Chapitre VII. La difficile mutation des situations d’enseignement
p. 309-357
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Index géographique : France
Texte intégral
1Après l’abandon du plan Langevin-Wallon, s’épanouit à plusieurs reprises sous la Quatrième République le projet de réaliser une réforme de l’enseignement secondaire articulée autour de la création d’un cycle d’orientation unique pour tous les jeunes scolarisables de onze à quatorze ans. En conséquence, la population scolaire des établissements secondaires, en rapide augmentation, se répartit entre les lycées et collèges où subsiste la division entre les sections classique et moderne, les cours complémentaires et les collèges techniques. Cette situation cependant évolue en 1959. Déjà plusieurs fois ministre de l’Éducation nationale dans les gouvernements de la Quatrième République et auteur d’un projet précédent qui a avorté en janvier 1956, Jean Berthoin adopte un décret portant réforme de l’enseignement public. Celle-ci consiste à distinguer dans le cours des études obligatoires, prolongées jusqu’à l’âge de seize ans par l’ordonnance du 6 janvier 1959, – la mesure sera effective à partir de 1967 –, trois cycles : un cycle élémentaire de six à onze ans ; un cycle d’observation de deux ans implanté dans les établissements existants et un cycle terminal, organisé en plusieurs voies. En fait, en consacrant la séparation entre les collèges d’enseignement général court – les cours complémentaires deviennent les CEG – et les établissements préparant à des études longues, la réforme ne permet pas la ventilation des élèves en vue de laquelle le cycle d’observation a été créé. Aussi, par le décret du 3 août 1963, sont institués les collèges d’enseignement secondaire qui regroupent les élèves scolarisables au sein des mêmes structures, de la fin des classes élémentaires à la fin de la scolarité obligatoire, quelles que soient les études qu’ils entreprennent, longues ou courtes, classiques ou modernes. La restructuration des seconds cycles a lieu, à son tour, en juin 1965. Les lycées deviennent les établissements qui préparent les élèves aux divers baccalauréats.
2Cette longue gestation du nouveau système scolaire, organisé autour d’une structure simplifiée, – écoles primaires, collèges et lycées – confine les disciplines dans une situation transitoire qui se prolonge jusque dans les années soixante. La chronologie des programmes d’histoire porte la marque de ce temps de latence. Après une première stabilisation des programmes en 1948, paraissent en 1954 de nouvelles instructions officielles. Les nouveaux programmes, quant à eux, sont arrêtés le 19 juillet 1957. Leur mise en application, échelonnée sur quatre rentrées, c’est-à-dire de la rentrée 1959 à la rentrée 1962, coïncide avec la réforme Berthoin. Mais, en 1963, consécutivement à la réforme Fouchet, les programmes de 1957 sont remodelés pour le premier cycle. Cet aménagement et la nouvelle définition en 1965 des séries générales du baccalauréat hypothèquent alors l’avenir des programmes de lycée.
3On voit donc que la réforme de l’enseignement historique a en partie son propre rythme mais interfère aussi avec la réorganisation structurelle des études secondaires. Cette chronologie laisse supposer que dans la redéfinition de l’enseignement historique, la scolarisation de masse des enfants de onze à quatorze ans n’a pas été le paramètre déterminant. Les contenus et les méthodes ayant été arrêtés en marge des réformes de structure – ce qui n’avait pas été le cas en 1902 –, l’évolution de la discipline s’est trouvée subordonnée à sa dynamique interne. C’est-à-dire la capacité qu’avaient les centres moteurs, comme l’Inspection générale et la Société des professeurs d’histoire et de géographie, de provoquer et d’accompagner l’innovation et l’implication des professeurs dans la transformation des situations concrètes d’enseignement a-t-elle suffi à réaliser « le grand balayage de l’atmosphère1 » qui, pour les hommes en guerre, s’imposait comme la tâche du lendemain ?
D’un programme à l’autre
4Depuis la constitution de la discipline, la finalité déclarée de l’enseignement historique est formulée en termes de formation intellectuelle et culturelle. Cet objectif fermement rappelé comme préalable à toute réforme justifie la place de l’histoire dans les études secondaires longues, conçues elles-mêmes de façon à développer par la connaissance les facultés intellectuelles des élèves. Dans cette optique, l’histoire n’est pas présentée comme une spécialité mais comme une discipline de base, et l’accent est mis officiellement sur les habitudes d’esprit qu’elle contribue à forger. À partir de 1945, les mutations du monde commandent que cette formation prépare à l’avenir la jeunesse des lycées, en lui rendant intelligible non seulement l’évolution de son propre pays et les soubresauts de son histoire, mais aussi celle des sociétés humaines, et en l’initiant à la compréhension des problèmes qui lui sont contemporains. Or ces principes qui régissent avec continuité la conduite de l’Inspection générale, des premières journées d’études de Sèvres à la rédaction de la lettre collective qu’elle adresse en mars 1963 à la revue l’Éducation nationale, impliquent une inflexion des contenus, afin que la primauté du cadre national consubstantielle à l’histoire scolaire s’accorde avec l’élargissement des horizons et le devoir de paix. En conséquence, interviennent, de 1945 à 1965, deux dispositions dont l’objectif est d’adapter les contenus d’enseignement aux priorités éducatives telles qu’elles se dessinent aux lendemains d’une période sombre. La première est l’institution d’un enseignement séparé d’instruction civique, la seconde celle d’un enseignement des civilisations, sans que l’ordonnance chronologique des programmes soit pour autant modifiée.
L’institution d’un enseignement d’instruction civique distinct
5Par l’arrêté du 27 juin 19452, auquel sont annexées des instructions officielles, un enseignement d’initiation à la vie sociale est établi dans le premier cycle du second degré. En fait, après une application d’un peu plus d’une année, un second arrêté, daté du 27 mars 1948, modifie le premier. Dans le premier cycle, l’horaire est ramené d’une heure par semaine à une heure par quinzaine ; dans le second cycle où elle ne figurait pas, l’instruction civique est introduite sous forme de séances mensuelles, selon des modalités précisées par la longue circulaire du 10 mai 1948, signée par G. Monod3.
6L’objectif de cet enseignement est d’initier les élèves, au cours de leur scolarité secondaire, à la vie morale, politique et économique contemporaine, de l’échelle locale à l’échelle mondiale, afin qu’adultes, ils soient fermement attachés aux principes et aux règles de la démocratie4. Dans cette optique, le programme comporte deux volets de la sixième à la troisième : une étude des institutions et de la vie administrative en France, du niveau de la commune à celui de l’État, et une approche des conquêtes du labeur humain (6e, 5e, 4e) et des formes diverses de l’organisation économique (3e), centrée sur leur portée et leur valeur.
7Ancrée le plus fortement possible sur l’étude du milieu dans les deux classes inférieures, la nouvelle matière doit « révéler » aux jeunes gens ou « clarifier pour eux les faits et les problèmes économiques et sociaux qu’ils rencontreront au cours de leur existence en tant qu’hommes et en tant que citoyens ; leur donner l’envie généreuse de se dévouer à leur patrie et à l’humanité5 ». Le programme « indicatif » du second cycle porte la marque de ces options. Il regroupe des questions saisies dans leur actualité, comme en témoigne l’étude des problèmes démographiques français retenue en seconde pour alerter les jeunes sur l’« anémie humaine progressive » que connaît la nation, des sujets purement techniques – la construction du barrage de Génissiat – et des problèmes sur lesquels les futurs citoyens d’une société démocratique ont le devoir de prendre parti. Au demeurant, dans l’esprit de ses fondateurs, l’instruction civique est un des pans d’une formation sociale plus large, sollicitant toutes les situations de la vie scolaire, sur le modèle des expériences conduites en classes nouvelles. L’institutionnalisation d’un enseignement civique distinct de l’enseignement historique confère donc sa cohérence au projet éducatif construit au lendemain de la guerre autour d’une idée positive de l’homme, projet qui, nous l’avons vu, rassemble les énergies. Le rôle de G. Monod y a, sans nul doute, été prépondérant, mais l’élaboration et l’application des programmes reviennent à Louis François que le directeur de l’enseignement du second degré appelle en 1945 au ministère.
8L. François est, selon ses propres termes, ce « professeur révolutionnaire6 » qui, dans les années trente, testait des méthodes nouvelles dans des situations d’enseignement. Scout depuis l’âge de 13 ans, puis éclaireur de France, comme G. Monod qu’il a connu au lycée de Marseille, résistant de la première heure, il est affecté en 1945 à la vie scolaire, pour mettre en œuvre la mutation des établissements en structures plus éducatives qu’administratives, et, dans ce cadre, former notamment les maîtres d’internat à une fonction de guide plus que de surveillant. Nommé ensuite inspecteur général d’histoire et de géographie, il prend en charge le nouvel enseignement d’instruction civique qu’il a porté sur les fonts baptismaux et, au sein de l’UNESCO, l’étude de la contribution de l’enseignement de l’histoire et de la géographie à la compréhension internationale7. En effet, les arguments qui justifient à ses yeux la création de l’instruction civique en 1945 et expliquent la forme qu’il lui a donnée, notamment pour les classes du second cycle, valent aussi pour l’élaboration d’un civisme international.
9L’étude des grands phénomènes d’actualité, nationaux ou non, ne peut être qu’occasionnelle en classe d’histoire où elle est un prolongement des sujets traités. La formation civique n’est pas la finalité exclusive de l’enseignement de l’histoire même si celui-ci, par sa matière même, y concourt. De plus, les questions très contemporaines prêtent à débats et confrontations d’opinions. En conséquence, l’instruction civique doit constituer un domaine propre et « échapper aux règles d’un enseignement traditionnel8 ». Ses horaires sont souples, « soit le mercredi après les classes de l’après-midi, soit le jeudi matin, soit le samedi après-midi9 » ; ses professeurs divers, choisis par le conseil intérieur de l’établissement en fonction des séances, selon leurs compétences et expériences ; ses formes multiples, du moment qu’elles n’entrent pas en contradiction avec l’esprit du programme. Une des plus dynamiques va être dans certains établissements, à l’initiative de professeurs entreprenants, la création de clubs, comme celui des Amis de l’UNESCO qui noue des relations culturelles avec des pays étrangers et organise des débats. Les sorties éducatives procèdent aussi de cet élargissement des horizons. Les lycéens de Nantes viennent à Rennes visiter Ouest-France, l’émetteur de Radio-Bretagne et le centre anti-cancéreux10.
10Cette institutionnalisation clôturait un débat qui, depuis la préparation de la réforme de 1902, n’avait jamais été tranché11. Mais les événements de la période 1939-45 portaient les enseignants à considérer que l’enseignement historique et géographique ne suffisait à doter les jeunes générations ni de la conscience de leurs devoirs et responsabilités ni d’outils pour comprendre les problèmes contemporains et que, bien qu’il fût un instrument privilégié de la compréhension du présent, il fallait lui adjoindre des compléments. Ainsi, la position qui se dégage lors des journées de juillet 1947 est claire. Ayant inscrit l’initiation à la vie contemporaine à l’ordre de la troisième demi-journée du stage, les participants se prononcent pour la création d’un enseignement spécial qu’ils souhaitent voir confié aux historiens12. Si cet accord est perceptible également à la lecture des réactions qui se manifestent dans le Bulletin de la Société des professeurs d’histoire et de géographie, soit à titre personnel, soit par l’intermédiaire des Régionales13, les problèmes n’ont pas tardé à s’accumuler et à rendre en partie inopérante la circulaire du 10 mai 1948.
11Celui qui, sans conteste, a dominé tous les autres tient aux difficultés de réalisation qu’ont rencontrées les professeurs, lorsqu’ils ont cherché à donner à l’initiation à la vie sociale et politique le caractère vivant et concret vivement recommandé par les instructions officielles. Ni les crédits, ni les moyens documentaires n’ont permis de mettre en œuvre, et sans doute encore moins dans le second cycle que dans le premier, la pédagogie proposée qui constituait pourtant l’essence de la matière dans l’esprit de ses fondateurs.
12Dès lors, l’instruction civique est banalisée, puis dévalorisée par son faible horaire et son statut mal défini. Comme les autres matières, elle alimente des manuels, les précis d’instruction civique et économique14, dont la composition et la typographie sont aussi austères que celles des livres d’histoire. Cependant le style est beaucoup plus direct que dans les habituels livres scolaires. Les élèves sont pris à témoin : « Vous avez tous vu une Mairie… Mais quelques petits parisiens mis à part, beaucoup d’entre vous n’ont jamais vu de Ministère », impliqués : « Je peux exprimer ma pensée dans une réunion publique », encouragés par un exercice proposé à la fin du chapitre à s’enquérir personnellement. Par exemple, le sujet « les fonctions d’assistance dans la commune » donne lieu au relevé plus détaillé des caractéristiques de l’hôpital, bâtiments, personnel, etc. En fait, aboutissant à des résultats très inégaux selon l’environnement de l’établissement et les milieux socio-culturels des élèves, ces activités ne sont qu’un très approximatif succédané des séances originelles.
13Il n’est pas certain que tous les professeurs se soient désolé de cette évolution. En effet, plus l’habillage du nouvel enseignement se rapprochait de celui des autres matières, plus son intégration dans l’enseignement général s’en trouvait facilitée et plus les professeurs d’histoire et de géographie se sentaient autorisés à annexer à leurs disciplines l’initiation à la vie contemporaine, selon l’argument qu’elle en était le « complément naturel15 ». Les textes ministériels ne prenant explicitement en compte le rôle de complément des programmes d’histoire et de géographie que pour la classe de première16, et laissant la possibilité à l’administration de confier les heures d’instruction civique aux enseignants « volontaires », des divergences d’interprétation sur les services des professeurs d’histoire et de géographie entre leur association et la direction des établissements se sont multipliées. Dans le premier cycle notamment, la Société fait pression pour que la demi-heure hebdomadaire entre en compensation de celle enlevée à l’histoire dans les classes de sixième, cinquième et quatrième à partir de 1947. D’autre part, le contenu flou des séances d’instruction civique inquiétait certains enseignants soucieux de ne pas se faire les agents d’un enseignement officiel et de sauvegarder leur indépendance de pensée et leur neutralité17. Or la frontière entre l’information et l’opinion, du fait même que certaines questions brûlantes pouvaient être débattues, paraissait très perméable.
14« Chaque séance doit constituer un événement, et si possible un événement remarquable dans la vie de nos élèves18 ». Il y a loin de cette phrase de G. Monod, présentant le projet de l’instruction civique pour le second cycle en 1948, à la réalité des classes que l’absence de réforme globale ne prête pas à transformer. Aussi, si cet enseignement n’a pas été vain, faut-il en attribuer le mérite à l’ingéniosité des professeurs qui, par engagement personnel, ont voulu lui donner sa véritable dimension éducative en établissant une communication entre l’institution scolaire et la vie.
Une architecture inchangée
15L’agencement des programmes appliqués après la Libération, puis de ceux fixés par les arrêtés des 19 juillet 1957 et 7 mai 196319, reste, comme par le passé, dirigé par le principe de la continuité historique. En fonction de l’organisation, ou non, en cycles, « le récit continu en longue période » se déroule sur quatre ou sept ans, selon un découpage interne très proche dans le premier type de celui de 1902, reconduit en 1938, ou dans le second de celui de 1925. Ainsi s’incruste une division de la matière historique qui s’est, en fait, implicitement transformée en une tradition scolaire, rendant de plus en plus difficile, au fil du temps, le changement de logique qui paraissait urgent en 1945 (Tableau 10, p. 316).
16Immuablement, dans la structure par cycles qui caractérise la période 1945-1957, puis prévaut définitivement en 1963, l’Antiquité est vue en classe de sixième, le Moyen Âge en cinquième, les Temps modernes en quatrième, l’Époque contemporaine en troisième. Le second cycle est une reprise et, en conséquence, un approfondissement d’une partie de ce programme. Corollairement, les inconvénients de ce système sont les mêmes que lors des réformes précédentes ; un resserrement des périodes anciennes que ne masque pas le plus grand espace concédé au Moyen Âge en 1963, a contrario un renforcement de plus en plus net de la part de l’histoire contemporaine, celle-ci étant la seule des quatre périodes à être étudiée deux fois au cours de la scolarité, et un alourdissement des programmes, bien que l’existence de l’instruction civique ait allégé l’histoire contemporaine des temps postérieurs à 1945.
17Le maintien du statu quo est donc à attribuer en premier lieu à l’action de la Société des professeurs d’histoire et de géographie alors que, depuis 1945, la politique de la direction de l’enseignement du second degré est, dans la perspective d’un allégement des programmes, d’amener la Société à accepter de renoncer à la continuité historique20. Dans cette optique, le dialogue que l’administration entretient avec elle a pour objectif de faire émerger du milieu même des praticiens les suggestions les plus pertinentes. Mais il est rendu difficile par l’attitude conservatrice du bureau et du comité dont la composition mise en regard des bouleversements qu’ont causés la guerre et l’occupation témoigne d’une grande stabilité. Sont toujours sur-représentés les professeurs des lycées de garçons parisiens. Par exemple, sur les six membres honoraires du comité de 1947, et les dix sortants rééligibles, quatorze proviennent de la capitale. Bien que l’augmentation du nombre des membres du comité entraîne dans les années cinquante un élargissement de la représentation provinciale, et un rajeunissement des élus, le bureau n’est guère modifié ; à Bruley21, président de 1945 à 1957, succède d’abord Hubac, professeur aux lycées Lakanal puis Henri IV, membre honoraire du comité avant son élection, nommé I.G., à partir de 1964, puis D’Hoop, professeur au lycée Voltaire, secrétaire général de la Société depuis 1947. Interlocuteur privilégié de l’Inspection, le bureau adopte souvent des positions moins souples que celle-ci qui joue un peu, entre la direction du seconde degré et l’association, un rôle de tampon22. En effet, si l’inspection générale se prononce pour un enseignement continu permettant de parcourir plus lentement l’histoire générale entre 1492, date de la fin du programme de cinquième, et 1945, « elle propose d’adopter un découpage chronologique – qu’elle ne précise toutefois pas – tel qu’une partie de l’horaire de la discipline puisse être dégagée pour des leçons réservées aux aspects multiples de la vie des hommes23 ». Le plus important n’est pas tant la solution que l’Inspection préconise que l’idée qui la sous-tend. Selon elle, repenser la conception même de l’enseignement historique pose la question de l’architecture globale, alors que la Société des professeurs d’histoire soumet toute modification des contenus à la conservation préalable de la progression chronologique, des temps préhistoriques à l’époque contemporaine.
Tableau 10. La fixité des programmes à l’intérieur de deux grands types d’organisation.

18Le déroulement de la fresque historique apparaît en effet la forme la plus appropriée à forger le double sens de la continuité de la vie humaine et de son évolution, de ses changements dans le temps. Mais, à l’heure où l’historiographie est engagée dans de profondes mutations, l’argument se situe essentiellement sur le plan pédagogique. L’histoire continue permet de mettre en place les cadres chronologiques fondamentaux, les faits essentiels, à partir desquels la connaissance historique se structure, le substrat événementiel indispensable à des analyses plus approfondies24. Chronologique et descriptive dans le premier cycle, l’histoire devient explicative dans le second. Ainsi, au sein des Régionales, nombreux sont les enseignants qui, au début des années cinquante, pensent que peut être dépassée l’opposition de l’histoire événementielle et de l’histoire des civilisations qui s’exacerbe au fil des discussions sur les programmes25. Le vibrant plaidoyer que J. Isaac envoie de sa retraite pour que l’histoire chronologique ne soit pas chassée de l’enseignement en est une des expressions les plus fermes : « Éliminer l’histoire événementielle de l’enseignement historique, en vérité, c’est lui enlever sa colonne vertébrale, sa moelle épinière, tout ce qui lui donne le mouvement et la vie26 ». Un enseignement chronologique, jalonné d’événements qui permettent de construire progressivement une connaissance vivante du passé, est le rempart le plus efficace contre le « confusionnisme » dans l’esprit des élèves. Or, écrit J. Isaac, non sans amertume, « il n’est pas encore temps, (si jamais il doit l’être un jour) pour la jeunesse française de renoncer à la connaissance des grands faits qui ont formé la tradition nationale et aussi la tradition démocratique ».
19Les propos de J. Isaac, en parfaite cohérence avec ceux qu’il tenait en 1938 face à M. Bloch, rendent assez fidèlement la sensibilité des hommes du terrain. J. Isaac ne s’y méprend pas et se réfère à sa longue expérience. L’histoire que les professeurs pratiquent est celle qu’il a, au nom de l’inspection générale, conseillé d’enseigner, une histoire qui, en montrant l’enchaînement des faits, simplifie la complexité du passé mais y met de l’ordre « pédagogiquement » et rend intelligible le présent. Pourtant, ce choix qui apparaît alors le plus raisonnable au corps enseignant n’était pas le seul possible. Des travaux historiques comme La Société féodale de M. Bloch avaient fait la démonstration qu’on pouvait traiter une question selon un autre rythme que celui de l’histoire événementielle et politique. En conservant la périodisation quadripartite comme le moule établi de la matière historique, l’histoire scolaire restait prisonnière du temps court et se fermait aux problématiques nouvelles.
20Faut-il imputer ce choix au misonéisme du corps enseignant dont E. Durkheim signalait au début du siècle qu’il était l’obstacle majeur à l’évolution de l’enseignement secondaire27 ? Si nous avons effectivement noté pour la période de l’entre-deux-guerres que les professeurs étaient peu enclins à transformer un enseignement, qui, mutatis mutandis, faisait ses preuves, le contexte dans lequel se situe la discussion des nouveaux programmes au cours des années cinquante ne prête pas à ce que cette attitude soit battue en brèche. D’une part, quand la réforme de 1957 intervient, depuis plus de dix ans, des programmes transitoires sont appliqués, très peu remaniés par rapport à ceux de 1938. Aussi, pendant la période d’après-guerre où s’ouvrent sur le plan intellectuel de nouvelles perspectives favorables à la recomposition de la culture scolaire, dans les classes, les habitudes n’ont-elles pas changé ; l’enseignement continue et le recrutement de jeunes enseignants plus nombreux après la création du CAPES en 195028 ne bouleverse pas fondamentalement la donne, puisque le renouvellement de l’histoire universitaire est encore trop partiel pour que la formation des futurs professeurs en porte la marque. D’autre part, la réforme se situe en plein débat historiographique ; le rôle prépondérant accordé par les historiens marxistes aux facteurs économiques dans l’explication historique et plus globalement la philosophie de l’histoire sous-jacente sont contestés par les tenants du primat du politique pour qui l’histoire économique est perçue comme une science qui s’ébauche. L’inspecteur général Huby le souligne, dans des propos qui traduisent une position ambivalente29. Tout en affirmant la nécessité d’accorder plus de place à l’évolution économique et sociale, il ne se départ pas d’une certaine méfiance que J. Isaac, sur le même sujet, avait très nettement manifestée en 1938. La polémique autour de la pomme de terre qui naît d’une assertion d’H. Hauser sur son importance historique est révélatrice du climat de l’époque. J. Isaac rétorque que l’étude des journées de 1848 n’est pas moins « riche de substances historique et pédagogique30 » et le recteur de l’académie de Besançon, Roger Doucet, s’émeut dans un article à l’Information historique que la culture de la pomme de terre puisse céder le pas à l’abolition de la féodalité et même à la bataille de Valmy31. Ces deux exemples de controverse à propos de la notion même d’événement montrent d’ailleurs qu’interfère dans le débat la question de l’histoire nationale. Une histoire des sociétés humaines empiète sur celle-ci. Ainsi pour la plupart des membres de la communauté éducative, républicains de cœur, n’est-il pas possible de transgresser dans l’agencement des programmes la coupure chronologique de 1789 et de ne pas placer la Révolution française au premier plan de l’enseignement secondaire public. Le débat porte seulement sur la classe où elle doit être située ; classe de seconde à l’âge où les élèves sont intellectuellement les plus disponibles ou classe de baccalauréat ?
21En conséquence, au carrefour de deux voies, l’une débroussaillée mais inconnue pour eux et l’autre balisée et familière, les professeurs choisissent la seconde, plus par réflexe, voire conscience, professionnel que par routine. Dans le second cas, en effet, ils se sentent mieux armés pour donner à leur enseignement une efficacité pédagogique qu’ils évaluent à l’aune
du bagage culturel dont ils munissent leurs élèves. C’est pourquoi la fixité des programmes s’étend des cadres à la trame. Dans les programmes de 1957, de la classe de cinquième à celle de seconde comprise, est reconduit plus de 70 % du programme de 1938. Les additifs ne sont, en fait, que des résurgences du programme de 1925 telles que la lutte du Sacerdoce et
de l’Empire, ou des chapitres nouveaux dûs à la recomposition chronologique, comme une leçon finale sur l’héritage du Moyen Âge ou, en début de troisième, une leçon introductive sur l’Europe à la fin du xve siècle. Dix questions, seulement, marquent des orientations nouvelles. L’Empire romain d’Orient, Justinien, Mahomet et l’Empire arabe, l’Empire Franc, Charlemagne deviennent l’Empire et la civilisation de Byzance, l’Empire et la civilisation arabe, l’Empire et la civilisation carolingienne, libellé uniforme qui prête à éveiller l’élève à une approche comparée. Dans la même perspective d’élargissement des horizons, sont étudiées les transformations de l’Asie du xiiie au xve. En seconde, l’introduction de la civilisation européenne à l’époque napoléonienne correspond au souci de privilégier la synthèse, comme le faisait celle, qui traditionnellement, ponctuait le siècle de Louis XIV. Ces cinq chapitres proposent donc « des tableaux de civilisation », dans un esprit proche des suggestions émises par exemple par P. Leuilliot32. Les cinq autres ont pour objectif de mettre en valeur les évolutions économiques et sociales. En quatrième, l’essor des villes complète l’étude des autres formes de l’« épanouissement de la civilisation médiévale » et en fait un thème plus structuré qu’en 1938 ; les progrès scientifiques et techniques du xviiie siècle, les transformations de l’Europe dans la seconde moitié du xixe siècle entrent également dans cette catégorie. La faible part de ces modifications est, cependant, selon l’arrêté initial, un peu compensée par le fait qu’il est prévu de consacrer la totalité de l’année terminale à l’étude des civilisations contemporaines. Mais la révision de 1959 allait laminer encore plus l’histoire non-événementielle33.
22Avec la reconduction d’une grande partie du programme de 1938, la tradition l’emportait. Alors que les fondateurs des Annales aspiraient à élaborer une histoire totale, l’histoire scolaire restait compartimentée, selon un schéma unique appliqué à tous les territoires : l’Europe à la fin du xve siècle : état politique, religieux, économique. La France sous François 1er et Henri II : gouvernement, vie économique, lutte contre la maison d’Autriche. L’Angleterre au xviiie siècle : formation du régime parlementaire ; transformations économiques et sociales. N’est-ce pas le fameux « système de la commode » que L. Febvre tournait en dérision34 ? Or, les programmes de 1963 aggravent la situation. Comprimant la matière de ceux de 1957, ils accordent, en quatrième, deux chapitres sur vingt-trois aux transformations de l’Europe. En troisième, la totalité du premier semestre est occupée par l’étude de la Révolution et de l’Empire. Dans le second, la naissance de la civilisation industrielle en Europe et l’expansion qui en résulte ne font l’objet d’aucune étude spécifique. Le monde extra-européen se réduit à l’Amérique dont l’histoire est ployée dans les cadres d’une chronologie francocentrique, 1815-1870.
23La caractéristique des programmes réside dans la greffe de chapitres ou de développements d’histoire économique et sociale sur une trame inchangée. Une histoire enrichie, élargie, représentait, pensait-on, la contribution de la discipline à la compréhension des sociétés contemporaines et à l’œuvre de paix. Les jalons bien établis, les élèves plus mûrs, la dernière année, on pouvait penser l’histoire autrement. L’aboutissement de l’apprentissage était l’étude des civilisations. Robert Hubac, le président de la Société des professeurs d’histoire et de géographie présentant le nouveau programme des classes terminales, concluait en ces termes : « En somme, je pense qu’il n’est pas d’histoire des civilisations possible sans, au préalable, une solide connaissance des événements35 ». Et, de peur d’être mal compris, il précisait : « Étant bien entendu que, pour nous, un événement c’est l’invention de la machine à vapeur, l’introduction de la betterave dans le système des cultures bien plus que le nez de Cléopâtre ». Il résumait, en quelque sorte, le chemin parcouru dans la réactualisation des programmes.
Une greffe fragile : l’enseignement de l’histoire des civilisations
24Dans sa forme définitive, le programme « les civilisations du monde contemporain », institué par l’arrêté du 9 juin 1959, entre en vigueur dans les classes de philosophie, sciences expérimentales et mathématiques à partir de la rentrée 1962, à raison de deux heures par semaine les second et troisième trimestres. Bien qu’il y ait eu des antécédents36, la décision ministérielle d’inscrire cette question dans les programmes scolaires revêt un caractère que F. Braudel qualifie de « révolutionnaire37 », parce que l’histoire des civilisations exige « un certain dépaysement intellectuel ». Il s’agit en effet de passer de l’histoire récitative à une histoire qui se veut une explication d’ensemble et qui, en tant que telle, manie des emprunts pluridisciplinaires et la pluralité des temps. Le programme stipule que la civilisation doit être envisagée sous toutes ses formes et que l’étude comprend outre les aspects contemporains, les fondements, c’est-à-dire, dans la terminologie de F. Braudel, « les réalités de longue durée ». L’enseignement des civilisations introduit donc une histoire structurale qui rapproche le savoir scolaire des nouveaux courants intellectuels.
25À ce premier dépaysement, s’ajoute celui que crée « le voyage proposé à des Occidentaux au bout de la nuit des civilisations non-européennes38 ». C’est par cet aspect que le programme réalise les objectifs fixés aux lendemains de la guerre pour la réforme de l’enseignement historique. La réflexion de F. Braudel qui ouvre le numéro spécial des Cahiers pédagogiques consacré à l’étude des civilisations fait écho quinze ans après à celle de L. Febvre. Les mêmes urgences et, en conséquence, les mêmes devoirs pour les enseignants justifient le nouveau programme : l’explication de l’état présent des choses, avec ses « zones brûlantes », de la « vie précipitée du monde », la construction d’un humanisme qui ne soit « plus seulement à l’échelle de la Méditerranée ». Ce faisant, partant de l’actualité à la fin des années 1950, le programme était éminemment daté. À la projection de la carte de la guerre froide dans le choix des aires retenues, se superposait un decrescendo selon leur plus ou moins grande proximité culturelle avec l’Europe et l’intensité des échanges que les Européens avaient noués avec elles. La réduction de l’horaire intervenue depuis l’arrêté du 19 juillet 1957 accentuait d’ailleurs le schématisme de la classification, le monde extrême-oriental et le monde asiatique du Sud-Est se trouvant réunis en 1959 dans le même ensemble.
26La succession des deux arrêtés montre la difficile genèse du nouvel enseignement. À l’ordre du jour en 1947, à l’instigation de G. Monod et de L. Febvre, le projet d’inscrire en seconde l’histoire de la civilisation des origines à la fin du xviiie siècle est ratifié par l’assemblée plénière à l’unanimité moins sept voix39. C’est-à-dire qu’il reçoit l’accord des inspecteurs généraux de la discipline, du président Bruley de la Société des professeurs d’histoire et de géographie, de Madeleine Schwab représentante des agrégés au Conseil supérieur de l’enseignement du second degré, mais il alimente de vifs débats au sein des Régionales et des assemblées générales de la Société, au cours desquels, les positions se schématisant, les partisans de l’histoire des civilisations se heurtent à ceux de l’histoire événementielle. Réexaminé au début de l’année 1951, le projet présenté par l’inspecteur général Huby reprend pour la classe de seconde l’histoire des civilisations de l’Antiquité, du Moyen Âge – civilisations byzantine, musulmane et occidentale – et une histoire générale de l’Europe retraçant les grandes lignes de l’évolution intellectuelle, politique et économique depuis le début des Temps modernes40. Cependant, à côté de ce projet marqué du sceau de l’inspection générale, A. Alba, professeur agrégé au lycée Henri IV à Paris, collaborateur de J. Isaac pour la rédaction des manuels scolaires dits « cours Malet-Isaac », propose un programme41 discontinu et beaucoup plus thématique, organisé autour de cinq tableaux : l’Antiquité, la Chrétienté occidentale aux xiie et xiiie siècles, la fin du Moyen Âge et le xvie, le xviie siècle où surgit la France, et un dernier intitulé : « À la veille de la Révolution française ».
27Les critiques contre le projet d’A. Huby, le seul à être officiel, sont telles que le Président de la Société demande au directeur de l’enseignement du second degré de surseoir à l’établissement définitif du programme et ne pas en prévoir l’application avant la rentrée 195242. Toutes relatives à la lourdeur du programme, elles ne font pas cas de la dérive de l’idée initiale de l’enseignement des civilisations dictée par le fait qu’il n’était plus possible d’ignorer le monde extra-européen. Au bout de quatre ans de discussion, la représentante des agrégées au Conseil de l’enseignement du second degré note comme une avancée le fait que le titre du programme, civilisations (au pluriel), ait été voté sans opposition43. En fait, l’accord est impossible au sein de la corporation.
28Prise dans la tourmente des divers plans d’une réforme générale de l’enseignement du second degré, la question ne réapparaît qu’à la fin de l’année 1955. Repris une nouvelle fois par le ministère, prévu toujours en classe de seconde dans le cadre d’une étude chronologique de l’histoire de la sixième aux classes terminales qu’il brise durant une année scolaire, l’enseignement de l’histoire des civilisations déclenche une seconde polémique, toujours au nom du principe de la continuité. Aussi A. Alba, déplorant que la programmation aboutisse à ce que « l’élève, arrivé à la fin de la troisième, à la convocation des États généraux, n’étudiera leur histoire que quinze mois plus tard, après un retour à des millénaires en arrière44 », essaie-t-il de contrer la proposition ministérielle. À l’intérieur d’une progression strictement chronologique, il élabore un nouveau projet où, dans toutes les classes, l’accent est mis sur l’étude de la civilisation « au sens le plus large du mot45 ». Le comité national de la Société des professeurs d’histoire et de géographie soutient, quant à lui, un troisième plan, celui de Madeleine Schwab, qui envisage l’étude des civilisations anciennes dans les sections littéraires des classes de seconde et première sans rompre la continuité historique et correspond à la position constamment exprimée par la Société et au programme qu’elle avait élaborée en 193846. C’est-à-dire que le projet qu’il revient à la Société de défendre s’inspire en fait des modalités les plus favorables à l’accroissement des horaires et, conséquemment, à la quantité d’enseignement dispensé, adoptées antérieurement par des plans aussi contradictoires que ceux de 1902 et 1925. Enfin une dernière possibilité consiste à repousser l’étude des civilisations en classes terminales. A priori peu compatible avec les impératifs d’une classe de baccalauréat, cette solution va finalement être adoptée définitivement parce qu’elle sauvegarde la continuité chronologique jusqu’à la fin de la classe de première.
29On peut constater que toutes les solutions tendent à accréditer l’idée que l’enseignement des civilisations est difficilement possible, ce qui est la meilleure façon de le remettre en cause. A. Alba note avec pertinence qu’on s’était déjà convaincu en 1951 qu’il était irréalisable47. Sans doute cette analyse explique-t-elle que son deuxième projet soit très en retrait par rapport au premier. Pourtant le « on » qu’il emploie ne s’applique guère qu’aux organes décisionnels de la Société. Lorsque le Comité national tente en 1956 un référendum sur les programmes, deux cent soixante quatorze adhérents sur plus de quatre mille expriment leur point de vue, soit six et demi pour cent… Mais en posant systématiquement le problème par rapport à celui de la continuité de l’enseignement de la sixième au baccalauréat, les responsables de l’association bloquent le débat et cherchent à freiner l’évolution que le ministère impulse. De son côté, l’Inspection générale a une attitude plus progressiste. Alors que la Société défend comme pouvoir constitué une certaine perception des intérêts professionnels, les inspecteurs Troux et Huby savent bien que la rénovation de la discipline exige des mutations. Quant à L. François, très sensible à la dimension éducative de l’histoire et de la géographie, il est personnellement favorable à l’établissement au sein d’un cadre strictement temporel, de « pauses plus nombreuses et plus longues qui permettent de saisir les grands types de civilisation replacés dans le temps et si possible comparés entre eux48 ». Enfin, cette orientation ne peut que rencontrer l’appui de Maurice Crouzet, historien et inspecteur, qui dirige au début des années cinquante une « histoire générale des civilisations », publiée aux Presses Universitaires de France49. Placée dans la filiation de M. Bloch, la collection, constituée de sept volumes, propose une approche résolument nouvelle. Se refusant à n’être que l’étude de « l’acquis général des sociétés et des civilisations, qui présenterait ces dernières comme autant d’étapes échelonnées sur la route du progrès50 », l’histoire générale s’attache à décrire et expliquer les multiples aspects qui font des civilisations des blocs cohérents et à mettre en valeur les contacts qu’elles ont entre elles établis. Finalement, l’écriture du cours des classes terminales se fait selon une conception très proche de cette entreprise historiographique, ce qui explique le mouvement d’optimisme qui accompagne l’annonce de la réforme.
30Maurice Benchetrit, à l’initiative de la rédaction du numéro spécial des Cahiers pédagogiques de 1963, la première année de la mise en œuvre du programme, écrit : « Nous voici mis en face, non plus simplement de problèmes pédagogiques courants, mais d’une véritable « remise en question » du sens et de l’objet traditionnels de notre enseignement… Pionniers devant on ne sait trop quelle nouvelle frontière, nous allons avoir à explorer avec nos élèves un domaine nouveau et non plus à les mener tranquillement le long de sentiers tellement battus51 ». Aussi, la réalisation de la revue est-elle orientée vers la réussite de l’enseignement : la définition du concept de civilisation, l’analyse des difficultés, les échanges de vues et les suggestions pédagogiques en constituent le sommaire, dans la perspective d’offrir des ressources à la réflexion des enseignants. Par exemple, des professeurs, sur les conseils de l’inspecteur général L. François, panachent l’histoire, la géographie et l’instruction civique52. L’entreprise semble fructueuse. Un enseignant témoigne de la satisfaction des élèves : « C’est avec une unanimité absolue que l’on considère comme passionnante l’histoire des civilisations53 ».
31Cependant, des réactions opposées accueillent le nouvel enseignement. Des inquiétudes légitimes pointent dans l’Éducation nationale ou le Bulletin54. Le problème crucial est, en effet, le manque de préparation des enseignants. Les journées d’information, bien qu’elles commencent à être décentralisées, grâce notamment à l’action des Régionales, concernent un nombre restreint de collègues. Aucune brochure officielle d’accompagnement des programmes n’est distribuée dans les établissements et les procès verbaux des assemblées régionales de l’association mentionnent que les professeurs souhaitent que soient rédigées des instructions qui les éclairent55. Étant donné l’absence de formation continue, ils puisent dans les manuels scolaires la substance de leur cours. J-M. D’Hoop, nouveau président de la Société, recommande d’ailleurs explicitement aux collègues qui souhaitent obtenir dans le Bulletin des conseils relatifs à la conception du programme de recourir aux manuels existants.
32Ce manque d’enthousiasme d’une partie des enseignants, qu’aucune donnée ne permet cependant d’évaluer précisément, sert la stratégie de l’état-major de la Société des professeurs d’histoire et de géographie. Celle-ci d’ailleurs ne manque pas de perfidie. Par ses pressions sur le ministère, la Société a finalement obtenu le resserrement du programme des civilisations sur deux trimestres au lieu de trois, justifié en ces termes par R. Hubac à l’assemblée générale, le 11 novembre : « Notre action a eu pour but d’une part d’introduire à nouveau l’histoire événementielle dans les classes terminales d’où elle avait été chassée (sic), d’autre part de préciser ce qu’il fallait entendre par l’histoire des civilisations contemporaines56 ». Or, responsables de l’amputation du tiers du temps qui était initialement attribué au sujet, les dirigeants de l’association n’en vont pas moins exploiter l’argument de la lourdeur du programme pour obtenir des allégements qui ôtent à la nouvelle histoire enseignée sa cohérence. On peut même émettre l’hypothèse que l’histoire des civilisations n’ait guère plus pour eux qu’un alibi pour revendiquer plus d’influence pour la discipline et ses représentants. Alors que R. Hubac dit se féliciter de la place acquise dans les programmes par l’étude du monde contemporain, il déclare : « on ne pourra plus nous accuser désormais d’enseigner l’histoire-batailles et l’histoire généalogie57 ». Dans la comptabilité des profits et pertes que la Société tient depuis sa création en 1910, voilà au moins un gain.
33La question du baccalauréat donne l’occasion de déclencher une deuxième vague d’offensive contre le programme. De fait, considérés comme trop difficiles pour des élèves de classes terminales et trop aléatoires, étant donné la multiplicité possible des approches, les sujets relatifs aux civilisations contemporaines sont retenus par l’Inspection générale dans la proportion d’un sur trois. L’élève est donc assuré de pouvoir composer sur la partie événementielle du programme et même d’avoir le choix pour celle-ci entre deux propositions. Dans ces conditions, l’impasse que pratique l’élève devient vite le fait du professeur. Dans un programme chargé qu’il est difficile de traiter en entier, les questions sacrifiées sont en priorité celles qui ne figurent pas – ou peu – à l’examen. Comme les civilisations dont l’histoire est peu connue, sinon de quelques spécialistes – celles dont, dit R. Hubac : « On n’aurait pas pu beaucoup parler58 » –, prêtent à un éventail de sujets plus réduit, elles sont les premières à disparaître du programme. Dès 1965, après trois ans d’une application plus ou moins effective, le programme est officiellement allégé, consécutivement à la modification de l’épreuve d’histoire et de géographie au baccalauréat, laquelle redevient à partir de la session 1966 une épreuve orale59. Sont supprimés l’Amérique latine, l’Islam indonésien, Madagascar, l’Indochine et le Monde africain noir60. Dans un monde où sont en train de se produire l’indépendance de l’Afrique et l’émergence du Tiers-Monde, ces choix marquent la négation de la philosophie du programme, lequel devait permettre aux élèves de comprendre l’actualité en leur montrant les racines des problèmes du temps présent. Ainsi, au fil de sa mise en œuvre, le cours terminal réduit-il à une expression dénaturée l’idée de civilisation une et plurielle qui avait inspiré le projet de 1947.
34Certes, du fait de la création des sections économiques, les programmes d’histoire et de géographie du second cycle ne sont plus qu’en sursis à partir de la rentrée 1965. Mais, bien avant cette date, la Société des professeurs d’histoire et de géographie n’a jamais cherché à défendre l’enseignement des civilisations ni même à en faciliter l’exécution. Cette attitude provoque quelques « tribunes libres » vives. Dans un courrier intitulé « À quoi sert la société des professeurs d’histoire et de géographie61 ? », F.G. Dreyfus, alors maître-assistant à la Faculté des lettres de Strasbourg, relève que, depuis 1957, le Bulletin n’a pas consacré plus de trente pages au sujet et que « rien n’a été fait pour faciliter à nos collègues l’approche de certains problèmes délicats ». C’est d’ailleurs pourquoi on le trouve associé à la confection du numéro spécial des Cahiers pédagogiques, dont l’objectif est de seconder les enseignants par un dossier qu’ils n’ont pas pu trouver dans leur revue disciplinaire.
35Il est indéniable que l’étude des civilisations contemporaines détachée de leur conjoncture événementielle provoquait l’interrogation des enseignants. Était-ce de l’histoire ? Tout dépendait de la lecture qui était faite, de la part accordée respectivement aux fondements et aux aspects récents. Cette incursion dans l’actualité était-elle bien l’objet de la culture secondaire, n’obligeait-elle pas à prendre parti et ne menaçait-elle pas les traditions de neutralité ? Ces questions figurent soit dans les communications individuelles, soit dans celles des Régionales62. Les schémas intellectuels et les habitudes pédagogiques se trouvent bouleversés. Enseigner une histoire qui montre l’imbrication des faits et l’enracinement du présent dans le passé demande du temps, oblige à sérier les sujets d’étude. Toutes ces considérations ont pesé sur la mise en œuvre du programme, tempéré l’intérêt qu’il suscitait. Cela explique qu’à aucun moment, la politique du Bureau n’ait été désavouée par les adhérents.
36L’échec partiel du nouvel enseignement manifestait la difficulté de repenser une histoire dont les cadres et les images étaient ancrés dans la conscience collective. Du côté des enseignants, la voie du juste milieu, c’est-à-dire celle qui cherchait à concilier l’histoire-batailles et l’histoire des civilisations, l’histoire nationale et l’histoire universelle, ramenait, en effet, à l’histoire événementielle. Le fait qu’hormis les deux derniers trimestres des études, la lettre des programmes restât la même, incitait les professeurs à reproduire leurs expériences antérieures. « Insister sur les civilisations », « faire plus de place aux phénomènes démographiques et sociaux63 » se glissaient dans la logique de l’enchaînement des faits et du schéma causes-conséquences que ces développements enrichissaient. Mais seule une définition nouvelle des programmes, intervenant très rapidement à la Libération et créant un effet de rupture, aurait placé le corps enseignant devant la nécessité de changer de perspective.
37Parallèlement, les élèves suivaient le même parcours historique que leurs aînés. Ainsi d’une génération à l’autre, se propageait une vulgate où chaque étape de la scolarité était associée à tel ou tel personnage ou événement historique : la sixième, Périclès et César ; la cinquième, Charlemagne, Saint-Louis et les croisades ; la quatrième, Charles Quint et Louis XIV ; la troisième, la Révolution et Napoléon. On pourrait multiplier les exemples. Les quelques sondages réalisés par les enseignants et publiés dans les Cahiers pédagogiques64 présentent, à ce propos, des convergences manifestes alors qu’ils ont été effectués à près de dix ans d’intervalle avec des catégories d’élèves d’âges différents. Les grands hommes et la guerre – nous sommes dans des établissements masculins – recueillent la majorité des suffrages. Les garçons s’identifient à des héros par un processus imaginaire ; un élève écrit par exemple : « Lorsque je lis les récits des grandes batailles de Napoléon, je suis fier d’être de la race de ces soldats héroïques ». Or, pur produit des représentations dues à l’imprégnation culturelle dès l’enfance, le goût pour l’histoire événementielle portait les concepteurs des programmes, pour ne pas heurter l’opinion commune, à bouleverser aussi peu que possible la tradition scolaire. Au demeurant, cette histoire-là, les professeurs la racontaient avec talent. Éloquente est l’appréciation de l’inspecteur général Troux, à la fin d’un cours de quatrième où Jeanne d’Arc est présentée à partir des écrits de Michelet : « L’histoire y gagne-t-elle ? J’en doute, mais l’héroïne n’en plaît que davantage à ces jeunes élèves et c’est peut-être là l’essentiel du profit de cette leçon65 ».
38Si l’on admet que la fixité des programmes a nui à l’évolution des représentations de l’histoire, y compris au sein du corps enseignant, les transformations de l’enseignement pouvaient-elles alors, comme l’espérait l’Inspection générale, venir de l’évolution des pratiques ?
L’inégal « rajeunissement des méthodes »
Les directives ministérielles
39S’inscrivant explicitement dans la continuité des instructions de 1938, celles du 10 décembre 1954, prenant acte des circulaires de la direction de l’enseignement du second degré relatives aux buts et aux méthodes de l’enseignement, se veulent « un nouvel encouragement au rajeunissement des méthodes fondées sur une pédagogie active et une activité collective66 ». Le tableau de la classe idéale est dessiné avec lyrisme : les élèves y constituent par la seule volonté du maître, « un chœur attentif et vibrant », où le professeur « tel un chef d’orchestre fait courir à bon escient la mélodie d’un pupitre à l’autre » et se transforme en arbitre quand la spontanéité des élèves devient encombrante. L’idée n’est pas nouvelle mais formulée avec maints épithètes et points d’exclamation qui donne à l’incitation ardeur et enthousiasme, elle exprime à l’égard des élèves une sollicitude bonhomme et marque une attention plus grande à leur personnalité. Le professeur doit parvenir à mobiliser les connaissances des élèves et conduire son cours avec la participation de la classe. « Pourquoi formuler doctoralement, en personne, ce que les autres établiraient ? Pourquoi leur proposer ce qu’ils possèdent déjà67 ? ». C’est-à-dire que, sans que soit toutefois employée l’expression, la méthode maïeutique apparaît la plus féconde parce qu’elle fait parler et réfléchir les élèves.
40Conscients que l’exhortation du professeur n’est souvent pas suffisante pour provoquer l’activité, surtout avec les grands élèves, et soucieux d’appliquer la méthode de la « redécouverte » prônée par le ministère comme la méthode la plus formatrice, les rédacteurs des instructions – l’Inspection générale, et particulièrement sans doute Albert Troux, étant donné les analogies avec le texte qu’il a fait publier dans le numéro du 12 mars 1953 de l’Éducation nationale68 – examinent parmi les formes que peut prendre l’enseignement une question sur laquelle la réflexion et les expériences menées dans la discipline incitent les autorités pédagogiques à prendre position. L’utilisation des documents prend ainsi place officiellement parmi les procédés qui doivent « attiser la soif d’apprendre dans un auditoire d’adolescents69 ».
41Si le document garde une valeur illustrative dans le cours parlé, les instructions de 1954 avalisent deux pratiques plus novatrices. La première est le recours à « tous les types de documents avec lesquels s’écrit l’histoire70 ». Seule ou associée à d’autres sources, mise en relation avec elles, la reproduction imagée a le même rôle à jouer que le texte. Il s’agit de substituer au cours magistral une « étude méthodique et précise » des documents que le professeur, certes, guide mais qui est faite par les élèves, individuellement ou non, selon une démarche inductive. La seconde pratique consiste à initier l’élève au métier d’historien. Dans ce cas, le document peut être utilisé seul – l’emploi du singulier dans l’expression commentaire de texte est nouveau –. Aussi est-il expressément signalé « nous pouvons et devons introduire le commentaire de texte ou de gravure », prise de position qui donne le ton de ce que doit être la pédagogie d’un enseignement historique rénové. Les vues sont d’ailleurs ambitieuses puisque les instructions officielles s’intéressent à la possibilité de montrer, par ce procédé, comment se construit le savoir historique et qu’il y a une histoire de l’Histoire.
42Il convient donc d’offrir à l’élève l’occasion d’être « face au document71 » qu’il examine, analyse et critique. S’il est impératif de prendre en compte la maturité des élèves dans l’élaboration des situations pédagogiques, l’âge ne constitue pas cependant un obstacle à cette forme de travail. Les réalisations dans l’enseignement primaire, premier champ depuis les instructions de 1945 d’une expérimentation qui s’est ensuite étendue aux classes nouvelles, montrent que dès la sixième, on peut concevoir des situations simples. Les instructions de 1954 jugent utile d’en citer des exemples. « N’évoquons jamais la civilisation égyptienne sans nous appuyer non seulement sur des photographies de paysages nilotiques, de ruines, d’inscriptions, de peintures tombales, mais encore sur les fragments du « Livre des Morts, sur des hymnes et des cantiques contemporains des Pharaons72 ». Il reste à donner à l’expression « nous appuyer » un contenu tel que le document ne soit plus seulement illustratif.
43L’organisation du cours autour du document provoque cependant une certaine perplexité des rédacteurs du texte de 1954 qui l’ont émaillé de multiples réserves. L’Inspection générale suit « avec sympathie » les tentatives des professeurs qui se « sont efforcés » d’appliquer la méthode de la découverte mais n’omet pas de mentionner qu’il s’agit d’« expériences », d’essais, « rares de surcroît73 ». En outre les vertus de cette pédagogie sont plus supposées qu’affirmées. Les paragraphes s’y rapportant sont rédigés au conditionnel. Pour l’Inspection, il n’est pas encore question d’envisager une utilisation généralisée d’un enseignement assimilé à « un échantillonnage discontinu en profondeur », et dans une rédaction largement inspirée par A. Troux, l’emploi de cette référence est une forme de discrédit. L’expérience est possible, mais ponctuellement, dans certaines classes, sur certains sujets, avec certains documents, et le tout demande une recherche et une préparation si minutieuses que plus d’un professeur risque d’être découragé avant d’avoir commencé. Il est rappelé de façon faussement anodine qu’il faut à un chercheur plusieurs années d’analyse pour une heure de synthèse.
44À partir des instructions complémentaires de mars 195774, l’Inspection générale semble vouloir accélérer l’évolution. En effet, la réorganisation des contenus par l’arrêté ministériel du 23 novembre 1956 offre des perspectives de renouvellement des méthodes. Reprenant les différents statuts du document, le texte officiel évoque la fonction illustrative en si peu de lignes et avec un vocabulaire si restrictif – le document « illustrera sans plus », « n’aura guère d’autre objet que »… – qu’on y lit tout de suite le peu d’intérêt qu’elle doit susciter. En revanche, à propos de la « substitution » – terme mis en italique dans le texte et employé deux fois à dix lignes d’intervalle –, il est indiqué qu’« elle doit être la façon normale de présenter un édit essentiel, une grande loi, une constitution, un traité, le récit d’un événement à un contemporain75 » et qu’elle permet de traiter une partie importante du cours. La possibilité de faire « une étude systématique… et en profondeur » acquiert droit de cité dans l’enseignement secondaire et la formule, sous la plume de A. Troux, n’est pas une moindre reconnaissance.
45Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus général. La direction de l’enseignement du second degré a, en effet, retenu comme thème sur lequel devait porter l’effort pédagogique durant l’année scolaire 1957-58 l’usage de la documentation dans l’enseignement de l’histoire. Cette orientation se traduit par une nette insistance des instructions « sur le caractère indispensable des méthodes actives », supposant que « toutes les ressources de la documentation entrent en jeu76 ». Ce n’est pas une simple clause de style. L’Inspection générale va se préoccuper de donner aux enseignants, sinon les moyens, du moins l’information leur permettant de travailler sur les sources. En effet, l’éventail de documents auxquels le professeur peut recourir devant permettre en théorie d’appréhender les formes les plus diverses de l’activité humaine et de conduire à bien l’histoire des civilisations, l’Éducation nationale se trouve face à un grave problème de logistique. Pour le résoudre, elle mobilise les ressources potentielles, avec la contribution de la Documentation française qui, après avoir publié les Cent chefs-d’œuvre de l’Art français, édite Cent documents d’Histoire de France. L’IPN quant à lui, procède à un inventaire de la documentation « inamovible » et recense, outre les sites et les monuments, les collections des musées. Ces entreprises ont le souci commun de montrer à l’élève les matériaux avec lesquels s’écrit l’histoire et de lui faire appréhender la vie des sociétés passées. Monnaies, médailles et objets de la vie quotidienne côtoient les reproductions du texte de l’édit de Nantes ou du serment du Jeu de Paume. Enfin dans le but de rapprocher l’élève de l’histoire, le musée d’Histoire de France, dont le conservateur est Régine Pernoud, propose des expositions pédagogiques de documents reproduits en fac-similé qui peuvent circuler dans les établissements et, à l’initiative de Charles Braibant, directeur des Archives de France, se met en place dans plusieurs dépôts d’archives départementales un service éducatif77.
46Parallèlement, une action d’information est menée par la direction de l’enseignement du second degré qui explicite les attentes du ministère et favorise les contacts et les échanges entre les professeurs, dans l’espoir que l’innovation fasse tâche d’huile. Après avoir organisé en septembre 1957 un colloque national sur la recherche pédagogique à Sèvres, elle a prévu la tenue de stages régionaux que la revue l’Éducation nationale et le Bulletin de la Société des professeurs d’histoire et de géographie aident à préparer en publiant dans leurs colonnes une enquête élaborée par les participants de Sèvres78. Par le biais de ce questionnaire, la direction du second degré essaie de procéder à une évaluation des actions menées depuis la rentrée 1952, date de la première circulaire relative à la documentation dans l’enseignement. Posant comme acquis la réalité des méthodes d’utilisation : « Quelles parties du programme ont pu être traitées… Comment sélectionnez-vous les documents apportés par vos élèves ? etc. », elle vise, par ce moyen, à provoquer l’engagement des professeurs qui pourraient se sentir les moins concernés, avec même la collaboration des directions d’établissement puisqu’est annoncée pour l’année 1958 une enquête pratique auprès de tous les lycées et collèges. L’examen des questions fermées conduit cependant à se demander si l’administration centrale ne cherche pas dans les réponses à l’enquête le cautionnement de la ligne qu’elle souhaite définir. Par exemple, les questions en accompagnement du questionnaire relatives à l’abondance des documents : « Combien de documents utilisez-vous par leçon ? Que pensez-vous de l’abondance des documents ? Y a-t-il un nombre optimum ? » ont déjà trouvé réponse dans l’article qu’A. Troux publie. En effet, pour faciliter la tâche des professeurs et couper court aux nombreuses objections sur l’absence de moyens79, l’Inspection générale essaie d’amener les professeurs à limiter le nombre de documents et à utiliser « les moyens du bord ». Elle sait que c’est seulement dans un deuxième temps, que, comme y engagent les instructions, chacun pourra enrichir ce fonds documentaire de recueils plus rares.
47Le rôle du corps d’inspection consiste, dès lors, à guider les professeurs dans la recherche d’une documentation dispersée et difficilement accessible. C’est pourquoi, après avoir énoncé les principes de la réforme, les instructions de 1957 présentent, dans une longue sous-partie, un répertoire de ressources et de remarques pratiques, appuyées sur des exemples précis. Les possibilités de recourir aux dépôts publics des archives ou aux publications de l’IPN sont signalées, la « Documentation photographique » et la collection « Textes et documents pour la classe » vivement recommandées. L’Inspection générale se fait moins normative que conseillère. Par son intermédiaire, le ministère tente de dissiper les inquiétudes des professeurs dont beaucoup se sentent sur un terrain méconnu et à impulser, en faveur de la rénovation pédagogique, un élan collectif. L’enquête de 1957 a la même fonction. Elle n’est pas seulement un état des lieux. En demandant expressément aux enseignants des trois ordres (primaire-secondaire-technique) de mettre en commun leurs suggestions et expériences et de transmettre leurs documents, c’est-à-dire en les invitant à sortir du cercle fermé de leurs classes, elle vise à créer une dynamique.
48L’implication de l’Inspection générale ne s’explique pas seulement par des raisons pédagogiques. Certes, les inspecteurs font exécuter les décisions ministérielles qui, dans toutes les disciplines, visent à obtenir du corps enseignant une modification de ses pratiques. Mais faire officiellement du document en histoire l’instrument d’une pédagogie active a pour but de procéder à la reconversion des méthodes de l’enseignement historique. Concluant l’article consacré à la documentation dans l’enseignement de l’histoire, A. Troux lance cet appel solennel : « Tous ont le devoir de comprendre que ce qui est en cause, c’est beaucoup plus qu’une nouvelle étape dans le perfectionnement continu de notre labeur quotidien, de notre tâche éducative : c’est la réputation, c’est même – dans une large mesure – l’existence d’une des disciplines les plus formatrices pour la jeunesse de notre pays80 ». De la transformation des procédés de l’enseignement, l’Inspection attend une amélioration de ses résultats, gage de son efficacité.
49Sans doute cette dramatisation a-t-elle pour but de réveiller le corps enseignant et de provoquer son adhésion aux nouvelles formes de la pédagogie ? Mais, une fois de plus, la question pédagogique est traduite en termes de défense de la discipline. De fait, le contexte peut paraître grave. Dans une société qui a de plus en plus besoin de techniciens et de scientifiques et qui, à l’heure de la croissance, se tourne plus vers son avenir que vers son passé, oubliant les priorités qu’elle s’était fixées aux lendemains de la guerre, l’étude de l’histoire n’est pas loin d’être jugée superflue. Or la survivance de la pédagogie traditionnelle, perçue comme le reflet d’un enseignement obsolète, tend à renforcer les positions des détracteurs de la discipline. C’est pourquoi A. Troux, investi par le ministère d’une fonction d’autorité qu’il met au service de la défense de la discipline, devient l’ardent défenseur de la pédagogie par documents, après avoir exprimé des réticences assez catégoriques, notamment lors de la discussion des programmes du second cycle en 1938. Il ne s’agit toutefois pas d’un revirement. Il est, en effet, chargé spécifiquement au sein du corps des inspecteurs du dossier de la documentation, parce que, depuis le début de sa carrière, son intérêt s’est porté à l’histoire locale et l’histoire par les textes81, dont il a soutenu l’essor. De même, la partie « Documentation pédagogique » de l’Information historique, dont il assure la direction à partir de 1938, est conçue de façon à diffuser des textes historiques, des illustrations – deux planches hors texte étaient jointes à chaque fascicule – et des expériences pédagogiques mettant en jeu l’activité des élèves. Mais il a toujours jugé qu’en dehors des exercices pratiques, les conditions d’enseignement ne permettaient pas de généraliser ces approches. En revanche, selon lui, la réforme de 1957 en rétablissant un enseignement continu sur sept ans et en allégeant les programmes offre une opportunité qu’il faut saisir, celle « d’élargir l’horizon pédagogique82 » et de donner à une matière de mémoire un nouveau souffle. Lorsqu’il déclare en mars 1953, « Mais, dans une très large mesure, on peut – donc l’on doit – partir des documents pour mettre les élèves – et il cite A. Huby, ancien doyen de l’inspection générale – en état de recevoir une perception fraîche et directe des siècles écoulés, d’en obtenir une compréhension plus vive et plus intime, de se hausser à une interprétation originale83 », le pas est déjà franchi. D’une part, la précision « donc l’on doit », bien qu’entre parenthèses, est essentielle car c’est elle qui donne le feu vert aux enseignants ; d’autre part, il s’agit bien de conférer au document son statut de source et de transposer, tout en la simplifiant et en l’adaptant à des objectifs différents, la méthodologie de l’historien, afin que l’enseignement historique, par des méthodes plus efficaces permette aux élèves non de « savoir plus », mais de « savoir mieux84 ».
50L’importance de l’évolution ne saurait être sous-estimée, car pour développer l’utilisation des documents qui exige de la part des enseignants un surcroît d’effort et de temps, l’Inspection et la Société des professeurs d’histoire et de géographie qui a été consultée ont consenti à ce qu’A. Troux appelle « d’importants sacrifices85 ». C’est-à-dire que les instructions de 1957 avalisent le « principe de la différenciation », l’exercice du choix à l’intérieur des programmes qui paraissait jusqu’alors la pire entorse à la continuité historique. Les implications de la brèche ainsi ouverte ne manquent d’ailleurs pas d’inquiéter l’Inspection qui, une nouvelle fois, proclame (sic) qu’il est indispensable de toujours mettre en place la trame des événements et, comme le recommandait déjà E. Lavisse, de marquer nettement le point de départ et le point d’arrivée. Quelle que soit l’importance de cette mise au point, la reconnaissance de la possibilité du choix sous l’effet de la nécessité traduit un esprit nouveau qui n’est pas sans incidence sur la rédaction des programmes et le dispositif d’évaluation. Les inspecteurs savent en effet pertinemment – et ont déjà eu antérieurement l’occasion de l’affirmer – que la pédagogie active exige du temps, alors que les professeurs se plaignent d’en manquer pour « boucler le programme ».
51Dans l’annexe A de l’arrêté du 19 juillet 1957, en continuité de la rédaction adoptée en 1938, le programme est limité à l’inventaire de questions générales afin de laisser au professeur une large marge d’initiative, en fonction de la documentation et des moyens d’observation dont il dispose. Il est fait appel à la perspicacité de l’enseignant, laquelle n’est autre que la capacité à distinguer l’essentiel de l’accessoire dont E. Lavisse signalait l’importance dans la pratique du métier. Or, si l’on s’en tient aux textes officiels, l’entraînement des élèves à l’analyse et à la réflexion appartient à l’essentiel. L’arrêté de 1957 invite en effet à ce que le contrôle des acquisitions porte sur les aptitudes des élèves à « utiliser intelligemment86 » leur cours en fonction des situations qui leur sont présentées. L’explication de textes, le commentaire de cartes et de gravures sont des sujets éventuels de composition. Pourtant, le comité de la Société des professeurs d’histoire et de géographie repousse le projet de remplacer l’interrogation orale du baccalauréat par une explication de texte87. En conséquence, la circulaire ministérielle du 16 décembre 1959 relative à l’organisation de la composition écrite d’histoire-géographie du baccalauréat introduite par le décret du 28 août 1959 précise qu’une partie des sujets sera « des sujets de cours88 » et les modalités de l’épreuve d’histoire et de géographie au BEPC fixent que ne figureront pas « des sujets ayant pour point de départ ou pour objet l’étude d’un texte ou d’un document ». Ces dispositions, en retrait sur l’arrêté du 19 juillet 1957, « pour éviter de désorienter les candidats89 », sont, en fait, une concession aux enseignants qui atténue la directivité du discours officiel en matière de pédagogie active. Car, même si les textes de 1954 et de 1957 soulignent assez évasivement qu’elle est à l’œuvre dans une partie des classes, leur objet est de la promouvoir, pour combattre le « dogmatisme périmé et stérile90 » qui dévalorise le savoir et la culture historiques.
Le cours parlé, une forme évolutive
52Le fait que les instructions officielles de 1957 soient justifiées par la nécessité d’insister sur les méthodes actives ne signifie pas que celles-ci soient le seul procédé d’enseignement. Le texte juge utile de rappeler la place nécessaire de l’exposé magistral. Voilà qui peut rassurer la grande majorité des professeurs, dont certains dictent encore, bien que l’interdiction en soit réitérée.
53Loin d’être assimilée à une pratique démodée, la pédagogie historique qui consiste à fixer des connaissances par la seule force de la parole professorale continue, dans les années cinquante, à être privilégiée par beaucoup d’historiens. G. Lefebvre qui prône par ailleurs une histoire totale et explicative, s’appuyant sur le constat de vingt cinq années d’enseignement secondaire, écrit par exemple à propos des détracteurs de l’histoire qui n’y voient que dates et faits inintelligibles : « Disons franchement qu’ils la détestent parce qu’ils gardent le fâcheux souvenir de professeurs qui n’ont pas su la leur faire aimer en la réduisant à un effort apparemment vain de la mémoire, sans éveiller l’imagination par le spectacle pittoresque, fourmillant et bariolé du passé, sans intéresser la raison par la recherche des causes, sans la mettre en rapport avec la vie91 ». Dans cet extrait, qu’un mauvais esprit rapprocherait du mot de l’inspecteur L. François : « Il n’y a pas d’histoire ou de géographie ennuyeuse, mais des professeurs ennuyeux92 », l’expression « faire aimer l’histoire » – demande-t-on à un professeur de sciences physiques de faire aimer sa discipline ? – rend bien le caractère spécifique de la connaissance historique qui, traitant des hommes et non des faits, demande un effort de sympathie que la médiation de la parole humaine favorise. Plus loin, G. Lefebvre reprend : « Le professeur doit parler à ses élèves, les yeux dans les yeux, la craie à la main et la carte à côté de lui ». Sans doute est-ce là le résumé le plus saisissant de la pédagogie historique, telle qu’elle s’est pratiquée aussi longtemps que les élèves ont été préparés par tout un code social à écouter.
54Brossant le tableau de la classe d’histoire en 1957, Marcel Reinhard ne tient pas un langage plus équivoque. S’interrogeant sur la condamnation du cours parlé, il répond : « Le cours offre des avantages considérables, dont certaines même sont irremplaçables »93, notamment, selon lui, celui d’adapter l’enseignement à l’auditoire. Or le cours qu’il décrit réunit tous les ingrédients de la leçon d’E. Lavisse : « un tout composé avec soin, suivant un plan facile à suivre, énoncé de façon vivante, appuyé sur des repères cartographiques, chronologiques, tracés au tableau s’il le faut, selon l’âge des élèves », où la mise en scène consiste à alterner les « mots » historiques, les citations et les silences. Mais la vieille illusion pédagogique y transparaît, à savoir l’idée que la leçon, parce qu’elle est bien composée et bien énoncée, va s’inscrire naturellement dans l’esprit de l’élève et que le talent du professeur suscite nécessairement « une vie intérieure intense » (sic) de l’auditoire. L’interrogation elle-même, toujours présente dans le dispositif du cours, est présentée comme un jeu sportif ; l’heure n’est pas encore venue de se demander ce qui se passe quand les élèves n’acceptent plus les règles du jeu. En effet, l’ouvrage de M. Reinhard se situe à ce moment de l’histoire de la discipline où la leçon – voire le professeur – garde encore son prestige d’antan, face à des méthodes qui peuvent apparaître moins rodées, notamment aux universitaires qui continuent de voir les situations des lycées et collèges à travers le prisme de leurs souvenirs, ou de leur expérience dans l’enseignement supérieur.
55L’Inspection générale partage, cependant, leur point de vue. L’exposé magistral n’est pas à proscrire, à condition qu’il soit « bien conçu », c’est-à-dire concret et vivant, discontinu sans être « désordonné94 ». Une leçon où le professeur a d’abord inscrit le plan au tableau, puis réussi, en posant des questions, à faire parler les élèves et enfin dicté, à la fin de l’heure, une trace écrite reçoit l’approbation des inspecteurs. Par exemple, A. Troux ne tarit pas d’éloges en 1959 à propos d’une séance, dans une classe de seconde de quarante élèves, où le professeur traite de la politique extérieure de Louis XIV. « Loin d’en présenter les résultats d’ensemble dans un exposé dogmatique, M. F… procède à une mobilisation des connaissances qui met en jeu non la mémoire mais la réflexion de son auditoire et aboutira finalement à une utile mise au point. Pour réussir ce tour de force, il faut une solide autorité jointe à une riche expérience et une culture sans failles95 ». Dans cette courte notice qui peut donner d’ailleurs aux détracteurs du cours dialogué des arguments car l’expression des élèves n’est qu’en apparence spontanée, le professeur ayant dans la préparation de la leçon balisé le chemin, « médité et agencé son sujet », comme le recommandent les instructions de 1954, on retrouve les critères traditionnels d’un cours réussi : la maîtrise du métier, la profondeur de la culture historique ; mais aussi l’autorité du maître qui sait diriger ses élèves, les mettre en confiance et obtenir des résultats. Souvent anciens professeurs de classes préparatoires, les inspecteurs généraux n’avaient-ils pas eux-mêmes ainsi procédé, avant d’être élevés à cette fonction ?
56Dans les faits, la frontière entre le cours magistral et le cours dialogué devient donc de plus en plus ténue. Où classer la pédagogie où le professeur interrompt son exposé pour poser quelques questions, où la lecture d’un texte à laquelle il procède – ou plus rarement fait procéder – vient rompre le monologue ? Or ce sont par ces procédés que le plus souvent s’est opérée la transition du premier type au second, vers lequel le courant portait puisqu’il devenait la norme institutionnelle. Non seulement, en effet, le cours conduit avec la participation des élèves recevait la faveur des inspecteurs, mais les professeurs qui le pratiquaient avec succès avaient quelque chance d’être nommés conseillers pédagogiques des nouveaux professeurs certifiés96. Dès lors, se forgeait un nouveau modèle qui faisait boule de neige.
57À la fin des années cinquante, le cours reste traditionnel par bien des aspects. Commençant par l’interrogation, il aboutit à la rédaction d’un sommaire, exercice auquel même les professeurs qui s’y déclarent hostiles, se soumettent, tant il fait partie des « usages établis » dans la discipline97. Le cahier contient donc les traces écrites, résumés dictés ou notes prises au fur et à mesure de l’avancement de la leçon, formes matérielles des heures de cours pour l’institution et les familles, jalons pour l’avenir car subsiste l’idée naïve que « ce qui est appris dans l’enfance est su à jamais98 ». Quant au manuel, si son utilisation pose toujours problème car tous les élèves ne possèdent pas encore le même à la fin des années cinquante99, il tend à devenir, surtout en premier cycle, le support principal de la parole magistrale et du dialogue qui, dans le droit fil des préceptes d’E. Lavisse, se noue entre le professeur et la classe. Parce qu’il est le moyen d’obtenir la participation des élèves en cours, l’Inspection générale conseille de le choisir avec vigilance, en fonction des ressources textuelles et iconographiques qu’il rassemble. Ce nouvel usage accélère d’ailleurs l’évolution du contenu des ouvrages scolaires surtout à partir de la rentrée 1957 et de la mise en application des nouveaux programmes. Les instructions complémentaires, en mettant l’accent sur le document, provoquent en effet un mouvement de surenchère entre les grandes maisons d’édition qui entraîne le relatif déclin du « Malet-Isaac », lequel ne consent qu’à un « rajeunissement » des versions précédentes, sous prétexte que, depuis trente cinq ans, il a toujours accordé une place de choix à la documentation historique100. Mais, dans les nouveaux manuels concurrents, les illustrations en couleur sont plus nombreuses, de meilleure qualité et ne sont plus réservées uniquement aux reproductions d’œuvres artistiques. Surtout, les documents ne sont plus relégués à la fin du chapitre, mais trouvent place dans le paratexte. Dès lors, ils sont moins longs, et cette position est symbolique de leur statut nouveau dans le cours. Ils ne sont plus, après la classe, l’approfondissement d’un thème livré à la conscience des élèves les plus sérieux qui ont dépassé l’encadré « résumé » de leur livre, mais intégrés dans le corps du chapitre. Les élèves suivent de plus en plus souvent le cours, livre ouvert, ce qui s’imaginait mal dans les années d’avant-guerre. N’écoutant plus exclusivement la parole, ils ne sont plus consignés dans une attitude immobile ; ils regardent, ils tournent les pages. Les instructions officielles de 1954 notent : « Par la variété des exercices, qui suffit à créer une détente et à bannir l’ennui, il – le professeur – assouplit sa technique101 ». La plupart des documents, textes compris, servent en effet à illustrer le propos magistral et en même temps tout en l’étayant, à le réduire, à l’alléger. Les élèves d’ailleurs perçoivent bien les choses ainsi. Un professeur indique à propos d’élèves du second cycle que le recours aux textes était pris comme un moment de détente102.
58Ainsi, alors que dans l’esprit des autorités pédagogiques le cours magistral et le cours dialogué s’opposaient, il semble que dans les situations de classe l’ambivalence ait prévalu. Il est cependant très difficile de connaître plus précisément cette question. D’une part, le cours parce qu’il est la forme la plus banale de l’enseignement a laissé peu de traces dans la presse pédagogique. D’autre part, les professeurs qui avaient enseigné de manière traditionnelle ont très probablement trouvé peu d’intérêt à notre questionnaire qu’ils ont identifié comme une enquête didactique. Ils n’ont pas jugé utile de répondre et de relater leurs expériences. Enfin le souvenir qu’a laissé cette pédagogie à nos correspondants, jeunes élèves dans les années cinquante, tient dans des appréciations succinctes. « Enseignement ex cathedra, cours professoral, suivi de résumé dicté », écrit un ancien élève du lycée de L…, opposant ce qu’il nomme un enseignement remarquable (souligné deux fois) au « pédagogisme et au prétendu dialogue permanent entre ceux qui ne savent rien et celui qui est informé103 ». « Dans le premier cycle des lycées et les collèges, beaucoup d’élèves continuent de noter, apprendre, oublier » déclare un autre aujourd’hui professeur, qui précise ne pas se souvenir d’avoir regardé des diapositives en cours d’histoire au lycée d’Angers entre 1951 et 1955. Or, dans le discours officiel, la distinction des caractères des deux cycles et des aptitudes propres à chaque étape du développement de l’adolescent était un des arguments les plus employés pour prôner une pédagogie active et variée. On peut donc penser que dans le second cycle, la méthode habituelle, à savoir le cours magistral ponctué ou non de questions, que les élèves prenaient en notes, s’est encore davantage perpétuée et certaines des dépositions que nous avons reçues confirment cette hypothèse104.
59Or, le fait que dans le cours parlé, conformément aux instructions officielles, le document puisse être présenté par le professeur ou serve de prétexte pour obtenir la participation des élèves accentue le mélange des genres. La pédagogie du document va se glisser dans le cadre de l’enseignement au lieu de devenir, comme elle devait l’être selon l’esprit initial, l’instrument d’un apprentissage conduit activement par l’élève. Significativement, une enseignante qui évoque sa pratique associe d’emblée les deux : « Des documents, oui. Mais aussi un cours dialogué où j’expliquais et où je posais des questions pour savoir si les élèves avaient compris105 ».
60Pourtant, il est difficile de faire porter aux enseignants l’entière responsabilité de cette déviation des méthodes actives. Leur confusion avec les formes vivantes et concrètes de l’enseignement est favorisée par la fonction sociale assignée au second degré. Fondamentalement et originellement, la pédagogie active était une pédagogie de la réussite, animée d’une volonté émancipatrice. Introduite dans l’institution secondaire, elle ne pouvait conserver ce caractère que dans une société qui se fixait comme priorité de mettre le savoir à la portée de tous les élèves. Privée de cette philosophie, isolée du projet éducatif démocratique qui lui donnait sens, la méthode active se réduisait à une somme de procédés. Ceux des contemporains qui s’étaient le plus engagés à la Libération – et même durant l’Occupation – ne s’y trompaient pas. Conscient du risque qui se dessinait, R. Gal déclarait dans une conférence à la Société française de pédagogie en novembre 1954 : « Pour que l’on emploie les méthodes actives, il y a des conditions qui nous dépassent, nous, individuellement et qu’il faudra bien un jour réaliser106 ».
Les expériences innovantes
61Devant le concentré d’innovations qu’offrent les Cahiers pédagogiques ou la rubrique « documentation pédagogique » de l’Information historique, le doute qu’exprimait un professeur très sceptique sur la possibilité des méthodes actives, même s’il était convaincu de leur vertu formatrice, peut saisir l’observateur. La relation de ces entreprises n’est-elle pas revenue à « monter en épingle des expériences éphémères107 » et ponctuelles ? Dans quelle mesure ces revues sont-elles des aunes pertinentes ? Leur fonction consiste en effet à montrer que ces méthodes sont applicables, qu’elles donnent des résultats et qu’elles peuvent être reproduites. Leur intérêt pour les contemporains est de fournir au professeur même néophyte un large éventail d’exemples précis où il puisse puiser. C’est pourquoi les inspecteurs généraux et la Société des professeurs d’histoire et de géographie, très présents dans l’Information historique, apportent également leur contribution à l’équipe des Cahiers, même si la problématique de ces derniers relève d’une intention qui n’est pas nécessairement la leur. Au début des années cinquante, alors que l’espoir d’une ample réforme du système scolaire s’éloigne, la rédaction des Cahiers, dirigée par François Goblot108, en misant sur toutes les initiatives singulières proches de celles des classes nouvelles ou des classes pilotes, souhaite avant tout faire vivre l’esprit enthousiaste de l’Éducation nouvelle. Le terme d’éducateurs figure expressément dans la profession de foi reproduite en deuxième de couverture de chaque numéro. Mais, de façon plus immédiate, en devenant une tribune libre pour les expériences et les témoignages des enseignants, les Cahiers pédagogiques attendent un effet d’entraînement sur les pratiques. De 1949 à 1957, sur 56 numéros, douze comportent des articles sur l’enseignement de l’histoire ou y sont exclusivement consacrés, comme les numéros du 15 novembre 1954 et du 15 février 1957 intitulés « L’enseignement de l’histoire ». Dans le premier109, les thèmes abordés sont essentiellement les méthodes actives et les travaux pratiques. Le second110, réalisé avec l’aide de la Société des professeurs d’histoire et de géographie qui a publié un questionnaire préparatoire et la Régionale de Lille qui a classé les résultats, se répartit de façon égale entre l’exposé des conditions générales de l’enseignement et celui des méthodes d’une histoire vivante, organisé autour de quatre chapitres : le document, l’histoire locale, l’actualité et la coordination entre les disciplines, qui représentent un fidèle échantillon des domaines les plus fréquemment abordés par les Cahiers parce qu’ils sont précisément les plus novateurs.
62À partir de cet éventail, on peut recenser les types essentiels d’une pédagogie moderne, relais de la traditionnelle leçon. Sans doute est-il possible d’y ajouter des séances d’enseignement qui, conduites dans l’anonymat des classes, ont échappé à la publicité et dont nous n’avons trouvé aucune trace directe.
63Une première catégorie de séances regroupe les situations ambitieuses où des professeurs, entreprenants, appliquant la méthode de la redécouverte, prennent au pied de la lettre l’expression officielle de « mettre les élèves face au document111 ». Habitués par l’exercice de la critique de provenance à la vigilance méthodologique, les professeurs d’histoire privilégient le contact des élèves avec le document authentique. Le document figuré est un pis-aller. Face aux pièces d’origine, l’élève saisit un passé non fictif et encore vivant. « Désormais, en gros plan, l’image d’un coin du drame apparaît, se rapproche ; le décor familier se dessine et se colore ; les protagonistes portent des noms bien connus, qu’on retrouve chez leurs descendants112… ». Aussi, certains enseignants s’efforcent-ils de favoriser cette découverte directe du document et de reproduire le plus fidèlement possible les conditions de l’étonnement de l’historien.
64Cette démarche est à l’origine de sorties éducatives, excursions et, pour des raisons financières, surtout promenades, que l’étude du milieu a contribué à rendre moins exceptionnelles, même si elles restent l’objet de règlements tracassiers. Si les élèves visitent ainsi les monuments de leur ville, la sortie de l’établissement, notamment lorsqu’il est situé au chef-lieu du département, conduit le plus souvent aux archives où la bonne volonté des archivistes et des enseignants supplée l’inexistence fréquente du service éducatif. Parmi les expériences relatées dans les Cahiers pédagogiques, celle d’un professeur du collège moderne de Strasbourg rend assez bien compte des objectifs et du déroulement du travail113. Sur le thème « Strasbourg pendant la Révolution et l’Empire », des élèves de troisième ont étudié en équipes des documents fournis par les archives municipales et administratives de la ville. Prévue initialement pour faciliter l’assimilation d’une question que l’enseignant jugeait difficile, l’activité a vite revêtu un intérêt supérieur. Exigeant des élèves un travail méthodique, les familiarisant avec le travail d’historien, les séances leur ont révélé, selon les conclusions de leur professeur, ce qu’est l’histoire. En effet, la quête de documents locaux et l’élargissement de la question aux aspects économiques et sociaux de la Révolution peu abordés par les manuels scolaires, ont donné à l’histoire la dimension de cette rencontre vivante que M. Bloch souhaitait qu’elle fût et que le professeur, fidèle, écrit-il, à l’enseignement de son ancien maître, a réussi à transposer dans une situation scolaire.
65Cet exemple montre que, comme beaucoup d’observations directes des vestiges du passé, le terrain d’application de cette situation pédagogique est, pour des raisons matérielles, très majoritairement l’histoire locale. Bien qu’elle soit à la périphérie des programmes, elle est source d’une approche plus concrète, plus humaine de l’histoire et plus proche des centres d’intérêt de l’élève, dont A. Troux, au nom de l’Inspection générale, vante les bienfaits : « Il y aurait là comme une nourriture spirituelle séduisante par son originalité, enrichissante par sa substance, propre à soutenir l’attention de nos auditeurs, à frapper leur imagination, à se graver pour longtemps dans leur mémoire et à y maintenir, par une sorte de sympathie psychologique, le souvenir des événements généraux114 ». Toutefois l’emploi du conditionnel indique que l’histoire locale offre en 1957 des ressources en partie inexploitées. Progressivement, elle devient un vivier d’exemples privilégié. Des recueils de textes ou de documents figurés, de plus en plus nombreux, y empruntent leur substance, comme l’histoire vue d’Auvergne115, avec d’autant plus de facilité que la monographie domine alors la production universitaire.
66La deuxième catégorie organise en classe l’étude des documents à partir d’un corpus réuni généralement par le professeur, autour de thèmes dont le choix a pour objectif de couvrir une question du programme. Confié aux élèves répartis en groupes, le travail est un travail dirigé, centré sur l’analyse des documents afin d’en prélever les informations qui permettent de traiter le sujet116. Dans ce type de situations qui représentent la forme la plus fréquente des travaux collectifs car elle est la plus facile – et la plus économique – à mettre en œuvre, la pédagogie a bien un caractère collectif, comme le conseillent les instructions officielles. Mais est-elle active puisqu’elle ne fait pas découvrir l’histoire aux élèves ? La « redécouverte » que C. Brunold prônait est factice : le professeur reste seul maître du jeu : il introduit la séance, choisit les documents, guide – voire exécute – la synthèse et conclut. Pourtant, la méthode, où les documents sont cantonnés à une fonction informative et « pris comme un tremplin pour sauter vers les généralisations plus larges117 » grâce à l’aide du professeur, n’est pas dénuée de valeur formatrice. Dans le groupe qui étudie les aspirations de la bourgeoisie à partir d’un texte de Sieyès sur le Tiers état, les élèves ont exercé un raisonnement inductif et ont mis en forme leur réflexion pour communiquer la réponse à la classe118.
67Il est beaucoup plus rare que le document seul fasse l’objet d’un véritable commentaire. L’exercice paraît en effet difficile aux professeurs et les recueils de textes édités pour l’enseignement secondaire ne sont pas exploités comme base d’exercices pour les élèves. Les professeurs y choisissent plutôt des lectures. Seuls, ceux qui ont préparé les concours de recrutement à partir du début des années cinquante ont été entraînés au commentaire, nous y reviendrons plus loin. Par ailleurs, les expériences tentées ont produit des résultats décevants, d’après le rapport paru dans les Cahiers pédagogiques de novembre 1952119, conclusion qui n’incite pas les professeurs à transformer l’essai. C’est pourquoi l’exploitation du document unique occupe une place mineure dans le processus didactique jusque dans les années soixante. Les cas que nous avons relevés120 montrent qu’elle intervient seulement en évaluation de l’acquisition des connaissances, – jamais d’une méthodologie – après que la leçon a été faite par le professeur.
68Enfin, les professeurs qui introduisent la documentation dans les classes supérieures, privilégient la formation de l’esprit critique, en proposant aux élèves des documents qu’ils peuvent confronter. « Comparer les jugements divers portés sur la Terreur de 1793 et les faits qui les fondent, c’est enseigner à nos élèves à prendre parti en connaissance de cause comme ils auront à le faire dans la vie121 », écrit avec netteté Madeleine Rebérioux. Pour la plupart des correspondants des Cahiers pédagogiques, la tâche du professeur d’histoire se situe dans cette initiation, dont l’un des outils a été pour la période contemporaine le travail sur la presse. Un ancien élève nous a, par exemple, relaté qu’en 1955-56, son professeur apportait régulièrement en classe la presse du jour pour faire procéder à une lecture comparée122. Or les initiatives de ce genre provenaient de démarches totalement personnelles. L’entrée des journaux et revues restait encore parfois interdite dans les établissements et il n’était pas rare que les parents eux-mêmes déconseillassent à leurs enfants la lecture de la presse, indique un professeur ayant dirigé le même type d’activité123. Cette activité bravait l’opinion commune en introduisant le présent dans la classe d’histoire, c’est-à-dire du « hors-programme », qui plus est sous ses formes les plus brûlantes, et transgressait la frontière avec l’instruction civique. La circulaire de C. Brunold en 1952 relative aux méthodes et à l’organisation du travail intellectuel124, selon laquelle l’élève devait apprendre au cours de sa scolarité à rechercher la documentation par lui-même et à l’ordonner, trouvait là ses limites les plus visibles. Si la découverte était encouragée, elle restait rigoureusement cadrée. Certes, l’intervention des élèves pouvait prendre des formes diversifiées – jeux dramatiques dans la continuité des actions interdisciplinaires des classes nouvelles, réalisation d’expositions, débats – mais le fait qu’au sein de la classe, l’exposé soulève, dans les instructions de 1954, les mêmes réticences que dans les années antérieures125 ne plaide pas en faveur d’une autonomie plus grande des élèves.
69Il est à noter cependant que certains procédés visant à combattre le verbalisme, l’excès de parole qu’E. Lavisse déplorait et l’à peu près qui en résulte dans l’esprit des élèves, deviennent d’un usage plus fréquent. Cartes, croquis, schémas réalisés par l’élève fixent les connaissances par leur traduction imagée, « concrète ». De l’emprunt aux classes nouvelles date par exemple la fortune de la frise chronologique dont la forme la plus élaborée est la fresque historique qui court le long des murs de la classe. En même temps, les sujets d’histoire économique et sociale donnent l’occasion de diversifier les outils et le débat en cours sur la notion de documents indique bien que même rares, en particulier dans les manuels, des outils comme les diagrammes ne sont plus complètement ignorés. En effet, peu à peu, le document s’émancipant à des fins scolaires de l’emploi originel qu’en fait l’historien, un glissement sémantique s’effectue. Devient document pour l’enseignant toute pièce qui peut avoir un usage scolaire. Or cette évolution divise les enseignants126. D’une part, altérant la notion même de source, elle paraît menacer l’objectivité de l’enseignement de l’histoire. Les choix pratiqués relevant en priorité de considérations pédagogiques, le dogmatisme du document se substitue à celui du cours. D’autre part, les modifications qui interviennent sur le document de première main dans un objectif de lisibilité heurtent les habitudes méthodologiques de la formation historienne. Peut-on couper un texte, le traduire ? Comment empêcher la dispersion que crée la multiplication des supports pédagogiques, lorsque « déçu par la projection, on se rabat sur le manuel », puis « déçu par les manuels, on se rabat sur d’autres procédés127 » ? Ces questions sont présentes dans tous les débats consacrés aux méthodes dans les années 1950 et l’ouvrage de M. Reinhard en porte nettement la marque128. Dix ans après, avec les mutations sociologiques du public scolaire et le renouvellement parallèle du corps des professeurs du second degré, une plus grande souplesse d’utilisation des documents se dessine lentement.
70La diversité, voire la richesse, des procédés susmentionnés n’interdit pas de s’interroger sur leur représentativité. Les professeurs qui ont mis en œuvre une pédagogie moderne l’ont fait par conviction, passion, toujours dévouement. Rompre avec la pratique du cours magistral était un choix, chercher les modalités d’une autre façon d’enseigner le fait d’une démarche volontariste. « Je faisais un stage à Sèvres pour m’initier aux méthodes actives129 » ; « j’avais constitué ma propre documentation rapidement par mon propre stock de documents achetés ou photographiés par moi pendant mes vacances130 » ; « il y avait de très bons albums de disques édités par la Guilde internationale du disque… nous avions acheté personnellement ces disques car nous disposions de peu de crédits pour l’histoire au lycée131 », écrivent des professeurs aujourd’hui en retraite. Nos correspondants décrivent spontanément les situations matérielles, alors qu’aucune question ne portait directement sur cet aspect des choses. « Faire un polycopié, à l’époque, se heurtait à de gros obstacles matériels, l’administration ne comprenant pas que le manuel ne soit pas suffisant. De même, projeter une diapositive ou écouter un disque était une véritable expédition car il fallait dénicher un appareil en bon état. « Souvent nous avons dû porter notre électrophone, ce qui, évidemment en rendait l’usage exceptionnel » ; et plus loin : « Pour distribuer des textes autres que ceux du manuel, le lycée n’offrait aucun moyen de polycopie ni de photocopie ; nous avons acheté une photocopieuse132 » (!).
A) Évolution des années 1951-52 à 1966-67133

B) Répartition selon les cycles. Années scolaires intermédiaires 1960-61 à 1963-64.

71Note 134134
C) Pourcentage d’admis au baccalauréat par rapport aux effectifs des classes terminales.

Tableau 11. Effectifs masculins de l’enseignement long, classique et moderne (Source : Ministère de l’Éducation nationale, Annuaires statistiques de la France, INSEE, Paris, éditions de 1939, 1953, 1958, 1963, 1968, et résumé rétrospectif de 1966).
72Note 135135
73Sans doute cette pénurie a-t-elle bloqué le renouvellement de la discipline ? Elle explique, en partie, que les incitations de l’Administration se soient heurtées à de nombreuses réticences des enseignants et que le cap du cours dialogué ait été d’autant moins dépassé qu’elle s’est manifestée à un double niveau, celui des moyens d’équipement et celui des moyens de formation. La promotion, à l’échelle de l’institution secondaire, d’une pédagogie active à caractère collectif coïncide en effet avec la croissance des effectifs, forte dans le premier cycle de l’enseignement du second degré long, moindre dans le second (Tableau 11, p. 347), croissance qui mobilise la quasi totalité des ressources du budget de l’Éducation nationale pour la construction de locaux ou le recrutement des maîtres. Aussi, les considérations matérielles, durant deux décennies, accompagnent-elles comme un refrain les rapports relatifs à la mise en œuvre des méthodes actives. Dans l’évaluation des expériences en cours que présentent en novembre 1952 les Cahiers pédagogiques, le préambule du rapport général signale par exemple que le problème préalable est celui de l’équipement. « Dans combien d’établissements, même (ou surtout) les plus importants, les cours d’histoire ne se font-ils pas au hasard des possibilités, dans une classe qui est tour à tour salle d’étude, de latin, de français ou de langue vivante ?… On demande donc un minimum de confort matériel, une salle spécialisée d’appareils de projection, avec possibilité de faire l’obscurité, dotée aussi d’une bibliothèque. On demande, ce qui est loin d’exister partout, la constitution systématique de collections, la création d’un fonds de laboratoire auquel des crédits seraient accordés d’une façon libérale. Les professeurs se plaignent, par exemple, de ne pouvoir acheter des cartes de l’IGN de ne pas trouver les crédits nécessaires à une excursion, à un simple déplacement. Ces questions ne reçoivent jamais que des solutions locales136 ». Concrètement, elles alourdissaient aussi le travail de préparation déjà important que les professeurs consacraient à l’organisation de séquences d’activité. Ainsi un enseignant fait-il état de plus de vingt heures de mise en œuvre, entre les démarches qu’il a dû mener pour collecter les documents et la construction de son projet.
74Reprises avec différentes formulations – « Où trouver des documents ? » Les professeurs « s’ingénient à se procurer le plus grand nombre possible de documents ». « Les conditions actuelles de notre enseignement rendent assurément difficile la réalisation de tels projets » –, ces doléances sont fermement opposées à l’Administration lorsque celle-ci prône, par les circulaires de 1957, l’utilisation systématique de la documentation. De fait, les établissements anciens ne sont guère mieux dotés qu’à la fin des années trente et la grande misère, en matière de matériel, du lycée Chateaubriand, le plus prestigieux de Rennes, fait partie des souvenirs partagés par les professeurs des années 1960. Mais les plus mal lotis semblent les établissements les plus récents regroupant jusqu’à un ou deux milliers d’élèves et équipés « ni de rideaux noirs et ni d’appareils de projection en nombre suffisant137 ». Il en résulte que, relativement aux besoins qu’exige la nouvelle pédagogie, la situation s’aggrave. La position des professeurs est nette. Elle s’exprime sur le plan syndical138 mais aussi lors des stages régionaux organisés par la direction de l’enseignement du second degré sur l’étude du document dans l’enseignement de l’histoire. Les professeurs réunis à Sèvres déclarent, à la réception des documents de la Documentation française et de l’IPN, ressentir « le sentiment de sans-logis à qui l’on offrirait une démonstration d’appareils électroménagers139 ». La régionale de Toulouse souligne le divorce croissant entre les circulaires et l’indigence des moyens matériels et s’indigne qu’aucun texte officiel ne soit publié sur l’allocation des crédits nécessaires à l’équipement préalable des salles140. Dans ces conditions, le plan pour l’aménagement du quartier d’histoire-géographie dans les établissements, présenté à la commission d’étude et des moyens de l’enseignement de l’IPN et approuvé par la Société des professeurs d’histoire et de géographie, relève de la science-fiction141.
75Les conséquences de cet état de fait ne sauraient être minimisées. Plus d’un professeur s’est lassé de suppléer aux défaillances de l’administration, comme en témoignent amèrement en 1967, pour bien des anonymes, deux professeurs, affirmant avoir dû « réduire ou abandonner les efforts déployés durant une décade142 ». Quant à ceux qui n’avaient pas l’intention de modifier leur pédagogie, ou qui, en raison des considérations méthodologiques que nous avons exposées ci-dessus, étaient en désaccord avec les instructions officielles, ils trouvaient dans ces données objectives une justification de leur position. Ils pouvaient également arguer des carences de la formation qu’ils avaient reçue.
76Les enseignants se plaignent en effet par exemple de ne pas avoir été initiés aux méthodes modernes que l’institution prône et les plus motivés demandent des stages, notamment sur l’utilisation des moyens audiovisuels143. Ainsi, la revendication d’une formation continue permettant aux enseignants de s’adapter aux mutations du métier acquiert-elle une audience accrue. Elle peut paraître d’autant plus nécessaire que la formation initiale ne présente pas de différences radicales avec celle de la période antérieure, alors que le nombre d’enseignants, hommes et femmes, recrutés pour enseigner à temps complet l’histoire et la géographie dans le second degré classique et moderne, s’accroît de façon régulière jusqu’à la fin des années 1950 et s’accélère ensuite dans la décennie 1960-1970 (Tableau 12, p. 350).
Tableau 12. Effectifs des personnels enseignant à temps complet l’histoire et la géographie dans les établissements publics de l’enseignement long144 (Source : MEN, Annuaires statistiques de la France, Paris, INSEE).

77Il faut ajouter, sans parler des bacheliers145 engagés comme contractuels face à la pénurie de personnel qualifié, que la création des instituts préparatoires à l’enseignement secondaire, en février 1957146, ne suffit pas à enrayer l’afflux des maîtres venant de l’enseignement du premier degré ou du second degré court qui sont de plus en plus nombreux, à partir des réformes de 1959 et de 1963, à assurer des heures d’histoire et géographie dans des établissements d’enseignement long, même si leur statut n’est fixé que par le décret du 30 mai 1969 (création du corps des PEGC lettres-histoire). La structure du personnel enseignant se trouve donc totalement modifiée parallèlement à l’« explosion scolaire » comme on peut l’observer dans le tableau récapitulatif pour l’année scolaire 1969-70, fin du siècle que nous avons retenu d’étudier (Tableau 13A, ci-dessous). Le nombre d’enseignants polyvalents – type professeurs CEG – est nettement supérieur à celui des enseignants « spécialisés » – type professeurs de lycée. Au sein de ce
dernier, où les maîtres auxiliaires sont dorénavant plus nombreux que les agrégés, les certifiés constituent un peu plus de la moitié de l’effectif (Tableau 13B, ci-dessous).
A) Répartition selon la polyvalence ou non.

78Note 147147
B) Répartition par statut du personnel « type lycée ».

Tableau 13. Personnels enseignant l’histoire et la géographie en 1969-1970 (Source : Statistiques des enseignements, le personnel enseignant, nombre et répartition du personnel de l’enseignement public, MEN, INRDP, 1970).
79Il résulte de la diversification du corps que la formation des enseignants d’histoire et de géographie est, surtout à partir de la fin des années cinquante, de plus en plus hétérogène. Au moment où la discipline cherche à procéder à une révision de ses savoirs et de ses méthodes, cet état de fait est problématique. Tandis qu’une part croissante des enseignants issus des Écoles normales d’instituteurs ou d’institutrices n’a pas reçu un enseignement universitaire de haut niveau mais a suivi une formation pédagogique, les professeurs agrégés et certifiés ont été préparés à leur métier selon le vieux modèle lavissien, à peine dépoussiéré. Si on peut a priori penser que le flux des maîtres de l’enseignement du premier degré a été un facteur favorable à l’extension des méthodes actives, leur application n’était pas envisageable sans une maîtrise des contenus, c’est-à-dire des programmes et des méthodes de la discipline. C’est pourquoi la formation des instituteurs affectés dans le second degré, ou souhaitant l’être, a consisté à leur dispenser un savoir spécialisé embryonnaire et a été, avec un cursus plus court, calquée sur celle des professeurs certifiés, comme en témoigne l’organisation en 1961 des Centres régionaux de formation des professeurs de CEG, où les élèves-maîtres qui viennent d’obtenir le baccalauréat et les instituteurs détachés se présentent au Certificat d’aptitude pédagogique pour les collèges d’enseignement général. Implantés dans les villes universitaires, les centres de formation proposent une mise à niveau des connaissances théoriques équivalente à celle sanctionnée par le Certificat d’études littéraires générales qu’un nombre très réduit d’instituteurs déchargés de leur service préparait à la Faculté (40 pour la section lettres-histoire en 1956-57, première année de la mise en vigueur de cette disposition). Quant à la préparation pédagogique, elle n’est instituée qu’à la rentrée 1963 dans la seconde année de formation et est allégée pour les instituteurs admis dans les centres. Or cette séparation des deux préparations, largement empruntée aux modalités des autres concours de recrutement, accréditait l’idée qu’être capable d’enseigner consiste uniquement à réussir la transposition du savoir d’un niveau à l’autre. Si E. Lavisse avait pu le penser à la fin du xixe siècle, les progrès de la psychologie et de la sociologie scolaires avaient néanmoins établi que l’acte d’enseigner était plus complexe.
80Le déséquilibre des formations universitaire et professionnelle est encore plus frappant dans le recrutement des professeurs agrégés et certifiés. Est nommé agrégé le candidat qui selon l’arrêté du 6 décembre 1950 a satisfait à sept épreuves, quatre compositions pour les épreuves préparatoires du premier degré ; une leçon d’histoire moderne ou contemporaine sur un sujet choisi hors programme par celles du second degré ; une leçon d’histoire ancienne ou du Moyen Âge sur un sujet choisi dans le programme ; enfin une explication sur un texte ou document historique, cartographique, statistique pour les épreuves définitives148. Sont donc admis à enseigner, notamment dans les lycées, des candidats qui pourtant, selon les rapports, ne savent ni bâtir une leçon ni décrire ou analyser et se servent mal du tableau et de la carte. « Au tableau, un candidat sur cinquante sait manier la craie et dessiner des croquis sommaires, mais clairs et préférables, neuf fois sur dix, aux cartes murales « préfabriquées149 » ou aux documents iconographiques », note F. Braudel à la fin de la session de l’année 1950, indiquant qu’il s’agit là de « graves infériorités qui touchent au cœur des vrais problèmes d’enseignement ». De même certains candidats reçus regrettent d’avoir été aussi mal préparés au métier de professeur. Dans la lettre qu’ils adressent à Esprit, ils portent sur le concours un jugement sans appel que la revue appuie, notant qu’il s’agit de pages « toujours valables, et pour d’autres agrégations150 ». « Du bachotage pur et simple. Profit réel ? Néant, tant au point de vue de l’initiation scientifique que de la culture générale… Nous avons tous le sentiment que l’essentiel de notre culture, nous l’avons acquis en dehors de l’Agreg, avant ou après. Et il est douloureux de reconnaître maintenant le peu de profit que nous avons tiré de ces années de labeur acharné ».
81Les termes de la question n’ayant guère varié depuis les décennies précédentes, nous ne reviendrons pas plus longuement sur l’ambiguïté d’épreuves qui jugent en même temps les connaissances théoriques et les qualités pédagogiques. Il n’est cependant pas inutile de rappeler que la création du CAPES par le décret du 1er avril 1950 avait précisément pour but de mettre en place un concours qui conciliât mieux la double exigence de savoir et de savoir-faire.
82Considérant que l’agrégation et le certificat d’aptitude pédagogique à l’enseignement des collèges contrôlent des aptitudes pédagogiques qui sont essentiellement virtuelles, le ministère décide, en instituant le nouveau professorat, de prendre en charge la formation pédagogique des futurs enseignants après la licence. Ceux-ci doivent suivre un stage professionnel de deux ans, situé avant les épreuves théoriques et constitué de six à neuf heures d’enseignement et de douze à dix-huit heures de « surveillance », sous la tutelle du conseiller pédagogique dont les fonctions ont été définies par la circulaire du 17 décembre 1945 et celle du chef d’établissement, étroitement associé à la formation selon la circulaire du 15 septembre 1950151. S’y ajoutent des regroupements prévus deux fois par mois au chef-lieu académique pour traiter des questions d’enseignement générales ou disciplinaires. Ces dispositions qui portent l’empreinte du directeur de l’enseignement du second degré, G. Monod – par exemple dans le projet d’une équipe éducative – font de la formation des jeunes professeurs un des lieux où se joue le sort de la réforme éducative.
83Leur modification en 1952, si elle est due aux graves problèmes d’organisation que posait le concours dans sa définition initiale, marque néanmoins une réaction au niveau des intentions ministérielles. La partie théorique confère désormais l’admission dans les centres pédagogiques régionaux où est préparée la partie pratique, et cette dernière « a davantage pour rôle d’éliminer les inaptes à l’enseignement que de juger des pédagogues152 ». La formation professionnelle est fixée à une année scolaire, répartie entre une période d’observation et deux périodes actives, au cours desquelles le stagiaire s’exerce progressivement à enseigner. Mais les stagiaires étant groupés par trois sous la direction de trois conseillers pédagogiques, de fait, les trois étudiants ne disposent collectivement en moyenne que de neuf semaines auprès de chaque conseiller. Bien que les CPR gardent la même fonction que les centres académiques créés deux ans auparavant, cette économie de moyens affectés à la préparation de la partie pratique du concours brise l’esprit de la réforme en 1950 ; une initiation au métier éclatée se substitue à ce qui avait été conçu comme un plan global et cohérent de pré-professionnalisation. D’autre part, responsable d’un nombre très réduit d’heures d’enseignement effectif, le stagiaire suit une formation, mais en est peu l’acteur. Reposant essentiellement sur l’observation et l’imitation des professeurs déjà expérimentés, et l’assistance à des conférences ex cathedra, l’acquisition des compétences s’effectue selon le mode dit dogmatique. L’adoption des méthodes actives, dès lors, suppose que les jeunes enseignants s’affranchissent des conditions dans lesquelles ils ont été formés. En revanche, la responsabilité d’une classe, comme l’avaient initialement prévu les dispositions de 1950, transposait, dans l’apprentissage du métier, la méthode de la « découverte ».
84Cette régression est accentuée par le fait que, très rapidement, la partie théorique prend le pas sur la partie pratique, tant dans la réalité du concours que dans l’image qu’en ont les candidats. La sélection s’opère en effet plus sur les épreuves écrites d’admissibilité, deux compositions d’histoire et de géographie assorties chacune du commentaire d’un document simple, que sur l’épreuve d’admission qui consiste en un exposé oral sur un sujet d’histoire ou de géographie, au choix du candidat, susceptible d’être traité dans une classe du second degré. Or l’augmentation des postes ne suivant pas l’afflux des candidats, par exemple 26 postes en 1953 pour 202 candidats ayant composé, et 26 en 1954 pour 255, les exigences du jury se font plus élevées. Le rapporteur du concours appelle les candidats à plus travailler, à engranger plus de connaissances, la victoire récompensant « les copies et les exposés les plus nourris153 ». Il prend cependant la précaution de préciser « sous réserve toutefois que l’habileté et la clarté dans le développement, la correction de la forme ne soient pas inférieures à la sûreté de l’information ». Quant aux recommandations pour les épreuves pratiques, elles tiennent en cette phrase : « Qu’il – le stagiaire – s’efforce surtout d’être vivant, direct, clair, et d’avoir le souci du concret ». Tant d’harmonie avec les instructions officielles ne saurait surprendre, le rapport et celles-ci émanant de la même plume. Mais cela signifie que les conseillers pédagogiques, choisis de préférence, sur proposition des recteurs et de l’inspection générale, parmi les professeurs agrégés ayant exercé pendant au moins huit ans comme titulaires, se sont dans leur grande majorité cantonnés à ces instructions. Alors que les méthodes actives supposaient une rupture de leur pratique, le cours conduit avec la participation des élèves et le support de quelques documents illustratifs représentait une voie moyenne entre la leçon magistrale et la pédagogie de l’école primaire qui correspondait souvent à leur propre conception du métier.
85L’attitude des autorités pédagogiques en situation d’inspection différait d’ailleurs quelquefois du discours qu’en tant qu’exécutantes des décisions ministérielles, elles tenaient. Pour l’inspecteur général qui, ayant la possibilité d’inspecter en classe nouvelle ou en classe terminale, choisissait la seconde154, la nature et la fonction de l’enseignement historique dans le second degré étaient sans équivoque. Le vrai cours d’histoire restait la leçon magistrale, riche de culture historique, où selon la formule saisissante de E. Coornaert auquel la rédaction des Cahiers pédagogiques demandait quelles parts il fallait respectivement accorder à l’exposé dogmatique et aux travaux pratiques, le professeur devait faire ce pour quoi il est fait, en l’occurence « pour enseigner, pour parler ». Il nuançait cependant, ajoutant : « Des travaux pratiques ? Bien sûr, dans toute la mesure du possible155… ».
86Ajoutée aux contraintes des programmes et des examens, la pénurie de moyens a rendu difficile l’évolution des méthodes pédagogiques dans les deux décennies postérieures à la Libération. Si le mouvement général marque la progression vers une forme aérée du cours magistral qui représente au cours des années soixante la « leçon-type », à partir de ce modèle, l’amélioration des conditions matérielles inégale selon les établissements, l’expérience et le cheminement pédagogique de l’enseignant dans lequel les spécificités de chaque public scolaire jouent un rôle non négligeable, ont déterminé un large éventail de formes intermédiaires entre le cours magistral encore fréquent et celui, beaucoup plus rare, où les élèves sont acteurs de leur formation.
87« La classe d’histoire est avec la philosophie celle où le professeur parle le plus ». La reprise de cette phrase d’E. Lavisse dans les instructions de 1954 est un moyen de mettre une nouvelle fois en garde les enseignants contre les effets négatifs du monologue magistral. Le même texte une fois de plus bannit également le cours dicté, la récitation, toutes les marques d’un enseignement qui nie, par son dogmatisme, les objectifs de formation assignés à l’histoire scolaire et à l’atteinte desquels est subordonnée, depuis que la discipline existe, sa crédibilité.
88Mais l’impact de la vitalité historiographique sur les programmes est faible et le plus souvent, les clés d’analyse des situations historiques sont sacrifiées à la cause du programme et des connaissances. De l’aveu même du président de la Société des professeurs d’histoire et de géographie, l’enseignement ressemble plus souvent à un défilé hâtif et en même temps incomplet de faits et de dates qu’à une mise en perspective des phénomènes étudiés. Aussi le sentiment d’immuabilité prévaut-il, traduit en ces termes par J-M. Mayeur : « Depuis plus d’un demi-siècle et les fameuses réformes de 1902 (sans même vouloir remonter plus haut) les programmes n’ont pas été profondément transformés. Seul le découpage a varié selon que l’on était favorable au cycle long… ou aux deux cycles156 ». De fait, la stabilité de la structure chronologique des programmes déterminée elle-même par l’événementiel politique écrase les modifications qui ont été introduites essentiellement dans les contenus du second cycle. Dans ces conditions, il restait aux enseignants, dans un contexte matériel peu favorable, la gageure d’initier les élèves à l’exercice du métier d’historien, alors que l’histoire scolaire demeurait plus narrative et descriptive qu’explicative et, que les domaines neufs que la recherche explorait étaient les moins représentés dans les contenus. Il n’est donc guère étonnant, que, bien que le nombre de documents introduits en classe d’histoire ait augmenté, ceux-ci n’aient été utilisés le plus souvent que ponctuellement, comme support pédagogique de l’activité professorale, et que les documents textuels, comme dans les séances antérieures des exercices pratiques, aient continué à prédominer ; les professeurs, ayant davantage l’habitude de manier les sources écrites, les jugent plus fiables et plus faciles à exploiter. Cependant, bien des réserves persistent, quelquefois longtemps après les prescriptions ministérielles. Éloquent est ce témoignage d’une enseignante qui débute en 1955 : « J’ai été obligée, j’insiste, par les inspecteurs à partir de 1978, à adopter la méthode du document… La révolution pour moi, donc après 1978, a été de partir du document. J’ai donc adopté cette méthode mais j’avoue avec réticence157 ». Une autre écrit : « Après 1968, les élèves ayant eux aussi changé, et à la suite de stages pédagogiques, j’ai donné une large place à l’étude des documents et au travail de groupe158 ». Ces réponses à notre questionnaire, bien qu’elles situent l’évolution à des dates divergentes, nous paraissent apporter un utile contrepoids à la presse pédagogique, et concorder largement avec les souvenirs des anciens élèves des années 1950, voire 1960. L’un d’eux, à partir de l’expérience de deux établissements, résume la situation de façon catégorique : « Très peu d’utilisation du manuel, jamais d’explication de textes ou de documents, parfois quelques schémas au tableau159 ».
89Ainsi, le passage à des formes de pédagogie diversifiées est-il long. La classe d’histoire reste un cours où le professeur s’efforce de rendre le plus possible l’histoire concrète et vivante. L’utilisation des manuels et le recours à des sources d’information variées multiplient progressivement les occasions de faire appel à l’initiative et à la curiosité des élèves et donnent au dialogue entre le professeur et les élèves une place accrue. De même, l’examen des cahiers de la décennie d’après-guerre conservés au Musée national de l’Éducation révèle que pour mieux faire comprendre l’histoire, il est fréquent que le professeur insiste sur le vocabulaire, les repères chronologiques et géographiques, l’Inspection générale ayant donné des consignes en ce sens160.
90Sans doute, bien d’autres situations – et nous en avons présenté quelques-unes – ont permis d’enseigner différemment une histoire différente et dans ses finalités et dans ses objets. Mais elles étaient du ressort des seuls professeurs qui, grâce à leur culture et à leur réflexion, élevaient à une autre conscience de l’histoire leurs élèves. Une autre pédagogie, un changement de perspective, comme il apparaissait possible aux lendemains de la Libération, ne pouvaient en effet s’accommoder de demi-mesures et supposaient que fût ébranlé tout le système d’études.
Notes de bas de page
1 Bloch (M.), L’étrange défaite. suivie d’Examen de conscience d’un français, Paris, A. Michel, 1957, p. 188.
2 BOEN, n° 43, 30 août 1945, p. 3122-3126.
3 BOEN, n° 18, 20 mai 1948, p. 636-640.
4 BOEN, n° 43, p. 3123.
5 Ibid.
6 François (L.), « L’Inspection générale », Cahiers pédagogiques, n° 82, mai 1969, p. 24-26. L’inspecteur Louis François a accordé en janvier 1991 un long entretien au service d’histoire de l’éducation de l’INRP, mais l’enregistrement n’était pas mis à la disposition des chercheurs quand nous avons rédigé. Allaire (M.), Frank (M.-T.), Témoins et acteurs politiques de l’éducation depuis la Libération, INRP, 1995.
7 Commission nationale française pour l’éducation, la science et la culture, Recommandations pour l’enseignement de l’histoire, Brochure n° 78, Paris, CNDP, 1952.
8 Circulaire de la direction de l’enseignement du second degré, BOEN, op. cit., 1948.
9 Ibid.
10 Cahiers pédagogiques, 1/11/1952, n° 2.
11 Cf. Chap. II, p. 112.
12 « Compte rendu des journées d’étude pour l’enseignement de l’histoire », Revue Universitaire, 56e A, juillet-octobre 1947, p. 193 à 206.
13 BSPHG, nos 117-121-122-123, Années 1948 à 1950.
14 Longaud (F.), Précis d’instruction civique et économique, Paris, Hachette, 1948.
15 Cette expression se retrouve encore en 1965 dans les motions de la Société pour la défense de la discipline, BSPHG, n° 190, février 1965, p. 391.
16 Circulaire du 10 mai 1948, op. cit.
17 La Revue universitaire publie par exemple la lettre d’un professeur de lettres à son proviseur, l’informant que, ni volontaire ni compétent, il refuse d’assurer cet enseignement. R.U., 38e A, 1949, n° 3, p. 145.
18 Ibid.
19 BOEN, n° 30, 25-7-1957, p. 2467-2473 ; BOEN, n° 22, 30-5-1963, p. 1268-1269.
20 BSPHG, n° 126, mars 1951, p. 222-223. Audience du directeur général de l’enseignement du 2e degré.
21 Bruley est l’ancien président de l’Union nationale des membres de l’enseignement public dont le programme, prônant « la restauration dans les esprits et dans les mœurs de la notion de devoir », suscite dans les années 1930 une certaine méfiance parmi les associations enseignantes. Gerbod (P.), « Associations et syndicalismes universitaires de 1929 à 1937 », Le mouvement social, n° 73, oct.-déc. 1970, p. 79-110.
22 Au début des années cinquante, à part Huby et Troux qui a pris ses fonctions en 1941, les inspecteurs généraux de la discipline Clozier, Crouzet, Gadrat ont été nommés en 1945 ; en 1952 l’équipe est composée de Charton, Clozier, Crouzet, Gadrat, Ricommard et Troux.
23 Rapport de l’Inspection générale, MEN, Direction de l’enseignement du second degré, Paris, CNDP, 1955.
24 BSPHG, nos 112 à 128, Années 1945 à 1951.
25 Correspondance de Jules Isaac, BSPHG, n° 126, mars 1951, p. 216-219.
26 Ibid., p. 218.
27 Durkheim (E.), L’évolution pédagogique en France, Paris, 1969.
28 Les effets ne s’en font sentir qu’à la fin des années cinquante. Voir la IIe partie de ce chapitre, p. 431-33.
29 D’Hoop (J.-M.), Morey (M.), Les journées d’études et d’information historique du CIEP, Sèvres, 27-28 décembre 1950, BSPHG, n° 125, janv. 1951, p. 119-126.
30 Isaac (J.), Correspondance citée, p. 218.
31 Doucet (R.), « Remarques sur la valeur de l’histoire comme élément de rapprochement international », I.H., n° 1, janv.-fév. 1952, p. 73-77.
32 Leuilliot (P.), in Cousinet (R.), Leçons de pédagogie, Paris, PUF, 1950.
33 BOEN, fascicule 13, 29 juin 1959, Arrêté du 9/6/1959, p. 1627 sq.
34 Febvre (L.), « Pour la synthèse contre l’histoire tableau ? Une histoire de la Russie moderne, Politique d’abord ? », Combats pour l’histoire, Paris, A. Colin, 1953, p. 70-74.
35 Hubac (R.), « La notion de civilisation dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie », BSPHG, n° 170, avril 1961. L’article a été également publié dans le n° spécial des Cahiers pédagogiques, 1962, p. 13-14.
36 En décembre 1941, le régime de Vichy avait fixé pour le programme de seconde le thème « Les civilisations grecque, romaine, chrétienne du Moyen Âge, de la Renaissance et de la Réforme en France du xviie siècle ». Nous avons, par ailleurs, signalé que les civilisations avaient autrefois figuré au programme des lycées de jeunes filles.
37 Braudel (F.), « L’étude des civilisations, difficultés fécondes », Cahiers pédagogiques, n° spécial, juin, 1962, p. 6 à 8.
38 Braudel (F.), op. cit., p. 7.
39 « Compte rendu des journées d’étude pour l’enseignement de l’histoire », Revue Universitaire, 56e A, juillet-octobre 1947, p. 193 à 206.
40 Projet de programme préparé par une commission d’études présidée par l’inspecteur général Huby, BSPHG, n° 127, juin 1951, p. 306-307.
41 Ibid., p. 308-309.
42 Schwab (M.), « Les programmes d’histoire de la classe de seconde », BSPHG, n° 127, juin 1951, p. 305.
43 Ibid., p. 305.
44 Projet Alba, BSPHG, n° 145, janvier 1956, p. 169-171.
45 Ibid., p. 170. Cette phrase ponctue le rapport.
46 Après que Troux eut informé le CSIP qu’il était indispensable que l’étude de l’histoire ancienne revînt dans le second cycle, les professeurs Palanque et Aymard avaient préparé un projet où les civilisations antiques étaient vues dans leur continuité, en seconde jusqu’au ive siècle av. J.C. et en première du ive siècle à la mort de Justinien. BSPHG, n° 96, juin 1938, p. 352-355.
47 BSPHG, n° 145, op. cit., p. 169.
48 François (L.), « Permanences… et contraintes nouvelles », Cahiers pédagogiques, n° 65, janv. 1967, p. 29-32.
49 Crouzet (M.), sous la dir., Histoire générale des Civilisations, Paris, PUF, 1953.
50 Ibid., Préface générale, p. VII-VIII.
51 Benchetrit (M.), professeur au lycée de Metz, « Le sens et la valeur d’une étude des civilisations », Cahiers pédagogiques, n° spécial, juin 1962, p. 15-18.
52 Un de nos correspondants nous a signalé que son professeur avait expérimenté cette méthode en 1957-1958. Lettre de S. C…, élève au lycée David à Angers de 1951 à 1958. Le professeur que nous avons pu rencontrer nous a déclaré s’en être ouvert à l’inspecteur général Crouzet, sans obtenir ni son assentiment ni sa réprobation. Interview de J.-M. A…, professeur.
53 « Les nouveaux programmes d’histoire-géographie en Terminales », Cahiers pédagogiques, n° 45, nov. 1963, p. 13.
54 BSPHG, n° 181, avril 1963. « Ce programme est impossible » écrit un professeur agrégé soulignant qu’il a trente ans d’enseignement (lettre du 23/2/1963).
55 Ibid., Demande des régionales de Nantes et Dijon en février 1963.
56 Hubac (R.), « La notion de civilisation dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie », Cahiers pédagogiques, op. cit., p. 13-14.
57 Ibid., p. 14.
58 Hubac (R.), « La notion de civilisation dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie », Cahiers pédagogiques, n° spécial, juin 1962, p. 13-14.
59 JO, 30 août 1959, n° 200, p. 8568-8672. Depuis le décret du 28 août 1959, réorganisant le baccalauréat du second degré, la composition d’histoire ou de géographie figurait au nombre des épreuves écrites (soit une question d’histoire traitée parmi trois sujets au choix et deux questions simples de géographie, soit l’inverse. Coefficient 3 pour toutes les sections, classiques et modernes).
60 BOEN, n° 30, 26 août 1965. Annexe II : programmes transitoires dans les classes de terminales pour l’année scolaire 1965-1966.
61 Dreyfus (F.G.), « À quoi sert la société des professeurs d’histoire et de géographie ? », BSPHG, n° 183, octobre 1963.
62 BSPHG, nos 180-183, année 1963.
63 D’hoop (J.-M.), Morey (M.), Les journées d’étude…, op. cit., p. 119. Souligné par nous.
64 Specklin (R.), professeur au collège de Saint-Louis, « L’histoire et les intérêts des élèves », Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 fév. 1957, p. 52 à 54. PIC (R.), « Nos lycéens et l’histoire », Ibid., p. 25-26, Meslin (M.), « Une enquête et un test », Ibid., p. 55. La seconde enquête a été conduite auprès de 30 élèves d’une classe de Philosophie du lycée de Chambéry, la troisième dans une classe de quatrième au lycée d’Amiens. Les termes de la première ne sont pas précisés. Pour 1967, voir « L’histoire et nos élèves », Cahiers pédagogiques, n° 65, janv. 1967, p. 45-47. Enquête auprès de 386 élèves du second cycle, dans deux établissements de Strasbourg.
65 A.D. Ille-et-Vilaine, 1T (R), Dossiers des professeurs, M. H…, I.G. Troux, 1948.
66 B0EN, n° 45, 16-12 – 1954, p. 3159-3168.
67 Ibid., p. 3161.
68 Troux (A.), « Le document dans l’enseignement de l’histoire », L’Éducation nationale, n° 10, 12 mars 1953, p. 7-8.
69 Instructions du 10 décembre 1954, BOEN, op. cit.
70 Instructions du 10 décembre 1954, BOEN, op. cit., p. 3164-3165.
71 Ibid.
72 Ibid.
73 Ibid.
74 Instructions relatives à l’enseignement de l’histoire, BSPHG, n° 150, mars 1957, p. 314-400. Ces instructions « complémentaires » à celles de 1954, précisent les modalités de réalisation des programmes fixés au BOEN, n° 42, 29-11-1956. Bien que ceux-ci soient modifiés quelques mois après par l’arrêté ministériel du 19 juillet 1957, les instructions de mars 1957 restent le document de référence.
75 Ibid.
76 Instructions complémentaires, op. cit.
77 Le premier est fondé en 1953 aux Archives départementales de Clermont-Ferrand. En octobre 1955, possèdent un service éducatif les départements suivants : Aude, Cantal, Haute-Garonne, Hérault, Mayenne, Meurthe et Moselle, Meuse, Moselle, Oise, Bas-Rhin, Rhône, Seine-Maritime, Vienne, Haute-Vienne, Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 fév. 1957, p. 72. L’extension à tous les départements ne date cependant que du début des années soixante-dix.
78 « L’utilisation de la documentation dans l’enseignement de l’histoire », BSPHG, n° 154, fév. 1958, p. 324-326.
79 Troux (A.), « La documentation dans l’enseignement de l’histoire », L’Éducation nationale, n° 35, 12 déc. 1957, p. 1 à 4.
80 Ibid., p. 3.
81 Troux (A.), (1895-1980), soutient en 1936 une thèse sur La vie politique dans le département de la Meurthe d’août 1792 à octobre 1795. Lorrain d’un milieu modeste, Troux est un boursier de l’Instruction publique qui a obtenu l’agrégation en 1921 tout en étant répétiteur. Professeur successivement à Besançon, Nancy et Paris, auteur de manuels de géographie, il publie en 1946 un « Guide pour l’étude du milieu, la géographie et l’histoire locale » et, avec Gothier, une collection de recueils de textes d’histoire pour l’enseignement secondaire. Son action rencontre celle que mène Paul Maréchal dans l’enseignement du premier degré.
82 Troux (A.), « La documentation dans l’enseignement de l’histoire », L’Éducation nationale, n° 35, 12 décembre 1957, p. 1-3.
83 Troux (A.), « Le document dans l’enseignement de l’histoire », L’Éducation nationale, n° 10, 12 mars 1953, p. 7-8.
84 Instructions complémentaires de 1957, op. cit.
85 Ibid.
86 BOEN, 100-s.d., n° 30, 25/7/1957.
87 Rapport de la séance du comité, BSPHG, n° 156, juillet 1958, p. 501-503.
88 BOEN, n° 1, 7/1/1960. Circulaire du 16/12/1959, p. 26.
89 Ibidem.
90 Instructions complémentaires de 1957.
91 Lefebvre (G.), « Réflexions sur l’enseignement de l’histoire », L’Éducation nationale, n° 41, 3/10/1946, p. 1 à 4. Souligné par nous.
92 François (L.), « Rapport sur les enseignements de l’histoire, de la géographie et de l’instruction civique pour l’année scolaire 1971-1972 », BSPHG, n° 240, 1973, p. 420-424.
93 Reinhard (M.), L’enseignement de l’histoire, Paris, PUF, 1957.
94 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (R), Dossiers des professeurs, J. B…, I.G. Troux, 1951, classe de 5e.
95 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (R), Dossiers des professeurs, E. C…, I.G. Troux, 1959, classe de 2e. Souligné par nous.
96 Cf. à propos du rôle des conseillers pédagogiques et de la formation des professeurs, le troisième point de cette sous-partie, p. 433.
97 Delmas (J.), « Rôle du cahier », Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 fév. 1957, p. 91-92. « En n’y croyant pas, on dicte quand même » (souligné dans le texte) et plus loin « Sans lui… l’histoire serait considérée par les élèves, plus que jamais, comme un art d’agrément ».
98 Témoignage d’une enseignante, M. J…
99 Specklin (R.), « Le manuel », Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 fév. 1957, p. 93.
100 Isaac (J.), Avant-propos du Cours d’histoire, classe de 4e, programmes de 1957, Paris, Hachette, 1958.
101 BOEN, n° 45, 16/12/1954, p. 3159-3168. Souligné par nous.
102 Lettre de M…, professeur depuis 1956.
103 Lettre de M.M., élève de 1948 à 1955.
104 « Mon enseignement dans le second cycle restait assez traditionnel », nous a écrit un professeur qui, par ailleurs, enseignait en classes nouvelles. Lettre de J.-M. A…, professeur d’enseignement public depuis 1948. « À partir de la seconde, les élèves prenaient des notes, le cours était magistral », Lettre de Me A.J., professeur à Saint-Malo de 1956 à 1986.
105 Lettre de Madame C. G…, professeur depuis 1955, Vannes.
106 Gal (R.), « Où en sont les méthodes actives ? », texte publié dans le n° hors-série de la collection Mémoires et documents scolaires, Hommage à la mémoire de R. Gal, Paris, IPN, 1968.
107 Masset (C.), « Peut-on utiliser les méthodes actives en histoire et en géographie ? », Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1954, p. 178-179.
108 Goblot (F.), professeur de philosophie, a été un des conseillers pédagogiques des classes nouvelles dans l’académie de Lyon de 1945 à 1952.
109 « L’enseignement de l’histoire », Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1954.
110 Ibid., Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 fév. 1957.
111 Chaulanges (M.), « L’enseignement de l’histoire et le document d’histoire locale », I.H., 21e A, n° 5, nov.-déc. 1959, p. 223-225.
112 Ibid., p. 224.
113 Westphal (G.), « Un travail d’archives », Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1954. Dans le n° de février 1957, Gérard Westphal, professeur dans une classe de Troisième pilote, présente un travail identique appliqué à « l’étude du milieu à dominante historique ».
114 Troux (A.), « L’histoire locale dans l’enseignement du second degré », Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 février 1957, p. 79-82.
115 Chaulanges, Manry, Sève, L’histoire vue de l’Auvergne, 2 t., Clermont-Ferrand, G. de Bussac, 1959.
116 Delmas (J.), « Travaux pratiques d’histoire », Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1954
117 Gal (R.), « Recherches sur l’enseignement de l’histoire », Le Courrier de la recherche pédagogique, n° 8, mars 1958. Comme nous l’avons déjà indiqué dans le premier chapitre de cette partie, la recherche pédagogique consistait à évaluer les résultats de l’usage inductif du document. Concluant qu’il était un instrument de formation, elle en précisait également les limites.
118 Pouligo (R.), « Travail de documentation par groupes », Cahiers pédagogiques, n° 2, 1 nov. 1952, p. 144-145. René Haby, professeur au lycée de garçons de Nancy (1952-1954) expose qu’on peut procéder également ainsi dans les classes de baccalauréat. Haby (R.), « Les méthodes inductives », Cahiers pédagogiques, n° 2, 1er novembre 1952, p. 148-150.
119 « L’enseignement de l’histoire et de la géographie », rapport général, Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1952, p. 234-238.
120 Masset (C.), « Peut-on utiliser les méthodes actives en Histoire et géographie ? », Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1954, p. 178-179.
121 Rebérioux (M.), « L’histoire dans le second cycle », Cahiers pédagogiques, n° 2, 1er nov. 1952, p. 142-144.
122 Lettre de S. C…, élève du lycée David d’Angers, 1951-58.
123 Bahu (A.), « L’histoire et le présent », Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 fév. 1957, p. 86-87.
124 « L’enseignement de l’histoire et de la géographie », rapport général, Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1952, p. 234-238.
125 Instructions du 10 décembre 1954, BOEN, n° 45, 16/12/1954, p. 3167. 126. « L’enseignement de l’histoire et de la géographie », rapport général, op. cit., p. 236.
126 « L’enseignement de l’histoire et de la géographie », rapport général, op. cit., p. 236.
127 « Le document, utilisation en classe », Cahiers pédagogiques, n° 66, fév. 1967, p. 17. Sous-titres de la rédaction pour introduire les divers modes de documents proposés aux élèves.
128 Reinhard (M.), L’enseignement de l’histoire, op. cit.
129 Lettre de J.-M. A…, professeur dans l’enseignement public depuis 1948.
130 Lettre de S. S…, professeur depuis la fin des années quarante. Le recours à la documentation personnelle est aussi fréquemment mentionné dans les Cahiers pédagogiques.
131 Lettre de Madame A. J…, professeur depuis 1956.
132 Ibid. Sans doute s’agit-il d’ailleurs d’une polycopieuse.
133 Les années 1901 et 1938 sont données seulement comme référence. À partir de la réforme du 6/1/1959 (application à la rentrée scolaire 1960), les lycées classiques et modernes se substituent aux lycées et collèges de l’enseignement du second degré La population des CES créés en 1963 est comptabilisée dans la statistique de 1966-67.
134 La croissance est encore plus frappante lorsqu’on considère les effectifs de l’enseignement secondaire long féminin. À la fin des années soixante, les bachelières sont plus nombreuses que les bacheliers. Sur les 120043 élèves scolarisés en Terminales en 1968-1969, 51,29 % sont des filles. « Les élèves dans l « enseignement du second degré. 2e cycle long, année scolaire 1968-69 », Paris, IPN, 1969 »
135 Ces données ne peuvent être comparées terme à terme. Les statistiques de l’Éducation nationale manient en effet des indicateurs variables. Elles différencient notamment de moins en moins garçons et filles, les établissements mixtes étant devenus les plus nombreux au début des années soixante – a) garçons bacheliers des établissements publics et privés – b) garçons et filles bacheliers des établissements publics et privés de l’enseignement général et technique – c) garçons et filles bacheliers des établissements publics de l’enseignement général et technique.
136 « L’enseignement de l’histoire et de la géographie », rapport général, Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1952, p. 234-238.
137 Portes, Raynaud, « Le complexe d’infériorité de la commission », BSPHG, n° 205, juin 1967, p. 859-861. Les deux professeurs évoquent les conditions matérielles du nouveau lycée de Reims.
138 L’Université syndicaliste, par exemple, organe du SNES, s’en fait continûment l’écho.
139 « Les stages régionaux sur l’étude des documents dans l’enseignement de l’histoire », BSPHG, n° 156, juillet 1958, p. 522-524.
140 Ibid., le thème revient fréquemment dans les nos 154 à 158, année 1958.
141 Pinon, « Note sur l’aménagement du quartier d’histoire et de géographie des établissements d’enseignement », BSPHG, n° 159, février 1959, p. 318-322.
142 Casanova, Paris et Weye, « Appel pour la défense de l’histoire », BSPHG, n° 206, octobre 1967, p. 76-79.
143 Arondel, rapport du secrétaire général à l’AG du 11/11/1966, BSPHG, n° 203, février 1967, p. 531, motion 5 : « La Société des professeurs d’Histoire et de géographie de l’enseignement public, réunie en assemblée générale le 11 novembre 1966, demande que des stages d’information pratique et d’expérimentation très brefs mais intensifs permettent aux professeurs volontaires de se mettre au courant des techniques et de l’utilisation des appareils ». On retrouve la demande formulée aux assemblées générales de 1967 et 1968.
144 1) Licenciés et maîtres auxiliaires inclus. 2) La féminisation du corps qui date du début des années soixante s’accentue au cours de la décennie.
145 Par décret du 9 août 1962, peuvent être recrutés pour enseigner des agents contractuels après un stage d’initiation d’un mois ( !). Certains retraités de l’enseignement, âgés de plus de 70 ans, reprirent ainsi du service.
146 BOEN, n° 11, 7/3/1957, p. 878. Décret 57-236.
147 Lycées techniques inclus.
148 BOEN, n° 47, 21/12/1950, p. 3575.
149 Braudel (F.), Rapport du concours masculin d’agrégation d’histoire, BSPHG, n° 126, mars 1951, p. 259.
150 « La réforme de l’enseignement », Esprit, n° 215, juin 1954, p. 929. Un des quatre signataires de cette lettre est Suzanne Citron.
151 Recrutement et formation des maîtres du second degré, Paris, SEVPEN, 1953.
152 Campan (F.), « Le CAPES, nouveau régime », L’Éducation nationale, n° 5, fév. 1952, p. 6-7.
153 Troux (A.), « Conseils aux Candidats du CAPES », Cahiers pédagogiques, n° 6, 15 fév. 1954.
154 Témoignage de J.-M. A…, Rennes, octobre 1996. Ce professeur agrégé s’est même livré à une interprétation plus catégorique ; le commentaire des inspecteurs généraux portait toujours sur le fond du cours. Ceux-ci, nous a-t-il dit, ne s’intéressaient pas à la pédagogie. À la lumière des renseignements que nous avons collectés dans les rapports, il nous semble que du moment que la classe était invitée à prendre part au cours, les inspecteurs généraux n’avaient pas de remarques particulières à formuler.
155 Coornaert (E.), « L’histoire et l’enseignement de l’histoire ». Interview des Cahiers pédagogiques, n°6, 15 fév. 1957, p. 45.
156 Mayeur (J.-M.), « Histoire et programmes », L’histoire et l’historien, Paris, Fayard, 1964.
157 Lettre de Madame S.C.-G…, Vannes.
158 Lettre de Madame A. J…, Saint-Malo.
159 Lettre de J. G…, élève du lycée de R…, de 1948 à 1951 et du lycée Lakanal de Sceaux de 1951 à 1956.
160 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (R). Dossiers des professeurs, G. B…, I.G. Crouzet, 1951. Figure dans le rapport que le professeur « ne doit jamais laisser passer un mot difficile ». Les instructions de 1954 le rappellent également. Un des cahiers de la série 86.585 comporte un lexique. Plus encore, les cahiers de sixième de la décennie 1960-1970 portent la trace de cette évolution. Ils sont tous abondamment illustrés, soit par des dessins de l’élève, soit par des documents découpés dans des manuels anciens. En outre, les résumés sont beaucoup plus courts et plus structurés, mais les fautes grossières sont également plus fréquentes.
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