débarrassent des « malgracieux parleurs ». Même lorsqu'ils ne doivent qu'une amende honorable et évitent les peines corporelles, ils ne sont pas réintégrés dans la communauté mais bannis à temps ou à perpétuité. La censure s'organise à partir de la délation et peut ainsi frapper des habitants qui ont imprudemment échangé avec des voisins des propos « politiques » à l'occasion du guet, des vendanges ou des moissons, ou dans quelques tavernes. Les guerres et les crises de succession connues aux xive et xve siècles sont autant d'occasions de division et d'expressions critiques ; dans le même temps les progrès de la souveraineté royale exigent l'établissement d'un ordre moral, l'harmonisation entre la soumission religieuse et la sujetion politique. Alors que les notions de crime et de péché tendent à se confondre, les remèdes apportés au sacrilège des blasphèmes et les solutions proposées pour étouffer les paroles de rébellion sont les mêmes : il s'agit de séparer l'ivraie du bon grain, de protéger la partie saine de la société par la proscription des méchants.
Élimination physique des « méchants »
26Pour « nettoyer » un territoire de ses mauvais sujets la peine capitale reste la solution la plus sûre. Ce n'est pas cependant la réponse systématique d'une juridiction aux prises avec la croissance d'une criminalité diffuse. Quand la justice décide de pendre ou de décapiter c'est que la proscription lui semble une mesure imprudente où que les capacités criminelles du coupable lui apparaissent si évidentes qu'elles n'augurent aucun amendement de sa part.
27On pend et noie ainsi, avec précipitation, les membres des Compagnies de routiers qui ont ravagé les campagnes françaises entre 1360 et 1370. On ne saurait protéger autrement les populations de cette « gent », devenue, collectivement, une race maudite. Le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, les fait suspendre « à ung gibet que l'en fit faire et drecier tout neuf devant le grand gibet de Paris que l'en nomme Montfaucon »36.
28En distinguant l'instrument du supplice du gibet habituel, en lui donnant le nom de Happe-Pillart, les autorités signalent clairement cette fonction éliminatoire de la justice pour anéantir une catégorie d'hommes que leurs habitudes de vie ont promis depuis longtemps à une telle fin. Une réflexion revient fréquemment sous la plume des chroniqueurs lorsqu'ils relatent certaines exécutions capitales : ils présentent les condamnés comme des mauvais garçons, des « malvaix guernements » et leur mort sur l'échafaud a tout de l'accomplissement d'un destin. Pour Philippe de Vigneulles les bourgeois mutinés en 1406, à l'initiative « d'aulcuns malvais guerson du puple », reçoivent un juste traitement quand trente-six « des plus malvais » sont « noyés et destruit ». La formule qu'il affectionne, pour résumer la logique de leur situation est celle qu'il emploie à propos de la décapitation et de la mise sur la roue d'un escroc, en 1492 : « Ainsi apert que de bonne vie, bonne fin »37. Jean de Roye conçoit de la même manière la destinée de Charles de Melun. Ce personnage dont Louis XI avait fait un favori, le plaçant à la tête de l'Hôtel en qualité de grand maître, lui confiant la défense de Paris comme son lieutenant général pendant la Ligue du Bien Public, tombe en disgrâce en 1468. Démis de toutes ses fonctions, il passe en jugement pour trahison. Il semble en effet qu'il avait secrètement traité avec les princes et découragé l'attaque qui devait être lancée de Paris pour aider le roi à la bataille de Montlhéry. De plus, on soupçonnait Charles de Melun d'avoir commandité un guet-apens contre Jean Balue, évêque d'Evreux, son concurrent auprès du roi et auprès des femmes que tous deux courtisaient et débauchaient38. Contrairement à Philippe de Commynes qui innocente Charles de Melun, Jean de Roye fait de lui un portrait bien peu flatteur et justifie l'exécution de ce « criminel de lese-majesté pour aucunes forfaitures, traïsons, violences et autres crimes par luy commis et perpe- trez, lesquelz etoient sy grans et abbominables que quasi l'air seroit infect de les proferer, sans en comprandre plusieurs efforcements de femmes et filles qu'il avoit faictz... »39.
29Mettre à mort ce « Sardanapale », comme le nomme l'un de ses ennemis, devient une œuvre de salubrité publique et de protection morale de la société. Jean de Roye a ces mots terribles : « Et ne fut ledit de Meleun plainct du roy ne d'autres grans personnaiges du royaulme pour ce que on le congnoissoit fort inutile en ce monde et duquel la garde ne voloit riens. Et avoit le cueur ouvert à tous vices et clos à toutes vertus et disoient aucuns que c'estoit pain beneist de l'avoir effacé de la terre des vivans »40.
L'exemplarité de la peine
30La protection de la société passe par la prévention de la criminalité. Dans la fonction pénale il y a une part éducative qu'expriment certains traités de jurisprudence. Le Coutumier d'Artois distingue deux catégories de gens : les mauvais et les bons. Aux seconds le désir de plaire à Dieu et d'obtenir son amour suffise pour les détourner des actions répréhensibles, aux premiers il faut menaces et « paour de le painne »41. L'ordonnance de François 1er instituant la chambre de la Tournelle criminelle en avril 1515 rappelle la nécessité d'une justice bonne et rapide pour « le soulagement des bons et la correction des mauvais »42.
31Les pénalités distribuées par la justice ont donc cette double utilité, d'enseigner les masses sur ce qu'il ne faut pas faire et de dissuader par la peur les gens que la seule pratique de la religion chrétienne ne maintient pas dans le bon chemin.
L'enseignement des masses
32On a vu combien les exécutions des sentences se devaient d'être explicites ; annoncées, commentées, exigeant un large public, elles proposent une éducation morale et politique des spectateurs en déployant à leurs yeux une gamme d'actions qualifiées de méfaits. Par un symbolisme facile dont le décryptage ne pose pas de difficulté aux plus simples, des messages sont délivrés. Ainsi les voleurs ou les faussaires exposés au pilori le sont-ils fréquemment avec autour du cou le produit de leur rapine ou de leur escroquerie. Un vigneron de Saint-Appolinaire-lès-Dijon, Girart le Sicardet qui a vendu à un bourgeois deux pièces de vignes ne lui appartenant nullement et a produit de faux écrits pour preuve de sa propriété, se voit condamné au bannissement perpétuel après une fustigation publique au cours de laquelle il doit porter pendus « à son col des sarments de vigne et les lettres de fausse vendange » qu'il a confectionnées43.
33On a dit aussi tout le parti que la justice tirait des talents des peintres pour figurer le crime sur des pannonceaux ou bien sur des mîtres portées par les condamnés. De toute antiquité les pénalités imposées ont cette charge symbolique. Les poings coupés des voleurs ou des faussaires, la langue mutilée ou arrachée des blasphémateurs, la castration des violeurs, l'association dans le supplice des infanticides, des parricides ou des sodomites, d'animaux impurs et repoussants, autant de preuves de ces correspondances recherchées entre la pénalité et le crime. La Somme Rural établit une équivalence quasi « hypocratique » entre les quatre éléments de la Nature et la privation obligatoire de ces quatre éléments chez le criminel contre Nature qu'est le meurtrier d'un père : « Par la loy escrite ce crime cy ne se compare à nul autre, et est à punir d'autre maniere, et doivent perdre quatre elemens en leur vie, et mourir sans elemens par diverses manieres escrites en la loy unique »44.
34L'aspect théâtral que prennent quelques exécutions sert encore ce but d'information et d'admonestation du public. On attribue aux condamnés un rôle actif dans cette tâche : les regrets qu'ils formulent devant la foule, les aveux qu'ils font de leurs démérites, les pleurs et les soupirs de certains constituent déjà une phase non négligeable de la démonstration souhaitée. Mais après le supplice la justice se sert encore de leur dépouille ou des éléments amputés de leur corps pour enseigner les populations sur les dangers de la criminalité. Le 30 juin 1479, trois oreilles sont apposées sur le pilori du pont de Saône à Lyon pour édifier les passants, bien après l'amputation réalisée aux dépens de Pierre Marinin doublement essorillé et de Pierre Desjardins dont la peine était moindre. Les deux hommes ont quitté la ville, proscrits à perpétuité mais une part d'eux-mêmes prolonge l'édification de la sentence auprès de leurs concitoyens45.
35Le supplice d'un couple adultère assassin de l'époux légitime, à Metz, donne l'occasion d'exposer auprès de la tête de l'assassin l'arme du crime : « fut le petal (pilon) duquel, il avoit fait le copt pandus et entaichies en hault, contre la lance et a plus près d'icelle teste »46. Mais plus signifiante encore paraît l'utilisation que l'on fait du corps de certains condamnés au bûcher. Afin de maintenir au cadavre un aspect humain, on arrête le brasier avant la consumation du corps ; ceci permet de placer auprès de lui les objets symboliques ou les représentations concrètes de son forfait. C'est ce que l'on imagine pour dénoncer le crime d'infanticide aux Messins lors de l'exécution d'une jeune fille de dix-huit ans coupable de ce crime. Entre les bras de cette forme raidie par le feu qui demeurait toute droite, ce qui - écrit le chroniqueur, « estoit hideuse chose à veoir », on mit « ung anffans de boix, avec ung aultres en pointure »47.
36Il n'est pas jusqu'aux ruines des maisons abattues ou brulées par décision de justice qui ne servent à la prévention du crime. Pour ce faire, on laisse sur l'emplacement de l'édifice supprimé comme dans l'exécution de Jehan Hardi, une « épitaphe pour faire savoir l'énormité du cas,... et pour- quoy estoit faicte ladicte demolicion »48.
37L'apport didactique du châtiment touche aussi bien à la morale qu'à la conduite civile. Lors des exécutions des peines le déploiement des sergents à verge, portant la livrée de leur mandant judiciaire, le sérieux et la prestence qu'ils arborent, tout invite les spectateurs à mieux respecter les ordonnances, et à se soumettre à l'autorité en place. Le circuit des bannissements que la population convoquée doit suivre d'un bout à l'autre trace les limites de la juridiction et fait mémoriser aux participants la géographie judiciaire dont ils dépendent49. Les gibets ou les échafauds portent les armoiries du seigneur justicier. La lecture des inculpations et des sentences proclame le nom et la légitimité de ce protecteur de l'ordre, de ce garant de l'équilibre moral et social.
38Châtier le crime est une opération coûteuse, toutes les comptabilités municipales, princières et royales qui nous sont conservées le disent. Elles additionnent les mandements et les quittances adressés aux officiers de justice, sergents qui ont escorté le banni, recherché le criminel, saisi le voleur sur le fait, geôliers qui ont entretenu les prisonniers et qu'il faut rembourser, bourreau qui a essorillé, fustigé, pendu ou rependu, voire enterré les condamnés. On y lit les coûts de la réfection, toujours nécessaire, des piloris et surtout des gibets, faisant intervenir plusieurs corps de métier, des transporteurs aux terrassiers, des maçons aux charpentiers, des serruriers aux orfèvres ou aux peintres quand ces instruments de supplices doivent signifier la puissance du prince ou de la ville. On y trouve même les moindres détails des achats de corde, de billots, de haches.
39Certes la confiscation des biens des bannis, des condamnés à mort, des contumaces apporte des fonds non négligeables même si l'on constate une législation coutumière ou inspirée du droit romain qui tend à limiter à un minimum de causes la peine accessoire de la confiscation50. Malgré ces recettes l'exercice de la haute justice reste déficitaire dans bien des juridictions. Si on maintient un tel effort pour distribuer le châtiment du crime, c'est que l'intérêt est avant tout politique.
40La peine n'a pas qu'une valeur didactique ; on la veut aussi dissuasive afin, par son intermédiaire, d'éviter que le criminel ne fasse des émules. Pour atteindre cette dissuasion le châtiment proposé se doit de paraître supérieur en gravité à celle de l'infraction commise. On abandonne là le principe d'une justice rétributive et compensatoire, apaisante, pour rejoindre une justice plus terrible qu'équitable parce que soucieuse, comme le proposent les textes des traités juridiques et des ordonnances de justice, de « refraindre la male volonté des malfaicteurs »51 et de voir « les crimes et delictz, pugniz, corrigez, et reprimez promptement, à la terreur des mauvais, honneur de Dieu et soulagement (du peuple) »52.
41Si ce n'était pas la volonté de démontrer l'horreur du crime perpétré et le désir de fournir un exemple de fermeté à son égard, à quoi rimerait l'exécution, si souvent pratiquée, de cadavres déjà froids. Jacques de la Rivière, assassiné dans sa prison par le capitaine de Paris, la tête fracassée, est traîné malgré tout jusqu'aux Halles et décapité. On pourrait ne voir là qu'une mesure politique en cette période de la rébellion cabochienne où le peuple se déchaîne contre les proches du Dauphin et les Armagnacs. Mais cet acharnement se rencontre aussi bien dans les cas de sorcellerie ou d'hérésie. Le cadavre du Turlupin mort avant d'avoir eu sa sentence est cependant brûlé quinze jours après son décès, comme on l'a noté précédemment, moyennant des artifices complexes pour conserver le corps53. Il en est de même des suspects de diableries qui s'étranglent dans leur prison.
42Jacques d'Ableiges pose la question sur ce point de droit dans le Grand Coutumier de France. Il imagine le cas d'un homme emprisonné sous l'inculpation de crime qui confesse sa faute mais qui meurt. Le corps sera-t-il exécuté et les biens confisqués ? Répertoriant les réponses de la jurisprudence et des juristes, il répond que « si le proces n'est conseillé et arresté avant sa mort, il n'y aura execution ni confiscation, et sera le corps enterré aux champs, non obstant l'horreur du crime qu'il a confessé ». Si le procès a été terminé avant le décès, la confiscation s'opère mais « pour ce que le corps ne peult jamais sentir pugnition, il ne sera jamais executé aultrement que le mener aux champs ». Solution douce ici à laquelle un autre manuscrit de la même œuvre ajoute que cette relégation du cadavre hors de la terre chrétienne ne vaut que pour les suicidés mais que si le prisonnier meurt de mort naturelle son corps sera porté à Sainte-Catherine pour être inhumé54. Cependant un peu plus loin dans l'ouvrage, l'auteur se prononce différemment : « se ung homme prisonnier à cause d'ung cas criminel se pend et se tue, puis que le cas aura esté exposé et qu'il aura faict litiscontestation, il sera justicié et ses biens confisqués »55. Il suffit ici, on le voit, que le procès ait été commencé, il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu prononciation de la sentence. On ne peut donc échapper à l'exécution par la mort ; la peine doit s'accomplir car elle revêt une signification outre la seule expiation.
43La volonté de délivrer un message dissuasif est évidente dans les exécutions politiques, celles qui éliminent des rebelles. Les mesures d'exposition des corps, ou des quartiers de ceux-ci aux diverses entrées d'une ville voire leur répartition dans les principales cités d'un état ne sont pas conçues autrement que des démonstrations de l'autorité et de la fermeté d'un souverain roi ou prince. Comme en référence à un modèle de bon gouvernement, la Chronique des quatre premiers Valois fait mention de la punition des révoltés contre le pape Urbain V, en 1367. Accordant au Pape « un grant sens », elle se plaît à expliquer que le pontife fit pendre les citoyens rebelles à leurs maisons et « bien leur monstra riguereusement Le meffait qu'ilz avoient fait contre la dignité papal. Bien y doit prendre chacun exemple »56.La « dure mort » imposée à quelques-uns n'a pas d'autre but.
44De telles démonstrations concernent aussi bien les crimes crapuleux. Lorsque les témoins d'une enquête de juridiction viennent énoncer leurs souvenirs en matière d'exploits de justice, ils énumèrent les amputations et les exécutions capitales, voire les fustigations auxquelles ils ont assisté. Leur mémoire remonte jusqu'à trente ou quarante ans en arrière car ce qui a fixé le souvenir d'une manière aussi indélébile est la cruauté des supplices. Ils peuvent parfois redire le nom des condamnés ou, pour le moins, décrire parfaitement leur crime.
45Toutefois il apparaît que les populations ne vivent pas sous la terreur de la répression judiciaire et qu'elles ne fuient pas les spectacles sanglants qu'on leur propose. Si l'on en croit le bourgeois de Paris, les exécutions sont l'occasion des émotions les plus vives, ce qui purge sans doute ces spectateurs d'un trop plein de sentiments contrastés et passionnels. On pleure beaucoup, on s'émerveille de la déchéance de certains notables, on déverse également des insultes ou des avanies sur celui que la justice désigne à la vindicte de tous, autant de moments précieux où peut, en toute liberté, s'exprimer une opinion populaire.
46Les ordonnances royales déclarent vouloir administrer bonne justice pour le soulagement du peuple. La protection offerte par l'éviction des voleurs et violents de tout poil est ressentie en effet comme un soulagement et la foule offre aux sergents et aux bourreaux un partenariat dans l'exécution57, les chroniqueurs soulignent ce fait en évaluant la foule des spectateurs. Jean de Roye donne le chiffre extrême (... et peu fiable !) de deux mille personnes et plus pour assister à l'exécution, certes, particulièrement « sensationnelle », du connétable Saint-Pol58. Les enluminures témoignent également de cet engouement pour un pareil divertissement. Une communion d'opinion condamne le coupable ; sauf rares exceptions qui concernent des bévues du bourreau, des ratés dans le rituel ou des circonstances extraordinaires qui justifient une rémission du condamné, nul, parmi la foule ne songe à venir à sa rescousse ou à manifester une désapprobation vis-à-vis de la sentence. « De bonne vie, bonne fin » semble la philosophie générale. Les mots de « demerites » et de « mefaits » qualifiant les causes de la pénalité subie laissent entière la responsabilité du coupable. Il a cherché son sort, il l'a mérité... On décèle même dans ce soutien une part de haine qui s'exhale ainsi légalement, l'exécution prenant l'allure d'une vengeance licite voire de la mise à mort d'un bouc émissaire. Le bourgeois de Paris répète à quatre reprises dans les quelques lignes qu'il consacre à la mort sur l'échafaud, l'écartèlement et l'exposition de Colinet de Puiseux que ce dernier était « un faux traître » et qu'il a fait dommage à plusieurs bonnes gens quand il ne les a pas tuées59. En août 1413, lorsque Jacques de la Rivière, chambellan du Dauphin Louis de Guyenne, et Pierre des Essarts, ex-prévôt de Paris, exécutés respectivement en juin et en juillet, sont dépendus pour être enterrés en terre bénite, on procède de nuit, à la maigre lumière de deux torches, par crainte des réactions hostiles du « commun »60. Une haine aussi profonde anime les officiers et le public qui hâtent le supplice de Jean de Bétizac et - précise Froissart, « ainsi fut le peuple vengé de lui, car au voir dire il leur avoit fait moult d'extorsions et de grands dommages depuis qu'il eut en gouvernement les marches de Languedoc »61.
47Des affaires moins politiques comme l'arrestation et l'exécution de pillards, brigands « bouliers », ou agresseurs de chemin révèlent le même soulagement du peuple devant l'extermination par la justice des criminels redoutés et haïs. « Tout le pays fut moult joyeux » de la mise à mort de « mes- sire Arnoult Canolle — nous livre Philippe de Vigneulles, car ce personnage était chevallier et capitaine de plusieurs compaignie d'iceulx malvais guerson qui encore faisoient infinitz maulx en France »62.
Punition par la souffrance
48Plus on va vers la fin du Moyen Âge, plus le vocabulaire des juges dans l'énoncé des sentences incorpore les mots de punition à propos des pénalités imposées. Lorsque les chanoines de Saint-Jean de Lyon poursuivent le châtelain de Couzon-au-Mont d'Or, Louis de Buxo, en 1390, et exigent une peine de prison et une destitution de son office, pour ses escroqueries, ils prétendent agir « pour obtenir justice et trouver la verité, pour que les mauvais soient séparés des bons, et que des démérites aussi graves soient punis pour que cela soit un exemple »63. Contre Humbert Poyat qui a agressé de nuit, chez elle, une certaine veuve, le procureur de ces mêmes chanoines plaide que « tel cas est crime de fait et n'est loisible à personne de battre autrui ni de mutiler de jour, ni de nuit sous peine de droit et que tel cas est agression qui est chose de mauvais exemple.. Il convient donc qu'il soit puni comme le cas le requiert »64. Les faits se déroulent en 1529, le procureur résume bien ici l'évolution qui est celle du châtiment dans les deux derniers siècles du Moyen Âge : définissant le type du forfait il envisage la peine qui lui est équitablement adaptée, rappelle au passage le point de droit qu'éclaire la pénalité, conclut enfin sur la nécessité d'une punition exemplaire donc plus sévère que ne l'exigerait la simple notion de compensation.
49La pénalité judiciaire devient une punition infligée pour l'exemple par une autorité étatique qui ne se cantonne plus dans le rôle d'apaiseur et d'arbitre mais impose le respect d'un ordre, et définit elle-même le licite et l'illicite. Plus cette autorité grandit — ce qui est le cas en Europe, du xiiie au xve siècles, plus les contraventions à l'ordre sont interprétées comme des fautes gravissimes. Qualifiées de rébellions, de traîtrises, d'hérésie, elles justifient des châtiments d'autant plus durs que leur caractère de lèse-majesté les transforme en véritable blasphème contre le souverain, le royaume, l'intérêt général. Le roi se mêle de moraliser la vie publique, ce qui passe par la chasse aux criminels. Dans l'ordonnance de 1534, par laquelle François 1er officialise le supplice de la roue pour les meurtriers et les voleurs, il semble déplorer le peu d'efficacité exemplaire des exécutions faites par pendaison car « les aultres delinquans, complices et alliés ne se sont corrigés et amendés, tellement que les dicts crimes, delicts et malefices pullulent et croissent de jour en jour »65. Désormais la souffrance du condamné devient le but et l'essentiel de la peine, sa mort n'étant qu'une seconde phase. On n'avait pas attendu cette ordonnance pour appliquer des supplices comme la roue ou pour imaginer des raffinements de cruauté tout en retardant la mort. Ce genre de traitement pourtant semblait réservé à des criminels soit politiques, soit chargés d'impureté morale et religieuse, ou encore à ceux qui avaient manifesté une volonté perverse dans la perpétration de leur forfait.
50Parmi les mises à mort théâtralement organisées comme un supplice cruel, prolongeant le plus possible la vie du condamné afin qu'il souffre atrocement et longtemps, un épisode revient sous la plume de plusieurs chroniqueurs, il s'agit du supplice de Hugues Despenser. Froissart, comme Philippe de Vigneulles soulignent les tortures successives infligées à celui qui avait été l'intime conseiller d'Edouard II et qui est sacrifié à la haine d'Isabelle de France en 1326. « Fut traynés sur une cloye — Et puis luy fit tirer hors tous les boiaulx de son corps et les faire ardre devant ces yeulx, qu'ilz lez veoit, luy encore vivant »66. L'enluminure qui illustre l'un des manuscrits des Chroniques de Froissart représente le corps nu attaché par les poignets et les mollets à une haute échelle afin que chacun dans la dense foule pressée sur les lieux du supplice puisse voir et recevoir le message politique que délivre cette scène. Le malheureux hurle sa douleur, bouche tordue. Le bourreau, au prix d'une périlleuse position sur une échelle parallèle est en train de l'écorcher vif. Le corps, buste et ventre n'est déjà plus qu'une masse rouge ; au bas des échelles on a allumé un grand feu où l'exécuteur va jeter les organes amputés après l'éventration. Contrairement aux autres figurations des scènes capitales où la foule, intéressée ou indifférente reste plutôt muette, le peintre a voulu signifier par les jeux des mains, et les têtes relevées vers le condamné qu'un tel spectacle suscita des réactions, des commentaires parmi les assistants67. L'exemplarité par la souffrance devient donc un moyen de soumettre les sujets. Cette méthode d'abord réservée à quelques criminels ou rebelles politiques tend à s'appliquer à des meurtriers et à des voleurs. L'évolution dans ce sens ne va pas au même rythme partout mais le xve siècle semble bien marquer ce passage vers une pénalité plus démonstrative accompagnée d'une violence officielle. Robert Muchembled a étudié et daté les étapes de cette progression vers « le temps des supplices » dans l'Artois et principalement pour les villes d'Arras et de Saint- Omer. Les années 1430-1460 marquent un renforcement des bannissements et un allongement de leur durée, dès 1465 des expositions infamantes de meurtriers paraissent une nouveauté pour les Arrageois, à partir de 1480, des punitions exemplaires, mutilations corporelles et exécutions capitales se font plus nombreuses, prises en charge par la justice royale et jalonnant une croissance de l'absolutisme68.
Sauver le criminel ?
La miséricorde
51Jean Gerson, s'adressant aux gens du Parlement de Paris, le 19 juillet 140469, leur démontre qu'ils ne peuvent « monstrer plus belle misericorde aux malfaiteurs... que par les mener a ce que leur injure soit reparée, et se non vou- lentiers, au moins envis et par contrainte »70.
52Il y a, d'après son raisonnement, de la miséricorde à ne pas laisser le criminel impuni car Gerson assimile le crime à une maladie de l'âme, au péché qui ruine le pécheur et compromet ses chances de salut éternel. Opposant fortement la justice terrestre, qui, inspirée par Dieu, est « piteuse » à celle de l'Au-Delà, Purgatoire ou Enfer où « punit et condamne et domine justicie de Dieu, horrible et tres crueuse », Gerson réclame donc le châtiment comme une mesure salvatrice à l'égard du chrétien que reste le malfaiteur, en dépit de tous ses péchés. Les pénalités judiciaires, à l'instar de la pénitence qui suit la confession, doivent recevoir accomplissement total pour éviter les affres de tourments rigoureux et longs après la mort. Les juges qui imposent les sentences ressemblent donc aux médecins des âmes que sont les confesseurs.
53D'ailleurs en 1397, dans sa requête au très chrétien roi de France pour les condamnés à mort, Gerson a déjà fait valoir l'impérieux besoin qu'ont ces derniers d'un confesseur au moment de l'exécution. Il qualifie de « grant durté et cruaulte » la décision de les priver de ce secours. « Les povres condampnez » se voient, par ces mesures impies, soumis à affliction sur affliction et celui qui les abandonne ainsi à la damnation éternelle risque lui- même son propre salut. L'exhortation de Jean Gerson au roi Charles VI porte ses fruits : les confesseurs assistent les suppliciées dans leurs derniers moments à partir de cette date. Les plus nobles, les plus notables reçoivent même l'aide de plusieurs confesseurs. Les enluminures figurent le prêtre tendant le crucifix devant celui qui va mourir71.
54Plein d'espérance dans l'introspection du criminel, Gerson justifie encore le châtiment en prétendant qu'il favorise la contrition de celui qui le subit et équivaut à la satisfaction compensatrice proportionnelle à la faute commise. Les suppliciés que Gerson citent dans des exempla rendent grâce à Dieu de leur donner pareille mort et peine, « en ce monde pour eschever l'autre. « Un « grant pillard » demande au bourreau de lui couper les membres l'un après l'autre « afin qu'il en fist penitence et satisfaction par la douleur qu'il sentiroit ». Une femme « arse à Paris » remercie Dieu « car elle avoit propos par avant que jamais n'eust fait penitence ou repentence de son meffait se necessité ne l'eust a ce menée »72.
55Selon l'adage « qui aime bien châtie bien », Gerson interdit le pardon qui serait « folle misericorde ». Il reprend une idée développée dans plusieurs traités de droit selon laquelle « misericorde sans justice est trop lasche chose »73. La justice invente la peine nécessaire à la purification du criminel, elle l'amende, elle l'améliore. Cette conception de la peine judiciaire provient en fait de la tradition des cérémonies d'expiation publiques imposées par l'Église, entre le xie et le xiiie siècle, soit aux laïcs guerriers qui menaçaient les intérêts et les institutions ecclésiastiques et que la Réforme grégorienne incitait à restituer les biens usurpés, soit aux bourgeois, magistrats de communes conquérantes en révolte contre l'autorité des seigneurs d'Église74. Ces expiations comportent déjà l'amende honorable qui proclame publiquement le repentir de la faute commise, la demande d'absolution par l'accomplissement d'une cérémonie qui est censée corriger le criminel sous la contrainte. Des peines dures et humiliantes sont distribuées pour l'édification morale des révoltés qui, par le biais du châtiment, voient levés l'excommunication ou l'interdit qui les frappaient.
56De l'Église ce type de peines judiciaires purificatrices s'est transmis aux communes elles-mêmes qui ont employé dans le Nord surtout, la sanction du pèlerinage judiciaire, pénalité d'origine canonique. Exil déguisé, moyen de rétablir la paix entre les habitants, cette contrainte vise aussi à corriger de son crime le responsable. Il devra rapporter les preuves de son séjour à Jérusalem, Saint-Jacques ou Rome par des lettres contresignées des autorités ecclésiastiques du lieu de pèlerinage. On a vu que Beaumanoir évoque cette pratique à propos de la régulation privée des coups et blessures75. Elle figure également dans la littérature du xiiie siècle. Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, écrit par Jean Renart, vers 1212, met en scène le sénéchal de l'Empereur Conrad. Pour avoir calomnié la future impératrice, la belle Liénor, le sénéchal doit partir en Terre Sainte servir chez les Templiers76.
57Au fur et à mesure que le pouvoir royal croît et que le roi se fait le garant de l'ordre moral aussi bien que de l'ordre politique, qu'il prend le souci du salut spirituel de ses sujets comme de leur sécurité matérielle, la tâche de les amender lui revient. Voilà pourquoi les théoriciens du droit politique et judiciaire raisonnent, aux derniers siècles du Moyen Âge, sur la nécessité de châtier le crime. « Gardés bien, Messeigneurs, que les soubjez du royaulme ne vous puissent imputer leur empirement en ce monde et leur dampnation en l'autre par deffault de les mettre a justice et a correction » — conclut Gerson, en 140477.
58Si la miséricorde se prouve dans la sévérité avec laquelle on châtie le criminel, elle est invoquée encore à l'égard des victimes actuelles ou futures. C'est par pitié pour leur désolation présente que la punition du crime doit s'accomplir. C'est aussi par considération charitable à l'égard des victimes que peut faire dans l'avenir un criminel impuni que les juges doivent intervenir fermement. « Regardés que ne soyez cause de mil et mil meurtres, de rapines, de traïsons, de larrecins, de sacrilèges, de ravissemens de femmes, par tout le royaulme si vous ne cloez bientost et diligemment la voye a injustice qui ja tant est ouverte ; et ne pourrés dire que vous n'en avez coulpe »78. Négliger de châtier un crime signifie se faire complice des prochains méfaits qui ne manqueront pas de se multiplier, les malfaiteurs tirant audace de cette absence coupable de gouvernement. Péché politique, la miséricorde mal comprise devient un péché mortel aux yeux de Dieu et compromet le salut du prince comme de son peuple. En fait les discours et les sermons de Gerson expriment une pensée partagée par quantité de « pré-humanistes » du xve siècle79.
La réintégration
59Si la tendance à la coercition se précise et se justifie davantage à la fin du Moyen Âge, si l'éradication des criminels se fait plus systématique, est- ce à dire qu'il demeure impossible à une personne convaincue des plus noires actions de réintégrer un rôle dans la société en dehors de celui de bouc émissaire ou de symbole exemplaire de l'autorité politique ?
60Il existe des processus qui permettent au criminel de revenir prendre place dans la société. Certains répondent à la satisfaction d'une compensation matérielle ou d'une expiation d'ordre moral ou religieux. Une fois cette satisfaction donnée à la victime et à la société, le coupable devrait pouvoir revivre dans la communauté comme il le faisait avant la perpétration de son crime. Ces usages sont les plus anciens, ils ont cours principalement aux temps où les coutumes règlent la paix intérieure des sociétés. Au xive siècle, leur efficacité semble concurrencée par le système de pénalités punitives dont on a vu le développement. Robert Muchembled a pu répertorier dans les comptabilités de Saint-Omer quarante-sept bannis, qui rachètent leur condamnation en 1430, ce qui représente 67 %du total des personnes frappées par cette sentence80. Une telle proportion paraît encore forte pour le xve siècle et laisse donc la possibilité à des condamnés d'éviter la marginalisation, de retrouver leur place dans leur famille et leur voisinage, moyennant le paiement d'une forte amende. En 1480, à Arras comme à Saint-Omer, la réintégration semble moins facile, moins souhaitée aussi, alors que monte un sentiment d'insécurité81.
61Lorsqu'une pénalité corrective et punitive l'emporte sur les compensations coutumières il reste peu de moyens au criminel pour obtenir sa réinsertion dans le groupe social. L'application des peines, en effet, marque le criminel dans son corps ou le marginalise. Il n'est plus capable de s'assimiler à une communauté qui remarquera qu'il lui manque une oreille ou un poing ou s'interrogera sur son passé avec méfiance. De la déchéance provoquée par les condamnations, Philippe de Vigneulles donne un exemple à travers ce sergent des Treize de Metz qui, amputé de la langue pour ses blasphèmes, déchu de son office, devint un mendiant « waulcabondant par le pays, et morut povre homme »82.
62Seule la grâce qui évite au coupable l'accomplissement du châtiment peut donc le sauver de l'exclusion, lui faciliter le retour à une vie normale.
63Quelques exemples révèlent la façon dont la société médiévale prétend employer pareils condamnés. Elle utilise en eux ce qui les qualifie le mieux : leur propension à la violence, leur insensibilité à la souffrance d'autrui, voire leur absence de soumission à la morale commune. Des bourreaux se voient recrutés de cette façon, parmi les condamnés tel ce Jehan Lescuyer, habitant de Dijon qui obtient rémission de la Duchesse de Bourgogne, le 24 avril 1414 à condition qu'il accepte d'exercer l'office de bourreau dans le bailliage. Comment ce voleur refuserait-il la fonction, même peu reluisante et décriée, quand il sait échapper ainsi à l'essorillement des deux oreilles et au bannissement perpétuel83 ? Le passé judiciaire et les tendances criminogènes des exécuteurs des hautes œuvres reprennent vigueur d'ailleurs très souvent au cours de leur carrière. Ils font l'objet un jour ou l'autre de condamnations pour violences, meurtres, vols ou finissent par être bannis comme ce maître Jehan de Dijon, sans doute le Jehan Lescuyer recruté en 1414, que la ville expulse en 1426 reconnaissant qu'il est « homme sédicieulx, rioteulx, noyseuls, juraix, putien, et homme de malvaix gouvernement et tel que ses voisin ne (peuvent) avoir paix a lui »84.
64Quand ils ne figurent pas parmi les bourreaux, certains criminels échappent au châtiment de leurs actions pour servir militairement les intérêts d'un prince ou de quelque ville. Dans les compagnies de mercenaires engagées par le roi au cours de la guerre de Cent Ans ou par les princes dans les Ligues rebelles du xve siècle, on compte ainsi pas mal de gens de sac et de corde qui obtiennent la rémission de graves forfaits en faisant valoir leur service militaire ou qui sont eux-mêmes choisis pour leurs capacités à verser le sang. La ville de Metz, le 8 mai 1492, épargne la pendaison à deux des quatre malandrins qui ont agressé des passants sur les chemins pour les voler, s'en prenant notamment au courrier du Roi des Romains. « Deux estoient piettons advanturiés »... les deux autres des gens de Crance (étrangers à Metz par conséquent) ». Yceulx deux piettons dernier, messeigneurs les Septz de la guerre les demanderent, pour ce qu'ilz avoient heu servy la Cité, et que le larcin estoit petit. Et les deux hommes de Crance furent pendus et estranglés »85.
65Une forme plus originale de réintégration sociale apparaît sous la plume de Jean de Roye qui relate la manière dont un condamné à mort a pu obtenir la vie sauve et la rémission de ses larcins après avoir contribué à une expérience médicale in vivo. Alors qu'il est promis au gibet de Montfaucon et qu'il a été débouté de son appel au Parlement de Paris, ce franc archer de Meudon, coupable de plusieurs vols en série, est utilisé comme « cobaye » par les médecins et chirurgiens. Ces derniers ont remarqué qu'il souffrait d'un mal partagé à l'époque par quantité de personnes de haut rang et baptisé maladie de la pierre, entraînant « colique, passion et maladie de costé ». Sans lui demander son avis mais parce que « icellui franc archer bien estoit prest de souffrir mort », les hommes de science décident de « veoir les lieux où lesdites maladies sont concrées dedans les corps humains, laquelle chose ne povoit mieulx estre sceue que inciser le corps d'un homme vivant ». C'est ce que l'on impose donc au condamné. Une fois cette information « scientifique » obtenue, les médecins recousent le corps et remettent ses entrailles dedans (sic). Le roi ordonnant qu'il soit très bien soigné, le franc archer — aux dires du chroniqueur, se remet dans les quinze jours suivants et obtient « remission de ses cas », remission sans despens - ajoute Jean de Roye qui considère que le roi fait preuve d'une très grande générosité en lui accordant en supplément de l'argent86.
66Quelques criminels sont également « récupérés » par la société, à l'ultime moment où ils vont subir le châtiment de la peine capitale. Il s'agit là de l'application, très épisodique et rare, d'un usage plus que d'une loi consentie. Mention en est faite dans la coutume de Bayonne rédigée sous le règne d'Édouard 1er d'Angleterre, en 1274. On y lit qu'un condamné à mort peut échapper au supplice si une femme, une jeune fille pauvre ou une prostituée voulant réintégrer une forme de vie plus morale, le demande pour époux. Après le mariage, toutefois, le couple devra quitter la ville, la réinsertion ne pouvant se dérouler qu'en un autre lieu.
67Certains documents judiciaires ou fragments de chroniques prouvent qu'un tel usage a bien été appliqué, aux xive et xve siècles, comme une grâce accordée par le juge, souvent sous pression populaire87. Il n'apparaît pas qu'à cette époque le mariage subséquent entraîne un bannissement. La remise des peines est totale. Elle concerne aussi des femmes, par exemple une infanticide de la région d'Abbeville qui se voit sollicitée en mariage par un jeune homme de vingt-deux ans, à la fin du xive siècle. Le Journal d'un Bourgeois de Paris relate la façon dont, sur onze pillards condamnés à la décapitation en 1430, un jeune fils de vingt-trois ans a échappé à la mort par l'intermédiaire d'une jeune fille des Halles. « Et depuis Jurent epousez ensamble » — souligne l'auteur, comme s'il insistait sur l'adaptation au modèle commun qui fut la leur à partir de cet instant88.
68Cependant le procédé reste du domaine de la grâce. Les romanistes ne reconnaissent nullement son bien fondé en droit romain. Sans doute inspiré par le droit canonique qui attribue à celui qui retire un pécheur de sa servitude la rémission de ses propres fautes, le mariage subséquent n'a jamais paru une coutume obligatoire mais le produit d'une faveur que seul le monarque pouvait concéder. La façon dont on permet au criminel de se fondre désormais dans le moule familial correspond à la formule finale des lettres de grâce ou des lettres de rémission qui restitue le bénéficaire « à sa bone fame et renommée ». Il s'agit d'en faire, par la volonté du prince, un homme comme les autres et d'abolir les marques d'exclusion que son passé pourrait lui valoir.
69Au mois de juin 1467, Louis XI ne se fait aucun scrupule à réintégrer quantité de criminels dans la société de façon à repeupler la ville de Paris qui avait « esté fort depopulée, tant par les guerres, mortalitez et autrement ». Il ordonne donc que « toutes gens de quelque nacion qu'ilz feussent peussent de là en avant venir, demourer en ladicte ville et en icelle et es faulxbourgs et banlieue ilz peussent joyr de toutes franchises de tous cas par eulx commis, comme de murdre, furt, larrecins, piperies et tous autres cas, reservé crime de lèse-majesté »89. L'ordonnance garde un but militaire puisqu'il est recommandé que ces nouveaux habitants au lourd passé résident en armes pour servir le roi contre toutes personnes. Le climat de la Ligue du Bien Public rend de telles amnisties générales possibles, mais plus régulièrement le souverain ou les princes usent quand ils le désirent, soit d'un droit de rémission qui permet de restituer les condamnés à « leur bone fame et renommée », au pays qui les a vu naître et à leurs biens non confisqués, soit d'un droit de grâce qui les tient quittes de toute peine et les délivre des poursuites judiciaires.
70L'exercice de ces droits et les conditions de leur application qualifient le pardon social qui est accordé.
Le pardon ?
Aucun crime irrémissible pour le roi
71La grâce et la rémission, droits régaliens partagés entre le roi et les princes, peuvent donc rendre irréprochables des criminels. La rémission va même plus loin que la grâce dans le blanchiment puisqu'elle interdit désormais toute référence à l'inculpation, rend vierge de toute incrimination le bénéficiaire. « Silence perpétuel est imposé », selon la formule consacrée, à tous les gens de justice.
72Le malfaiteur n'a pas à redouter des exceptions ou des restrictions qui apporteraient des bornes à une telle aubaine. Sont en effet rémissibles tous les crimes, malgré une législation qui à plusieurs reprises a affirmé le contraire. Les coutumiers isolent les crimes majeurs pour lesquels il ne saurait y avoir attermoiements de justice : ils se comptent au moins quatre, le meurtre, le vol, l'incendie, le rapt ou le viol. Jean Boutillier distingue dix- huit sortes de crimes capitaux : lèse-majesté, trahison, meurtre, rapt, ancis (agression contre une femme enceinte) escherpelerie ou violence (agression sur les chemins, déprédation de champs), patricide, sacrilège, sortilège, hérésie, sédition, monopole, conspiration, talion (fausse accusation), furt, vespertillon (cumul de méfaits), corruption, sodomie, pour lesquels « n'y doit avoir remission de Prince, ou immunité d'Église, n'autre franchise » au bénéfice des coupables90. Des ordonnances royales tentent de préciser ces points. La plus diserte sur le sujet demeure celle du 3 mars 1357 où, parmi les réformes du royaume arrachées au Dauphin Charles figure une remise en question des prérogatives royales en matière de rémission. Au nom du roi, Charles doit s'engager en ces termes : « Nous ne ferons pardons ou remissions de murdres ou de mutillacions de membres faiz et perpetrés de mauvais agait, par mauvaise volunté et par déliberacion, ne de ravissement ou efforcement de femmes, memement de religions, mariées ou pucelles, de feus bouter en esglises ou en autres lieux, par mauvais agait, de trieves, asseurement ou paix jurées, rompues ou brisées par semblables manieres ne de sauvegardes enfraintes ou autres cas semblables plus grans et se estoit par importunité »91. On voit reparaître dans cette énumération les cas majeurs en compagnie des crimes prémédités qui révèlent une volonté perverse de rompre la paix jurée ou les sauvetés garanties par les princes ou les églises. Celui que les clercs vouaient à l'excommunication au temps de la Paix de Dieu, celui que les communes bannissaient de leurs murs parce qu'il se montrait inassimilable et libelle aux règles politiques et sociales convenues, celui-là, le roi ne doit pas lui accorder un pardon. En 1357, les réformateurs prétendent donc mettre au-dessus de la prérogative royale des règles de justice rétributive ancestrales et imprescriptibles. Sans doute faut-il voir dans ce passage de l'ordonnance, une profonde réaction contre un abus des grâces souveraines et le sentiment d'une insécurité croissante.
73L'ordonnance n'a pas été appliquée. Aussi, lorsque le roi légifère sur la grâce et la rémission, par la suite, c'est avant tout pour mieux souligner le monopole régalien qui doit rester le sien en la matière. Ce droit, en effet, ne cesse de glisser aux mains des princes apanagés puis des chefs de principauté, des comtes, des ducs, des princes-évêques se permettent même de délivrer aux criminels pareilles garanties. Les théoriciens de la souveraineté royale exposent alors que « au roy seul et pour le tout en tout son royaulme appartient donner remission et rappeaulx de ban »... « Item, à luy seul et pour le tout appartient la verification et enterinement de toutes graces, pardons et remissions par lui faictes à quelconques personnes, de et sur quelque cas de crismes ou exces, sans ce que aucun seigneur, baron, ou per, ou aultre dudict royaulme s'en puisse aulcunement entre mettre en quelque maniere que ce soit »92.
74Les questions débattues concernent les rapports d'autorité entre le roi et les princes, le criminel et son forfait ne semblent plus qu'un enjeu politique. Si le souverain ne parvient pas à faire observer un monopole régalien en matière de grâce et de rémission, il n'entend pas laisser subordonner sa prérogative aux grâces princières. Les juristes affirment donc la supériorité définitive de la grâce royale sur toute décision de justice énoncée dans les cours seigneuriales. « Si ung justicier subject emprisonne ung sien subject pour cas criminel, et le roy luy fait grâce, la grâce doibt estre executée par le juge royal, et quant elle luy est presentée, il peult mander le prisonnier, et deffendre audit justicier qu'il n'atempte au corps dudit prisonnier »93.
75En revanche, le roi ne saurait soumettre ses décisions de justice à des grâces délivrées par des princes. Jacques d'Ableiges donne un exemple de jurisprudence sur ce point, expliquant qu'« au bailliage d'Amiens, et en la terre d'Arthois, le conte d'Arthois a fait au temps passé plusieurs remissions à ses subjects, moiennant aucunes compositions en argent comptant. Mais quant le bailly roial tenoit ses subjects, il les accusoit de cas criminels, dont il sçavoit qu'ils avoient remission, et ils apportoient leurs remissions pour descharge, le bailli les recevoit pour ce qu'ils luy bailloient confession, mais ils les envoioit pendre »94. Grâce de prince ne vaut donc pas devant la justice souveraine du roi comme l'apprend à ses dépens Arnaud Foucaut, routier qui s'est mis à la solde des Anglais et que le Parlement de Paris juge à pendre en 1345. Il a fait une longue confession consignée dans le procès95, mais c'était sans doute, comme chez les criminels d'Artois, avec la certitude que les lettres de grâce qu'ils pouvaient produire prendaient effet. En l'occurrence, Foucaut « requeroit que une grace que messires li evesques de Biauvaiz li fist seur la remission de ses meffaiz, li fust tenue et gardée », mais, après avoir procédé à la lecture de cette lettre épiscopale, on lui déclara « que ladite grace ne li profiteroit de rien »96.
L'obtention des grâces et rémissions
76Si aucun crime ne paraît irrémissible aux yeux du roi, si des mesures de grâce princière prennent effet dans les principautés et parfois valent l'attention du Parlement, il reste aux criminels à obtenir ces faveurs. Le nombre croissant de lettres de supplique et de lettres de grâce ou de rémission donnant satisfaction aux demandes prouve que les coupables sont suffisamment informés des démarches à accomplir.
77Rois et princes accordent plus volontiers de tels pardons dans certaines circonstances que les criminels habiles savent exploiter : l'avènement politique, les célébrations d'événements joyeux — mariages, naissances, entrées dans les villes, comme les fêtes liturgiques, auxquelles participent les souverains seigneurs, voire l'occasion d'un pèlerinage, tout paraît exploitable. L'audace de quelques suppliants est grande si l'on en juge par ces trois ri- bauds qui interceptent Louis XI sur le chemin de son pèlerinage à Saint- Denis, afin de requérir de lui « grace et remission de ce que tout leur temps ilz avoient esté larrons, murdriers et espieurs de chemins ». Le roi souscrit « benignement » à leur demande97.
78Les criminels peuvent ainsi profiter de la piété d'un prince qui distribue les grâces par charité et justifie sa décision en mentionnant qu'il agit « pour l'honneur et reverence de la Sainte Passion que Nostre Seigneur Jesus-Christ a souffert » ou par « reverence pour la Vierge Marie », ou encore parce que la requête a été formulée en temps de Carême. Si la piété n'intervient pas, la sollicitation d'une personne aimée du prince ou ayant sa confiance peut bien emporter la décision favorable. Il faut donc que les condamnés choisissent avec diplomatie la personne à qui adresser leur supplique et il leur convient également de présenter leur situation de manière à éveiller en elle pitié et charité.
79Les lettres de supplique font valoir la grande détresse dans laquelle se retrouvent les accusés : hommes et femmes déclarent brûler d'angoisse pour leurs nombreux enfants à charge qui, sans leur secours, vont tomber dans une misère noire. D'autres se présentent commme des naïfs abusés par l'enchaînement d'événements malheureux. Pauvres, ayant souffert déjà un long martyre lors de leur détention, désespérément abandonnés et seuls, les suppliants se disent « misérables créatures » dont l'abaissement même valorise d'autant l'action charitable du prince à leur endroit.
80Un dernier argument leur vaut parfois la grâce : ils se prétendent malheureux de perdre leur honneur, de risquer de ne plus avoir de place parmi leurs semblables et de subir une déchéance extrême qui condamne tous les leurs à une vie marginale, à perpétuité. Ils demandent la réintégration par la rémission.
81Les lettres de supplique ne comportent guère de protestations d'innocence. Ce ne sont pas les requêtes des victimes d'erreur judiciaire. Les justiciables reconnaissent avoir commis des crimes mais ils les relatent avec tant de considérations atténuantes qu'ils engagent le prince à se montrer aussi compréhensif qu'ils le sont eux-mêmes vis-à-vis de leurs actes. La façon dont les criminels se jugent ne laisse pas d'éclairer leur conception du Bien et du Mal, le niveau de moralité qui est le leur. Aux yeux du prince dont ils sollicitent la clémence, ils se présentent comme crédules, sans détours, influençables et faibles comme des enfants, si dépourvus de malice qu'ils n'ont mal agi que par un malheureux concours de circonstances ou sur l'instigation d'un plus malin, celui-ci - bien sûr, ne figurant pas parmi les prisonniers condamnés. L'argumentation vise à démontrer qu'ils ne sont pas foncièrement mauvais et que leur volonté n'a pas présidé tout à fait aux crimes dont on les charge, qu'ils ne correspondent pas à ces pervers, viciés au plus profond de leur âme, qui seraient irrécupérables pour la société. Se disant victimes du sort, de l'Ennemi, voire de leur adversaire coupable d'avoir une mauvaise santé et de mourir des coups qu'ils lui ont portés, ils se montrent plus disposés à s'apitoyer sur leur sort qu'à regretter leur crime ou à plaindre la victime et sa famille. En matière de confession on conclue- rait qu'ils n'ont pas entrepris encore la contrition, qu'ils en restent au niveau de l'aveu de leurs fautes.
82Un deuxième trait de leur argumentation consiste à réhabiliter leurs actes en chargeant leurs victimes. Les meurtriers, si on les en croit, n'ont causé la mort que de « noiseux » qui les avaient provoqués, que de mauvais garçons capables des pires coups, que de traîtres dangereux pour le royaume. Les violeurs n'ont abusé que de femmes légères ou de menteuses, ribaudes, ivrognesses, folles dont on ne saurait accepter les allégations en cour de justice98.
83Enfin beaucoup font un long rappel des services rendus au roi ou au prince dans ses guerres afin de mieux légitimer des violences privées ou des écarts de conduite et de morale. Le malfaiteur mercenaire revendique la reconnaissance du seigneur qui l'emploie et joue pour l'occasion un personnage qui n'est pas le sien : celui du vassal, compagnon de guerre, plein d'honneur et de bravoure qui réclamerait de son pair dans la chevalerie compréhension pour quelques excès de zélé au combat. Cette assimilation entre crimes crapuleux et crimes de guerre emporte quelquefois l'adhésion de celui qui confère les grâces.
Laxisme politique ?
84Le souverain fait usage du droit de grâce ou du droit de rémission comme d'un moyen de propagande politique. « Après nostre sacre, à nous appartiengne pour raison de nostre joyeux avenement et du deu de nostre droit royal à delivrer s'il nous plaist touz prisonniers et prisonnieres, detenuz et de- tenues pour quelconques crimes, malefices ou deliz que ce soit, et en quelconques prisons qu'ilz soient esdictes villes ou lieux et en quelque juridiccion que ce soit, soit d'eglise ou seculière » affirme bien haut Charles VI au moment où il fait procéder à une visite des prisons de l'archevêque de Rouen par ses officiers, en avril 138299. Le vocabulaire est significatif : le roi insiste sur les droits royaux qui lui reviennent comme un dû ; le « s'il nous plaist » ainsi que les mentions de « quelques prisons », de « quelque juridiction » traduisent l'entière souveraineté du pouvoir à laquelle atteint désormais le roi de France en matière de justice. Par contraste le cœur du sujet apparaît bien accessoire, l'adjectif quelconque, accolé à trois termes des plus vagues pour qualifier les actes soumis au châtiment judiciaire démontre que le pardon royal va aux criminels sur d'autres critères que ceux de la seule miséricorde100. On a vu aussi comment Louis XI pratique des rémissions générales afin d'attirer telle ou telle population dans des villes dépeuplées qu'il veut pro- mouvoir sur le plan économique.
85Les contemporains de telles pratiques ne sont pas toujours satisfaits de voir les rouages judiciaires privés d'efficacité, les pénalités prévues par le droit ou inventées par l'arbitraire du juge mises à néant de la sorte. Une certaine critique perce, par exemple, dans la relation du procès contre le prévôt de Paris Hugues Aubriot, telle que la livre l'auteur de la Chronique des quatre premiers Valois. Après avoir rassemblé les chefs d'accusation relevant de l'inquisition menée par l'Université, par laquelle le prévôt a été convaincu d'avoir commis « plusieurs horribles et abhominables fais, comme de habiter aux femmes bestialment contre nature, d'avoir eu compaignie aux juifvez charnelment, comme d'enfans de juifz, qui avoient esté cristiennés de les rendre aux juifz, comme d'avoir corrompuez femmes puis d'avoir fait pendre les maris, pour estre sodomite et non tenant la loy crestienne », le chroniqueur constate que « cellui prevost fut respité d'estre ars », en raison des interventions appuyées du roi, des ducs d'Anjou, de Berry et de Bourgogne, ses oncles101. Il est exact que les princes et le roi ont sauvé alors un homme qui servait les intérêts du roi contre l'Église. En réalité se dessinait en arrière plan à ce règlement de comptes l'affaire du schisme sur laquelle les positions du Conseil et de l'Université s'opposaient nettement102. Ce ne furent pourtant ni une grâce ni une rémission mais une pression du roi sur les juges ecclésiastiques devant lesquels comparaissait le prévôt qui lui évita la mort sur le bûcher. Sa condamnation à une humiliante pénitence publique, le 17 mai 1381, et à la prison d'église perpétuelle103 démontre assez les limites des interventions royales à cette époque.
86Les tribunaux des seigneurs comme ceux des villes n'aiment guère que le roi ou le prince se mêlent de grâcier un criminel qu'ils ont pris soin de condamner à une peine soit exemplaire soit définitive. Comme tant d'autres, les échevins de Dijon font connaître leur amertume en consignant dans leurs rapports de sentence la façon cavalière dont les ducs les traitent. À propos d'un voleur pris sur le fait dans un hôtel où il avait dérobé soixante-dix francs, ils précisent qu'ils l'ont condamné à mort comme lerre pour que jamais il ne face « nulz telz malefices et que ce soit exemple à tous » et qu'en conséquence il fut delivré au commissaire de la prévôté de Dijon, pour le faire exécuter, lequel gouverneur le fit mener à la justice. Or c'est au pied du gibet que par mandement de Madame la Duchesse (Marguerite de Bavière à qui Jean Sans Peur a laissé le gouvernement du duché), on brise la sentence et on ramène le condamné aux prisons pour qu'il y reçoive ses lettres de grâce104.
87Les juridictions lésées multiplient les obstacles à l'application des lettres de grâce ou de rémission. Celles-ci réclament en effet, une assez longue procédure. Entre l'ajournement des parties devant la cour afin de présenter ces lettres et leur entérinement, suivi d'une publication soumise au consentement des parties, il se glisse quantité d'assignations, de reports, de délais qui retardent de plusieurs mois les effets de la grâce. Les biens du condamné restent jusque-là sous séquestre. Les échevins ne désespèrent pas de pouvoir un jour tirer justice des criminels comme l'explique le préambule du Papier Rouge « Toutevoye aucuns desd. condemnez sont demorés à executer et punir obstans les remissions que sur leurs meffaitz ils avoient obtenu du Prince »105.
88L'abus des rémissions ou des grâces conduit les contemporains à douter de la justice. On en revient à la pensée de Gerson, exprimée dans le sermon contre Charles de Savoisy, en 1404 : « On dira partout, se tel meffait ramaint impunis, on dira que ceste court ne punit que les povres et les petits meffaits, ou ceulx qui n'ont amis, ou qui ne procedent par voye de fait »106.
89La perspective de recevoir un pardon total des actes délictueux et d'éviter ainsi les peines a-t-elle réellement pu inciter au développement de la criminalité ? Il fallait tant de circonstances favorables pour que la rémission aboutisse, il fallait si bien connaître les rouages de la procédure, savoir si habilement trouver les appuis avantageux qu'on s'étonne de voir les faveurs de la miséricorde royale ou princière réparties aussi largement, sur une population aussi diverse socialement et économiquement. Le partage à toutes les catégories de criminels de la miséricorde est le résultat d'une volonté politique. Son déploiement ou sa restriction sont guidés par des contingences qui échappent aux malfaiteurs : aussi ces derniers ne peuvent tabler sur une indulgence qui varie avec les événements, qui suit les incitations des réformateurs, se développe ou s'éteint au gré des changements de rois ou de partis. La seule constatation vérifiable est que la construction d'une monarchie forte s'accompagne d'une réticence de plus en plus marquée à la rémission des crimes de lèse-majesté107. Pour le reste l'usage du droit régalien de vie et de mort sur les sujets va croissant car il est de plus en plus utile pour exprimer la souveraineté et la toute puissance du roi, mais - et c'est là que gît le paradoxe, parallèlement les pénalités se font plus dures, atteignent davantage les corps, marquent plus profondément les chairs.
Notes de bas de page
1 Coutumes de Beauvaisis, t. II, chap. XLI, art. 1296-1297.
2 Somme Rural, livre I, titre XXIX, éd. Charondas le Caron, p. 180.
3 Grand Coutumier de France, 1. IV, chap. XII, Des peines, p. 650.
4 Cf. à ce sujet l'analyse de Cl. Gauvard d'après les écrits de Christine de Pizan et de Jean Gerson : « les Humanistes et la justice sous le règne de Charles VI », dans Pratiques de la Culture écrite en France au xve siècle, Louvain-la-Neuve, 1994, p. 217-244.
5 Cl. Gauvard, art. cité, p. 229.
6 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. II, p. 72.
7 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. II, p. 49, année 1364.
8 Registre criminel de Saint-Martin-des-Champs, p. 227.
9 Journal de Jean de Roye, t. I, p. 45.
10 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. III, p. 110.
11 A. Saint-Denis, Apogée d'une cité, Laon et le Laonnois..., p. 113-115.
12 L-Th. Maes, « La peine de mort dans le droit criminel de Malines », dans Revue historique de droit français et étranger, 1950, p. 372-401.
13 Coutumier d'Artois, p. 111, titre XLVIII, art. 6.
14 Grand Coutumiers de France, 1. IV, chap. XII, p. 651.
15 ADCO, B II 360/13, non folioté, 15 mars 1475, Estiennote, femme de feu messire Guillem.
16 ADCO, B II 360/03, n° 260, juin 1445.
17 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. III, p. 288.
18 Ibidem, p. 35, année 1474.
19 Hanna Zaremska, Les bannis au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1996, p. 85-94.
20 Cf. art. 4 de L'Institutio Paris de Laon, 1128 : « Liceat juratis omnem malefactoris illius substantiam destruere ». Il est permis aux jurés de détruire toute la substance de ce malfaiteur. A. Saint-Denis, op. cit., p. 139, note 4.
21 Les hommes d'Arras peuvent s'ils le veulent abattre sa maison. Privilège de Philippe de Flandres, 1180 env., dans G. Espinas, Recueil..., t. I, p. 270.
22 Ibidem, t. II, p. 337, art. 7.
23 Ibid., t. I, p. 97, art. 7.
24 Cf. J.-M. Carbasse, « La peine en droit français, des origines au xviie siècle », dans Recueils de la Société Jean Bodin, t. LVI, La Peine, 2e partie, p. 168.
25 Coutumes de Beauvaisis, § 859,t. I, p. 438.
26 Philippe de Vigneulles Chronique, t. III, p. 14.
27 Journal de Jean de Roye, t.1, p. 308.
28 G. Espinas et alii, Privilèges et Chartes..., t. II, Bergues, art. 34, p. 95.
29 Ibidem, art. 47, p. 96.
30 ADCO, B II 360/04, n° 466, Dijon, 1451.
31 N. Gonthier, « La parole condamnée d'après les relations judiciaires de la fin du Moyen Âge », dans Conformité et Déviances au Moyen Age, Cahiers du C.R.I.S.I.M.A., n° 2, 1995, Montpellier, 1995, p. 145-157.
32 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. II, p. 25, année 1345.
33 Ordonnances des Rois de France., Règne de François 1er, vol. 2, 1916, p. 666.
34 ADCO, B II 362/01, f° 36 v, 27 juillet 1420.
35 Ibidem, f° 74, 77 v, 142, 176, 179, 184 v, années 1441-1443, 1465, 1470, 1477.
36 Chronique des quatre premiers Valois, p. 251, année 1374.
37 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. II, p. 138, et t. III, p. 302.
38 Sur ces points, cf. Kendall, Paul-Murray, Louis XI, livre de poche, p. 620-622.
39 Journal de Jean de Roye, t. II, p. 211-212, année 1468.
40 Ibidem, p. 212.
41 Coutumier d'Artois, titre XLVIII, art. 4, p. 111.
42 Ordonnances des rois de France. Règne de François 1er, vol. I, Paris, Imprimerie Nationale, 1902, p. 200, n° 49.
43 ADCO, B II 362/01, f° 173, janvier 1462.
44 Somme Rural, éd. Charondas le Caron, p. 171.
45 AD Rhône, 10 G 602, vol. 7, n° 8, f° 59.
46 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. III, p. 34, année 1474.
47 Ibidem, t. III, p. 338, année 1495.
48 Journal de Jean de Roye, t. I, p. 309, avril 1474.
49 Cf. N. Gonthier, Délinquance..., p. 302-309. Cf. chapitre III, p. 137.
50 Cf. J.-M. Carbasse, « La peine en droit français... », dans Recueils de la Société J. Bodin, t. LVI, La Peine, 2e partie, p. 167.
51 Somme Rural, livre I, titre XXIX, éd. Charondas le Caron, p. 180.
52 Ordonnance de François 1er, avril 1515, dans Ordonnances des rois de France, Règne de François 1er, vol. I, Paris, Imprimerie Nationale, 1902, p. 200.
53 Cf. chapitre IV, p. 175.
54 Grand Coutumier de France, p. 658, et note 4.
55 Ibidem, p. 664.
56 Chronique des quatre premiers Valois, p. 183.
57 Cf. sur ces points Cl. Gauvard, « Pendre et dépendre », dans Histoire de la Justice, n° 4, 1991, p. 16-19.
58 Journal de Jean de Roye, p. 361, année 1475.
59 Journal d'un bourgeois de Paris, p. 44-45, année 1411.
60 Ibidem, p. 68.
61 Froissart, Chroniques, I. IV, chap. VII, dans Histoires et Chroniqueurs du Moyen Age, La Pléiade, p. 651.
62 Chronique, t. II, p. 54, année 1365.
63 AD Rhône, 10 G 2205, vol. 36, n° 3.
64 AD Rhône, 10 G 2350, vol. 27, n° 2, Genay, 26 avril 1529.
65 Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, t. XII, 400.
66 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. II, p. 15.
67 BNF, ms. français 2643, fol. 11, Jean Froissart, Chroniques, Flandre, Bruges, xve siècle.
68 R. Muchembled, Le temps des supplices. De l'obéissance sous les rois absolus, xve-xviiie siècles, p. 53-75.
69 Le roi Charles VI n'est pas, en effet, en état de jouer son rôle de législateur et de justicier à ce moment-là.
70 J. Gerson, Œuvres Complètes, éd. P. Glorieux, 8 vol., Paris, New-York, 1960-1971, t. VII, « Estote misericordes », Contre Charles de Savoisy, n° 322, p. 336.
71 Ibidem, n° 323, p. 341-343.
72 Ibid., n° 322, p. 336.
73 Somme Rural, livre I, titre XXIX, éd. citée, p. 180.
74 Cf. A. Saint-Denis, « L'expiation publique des grands et des notables dans les villes du Nord de la France aux xiie et xiiie siècles », dans « Ordre Moral et Délinquance de l'Antiquité au xxe siècle, Actes du colloque de Dijon, 1993, EUD, 1994, p. 383-390.
75 Coutumes de Beauvaisis, t. II, chap. XLI, art. 1296-1297. Cf. chapitre IV, p. 173.
76 Éd. Félix Lecoy, Paris, Champion, 1970, v. 5586, « si s'en voist outremer » ; v. 5589, « or s'en voist au Temple servir ».
77 J. Gerson, Œuvres Complètes, éd. P. Glorieux, T VII, « Estote misericordes », n° 322, p. 339.
78 Ibidem, n° 322, p. 338.
79 Sur ce courant et son influence dans la réforme entreprise sous Charles VI, cf. Cl. Gauvard, « Les humanistes et la justice sous le règne de Charles VI », dans Pratiques de la Culture écrite en France, au xve siècle, Louvain-la-Neuve, 1994, p. 217-244.
80 R. Muchembled, op. cit., p. 65.
81 Ibidem, p. 67.
82 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. III, p. 354. Cf. chapitre III, p. 141.
83 ADCO, B II 361.
84 ADCO, B II 362/01, f° 45 v. Cf. aussi les condamnations d'autres bourreaux de Dijon, dans N. Gonthier, « La violence judiciaire à Dijon à la fin du Moyen Âge », dans « Mémoires de la Société pour l'Histoire du Droit..., 50e fasc., 1993, p. 31-33, cf. Philippe de Vigneulles, Chronique, t. III, p. 104, l'exemple du bourreau de Metz condamné à l'amputation du poing, chapitre III, p. 143.
85 Philippe de Vigneulles, Chronique, t. III, p. 278.
86 Journal de Jean de Roye, t. I, p. 322, année 1475. Il s'agirait là du plus ancien exemple connu en France de l'extraction de la pierre.
87 Cf. P. Lemercier, « Une curiosité judiciaire au Moyen Âge : la grâce par mariage subséquent », dans Revue Historique du droit français et étranger, 1955, p. 464-474.
88 Journal d'un Bourgeois de Paris, éd. citée, p. 272.
89 Journal de Jean de Roye, t. 1, p. 174.
90 Somme rural, éd. citée, livre I, titre XXVIII, p. 170-173.
91 Ordonnances des Rois de France, vol. 3, p. 128, cf. Cl. Gauvard, Crime, État et Société en France, à la fin du Moyen Âge, vol. 1, p. 75.
92 Grand Coutumier de France, livre I, chap. III, Des droits royaux, p. 100-101.
93 Ibidem, livre IV, chap. XIII, p. 660.
94 Ibid., p. 661.
95 AN, X2 a 4, f° 190 v-192 v.
96 Chronique normande, texte du procès cité en appendice, p. 229.
97 Journal de Jean de Roye, t. I, p. 182, année 1467.
98 N. Gonthier, « La rémission des crimes à Dijon sous les ducs de Valois », dans Cahiers d'Histoire, t. XXXV, 1990, n° 2, p. 99-119.
99 A. NJJ 120, 368. Cité dans la Chronique du Mont Saint-Michel 1334-1468, publiée par S. Luce, Paris, 1879-1883.
100 Sur ces aspects de la grâce royale, cf. Cl. Gauvard, op. cit., t. II, p. 920-934.
101 Chronique des quatre premiers Valois, p. 294, année 1381.
102 F. Autrand, Charles V, p. 77.
103 Dont les Maillotins le tirent en fait quelques mois plus tard.
104 ADCO, B II, 362/01, f° 28, Papier Rouge, 19 mai 1417. Affaire Demoingeot Billart. Entre le châtelain du duc à Saint-Laurent-lès-Chalon et le procureur de Dijon naît une vive querelle, le 14 mai 1409, à propos de la délivrance des prisons de deux hommes que Marguerite de Bavière « Nouvellement venue comme duchesse en cette ville » a commandé d'élargir, en signe de joyeux avènement. Le procureur répond qu'il ne veut nullement aller contre les volontés du duc, ni de son épouse mais que ledit Peronnet, l'un des deux hommes, est détenu prisonnier « à requête de partie et par mandement royal ». Après avoir ainsi rappelé au duc que le roi lui était supérieur, le procureur demande qu'on lui fasse un instrument public constatant qu'il a laissé partir les prisonniers contre son gré. C'est par ce document notarié que l'on connaît l'opposition si osé du procureur au châtelain. ADCO, B II 361, non folioté.
105 ADCO, B. II 362/01, f° 12, année 1409.
106 J. Gerson, Œuvres complètes, éd. P. Glorieux, vol. 7, n° 322, p. 339.
107 Cf. Les ordonnances de Louis XI du 2 novembre 1475, Ordonnances des rois de France, vol. 18, p. 148-149. et de septembre 1477, Ibidem, p. 303-304.
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