Conclusion
p. 303-306
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Il y a presque vingt ans, en réponse à un passage des Preuves de Dom Morice qui définissait Guingamp comme « une ville champêtre, loin de toute mer, où il n’y a que peu de marchands », Jean-Pierre Leguay décrivait au contraire Guingamp au xve siècle comme « une ville originale, prospère, ouverte sur le monde extérieur, une ville dont la prospérité sera à peine compromise par les événements de la fin du siècle et qui recouvrera toute son importance, une fois les guerres passées, au xvie siècle1 ». On constate que ce qui était vrai dans les années 1400 et peut-être encore 1500 ne l’est plus aux xviie et xviiie siècles. Si, à une certaine époque, Guingamp et ses habitants ont pu se targuer de jouer un rôle de tout premier plan (en particulier militaire) au sein de la Bretagne, cela n’a plus lieu d’être au moins dès le début du xviie siècle. Economiquement, la cité conserve son pouvoir d’attraction mais il se limite à l’arrière-pays immédiat, guère au-delà d’une vingtaine de kilomètres. Cela est particulièrement significatif pour l’industrie textile dont la main d’œuvre se recrute essentiellement dans les paroisses environnantes : au xviiie siècle, la grande majorité des tisserands et fileurs établis à Sainte-Croix vient de Ploumagoar et de Plouisy. À l’époque moderne, Guingamp a toutes les caractéristiques d’une ville-marché ou alimentaire comme il en existe beaucoup d’autres en Bretagne. C’est une petite cité, à la limite du gros bourg, entre ville et campagne. Elle se caractérise par une faible population agglomérée et un nombre d’habitants étonnamment stable, ce qui traduit un manque de dynamisme évident.
2Plus que le situation géographique de la cité globalement satisfaisante, plus que ses secteurs d’activité caractéristiques de la Bretagne, plus que l’environnement politique local peu contraignant, et plus encore que les maladies et les crises de subsistances facteurs de mortalité, l’absence d’esprit d’entreprise individuelle et d’ambition apparaît la première responsable de l’état de somnolence de Guingamp sous l’Ancien Régime. Certes, l’attitude des Guingampais face au mariage a sa part de responsabilité dans la stagnation de la population. Mais le manque d’ambition des acteurs économiques de la cité a beaucoup nui à son développement.
3Des membres de l’élite auraient pu trafiquer à plus grande échelle que la Bretagne ou le royaume. Ce n’est pas qu’ils n’en avaient pas les moyens, mais plutôt qu’ils n’en voyaient pas la nécessité. Même dotés de faibles capitaux, ils pouvaient s’associer pour les mettre en commun, ce que quelques-uns feront mais trop épisodiquement. Les Guingampais restaient tournés vers la terre. Il est vrai que tout les y ramenait : le paysage urbain aux allures de campagne, les principales activités de l’économie locale découlant directement de la culture de plantes textiles et de l’élevage, ainsi qu’une mentalité qu’on pourrait qualifier de conservatrice les poussant, dès qu’ils avaient un petit pécule, à devenir propriétaire d’un bout de terre qui restait à leurs yeux le plus sûr investissement.
4Surtout, le système économique auquel est intégré Guingamp, et plus largement la Bretagne, est très cohérent et suffit aux élites (nobles et bourgeoises) qui, grâce à lui, gagnent assez d’argent pour s’en satisfaire. Dans la mesure où ni l’exploitation des grandes découvertes ni le rattachement de la Bretagne à la France – qui constituent un double bouleversement au xvie siècle – ne le remettent en cause, elles n’ont aucune raison de changer leur attitude. Sous l’Ancien Régime, la terre que nobles et bourgeois se partagent en grande partie et sur laquelle repose toute l’économie bretonne, demeure une source de profits, voire une valeur refuge. En ce sens, elle n’a pas favorisé l’esprit d’entreprise des détenteurs de capitaux guingampais. L’exemple de la famille Le Brun le prouve, elle qui aussitôt parvenue à ses fins (l’accès à la noblesse) abandonne le commerce des vins pour se consacrer exclusivement à son amour de la terre. Appartenant à l’élite marchande de la cité, Jacques Le Brun avait suffisamment d’argent et de relations pour pouvoir pratiquer le commerce au loin. À une époque (le xviie siècle) où le trafic avec les Amériques, par exemple, était florissant, on aurait donc pu attendre de sa part une participation plus active aux échanges à grande échelle. Or, le sieur de Kerprat a surtout considéré son activité marchande comme un moyen de parvenir au statut noble pour lui et les siens. Elle lui a permis de devenir un grand propriétaire foncier et terrien capable de doter et d’établir ses enfants conformément à ses aspirations sociales, puis d’acquérir une charge anoblissante. Lui et sa descendance devenus membres du second ordre, la pratique du commerce n’avait plus aucun sens. Les plus riches marchands bourgeois guingampais de l’Ancien Régime n’accédèrent pas tous à la noblesse mais tous, sans exception, voyaient dans la terre et dans la pierre le plus sûr moyen d’asseoir leur position sociale.
5L’étude de la ville de Guingamp aux xvie, xviie et xviiie siècles démontre que des atouts géographiques, économiques et institutionnels ne suffisent pas à une cité pour assurer son développement. Si ses élites, et plus globalement sa population, ne font pas preuve d’un minimum de dynamisme et d’ambition, les perspectives de départ qui s’annonçaient prometteuses ont tôt fait de s’évanouir. Certes, l’avenir de Guingamp n’était pas garanti dès l’instant où, au Moyen Âge, le comte de Penthièvre puis le duc de Bretagne apprécièrent la cité comme lieu de résidence et y firent construire un château puis battre monnaie2. Néanmoins, son statut de place forte et plus encore sa position stratégique au sein de l’espace breton lui offraient de réelles perspectives d’essor que la population n’avait plus qu’à concrétiser. Les Guingampais y parvinrent jusqu’à la disparition du duché de Bretagne en 1532. La prospérité de Guingamp a ainsi duré tant qu’a vécu le duché breton. Celui-ci disparu et ses habitants intégrés au vaste royaume de France, Guingamp perdit de son importance.
6Pourtant, au même moment, l’exploitation du Nouveau Monde offrait des possibilités d’enrichissement certaines. Mais les Guingampais n’ont pas su saisir leur chance. Ils auraient pu atténuer la perte du rôle de premier plan de leur cité comme place militaire startégique en pratiquant le commerce à grande échelle. Pour cela, il leur aurait fallu se détourner de la terre, très rentable. Cela supposait un changement de mentalité, toujours lent à s’opérer, et surtout une prise de risque importante que beaucoup ont préféré éviter ou n’étaient pas prêts à assumer.
7Petite ville essentiellement peuplée de « petites » gens, où la bourgeoisie même fortement présente est sans véritable envergure, Guingamp est donc restée à l’écart des grands courants commerciaux et, partant, du capitalisme, se contentant de remplir son rôle de centre d’approvisionnement pour la campagne alentour. Difficile en pareil cas de faire l’objet d’un réel développement à la fois économique, social et démographique. La Révolution n’arrange rien. La rivalité franco-anglaise, incessante de 1793 à 1815, achève littéralement l’industrie textile déjà moribonde et la ville de Saint-Brieuc, désignée comme chef-lieu du département, est amenée à concentrer tous les grands services administratifs et moyens de transports qui vont assurer son plein essor. Dans le même temps, l’état d’esprit des Guingampais n’évolue guère : ils sont aussi peu entreprenants3 et toujours séduits par la terre ; la « ruée » de riches marchands bourgeois sur les biens nationaux est à ce titre significative4. Résultat : alors que vers 1795 l’écart de population entre Guingamp et Saint-Brieuc n’était que de 1891 habitants5, en 1954 il s’élève à plus de 27 0006.
8Aujourd’hui encore, avec ses 7 900 habitants7, Guingamp appartient au réseau des petites villes françaises. Sa population a certes légèrement doublé depuis la fin du xviiie siècle (1778), mais la mentalité des Guingampais reste profondément marquée par la proximité de la campagne avec laquelle la plupart des activités de la cité (fortement axées sur l’agro-alimentaire) sont plus que jamais en parfaite symbiose. Il en résulte une petite cité à mi-chemin entre la ville et la campagne, où les deux jours de marché du vendredi matin et du samedi représentent, comme par le passé, des moments de forte animation locale. Toutefois, depuis quelques années, des efforts sont entrepris pour tenter de dynamiser l’activité.
9Ville historique associée8, Guingamp possède un véritable patrimoine architectural qui doit faire l’objet d’une politique active de promotion et de mise en valeur, car il est sans nul doute l’atout touristique majeur de la cité. Un certain nombre de choses ont déjà été faites dans ce sens9 mais il est possible d’aller encore plus loin10. L’implantation d’une antenne délocalisée de l’université catholique de l’Ouest hisse quant à elle Guingamp au rang de site universitaire peut-être appelé à se développer. Enfin, outre la « carte » culturelle et étudiante, Guingamp joue aussi la « carte » sportive grâce à son équipe de football. Aujourd’hui, le nom de Guingamp commence à être connu en France et en Europe. Cette ville, à la recherche d’un nouveau souffle, a sans conteste des arguments à faire valoir.
Notes de bas de page
1 Article paru dans les MSHAB, tome LVI, 1979, p. 101-125.
2 F. Dobet, « Histoire de Guingamp », Les cahiers du Trégor, n° 6, p. 3-11 et n° 9, p. 32-38.
3 Il y aura bien une madame Charles Hello pour se lancer dans la betterave sucrière en 1812 (en réponse au blocus anglais interdisant toute importation de sucre de canne depuis 1806-1807), mais l’affaire ne survivra pas au retour de la paix et, partant, à la reprise de la liberté du commerce (F. Dobet, « Quelques aspects de la campagne aux environs de Guingamp il y a un siècle et plus », Journal de Guingamp, n° 713, du 14 avril 1962).
4 Prenons l’exemple de Pierre Gyomar dont le tableau est présent dans les notes de la page 306.
5 Le recensement de 1793 attribue 7 335 habitants à Saint-Brieuc, celui de 1796 en donne 5 444 à Guingamp (F. Dobet, Les cahiers du Trégor, n° 5, nov. 1983, p. 16).
6 Idem. Guingamp compte alors 8 117 habitants contre 35 570 à Saint-Brieuc.
7 Chiffre du dernier recensement effectué en 1990 (Le Télégramme du 31 décembre 1991).
8 « Cités d’Art en Bretagne » édité en mai 1993 par le conseil régional de Bretagne.
9 Par exemple, la mise en place d’un fléchage de deux circuits de visite de la ville, l’un médiéval et l’autre Renaissance, ainsi que l’organisation de visites guidées pendant la saison estivale par l’office du tourisme de la ville.
10 En particulier concernant les fouilles du château et l’ancienne prison. Construite en 1840, celle-ci illustre un système cellulaire qui applique la théorie de l’isolement et mérite un tout autre sort que l’abandon qui est le sien aujourd’hui.
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