Chapitre VI. Un vent d’idées neuves
p. 273-307
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Index géographique : France
Texte intégral
1La lecture des multiples écrits relatifs à l’éducation dans les années de l’après-guerre laisse transparaître une immense aspiration à changer le monde. Alors que les conditions matérielles sont désastreuses, que, par exemple, le Bulletin de la Société des professeurs d’histoire et de géographie ne peut paraître faute de papier ou qu’en raison de la désorganisation des transports, les réunions nationales se tiennent difficilement, les projets les plus téméraires fleurissent comme si tout était possible. Car, précisément, pour ces hommes qui ont survécu, tout paraît possible. S’ouvre le temps des ruptures non seulement avec le passé proche de la guerre, mais avec les années troubles de la Troisième République. Aussi, même si la plupart des idées ont, en fait, germé bien avant la Libération, elles renaissent dans une forme et avec un ton qui les rendent neuves. D’abord, elles s’affichent publiquement, marquées du sceau officiel puisqu’elles ont l’appui du ministère qui, en la personne de Gustave Monod, directeur de l’enseignement du second degré, impulse l’innovation. Ensuite, le ton lyrique qui sied aux circonstances historiques exceptionnelles leur donne une force particulière. La lettre de René Capitant à la jeunesse française, paru le 5 octobre 1944 dans le numéro un du Bulletin officiel de l’Éducation nationale l’appelle à « recueillir la flamme de la résistance1 ».
2Les historiens, moins que quiconque, ne peuvent oublier que la défaite de 1940 a été celle « de l’intelligence et du caractère2 ». Dans les écrits clandestins qu’il rédige de 1942 à 1944, Marc Bloch expose les principes directeurs de la révolution de l’enseignement que rend urgente et nécessaire la formation des élites françaises et évoque la place que doit y tenir l’histoire. « Nous demandons que par un enseignement historique et géographique largement conçu – j’ajouterais volontiers, pour l’histoire au moins, totalement refondu – on s’attache à donner à nos jeunes une image véridique et compréhensive du monde », écrit-il, résumant le dessein qu’il poursuit depuis la création des Annales3. Or le dynamisme de la recherche historique qui s’exprime dans une production riche, marquée par des travaux que la postérité a rendus fondateurs, laisse entrevoir dans son sillage le renouveau des contenus et des méthodes de l’histoire scolaire autour du sens qui illumine le métier de l’historien, comprendre… « Nous ne comprenons jamais assez4 » écrivait encore M. Bloch, traçant en contrepoint le programme de la formation des jeunes générations à l’heure où l’enseignement secondaire s’ouvrait à un nombre croissant d’élèves.
3Ainsi les projets de réforme de l’enseignement historique interfèrent-ils avec ceux des structures de l’enseignement secondaire mais supposent-ils en même temps un débat propre à la discipline, débat qui, dans un monde profondément bouleversé et incertain, ne peut plus guère être occulté parce que la réorganisation des études pose la question fondamentale des principes sur lesquels on fonde cette réorganisation.
4Se trouvent en effet ébranlées par l’éclosion d’un monde nouveau et d’une pensée nouvelle les bases sur lesquelles l’enseignement historique avait été solidement établi par les historiens de la fin du xixe siècle. Mais c’est à l’intérieur d’un plan global d’éducation que la réflexion se concentre sur les champs disciplinaires. En 1945, un nouveau projet éducatif est à élaborer, qui élève le niveau de qualification de la jeunesse française et permette à chacun l’épanouissement de ses aptitudes.
5Certes, à partir du printemps de l’année 1947, l’évolution de la conjoncture rend improbable l’adoption du plan, mais, dans l’attente de la réforme des études, les expériences et la recherche pédagogiques maintiennent vivace l’espoir de donner aux adolescents les moyens culturels de construire un humanisme adapté au monde moderne.
Pour un esprit nouveau de l’enseignement historique
6Si l’arrêté du 21 septembre 1944 reconduit en partie les programmes antérieurs à la guerre, le problème de l’enseignement de l’histoire et de ses fonctions se pose aux hommes de la France libérée en des termes nouveaux. Peut-on accepter que l’histoire scolaire ait pour but de légitimer la Nation et l’État quels qu’ils soient quand l’expérience a montré qu’elle peut « s’asservir aux causes les plus viles5 ? ». Peut-on penser le progrès de l’humanité dans les mêmes termes qu’à la fin du xixe siècle, c’est-à-dire le confondre avec l’avènement de la société issue de la révolution française de 1789 ? Le discours sur la primauté des nations européennes ne correspond pas davantage à la réalité du monde. Celle-ci, complexe et problématique, n’est lisible que si sont pensés autrement son présent et son passé. Seuls une autre histoire et un changement de perspective peuvent éclairer les hommes de demain.
Une autre conception de l’histoire
7« Il n’y a pas une pédagogie de l’histoire dans l’abstrait. Pour savoir comment enseigner l’Histoire, il faut d’abord savoir ce qu’est l’Histoire. Je viens de fixer en deux mots un parti pris nécessaire6 », affirme L. Febvre en 1950 dans l’ouvrage Leçons de pédagogie que R. Cousinet présente dans la préface comme un guide de pédagogie pratique. Il ne s’agit pas ici d’une pirouette du maître pour ne pas aborder les questions concrètes de l’enseignement historique dans les lycées mais bien de la réflexion qui est le soubassement de tout l’édifice, réflexion dont au demeurant, en des temps antérieurs, d’autres concepteurs d’une histoire scolaire qui, elle aussi, se voulait nouvelle, ne s’étaient pas dispensés. Mais si la mission de l’historien est d’apporter des éléments de solution aux problèmes qui troublent les hommes de leur temps, ce que C. Seignobos avait d’ailleurs lui-même formulé dans des termes similaires, les données nouvelles du monde imposent de réorganiser le questionnement du passé. En ce sens, le parti pris
de L. Febvre au lendemain de la deuxième guerre ne diffère pas de celui qu’il développait dans la leçon d’ouverture de son cours d’histoire moderne à la Faculté de Strasbourg en décembre 19197 ou des propositions que M. Bloch, face à la « marche du monde », livrait en 1921 au Bulletin de la Société des professeurs d’histoire et de géographie8.
8Faire de l’histoire, mais quelle histoire ? C’est à cette question que s’attellent un certain nombre d’historiens qui, ayant enseigné en lycée ou y enseignant encore, souvent déjà fort critiques à l’égard de l’enseignement historique à la fin des années trente, s’engagent dans la reconstruction de celui-ci après 1945. C’est le cas d’universitaires dont la notoriété au sein de la corporation peut amplifier le message comme Georges Lefebvre, professeur honoraire à la Sorbonne, auteur en octobre 1946 d’une communication dans l’Éducation nationale, la revue hebdomadaire de l’enseignement public, portant pour titre « Réflexions sur l’enseignement de l’histoire9 », mais aussi de professeurs plus jeunes, comme Paul Leuilliot, professeur au Lycée Henri IV à Paris, et Charles Morazé10 ou Robert Schnerb11. En outre, à partir de 1946, la réorganisation des Annales, co-dirigées par Lucien Febvre et Fernand Braudel, et les positions que le mouvement conquiert dans l’enseignement supérieur, notamment par la création de la VIe section de l’École pratique des hautes études confèrent à L. Febvre une audience accrue. Or, bien que la revue, Annales, Économies Sociétés, Civilisations, n’aborde pas la question de l’enseignement, L. Febvre intervient en première ligne. Si on peut y voir une forme de la stratégie que le mouvement déploie pour obtenir sa reconnaissance institutionnelle et qui se concrétise dans la nomination de F. Braudel à la présidence du jury de l’agrégation d’histoire en 1950, il est indéniable que l’enseignement, et en son sein, celui de l’histoire, ont toujours été indirectement un des centres d’intérêt des fondateurs de la revue. Déjà tracé en 1938, le canevas d’une histoire rajeunie, transposable en partie à l’histoire scolaire, figure, comme nous l’avons rappelé, dans les écrits clandestins de M. Bloch12. Quant à L. Febvre, on a signalé qu’il avait été maître d’œuvre de l’Encyclopédie française dans la genèse de laquelle Gustave Monod, alors directeur de cabinet du ministre Anatole de Monzie en 1933, avait eu une part active. Or la cause commune d’une éducation humaniste et libératrice qui, dès avant la guerre les avait réunis, les conduit, en 1944, à travailler de nouveau côte à côte à la réorganisation du système d’enseignement, dans le cadre de la commission ministérielle d’étude présidée par Paul Langevin, professeur au Collège de France. C’est ainsi à leur initiative qu’en juillet 1947, sont organisées au lycée Michelet à Paris, les journées d’étude pour l’enseignement de l’histoire qui fondent symboliquement l’entreprise de réforme de la discipline. La présence de G. Monod qui ouvre et clôture la session marque celle-ci d’un sceau officiel, puisque G. Monod est, depuis janvier 1945, directeur de l’enseignement du second degré. Mais la contribution de G. Monod aux trois journées de réflexion dépasse le simple exercice de sa fonction. Agrégé de philosophie en 1912, mutilé de la « Grande Guerre », G. Monod poursuit le combat de toute sa vie, celui d’une Éducation nationale conçue en fonction et pour l’épanouissement de l’homme. Le temps de l’exécution de ce projet, ébauché selon lui, de 1936 à 1939, mais interrompu par la guerre, lui semble alors advenu.
9L’ordonnance des trois jours consiste dans le partage du temps par demi-journées entre des conférences de spécialistes présentant leurs travaux13, afin de renouveler l’enseignement secondaire par la collaboration des chercheurs et des enseignants, et des ateliers pédagogiques présidés par les inspecteurs généraux autour de trois thèmes : l’élève du premier cycle, puis du second cycle en face de l’enseignement historique, et l’initiation à la vie contemporaine. Le discours inaugural de L. Febvre est, à lui seul, une véritable leçon d’histoire vivante. Prononcé devant un public qui, ayant connu les mêmes épreuves, partage les mêmes espérances, il se termine sous un tonnerre d’applaudissements. « Debout les jeunes ! Soyons dans le fil du temps, dans le fil de la vie, dans le fil de l’espérance humaine14 ! ». Cet appel s’adresse en fait autant aux éducateurs qu’à la jeunesse : pour que celle-ci se lève, l’enseignement doit être adapté aux conditions du monde moderne. C’est pourquoi L. Febvre précise qu’il ne traite pas une question de pédagogie, mais une question de civilisation.
10Dressant un tableau qui n’est pas sans rappeler Le déclin de l’Europe de Demangeon, L. Febvre prend position. Il n’est plus possible que les contemporains fassent l’histoire qu’ont faite les générations passées. L’historien ne peut plus se borner à établir en toute tranquillité les faits – « une collection de petits cailloux15 », dit L. Febvre. À la responsabilité qu’a l’historien de répondre aux questions que soumet le temps présent, correspond celle de l’enseignant. C’est à lui de dégager les grandes lignes de force qui éclairent la configuration du monde, c’est-à-dire d’expliquer cette apparence de « basculement de la civilisation » et cette « obscurité de demain » que représente l’entrée de l’humanité dans l’ère atomique et devant lesquelles L. Febvre s’interroge de façon insistante pour provoquer l’interrogation de son auditoire. Car, par sa construction, son allocution reproduit sa méthodologie d’historien. Avant de définir l’histoire qu’il faut élaborer et enseigner, L. Febvre pose le problème qui, en 1947, rend cette histoire nécessaire, à savoir, le paradoxe de l’humanité fragmentée au sortir du conflit, mais soudée par la technique qui multiplie les contacts entre les civilisations. C’est le déchiffrage de cette complexité croissante que l’enseignement de l’histoire doit assurer, en donnant aux élèves les moyens d’anticiper l’avenir, au lieu de les cantonner dans l’étude bornée d’un passé clos qui conforte les « rêves de chat16 », les attitudes passéistes et passives et l’assoupissement des consciences. « Eh bien, je dis non : Non aux « trois fils mâles de Philippe le Bel », comme disait un vieux professeur d’histoire de ma jeunesse. Non aux clauses subtiles des trois traités de Vienne du xviiie siècle… N’encombrons pas plus longtemps l’esprit de nos enfants d’un pareil fatras. Laissons Louis-Napoléon fermer à sa guise les débits de boisson… Reléguons le pharmacien Pritchard dans son officine17… ». Ce dernier exemple, que, jusqu’en 1956, L. Febvre cite avec constance sonne la condamnation d’une histoire anecdotique, singulière et, dit-il, journalistique, en un mot inutile car elle ne s’intéresse qu’à la surface des choses.
11L’histoire doit étudier la vie des hommes dans le temps, c’est-à-dire être l’histoire de tous les groupes humains et de tous, « l’histoire des sans noms » et pas seulement des grands hommes et de la « Grande Politique », programme qui fait l’objet de la conférence que L. Febvre consacre aux problèmes de la vie quotidienne18, au Centre international d’études pédagogiques de Sèvres en juin 1953.
12Si l’idée n’est pas complètement nouvelle – Georges Weill, en 1906, voyait dans les programmes de 1902 l’avènement d’une histoire qui ne se limitait plus à celle des grands et des rois –, cette offensive que conduit L. Febvre contre le primat de l’histoire du pouvoir, beaucoup plus net dans l’enseignement que dans la recherche, explique directement le choix des conférenciers qui sont intervenus aux journées de juillet 1947. Le programme est dense, ouvert à la pluridisciplinarité et à des travaux récents sur des sujets ignorés dans l’enseignement, comme l’histoire économique ou l’histoire agraire car, pour que l’histoire scolaire s’attache aux formes de la vie sociale, y compris dans leurs aspects les plus matériels et les plus quotidiens, les travaux historiographiques récents doivent être portés à la connaissance des enseignants. L’option est claire. L. Febvre n’attend pas les mutations des programmes mais d’une prise de conscience des enseignants. Le spectre de la routine n’étant pas loin, il juge utile que, confrontés aux nouvelles problématiques, ils s’interrogent sur l’histoire qu’ils n’enseignent pas. Dans un constat très proche, C. Morazé s’alarme de l’inadéquation des contenus de l’enseignement aux réalités du monde surgi de la guerre. « On continue dans le milieu du xxe siècle de l’enseigner – l’histoire – en France par des méthodes et avec des directives à peine différentes de celles de nos grands historiens du xixe siècle. Et dans ce pays qui donna au monde l’idée de la méthode historique, qui posa les premiers grands problèmes relatifs à l’évolution humaine, l’enseignement de l’histoire est devenu quelque chose d’usé, d’étriqué, qui non seulement ne peut avoir un rayonnement à l’étranger, mais qui ne satisfait plus les consciences françaises à qui le bouleversement du présent fait sentir qu’il doit tout de même y avoir des causes profondes aux grands mouvements politiques et qu’il n’est pas possible que les hommes soient livrés au hasard de la chronologie19 ». L’histoire linéaire exclusivement politique et à l’échelle d’une seule nation où les événements s’enchaînent dans le court terme ne fournit plus les moyens de saisir la continuité du passé dans un présent de plus en plus opaque.
13C’est en effet dans un nouveau rapport des hommes au temps que l’équipe des Annales et les historiens qui gravitent autour d’elle situe la contribution de l’histoire au mieux-être des sociétés. « Une histoire dans le présent, pour le présent20 », écrit A. Dupront, s’interrogeant sur les responsabilités des historiens de sa génération. Partant de l’analyse critique des processus à l’œuvre dans le métier d’historien et notamment de la dialectique passé– présent dans l’élaboration de la connaissance historique, ces historiens proposent une nouvelle lecture ; dès lors que le présent est cette plage temporelle où les hommes impriment leur marque au passé, comme le suggère L. Febvre qui, déclarant qu’« hier occupe au moins les deux tiers de la personnalité21 », fait du tiers restant un espace de liberté, la connaissance historique et l’acceptation du passé dans sa totalité, dussent-elles être éprouvantes comme c’est le cas après 1945, loin d’accabler l’homme, doivent l’aider à aller de l’avant.
14On comprend donc que la réforme de l’enseignement historique ne soit pas formulée dans un programme immédiatement concret. Comme le note Gustave Monod dans la séance de clôture des premières journées d’étude, « des mouvements profonds se dessinent à l’intérieur de la discipline22 », mouvements qui semblent imposer de « repenser » les fondements de celle-ci. Dans cette dynamique, paraissent jusqu’au début des années cinquante plusieurs ouvrages proposant une réflexion renouvelée sur l’histoire que l’Information historique signale à ses lecteurs23.
Un changement de perspective
15L’enseignement, en s’adressant aux enfants d’aujourd’hui, prépare les hommes de demain. « Voulez-vous penser que vous devez commencer à former en 1947 des hommes qui puissent être efficaces en 1969 ? Mais, 1947-1960 : au rythme du mouvement qui nous emporte, où serons-nous24 ? ». Par cette interpellation directe et insistante – la typographie la transcrit en majuscules – L. Febvre presse son public autant que le temps lui-même presse. Cette partie de la conférence rappelle le manifeste des Annales nouvelles formulé en ces termes : « Alors, vite à la besogne, historiens. Assez de discussions. Le temps passe, le temps presse. Vous voudriez peut-être qu’on vous laisse souffler ? Le temps de balayer chacun devant sa porte ? Il s’agit bien de cela. Le monde vous pousse, le monde vous souffle au visage son haleine de fièvre25 ». Or, dans cette accélération des modifications de l’humanité qui se déroule sous ses yeux, L. Febvre, formé à l’école de la géographie vidalienne, est particulièrement sensible au raccourcissement des distances. La constitution d’un espace mondial conduit à des relations nouvelles entre les sociétés humaines et impose à chacun de se situer en toute connaissance de cause dans un réseau de solidarités qui devient double, puisqu’aux solidarités qui unissent aux générations antérieures et dont Gabriel Monod – le maître de L. Febvre – confiait déjà à l’histoire le soin de forger la conscience, s’ajoutent celles en partie encore inconnues qui se forment à l’échelle du globe.
16Si peu de temps après la guerre, la paix est le premier horizon de l’enseignement et de la formation du citoyen. Aucun des historiens qui s’expriment publiquement aux lendemains de la guerre n’élude la responsabilité des hommes du présent de faire prendre conscience de la pluralité des civilisations dans l’espace et le temps, et de forger le sens et le respect des différences, comme le prônait M. Bloch. « Histoire et paix », l’article que livre A. Dupront en 1951 à la Revue historique26 pose les questions fondamentales qui taraudent les historiens et tous les hommes de bonne volonté à l’heure où la recrudescence des tensions internationales fait craindre le pire. C’est-à-dire qu’il ne suffit pas de se demander quelle histoire sert la cause de la paix. Il faut oser affronter la question de l’histoire qu’on a faite et enseignée : dans quelle mesure a-t-elle servi la guerre et en a-t-elle préparé l’acceptation ? Tel est l’enjeu de la tâche des historiens, chercheurs et professeurs ; que « nul, demain, ne puisse reprocher, à nous aussi, d’avoir préparé avec un soin pieux la guerre d’il y a vingt ans27 ».
17Cette réflexion est à situer par rapport aux travaux du sous-comité pour l’enseignement de l’histoire de la Commission nationale pour l’éducation, la science et la culture de l’UNESCO, dont la composition en 1949 reproduit en partie la carte de la guerre froide puisque parmi les vingt-quatre nations représentées, ne figurent ni les pays d’Europe orientale ni ceux d’Extrême-Orient – sauf le Japon – ; est absente aussi l’Amérique du Sud. Significativement, en décembre 1950, alors que les espoirs de paix s’éloignent, la deuxième session des journées nationales pour l’enseignement de l’histoire met à l’ordre du jour le thème de la compréhension internationale et la préparation du séminaire prévu par l’UNESCO pour l’été 195128. Dans le droit fil de l’action qu’avait conduite J. Isaac avant la seconde guerre mondiale, sont recherchées les voies à établir pour faire de l’enseignement historique un vecteur de paix à l’échelle du monde, l’imprégner de l’esprit de compréhension et donner aux élèves le sens de leurs responsabilités futures vis-à-vis de la paix du monde et des organisations internationales. Ainsi se trouve posée la question des contenus d’un enseignement conçu comme une éducation civique mondiale et une propédeutique à l’action. Dans le court terme, l’amélioration des manuels s’impose comme un moyen de créer ou d’entretenir la sympathie entre les peuples. De façon plus étroite, l’examen du rôle particulier des manuels d’histoire conduit à rechercher les possibilités d’enseigner une histoire universelle.
18Le débat n’est pas neuf parce qu’il fait resurgir le problème de la subordination ou non de l’enseignement de l’histoire à des intérêts autres que la connaissance et met face à face deux options : la première défendant une conception purement fonctionnelle de l’histoire, où le passé n’a qu’une vocation instrumentale ; la seconde considérant que c’est en elle-même et par ses méthodes que l’histoire forme le mieux les élèves à leurs devoirs futurs. La faille qui avait dans les conférences de l’entre-deux-guerres séparé les éducateurs et les historiens rejoue, réactivée par de nouvelles forces et de nouveaux enjeux. Or, là encore, il ne s’agit pas d’une simple question de pédagogie. C’est la raison pour laquelle dans l’introduction de l’article Histoire et paix, A. Dupront se propose d’apporter sa contribution à la réflexion. La même analyse conduit L. Febvre à intervenir dans une forme cependant radicalement différente, puisqu’il déverse son fiel contre « notre Mère-sainte Unesco » et s’insurge : « Réviser les manuels. Retrancher une épithète ici, un verbe là. Édulcorer. Mutiler. Émasculer. Dévitaminiser et servir tiède. Non, très peu pour nous. Vous voulez désarmer l’histoire. Celle des civilisations n’est pas armée. Elle postule non pas la guerre, mais la paix29 ».
19Les deux historiens n’apportent pas les mêmes réponses mais posent le même problème. Pour A. Dupront, aucune révision de manuel ne rendra pacifiste une histoire belliciste qui s’est faite par la guerre et qui s’est nourrie durant des siècles de ses récits et de ses épopées. L’histoire– batailles fait partie d’un passé qu’il est vain de nier mais qu’il importe de connaître pour le dépasser. L. Febvre défend plus, quant à lui, la cause d’une histoire qui rapproche, celle des peuples opposée à celle des États, celle du « labeur humain ». Mais, l’un et l’autre mettent de fait en garde contre le seul élargissement spatial, qui n’est qu’« un élargissement du champ de vision30 ». Pour que la nature de la connaissance de l’universel soit transformée, il faut aller à la recherche des forces profondes de la vie des peuples, sortir des cadres de l’histoire traditionnelle.
20Une telle richesse de pensée donne la mesure du décalage avec les contingences de l’histoire scolaire. Une modification des contenus de l’enseignement historique suppose un autre esprit. Savoir ce qui s’est réellement passé ne suffit pas à rendre le monde intelligible. Il faut comprendre et comprendre est autant une opération intellectuelle qu’une attitude de tolérance et d’amitié. « Vivre des attitudes nouvelles », A. Dupront souligne le terme attitudes et se réfère à Dilthey pour qui la compréhension, mode d’intelligibilité des « sciences de l’esprit », suppose de pénétrer « dans les expressions de la vie d’autrui31 ». Si, intellectuellement, beaucoup de professeurs adhèrent à ces analyses qui ne sont pas complètement nouvelles mais trouvent un écho qu’elles n’avaient pas avant la guerre, ces questions restent épineuses quand on envisage leurs incidences sur le plan scolaire.
21Faire de l’histoire cette « rencontre fraternelle avec les hommes32 », dont parlait M. Bloch n’est possible qu’au prix d’une révision des contenus et des méthodes.
22En ce qui concerne les contenus, les orientations renouvelées de l’histoire peuvent se répercuter à trois niveaux. Le premier est un changement d’échelles spatiale et temporelle de l’histoire enseignée. « Histoire locale, régionale, nationale, universelle doivent s’appuyer réciproquement, les premières étant les supports des autres33 » et l’ensemble permettant de mieux appréhender l’unicité et la relativité des situations. L’étude du milieu puis l’histoire régionale sont donc les premiers champs d’application d’une « géohistoire » dont F. Braudel consacre la valeur heuristique dans sa thèse la Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II où s’entrecroisent le temps et l’espace et qui imprègne parallèlement une grande part des monographies composées autour des années 1950 – on songe par exemple à la thèse de G. Duby, venu de la géographie à l’histoire –. Puis, à partir de cette étude initiale, l’emboîtement des différentes échelles géographiques saisi dans un esprit proche du projet ébauché par M. Bloch pendant la « drôle de guerre » de replacer l’histoire du peuple français dans le cadre de la civilisation européenne, après l’avoir décomposé en Frances particulières34, permet l’étude de cercles concentriques de plus en plus grands au sein desquels l’élève apprend à se situer et à situer les autres.
23Mais le sens des différences est à construire également à partir d’une étude des sociétés dans le temps, montrant la diversité des destinées humaines d’hier à aujourd’hui et la relativité de la notion de progrès. Si l’accord ne se fait pas sur le bien-fondé de la continuité historique, la nécessité d’enseigner toutes les périodes est réaffirmée. La commission nationale de l’UNESCO insiste notamment sur l’intérêt de l’étude des civilisations antiques en seconde35, recommandation qui trouve un écho favorable parmi les professeurs pour lesquels elle représente une compensation au système des cycles et le retour à la situation relativement favorable de 1902.
24La deuxième modification est liée à l’élargissement du territoire de l’historien, selon l’expression de Le Roy Ladurie, et à la diversification des champs d’étude qu’entraîne l’ambition de faire une histoire totale. Il apparaît impératif que l’histoire scolaire participe au mouvement qui oriente la production historique vers une histoire des groupes sociaux étudiés dans leurs fonctions économiques et dans leurs manières d’être et de penser. Or il s’agit bien, pour les concepteurs de cette histoire, d’un tournant à prendre et non d’ajouter un chapitre à un autre, où les faits économiques et culturels ne participeraient pas d’une étude intégrée des activités humaines.
25En définitive, l’histoire des civilisations, telle que l’avait présentée M. Bloch dès 1938, est celle qui synthétise le mieux le renouvellement des points de vue et les nécessités du siècle. C’est pourquoi, le ministère, en la personne de G. Monod, donne son aval dès 1946 à un enseignement historique qui soit la description de plus en plus précise aux différentes étapes de la scolarité des principaux types historiques de civilisation et dont L. Febvre trace les grands axes dans la conférence de 1947 : les civilisations, dans leurs dynamiques temporelles et spatiales, à travers « ‘leurs mouvements d’avance et de repli36 ». Si le thème n’est pas entièrement nouveau dans l’histoire scolaire, puisque, inscrit aux programmes de l’enseignement secondaire féminin37, il faisait partie également des intentions de ceux de 1902, le concept de civilisation a évolué, le terme se décline au pluriel, et son emploi s’inscrit dans des problématiques renouvelées.
26Dans les programmes du premier xxe siècle, la civilisation se décrit essentiellement par ses aspects techniques, ses traces matérielles et ses œuvres, ses mœurs et coutumes. D’autre part, l’idée de civilisation n’est pas émancipée totalement de celle de progrès et d’universalité contenue dans le sens premier du terme qui désignait, à la fin du xviiie siècle, un idéal que les générations suivantes ont cru incarné dans l’histoire de la nation française.
27Cependant, l’évolution du regard que les Européens portent sur les peuples dits « non-civilisés » et la constitution de l’ethnologie en une discipline autonome au cours des années 1920 entraînent un renouvellement du discours anthropologique et de l’approche des cultures non-européennes. Dans un contexte d’interdisciplinarité accrue où, aux lendemains de la première guerre mondiale, l’interrogation des jeunes sciences de l’homme rencontre celle d’historiens, les horizons s’élargissent. Par un long cheminement, le concept de civilisation s’émancipe des théories évolutionnistes qui classaient les sociétés en fonction de leur état technique, se charge d’une valeur relative dans l’espace et dans le temps – les civilisations sont mortelles –. Ainsi la civilisation fait-elle l’objet au cours des années 1950 et 1960 d’une réflexion propre à alimenter l’histoire scolaire dont le chapitre V de l’Encyclopédie française rédigée par F. Braudel en 1959 donne les tenants et les aboutissants38. Or, si l’on retient la définition que F. Braudel y propose d’une civilisation, « une aire culturelle », c’est-à-dire un espace avec ses traits culturels caractéristiques, « sa masse très diverse de biens » qui durent et en même temps « ne cessent de voyager » au-delà de ses frontières, l’étude des civilisations par les élèves ne correspond pas à une ambition démesurée. Les plans tracés par G. Lefebvre ou R. Schnerb à la fin des années quarante en sont d’ailleurs une ébauche puisqu’à l’intérieur d’un ensemble spatio-temporel, la France par exemple dans les classes inférieures, les élèves apprennent à connaître les formes de vie que les hommes y ont adoptées. Cependant, si les civilisations telles que les définit F. Braudel sont appelées à trouver leur place dans les programmes scolaires, deux problèmes majeurs sont à résoudre : celui du choix des aires culturelles et celui de la transposition didactique de l’étude de leurs interactions au cours de l’histoire. Quelles sont, en effet, les « quelques grandes civilisations historiques » dont G. Monod envisage l’enseignement dans les classes du second cycle39 ? Comment concilier des exigences aussi contradictoires que celle d’enseigner l’histoire nationale et européenne qui permet à l’enfant de se situer dans une communauté de civilisation à laquelle il appartient, et celle de donner toute la place qui leur revient aux autres peuples et aux autres cultures dont observe H. Deschamps, alors professeur à l’École nationale de la France d’Outre-mer, « la conscience n’existe nullement dans les cerveaux métropolitains » à l’heure de l’Union française40.
28Le choix d’une histoire des civilisations est lourd d’enjeux. Il remet en question non seulement le primat du politique mais aussi la périodisation traditionnelle et francocentrique de l’histoire scolaire. Examinant les caractères d’un enseignement réformé après que L. Febvre en a exposé les principes, P. Leuilliot en mesure les implications. Mais son propos reste flou. « Au lieu d’un découpage en périodes, il faut envisager des tableaux successifs et toujours comparés de siècles, de civilisations41 ». Émettant l’idée d’un découpage en unités spatio-temporelles où l’histoire et la géographie seraient combinées dans une approche thématique, il ne se résoud pas à trancher le nœud gordien de l’histoire nationale et affirme, dans une phrase très vague qui rappelle E. Lavisse, qu’elle « doit s’encadrer de plus en plus dans l’histoire universelle ».
29À mi-chemin entre l’ironie et la provocation, L. Febvre a, en juillet 1947, devant le parterre des inspecteurs et des professeurs parisiens posé le problème et énoncé sa solution. L’histoire nationale est à recomposer. Mais dans aucun des canevas de la réforme, il n’est envisagé ni envisageable de rayer de la carte des programmes l’histoire de France. Les historiens sont en effet bien placés pour savoir que son enracinement dans la tradition scolaire et universitaire est lui-même une des formes de cette vie sociale qu’ils étudient. Aussi est-ce là encore à un changement de perspective qu’ils convient, afin que l’histoire nationale ne soit plus une fin en soi mais le soubassement d’une connaissance plus large, le premier maillon de la chaîne des sociétés humaines. Situant la question dans la perspective de la paix, comme nous l’avons vu ci-dessus, A. Dupront développe sur ce chapitre une argumentation forte. Le passé qui nous est donné, celui qui est vivant en nous, est celui des histoires nationales. Il faut donc d’abord les connaître, c’est-à-dire les admettre, et en les appréhendant comme « une vision partielle de la réalité d’un temps ou d’un phénomène historique42 », une forme « enracinée » de l’histoire des « structures », s’élever à l’histoire universelle, histoire unique. Si ce nécessaire processus de purgation s’inscrit ici dans une philosophie précise de la vie humaine, prend forme de façon plus générale une nouvelle approche des histoires nationales. Comprendre la singularité des autres, c’est la rechercher dans les réalités de longue durée qui l’expliquent et dans la prise en compte du « contexte humain, social, politique, voire mystique43 » où les sociétés évoluent.
30Dans le fait qu’aux lendemains de l’après-guerre, l’histoire des civilisations paraisse devoir être le thème fédérateur de programmes adaptés au second xxe siècle, se projette l’espérance des hommes qui, en une génération, ont connu deux fois la guerre et vu resurgir l’« animalité ». Mais de la conférence où L. Febvre les évoque, émane une telle énergie vitale, une telle confiance en l’avenir que la revanche de l’homme vivant s’exprime dans le projet d’une histoire des groupes humains, préalable à la construction du puzzle de l’histoire de l’humanité, ou encore dans l’esquisse de la civilisation de demain saisie dans l’unification des civilisations particulières.
31Le message de la Libération est porté par un humanisme moderne que symbolise le plan Langevin-Wallon et qui, malgré les tensions politiques, reste l’horizon des années 1950. Ainsi, concluant à propos de l’histoire des civilisations, F. Braudel peut-il écrire : « Un humanisme, c’est une façon d’espérer, de vouloir que les hommes soient fraternels les uns à l’égard des autres et que les civilisations, chacune pour son compte, et toutes ensemble, se sauvent et nous sauvent44 ». L’œuvre d’histoire s’inscrit dans un présent ouvert sur un avenir à construire. Dans cette logique, elle a de droit sa place dans l’éducation.
La refonte des études
Les principes généraux
32Le 21 janvier 1944, est créée par René Capitant, commissaire à l’Éducation nationale et à la jeunesse dans le CFLN, une commission chargée de dégager les principes de la réforme et de préparer les décisions remises au pouvoir de l’Assemblée constituante. Le rapport sur les travaux de cette commission présenté en août 1944 portant la dénomination de « Plan d’Alger45 » oriente l’activité du ministère dans les mois qui suivent la prise de fonction de R. Capitant à la tête de celui-ci le 4 septembre 1944 et notamment tout le travail préparatoire à la création des classes nouvelles. Le 9 novembre 1944, R. Capitant crée, par décret, une commission ministérielle d’études chargée d’élaborer un projet global de réforme du système d’enseignement. La présidence en est confiée au physicien Paul Langevin, professeur au Collège de France et président du Groupe français d’éducation nouvelle, arrêté par les Allemands le 30 octobre 1940 pour son activité anti-fasciste, incarcéré puis envoyé en résidence surveillée à Troyes, et membre du parti communiste français depuis septembre 1944. La vice-présidence est assurée par les deux psychologues, professeurs au Collège de France, Henri Piéron et Henri Wallon. À la mort de P. Langevin, le 19 décembre 1946, H. Wallon, incarnant la compétence scientifique et la résistance universitaire, instigateur du projet de réforme que le parti communiste français avait soumis en septembre 1943 au Conseil national de la Résistance, lui succède. Siègent au sein de la commission dans une grande communion d’esprit le directeur général de l’enseignement Jean Bayet et les directeurs des quatre sections, des inspecteurs et enseignants que P. Langevin a réunis dans son proche entourage. Ainsi E. Coornaert et L. Febvre, collègues de P. Langevin au Collège de France, en sont-ils membres46. On note aussi la participation d’une partie de l’équipe qui appartenait à l’état-major de Jean Zay, notamment Gustave Monod, mais aussi Roger Gal et Alfred Weiler, militants de l’Éducation nouvelle.
33Au-delà de la diversité des statuts et des sensibilités, tous poursuivent l’objectif prioritaire de réorganiser l’enseignement français en vue de l’adapter aux conditions de la société, d’assurer le droit des jeunes à un développement complet. Cette déclaration d’intention fonde en effet la politique d’éducation au lendemain de la guerre, élément d’un projet plus global de la réforme sociale démocratique qui anime l’esprit de la Résistance, au service d’une idée de l’homme que la plupart de ces personnalités ont défendue, dès 1934, en s’engageant dans le Comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes. Au niveau de l’enseignement secondaire, la traduction de cet idéal suppose que celui-ci s’ouvre à tous les élèves sans distinction d’origine ni de fortune et que la pédagogie offre à chacun les moyens de sa réussite. Ces perspectives supposent donc une réforme de l’organisation pédagogique que le plan Langevin-Wallon étudie, donnant aux propositions du plan d’Alger un développement nouveau. L’habituelle distinction des matières essentielles – généralement les disciplines littéraires et scientifiques – et accessoires est remise en cause. La culture générale étant entendue comme « une initiation aux diverses formes de l’activité humaine non seulement pour déterminer les aptitudes de l’individu… mais aussi pour lui permettre de rester en liaison avec les autres hommes, de comprendre l’intérêt et d’apprécier les résultats d’activités autres que la sienne propre47 », aucun domaine d’enseignement n’est moins important qu’un autre. Mais ces considérations ajoutées à la volonté de multiplier les choix d’orientation entrent de fait en contradiction avec la politique d’allègement des programmes et de limitation des heures d’enseignement qui apparaît tout aussi nécessaire. Les concepteurs du plan optent alors pour un système de matières de base et de matières à option, résolution courageuse car il n’est guère difficile d’imaginer le tollé qu’elle provoque. Concrètement, il en résulte pour l’enseignement historique qu’une partie des contenus antérieurs peut être appelée à trouver sa place dans le cadre optionnel. Par ailleurs, le plan conseille d’élaborer les programmes de façon large et souple et de les centrer sur un noyau de connaissances étudiées en profondeur.
34Pareilles dispositions justifiées par le souci d’assouplir le système des études et de permettre à la curiosité intellectuelle des enfants de s’exercer le plus librement possible, afin que les aptitudes de chacun s’épanouissent, ne manquent pas d’inquiéter les professeurs. Les historiens débattent de la question pour la première fois le 27 mars 1945 à la première assemblée générale depuis la reprise des activités de la Société. Le compte rendu est le suivant : « Ces projets – ceux de la commission Langevin – provoquent une vive émotion et de nombreuses interventions48 ». L’assemblée vote en effet à l’unanimité une motion protestant contre le fait que l’histoire et la géographie soient prévues matières à option libre pour une partie des élèves du troisième cycle, ce qui signifie, précise-t-elle, qu’« une partie importante de la jeunesse française pourrait ignorer totalement ces disciplines et commettre des erreurs fatales pour le pays ». Cependant, bien que vivement contestées et abandonnées dans le projet final, ces propositions forment jusqu’en 1947 le cadre dans lequel se situe la réflexion sur l’enseignement historique appelé, selon l’hypothèse alors la plus probable, à une réduction de ses programmes.
35Cette modification apparaît d’autant plus vraisemblable que le postulat de faire accéder tous les élèves à un tronc commun de connaissances implique la primauté des méthodes sur les programmes, celles-là étant les moyens « d’ajuster l’exécution – de ceux-ci – aux capacités de chacun49 ». Si l’expression n’est pas encore employée, l’idée de la pédagogie différenciée est contenue dans le projet d’un enseignement qui se veut être « sur mesure ». Enfin, afin de rendre les programmes moins contraignants et « pour que l’élève s’adonne aux disciplines scolaires pour elles-mêmes et non par calcul », les projets de réforme envisagent la suppression de tout examen avant la fin de la scolarité obligatoire. Quant à l’examen de fin d’études, prévu en remplacement du baccalauréat, la commission Langevin recommande qu’il évalue séparément les connaissances et les aptitudes, s’appuyant en cela sur les travaux antérieurs de docimologie de son vice-président, H. Piéron.
36L’orientation pédagogique est donc d’alléger le poids des enseignements de spécialité en faveur de capacités transversales, donnant aux contenus disciplinaires une fonction instrumentale. Corollairement, le rôle et la formation des maîtres s’en trouvent redéfinis et constituent un des axes les plus importants de la réforme. Alors que la pénurie d’enseignants se fait durement sentir à la fin de la guerre, la mise en application de la gratuité et la demande croissante d’enseignement que traduit l’augmentation des effectifs depuis la fin des années 1930 requièrent d’importants besoins en personnel éducatif. Le plan Langevin-Wallon entend que des créations d’emplois et un recrutement de maîtres à tous les degrés y pourvoient, politique indissociable, souligne-t-il, d’une revalorisation de la situation morale et matérielle des enseignants. Or, dans le contexte économique de l’après-guerre, cette question va être un des butoirs essentiels de la réforme.
37Selon les travaux préparatoires de la commission Langevin, l’homogénéisation des situations matérielles permettait également la réalisation du corps unique des maîtres et la circulation des enseignants d’un cycle à l’autre, adaptée à la nouvelle architecture des études, circulation qui, dans le court terme, pouvait d’ailleurs représenter une économie de moyens. La commission Langevin se proposait donc d’abolir la distinction entre maîtres du primaire et du secondaire et d’y substituer celle entre maîtres de matières communes et maîtres de spécialités. Dans cette logique, il était envisagé une formation initiale unique organisée en deux années d’études propédeutiques théoriques et pratiques dans un cycle pré-universitaire, suivies par deux années de licence à l’Université et un an de stage pratique. En outre, il était prévu de réformer l’agrégation afin d’y valoriser la culture pédagogique.
38En dépit de leurs très nombreuses zones d’ombre, les rapports de l’après-guerre reprennent donc la question de la formation professionnelle des enseignants dans une double perspective d’unification des parcours et d’intégration des préparations scientifique et pédagogique, celle-ci conquérant une place importante dans le dispositif de formation initiale. En effet, elle doit regrouper la connaissance des faits éducatifs dans leur évolution et leur état présent et sous leurs différents aspects, psychologiques et sociologiques, et la transmission des techniques d’éducation qui, selon les conclusions que H. Wallon tire de sa propre expérience de médecin et de psychologue, sont enseignables parce qu’elles sont fondées sur des principes scientifiques établis à partir d’une connaissance objective du développement mental de l’enfant. Or cette connaissance évoluant avec les progrès des sciences humaines, le plan souligne la nécessité de donner aux enseignants les moyens d’un perfectionnement professionnel au cours de leur carrière et consacre l’importance de la formation continue.
39On retrouve ainsi au niveau de ses incidences sur la formation des maîtres l’idée dominante de la réflexion éducative des années de l’immédiat après-guerre. Il s’agit explicitement de placer le développement des aptitudes propres à chaque enfant au centre de l’action pédagogique. Dans l’immense espoir de construire un avenir meilleur qu’a fait naître la victoire, la conception d’une éducation qui prenne en compte l’épanouissement de l’individualité s’impose aux réformateurs comme une urgence et donne à la pensée psycho-pédagogique une résonance qu’elle n’avait jamais réussi à acquérir jusqu’alors, même si on en décèle les prémices dans la réforme de J. Zay. En outre, l’influence de H. Wallon dans les instances dirigeantes à la libération de la France, de sa fonction de Secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale en 1944 à celle de délégué à l’Assemblée constituante en 1945 du mouvement de résistance qu’il a dirigé de 1941 à 1944, le Front national universitaire, donne à la psychologie de l’enfant un rayonnement institutionnel nouveau.
40À partir d’une connaissance scientifique des processus psychologiques généraux de l’enfant et de l’adolescent, la psychologie s’affirme comme partie intégrante – et non annexe – de l’étude de l’homme dans ses rapports avec la culture et la société. Appliquée au milieu scolaire, elle se centre sur la connaissance de l’enfant, sujet apprenant, et sur la psychologie des matières scolaires, c’est-à-dire les comportements que requiert telle ou telle discipline. En ce sens, l’objet de la psychologie appliquée est le même que celui de l’historien, à savoir la personnalité humaine appréhendée dans sa réalité vivante et agissante. C’est pourquoi H. Wallon et L. Febvre, condisciples de la rue d’Ulm et collègues au Collège de France, échangent les résultats de leurs recherches respectives. Significativement le livre de H. Wallon, Principes de psychologie appliquée, où celui-ci pose, à partir du cas du taylorisme, la question de la sélection des aptitudes est dédié à L. Febvre qui en publie un compte rendu dans les Annales de 193150. En même temps, L. Febvre, cherchant à reconstituer la vie affective d’autrefois51, suit attentivement les travaux de H. Wallon consacrés à la genèse des émotions et à leur rôle dans la constitution de la personnalité.
41Les recherches de H. Wallon, agrégé de philosophie en 1902, docteur en médecine en 1908 et docteur ès lettres en 1925, où se conjuguent son expérience de médecin pendant la « Grande Guerre » et les observations du laboratoire de psychologie et biologie de l’enfant qu’il a créé, consistent à établir que l’enfant n’est ni un être adulte miniature, ni un être possédant une mentalité irrémédiablement distincte de l’adulte, mais qu’il a des caractères propres à chaque âge de son développement qui ne peuvent se penser sans référence à l’état adulte et au milieu où il évolue. En s’inscrivant contre la théorie de la récapitulation, selon laquelle le développement de l’enfant récapitule le développement de l’humanité – théorie élargie à la conception des hommes primitifs et « non-civilisés » – sa thèse, consacrée à la description des stades du développement psychomoteur, constitue la première étape de l’étude de l’évolution psychologique de l’enfant, et particulièrement des processus par lesquels l’enfant passe d’un stade à l’autre. D’autre part, contre les premières orientations individualistes et libertaires qu’avait adoptées l’Éducation nouvelle, opposant les droits des enfants à ceux des adultes, H. Wallon démontre que l’enfant a besoin des pressions de la société pour se construire, le caractère essentiel des conduites humaines étant de répondre aux conditions fournies par le milieu et de s’élaborer à l’aide de tous les instruments que la société propose à l’individu. Le principe essentiel de l’éducation consiste donc à utiliser « chaque époque de l’enfance pour assurer aux dispositions et aptitudes correspondantes leur plein épanouissement, de telle sorte qu’il n’y en ait pas d’atrophiées ou qui s’égarent, mais aussi qu’à la succession des âges réponde une intégration progressive des activités les plus primitives aux plus évoluées52 ». C’est pourquoi H. Wallon s’engage parallèlement en faveur d’une éducation qui donne les moyens de réaliser cet épanouissement, adhérant au Groupe français d’éducation nouvelle dont il devient en 1947 le président.
42Si cette théorie diffère de celle de J. Piaget dans la mesure où H. Wallon réfute la séparation entre le biologique et le social et l’idée d’un développement de l’intelligence génétiquement programmé, l’ensemble des progrès de la connaissance relative à la psychologie de l’enfant enrichit l’action éducative dans le prolongement des expériences conduites depuis le début du siècle en France ou à l’étranger.
43En premier lieu, l’éducation doit tenir compte des stades du développement de l’enfant, stades correspondant à des structurations successives du réel par l’enfant, présentant des analogies d’un sujet à l’autre. Les principaux impacts de cette théorie au niveau de l’enseignement appartenant à la construction de la pensée conceptuelle, les stades retenus dans les programmes pédagogiques sont calqués sur le découpage des étapes du développement de l’intelligence qui, selon J. Piaget, est d’abord une intelligence pratique, sur le soubassement de laquelle la pensée abstraite prend appui. L’enfant assimile le réel de façon globale et syncrétique et « n’est guère capable avant dix-onze ans d’un raisonnement formel, c’est-à-dire de déductions portant sur des données simplement assumées et non pas sur des vérités observées53 ». Ensuite, à l’âge de l’adolescence, il est à même d’accomplir des opérations formelles et de raisonner de façon hypothético-déductive, c’est-à-dire qu’il est apte à construire des hypothèses et à les soumettre à un examen critique pour déduire des conclusions sans le support de la réalité concrète. Dès lors qu’on reconnaît cette normativité, il est possible de définir des paliers moyens accessibles à la majorité des élèves et de concevoir une progression des programmes telle que les connaissances et les stratégies déployées pour les acquérir soient adaptées au niveau de développement. C’est une donnée essentielle qui s’ajoute aux enjeux socio-éducatifs en présence dans la délibération de la réforme.
44Le second est que l’activité est le principe et le moyen du développement de la personne. L’objet de toute réflexion sur les contenus et les méthodes doit donc être de caractériser, en fonction du stade de développement, cette activité d’élaboration des compétences et des savoirs par l’enfant dont H. Wallon montre qu’elle résulte d’une structuration dialectique entre l’affectivité, la motricité et la connaissance. Mais stimuler l’activité de l’élève à partir de ses centres d’intérêt et des réseaux multiples auxquels il appartient, dans la perspective d’une formation indivisible de la personnalité, suppose que soient reformulées les relations entre l’école et le monde extérieur, voire entre l’élève, la classe et la famille et se heurte de facto à un certain nombre d’obstacles institutionnels. C’est pourquoi, la conception, quoique réductrice, selon laquelle l’activité est essentiellement un procédé pédagogique pour améliorer le rendement scolaire, trouve plus facilement sa place dans les moules existants. Cependant l’importance accordée par les psychologues aux interactions entre l’élève et le milieu social explique qu’aient été préconisés l’étude de l’environnement qui lui était familier et, plus largement dans le cadre de l’acquisition des repères spatio-temporels, les divers processus de socialisation dans l’éducation54.
45Il est certain que la réforme dessinée par la commission Langevin-Wallon ne peut se comprendre si elle n’est remise en perspective avec le projet de démocratisation de la vie économique et sociale que sous-tend en 1945 un optimisme d’autant plus vigoureux que l’homme semble avoir triomphé des tentatives d’anéantissement qui le menaçaient. Quel qu’ait été le devenir du plan, il entérinait l’importance de la psychologie de l’enfant dans l’élaboration des contenus et des formes d’enseignement. En suivant les problèmes posés aux élèves par l’appropriation des connaissances et en évaluant les conséquences des méthodes éducatives, la psychologie scolaire se donnait pour objectif de définir scientifiquement par la méthode expérimentale les principes d’une pratique didactique efficace. À la faveur de ce contexte, les innovations qui avaient marqué l’enseignement primaire suscitaient un intérêt plus grand auprès des instances réformatrices de l’enseignement secondaire et, dans le cadre d’une volonté politique de démocratisation, une réflexion s’amorçait à plus grande échelle sur ces questions. Certes, les conditions économiques de l’après-guerre, et surtout la rupture du tripartisme, puis la rupture syndicale et le développement de l’anticommunisme pour des raisons tant extérieures qu’intérieures condamnent dès la fin de l’année 1947 la moindre exécution du plan, remis en juin 1947 au ministre Naegelen, au moment où le rapport des forces politiques est en train de basculer. Mais les principes qui s’y trouvent affirmés, en de nombreux points analogues à ceux du plan d’Alger, dessinent les cadres d’une réforme intégrale de l’éducation inspirée des idées émises dès 1918 par les Compagnons de l’Université nouvelle, idées qu’ont revivifiées les aspirations démocratiques et unitaires des mouvements de Résistance et l’espoir d’hommes confiants dans le pouvoir qu’a l’éducation d’agir sur l’avenir – le soutien que leur apporte la Ligue de l’enseignement en est une manifestation –. L’itinéraire de H. Wallon, membre des Compagnons, ou celui de G. Monod illustrent cette continuité des idéaux dont la réalisation semble en 1945 possible. La période où G. Monod est directeur de l’enseignement du second degré est en effet marquée par une véritable ferveur pédagogique. Lui-même l’évoque en ces termes en mars 1968 : « On eut vraiment l’impression qu’on irait de l’avant, qu’on allait créer quelque chose55 ». L’administration centrale de l’Éducation nationale impulse l’innovation, la diffuse par des publications nouvelles comme l’Éducation nationale56 et encourage la recherche à transgresser, conformément à l’esprit de l’école unique, les cloisons entre les divers degrés de l’enseignement, en créant des structures rattachées à l’institution. Ainsi est fondé à Sèvres en 1945 le Centre international d’études pédagogiques dirigé par E. Hatinguais, inspectrice de l’Éducation nationale dont l’activité et le rayonnement soutiennent la vitalité des équipes novatrices. Quant au Musée pédagogique, l’extension de ses fonctions déjà nombreuses et particulièrement l’essor de son service de recherche pédagogique conduisent à sa réorganisation en un Institut pédagogique national en 1956, dirigé par Louis Cros. Ces organismes, lieux de rencontre de l’institution et des mouvements éducatifs qui sont en dehors d’elle, vont contribuer à ce qu’après l’échec du plan Langevin-Wallon, survive à l’intérieur de l’Éducation nationale un courant minoritaire mais actif qui défend, dans les plans qui se succèdent entre 1947 et 1958, « l’esprit de Sèvres », appelé ainsi par référence aux idéaux partagés à Sèvres dans les stages organisés par la direction de l’enseignement du second degré de 1945 à 1951.
Les implications didactiques
46On donnera au terme didactique le sens du substantif, c’est-à-dire l’ensemble des processus d’enseignement et d’apprentissage relatifs à un savoir donné. Les théories psycho-pédagogiques, en montrant l’importance des seconds dans l’appropriation de la connaissance, donnent comme axe à l’enseignement des disciplines le développement des conduites fondées sur l’activité et l’intérêt en fonction des aptitudes propres à chaque âge. Appliquées à l’enseignement de l’histoire, elles légitiment, selon le plan que G. Monod suggère57, une graduation de la matière de ses formes les plus descriptives aux plus explicatives, où les traces du passé, objets et documents, ouvrent les pistes d’une connaissance active ancrée dans le concret. En effet, à partir du moment où répond à la définition du document toute trace du passé que l’homme peut interroger, la palette des centres d’intérêt de l’élève se trouve diversifiée. Ainsi, le renouvellement historiographique conflue-t-il avec le mouvement de la pédagogie moderne pour faire de l’enseignement de l’histoire par le document la doctrine officielle de l’institution scolaire à l’heure où est débattue la réforme des études secondaires.
47Le renouvellement des méthodes de l’enseignement n’est pas, en effet, le moindre aspect de la réforme. Les historiens sont confrontés à deux nécessités qu’ils associent étroitement. La première est de bannir l’encyclopédisme, la superficialité, tout ce qui fait de l’enseignement historique « une course de vitesse58 » ; la seconde est de réussir la mutation d’un enseignement dit « de mémoire » en un enseignement d’idées. C’est pourquoi dans la plupart des réflexions sur les procédés de l’enseignement, le rôle de la mémorisation est explicitement évoqué. G. Lefebvre, qui en réaffirme l’importance, appelle les professeurs à un examen de conscience59. L’enjeu, bien plus que pédagogique ou matériel, est éducatif. Un enseignement qui ne s’adresse qu’à la mémoire fait de l’histoire un « champ de batailles couvert de morts » quand l’histoire doit être « cette large connaissance des éveils de l’intelligence humaine60 ». Aussi la méthodologie de la classe d’histoire tient-elle dans ces conseils de P. Leuilliot : « En somme, ne jamais proposer de vérités toutes faites, recourir aux textes, aux documents, surtout figurés ; éveiller le sens critique ; ne pas s’en tenir à d’artificielles reconstitutions mais utiliser des estampes et des images contemporaines des événements ; ne point s’attacher à des systématisations arbitraires, mais retracer des évolutions nuancées parfois et parfois saccadées61 ». Il est, en conséquence, logique qu’au sein des procédés de l’enseignement historique dont la diversité lui paraît devoir être sauvegardée, les exercices pratiques figurent en bonne place. Ce faisant, P. Leuilliot, auquel L. Febvre délègue sa parole en matière d’expériences pédagogiques, ne développe pas un point de vue personnel mais reprend les lignes essentielles qui figuraient déjà le programme de la rénovation dans l’entreprise collective de l’Encyclopédie française.
48Pour les historiens, le rôle accordé aux documents relève de la conception même de l’histoire. À partir du moment où l’élève doit chercher à comprendre autant qu’à savoir, c’est une attitude qu’on attend de lui. Dans cette optique, l’enseignement appuyé sur des supports concrets, en facilitant l’évocation du passé et en montrant que les documents, quelles que soient leurs formes, expriment un moment de l’histoire humaine, paraît apte à mobiliser la curiosité et la sensibilité spontanée au monde extérieur propres aux enfants de onze à quinze ans. Centrée sur les formes matérielles de la civilisation, les plus proches des centres d’intérêt de l’élève et les plus adaptées à solliciter son observation, cette méthode a été expérimentée par R. Cousinet62 qui sélectionnait en fonction des possibilités d’activité libre qu’ils offraient aux enfants les objets à partir desquels ils prenaient conscience de l’action exercée par le temps. Cette pédagogie trouve également pour champ d’élection l’étude du milieu qu’A. Weiler, s’appuyant sur la connaissance psychologique de l’enfant, organise dans les classes nouvelles et l’histoire locale. Établissant en effet une proximité spatiale et affective entre les acteurs ou les objets de l’histoire et l’élève qui compense partiellement l’éloignement temporel, l’histoire locale ou régionale semble favoriser mieux qu’une histoire nationale, « endimanchée63 » et parisienne, l’appréhension des spécificités du passé, par le contact direct avec les traces qu’il a laissées. L’inspecteur de l’enseignement primaire, Paul Maréchal, posant la première pierre d’une histoire vivante dans un manuel d’histoire locale, Brie et Gâtinais destiné aux écoliers de la Seine-et-Marne64 va ainsi insuffler pendant plus d’une décennie une pédagogie de l’histoire créative, doublement en prise sur les sources et la motivation de l’élève. « L’enfant reçoit de son milieu une initiation historique comme il reçoit une initiation scientifique ou géographique… Le milieu réactif permanent sur lequel l’enfant exerce ses forces devient l’histoire vivante lorsque certains de ses aspects évoquent le passé, soit directement, soit par un artifice de l’éducateur et cette histoire s’enseigne par les méthodes d’Éducation nouvelle65 », écrit-il, recommandant de recourir à la pédagogie de la découverte, à la « fiche d’enquête » et à la coopération des élèves entre eux, pour favoriser l’élaboration de la pensée par sa formalisation. Prenant en compte le fait que l’histoire n’est qu’une connaissance indiciaire et donc que le contact avec les vestiges d’autrefois ne rend pas le passé directement observable, P. Maréchal cherche les opérations intellectuelles qui doivent compléter le premier niveau d’appréhension du passé donnée par les traces qui le matérialisent, pour que l’élève accède à une connaissance abstraite de plus en plus riche et nuancée. C’est l’ensemble de la démarche qui fait alors de l’étude de l’histoire locale une réponse didactique aux difficultés qu’a l’élève à se représenter le temps historique, la représentation se construisant progressivement par le développement de la connaissance. Dès lors, le sens du passé n’est pas préalable à la connaissance historique mais se forge grâce à elle en utilisant les découvertes de l’élève.
49Cette recherche, étendue à l’histoire nationale dans un ouvrage en deux tomes intitulé Initiation à l’histoire par le document66 marque une étape importante. Elle intervient en effet dans un contexte où les critiques contre l’enseignement de l’histoire n’ont pas désarmé – P. Maréchal dans sa préface y fait allusion –. Qui plus est, la théorie des stades du développement intellectuel peut être utilisée pour les renforcer. L’idée que la perception du temps, le jeu des interactions et la complexité du monde, ne sont guère assimilables par les élèves, avant au mieux la classe de quatrième, prête facilement à conclure, si l’on en fait une interprétation étroite, que ce n’est pas la peine d’apprendre l’histoire aux enfants puisque, traitant de ce qui a disparu et maniant une chronologie qui ne leur évoque rien, l’histoire leur est en grande partie inaccessible. Or tout le travail élaboré par P. Maréchal consiste à reconstituer, à partir d’un registre de documents extrêmement diversifié, puisque l’image filmique ou le document sonore y figurent, la démarche qui, du maniement des matériaux à l’aide desquels s’écrit l’histoire, conduit à une représentation du passé et à une compréhension des faits historiques. Cette perspective est alors entièrement nouvelle dans la pédagogie de la discipline, le document ayant toujours été par les instructions officielles confiné dans un rôle d’auxiliaire.
50Elle s’inscrit cependant dans les grandes orientations que la direction de l’Enseignement du second degré adopte en vue de la rénovation des études. En effet, sans atteindre les dimensions projetées par le plan Langevin-Wallon, l’action pédagogique, soutenue par des membres influents de l’administration de l’Éducation nationale (Cros, Cousinet, Gal, Maréchal, Monod, Wallon…) qui gravitent autour du Groupe français d’Education nouvelle, prône de mettre « cette donnée psychologique qu’est l’enfant67 » au centre de l’enseignement et de développer sa personnalité. Le moyen est celui de la méthode que C. Brunold, succédant à G. Monod en 1951, nomme la « méthode historique » mais qu’il présente comme une attitude intellectuelle extensible à toutes les disciplines : « Défiance systématique à l’égard de tout parti pris intellectuel, connaissance minutieuse préalable du milieu sur lequel on veut agir, apprentissage de la découverte par une méthode qui, tournant délibérément le dos au dogmatisme, se réclame de l’histoire, insertion dans la chaîne de l’événement, stricte adaptation aux données de chaque situation de la solution de pensée ou d’action qu’elle appelle68 ». C’est-à-dire que l’élève cherche par lui-même les solutions ajustées au problème particulier qu’il a circonscrit. L’enseignant doit lui proposer des situations nouvelles, intégrant des éléments de plus en plus complexes et sollicitant les opérations mentales d’assimilation et d’accommodation par lesquelles, selon J. Piaget, se forge l’intelligence, définie comme « l’organisation du réel, en acte ou en pensée69 ».
51Ainsi, se trouve promue par l’Éducation nationale, une méthode qui, compte tenu des contraintes institutionnelles et matérielles, se présente comme le substitut de la méthode historique, le style d’enquête ou de redécouverte70 ». Empruntant sa doctrine à la théorie constructiviste de l’apprentissage selon laquelle l’élève est acteur de son propre savoir, la méthode de la « redécouverte » définit la pédagogie active telle que la prône l’institution et suppose, – C. Brunold emploie l’expression – que l’élève « joue complètement le jeu71 ».
52Pour l’y amener, le ministère recommande l’emploi de la méthode inductive, quelle que soit d’ailleurs la spécificité de la démarche intellectuelle propre à chaque champ disciplinaire. Appliquée à l’histoire, la méthode inductive connaît dans le travail sur documents, réels ou figurés, son accomplissement. En effet, tout document est une trace particulière du passé que l’élève découvre et commence par explorer. Cette phase est celle du « choc affectif du document », selon l’expression de Martial Chaulanges qui voit dans l’usage des textes historiques le fondement d’une histoire vivante. L’élève l’analyse, confronte les données à ses connaissances et les organise en vue d’aboutir à une généralisation et des conclusions. Par exemple, l’étude d’une lettre de Fulbert de Chartres au Duc d’Aquitaine Guillem en l’an 1020 va être le moyen de construire les notions de vassal et de suzerain, ou un travail sur les arènes de Nîmes va aboutir à dégager certains traits de la romanisation en Gaule72.
53Si la filiation avec la méthode expérimentale largement prônée par les réformateurs laïques au début du siècle comme alternative à l’enseignement dogmatique est évidente, on assiste cependant à un changement d’échelle. La pédagogie active sort de son territoire et les conditions de son extension à l’enseignement secondaire et aux disciplines où elle paraissait difficile à appliquer73 font l’objet de recherches expérimentales. R. Gal, responsable du Groupe français d’Éducation nouvelle, conseiller technique au ministère de l’Éducation nationale après la Libération, y joue un rôle essentiel, en impulsant au Service de la recherche pédagogique du CNDP qu’il dirige, une enquête sur l’emploi des méthodes actives en histoire conduite pendant deux ans sur plusieurs dizaines de classes du primaire et du secondaire, dont le compte rendu est publié en novembre 1954 dans le Courrier de la recherche pédagogique74. Parallèlement, les Cahiers pédagogiques, fondés à Sèvres en 1946 par l’Association nationale des éducateurs des classes nouvelles, se font la tribune des réalisations menées sur le terrain. Classe par classe, les procédés employés et les difficultés rencontrées font l’objet de diagnostics synthétisés dans un rapport général publié en novembre 1952 sur « l’enseignement de l’histoire et de la géographie75 ».
54Quand on croise ces deux bilans, l’un résultat d’une procédure scientifique, l’autre plus impressionniste, il s’en dégage la conclusion que les méthodes inductives gagnent à être introduites pour forger les notions concrètes, à condition que les documents soient accessibles aux élèves et correspondent à leurs centres d’intérêt. Les Cahiers pédagogiques relèvent que l’emploi des documents semble donner de meilleurs résultats en sixième et cinquième mais que « dès qu’on aborde des idées, dès qu’il s’agit de textes, de témoignages, dès qu’une réflexion critique devient nécessaire, le maniement du document se révèle délicat76 ». Le langage, en effet, fait écran. Dans l’exploration, l’élève sait difficilement dépasser le stade descriptif et, lorsqu’il s’agit de passer à l’élaboration des idées ou de décrypter celles-ci, l’activité nécessite de nouveau l’étroit encadrement et le guidage du professeur. Le choix des documents et des sujets qu’ils permettent de traiter est donc une opération essentielle de la préparation de la séquence. Mais, dans la réalité, la pénurie des moyens de travail et des ressources disponibles va nuire à l’initiative et devenir, comme nous le verrons plus loin, un obstacle essentiel à l’application des circulaires ministérielles.
55La seconde observation porte sur la question du temps. La pédagogie de la découverte, sur le plan pratique, s’accommode mal de programmes lourds et d’horaires segmentés. Elle suppose au moins l’institution de travaux dirigés ou pratiques et requiert surtout une grande souplesse d’organisation.
56Ceci revient à considérer que la systématisation de la pédagogie nouvelle est subordonnée à son intégration dans un plan éducatif repensé. Sinon, elle bute inexorablement sur les contraintes intrinsèques au fonctionnement habituel de l’école. Les attitudes intellectuelles à l’œuvre dans la méthode de la redécouverte doivent disposer à l’autonomie, à la capacité de choisir à l’intérieur des possibilités qu’offre l’histoire ou « l’insertion dans la chaîne de l’événement77 ». Mais, réduite au fait de présenter des documents et de poser des questions dans le cadre inchangé de la classe, ce que R. Gal appelle « la mécanisation de l’éducation78 », lorsqu’il dresse en 1954 le premier bilan de sa recherche, la pédagogie de la redécouverte est vidée de son sens.
57Le rôle des documents dans le développement des facultés mentales et l’acquisition des connaissances, l’apport de l’enseignement de l’histoire à la formation de l’esprit logique et du jugement critique, nourrissent dans les années de l’après-guerre réflexions et initiatives, la plupart du temps dispersées, dans lesquelles se projette une philosophie de l’éducation optimiste, centrée sur l’élève et les besoins des générations de demain. Ainsi le renouvellement des méthodes prolonge-t-il celui des contenus. Enseigner une autre histoire ou l’enseigner autrement, dans les deux cas, il s’agit de répondre aux problématiques du temps présent.
58Cherchant à définir une culture moderne qui intègre le meilleur de l’enseignement classique, les militants de l’éducation se trouvent face aux mêmes interrogations que leurs aînés, L. Liard ou E. Lavisse, édifiant les humanités modernes. Mais, cinquante ans après, le défi se situe à l’échelle de la transformation de l’enseignement secondaire en un enseignement démocratique, chargé de « mettre tout enfant français en état d’atteindre la plus haute formation dont il est capable79 ». La création des classes nouvelles en est la première étape.
L’histoire dans les classes nouvelles
59Les classes nouvelles créées après la Libération dans certains collèges et lycées, dont le lycée de Montgeron, annexé au lycée parisien Henri IV et dirigé par A. Weiler, incarnent le dynamisme pédagogique de l’après-guerre ; l’expérience qui devait, à partir d’elles, essaimer a marqué la première forme de concrétisation des principes directeurs du plan Langevin-Wallon. La création des classes « nouvelles », qui se déroule progressivement, de la rentrée 1945 pour deux cents sixièmes à la rentrée 1948 pour les troisièmes80, fait ainsi suite à l’organisation des sixièmes d’orientation réalisée par le ministre J. Zay, l’équipe fondatrice, constituée notamment d’A. Weiler et R. Gal81, en assurant la continuation autour de G. Monod au-delà des drames de la guerre. Mais l’expression « classes nouvelles » est symbolique et souligne que la rénovation ne se limite pas à la question de l’orientation. L’objectif est, en effet, de centrer l’enseignement sur l’élève afin que ses aptitudes trouvent les conditions optimales pour s’exercer. La base du dispositif est alors essentiellement psychologique puisque l’expérience se réclame du souci d’adapter dans tout le premier cycle les méthodes éducatives à la personnalité de l’enfant, dans un souci de plus grande individualisation de la pédagogie. C’est pourquoi les effectifs sont portés à vingt-cinq élèves. En outre, les interactions hors et à l’intérieur du groupe-classe sont une composante intégrée à l’éducation. Dans cette perspective, l’étude du milieu est inscrite à l’emploi du temps à raison de deux heures. La classe, quant à elle, fonctionne comme une petite démocratie, où chaque élève exerce une responsabilité, et la collaboration entre les professeurs et le rapprochement de ceux-ci avec les parents par le biais des conseils de classe sont appréhendés comme des moyens privilégiés de provoquer une attitude de confiance en l’école. La notion d’équipe éducative prend forme sous la plume de G. Monod ; elle mettra beaucoup de temps à dépasser le stade des circulaires82.
60Pour faire des classes nouvelles le fer de lance de la pédagogie active, et notamment de la méthode de la redécouverte et de l’interdisciplinarité, le ministère de l’Éducation nationale organise, avec la collaboration des Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, des stages de formation du personnel enseignant au CIEP de Sèvres. Le premier a lieu du 17 au 27 septembre 1945 et regroupe un professeur par classe nouvelle, le « chef d’équipe », celui qui coordonne l’action. Puis, par roulements, les stages réunissent les professeurs d’une même discipline qui se sont portés volontaires pour enseigner dans les classes nouvelles. Enfin, des études thématiques, comme celles consacrées en juin 1950 au travail dirigé, font l’objet de séminaires. Les stages propres aux conseillers pédagogiques, c’est-à-dire les professeurs qui acceptaient de servir de relais entre l’institution et leurs collègues, et les rassemblements régionaux, concourent également à la circulation de l’information.
61Dans l’expérience des classes nouvelles qui constitue, pour leurs fondateurs, un tout, il est difficile d’isoler une discipline pour en faire une étude particulière puisque la pédagogie de celle-ci atteignait son sens et sa valeur dans son appartenance à l’ensemble. D’autre part, si on cherche à savoir ce qu’a été l’enseignement de l’histoire dans les classes nouvelles à partir des interventions des inspecteurs généraux lors des stages de Sèvres, on n’y décèle aucun caractère spécifique. Les conférences d’information de Gadrat et de Crouzet, en septembre 194583, quand l’enthousiasme des stagiaires est encore intact, sont plus un relevé de leurs propres craintes qu’un encouragement à la révolution. Gadrat, dans une très courte allocution, en appelle au « zèle » des enseignants, à leur « loyauté », ce qui signifie que lorsque la matière histoire est inscrite à l’emploi du temps, les professeurs doivent faire de l’histoire (sic) et ce, à raison d’une heure et demie par semaine. Crouzet, qui intervient juste après Gadrat, tient un discours ferme, voire cassant. Il répète : « Vous ne devez pas perdre de vue que vous avez un programme à enseigner dont aucune partie ne doit être sacrifiée et que les quatre-vingt-dix minutes hebdomadaires doivent être consacrées, conformément à ce programme, à l’enseignement exclusif de l’histoire84 ». Sans doute pour comprendre cette insistance, les préventions de l’inspection contre la pluridisciplinarité et la dilution de la matière historique qui peut en découler ne sont-elles pas suffisantes. Crouzet s’adresse – et il le souligne à deux reprises – à un public de professeurs où beaucoup ne sont pas spécialistes de la discipline qu’ils enseignent, puisque en octobre 1945, des
instituteurs avaient pu être nommés dans les classes nouvelles85. Aussi, craignant manifestement un enseignement « au rabais », il propose aux stagiaires un découpage strict du programme, très proche de celui qui était pratiqué depuis 1937-38.
62Le rapport de la commission ayant étudié l’impact des méthodes actives sur l’acquisition des connaissances historiques permet de mieux connaître comment le programme traditionnel a été mis en œuvre. Dès le préambule, la distance est prise avec l’injonction de l’Inspection d’achever le programme. En effet, l’état des connaissances instrumentales d’un élève de sixième (vocabulaire, temps) a conduit les professeurs des classes nouvelles à organiser leurs cours de façon à provoquer « un éveil des aptitudes à la pensée historique86 ». Les enseignants affirment avoir jugé essentiel de faire percevoir l’évolution, de provoquer la curiosité et le désir de connaître, et d’initier par la comparaison des principales civilisations antiques à la résurrection du passé. Ainsi, bien qu’il n’y ait pas eu de modification notable du programme, certaines questions considérées comme secondaires ou trop difficiles – le rapport cite l’étude des institutions politiques de la Grèce antique – ont été résumées brièvement et l’accent a été mis sur l’acquisition des connaissances qui, « parce qu’elles entrent dans la pensée spontanée de l’enfant », se fixent plus longuement. Au bout de deux trimestres, les conclusions, indique la commission, sont optimistes. Si les procédés traditionnels du cours n’ont pas été bannis, comme l’utilisation du manuel, la trace écrite ou même l’interrogation, les frises chronologiques, les jeux de rôles et le roman historique87 sont entrés en scène et devenus des outils d’appropriation du passé ; l’élève ayant manipulé les données paraît « garder plus de souvenirs qu’après l’audition d’un cours88 ». Dans cette optique, la coordination est étroite avec le dessin et les travaux manuels éducatifs afin, en soutenant et prolongeant l’effort dans une activité créatrice, de fixer les connaissances. Par exemple, une étude sur les Normands menée durant trois semaines débouche sur la constitution de dessins et cartes exposés sur des tableaux muraux dont les élèves organisent la disposition89. Le professeur de dessin a fait étudier plus particulièrement les costumes, les bateaux, les boucliers…
63L’histoire ainsi pratiquée semble réaliser la synthèse des besoins de l’élève et des démarches spécifiques de la discipline. En mettant les premiers en relation avec les secondes, il est possible de détecter les obstacles à la compréhension historique et, y ayant remédié, de la faire progresser. Cependant la démarche inductive n’est pas celle de l’historien de métier et le recours à la fiction comme procédé d’élaboration de la connaissance historique n’est pas sans poser de graves problèmes épistémologiques, si aucune opération ne donne en dernier ressort à l’élève le moyen de concevoir que histoire et fiction ne sont pas réductibles l’une à l’autre. L’avertissement de Gadrat de ne faire que de l’histoire en cours d’histoire était promis à un bel avenir. L’expérience des classes nouvelles a en effet révélé combien était difficile à tenir l’équilibre entre l’imagination pédagogique et la rigueur méthodologique, d’autant plus que celle-ci, faute de matériel documentaire, ne trouvait pas toujours un terrain où s’exercer. En ce sens, les classes implantées dans des établissements parisiens, les plus nombreuses du dispositif, ont été privilégiées. Les professeurs ont pu mettre à profit la souplesse institutionnelle pour organiser des sorties dans Paris et conduire des visites de musées, comme le relate, dans l’Information historique, un professeur de sixième qui a toute l’année alterné des activités diversifiées, allant du contact direct avec les documents à des études plus livresques90. Mais, la plupart du temps, les réalisations ne pouvaient être aussi ambitieuses et les enseignants ont « bricolé » avec les moyens du bord. Entre autres exploits, la confection du camp romain en carton marque cette époque héroïque91, comme nous l’a rappelé un professeur.
64En outre, structuré autour de la curiosité et des initiatives de l’enfant, subrepticement, l’enseignement de l’histoire s’est orienté de plus en plus vers un traitement thématique des programmes où toutes les questions étaient inégalement étudiées. Il en résultait des lacunes importantes, par exemple, dans les apprentissages chronologiques92. Or, en l’absence de réforme du second cycle, sous l’angle purement scolaire, cet enseignement, nous a dit le professeur évoqué ci-dessus qui s’était engagé dans l’expérience par motivation, conduisait les élèves à une impasse à partir de la seconde. Les habitudes intellectuelles qu’ils avaient contractées dans le premier cycle n’étaient plus de mise dans le second93. Les classes nouvelles, au nombre de 750 dispersées dans 200 établissements en 1950 sont donc restées en quelque sorte les îlots d’une pédagogie nouvelle incompatible avec les programmes et les examens, comme l’ont toujours déploré leurs défenseurs94. Mais elles demandaient surtout un effort financier d’autant plus considérable que la pédagogie à l’œuvre exigeait des effectifs réduits au moment où le nombre d’élèves du premier cycle secondaire passait de 583 000 en 1948-49 à 674 000 en 1953-5495. Or, pour les gouvernements de la troisième force, la politique d’éducation n’avait plus priorité sur les autres exigences budgétaires parce que fondamentalement, les options sociales n’étaient plus les mêmes. La première des circulaires de C. Brunold, directeur général de l’enseignement du second degré, est sans équivoque ; le but de l’enseignement secondaire est de faire appel à des élites nouvelles, d’origine populaire. Il n’est plus de donner à tous les jeunes le plus haut niveau de formation générale.
65Il en a résulté que, parmi les pionniers des classes nouvelles, le « souffle de la Libération » est retombé. Selon notre interlocuteur, les espoirs se sont dissipés en 1950-51, puis à partir de 1952-53, le temps des désillusions advient. En effet, en 1951, le débat sur la laïcité rebondit avec le vote des lois Marie et Barangé et occulte les autres problèmes éducatifs. G. Monod quitte la direction de l’enseignement du second degré. Son successeur, C. Brunold, rend hommage à la réussite des classes nouvelles mais, sous couvert d’une extension de la rénovation pédagogique dans des conditions plus égalitaires pour tous les établissements, décide de distribuer les moyens dont bénéficiaient les classes nouvelles sur l’ensemble des sixièmes et cinquièmes des lycées et collèges96. Cette disposition, dictée par l’absence de ressources financières supplémentaires, conduit à une dilution de la réforme, réduite sur le plan pédagogique au triptyque étude du milieu-travail dirigé et travaux manuels, amputés d’une part de leurs horaires. Certes, des heures sont spécialement dégagées pour « donner une base documentaire » importante au travail personnel des élèves et organiser des exercices d’observation et des enquêtes, mais le fait que C. Brunold prenne le soin d’ajouter : « Il n’en résultera pas pour cela une disparition totale du dispositif actuel des classes nouvelles », alors qu’il précise les mesures administratives à prendre pour le personnel qui cessera d’y enseigner, est un aveu d’abandon. La création des classes et d’établissements pilotes, attachés à des Centres pédagogiques régionaux, ne les remplace pas. Cette mesure, au contraire, disperse et isole la recherche puisqu’en 1958, 56 établissements, surtout concentrés dans les académies de Paris et Marseille, sont concernés au lieu de plus de 200 en 1952, la coupant de plus en plus du milieu scolaire et du vécu de la majorité des enseignants et des élèves.
66Pourtant, les sept ans de fonctionnement des classes nouvelles auraient pu marquer un palier dans l’historique de la pédagogie de la discipline. Pour la première fois dans l’institution, la totalité du programme avait été pensée à partir des formes actives de l’apprentissage, associant des méthodes individualisées et le travail d’équipe. Expositions, affiches, dossiers, exposés engageaient l’élève dans son travail. Il n’est qu’à lire les comptes rendus que, fidèle à ses intentions97, l’Information historique a reproduits. La prose marque toute la distance parcourue par rapport aux traditionnelles instructions officielles. Le professeur organise, désigne, insiste, mais les élèves manipulent cartes et gravures, notent, rédigent, reconnaissent, regardent, dessinent, etc., et ont même l’air heureux98. C’est-à-dire que l’expérience, quels que soient les problèmes qu’elle soulève, apporte la preuve qu’une autre pédagogie que la leçon magistrale est possible. En outre, plus proche des élèves, elle permet de détecter leurs difficultés et de cerner les obstacles sur lesquels achoppe l’enseignement de l’histoire, obstacles qui ne sont pas liés seulement à la nature abstraite de la connaissance historique mais au vécu et aux représentations des élèves99. Les germes d’une réflexion didactique de plus en plus approfondie lèvent. Même si la réforme n’est pas étendue au second cycle, le questionnement s’y propage. La notion de centre d’intérêt, de problème historique, est au cœur des suggestions de Madeleine Rebérioux, professeur à Montgeron, relatives à l’interprétation des programmes et aux exercices d’analyse critique100. Sous sa plume, resurgit le terme d’« échantillonnage ».
67Enfin, l’expérience des classes nouvelles sert de référent pour apprécier ce que la psychologie, dont une partie des travaux est alors méconnue, peut apporter à l’action didactique. Mais la percée de la pensée psychopédagogique se manifeste surtout au niveau des instances dirigeantes de l’Éducation, lors de la discussion des projets éducatifs, sans pénétrer, en dehors des mouvements pédagogiques, le milieu des praticiens. L’impact des pratiques des classes nouvelles s’exerce de façon très différentielle ; par rapport à leur représentation dans le corps enseignant, les agrégés ne constituent qu’une faible proportion des équipes, 18 % en 1945, et cette situation contribue à entretenir la distinction de deux types d’enseignement, l’un axé sur les méthodes, l’autre sur les contenus.
68Sans doute, liée à une période d’éphémère unité, l’histoire des classes nouvelles a-t-elle pris une dimension mythique et s’inscrit-elle dans la mémoire de la gauche comme une entreprise unique. Les dates auxquelles elle a été revisitée sont éloquentes : 1954, sous le gouvernement Mendès-France101, 1968102, à chaque fois quand la flamme d’une réforme intégrale de l’éducation se ranime. Car le mouvement pédagogique des classes nouvelles a réellement focalisé les espoirs et les aspirations de ceux qui y ont participé – rappelons-le sur la base du volontariat –, hommes et femmes qui, plus âgés, ont cru voir se réaliser la réforme qu’ils préparaient depuis vingt ans – ou, plus jeunes, entraient dans la carrière, pleins d’optimisme. Ce fut « un point de départ lumineux103 », écrit G. Monod, tandis que les participants des stages de Sèvres en évoquent le climat enthousiaste104. D’autre part, l’esprit humaniste et laïque de la réforme et ses valeurs, la liberté et le respect de l’individu, rassemblaient une société meurtrie par la guerre qui cherchait à éviter à sa jeunesse les événements qu’elle avait connus. Très vite, cependant, le caractère crypto-communiste attribué à l’entreprise va ébranler l’unanimité.
69Le brusque coup d’arrêt de l’expérience en a gommé les tâtonnements, voire l’enlisement. Pour ses acteurs, les voies de l’évolution du système éducatif étaient tracées. L’histoire des Cahiers pédagogiques qui, depuis 1946, portent le flambeau d’une pédagogie faite par des éducateurs pour des élèves, mise en regard de l’instruction de 1945 où G. Monod écrivait : « Nous introduisons cette sixième nouvelle dans notre vieux jardin universitaire comme une jeune plante vivace qui gagnera progressivement, nous en sommes sûrs, tous les parterres105 » résume les innombrables troubles de croissance qu’elle a connus depuis un demi-siècle.
70« C’est d’hommes avant tout que nous manquons aujourd’hui. D’hommes et non de Larousses ambulants106 ! ». Cette remarque de P. Leuilliot, écho de l’exhortation de L. Febvre aux professeurs : « Voulez-vous penser que vous devez commencer à former en 1947 des hommes qui puissent être efficaces en 1969107 ? » résume la philosophie qui inspire les projets de réforme éducative aux lendemains de la seconde guerre mondiale. La formation de l’homme dont a besoin la société de demain est complémentaire de la prise en compte de l’individualité de l’enfant et lui donne son aboutissement. La circulaire de C. Brunold, en mai 1952, le rappelle en indiquant qu’en matière d’éducation, « le point d’arrivée est aussi essentiel à définir que le point de départ108 ». Marqués par la guerre, voire les guerres, -c’est notamment le cas de la grande majorité des cadres de l’administration centrale de l’Éducation nationale en 1945 –, projetés dans un monde inconnu qui se transforme sous leurs yeux dans un sens qu’ils n’avaient pas toujours prévu, les hommes de 1945 sont hantés par la définition d’un « humanisme moderne », parce que celui dont ils se sont nourris a en partie fait faillite. Ainsi s’agit-il de reconsidérer une question à laquelle les réformateurs de 1900 avaient apporté des réponses dépassées mentalement et politiquement : quelle culture la société doit-elle transmettre à sa jeunesse ?
71Mais le constat du drame de civilisation ne sonne en rien la fin de l’histoire, du moins de celle que L. Febvre nomme, en évoquant M. Bloch, « une condition permanente d’atmosphère ». Celle-là est une attitude au monde et c’est la raison pour laquelle la direction de l’enseignement du second degré prône la méthode historique comme la plus adaptée à la formation de l’homme dans le second xxe siècle. « Faire de l’histoire, oui. Dans toute la mesure où l’histoire est capable, et seule capable, de nous permettre dans un monde en état d’instabilité définitive, de vivre avec d’autres réflexes que ceux de la peur, des descentes éperdues dans les caves109… ». Dans cette phrase qui rend la résonance émotionnelle particulière au manifeste des Annales ESC, la finalité de l’histoire – et donc de l’enseignement historique – est entièrement contenue, en communion de pensée avec ceux qui préparent l’avenir de l’éducation, comme le marque le fait que L. Febvre étaye son propre propos en citant G. Monod.
72Vivre avec d’autres réflexes que la peur en 1946 conduit à prôner l’enseignement des civilisations à quelque échelle que ce soit, pour donner aux élèves les moyens d’aller « face au vent ». Sur le plan des méthodes, le document, divers dans sa nature et par le champ de l’histoire auquel il appartient, présente pour les autorités pédagogiques l’intérêt d’introduire l’histoire nouvelle dans les programmes scolaires en même temps que des pratiques en adéquation avec les grandes orientations du système éducatif. Ainsi l’équilibre didactique, menacé par le recul de l’hégémonie de l’école méthodique et l’évolution des fonctions de l’enseignement secondaire, pourrait-il se recomposer. C’est dans cette direction que les expériences sont conduites ou encouragées dans les années d’après-guerre, avec l’objectif de poser les jalons des nouveaux contenus de l’enseignement historique en attendant que soit votée la réforme plus globale des études secondaires. Mais dès 1947, se focalisent sur celle-ci les aspirations les plus contradictoires qui en retardent la réalisation. Évoquant les Notes pour une révolution de l’enseignement de M. Bloch qu’il avait remises à P. Langevin pour inspirer la réforme, L. Febvre écrit, dans l’édition du texte de 1952 : « Nous l’attendons toujours110 ». Mais si l’attente était longue pour l’homme qui, refusant de patienter, appelait en 1947 à abandonner au plus vite les « rêves de chat » et la tranquillité ronronnante, pour tous ceux en qui l’épreuve avait grandi l’espérance, l’enseignement de demain ne pouvait pas ne pas être différent de celui d’hier.
Notes de bas de page
1 BOEN, 1944, 5 oct., n° 1, p. 1.
2 Bloch (M.), L’étrange défaite, Paris, Albin Michel, 1957.
3 Bloch (M.), op. cit.
4 Bloch (M.), Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, A. Colin, 1949.
5 Valéry (P.), « De l’histoire », (1931), Œuvres, t. II, Paris, la Pléiade, 1960.
6 Febvre (L.), in Cousinet (R.), Leçons de pédagogie, Paris, PUF, 1950. Après un exposé général de Cousinet sur la pédagogie nouvelle, les expériences déjà réalisées et les pistes à explorer sont développées par C. Brunold, L. Febvre, l’inspecteur L. François, P. Leuilliot, R. Gal, personnalités que nous allons retrouver plus loin engagées à divers titres dans la réforme éducative.
7 Cf. note 1e partie, Chap. I, p. 77.
8 Bloch (M.), « Sur les programmes d’histoire dans l’enseignement secondaire », BSPHG, nov. 1921, p. 15-17.
9 Lefebvre (G.), « Réflexions sur l’enseignement de l’histoire », L’Éducation Nationale, n° 41, 3 oct. 1946, p. 1-4.
10 Morazé (C.), « Culture et humanisme. Les leçons de l’histoire », Cahiers pédagogiques nos 3-4, 1/1/1950, p. 19-22.
11 Schnerb (R.), « Programmes d’histoire et de géographie. Esquisse d’un plan de réforme pour les classes du second degré », BSPHG, n° 111, juin 1947, p. 159-162. Alors que G. Lefebvre, né en 1874, appartient à la génération de L. Febvre, Leuilliot est né en 1897, Morazé en 1913, Schnerb en 1900 et Braudel en 1902.
12 Bloch (M.), L’étrange défaite, suivie des Écrits clandestins (1943-1944), Paris, A.Michel, éd. 1957.
13 Febvre (L.), « Une réforme de l’enseignement historique », L’Éducation nationale, 25/9/1947, p. 1-3 et 34-36.
14 Ibidem, p. 36.
15 Ibid., p. 35.
16 Ibid., p. 34.
17 Ibid., p. 35.
18 Febvre (L.), « La civilisation quotidienne et l’histoire », Cahiers pédagogiques, n° 3, 15/11/1954, p. 161-166.
19 Morazé (C.), « La crise de l’éducation française », Annales d’histoire sociale, 1945, n° 2, p. 120.
20 Dupront (A.), « Histoire et Paix », Revue historique, t. 105, 1951, 1, p. 29-66.
21 Febvre (L.), « Une réforme de l’enseignement historique », op. cit.
22 Compte rendu des journées d’étude pour l’enseignement de l’histoire, Revue Universitaire, 56e A, juillet-octobre 1947, p. 193-206.
23 On notera « Trois essais sur Histoire et Culture », Morazé (C.), A. Colin, 1948 ; « Valeur de l’histoire », Hours (J.), PUF, 1954 et « De la connaissance historique », Marrou (H.I.), Le Seuil, 1954.
24 Febvre (L.), « Une réforme de l’enseignement historique », p. 35, op. cit. Le texte original, publié dans l’Éducation nationale, porte mention de la date 1969. Nous pensons toutefois qu’il s’agit d’une erreur de typographie, L. Febvre ajoutant : « Mais 1947-1960… ». Cet extrait est reproduit dans l’annexe 3 (texte 5).
25 Febvre (L.), « Face au vent, manifeste des Annales nouvelles », Annales ESC, 1, 1946. Repris dans Combats pour l’histoire, Paris, A. Colin, 1953, p. 34-43.
26 Dupront (A.), « Histoire et paix », op. cit.
27 Febvre (L.), « Une réforme de l’enseignement historique », op. cit., p. 36.
28 D’Hoop (J.-M.), Morey (M.), « Les journées d’études et d’information historique du CIEP, Sèvres, 27-28 décembre 1950 », BSPHG, n° 125, janv. 1951, p. 119-126.
29 Febvre (L.), « L’histoire, c’est la paix », Annales ESC, t. 11, 1956, n° 1, p. 51-53.
30 Dupront (A.), « Histoire et paix », op. cit.
31 Dilthey (W.), L’édification du monde historique dans les sciences de l’esprit, Paris, éd. du Cerf, 1988. Cité in Prost (A.), Douze leçons sur l’histoire, Paris, Le Seuil, 1996.
32 Bloch (M.), Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, A. Colin, 1949.
33 Leuilliot (P.), in Cousinet (R.), Leçons de pédagogie, Paris, PUF, 1950.
34 Ce projet est évoqué par L. Febvre dans la conférence « Une réforme de l’enseignement historique », op. cit.
35 Commission nationale française pour l’éducation, la science et la culture. Recommandations pour l’enseignement de l’histoire, Brochure n° 78, CNDP, 1952.
36 Monod (G.), « La réforme de l’enseignement du second degré », L’Éducation nationale, n° 49, 28/11/1946, p. 4-7.
37 Mayeur (F.), L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977
38 Braudel (F.), Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969.
39 Monod (G.), « La réforme de l’enseignement du second degré », op. cit.
40 Deschamps (H.), « Comment incorporer l’histoire de l’Union française aux programmes d’histoire dans l’enseignement du second degré », Information historique, 1953, p. 200-202.
41 Leuilliot (P.), in Cousinet (R.), Leçons de pédagogie, Paris, PUF, 1950.
42 Dupront (A.), « Histoire et Paix », op. cit.
43 Braudel (F.), Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969.
44 Ibid.
45 Decaunes, Cavalier, Réformes et projets de réforme de l’enseignement français de la Révolution à nos jours, Annexe IV, Paris, IPN, 1962, p. 259-273.
46 Langevin et Febvre dirigeaient également conjointement avec H. Berr et A. Rey la Revue de synthèse depuis 1931.
47 Decaunes, Cavalier, Réformes et projets de réforme de l’enseignement français de la Révolution à nos jours, Annexe VI, projet de réforme Langevin, Paris, IPN, 1962, p. 275.
48 BSPHG, juin 1945, Circulaire n° 3.
49 Decaunes, Cavalier, op. cit., Le plan Langevin-Wallon, p. 279-282.
50 « Méthodes et solutions pratiques, H. Wallon et la psychologie appliquée », AHES, III, 1931, Repris dans Febvre (L.), Combats pour l’histoire, Paris, A. Colin, 1953, p. 201-220.
51 Febvre (L.), « Comment reconstituer la vie affective d’autrefois », AHES, III, 1941, Repris dans Combats pour l’histoire, p. 221-238.
52 Wallon (H.), « Leçon d’ouverture au Collège de France », Enfance, 1959, n° 3-4, p. 196 sq. Cité dans Henri Wallon, n° spécial, Les Sciences de l’Éducation, Pour l’Ère nouvelle, avril 1979.
53 Piaget (J.), Psychologie et pédagogie, Paris, éd. Denoël, 1969.
54 Decaunes, Cavalier, Réformes et projets de réforme…, Annexe VI, op. cit. La prise en charge des services scolaires par les élèves et l’organisation d’activités coopératives faisaient partie des mesures d’application proposées par le projet Langevin-Wallon.
55 Monod (G.), « Les classes nouvelles », Cahiers pédagogiques, n° 78, nov. 1968, p. 7-11
56 L’Éducation nationale devient un organe de libre information indépendant du ministère le 2 mai 1946. Mais la revue continue d’être dirigée par G. Monod et L. Cros qui, en 1946, inspecteur général des services administratifs du ministère de l’Éducation nationale, y est chargé de la rédaction.
57 Monod (G.), « La réforme de l’enseignement du second degré », L’Éducation nationale, n° 49, 28/11/1946, p. 4-7.
58 Isaac (J.), « Correspondance », BSPHG, n° 126, avril 1951, p. 216-219.
59 Lefebvre (G.), « Réflexions sur l’enseignement de l’histoire », op. cit.
60 Morazé (C.), « Culture et humanisme, les leçons de l’histoire », op. cit.
61 Leuilliot (P.), op. cit.
62 Cousinet (R.), L’enseignement de l’histoire et l’Éducation nouvelle, Presses de l’Ile de France, 1950.
63 Chaulanges (M.), Essai sur le rôle et l’emploi des textes dans l’enseignement de l’histoire, Paris, Delagrave, 1961. Ce recueil, introductif de la collection « Pour une histoire vivante », accompagne le cours secondaire d’histoire Chaulanges-D’Hoop.
64 Maréchal (P.), L’histoire vivante, essai de méthode active, Paris, éd. Bourrelier, 1947.
65 Maréchal (P.), « L’éducation nouvelle et l’histoire », Pour l’ère nouvelle, janv.-fév. 1949, p. 33-37.
66 Maréchal (P.), Initiation à l’histoire par le document, Paris, IPN, 1956.
67 Brunold (C.), « Les buts de l’enseignement du second degré », L’Éducation nationale, n° 23, 2 oct. 1952, p. 10-11.
68 Ibid., p. 11.
69 Piaget (J.), Psychologie et pédagogie, Paris, Denoël, 1969.
70 Brunold (C.), « Les méthodes de l’enseignement du second degré », L’Éducation nationale, n° 24, 9 oct. 1952, p. 5-6.
71 Ibid.
72 Maréchal (P.), Initiation à l’histoire par le document, Paris, IPN, 1956.
73 Voir notice « méthode expérimentale ». Nouveau Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, éd. 1911.
74 Gal (R.), Courrier de la Recherche pédagogique, n° 2, nov. 1954.
75 Rapport sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie, Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1952, p. 234 sq.
76 Ibid., p. 235.
77 Brunold (C.), « Les méthodes de l’enseignement du second degré », op. cit.
78 Gal (R.), Courrier de la Recherche pédagogique, n° 2, nov. 1954.
79 Monod (G.), « La réforme de l’enseignement du second degré », op. cit.
80 La carte des établissements où des classes étaient implantées en 1952 est annexée p. 301.
81 Gal (R.), 1906-1966, professeur de lettres au lycée de Sens, puis Janson de Sailly à Paris, secrétaire du GFEN, est responsable du département de la recherche pédagogique à l’IPN. Weiler (A.) † 1961, est professeur d’hstoire et de géographie aux lycées de Tourcoing du Havre puis à Henri IV à partir de 1938. Secrétaire général de la revue l’Information pédagogique, il préside, après la guerre, le comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, tribune des éducateurs de l’enseignement public.
82 Monod (G.), « Les classes nouvelles », Cahiers pédagogiques, n° 78, nov. 1968. Dans cet entretien accordé aux Cahiers pédagogiques, Monod retrace l’histoire des classes nouvelles. Évoquant l’échec des conseils de classes, il commente : « Vous n’imaginez pas l’expérience douloureuse que j’ai faite de la vanité des circulaires. La rue de Grenelle était une machine à moudre et expédier des circulaires »…
83 « Les sixièmes nouvelles », L’Éducation nationale, n° 65, 10 déc. 1945, p. 12-14.
84 Ibid.
85 Toutes disciplines confondues, les 166 enseignants stagiaires du stage des sixièmes nouvelles, se répartissaient en 30 professeurs agrégés, 72 professeurs titulaires, 20 professeurs délégués et adjoints et 44 professeurs des classes primaires et instituteurs.
86 Compte rendu du stage de Sèvres du 16 au 19 avril, L’Éducation nationale, n° 29, 17 juin 1946, p. 1-16.
87 Un des exemples cités est le récit de la vie d’un jeune Grec du temps d’Alexandre. Pareilles expériences étaient conduites dans les lycées de filles. Cf. Brunet (S.), « L’enseignement de l’histoire dans une sixième nouvelle au lycée de jeunes filles de Lyon », I.H., nov.-déc. 1946.
88 Compte rendu du stage de Sèvres, L’Éducation nationale, n° 29, 17 juin 1946, p. 1-16.
89 Vauthier (L), » Comment faire comprendre les Normands dans une cinquième nouvelle ? », l’Information Historique, mars-avril 1949, n° 2, p. 79-81.
90 « Une année d’histoire en sixième nouvelle au collège Lavoisier », l’Information Historique, marsavril 1947, p. 73-75.
91 Interview de J. M. A…, professeur agrégé d’histoire au lycée David d’Angers, 1950.
92 Le Chat (M.), « L’histoire ancienne en sixième nouvelle », l’Information Historique, mai-juillet 1946.
93 Sur la difficile adaptation en seconde, voir également « Témoignages d’anciens élèves », Cahiers pédagogiques, n° 78, op. cit., p. 96-97.
94 Bloch (M.A.), « Les classes nouvelles », Esprit, 22e A, n° 215, juin 1954, p. 921-922.
95 Prost (A.), in Parias (L.H.), dir., Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, Paris, Nouvelle librairie de France, 1981, t. IV, p. 23.
96 Brunold (C.), « L’orientation pédagogique de l’enseignement du second degré », L’Éducation nationale, n° 21, 19 juin 1952, p. 10-12.
97 Voir 2e partie, chap. V, p. 266.
98 « Une année d’histoire en sixième nouvelle… », op. cit.
99 Gal (R.), « Recherches sur l’enseignement de l’histoire », Courrier de la recherche pédagogique, n° 8, mars 1958. La recherche, selon Roger Gal, a montré l’importance du milieu sociologique auquel appartient l’élève dans l’appropriation des notions historiques.
100 Rebérioux (M.), « L’histoire dans le second cycle », Cahiers pédagogiques, n° 3, 15 nov. 1952, p. 142-144.
101 Les nos 214-215 de la revue Esprit.
102 Le n° 78 des Cahiers pédagogiques en novembre 1968 est consacré au sujet : « les classes nouvelles, avenir ou passé ?
103 Monod (G.), Entretien, Cahiers pédagogiques, n° 78, op. cit.
104 Les deux revues pré-citées en fournissent des exemples, notamment l’article de François Goblot, « Le mouvement pédagogique des classes nouvelles », Cahiers pédagogiques, n° 78. Nos interlocuteurs ont également conservé des impressions fortes.
105 Monod cité par G. Hatinguais, « Le destin de classes nouvelles », Cahiers pédagogiques,op. cit.
106 Leuilliot (P.), in Cousinet (R.), Leçons de pédagogie, Paris, PUF, 1950.
107 Febvre (L.), « Une réforme de l’enseignement historique », op. cit., p. 35.
108 Brunold (C.), « L’orientation pédagogique de l’enseignement du second degré », L’Éducation nationale, n° 21, 19 juin 1952, p. 10-12.
109 Febvre (L.), « Face au vent », Annales ESC, 1946, in Combats pour l’histoire, Paris, A. Colin, 1953.
110 Febvre (L.), Présentation du texte de Bloch (M.), « Sur la réforme de l’enseignement », publié à la suite de L’étrange défaite, op. cit., p. 254-268.
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