Chapitre I. Les enjeux de l’enseignement de l’histoire (1880-1902)
p. 23-82
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Présentant en 1890 son rapport sur l’enseignement de l’histoire dans les lycées devant une des sous-commissions du Conseil supérieur de l’Instruction publique (CSIP) dont il est membre1, Ernest Lavisse, alors professeur titulaire de la chaire d’histoire moderne à la Sorbonne, organise son exposé en trois parties ; la première est consacrée au rôle de l’enseignement historique dans l’éducation, la seconde à la théorie, la troisième à la pratique. Selon ce plan qui est repris dans la rédaction des instructions ministérielles de 18902, il se propose d’exposer, dans la partie intitulée la théorie, les idées-forces qui doivent organiser l’enseignement, tant au niveau de son élaboration par les pouvoirs publics que de sa mise en œuvre par le professeur. Ainsi inclut-il, dans l’évocation des programmes qui établissent les références d’enseignement, celle des méthodes qui permettent de les adapter aux diverses phases de la scolarité. En outre, en faisant de la théorie la partie centrale et en même temps intermédiaire de sa réflexion, E. Lavisse pose implicitement qu’elle fonde l’enseignement historique tout en ne prenant sens que de ce qui la précède – les buts – et de ce qui l’accomplit – la pratique –. C’est cette logique qu’il nous a paru essentiel de reconstruire pour comprendre l’esprit dont a procédé l’organisation de l’histoire scolaire aux temps de la Troisième République.
2L’approche que E. Lavisse adopte couvre, en effet, les problèmes centraux de l’élaboration d’un plan d’études appliqué à une matière donnée en fonction du temps qui lui est consacré, à savoir le choix du contenu, sa structuration et les questions strictement pédagogiques. Tout en s’intéressant aux objectifs disciplinaires, cette analyse croise celle des finalités communes à l’ensemble des savoirs institutionnalisés par l’école. Les choix effectués reflètent l’image de la culture qu’une société juge utile de transmettre, d’une part parce que cela correspond à l’état de son savoir mais aussi parce qu’elle peut attendre de la transmission de ce savoir un profit quelconque. C’est pourquoi aussi précieuses que les stricts programmes, codifiant ce que les élèves doivent apprendre, sont les instructions qui les complètent et nous éclairent sur les objectifs et les déterminations idéologiques des pouvoirs qui les ont fixés.
3Il est cependant inconcevable de lire les textes relatifs à l’enseignement d’il y a un siècle à travers les grilles d’analyse les plus actuelles. On y chercherait des concepts qui ne s’y trouvent pas. Mais certains outils forgés par la didactique peuvent être utilisés. L’autonomisation de l’histoire en tant que discipline scolaire étant synchronique des progrès de la connaissance historique qui se donne des objets et des règles méthodologiques spécifiques, l’organisation de l’enseignement de l’histoire est inséparable du mouvement de la science historique et de sa reconnaissance universitaire et le savoir scolaire se constitue par référence à un savoir « savant », dont il peut apparaître la transposition. D’autre part, aujourd’hui comme hier, toute réflexion pédagogique gravite autour de thèmes centraux : ce qu’il faut enseigner et comment l’enseigner. D’ailleurs les historiens de la fin du siècle qui ont conçu les programmes, s’affirmant pédagogues, n’ont pas hésité à expliciter leurs propos.
4Il faut donc tenir à la fois plusieurs fils : replacer chaque construction de programme par rapport à son contexte et aux instances qui l’ont décidée, resituer l’évolution des programmes dans le mouvement interne de la discipline, voire dans l’histoire des idées et dans le mouvement de l’enseignement secondaire qui traduit lui-même – de façon plus ou moins décalée – le mouvement social ; articuler finalités, contenus et méthodes dans une analyse qui prenne en compte leur caractère propre d’objets scolaires et en même temps les enjeux qui déterminent les choix. Or, même si ces enjeux sont patents bien avant la guerre de 1870, la défaite et les débuts difficiles de la Troisième République les projettent dans le débat politique avec plus ou moins d’intensité jusqu’en 1902 où de nouvelles structures sont établies. Cette période est donc décisive dans la construction de l’histoire scolaire dans les lycées et collèges publics. Il importe de savoir quelle culture historique a voulu transmettre la République, en fonction de quelles options elle a officialisé ce qui devait être enseigné en France à ses élites.
5Dans le dernier quart du xixe siècle, lorsque s’engage un long processus de réorganisation des études secondaires, l’histoire est une discipline inscrite dans un cadre institutionnel qui s’est progressivement précisé depuis le début du siècle, et cette situation tranche avec celle qu’elle connaissait dans les collèges d’Ancien Régime, très diverse selon les congrégations et les établissements3. Elle a, en effet, été dotée de programmes de plus en plus nettement démarqués des champs disciplinaires voisins, notamment par le statut du 28 septembre 1814, d’horaires puisque, dans les collèges royaux de la Restauration, elle fait partie des matières obligatoires depuis l’arrêté du 15 mai 1818, et de moyens, avec, en 1819 l’affectation à son enseignement de professeurs spéciaux recrutés par l’agrégation d’histoire à partir de 1830. Ainsi semble trouver réponse le mouvement qui, au xviiie siècle, prônant une réforme des études, posait la question de l’opportunité de l’enseignement de l’histoire, donc de son utilité sociale, non plus seulement pour les princes, mais pour l’élite de la jeunesse masculine, dans une période où, cependant, l’histoire apparaissait encore un genre mineur, sans domaine de références nettement circonscrit, et où des esprits éclairés, comme Rollin ou d’Alembert4, la cantonnaient à n’être, selon l’expression cicéronienne, que la magistra vitae, c’est-à-dire un registre des leçons de l’expérience humaine susceptible d’élever l’âme des jeunes gens. Or cette lente institutionnalisation de la discipline dans la première moitié du xixe siècle accompagne un essor plus général de l’historiographie et de la vulgarisation historique, étroitement surveillées par les pouvoirs publics. Ainsi s’explique le fait que les périodes où l’activité historique est mise en sommeil alternent avec celles où elle est encouragée. Parmi ces dernières, peut être retenue la Monarchie de Juillet où par la volonté de Guizot, s’amplifie l’intérêt porté à l’histoire de la nation, « grande instance de légitimation du régime5 ». Sur le plan scolaire, cette orientation se traduit dans le décret du 2 mars 1838 qui institue en classe de rhétorique, celle qui est le pilier des études, l’étude de l’histoire de la France de 406 à 1798.
6Dans cet essor de la discipline, le ministère Duruy constitue une étape décisive. Normalien, professeur d’histoire au lycée Henri IV à Paris, inspecteur d’académie puis inspecteur général, Victor Duruy est très au fait de l’enseignement de l’histoire en lycée, pour lequel il a rédigé un des manuels les plus usités de l’époque, publié par Hachette et de nombreuses fois réédité. En 1852, le ministre Fortoul lui confie la rédaction des programmes d’histoire de l’enseignement secondaire, où une large place revient à l’étude de l’histoire de la France jusqu’en 1815. Appelé par Napoléon III comme ministre de l’Instruction publique, il fait paraître le 24 septembre 1863 au Bulletin administratif6 un programme provisoire pour le cours d’histoire contemporaine de la classe de philosophie qu’il rédige personnellement, sous la forme d’un cours d’économie politique. D’une part, l’histoire acquiert ainsi droit de cité en philosophie, la classe terminale des études ; d’autre part, l’histoire contemporaine, de 1789 aux années 1860, donnant une large place aux faits économiques est dès lors enseignée, avec l’objectif que « ceux qui dans quelques années feront les affaires du pays sachent de quelle manière ce pays a jusqu’à présent vécu7 ». Très critiquée comme étant un instrument de propagande en faveur du régime, cette disposition conduit, en 1865, à la réorganisation de tout le programme d’histoire des études secondaires : la connaissance historique est répartie sur la totalité des sept ans d’études secondaires, selon une progression strictement chronologique, couronnée la dernière année par une véritable étude du temps présent (Tableau 1, p. 27).
7C’est cette distribution nouvelle de la matière historique qui va être alors la référence de toutes les réformes ultérieures. Les programmes élaborés sous le ministère Ferry par le décret du 2-08-80 reprennent l’économie générale de ceux de 1865, à raison de deux heures par semaine et d’une heure supplémentaire « à titre d’essai » de la 2e à la classe de Philosophie8. La perspective, fidèle à celle de V. Duruy, est, à l’intérieur d’un programme présenté comme un cours complet d’histoire universelle, de « mettre en lumière le mouvement général des institutions d’où est sortie la société moderne9 », et notamment celle de la France.
Tableau 1. Récapitulatif des programmes d’histoire de l’enseignement secondaire public 1814-1880). D’après GERBOD (P.), « La place de l’histoire dans l’enseignement secondaire, de 1802 à 1880 », Information historique, n° 3, mai-juin 1965, p. 123-130.

8Cependant, au sein d’un enseignement secondaire structuré autour des humanités et hérité de l’époque classique, qui a ses propres traditions éducatives, la discipline historique est une construction récente qui doit défendre les positions conquises et affirmer son identité. Les modifications de la rentrée 1884-85 marquent, par exemple, une régression par rapport au plan de 1880, due en partie à la pression des grammairiens qui avaient été dessaisis de l’enseignement de l’histoire en sixième et cinquième, et montrent l’extrême vulnérabilité des horaires d’histoire à la conjoncture10. En outre, dans l’enseignement supérieur, de véritables études disciplinaires restent à concevoir. La licence ès lettres est une licence unique jusqu’au décret du 25 décembre 1880 instituant, en sus des épreuves communes en français, latin et grec, des épreuves ayant un caractère spécialisé.
9Il n’est donc pas étonnant de voir rebondir la question de l’enseignement historique dans le cadre plus vaste de la réforme des structures à laquelle va procéder la Troisième République. Plus que sur les horaires et les programmes, elle se focalise de nouveau sur la question de l’utilité sociale de la discipline, utilité sans laquelle il n’y a pas de place pour l’histoire enseignée, dans quelque ordre d’enseignement que ce soit. Mais en même temps, il est difficile de légitimer dans l’enseignement secondaire une discipline par son utilité, quand celui-ci fonde, depuis des siècles, sa spécificité sur la transmission d’une culture désintéressée. Sans finalités intellectuelles claires, l’histoire ne peut trouver sa place au sein d’un enseignement fondé sur la primauté des humanités, humanités dont la maîtrise est le signe de l’appartenance à une étroite élite sociale. Quelque 74 00011 garçons issus majoritairement de la bourgeoisie ou, plus rarement, de la frange supérieure des classes moyennes, suivent en 1880, les études payantes des lycées et collèges publics de France.
10L’histoire de la discipline est donc, de 1880 au début du xxe siècle, l’achèvement de l’action entreprise par la monarchie de Juillet et prolongée par le ministère de V. Duruy. C’est d’une part l’affermissement, soutenu par une volonté politique, des positions conquises sur les autres disciplines, notamment les humanités, d’autre part la théorisation du pourquoi et du comment de l’enseignement historique, théorisation rendue en grande partie possible par le progrès des études historiques en France durant cette même période. Dans cette structuration de la discipline, les plans d’études de 1890 et 1902 complètent l’organisation générale du plan de J. Ferry, tout en s’inscrivant dans l’important mouvement de réforme des études secondaires qui conduit à une réorganisation des lycées en 1902.
L’histoire, pièce du dossier des études secondaires
Le débat : ses lieux, ses acteurs et ses temps forts
11Dans la seconde moitié du xixe siècle, l’enseignement secondaire est au cœur du débat sur l’instruction au sein des grandes nations européennes. En effet, deux questions préoccupent les contemporains, d’une part celle de la prise en compte dans les contenus enseignés de l’évolution de la science et de l’exploration de nouveaux champs de la connaissance, d’autre part celle de l’adaptation des cursus scolaires aux exigences de diversification des professions qu’entraîne la prospérité croissante des économies. Ce sont cette similitude des questionnements, quelle que soit la diversité des systèmes éducatifs nationaux, et le sentiment que l’intérêt croissant pour l’éducation peut contribuer à la cause du progrès qui conduisent à une progressive internationalisation du débat, impulsée par un comité d’organisation qui s’est donné comme objectif de réunir à Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, le premier congrès international de l’enseignement supérieur et de l’enseignement secondaire12. Composé d’universitaires et de représentants de l’institution scolaire, le comité est placé sous le patronage de hautes personnalités ; la présidence d’honneur est confiée au chimiste Marcelin Berthelot et à Jules Simon, tous deux sénateurs, membres de l’Institut et anciens ministres de l’Instruction publique, la présidence à Octave Gréard, vice-recteur de l’Académie de Paris de 1879 à 1902, la vice-présidence à Michel Bréal, professeur de grammaire comparée au Collège de France et aux deux directeurs des enseignements secondaire et supérieur du ministère de l’Instruction publique, Morel et Liard.
12En France, il s’agit, en effet, d’une grave question nationale. Antérieur à 1870, le débat franchit une nouvelle étape après la défaite de 1871, « la défaite de l’intelligence et de l’Université française », selon le mot d’Émile Boutmy, fondateur en 1872 de l’École libre des Sciences politiques. L’institution scolaire fait partie des responsables désignés du désastre et si les critiques se polarisent tour à tour sur l’instituteur français et sur l’enseignement supérieur, l’enseignement secondaire n’échappe pas aux enquêtes et à la réflexion conduites, dès les lendemains de la guerre, par Jules Simon, alors ministre de l’Instruction publique et des cultes. C’est ainsi qu’A. Himly et E. Levasseur, membres de l’Institut, sont chargés d’une mission d’inspection générale de l’enseignement historique et géographique dans les établissements supérieurs et secondaires.
13Si une grande partie du personnel politique et de l’élite sociale aspire à une réforme de l’éducation qui permette le relèvement de la nation, les luttes internes de la Troisième République vont rapidement en faire un enjeu qui va envahir la scène politique. Pour les républicains qui ont depuis peu conquis le pouvoir, un enseignement secondaire rénové peut dégager, par le mérite, des élites nouvelles, actrices des transformations économiques à venir, mais aussi de la pérennisation du régime parce qu’elles lui confèreront une assise sociale élargie et que leur trajectoire illustrera la capacité de la démocratie à donner un contenu concret au discours égalitaire. Or, alors que les antagonismes sociaux demeurent vifs, un certain nombre de facteurs rendent effectivement envisageable l’ascension sociale. Si, en effet, la société française est restée au cours du xixe siècle structurellement stable, elle n’est pas une société complètement bloquée. En dépit d’une progression irrégulière de la croissance, les niveaux de vie s’améliorent, la population active se tertiarise, l’urbanisation progresse. Dans ces conditions, le projet méritocratique des républicains opportunistes semble réalisable, mais suppose que soit reconsidéré l’idéal aristocratique du jeune homme cultivé qui a jusqu’alors inspiré l’organisation des études secondaires. Toute rénovation des études secondaires pose donc le problème du maintien ou non de l’éducation classique, fleuron du génie français, et met de nouveau face à face les traditionalistes et les novateurs, divisés sur la question des programmes depuis le retour à la tradition des collèges sous la Restauration13.
14La tâche est d’autant plus lourde que l’instruction est un des terrains de l’affrontement entre l’Église et l’État républicain et au cœur du combat que celui-ci mène en faveur de l’idée laïque. Or, depuis le vote de la loi Falloux, en mars 1850, établissant la liberté de l’enseignement secondaire, la concurrence des établissements privés, notamment congréganistes, ne cesse de se renforcer, et cette situation constitue, à l’heure des choix éducatifs, un paramètre majeur, puisqu’un des enjeux de la réforme est de soustraire à l’influence de l’Église catholique une partie de la jeunesse française. Ainsi, les débats, très virulents déjà avant l’établissement de la République, s’intensifient-ils encore lorsque se dessinent, avec les instructions de 1880 et de 1890, les premières lignes d’une pédagogie nouvelle.
15Dans ce contexte de réflexion, éclosent un certain nombre d’associations et de revues qui portent à la connaissance d’une élite intellectuelle les questions débattues sur la scène politique, impulsant ainsi à leur tour le réveil pédagogique. L’une des associations les plus actives est la Société pour l’étude des questions d’enseignement supérieur, fondée en 1878 à l’initiative d’un groupe de vingt-quatre membres, dont dix-sept universitaires, réuni à l’origine pour discuter le projet Waddington relatif à la création des bourses de licence et d’agrégation. La Société a pour objet « d’étudier méthodiquement les institutions de haut-enseignement qui existent en Europe et dans les autres parties du monde…, de consigner les résultats de cette enquête permanente14 ». Elle étend son cadre aux questions d’enseignement secondaire, celui-ci formant en amont l’essentiel du vivier de l’Université. En avril 1881, la Société compte six cent soixante huit membres, organisés en groupes parisiens et provinciaux, et publie, depuis janvier, une revue, la Revue internationale de l’enseignement, qui s’adresse à « un public spécial et cosmopolite15 », c’est-à-dire essentiellement à l’opinion éclairée des lycées. Cherchant à promouvoir la science et la recherche dans un contexte où les élites de la société restent attachées à la culture traditionnelle, la revue aborde tous les grands thèmes du débat éducatif en consacrant des articles aux réformes discutées et votées en France, à l’histoire de l’éducation et aux matières enseignées dans les universités françaises. La volonté d’ouverture sur les expériences étrangères est profonde : de 1881 à 1920, cinquante et un articles traitent de l’enseignement en Grande-Bretagne, quatre vingt dix sept de l’enseignement allemand dont l’efficacité et le rayonnement appellent particulièrement l’attention publique. Cependant, en novembre 1879, est créée la Société pour l’étude des questions d’enseignement secondaire, indépendante mais solidaire de la précédente, qui participe à la publication, de 1884 à 1894 de la Revue de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur16, revue de quinzaine, « interprète de ceux qui ont à cœur les progrès de l’enseignement en liaison avec l’Université elle-même », puis publie, à partir de 1890, l’Enseignement secondaire. Le Musée pédagogique, quant à lui, créé par le décret du 13 mai 1879, fait paraître un organe mensuel, la Revue pédagogique. À partir de 1891, d’autres périodiques participent à la diffusion de la réflexion, notamment le Bulletin universitaire de l’enseignement secondaire, publié par l’Association nationale pour la réforme de l’enseignement secondaire, nettement favorable aux études modernes17, qui se propose de diffuser ainsi les expériences pratiques et les procédés nouveaux de l’enseignement secondaire. C’est également le 15 janvier 1892 que la Revue universitaire fait paraître son premier numéro, patronnée essentiellement par des professeurs de la faculté des lettres de Paris et des professeurs de lycées parisiens18. Consacrée de façon large à l’éducation et l’enseignement, elle publie les textes officiels de l’administration de l’Instruction publique. Lieu de rencontre entre les professeurs de l’enseignement supérieur et ceux des lycées, elle se fait l’écho des questions relatives aux examens et concours et est un peu la tribune de toutes les expériences pédagogiques susceptibles d’être propagées, ou au moins discutées. Enfin, la Revue des deux mondes et la Revue de Paris, destinées davantage au grand public cultivé, ne dédaignent pas d’ouvrir leurs colonnes à des articles sur l’instruction.
16Cette prolifération, en une dizaine d’années, de revues spécialisées dans les questions d’éducation reflète la mobilisation d’un certain nombre d’acteurs de l’institution universitaire qui, en raison de leur fonction, choisissent de s’exprimer, dans l’espoir de faire évoluer le débat. Les uns représentent l’administration comme Octave Gréard, qui apporte sa contribution à la Revue universitaire et à la Revue internationale ; les autres, à l’intérieur du champ propre de leur discipline, incarnent la compétence scientifique et pédagogique. Ainsi Henri Marion, professeur à la faculté des lettres de Paris, signe-t-il la plupart des articles sur la philosophie, dans des revues différentes. D’aucuns joignent la notoriété que leur donnent leurs responsabilités à celle de leur fonction universitaire. Tel est le cas, par exemple, d’Alfred Croiset, doyen de la Sorbonne. En ce qui concerne la discipline historique, la collaboration à ces publications est très majoritairement le fait des professeurs de la faculté des lettres de Paris, Aulard, Lavisse, Luchaire, Seignobos, et très peu, comparativement, de ceux des facultés de province, plus éloignées des centres de décision et de taille encore réduite. G. Monod, C-V. Langlois représentent les autres centres de l’enseignement supérieur historique, l’École des hautes études, l’École normale supérieure et l’École des chartes19. Quelques rares professeurs de lycée enfin, appelés plus tard à des fonctions universitaires ou administratives, fourbissent là leurs premières armes, tels H. Hauser, professeur au lycée de garçons de Poitiers ou A. Thalamas, professeur à celui de Saint-Quentin. Cependant, le paysage apparaît particulièrement dominé par trois personnalités : Ernest Lavisse, Charles Seignobos et Gabriel Monod.
17Ernest Lavisse, membre fondateur de la Société pour l’étude des questions d’enseignement secondaire et de celle de l’enseignement supérieur dont il est en même temps secrétaire, fait paraître dans la Revue internationale de l’enseignement de 1881 à 1913 pas moins de soixante-cinq contributions. On le retrouve également au comité de rédaction de la Revue universitaire, où il inaugure le tome premier de la première année par un article consacré à la préparation professionnelle des maîtres. Il fait partie, en outre, des collaborateurs de la Revue des deux mondes et est directeur scientifique de la Revue de Paris à partir de 1894.
18Il est vrai que les trois faces de l’homme, en même temps historien, pédagogue et réformateur20, le propulsent sur tous les fronts et que la longévité remarquable de sa carrière – en 1913 est célébré son jubilé – lui a laissé du temps pour multiplier les interventions. Né en 1842, entré à l’École normale supérieure à vingt ans, agrégé en 1865, docteur ès lettres en 1875, il revient à l’École comme maître de conférences de 1876 à 1880 et comme directeur de 1904 à 1919. Nommé à la faculté des lettres de Paris en 1880, il y enseigne trente-neuf ans et y assure la fonction de directeur d’études des étudiants en histoire. Il co-dirige avec Alfred Rambaud, dans le même temps, une Histoire générale du ive siècle à nos jours, en douze volumes et met en œuvre la rédaction de l’Histoire de France en vingt-sept volumes. Membre de l’Académie française en 1893, il allie le rayonnement intellectuel à l’entregent, ce qui en fait une des figures les plus notoires de la Troisième République jusque dans les allées du pouvoir. Il est de toutes les instances et de tous les projets réformateurs, dispensant une grande part de son activité à la promotion de l’enseignement historique, avec le souci de faire de la science et de l’université françaises les flambeaux de la grandeur nationale. Aussi son action pédagogique dépasse-t-elle le cadre de l’enseignement primaire auquel cependant il a imprimé sa marque, en rédigeant, en 1884, un manuel d’histoire devenu un de nos « lieux de mémoire21 ».
19Charles Seignobos, cadet de douze ans d’E. Lavisse, est l’autre porte-parole de la corporation historienne. Secrétaire de la rédaction du Bulletin universitaire de l’enseignement secondaire, membre du comité de rédaction de la Revue universitaire, il collabore également assidûment à la Revue internationale de l’enseignement. Admis à l’École normale supérieure en 1874, agrégé en 1877, il est nommé maître de conférences à la faculté des lettres de Dijon en 1879. Chargé des fonctions de maître de conférence de pédagogie à la faculté des lettres de Paris de 1890 à 1897, il devient successivement maître de conférence, chargé d’un cours d’histoire moderne, puis professeur adjoint en 1904. S’il n’a jamais enseigné en lycée, sa réflexion sur la méthodologie historique le conduit à s’interroger sur la pédagogie de l’histoire. Ainsi, l’introduction aux études historiques, co-écrite avec C.-V. Langlois en 1898, comporte-t-elle deux appendices consacrés aux études historiques, l’un dans l’enseignement supérieur et l’autre dans l’enseignement secondaire, pour la réforme duquel il mène de 1880 à 1902 une action essentielle.
20Enfin, Gabriel Monod, fondateur en 1876 en collaboration avec le chartiste Fagniez de la Revue historique, fait partie des personnalités qui, s’engageant en faveur de la République, s’intéressent à la cause de la rénovation de l’enseignement22. Membre du groupe qui constitue la Société pour l’étude des questions d’enseignement supérieur, il joue dans la communauté universitaire un rôle de premier plan qu’illustrent ses fonctions à l’École normale supérieure où il entre en 1880 pour suppléer E. Lavisse et où il enseigne jusqu’à sa nomination à la faculté des lettres de Paris en 1904, puis son professorat au Collège de France en 1906, rôle que renforcent ses interventions publiques au moment de l’affaire Dreyfus23.
21En sus des sociétés et revues, l’expression des universitaires trouve sa place à l’intérieur même des structures de l’administration centrale de l’Instruction publique, comme le Comité consultatif de l’enseignement public où siègent E. Lavisse et G. Monod ou le Conseil supérieur de l’Instruction publique. Depuis la loi du 27 février 1880, le CSIP est constitué d’un conseil d’études et d’une section permanente. Le conseil d’études, présidé par le ministre, est composé de membres dont la majorité est élue par les corps des divers ordres d’enseignement, l’enseignement supérieur ayant cependant à lui seul plus de représentants que les enseignements secondaire et primaire réunis – respectivement vingt et seize –. Quant à la section permanente qui compte quinze membres, neuf conseillers nommés par décret du Président de la République en Conseil des ministres, et six personnalités choisies par le ministre parmi les membres élus, elle est chargée d’étudier les projets préparés en amont par des comités consultatifs avant qu’ils soient soumis à l’avis du Conseil supérieur et partage de fait avec le ministre le droit d’initiative. Ces dispositions accroissent donc la part des professionnels et la représentativité des corps des divers enseignements au sein d’un organe qui, théoriquement consultatif, délibère, en réalité, sur toutes les questions pédagogiques et orchestre les réformes. Pour cette raison, l’élection au Conseil supérieur de l’Instruction publique va devenir un moment de plus en plus important de la vie scolaire et universitaire. Tous les quatre ans par exemple, les agrégés d’histoire sont ainsi invités à élire leur représentant dans l’ordre des Lettres. Leur premier élu est Jallifier, professeur agrégé au lycée Condorcet à Paris, ancien élève de l’École normale supérieure où il a été le condisciple de Luchaire et de Liard.
22Le débat sur les études secondaires se structure donc autour d’un nombre réduit de lieux et de personnalités, même si l’objectif des revues est précisément de le propager. Universitaires, professeurs de lycée et administrateurs nommés par les républicains ont eu bien souvent le même cursus et sont issus du même moule, celui que façonnent l’admission à l’École normale supérieure et le passage du concours de l’agrégation. Les plus anciens, élèves de la rue d’Ulm avant 1870, appartiennent à la génération de la défaite. C’est cette histoire et cette formation communes – G. Monod est agrégé en 1865, L. Liard en 1866 et A. Croiset en 1867 – qui font d’eux au lendemain de « l’année terrible24 » une équipe, prenant forme d’abord autour de Jules Simon et de Michel Bréal et engagée dans le combat pour la réforme de l’enseignement vue comme une nécessité nationale. À partir des années 1880, avec leurs cadets – C. Seignobos, F. Buisson, E. Durkheim… – normaliens et agrégés des années 1870-80, ils sont partie prenante, pendant pas moins de vingt ans, de la vaste entreprise de réorganisation conduite par les républicains modérés, d’autant plus que les solidarités de jeunesse sont renforcées par l’appartenance à des réseaux communs. Par exemple, un important noyau de protestants libéraux s’engage dans la réforme éducative aux côtés des francs-maçons, avec lesquels il partage une commune fidélité à la liberté de conscience et une hostilité ouverte au cléricalisme. Ainsi, le ministre Jules Ferry, membre de la loge de la Clémente Amitié, s’entoure-t-il de collaborateurs protestants, Jules Steeg, Felix Pécaut, Ferdinand Buisson qui, comme Gabriel Monod, lui-même issu d’une famille de pasteurs genevois, ou d’autres membres de la société intellectuelle, se situent à l’interface d’un milieu libre penseur, gagné aux idées positivistes, et de la République opportuniste.
23Dès 1880, les premiers jalons de la réforme des études secondaires sont posés. Le plan d’études du 2 août, reprenant les orientations de la circulaire de Jules Simon, en date du 27 septembre 1872, introduit une nouvelle distribution des matières et prône le recours à de nouvelles méthodes. Cependant, dès la rentrée de l’année scolaire 1884-85, une partie de ces dispositions est modifiée sous la pression de tous ceux qui s’émeuvent des atteintes portées aux humanités et craignent leur décadence. Ces modifications, qui se traduisent en histoire et dans les disciplines « modernes » par une réduction des horaires, marquent donc une régression par rapport au plan de 1880 et avivent le débat entre les partisans de la réforme et les tenants des humanités classiques. Un nouveau pas est cependant franchi avec l’institutionnalisation, par l’arrêté du 8 août 189025, d’un baccalauréat unique de l’enseignement secondaire et avec le décret du 4 juin 1891 qui réorganise l’enseignement spécial créé par V. Duruy en enseignement moderne26. Il en résulte un dualisme de fait dans l’enseignement secondaire qui, y perdant son unité, perd, pour les traditionalistes, son identité et sa raison d’être. Alors que les réformateurs défendent la politique de Léon Bourgeois, notamment par l’intermédiaire des nouvelles publications que nous avons citées, la situation devient extrêmement tendue, en pleine préparation, en outre, de la réforme de l’Université et dans un contexte politique où l’unité de la nation elle-même semble menacée. Les forces conservatrices résistent, le monde du travail s’organise et gronde, et les critiques socialistes fusent contre la République accusée de n’être qu’une nouvelle oligarchie27. Le troisième temps fort se déroule au moment de l’affaire Dreyfus et après la loi du 10 juillet 1896, fixant les cadres de l’enseignement supérieur. Le ministère, en effet, focalise alors son action sur l’enseignement secondaire. Cette dernière étape est particulièrement marquée, à partir du 10 janvier 1899, par l’élargissement à l’état des études secondaires en France des travaux d’une commission de la Chambre des députés, chargée initialement d’étudier les propositions relatives à la liberté de l’enseignement, le député Rabier ayant proposé d’interdire l’enseignement aux congrégations religieuses. Placée sous la présidence d’Alexandre Ribot, républicain modéré de confession protestante, député depuis 187828, la commission est composée de quelques députés de droite et d’une majorité d’élus inscrits à gauche, parmi lesquels la moitié sont des radicaux. Le secrétariat est confié à deux radicaux-socialistes, Couyba, ancien élève de Louis le Grand, universitaire, produit de la culture classique, député de Haute-Savoie et Massé, député de la Nièvre. La consultation se déroule du 17 janvier au 27 mars 1899, au moment où le procès de Dreyfus évolue vers la révision et peu avant que les républicains, surmontant leurs divisions, se soudent temporairement autour du ministère de Waldeck-Rousseau de « défense républicaine ».
24Si les pouvoirs publics avaient déjà organisé d’autres enquêtes, celle-ci revêt une ampleur nouvelle puisque, préparant le débat parlementaire, elle a pour objet de poser sur le plan national la question brûlante de l’enseignement. Près de deux cents dépositions orales sont recueillies tant auprès des représentants de l’enseignement libre que de l’enseignement public. Des questionnaires sont adressés aux recteurs et aux inspecteurs d’Académie, aux chambres de commerce et aux conseils généraux29. La presse en rend largement compte. Le processus qui conduit à la réforme de 1902 est en route. Regroupées dans un rapport introduit par A. Ribot, les conclusions de l’enquête sont soumises à l’avis du CSIP en décembre 1900 et mars 1901, débattues avec le ministre Georges Leygues et approuvées, après quelques amendements, lors du vote du budget de l’Instruction publique en février 1902. Le 31 mai, la réforme est promulguée sous forme de décret.
25Il s’agit là d’une étape décisive car dans l’institution scolaire, les disciplines, au-delà de leurs finalités propres, prennent sens de leur globalité pensée en fonction d’un projet social. L’enquête, ayant pour objectif de le définir, a soulevé les questions suivantes : de quel enseignement la société et la démocratie françaises ont-elles besoin à l’orée du siècle ? Comment ouvrir l’enseignement secondaire à des élèves nouveaux sans que celui-ci perde sa spécificité qui est de fournir à la nation ses cadres ? Quelle forme doit prendre le savoir scolaire dans ses contenus et se méthodes et quelle place revient à chacune des matières ? Les vertus de l’enseignement classique sont-elles épuisées ? Aussi, quels qu’aient été les acquis de l’enseignement historique dans les décennies précédentes, son orientation et son organisation matérielles sont dépendantes de cette réforme. Très conscients de l’enjeu, les historiens déposent, nombreux et longuement, auprès des rapporteurs de la commission, dressant le bilan de l’enseignement historique dans les lycées et avançant des propositions qui sont un peu le point d’orgue de tous les échanges dont les revues se sont fait l’écho les années précédentes. A. Aulard, C-V. Langlois, E. Lavisse, G. Monod, C. Seignobos témoignent, l’inspecteur général Foncin, les professeurs agrégés A. Thalamas et A. Malet, respectivement enseignants au lycée d’Amiens et au lycée Voltaire à Paris.
26Mais à aucun moment, dans la profusion des idées qui s’expriment, les deux caractéristiques fondamentales de l’enseignement secondaire ne sont remises en cause. C-V. Langlois les énonce ainsi, en 1900, dans La question de l’enseignement secondaire en France et à l’étranger30 :
« L’enseignement secondaire est proprement celui que reçoivent jusqu’à l’âge du service militaire, la petite minorité des enfants du pays dont les parents sont assez aisés pour soutenir longtemps la dépense des études, et ceux des familles pauvres qui, ayant paru propres à profiter d’une instruction prolongée, ont obtenu des bourses…
L’éducation que donne l’enseignement secondaire est toujours d’une utilité supérieure, mais sans utilité immédiate. Car c’est toujours une culture. Pas d’enseignement secondaire qui ne soit, par définition, essentiellement désintéressé ».
27C’est donc à l’intérieur du cadre d’un enseignement élitaire de culture générale, chargé de former les esprits libres et éclairés de la nation que les marges de manœuvre de chaque discipline s’exercent, dans l’espace qu’ouvre la laïcisation des études secondaires cléricales et aristocratiques auxquelles, de fait, l’enseignement d’État emprunte la plupart de ses formes pédagogiques.
L’enseignement public face à la concurrence du privé
28Les réformes réalisées à partir de 1880, suscitant, comme nous l’avons noté ci-dessus, de vives polémiques, accentuent le sentiment d’une crise de l’enseignement secondaire que la baisse des effectifs dans les établissements publics et le fléchissement du niveau de leur population ont engendré, même parmi les personnes les moins suspectes d’être hostiles à la politique réformatrice.
29La baisse des effectifs est liée à la situation de concurrence que représentent les établissements privés. Le fait que la moyenne nationale de la population masculine qui y est scolarisée atteigne, à la date de l’enquête parlementaire, cinquante-deux pour cent de la population totale des établissements secondaires est une préoccupation majeure de la Troisième République et une des raisons de la politique d’instruction volontariste qu’elle conduit, y compris dans le domaine des constructions scolaires. En réalité, il n’y a d’ailleurs pas diminution absolue des effectifs du public mais une moindre progression que dans les collèges et instituts religieux. La situation est très sensible dans certaines académies. Ainsi, dans l’académie de Rennes, tandis que, de 1879 à 1898, les effectifs des lycées et collèges diminuent de soixante-quatre unités, les établissements libres ecclésiastiques s’accroissent de deux mille trois cent quatre vingt onze élèves, soit un taux d’accroissement de cinquante pour cent en dix-neuf ans, et les établissements libres laïques gagnent quatre-vingt dix sept élèves31. L’administration des lycées de Pontivy, Quimper, Rennes et Saint-Brieuc se plaint de souffrir de la proximité de ces institutions et le rapport du recteur à la commission d’enquête corrobore les faits. En deux ans, le lycée de Quimper perd trente-huit élèves, en raison de l’ouverture du collège libre de Saint-Yves, celui de Rennes subit la concurrence des établissements Saint-Vincent et Saint-Martin. Si les prix de pension des établissements libres sont moins élevés que ceux des lycées publics, la raison de la désaffection pour ces derniers vient surtout de l’image qu’a l’enseignement d’État dans une province où la foi religieuse est forte et l’influence du clergé catholique prépondérante. Il est ainsi significatif que les établissements laïques dirigés par un ecclésiastique soient prospères, comme le collège de Saint-Pol de Léon ou le lycée de Laval dont, en revanche, les effectifs baissent de près de deux cents élèves en quatre ans, après le départ en 1896 du proviseur, prêtre de son état32.
Carte 1. Localisation et effectifs des établissements masculins de l’enseignement secondaire. Académie de Rennes, fin du xixe-début xxe siècle.

Tableau 2. Effectifs des quatorze collèges et des neufs lycées de garçons de l’académie de Rennes du 31-12-189833. (Source : JO, 1899, Documents parlementaires, Chambre des députés, Annexe n° 866, SO statistique, p. 1697 sq.

30Cependant, la faible croissance des effectifs de l’enseignement secondaire résulte également d’un grossissement de ceux de l’enseignement primaire supérieur. Il apparaît, en effet, si l’on se réfère aux travaux de Briand et Chapoulie34 que l’enseignement classique, notamment parce qu’il était un enseignement long, ne correspondait pas aux vues et aux intérêts des familles de la petite bourgeoisie industrielle ou commerçante et des agriculteurs aisés. Ceux-ci préféraient orienter leurs enfants vers des études courtes et, au demeurant, y étaient assez souvent encouragés par les instituteurs eux-mêmes qui retenaient leurs meilleurs élèves plutôt que de les envoyer au lycée. Ainsi l’absence de création d’une École primaire supérieure à Rennes semble avoir été voulue par l’inspection académique de l’Ille-et-Vilaine afin que ne fût pas aggravée la baisse des effectifs au lycée de garçons. Parallèlement à l’essor du primaire supérieur, les effectifs de l’enseignement secondaire moderne croissent à partir de 1891, surtout dans les collèges où la plupart des élèves ne restent pas plus de quatre ans, mais l’enseignement classique décline35.
31Le second péril qui menace l’enseignement secondaire est la baisse de niveau dont il est assez unanimement fait état lors de l’enquête parlementaire, à partir des conclusions du baccalauréat. Cependant, les explications divergent. Conséquence pour les uns des programmes surchargés, de la pédagogie inadaptée, elle est pour les autres l’effet néfaste de la loi militaire de 1889 qui incite les jeunes gens à poursuivre des études universitaires afin d’être exemptés du recrutement pendant deux ans et maintient ainsi artificiellement au lycée des élèves qui coûtent cher à leurs familles mais n’y ont pas leur place36. Enfin, l’opinion plus conservatrice y voit une manifestation de la décadence des études amorcée depuis que les réformes ont ébranlé la primauté des humanités, prélude de la décadence de la société37.
32Pour renforcer l’enseignement secondaire public, les républicains s’appuient donc sur l’argument traditionnel de la formation intellectuelle des jeunes gens par la transmission d’un enseignement de culture. Dans le discours contemporain, le terme de culture ou de culture générale renvoie implicitement au modèle dominant de la culture classique, organisé autour des humanités, c’est-à-dire de la connaissance des langues et lettres anciennes. Par elle, et notamment par l’enseignement du latin – celui du grec ayant déjà régressé à la fin du siècle –, perdure la tradition et se transmet l’héritage de la culture antique qui inscrit la France dans une continuité spirituelle et fonde la permanence de la nation. Faisant le point sur l’esprit de la réforme projetée, le ministre de l’Instruction publique Georges Leygues écrit : « L’étude de l’antiquité grecque et latine a donné au génie français une mesure, une clarté et une élégance incomparables… Les humanités doivent être protégées contre toute atteinte et fortifiées. Elles font partie du patrimoine national38 ». En ce sens, G. Leygues traduit l’avis des réformateurs les plus zélés et les plus laïques n’envisageant pas une culture qui ne soit point classique parce qu’elle est un patrimoine dont la nation est dépositaire et que l’élite de la société doit sauvegarder. M. Bréal, un des premiers à avoir prôné une place plus large pour les disciplines scientifiques, entend bien qu’il ne s’agit pas cependant de remplacer la culture classique et de « manquer à notre passé, à nos pères, à nos enfants et à notre rang parmi les nations civilisées39 ». L’esprit et l’âme de la France se sont, en effet, forgés dans la fréquentation des chefs-d’œuvre littéraires et artistiques de l’Antiquité, s’élevant ainsi à la notion du beau et de l’harmonie selon les plus traditionnels canons de la civilisation grecque, filiation qui justifie, aux yeux des contemporains, le rayonnement de la France dans le monde.
33Certes, le thème du « génie national », fondé sur les origines gréco-latines de la culture française, est-il un passage obligé des allocutions destinées à une élite imprégnée de cette culture, voire un refrain, durant plus de vingt ans, du discours des réformateurs où il est liminaire à des propositions plus modernistes. Mais il ne semble pas que ce soit seulement un argument rhétorique. Signe de distinction de l’esprit français que reconnaissent les observateurs étrangers, comme l’indique cette annotation d’un professeur de l’Université de Liège sur la « brillante école d’historiens… fidèles à leur génie national qui est harmonieux avant tout40 », l’intelligence que l’étude de la pensée antique a forgée est celle qui nourrit la plume des grands universitaires prêts à la défendre. Inaugurant en 1889 les nouveaux locaux de la Sorbonne, dans un moment hautement symbolique, O. Gréard décrit l’esprit français « tel que l’a fait, avec les dons de la race, l’éducation des siècles : un mélange de sentiment et de raison, de grâce et de force, hardi à la fois et mesuré, libre et ordonné, expansif entre tous et profondément humain, ardent champion des nobles causes, ne s’imposant aux autres que par la confiance ou se faisant pardonner ses violences passagères par ses bienfaits durables41 ». Or ce morceau d’éloquence n’est-il pas lui-même l’expression de cet esprit, où les contrastes s’assemblent pour atteindre plus de finesse, comme en témoigne la subtile apologie de l’œuvre révolutionnaire. Plus prosaïquement, la gymnastique intellectuelle que requièrent de la part des lycéens et des étudiants le maniement du discours latin et l’exercice du thème est censée assouplir l’esprit et donner à la pensée française sa clarté, son ampleur et son élégance et cette subtile alliance de la forme et du fond, c’est-à-dire toutes les qualités qui ouvrent, en particulier aux normaliens, les portes de la réussite sociale, voire de la carrière politique.
34Purs produits de cette éducation, les hommes les plus haut placés dans la hiérarchie universitaire en connaissent les bienfaits intellectuels et les avantages sociaux. Car cette culture, toute spéculative et désintéressée qu’elle soit, est la marque de distinction de l’élite, « la barrière et le niveau », selon l’expression d’Edmond Goblot qui donne à la bourgeoisie « ses titres officiels, revêtus de signatures ministérielles, munis de timbres, de cachets, de tous les sacrements administratifs42 ». Le maintien des humanités classiques est un moyen pour la bourgeoisie de sauvegarder l’élitisme de l’enseignement secondaire par l’inégalité de culture mais aussi de préserver le niveau social du recrutement de certaines professions ; comme l’a montré Madame Isambert-Jamati, les professeurs des facultés de droit et de médecine sont les plus attachés à l’exclusivité des études gréco-latines et refusent d’ouvrir leurs établissements aux titulaires du baccalauréat moderne pour ne pas dévaluer leur profession43. La situation n’est d’ailleurs pas particulière à la France. La réforme de l’enseignement secondaire en Prusse en 1892, instituant l’équivalence des études et l’égalité des droits d’accès à l’Université pour les élèves des « gymnases » et pour ceux des « realgymnases » et « realschulen » qui, jusqu’alors, ne pouvaient poursuivre des études supérieures, provoque l’opposition farouche des classiques qui demandent la résurrection du grec et le renforcement du latin comme condition indispensable de la préparation à l’Université44.
35Ainsi la culture classique est-elle vue comme la culture, c’est-à-dire « la plus haute culture45 », une culture supérieure, réservée à une élite. Mais, pour les républicains, cette élite n’est pas constituée des privilégiés de la naissance ou de la fortune, mais « des enfants de la démocratie qui s’élèvent par l’intelligence et le travail46 », parce que « par vocation naturelle », certains enfants sont plus que d’autres « capables de vivre en communion avec les chefs-d’œuvre de l’antiquité47 ». C’est donc en toute bonne foi, s’appuyant en même temps sur l’égalité des hommes à la naissance mais l’inégalité des dons et des talents, qu’A. Ribot réfute la thèse selon laquelle l’enseignement secondaire est un enseignement de classe. Cependant, certains de ses contemporains font une analyse différente de la situation, et dénoncent l’étroitesse de la base sociale de l’enseignement secondaire. C’est le cas par exemple de Ferdinand Buisson titulaire, depuis qu’il a quitté en 1896 la direction de l’enseignement primaire, de la chaire de science de l’éducation à la Sorbonne, déclarant devant la commission parlementaire : « La définition même de l’enseignement secondaire ne peut plus se faire en France que sous la forme d’une définition sociale ; il ne se caractérise pas par ses programmes ; on le reconnaît à ceci : c’est l’enseignement accessible à des enfants d’une certaine condition48… ».
36Sur ce point, les conclusions de nombreux historiens ont été édifiantes. On se contentera ici de rappeler celles de R. Gildea49 sur le recrutement du lycée de Rennes pour la période 1875-1890, selon lesquelles 1,4 % des élèves sont fils de salariés et 13 % seulement appartiennent à la petite bourgeoisie et aux catégories inférieures des classes moyennes. Pourtant ce sentiment d’une supériorité sociale résultant de la formation classique est suffisamment étendu pour que, dans vingt pour cent des avis recueillis par la commission d’enquête auprès des conseils généraux et des chambres de commerce, l’enseignement classique soit farouchement défendu50. On a d’ailleurs soigneusement limité l’envoi du questionnaire aux couches sociales qui peuvent avoir des boursiers, même si la majorité d’entre eux est recrutée en fait parmi les enfants des fonctionnaires de l’État. Car les boursiers sont les plus dévoués zélateurs de l’enseignement auquel ils doivent leur promotion. Le discours que le recteur de l’académie de Rennes, Louis Gérard-Varet, fils d’agriculteur aisé, boursier, fait tout à la gloire de l’enseignement classique, et notamment de la culture hellénique, « des arômes » de laquelle, dit-il, le latin est chargé, en est un exemple frappant. On y retrouve, en outre, cette identification des qualités intellectuelles que développe l’étude des auteurs anciens et du génie de la France qu’on a déjà eu l’occasion de relever51.
37Or l’idéal humaniste qui anime l’enseignement secondaire masque ces intérêts de classe. Loin des préoccupations matérielles et contingentes, le terme d’humanitas qui désigne en latin la culture renvoie aussi à l’objet de celle-ci, la nature humaine, l’homme et à travers lui, la connaissance de soi et l’élévation à une morale universelle. Aussi dans l’enseignement des humanités, formation intellectuelle et formation morale constituent-elles un tout indistinct qui définit une éducation désintéressée au sens où elle n’est tournée vers aucun intérêt particulier. Cependant, l’argument humaniste sert un peu toutes les causes et il y a loin de l’humanisme identifié au catholicisme de l’Ordre moral que viennent défendre, lors de l’enquête de 1899, certains représentants des collèges catholiques, à celui que prône E. Lavisse. Car, s’il souhaite « garder le beau vocable52 » d’humanités – et tant l’expression que le vœu sont significatifs de l’image qu’elles véhiculent – il entend, comme beaucoup de ses concitoyens, lui donner un nouveau contenu. Aussi les humanités ne désignent plus nécessairement les études classiques ; les termes d’« humanités modernes » deviennent d’un usage fréquent.
L’histoire au rang des humanités modernes
38À l’heure des transformations – même si la dépression des années 1870 en a ralenti le rythme –, un fort courant d’opinion se prononce en faveur de l’évolution du modèle classique qui date du xvie siècle. Par exemple, E. Lavisse trouve son éducation « manquée », car elle ne lui a rien appris du monde. Le tableau qu’il dresse dans Souvenirs53 souligne l’inadaptation d’un enseignement ouvert ni sur la nature, ni sur la société, où même l’étude de l’histoire ne lui a « laissé aucune notion précise de rien ». « Les humanités, comme on nous les enseigna, nous apprirent vraiment trop peu de choses sur l’humanité », et, un paragraphe plus loin, il ajoute : « Je reproche aux humanités, comme on nous les enseigna, d’avoir étriqué la France », deux sentences qui relèvent en fait de la même condamnation, étant donné le caractère d’exemplarité et d’universalité que E. Lavisse, comme nombre de ses contemporains, attribue à l’épopée nationale. Aussi conclut-il : « Ne nous attardons pas à regretter l’ancienne forme si belle qu’elle ait pu paraître en son temps car elle est morte de n’avoir pu vivre dans la société moderne ». En conséquence, il plaide pour la promotion d’une culture moderne, ouverte sur la vie et le présent plutôt que tournée vers le passé. Ce point de vue n’est au demeurant guère différent de celui qui a dicté les mesures que V. Duruy a adoptées, depuis la création d’une chaire d’économie politique à la faculté de droit de Paris en 1863 à la réforme des programmes scolaires, et E. Lavisse reprend là le flambeau du ministre qui l’a protégé. Dans ces considérations exposées par bien des réformateurs, la question de la rénovation de l’enseignement est appréhendée par rapport à l’intérêt de la nation, à ses besoins politiques et économiques qui dictent de développer les forces intellectuelles vives et les capacités d’action des jeunes Français. Dans son discours à la Chambre des députés, le 13 février 1902, A. Ribot rappelle plusieurs fois à son auditoire ces exigences, fort des résultats de l’enquête parlementaire. L’enseignement classique, dit-il en allant droit au but, « ne fournit pas assez de savants à la France, ni assez d’ingénieurs, ni assez d’hommes capables de conduire son industrie… Si vous comparez la France à l’Allemagne, on constate que chez nous, l’état-major industriel s’appauvrit au lieu de se développer54 ». L’argument doit faire mouche.
39Les républicains de gouvernement sont donc en première ligne de ce combat pour une autre culture qui trouverait sa place à côté de la précédente, sans s’y substituer, et donnerait à la nation les cadres dont elle a besoin. À l’aube du siècle nouveau, il faut élargir l’instruction scolaire à la science, et donner à l’élite du pays les clés de la maîtrise du monde moderne. On peut ainsi comprendre que la bourgeoisie ait financé certaines des associations qui prônaient la réforme55.
40Cependant, la notion d’« humanités modernes » est chargée d’un sens plus large. La nouvelle culture scolaire que les républicains veulent construire se définit aussi par rapport à leur idée de la démocratie. C’est le devoir de la société, comme le rappelle J. Ferry en 1889, de « rendre accessibles les degrés de la culture intellectuelle à ceux qui sont aptes à les franchir56 » et c’est aussi, comme ne manque pas de le souligner A. Ribot dans un contexte de fortes tensions, une garantie de « paix sociale57 ». En même temps, contribuer au progrès de l’intelligence en France est contribuer aux progrès de la démocratie, parachever l’œuvre des Lumières et inscrire son sceau dans la longue marche de l’humanité vers plus de bonheur. Autant qu’à l’école primaire, au niveau des lycées et collèges, l’idéologie du progrès imprègne l’œuvre scolaire de la Troisième République. Les études secondaires doivent faire place à la science, à la connaissance du réel et à la recherche de la vérité. Ainsi les républicains souhaitent-ils fonder une nouvelle morale et une nouvelle unité de la nation, en débarrassant la société des superstitions et préjugés qu’entretiennent les religions. C’est pourquoi, sans renier la valeur de l’éducation classique, les réformateurs voient dans les humanités modernes le moyen de chasser le cléricalisme et l’obscurantisme de leurs derniers bastions. Or l’enseignement secondaire, où l’étude du latin est un des instruments de la domination de l’Église sur les esprits, en est un. Aussi en se fixant comme objectif d’apprendre aux jeunes Français les vertus du libre examen, la réforme de l’enseignement secondaire est-elle pour les hommes au pouvoir indissociable de la laïcisation de celui-ci. Le processus, d’abord engagé par la Défense républicaine, conduit, après les élections législatives de 1902 et la démission de Waldeck-Rousseau, à la loi du 7 juillet 1904 qui retire aux congrégations le droit d’enseigner et est ponctué en 1905 par la séparation des Églises et de l’État.
41Exaltant les vertus éducatives de la science, les concepteurs de la réforme retiennent comme principe d’éducation l’équilibre de la culture classique et de la culture moderne. À ceux qui les accusent de vouloir une culture utilitaire et d’être les disciples de Spencer, les réformateurs rétorquent que la finalité de l’enseignement secondaire reste la culture des facultés et qu’il ne faut pas en attendre la préparation de la vie pratique et professionnelle58. À ceux qui leur reprochent de pérenniser une culture dilettante, ils démontrent que l’éducation qu’ils veulent n’est pas un raffinement gratuit. « L’enseignement secondaire, déclare C-V. Langlois, est un enseignement de culture générale qui prépare à la vie et non à une profession, mais qui cependant ne doit exclure la préparation à aucune profession59 ». C’est-à-dire qu’il ne doit pas ouvrir seulement sur les carrières libérales mais développer la capacité d’adaptation des élèves aux métiers du monde moderne et les rendre aptes à prendre des initiatives, décider et agir, et cette conception de l’élite de demain transparaît dans la métaphore de l’armée qui revient fréquemment sous la plume des contemporains.
42Les intentions et le programme des réformateurs sont clairs. À la rentrée 1902, alors que le nouveau plan est appliqué, Louis Liard proclame au Conseil académique de Paris qu’il préside : « Nous voulons que de plus en plus de jeunes Français soient formés à voir avec exactitude les réalités de la nature et de l’humanité60 ». Ce monde des réalités, opposé explicitement par L. Liard au monde des « chimères », est celui qui arme l’esprit de connaissances précises, identifiables, raisonnables, en un mot positives, se référant à un milieu donné sur lequel elles donnent les moyens d’agir. Or, ce milieu réel où les jeunes gens ont à vivre, L. Liard le décrit : « Ce milieu, c’est la France, la France telle qu’elle est, au commencement du siècle, avec ses transformations politiques, ses transformations économiques, avec les contrecoups qu’ont fatalement sur elle les transformations qui s’accomplissent dans toutes les nations de l’ancien monde et du nouveau ». Émanant d’une personnalité qui incarne, de façon éminente, la continuité de l’œuvre de la République en matière d’instruction, le discours de L. Liard donne le ton de la doctrine officielle. L’étude des seuls textes anciens n’est pas loin d’y figurer comme une activité passéiste – L. Liard emploie le terme d’anachronisme –.
43Quelle place a donc l’histoire, l’étude du passé conjointe de celle des humanités par une longue tradition scolaire, dans un programme qui se veut moderne ? Et pourtant quelle matière peut, mieux qu’elle, être ce trait d’union entre le passé et le présent, forger cette connaissance du monde réel sans rompre l’harmonie avec l’humanisme dont l’enseignement républicain revendique l’héritage ? L’histoire, au seuil du xxe siècle, ne peut plus être « une sorte de vade-mecum de l’honnête homme, qui permette de se montrer en société avec avantage61 ». Les programmes traduisent cette évolution.
44Nourris d’antiquité dans les premières classes de la scolarité secondaire, ils se concentrent en classe de philosophie sur les soixante-quinze dernières années de l’humanité. Structurés pour transmettre, d’année en année, un patrimoine intellectuel considéré comme universel, ils aboutissent à l’avènement des sociétés modernes et aux transformations techniques et économiques. L’histoire, pour E. Lavisse, a bien ce double sens : suivre l’unique âme humaine mais la suivre à travers ses modifications, « étapes par étapes, jusqu’à notre étape à nous, de façon à nous montrer d’où nous venons, où nous sommes, où nous allons peut-être62 ».Quel savoir scolaire peut mieux donner aux élèves le sentiment de la continuité de l’œuvre humaine qu’enseignaient les matières classiques et le sens des mutations qu’exigent l’adaptation à un monde transformé et l’élargissement des horizons qui incite à « quitter les rivages de la Méditerranée » ? Comment mieux conjuguer l’universalité de la condition humaine et l’identité des nations car le « nous » qu’emploie E. Lavisse signifie notamment nous, « Français ».
45Une nouvelle conception du désintéressement des études classiques se dessine. Elle cherche à faire évoluer celles-ci d’un enseignement séparé de la vie à un enseignement séculier. L’interpellation de E. Lavisse : « Messieurs les pédagogues, apôtres du désintéressement, excusez-nous ! Nous n’avons pas le moyen, nous n’avons pas le temps63 » ! résume d’une manière vive la volonté de donner la priorité aux réalités nationales. Dans ce contexte, certains historiens manifestent pour leur discipline des ambitions à la mesure des réformes qui sont en cours. Chargée de transmettre aux jeunes générations l’héritage des siècles passés, l’histoire, en leur apprenant à connaître le monde qui les entoure, peut incarner un nouvel humanisme bivalent. Cette ambition leur semble d’autant plus légitime que les études historiques ont connu un essor important au xixe siècle et qu’elles se sont profondément réformées depuis la défaite. Dans la confrontation qui oppose classiques et modernes et hypothèque l’avenir des matières scolaires, la vitalité de l’histoire lui donne des armes pour se défendre.
Le progrès des études historiques
46En 1890, dans la préface de l’Avenir de la science64, Ernest Renan écrit : « Les sciences historiques et leurs auxiliaires, les sciences philologiques, ont fait d’immenses conquêtes depuis que je les embrassai avec tant d’amour, il y a quarante ans ». Ce chemin parcouru depuis la moitié du siècle donne à l’histoire une position de force.
Le progrès de la science historique
47Dans un article publié en juillet 1889 par la Deutsche Zeitschrift für GeschichtsWissenschaft et repris par la RIE65, Gabriel Monod dresse un bilan des études historiques en France. Il répertorie d’abord les formes que prennent les travaux d’histoire puis les caractères généraux de la science historique. Il ressort de la première partie de l’article une des idées-forces de la thèse d’Olivier Carbonell consacrée à l’historiographie française de 1865 à 188566, celle selon laquelle la production historique de ces années-là est plurielle, caractérisée par une grande hétérogénéité des genres. G. Monod cite les lieux de production multiples, évoque les pratiques les plus diverses, puisqu’à côté des érudits locaux qui font une histoire souvent nobiliaire et catholique, émergent des hommes préoccupés avant tout de vérité historique qui, dans le sillage de Fustel de Coulanges, affirment l’idée que l’histoire est une science fondée sur l’étude minutieuse des textes. Car, ce que veut montrer G. Monod, c’est l’ampleur du mouvement historique français depuis la défaite de 1871, la contribution de celui-ci aux progrès de l’esprit scientifique en France, dorénavant apte à rivaliser avec la science allemande, sous-entendant sans nul doute qu’il n’y est pas étranger.
48De fait, aux lendemains de la guerre, l’admiration pour la supériorité intellectuelle de l’Allemagne, largement antérieure à la défaite, incite à imiter les méthodes du vainqueur. Aussi, dans le domaine de l’histoire, apparaît-il urgent de développer en France les études érudites et de doter le travail historique du caractère scientifique qu’il a acquis en Allemagne. « On peut comparer l’Allemagne à un vaste laboratoire historique où tous les efforts sont concentrés et coordonnés et où nul effort n’est perdu67 », écrit G. Monod. Son admiration n’est pas feinte. G. Monod sait de quoi il parle puisqu’il est allé, l’année consécutive à sa réussite à l’agrégation, en 1866, parfaire sa formation dans les universités de Berlin et Göttigen.
49La première pierre de cette entreprise visant à la renaissance des études historiques est posée en 1876 avec la fondation de la Revue historique, patronnée notamment par les hommes qui ont ouvert la voie, Taine, Renan, Fustel de Coulanges, unis par-delà leurs divergences idéologiques par la volonté de participer au relèvement national. Dans le premier article du premier numéro, G. Monod propose, en rassemblant et en coordonnant les travaux historiques au sein de la revue, de favoriser les progrès de la méthode érudite68. Il expose comment celle-ci, reposant sur une investigation lente, graduelle et ordonnée, et sur la critique des sources, est seule garante de l’impartialité de l’historien et peut faire de l’histoire une science positive, c’est-à-dire capable d’établir les faits humains et d’atteindre la connaissance la plus exacte possible du passé. En dépit de l’impossibilité de vérifier expérimentalement les données de la question étudiée, la méthode historique permet d’apporter la preuve par les sources et son exercice est préalable à tout travail de synthèse.
50Cependant, les études historiques en France trouvent leur propre voie. S’élevant contre la séparation de l’érudition et la littérature qui caractérise certains travaux allemands, G. Monod insiste sur leur complémentarité qui donne les œuvres les plus élaborées69. C’est sans doute là qu’il espère, comme d’autres observateurs attentifs des pratiques germaniques, faire mieux que les historiens allemands. Cette remarque est en effet très proche des conclusions critiques de C. Seignobos, revenant en 1879 d’un voyage d’études en Allemagne. Dans le rapport qu’il adresse à la Société de l’enseignement supérieur, C. Seignobos déplore à plusieurs reprises les excès de la critique des sources et la propension des érudits à se perdre dans la masse des détails. Ainsi écrit-il : « C’est de hauteur et de largeur d’esprit que les érudits ont le plus besoin. Ils sont enclins à mettre tous les faits sur un même plan, les petits détails de niveau avec les grands résultats. Faute de perspective, ils ne rangent pas les faits dans l’ordre d’importance… Le résultat les touche peu, ils ne s’intéressent qu’à la méthode. Virtuoses de l’érudition, ils manient ces procédés par amour pour les procédés ; ils taillent des pierres pour le plaisir de tailler des pierres sans souci de l’édifice70 ». Or la voie moyenne, « celle de l’observation précise et de la généralisation »… « à égale distance des procédés oratoires et superficiels chers aux peuples méridionaux et du système pesant et confus de l’Allemagne71 », est celle sur laquelle C. Seignobos considère que la science historique française a les moyens de s’engager, parce que l’esprit français, à la différence de l’esprit allemand, sait composer, ranger, résumer, s’élever des faits particuliers aux idées générales. Or, dans le cadre d’un projet d’éducation soucieux avant tout de préserver le génie de l’esprit national, ce subtil dosage de culture scientifique et de culture littéraire auquel prétend la discipline historique est un atout dans la confrontation entre les classiques et les modernes puisqu’il permet de la dépasser. Le discours des historiens consiste à persuader que l’histoire est une discipline de synthèse, reconstituant l’unité de la connaissance, élevant, par sa méthode d’exactitude, l’esprit à la science, et par son objet, « l’étude sympathique du passé72 », l’homme à la compréhension de ses semblables.
51Dans le dernier tiers du xixe siècle, les perspectives du développement des études historiques ne manquent donc pas d’ampleur. Il s’agit, en interprétant les traces indirectes du passé que sont les documents, d’établir les faits, non pour les collectionner comme le reprochera L. Febvre à C. Seignobos73, mais pour passer du fait à l’explication, de la chose à l’idée, et de l’idée à la compréhension, c’est-à-dire à l’appréhension des rapports entre les faits. Sans doute est-ce dans l’esprit des contemporains une œuvre de longue haleine mais la direction en est clairement tracée. L’histoire est faite « pour répondre aux questions sur le passé que suggère la vue des sociétés présentes » car (comme toute science, ajoute C. Seignobos), « elle consiste à poser, résoudre et grouper en système des questions74 ». Et s’il est difficile – voire inutile – de transposer dans l’enseignement secondaire la méthode historique, celle-ci permet en amont d’arriver à un certain nombre de résultats que le professeur a le devoir de transmettre, car « résumer l’histoire à l’usage de ceux qui l’ignorent » est une façon de « travailler à la science75 ».
52Parallèlement, construire l’histoire « qui est à faire76 », est une tâche urgente. Aussi C-V. Langlois et C. Seignobos, en 1897, en rédigeant à l’intention des étudiants d’histoire l’Introduction aux études historiques77, se chargent-ils de codifier les techniques de la méthode. C’est également dans le but d’enrichir le travail historique que G. Monod espère, au-delà des institutions entre lesquelles est divisée la recherche, fonder une école, c’est-à-dire former les jeunes historiens et régler ainsi l’activité des chercheurs. E. Lavisse, en œuvrant pour la constitution « d’un corps de maîtres et d’un corps d’étudiants travaillant ensemble », poursuit sur le terrain de l’Université le même objectif, voyant le champ historique comme un immense chantier ; ainsi parle-t-il de « défricher », d’« escouades d’ouvriers », de « bras – qui – manquent à la tâche78 ». Les historiens de la fin du siècle se voient comme des pionniers et sans doute est-ce là une des raisons de leur ardeur.
53Or, en se professionnalisant, la recherche historique donne à l’histoire enseignée la caution de la science. C’est cette dernière, en effet, et non plus la tradition, qui va servir de savoir de référence aux contenus scolaires et donner sa légitimité intellectuelle à l’enseignement d’État. Le renouvellement historiographique des années 1880 va mettre le savoir scolaire sous l’autorité d’un savoir produit par des spécialistes, soumis à des normes et des critères de scientificité.
54Sa fonction intellectuelle va s’en trouver renforcée. L’étude de l’histoire peut, enseigne G. Monod aux étudiants de l’École normale supérieure, exercer l’élève à raisonner, et donc armer l’esprit pour l’avenir. À partir du moment où la connaissance historique repose sur une matière solide, les faits, qu’il faut entendre par opposition aux « déclamations morales » avec lesquelles elle a été longtemps confondue79, l’histoire peut être à part entière une « discipline » de l’enseignement secondaire, selon l’acception du terme qui se répand dans la seconde moitié du xixe siècle. C’est-à-dire que, comme l’ont fait le discours latin et le thème grec, elle peut exercer l’esprit à une discipline intellectuelle, à partir d’une matière commune – l’homme – et en même temps différente – le monde des réalités. Décrire les faits, comprendre comment ils s’enchaînent, comment ils se modifient, sont des opérations intellectuelles qu’on peut envisager de transposer de la recherche à la salle de classe.
55En outre, la valeur morale attribuée depuis l’Antiquité aux leçons de l’histoire est rehaussée. Car, pratiquée avec toutes les précautions méthodologiques nécessaires, l’histoire n’est pas une leçon de morale, mais donnant connaissance à travers les événements passés « du consentement universel en matière de morale », elle enseigne « les principes moraux fondamentaux. Se référant ainsi à la morale kantienne, en évoquant « le consentement universel », G. Monod considère que l’histoire enseigne à juger les faits – et il cite le mot de Schiller : « Die Weltgeschichte ist das Weltgericht », l’histoire du monde est le tribunal du monde – mais aussi à faire preuve de tolérance à l’égard des hommes, en apprenant à relativiser leurs actions. « L’obligation où nous sommes de tenir un très grand compte des milieux, des temps, des circonstances nous enseigne la modestie et la modération dans nos jugements80.
56N’est-ce donc pas le dessein même des hommes engagés dans la rénovation des études historiques qui est pédagogique ? Car ils attendent de l’histoire qu’elle explique ce qui, pendant des siècles, a été attribué à la volonté divine ou à la Providence. Il s’agit, comme le note encore G. Monod dans ces leçons d’histoire qu’il professe à l’École normale supérieure, de « remplacer le point de vue théologique par le point de vue historique81 », d’arriver par l’intelligence à un mode de connaissance supérieur. C’est pourquoi, concluant la présentation du programme de la Revue historique, il affirme, en 1876, que « l’histoire travaille au progrès du genre humain82 ». Car, pour beaucoup de ces réformateurs de la fin du xixe siècle, imprégnés de philosophie comtiste, tout progrès de la connaissance, et par elle de la vérité, conduit l’humanité vers un nouvel âge, l’âge positif. Lorsque G. Monod écrit en 1889 que les progrès des études historiques sont « la manifestation dans le domaine des sciences morales de l’esprit scientifique à qui appartient désormais la direction de la société moderne83 », il croit, parce que l’esprit humain s’exerce sur les sciences les plus complexes, qu’est en train d’advenir l’ère du pouvoir spirituel.
57Si l’optimisme des années 1880 est ébranlé par l’affaire Dreyfus, l’ambitieux programme de la réforme des études historiques se poursuit. Il suppose en effet l’existence d’un enseignement supérieur organisé, dont la carence a été perçue comme une des causes essentielles du retard des études scientifiques en France. Pour cette raison, le combat pour l’histoire se confond avec celui qu’au sein de la Société pour l’étude des questions de l’enseignement supérieur, d’éminents universitaires livrent, depuis 1878, pour la réorganisation des structures et des études de l’Université.
La contribution de l’Université
58Recensant les établissements d’enseignement supérieur où, en 1889, est enseignée l’histoire, G. Monod cite en premier lieu les facultés, puis le Collège de France et les écoles de l’enseignement d’État, l’École des chartes fondée en 1821 pour former des archivistes et des bibliothécaires, l’École normale supérieure, vivier essentiel des agrégés, et l’École pratique des hautes études. Enfin, il présente les écoles qu’il appelle « spéciales » comme l’École libre des Sciences politiques ou les écoles archéologiques d’Athènes et de Rome. Or, treize ans plus tôt, dans la Revue historique, sur le même sujet, les facultés ne sont pas nommées et G. Monod écrit à leur propos : « Quant à ceux qui se forment en dehors de ces écoles, ils s’instruisent comme ils peuvent, se font eux-mêmes leur méthode et leurs principes de critique, et n’arrivent le plus souvent, après beaucoup d’efforts, qu’à des résultats très médiocres85 ».
59En effet, jusqu’en 1880, les facultés des lettres sont essentiellement chargées de la collation des grades. Les cours sont publics et un auditoire hétéroclite les fréquente, si l’on en juge d’après l’évocation qu’en fait, non sans humour, E. Lavisse : des « collectionneurs de péroraisons », des « têtes blanchissantes ou blanchies », « un grand public improductif où quelques hommes sérieux se perdent dans la foule des oisifs86 ». Ces auditeurs sont recensés par la statistique de l’enseignement supérieur. Par exemple, pour l’année 1878, on peut constater qu’ils sont beaucoup plus nombreux que les étudiants inscrits87. Ce n’est pas un fait spécifique à la Sorbonne. Pour le cours d’histoire, la faculté de Poitiers compte cinq étudiants inscrits, trente-cinq auditeurs libres dont douze dames. À Montpellier, on dénombre dix-huit inscrits et cent-cinquante auditeurs libres, dont vingt dames. En fait, la situation varie selon le thème du cours et l’aura de l’interlocuteur. Mais, quels que soient les cas de figure, il ressort que les facultés forment très peu de diplômés de l’enseignement supérieur et, dans le procès de l’intelligence française instruit en 1871, cette situation est vivement dénoncée. Le constat d’ailleurs ne date pas de la fin de la guerre. Il va de pair avec celui de l’infériorité scientifique par rapport à l’Allemagne et, sous le second Empire, certains des esprits les plus cultivés alertent l’opinion. C’est tout particulièrement le cas d’E. Renan, dans l’article que publie la Revue des Deux Mondes en 1864 sur l’« Instruction supérieure en France88 » ou de L. Pasteur dénonçant la misère des laboratoires français. Du reste, la création par V. Duruy, en 1868, de l’École pratique des hautes études, destinée à enseigner la pratique de la recherche dans quatre sections, les mathématiques, les sciences physiques, les sciences naturelles et les sciences historiques et philologiques, est une première mesure pour favoriser l’essor des études supérieures.
60La véritable réorganisation du système universitaire intervient après la démission de Mac-Mahon. En collaboration avec la Société de l’enseignement supérieur, les ministres et la haute administration de l’Instruction publique, où L. Liard joue un rôle décisif, entreprennent de créer des universités qui soient « de puissants foyers d’étude et de science, réunissant toutes les facultés89 » et reproduisent dans leurs structures l’unité et la multiplicité de la connaissance. Si la loi du 10 juillet 1896, précédée par le décret du 28 décembre 1885 organisant les facultés progressivement dotées de pouvoirs financiers, n’est qu’une très partielle exécution du projet initial, L. Liard salue cependant la nouvelle Université comme la fille de la science90. En effet, elle doit son existence et sa vitalité à la fécondité de la science mais en même temps l’Université entretient celle-ci en se fixant comme fin d’y initier les étudiants et d’en diffuser les progrès. C’est pourquoi la réorganisation des études et des méthodes dans toutes les facultés est l’autre volet essentiel de la réforme, présentée elle-même comme un devoir d’État, une nécessité publique dans l’intérêt intellectuel et moral de la nation.
61Pour les études des facultés de lettres, E. Lavisse joue un rôle prépondérant, en tant qu’universitaire, directeur d’études à la Sorbonne et secrétaire de la Société de l’enseignement supérieur, consacrant à ces problèmes nombre de discours et notamment les allocutions qu’il fait aux étudiants, lors de la rentrée officielle de la faculté. Certaines de ces interventions, complétées par quelques articles, forment un corpus de textes rassemblés dans l’ouvrage Questions d’enseignement national, publié en 188591. Dans un avant-propos, E. Lavisse présente la logique générale des divers chapitres. La thèse essentielle qu’il développe et qui oriente toute son action est qu’il faut, dans l’intérêt de la nation, des élèves à l’enseignement supérieur des lettres. Ces élèves doivent être en majorité les futurs professeurs de l’enseignement secondaire et supérieur. Dès lors, la mission de l’université est leur formation intellectuelle. Aussi faut-il définir des contenus tels que les étudiants, futurs professeurs d’histoire, reçoivent une véritable éducation historique. En effet, une partie des enseignants du secondaire sont licenciés. Or, la licence confère le droit d’enseigner – licentia docendi – mais ne requiert, même après 1880, aucune compétence spécialisée. La licence ès lettres donne le droit d’occuper une chaire d’histoire. Quant à la preuve de l’aptitude complète au professorat d’histoire, la seule agrégation, sa préparation, quasi-monopole de l’École normale supérieure, échappe à l’Université.
62E. Lavisse conduit donc une réflexion très appliquée à l’enseignement, dans le droit fil de ses centres d’intérêt et de sa pratique. Cependant « les facultés ne doivent point devenir des séminaires uniquement occupés de la préparation au professorat92 ». S’adressant à un auditoire d’étudiants en Sciences lors de l’inauguration de leur faculté à Marseille, A. Dumont, directeur de l’enseignement supérieur de 1879 à 1884, déclare : « Les facultés doivent donner chaque année à l’État beaucoup de professeurs et quelques savants93… ». La formule qui peut s’appliquer aux facultés des lettres rappelle utilement, dans un établissement qui se consacre essentiellement à la collation des grades, que les facultés sont aussi des lieux de production scientifique. C’est-à-dire qu’en histoire les étudiants doivent se munir de connaissances bibliographiques, apprendre les sciences auxiliaires, et surtout pratiquer « ce long et tranquille usage des documents qui forme l’esprit à la critique94 ». Dans ce domaine, les observations que C. Seignobos a collectées lors de son séjour en Allemagne offrent de précieuses pistes de réflexion. Tout est, en effet, à créer. L’organisation des études en France est marquée par l’hégémonie du cours ex cathedra, c’est-à-dire de la chaire d’où tombe – ou rayonne – la parole du maître. Enfin E. Lavisse met en cause le système des examens95. Certes, son public est souvent un public d’étudiants mais on peut penser que l’argument n’est pas entièrement démagogique. Voulant que l’Université forme des esprits libres, les examens lui semblent un joug dont il espère que professeurs et élèves sachent s’affranchir.
63Recherche et enseignement, la mission de l’Université est donc double. Mieux que quiconque, pourtant, E. Lavisse qui est allé souvent de l’une à l’autre, sait que leurs logiques sont antinomiques. « Peut-on préparer à la fois à l’enseignement qui est une affirmation et à la pratique de la méthode historique qui est une recherche96 ? ». L’organisation des études universitaires est confrontée à ce problème didactique que E. Lavisse n’élude pas. Mais il représente tout un courant d’opinion résolument optimiste selon lequel les deux tâches participent au progrès de la connaissance et sont finalement imbriquées car plus de recherche fortifie l’enseignement et plus d’enseignement stimule la recherche. « Ceux qui étudient en vue d’enseigner sont presque toujours ceux qui vont le plus loin dans la science pure, avance H. Marion97. Il n’est pas sûr cependant que les exemples de C. Seignobos et même d’E. Lavisse puissent illustrer cette affirmation. Mais à partir du moment où la finalité de l’histoire, qu’elle se fasse ou qu’elle s’apprenne, est de faire connaître aux Français leur passé et de former ainsi l’esprit public en France comme ont su le faire les Universités et les savants allemands, E. Lavisse juge essentiel de faire partager les résultats de la recherche. Les républicains laïques et modérés qui dirigent le pays épousent cette conviction. L’Université a un service d’éducation à rendre à la nation. C’est pourquoi, malgré l’institution des cours fermés, le cours public reste une tradition. Au demeurant, cette activité de vulgarisation de la science accroît le pouvoir social des professeurs et E. Lavisse, qui y excelle plus que tout autre, met quelque coquetterie à en évoquer plus les servitudes que les plaisirs98.
64Dans les faveurs des ministères, l’histoire n’est pas la moins bien placée. Selon E. Lavisse, « le budget n’a pour nous que des largesses99 ». Peut-il dire autre chose, étant donné sa nomination récente à la Sorbonne et ses liens intimes avec un certain nombre de ministres ou de ministrables et de hauts fonctionnaires, quelquefois eux-mêmes historiens comme Waddington, Dumont, ou Rambaud. Mais, plus fondamentalement, l’histoire s’étant donné une mission éducative qui sert les intérêts du régime, elle bénéficie des faveurs budgétaires.
65Les subsides de l’État sont d’abord allés à l’institution de bourses. Les bourses de licence sont créées sous le ministère Waddington en 1876, les bourses d’agrégation sous celui de Ferry. Leur objectif est d’attirer dans les facultés des étudiants assidus. Très vite cette politique porte ses fruits puisque la Statistique de l’enseignement supérieur publiée en 1882 fait état de 147 boursiers de licence sur un total national de 792 inscrits, soit un taux de 18,5 % et de 111 boursiers d’agrégation sur 453 agrégatifs, soit 24,5 %100. On peut donc penser que les bourses d’agrégation ont particulièrement concerné des étudiants qui sans leur existence auraient enseigné dans les collèges, comme avaient fait leurs prédecesseurs. Parallèlement, le nombre d’étudiants augmente. Les seize facultés de lettres ont en 1888-89, 2333 immatriculés ; en 1897-98, 3402, soit un taux d’augmentation de 45,8 %. Dans le même temps, celui des étudiants en histoire est un peu plus fort – 51,6 % –, mais, comme nous pouvons le constater sur le tableau 3 (Infra, p. 36), la progression des effectifs est surtout nette au niveau de la licence, avec une augmentation en neuf ans du taux d’inscrits de 89,6 %, augmentation qui se fait aux dépens de la licence de lettres. Cependant, ces chiffres sont à tempérer au regard du nombre de candidats qui se présentent effectivement à l’examen.
Tableau 3. Évolution des éffectifs des étudiants en Histoire de 1889 à 1898. D’après la Statistique de l’Enseignement supérieur, Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, 1900.

66Avec l’afflux plus grand des étudiants, l’Université est dotée de locaux et de postes. À Paris, en attendant l’achèvement de la Nouvelle Sorbonne en 1889, des bâtiments provisoires sont construits. Le baraquement de la rue Gerson est le haut lieu des études d’histoire et E. Lavisse s’émerveille que ce soit « une vraie salle de cours avec tables et encriers, tableaux et cartes sur les murs101 ». Il est également très sensible au fait que les professeurs ont un cabinet, spacieux et confortable selon la description qu’il nous en donne102. La portée de ce local va d’ailleurs au-delà des avantages matériels. C’est un domicile intellectuel qu’étudiants et professeurs trouvent là, c’est-à-dire les conditions d’une communion d’esprit plus grande. Il est certain que E. Lavisse trouve dans cette « intimité », selon son propre terme, la possibilité de renforcer au sein de l’Université la sociabilité à laquelle il attache beaucoup d’importance, comme en témoigne notamment son active participation au patronage de l’association générale des étudiants de Paris.
67Enfin, des postes d’enseignement sont créés. La maîtrise de conférences est instituée en 1877 pour développer de nouvelles méthodes pédagogiques. La spécialisation des chaires s’accroît avec l’institutionnalisation d’une division par périodes. Par exemple, Fustel de Coulanges en 1878 est nommé titulaire d’une chaire d’histoire médiévale à la Sorbonne. La première chaire d’histoire contemporaine, créée par le Conseil municipal de Paris, date de 1886 et l’enseignement des sciences auxiliaires progresse. Cependant, si le nombre de chaires d’histoire dans l’enseignement supérieur progresse rapidement à Paris, puisque G. Monod fait état de dix postes à la Sorbonne en 1889103 alors que la statistique de 1878 en mentionne deux, la situation dans les facultés de province est très hétérogène et nettement moins favorable. À Rennes, dans la dernière décennie du siècle, il y a une seule chaire d’histoire et un cours complémentaire d’histoire ancienne. Il faut dire que le nombre d’étudiants est très faible, en moyenne une dizaine en licence (Cf. carte 2, p. 000).
Carte 2. Effectifs des étudiants inscrits en licence d’histoire dans les facultés de lettres (France métropolitaine, 1900).

68L’accroissement des moyens permet de réaliser pas à pas la transformation du régime des études en fonction des objectifs que s’est donné l’Université. En ce qui concerne l’histoire, la première étape est la réforme de la licence en 1880 qui, tout en restant une année d’études littéraires générales, introduit une initiation aux méthodes historiques et deux compositions d’histoire à l’écrit de l’examen, une interrogation à l’oral. En outre, les méthodes d’enseignement sont renouvelées. À côté du cours fermé qui s’adresse aux étudiants inscrits, se mettent en place des conférences, selon le modèle de l’École pratique des hautes études, inspiré lui-même des séminaires allemands. Elles ont « pour objet soit de fortifier par des répétitions et exercices pratiques les leçons des professeurs titulaires, soit de compléter par l’adjonction de nouveaux enseignements le cadre des études104 ». Ainsi initient-elles les étudiants à la recherche historique et à l’érudition par la pratique de la méthode critique. La validation de ces capacités se fait au moment de l’agrégation lors des épreuves d’explication de texte et de présentation des thèses, où le candidat doit démontrer son aptitude à être historien. L’agrégation étant très lourde, sur l’initiative d’E. Lavisse qui prônait depuis de longues années cet aménagement, est institué, en 1894, un Diplôme d’études supérieures105. Pendant un an, l’étudiant consacre ses forces à un travail de recherche. L’obtention du diplôme est requise pour passer l’agrégation. C’est le label d’une véritable formation historique.
69Peu à peu, prend forme le projet de la Revue historique de fonder une école d’historiens. En effet, les cloisons entre les diverses institutions s’abattent, d’autant plus aisément que les locaux sont souvent proches ou communs. Les élèves de l’École normale supérieure ou de l’École des chartes suivent les cours de la Sorbonne, les professeurs de l’École pratique des hautes études et de la faculté des lettres se partagent selon leurs compétences l’étude des questions de l’agrégation et élargissent cette coopération aux autres années d’étude. E. Lavisse a l’ambition d’innerver tout l’enseignement historique de l’activité de l’enseignement supérieur. Il voit une chaîne de maîtres et disciples formés selon les mêmes exigences, un seul « corps professoral animé d’un même esprit puisé dans une éducation commune106 », s’étendant jusqu’à l’enseignement primaire. Le sens de vingt ans de réforme durant lesquels il faut bien admettre qu’il n’a pas ménagé son énergie est, pour lui, dans la conviction que « l’enseignement à tous ses degrés sera meilleur… et les maîtres mieux instruits feront pénétrer dans toute la nation la connaissance de notre histoire107 ». Langlois, dans l’appendice de l’Introduction aux études historiques, n’est pas moins enthousiaste108. Mais la Sorbonne et les institutions parisiennes ne sont pas nécessairement le meilleur observatoire. Dans beaucoup de facultés de province, l’enseignement n’est pas encore étoffé. Cependant, c’est bien le fait que les facultés préparent aux grades – et ne se contentent pas de les conférer – qui explique l’augmentation des effectifs.
70Enfin, la forme définitive des études supérieures d’histoire n’est pas encore totalement fixée au moment de la réforme de l’enseignement secondaire, d’une part parce que le poids des examens sur les études incite les universitaires à remanier les épreuves, d’autre part parce que la question de la formation pédagogique des étudiants est en suspens.
Le relèvement du niveau dans les lycées et collèges
71Rarement, ont été ainsi pensés dans le même mouvement les progrès de la recherche et de l’enseignement historique, de l’école primaire aux établissements supérieurs, alors même que la séparation entre l’ordre primaire et l’ordre secondaire est presque totale. La raison en est que l’attente du rôle que doit jouer l’histoire est la même à tous les degrés de la pyramide. Son enseignement apparaît comme l’enseignement national par excellence, c’est-à-dire le plus apte à renforcer chez l’élève l’amour du pays natal et donc la conscience de ses devoirs. Cependant cette unicité de vue caractérise plus particulièrement l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, rapprochés par un public socialement assez identique. L’absence de véritable barrière culturelle entre les deux ordres favorise la circulation de l’un à l’autre. L’enseignement secondaire est le vivier de l’enseignement supérieur et une part de plus en plus importante du corps enseignant des collèges et des lycées est formée à l’Université. D’autre part, la très grande majorité des professeurs des facultés ont, après l’agrégation, débuté leur carrière dans un établissement secondaire, le plus souvent un lycée parisien. Souvent l’expérience n’a pas été très longue mais elle a permis que la question de l’enseignement secondaire ne soit pas pure abstraction.
72Pas plus que dans l’enseignement universitaire, la situation de l’enseignement historique n’est satisfaisante dans les lycées et collèges aux lendemains de la défaite. L’enquête que J. Simon confie à deux universitaires chargés de suppléer l’Inspection générale dans ses fonctions, A. Himly, professeur de géographie historique à la Sorbonne, et E. Levasseur109, membre de l’Institut et titulaire d’une chaire d’histoire et de statistique économiques au Collège de France, permet d’établir de façon très documentée et précise l’état des études historiques et géographiques dans les établissements secondaires publics des douze académies qu’ils ont parcourues110. Ils renoncent à visiter celles de Nancy, Paris, Douai et Caen, parce que le temps leur manque et qu’ils considèrent que, dans ces régions les études ont pâti de l’invasion ennemie, et ne se rendent ni en Corse ni en Algérie, en raison de leur éloignement. Les troubles intérieurs du pays dûs à la Commune ont, disent-ils, contrarié leur mission mais ils ont vu « cinquante-trois lycées et vingt-sept collèges et pu examiner la méthode et les résultats de l’enseignement de deux cent trente et un professeurs, dont cent quatre-vingt six professeurs ou maîtres de lycée et quarante cinq professeurs de collège… et interrogé les élèves de quatre cent soixante-cinq classes », des classes de grammaire, d’humanités ou de préparation aux écoles. En outre, ils ont recueilli l’avis des professeurs des facultés de lettres puisque ceux-ci interrogent au baccalauréat.
73Le bilan qu’ils dressent dans la partie « résumé » du rapport est assez désastreux : « Dans les collèges, les études d’histoire et de géographie sont au-dessous de médiocre, et les résultats trop souvent voisins du néant. Dans les lycées,… les études historiques quoique beaucoup mieux dirigées, ne répondent encore d’une manière satisfaisante par les connaissances acquises, ni à la science des professeurs, ni aux dépenses faites pour l’instruction publique111 ». La préoccupation d’élever le niveau des études historiques en lycée répond donc à une situation de fait dûment constatée, pour laquelle A. Himly et E. Levasseur proposent des solutions concrètes à court terme. Quant à la politique de réforme que l’État n’avait pas eu en 1871 les moyens d’entreprendre, elle vise à créer à partir de 1880, les conditions favorables aux retombées des progrès de la connaissance.
74La première de ces conditions est que le mouvement de création de chaires spéciales d’histoire dans l’enseignement secondaire suive celui de la progression des étudiants. E. Lavisse, en 1885, note déjà qu’il y a un risque d’inadéquation en raison du grand nombre de bacheliers en fonction « que l’on ne peut rejeter du jour au lendemain112 ». Or, étant donné la spécialisation accrue des études universitaires, ce sont les postes destinés aux licenciés et agrégés qui doivent augmenter, conformément à l’ambition des réformateurs d’élever le niveau d’instruction. En effet, même si le résumé du rapport Himly-Levasseur n’a pas mis en cause la science des professeurs, les conclusions du titre 2 relatif au personnel, en revanche, ont établi nettement que les seuls professeurs à savoir leurs cours d’histoire « soit qu’ils aient appris seulement dans des précis, soit qu’ils aient fait sur certains points des études plus sérieuses et qu’ils aient préparé leurs leçons à l’aide des sources et des bons auteurs113 » sont les professeurs spéciaux de lycée. Si les termes de « savoir » ou d’apprendre dans un « précis » traduisent de la part des rapporteurs la conception d’un enseignement essentiellement récitatif, ils entendent bien montrer, par cette assertion, que certains maîtres enseignent sans avoir de connaissance historique et expliquent ainsi la différence de niveau qu’ils ont constatée entre les élèves scolarisés en collège et en lycée. Émile Bourgeois, maître de conférence à la faculté de Caen, parvient en 1884 à une conclusion aussi pessimiste114. À partir de la statistique de l’enseignement secondaire de 1876, il conclut que les trois-quarts de la population des collèges ne reçoivent pas à proprement parler une instruction historique, puisque les chaires spéciales, déjà peu nombreuses, – soixante-cinq pour cent quarante-deux collèges de plein exercice – sont en réalité occupées plus souvent par des bacheliers que par des licenciés – trente-quatre contre trente-et-une –, ou la chaire d’histoire est confondue avec la chaire de philosophie, ce qu’on appelle alors une « chaire réunie ». L’absence de qualification des enseignants va donc de pair avec l’absence de différenciation des matières, et toutes deux sont ressenties comme des obstacles essentiels à l’amélioration de l’enseignement. Traduisant le lent et difficile accès à l’autonomie de la discipline historique, elles contribuent en même temps à l’entretenir. Le cas est encore plus net dans les classes de sixième et cinquième, même dans les lycées, où l’histoire, confiée aux professeurs de grammaire, reste un enseignement accessoire. La corporation des historiens n’a de cesse de demander que cet enseignement revienne aux professeurs spéciaux d’histoire mais se heurte systématiquement à la corporation des grammairiens. Les historiens brandissent l’argument patriotique, mais il n’est pas toujours suffisant, le ministère arbitrant en fonction des pressions les plus fortes115. Il en résulte une situation déjà fluctuante selon les plans d’étude et plus encore sur le terrain, en fonction des disponibilités de postes. En conséquence, dans un cadre de stabilité globale des effectifs de l’enseignement secondaire, peu de perspectives de création de chaires spécialisées se dessinent. Peut-être ceci explique-t-il que l’obtention des grades reste très sélective. En moyenne, un tiers seulement des examinés à la licence satisfont à l’examen116. Dans ces conditions, le renouvellement du corps, rendu en théorie possible par l’afflux de nouveaux étudiants dont les plus jeunes ont la possibilité de faire un DES, – mais la statistique ne recense encore que vingt-cinq aspirants au diplôme en 1898117 – ne se profile guère avant que la réforme de 1902 permette d’envisager l’élargissement du recrutement, en raison des modifications d’horaires. Le temps de latence entre les premières réformes des études universitaires, visant à accroître le nombre de licenciés et d’agrégés, et leurs retombées sur la composition et partant, le niveau de formation du corps professoral est donc long. D’autre part, l’amélioration des conditions d’enseignement ne nécessite pas seulement de former de bons historiens, mais aussi de former de bons professeurs.
75Confiante en les bienfaits de l’instruction, qu’elle se donne le devoir de réaliser, la Troisième République se préoccupe de pédagogie et « s’arroge le droit de diriger selon ses principes propres l’éducation de la jeunesse118 », selon les termes mêmes de Gabriel Compayré dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson. L’ouvrage est à lui seul l’expression de ces préoccupations, certes appliquées surtout à l’enseignement primaire, mais le dépassant en même temps largement. Il est dirigé par J. Guillaume et F. Buisson, réunis dans la même expérience malgré leur parcours différent119. Y collaborent des représentants de l’institution scolaire, comme O. Gréard ou J. Steeg député et directeur d’études à l’École normale de Fontenay-aux-Roses, et de nombreux membres de l’enseignement supérieur parmi lesquels figurent trois professeurs de philosophie, G. Compayré, E. Durkheim et H. Marion. G. Compayré, ancien professeur de philosophie à la faculté de Toulouse, député, est l’auteur d’une Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le xvie siècle. E. Durkheim est agrégé de philosophie et H. Marion est chargé du cours sur la science de l’éducation à la Sorbonne, ouvert solennellement le 6 décembre 1883 en présence du vice-recteur de Paris, O. Gréard, des inspecteurs et de maîtres de l’Université. L’institution de ce cours, transformé en une chaire successivement occupée par F. Buisson et E. Durkheim, manifeste l’engagement de l’Instruction publique et, à travers elle, de la République dans un domaine unversitaire complètement neuf en France. Cependant, les réformateurs ont, là encore, quelquefois dès avant 1871, observé les pratiques des universités allemandes en matière de préparation pédagogique120.
76Il importe de savoir ce que recouvre pour les contemporains le terme de pédagogie, objet dans le Dictionnaire d’une notice rédigée par E. Durkheim, très proche du contenu de la leçon d’ouverture du cours d’H. Marion, telle qu’elle est retranscrite par la RIE121. La pédagogie est définie comme un ensemble de théories. « Ces théories sont des manières de concevoir l’éducation, non des manières de la pratiquer. Elle se différencie de la science de l’éducation, qui reste à faire – le cours d’H. Marion s’intitule bien cours » sur « la science de l’éducation – et qui est l’étude scientifique des faits relatifs à la genèse et au fonctionnement des systèmes d’éducation ». En conséquence, la pédagogie n’est pas une science. Elle n’est pas non plus l’éducation puisqu’elle est de l’ordre de la théorie, c’est-à-dire des problèmes spéculatifs, alors que l’éducation est définie comme l’action exercée sur les enfants par les parents et les maîtres. Mais elle peut être utile à l’éducation. Si on ne peut attendre des théories pédagogiques l’établissement de règles infaillibles, elles éclairent l’action éducative, la guident et la remettent notamment en harmonie avec les besoins du temps. Ces doctrines, en effet, suscitées par l’état de l’enseignement à un moment donné, contribuent par un effet de retour à le faire évoluer. C’est en ce sens que les pédagogues de la fin du xixe se sentent les héritiers des précurseurs de l’éducation moderne122.
77La pédagogie est donc conçue comme une réflexion qui s’applique aux choses de l’éducation, une attitude de l’esprit qu’E. Durkheim, en conclusion de la notice, oppose à un code de règles méthodologiques. H. Marion, de son côté, engage chacun de ces auditeurs à soumettre à un examen personnel les doctrines qu’il expose et les expériences pratiques qu’il relate, ce qu’il appelle « la pédagogie technique123 ». La pédagogie n’est pas un ensemble de recettes, comme le note ailleurs C-V. Langlois124.
78Tant de précisions – la notice est très longue, treize pages d’une typographie très serrée – répondent au souci d’expliquer ce qu’est la pédagogie à une opinion qui l’entend soit comme des préceptes rigides, soit comme des considérations inutiles. C-V. Langlois stigmatise « ces préjugés opiniâtres125 » qui ont particulièrement cours dans le corps professoral, et notamment, note-t-il, parmi les maîtres de l’enseignement supérieur. « Il leur est très difficile de ne pas avoir l’arrière-pensée que les pédagogues sont des gens qui n’ont pas pu être savants et que l’on s’occupe de pédagogie lorsqu’on n’a rien de mieux à faire126 ». Il est certain que c’est cette opinion que le courant moderniste essaie de combattre en donnant une légitimité sociale à la pédagogie, puisque, ne pouvant prétendre ni par son objet ni par ses méthodes être scientifique, elle n’a pas sa place à l’Université en tant que savoir. Mais conçue comme la recherche de changements en matière d’éducation, elle est un des volets de la politique scolaire et universitaire de la Troisième République, indispensable à l’accomplissement de celle-ci. « Restreindre la part de réflexion dans l’enseignement, c’est… le vouer à l’immobilisme127 », note E. Durkheim dans le chapitre premier de son cours, c’est-à-dire ruiner les efforts entrepris depuis les premières lois scolaires de J. Ferry. En fait, E. Durkheim espère susciter une nouvelle foi pédagogique, raisonnée et construite comme la foi laïque, et, comme elle, source d’une action spirituelle et morale beaucoup plus ample que la simple profession d’un savoir, parce qu’elle est la réalisation de l’idéal d’une société, en l’occurrence celui que la République s’est fixé. C’est pourquoi le pouvoir encourage l’enseignement de la pédagogie et cette action est une des facettes du combat laïque. À des échelles différentes, l’objectif est le même, libérer l’esprit des préjugés et des routines et l’élever, par la connaissance, à la liberté de choix, de telle sorte que l’idéal républicain soit l’objet du libre consentement des futurs maîtres et, que régénérant le corps enseignant et s’étendant des parties au tout, il régénère l’organisme scolaire et la société tout entière128. L’Université est donc investie d’une mission pédagogique qui complète sa mission scientifique et pour laquelle se mobilisent les acteurs des réformes de l’instruction publique, et parmi eux, les historiens engagés dans la cause de la rénovation des études.
79En plus des allocutions d’E. Lavisse, une des premières manifestations de la réflexion pédagogique appliquée aux études historiques est constituée par les conférences que G. Monod a données à l’École normale supérieure durant l’hiver 1888-1889. Il en adresse les notes à E. Lavisse qui s’en inspire pour les propositions qu’il soumet à la sous-commission de la section permanente du CSIP, chargée du rapport sur l’enseignement de l’histoire, dans la perspective de la réforme des programmes de 1890. C’est en 1890 également que C. Seignobos est chargé à la Sorbonne des fonctions de maître de conférences de pédagogie des sciences historiques où il met à profit les considérations que lui a dictées son voyage d’études en Allemagne, publiées à partir de 1881 dans la RIE. Une partie de ce cours constitue l’ossature de l’Introduction aux études historiques et de ses appendices.
80L’ensemble de ces documents permet d’établir que les fondateurs des études historiques positives se sont préoccupés de la manière d’enseigner l’histoire. C’est l’aboutissement de leur propre réflexion. À partir du moment où ils assignent à l’histoire la mission éducative que G. Monod rappelle à la fin du premier article de la Revue historique, il importe qu’ils s’interrogent sur la façon de la réaliser en pratique. Ce raisonnement est, nous l’avons vu, sous-jacent à l’articulation même des rapports d’E. Lavisse qui, après avoir exposé le but des études historiques, envisage les principes qui doivent guider l’enseignement – ce qu’il appelle la théorie – et les difficultés de la mise en œuvre – ce qu’il nomme la pratique –. Un autre exemple en est l’itinéraire de C-V. Langlois, prenant la direction du Musée pédagogique, lequel occupe dans la mise en œuvre de la réforme de l’enseignement une place stratégique.
81Cette sollicitude pour les questions d’enseignement conduit les maîtres de l’enseignement supérieur à poser la question de la préparation pédagogique des étudiants qui passent l’agrégation. Pour évaluer l’aptitude à enseigner, au début des années 1880, deux épreuves professionnelles sont organisées : la première est une correction de copies provenant du concours général, épreuve qu’E. Lavisse juge factice entre toutes. La seconde épreuve est une leçon sur un sujet donné vingt quatre heures à l’avance dans les programmes de lycée, qui a pour objectif d’apprécier les principales qualités dont doit faire preuve un professeur. Considérant que ces épreuves n’évaluent pas réellement l’aptitude pédagogique, E. Lavisse va réclamer une véritable préparation au professorat, condition indispensable à ce que l’amélioration de la formation historique porte ses fruits. L’action qu’il mène pour que l’agrégation remplisse sa fonction de recrutement des professeurs de l’enseignement secondaire est, dès lors, une autre facette de la réforme des études universitaires. En effet, la modification des épreuves d’érudition consécutive à l’institution du DES permet de revoir l’architecture générale du concours en 1894. Cependant, en 1899, les dépositions devant la commission d’enquête laissent entendre que le dispositif est encore loin d’être satisfaisant. Non seulement, les leçons semblent bien mal remplir leur rôle d’évaluation des compétences requises pour le professorat, mais encore les candidats n’ont aucune initiation au métier. Faute d’être pris en compte dans le concours, le stage prévu dans les collèges pour sensibiliser les étudiants aux pratiques de l’enseignement, le plus souvent, n’est même pas entrepris129.
82Si la question de la formation pédagogique n’est pas résolue, elle est cependant posée. Pour les plus grands maîtres de la fin du siècle, le progrès de l’histoire et le progrès de son enseignement, de l’Université à l’école, sont complémentaires. Leur devoir est de favoriser l’un et l’autre, et pour eux, il y a, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, une identité des fonctions qui entraîne une étroite association des tâches. Cette conception n’occulte pas la conscience des difficultés de la réalisation pratique. Le risque, souligné par Alice Gérard130, que la professionnalisation du métier d’historien devienne une professoralisation, voire une pédagogisation, qui se fasse au détriment des tâches scientifiques, n’échappe pas aux contemporains. L’enseignement supérieur n’est pas « une instruction secondaire d’un degré un peu plus élevé131 », déclare A. Dumont, tandis que les professeurs des facultés se désolent du temps que leur prennent les examens, et surtout le baccalauréat, ou de la lourdeur des programmes. Mais souvent l’optimisme les porte à croire que l’harmonie est possible, quitte à ce que soit modifié l’ensemble du régime des études et des examens, comme le propose E. Lavisse.
83Sans doute E. Lavisse est-il un cas extrême. C’est tout son être qui vibre de passion pour les questions pédagogiques, parce qu’il aime autant la jeunesse que l’histoire. Cette « bienveillance aux jeunes132 » que Jules Isaac a ressentie s’exprime aussi bien dans les allocutions qu’il fait en tant que directeur d’études à la Sorbonne que dans les discours de la distribution des prix au Nouvion-en-Thiérarche. En outre, devant les enfants de sa commune natale comme devant un parterre de personnalités, à chaque fois c’est un peu de pédagogie qui est en action. « Plus que l’histoire, c’est l’art de la parole qu’il m’enseigna surtout, en maître incomparable ; certes pas un art mineur, pour qui se destine au professorat133 ». Cet éloge de J. Isaac laisse penser qu’une des raisons pour lesquelles E. Lavisse a fait école réside dans ses talents supérieurs de conteur et d’orateur.
84Pour comprendre ce qu’a été l’histoire au début du xxe siècle, il faut avoir en mémoire ce qu’a pu être l’influence des historiens de la méthode sur des dizaines de promotions d’étudiants et, à long terme, un nombre croissant de professeurs de l’enseignement secondaire et universitaire, influence encore accrue par la longévité de leurs carrières. En 1913, au jubilé d’E. Lavisse, Albert Malet, lui rendant hommage, évalue à 1700 ou 1800 ses anciens élèves, sa « famille intellectuelle134 ». Pendant une partie de tout ce temps, G. Monod « règne » à l’École normale supérieure. Il en résulte nécessairement une certaine homogénéisation du corps enseignant, formé par les mêmes règles méthodologiques et la même pratique, rompu à la lecture des mêmes ouvrages. Ce rayonnement renforce en conséquence les études historiques au sein de la culture intellectuelle. Cependant, un tel état de faits n’a été rendu possible que grâce à l’action favorable des pouvoirs publics, à la communauté de vues qui a réuni autour du même projet historiens et hommes politiques.
L’histoire au service d’un projet politique
Le renforcement du sentiment national
85À la différence des peuples qui revendiquent en cette fin de siècle leur identité nationale, une grande partie des Français a le sentiment que la nation française existe. L’école primaire, tant publique que privée, leur a appris l’histoire de la France telle qu’elle s’est déroulée depuis les temps les plus anciens. Bien avant la constitution de l’école méthodique, une historiographie pluriséculaire, comme l’a rappelé Philippe Joutard135, a établi les origines dynastiques de la nation et a contribué à enraciner l’idée de la pérennité de la France, historiographie relayée quelquefois dès le xviie siècle par l’histoire scolaire dans les collèges secondaires, comme le montre la diffusion du traité de l’abbé Le Ragois, Méthode facile pour apprendre l’histoire de France, publié en 1684. Cependant, la véritable officialisation de l’histoire de France dans les programmes de l’enseignement secondaire date du ministère Salvandy (Cf. tableau 1, p. 27). À partir de V. Duruy, la matière de cet enseignement est de nouveau réorganisée, puisque selon l’article 16 de la loi du 16 avril 1867, en rendant l’instruction obligatoire à l’école primaire, tous les élèves de l’enseignement secondaire l’ont déjà étudiée. Aussi est-il possible d’adopter une perspective nouvelle, situant l’histoire nationale au sein d’une histoire universelle. « J’ai disposé le programme de manière à ce que les événements accomplis dans les différents pays s’éclairent et s’expliquent les uns et les autres136 ».
86Les hommes qui, aux lendemains de la défaite, choisissent de faire de l’histoire un moyen d’éducation du sentiment national héritent donc d’un édifice presqu’achevé sur le plan scolaire. Le programme d’histoire, pensé comme un tout réparti chronologiquement sur la totalité des sept années de l’enseignement secondaire, a pour objectif de rendre familiers aux élèves les grands traits de leur histoire depuis le début des temps jusqu’à leur propre époque. Ces principes qui organisent le programme établi par V. Duruy sont inchangés en 1890. À travers la nomenclature des règnes, des régimes et des guerres, l’étude de l’histoire de la France est conduite dans le cadre d’une histoire universelle confondue avec celle de la Chrétienté, où émergent les particularismes nationaux. Elle acquiert ensuite, à chaque année de la scolarité, une place croissante : neuf chapitres sur seize en seconde, seize sur vingt-quatre en rhétorique, pour dominer enfin l’esprit du cours de philosophie organisé autour de la Révolution française et du développement des principes de 1789 (deux parties sur quatre). Assortie d’un ou deux chapitres sur le mouvement des idées, elle permet de mettre en exergue les gloires et le rayonnement français. Aussi peut-on s’étonner que les idées de G. Monod ou d’E. Lavisse se soient coulées avec si peu de difficultés dans le moule façonné par le ministre impérial.
87En fait, le devoir des historiens, tel que le définit G. Monod lorsqu’il fonde en 1876 la Revue historique, n’est pas tant de forger le sentiment national que de « réveiller » la conscience que la nation a d’elle-même, parce que les divisions l’ont affaiblie137. Non seulement la Commune a dressé les Français les uns contre les autres mais des antagonismes profonds traversent le corps social. L’histoire doit donc donner le sentiment des liens qui unissent les générations antérieures aux générations présentes et le sens des solidarités. Étudier l’histoire de France consiste à suivre le récit d’une expérience continue et collective, quels qu’aient été ses soubresauts de sorte que, dans cet héritage, la jeunesse française trouve les ressources de son action future : « Tous se sentiront les rejetons du même sol, les enfants de la même race, ne reniant aucune part de l’héritage paternel, tous fils de la vieille France et en même temps tous citoyens au même titre de la France moderne138 ».
88Cette entreprise appelle une connaissance de plus en plus complète de l’histoire de la nation et de son patrimoine. Aussi les historiens de la méthode se proposent-ils d’encourager les travaux d’érudition et E. Lavisse appelle ainsi les jeunes historiens à se mettre à l’ouvrage et à engranger le plus possible de témoignages. Mais c’est surtout par l’exercice de la critique historique que les historiens de la fin du siècle envisagent de réécrire l’histoire de France et d’en faire une histoire impartiale. Car l’histoire produite jusqu’à présent est, dit E. Lavisse, une histoire de « polémistes », où « on passe (pour) clérical et réactionnaire » ou « terroriste et jacobin139 ». Ainsi les hommes qui gravitent autour de la Revue historique ne mésestiment-ils pas les écueils de l’entreprise mais leur illusion est de croire qu’il suffit de doter les historiens de l’histoire nationale d’outils de travail et de conseils méthodologiques pour qu’ils donnent à la France un récit d’elle-même objectif. C’est pourquoi, pour eux, est direct le chemin qui va de la science au patriotisme : l’histoire qu’ils élaborent sert leur patrie parce qu’elle fait connaître et partager un passé commun, source d’une volonté commune, au sens où E. Renan écrit en 1882 dans Qu’est-ce qu’une nation ? que le « riche legs de souvenirs » est « la garantie de la volonté de vivre ensemble140 ». En ce sens, l’histoire, renforçant l’unité morale, collabore au redressement de la nation.
89Si la recherche apporte sa contribution à l’élaboration d’une histoire qui se fait mémoire de la France, l’histoire scolaire en est, quant à elle, un des vecteurs privilégiés. Mais dans l’enseignement secondaire, l’exigence nationale est confrontée, du moins au niveau de la théorie des programmes, à la nécessité de garder l’équilibre entre la part de l’histoire nationale – le centre de l’enseignement, affirme G. Monod141 – et celle de l’histoire de l’humanité, dont l’étude est traditionnellement la vocation des études secondaires. C’est pourquoi le cours d’histoire se présente comme un cours d’histoire universelle – au sens très européocentrique de l’époque, – qui met l’histoire de la France en regard de celle du monde et inscrit la connaissance de la patrie dans une approche plus large. « En France, sous peine d’une déchéance de notre esprit, nous ne devons ni oublier l’homme dans le citoyen, ni rétrécir, au profit apparent de notre pays, la place de l’humanité142 ». Il nous semble que, dans cet extrait des instructions ministérielles de 1890, rédigées de fait par E. Lavisse, se résume la distinction fondamentale entre la culture du sentiment national telle qu’elle est pratiquée dans les deux ordres d’enseignement, primaire et secondaire. En effet, l’histoire enseignée dans les classes de l’enseignement primaire est exclusivement l’histoire de France, la fonction de cet enseignement étant de munir tous les enfants du pays du minimum de connaissances jugées indispensables. En revanche, la conception même de la culture secondaire, gardienne comme nous l’avons rappelé143 des traditions classiques et de l’esprit français, impose de choisir des horizons plus vastes que ceux de l’hexagone. E. Lavisse met même en garde contre le risque du particularisme ou d’un patriotisme étroit, et ce faisant, vise implicitement l’histoire et l’esprit allemands144 : « La méthode qui prescrit de mettre partout notre pays au premier plan et le monde en prolongement expose l’écolier à des préjugés trop forts. Elle va directement contre le but qu’elle se propose145 ». Plus loin, présentant la partie du programme où les relations de la France avec l’Europe sont vues à travers la politique extérieure, il avertit encore : « Le péril, ici, c’est de laisser l’histoire de l’Europe dans l’ombre de la nôtre » et, citant comme exemple la guerre de Trente ans, il ajoute : « Supprimez la France, cette guerre existera tout de même146 ».
90Sans doute, l’imprégnation de l’enseignement secondaire par les « humanités » et la longévité d’une tradition universaliste que les esprits les plus modernistes respectent expliquent-elles la différence de la tonalité des discours. Le public n’a pas dans les deux écoles les mêmes références culturelles, et on trouverait en vain, dans les nombreux textes qu’E. Lavisse a rédigés pour l’enseignement secondaire ou supérieur, des formules aussi tranchantes que celles qu’il emploie dans la notice « histoire » du Dictionnaire de pédagogie, lorsqu’il écrit à l’intention des maîtres de l’instruction primaire : « s’il – l’élève – ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son drapeau, l’instituteur aura perdu son temps147 ». Mais aussi, vingt ans après, le discours s’est apaisé : les urgences ne sont plus les mêmes, le ressentiment de la « génération de la défaite » s’est atténué. En même temps, le vœu d’E. Lavisse se réalise ; à tous les échelons de l’enseignement, couverte par l’autorité de la science, de l’université et du pouvoir, s’enseigne une histoire des origines de la nation.
91L’histoire scolaire doit donc réunir les jeunes Français autour d’un patriotisme raisonné, cultivé à partir de l’amour de leur pays natal. Celui-ci est pour E. Lavisse une disposition naturelle, voire un instinct148. Il s’agit donc plus, au niveau des études secondaires, de le « renseigner149 » que de l’enseigner, c’est-à-dire, comme le recommandait déjà V. Duruy, de le nourrir de connaissances. Le patriotisme est en effet un sentiment auquel l’histoire, dès le plus jeune âge, doit donner de la vigueur en ressuscitant la poésie et la vie du passé, mais seule la connaissance de la formation du territoire national peut faire de cette pietas erga patriam une démarche consciente et réfléchie, dont l’objectif est de faire comprendre « comment a grandi cette personne qui est la France150 », selon les termes mêmes que G. Monod emprunte à son maître, Michelet. Complétée par l’étude de l’histoire des institutions, champ privilégié des recherches de l’historiographie la plus récente depuis les travaux de Fustel de Coulanges et par celle du rôle de la France dans le monde, cette histoire doit donner à tous les futurs citoyens les mêmes origines, le même passé et les mêmes souvenirs, structurés autour des temps forts qu’en quelques lignes, E. Lavisse rappelle à l’attention des professeurs : la conquête de la Gaule, l’extension du domaine royal et l’ancrage dans un espace qui, autant que l’histoire, définit l’identité française, la lente émergence de la nation française dans la guerre de Cent Ans et les règnes par lesquels la monarchie fit l’unité de la France, enfin l’œuvre de la Révolution, ponctuant celle des siècles passés et établissant le lien entre le monde ancien et le monde nouveau. Mais, replacé en perspective de l’histoire de l’humanité, le caractère généalogique du récit paraît atténué et l’étude de l’épopée nationale semble participer de cette curiosité intellectuelle que les études secondaires doivent provoquer et que l’historiographie contemporaine alimente. Les travaux de Waddington, Rambaud ou Zeller représentent, par exemple, un élargissement réel du champ de l’histoire.
92Pouvait-on vraiment penser que cette entreprise, visant à remodeler la conscience nationale autour de l’attachement à la République en situant cette dernière dans la chaîne des temps, serait conciliable avec la Vérité – le terme est écrit avec une majuscule dans le programme de la Revue historique – ? Si la recomposition du passé a été à l’origine d’une histoire mythologique scrutée par les historiens de notre époque151, pour les hommes de l’école méthodique, la réponse résidait dans la transparence de leurs travaux. E. Renan était plus sceptique. Écrivant « l’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger152 », il soulevait la question des usages de l’histoire.
Une éducation civique
93À partir des lois constitutionnelles de 1875, renforcer le sentiment national nécessite de l’enraciner dans la République et, pour ce faire, de fortifier celle-ci. Aussi le thème de l’unité se déplace du champ strictement national vers le champ politique et social et structure-t-il le message civique que l’institution scolaire véhicule. « Tous fils de la vieille France » et tous Français, les élèves des lycées et collèges doivent se sentir « tous citoyens au même titre de la France moderne », c’est-à-dire de facto tous citoyens de la République. Or, dans cette mission éducatrice, l’histoire a un rôle éminent à jouer parce qu’elle peut montrer que la France moderne était dans la vieille France – « le changement est toujours une transformation d’éléments anciens153 » – et qu’« un lien logique relie toutes ses révolutions154 », ce lien logique n’étant autre que celui qu’établit la chaîne des temps, le flux ininterrompu des événements. Il revient donc à la connaissance historique, élaborée scientifiquement, de rectifier les représentations partisanes et de concourir à rassembler la nation autour de son passé, pour favoriser son ralliement à un régime qui, alors qu’il revendique hautement l’héritage de la Révolution, se proclame « la chose de tous ». C’est cette contradiction du discours républicain que l’histoire, telle que la recomposent les historiens de l’école méthodique, offre les moyens de dépasser.
94La République est dans la Révolution. Tandis que les hommes qui dirigent l’État, fiers qu’en eux et que par eux vivent les idéaux de 1789, proclament cette filiation et font de la Révolution l’événement fondateur de la France contemporaine, dont ils institutionnalisent la célébration et l’étude, le programme du cours de philosophie consacre la première partie au récit événementiel de la Révolution, et la dernière aux principes de 1789, dans une approche très thématique qui a pour but de rendre conscientes les jeunes générations de la richesse du patrimoine que les révolutionnaires ont légué à la France et au monde. L’accent est mis sur les formes politiques et religieuses qu’a prises un siècle après l’idée de liberté, (trois chapitres sur sept) et la question sensible entre toutes de la liberté des cultes est mentionnée. Le principe d’égalité constitue un chapitre intitulé « Idées démocratiques et question sociale », à l’intérieur duquel le socialisme est à traiter. Le tout est couronné d’un résumé sur le rôle de la France dans l’histoire politique, sociale et intellectuelle depuis 1789. La vocation messianique de la France est projetée au grand jour dans un dernier chapitre qui doit, tant la France est grande et universelle, mieux la faire aimer.
95Conscient des oppositions que le programme peut engendrer, et éclairé en cela par l’expérience de V. Duruy qui avait inauguré une histoire en prise sur le siècle, E. Lavisse accorde aux éventuels détracteurs qu’il est difficile155. Mais ce cours est nécessaire, d’une part parce que l’élève de philosophie est le citoyen de demain, d’autre part – et ceci, il ne le dit pas – parce que, sans cette étude, c’est toute l’organisation des programmes qui perd son sens, dans la mesure où l’histoire du xixe siècle est l’aboutissement de « cette force des choses qui a conduit notre pays de l’état où la France appartenait au roi à celui où elle appartient aux Français, pourvus des mêmes droits, chargés des mêmes devoirs156 ». Le cours ponctue donc la longue fréquentation des siècles passés où la Révolution est étudiée comme un trait d’union entre l’Ancien Régime et la République, selon la thèse que G. Monod, prenant parti contre Taine, expose dans la Revue historique. La Révolution est un « fait historique ordinaire », inscrit dans le cadre de l’évolution des États européens vers la démocratie157. Défendue par G. Monod, cette interprétation transparaît également dans la périodisation qu’il propose pour le cours d’histoire contemporaine, lorsque les nouveaux programmes entrent en discussion. Ainsi opte-t-il pour les dates limites de 1715 et 1889, indiquant que « la Révolution française apparaîtrait alors non plus comme le début imprévu d’une crise nouvelle, mais comme la crise centrale d’une évolution158 ». Or cette approche, d’une part en gommant la singularité de l’événement, vise à dépassionner le débat, d’autre part, en niant la rupture introduite par 1789, donne à la République l’épaisseur du temps et une légitimité historique que E. Lavisse compare à celle qu’à d’autres périodes les rois ont pu avoir159. Rallié à la République plus que fervent adepte de cette forme de régime, E. Lavisse tend la main aux nostalgiques de la vieille France : « on peut aimer toute la France sans manquer à ses obligations envers la République160 ».
96Soudant les forces vives de la nation autour d’un passé partagé, source d’une volonté commune de vivre ensemble, l’histoire les initie à « apporter à la politique un esprit bien mieux préparé161 ». Traitant la question de l’utilité de l’histoire, G. Monod déclare à ses étudiants : « Une fois convaincu de deux choses : que le présent est indissolublement lié au passé et que l’histoire ne se répète jamais, on unit au respect du passé le désir du progrès ; on est également préservé de l’esprit de réaction comme de l’esprit de révolution. L’histoire ne peut prétendre vous enseigner des opinions politiques ; elle vous enseigne à apporter à la défense de vos opinions un esprit de sagesse, de critique et de modération162 ». La connaissance historique est donc, par sa nature même, civique et pédagogique et cette conception est exprimée avec des termes similaires sous les plumes de E. Lavisse et de C. Seignobos. Ainsi C. Seignobos écrit-il à propos de l’étudiant qui aura suivi le cours sur les institutions : « d’instinct il se tiendra entre l’esprit révolutionnaire et l’esprit de routine, dans la voie des progrès possibles163 ». L’histoire trace la voie du juste milieu entre l’immobilisme et l’activisme révolutionnaire, l’un et l’autre condamnés parce qu’ils s’inscrivent contre le cours du temps : l’immobilisme nie le changement, l’activisme révolutionnaire brise avec le passé. La voie juste est celle des réformes modérées qui renforcent l’unité du corps social. Toute une idéologie des solidarités, notamment horizontales entre membres de la même société, à laquelle G. Monod donne la caution de l’histoire, entretient, face au socialisme, le projet d’une société plus fraternelle. Développé par L. Bourgeois, ministre de l’Instruction publique en 1890, ou H. Marion164, le solidarisme propose un nouveau contrat social que l’étude de l’histoire légitime en le situant dans une évolution irréversible.
97Ancrée dans l’actualité de la Troisième République, la question de la culture historique prend une dimension particulière quand on considère la population des établissements secondaires, appelée non seulement à exercer ses droits civiques comme tout Français mais encore à assurer la direction politique du pays. L’histoire doit rendre les élèves aptes à remplir leur rôle dans la vie publique. Elle est, pour eux, un instrument de culture sociale. Présenté par C. Seignobos, dans l’appendice de l’Introduction aux études historiques, comme le but principal de l’histoire dans l’éducation, le thème de la culture sociale est souvent repris au tournant du siècle. En effet, le contexte politique se durcit. Nombre d’historiens ont choisi leur camp au moment de l’Affaire Dreyfus165. Monod, Langlois, Seignobos, Thalamas, Gallouédec, alors professeur agrégé, prennent la cause de Dreyfus, sont parmi les fondateurs en 1898 de la Ligue pour la défense des droits de l’homme et s’engagent dans des actions d’éducation populaire. La virulence des attaques de l’extrême-droite et la crainte de l’éclatement social mettent au premier plan, sous toutes ses formes, la nécessité de préparer les citoyens à exercer leurs fonctions civiques dans la démocratie du xxe siècle. Or, le maniement du verbe auquel les études classiques ont préparé les élèves de l’enseignement secondaire, le niveau de culture générale qu’ils ont acquis, les prédisposent à remplir ce rôle d’intermédiaires entre la masse et l’avant-garde que C. Seignobos évoque166 et qui reproduit dans la vie politique la situation médiane de l’enseignement secondaire au sein des autres ordres. On peut traduire que, dans un régime parlementaire comme celui de la Troisième République, le destin des meilleurs élèves des lycées peut être celui d’homme politique, d’électeur et d’élu ou de publiciste. Quelle que soit exactement leur fonction, il leur reviendra d’agir sur l’opinion par leur activité et leur exemple.
98En effet, la connaissance historique, enseignant ce qu’il est ou non possible de changer et par quels procédés, peut préparer à l’action. C. Seignobos définit celle-ci comme « la transformation de la société dans le sens qu’il – l’homme instruit par l’histoire – regarde comme le plus avantageux167 », le plus avantageux non par rapport à un jugement personnel mais par rapport à l’intérêt général. Ces considérations dictent à C. Seignobos un véritable programme d’éducation politique, terme qu’il emploie en 1907 à la place de celui de culture sociale. L’homme instruit par l’histoire, et donc l’élève du secondaire, est présenté comme un citoyen modèle, parce qu’il est guéri du misonéisme, cette aversion pour le changement qui n’est que « mélange d’ignorance et de nostalgie du passé », compétent et prévenu contre les menées révolutionnaires, puisqu’il sait ce qu’on peut changer vite et ce qu’on ne peut modifier que graduellement, et enfin responsable et indépendant puisqu’il forge son opinion à partir de la connaissance. Il revient donc à l’histoire de doter les élèves d’un bagage cognitif sur les sociétés, leurs usages, leur fonctionnement et leur évolution et de leur apprendre « les mots de la langue politique », c’est-à-dire de les pourvoir « d’un instrument qui leur (permettant) de parler politique – et de penser politique – avec précision168 », leur fournisse les moyens d’agir sur le réel.
99Sans doute, peut-on lire dans ce langage déterminé la marque personnelle de C. Seignobos qui n’hésite pas à prendre parti, comme en témoigne son attitude lors de l’affaire Dreyfus. Mais C. Seignobos exprime aussi l’idéologie de la République qui, confrontée au tournant du siècle à la violence du combat politique et à la renaissance de l’opposition anti-parlementaire, fourbit dans ses écoles les armes de la démocratie, l’exercice de la libre opinion et de la parole, et renoue ainsi avec l’idéal de l’éducation antique, la paidéia qui enseignait le sens de la communauté civique et de ses valeurs. De même, dans les projets éducatifs de la République, la formation civique et la formation morale constituent un tout indissociable : « le professeur d’histoire a le droit d’être moraliste, il en a le devoir169 ». L’enjeu pour les républicains est la crédibilité même de l’enseignement laïque, présenté par ses adversaires comme un enseignement sans morale, et la capacité du régime de rassembler autour d’une nouvelle éthique les forces du pays. C’est pourquoi le thème de la culture sociale occupe une place de choix dans les délibérations sur les nouveaux programmes, à l’intersection de la traditionnelle vocation rhétorique de l’enseignement secondaire et de considérations pragmatiques.
100La mise en œuvre de ces principes, dans l’enseignement dont la spécificité était la formation intellectuelle et désintéressée des jeunes gens de l’élite, ne pouvait être qu’une œuvre de longue haleine. Ébauchée sous le ministère de V. Duruy, elle est poursuivie par les plans d’étude de 1880 et 1890 et, à la fin du siècle, ses principes inspirent la réflexion sur la rénovation des études historiques envisagée dans le cadre plus large de la restructuration des études secondaires. Mais la préparation à la compréhension du monde contemporain reste une question très débattue, comme en témoignent les dépositions orales à la commission d’enquête de 1899. En effet, la partie du cours de philosophie « Développement et transformations des principes de 1789 », dont on a vu toute l’importance pour les concepteurs du programme de 1890, concentre les mécontentements. A. Aulard se fait l’écho de ses anciens élèves devenus professeurs qui se sont heurtés à des parents réactionnaires. Notant que les proviseurs et l’administration ne soutiennent pas les professeurs, il conclut que ces derniers « hésitent à faire cet enseignement et mettent une sourdine à l’expression des principes de la Révolution française dans l’enseignement de l’histoire170 ». On peut comprendre que, personnellement, il s’en indigne ! A. Thalamas s’inquiète d’un enseignement dogmatique qui cherche à établir « une règle indiscutée en toutes choses, qu’elle soit religieuse hier, politique aujourd’hui171 ». A. Malet, déclarant qu’il serait absolument nécessaire de faire un enseignement politique, se voit rétorquer par le président de séance : « Vous entendez politique, c’est-à-dire politique étrangère naturellement ? – et répond : « J’entends politique dans le sens d’éducation politique devant préparer le citoyen, dans son sens étymologique172 ». On peut, à partir de ces témoignages déjà divers alors que les interlocuteurs appartiennent plus ou moins au réseau lavissien, penser que la corporation éducative est divisée et que les positions n’ont guère évolué depuis l’enquête de 1871. Seule de toutes les facultés, en effet, celle de Besançon réclamait expressément le maintien du cours d’histoire contemporaine qu’avait introduit V. Duruy, tandis que beaucoup d’entre elles – et le rapport cite Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Aix, Clermont – souhaitaient que lui soit substitué un cours nouveau173. L’ouverture des programmes à la vie, leur ancrage dans le siècle, rompent avec l’image de la culture classique qu’a d’autant mieux intériorisée le corps professoral qu’il s’en est nourri. Les opinions les plus hostiles reprennent l’argument selon lequel, l’histoire étant une étude d’âge mûr à l’écart de laquelle les enfants doivent être tenus, il est dangereux d’introduire dans les programmes l’agitation du monde. C’est mettre en péril la paix intérieure des élèves et, en conséquence, l’ordre intérieur des établissements. Certes, les choix idéologiques qui président à l’organisation de la matière historique dans l’enseignement d’État peuvent difficilement dissuader tous ceux qui continuent de penser que l’histoire est une discipline suspecte. Même si certains travaux ont permis de dégager des points communs174, l’histoire enseignée dans les établissements publics se forge par opposition à celles que transmettent les institutions voisines placées sous la houlette des autorités ecclésiastiques. Aussi l’histoire que la République cautionne en la faisant enseigner entend-elle fonder sa différence sur les résultats impartiaux de la science et de la méthode.
Une histoire serve ?
101Lors de la leçon d’ouverture du cours d’histoire moderne de la faculté de Strasbourg, le 4 décembre 1919, Lucien Febvre proclame : « L’histoire qui sert, c’est une histoire serve. Nous ne sommes pas les missionnaires débottés d’un Évangile national officiel, si beau, si grand, si bien intentionné qu’il puisse paraître… La vérité, nous ne l’amenons point captive dans nos bagages, nous la cherchons. Nous la chercherons jusqu’à notre dernier jour175 ». Réfutant, face au monde en ruines qu’a laissé la guerre, l’idée selon laquelle l’histoire trouve sa justification dans son utilité nationale, L. Febvre aborde la question des fins de l’histoire qu’aucun de ses prédécesseurs n’a éludée. L’histoire peut-elle avoir d’autre fin que la Vérité ? « L’histoire ne sert à rien176 », disait Fustel de Coulanges qui croyait possible d’élaborer une science pure.
102S’interroger sur l’utilité de l’histoire ne se pose pas dans les mêmes termes selon le registre de l’activité historienne qu’on prend en considération. Car si la recherche n’est pas subordonnée à une utilisation particulière, l’histoire n’existe comme discipline d’enseignement que si elle répond aux besoins de l’institution éducative. Il y a donc un paradoxe entre les buts de la recherche et ceux de l’enseignement, paradoxe qui a d’autant moins échappé aux contemporains qu’ils avaient l’ambition d’élever l’histoire au statut de science et donc de ne l’asservir à aucune autre préoccupation. Définissant le but et la méthode de l’histoire lors de l’ouverture du cours d’histoire grecque à la Sorbonne à partir de sa propre expérience de chercheur et d’enseignant, G. Glotz déclare177 : « Subordonner l’histoire aux nécessités pédagogiques en y voyant surtout un moyen de perfectionnement intellectuel et moral, c’est la condamner à dépendre toujours du but variable que les générations successives assigneront à l’éducation » ; et plus loin, « L’histoire qu’on condamne à devenir l’humble servante de la pédagogie est une histoire dont on ne veut pas qu’elle soit une science ». Pour lui, l’histoire a mieux à faire et il dresse tout un programme qui, dépassant la seule constatation des faits pour « rechercher les rapports qui doivent exister entre les diverses formes de l’activité humaine », annonce déjà les inflexions de la production historique.
103Cependant, les historiens de l’école méthodique ont cru que l’opposition entre une histoire scientifique et une histoire appliquée à l’éducation pouvait être surmontée dans la mesure où la seconde, s’appuyant sur les apports de la première, en était une image réduite et simplifiée, mais fidèle. Les professeurs n’enseignent que ce que la méthode critique peut établir comme étant des faits incontestés et donc incontestables. L’histoire n’enseigne que des vérités positives, fondées sur des connaissances objectives. C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle a sa place dans l’instruction publique telle que Condorcet l’avait présentée le 20 avril 1792 à l’Assemblée Législative : « La première condition étant de n’enseigner que des vérités… ».
104Au nom de ce principe de vérité, les modernistes de l’Université engagent les professeurs à montrer, exposer, « faire saisir », mais à ne proposer ni conclusion, ni jugement. L’élève ne peut, pensent-ils, que se soumettre, comme l’historien, au consentement des faits, à leur évidence rationnelle. Les conclusions de l’enseignement historique doivent être exclusivement, note G. Monod, des « généralisations fondées sur l’étude impartiale des faits178 ». L’effacement du maître est donc comparable à celui de l’historien face aux sources : le professeur n’a pas à proposer des interprétations car il empièterait sur le domaine des convictions personnelles.
105On ne peut cependant qu’être frappé par les contradictions internes de ce discours. À l’abri du rempart que constitue la scrupuleuse transposition de l’histoire érudite, les professeurs d’histoire ne sont pas moins sur la corde raide et E. Lavisse concède que la culture du sentiment national est délicate179. Tout ne procède pas en effet de la connaissance rationnelle. Faire aimer les Français, faire aimer les hommes s’adresse autant au cœur qu’à l’intelligence. Comment inspirer de la sympathie pour les générations passées, comment évoquer les gloires et les douleurs communes dans une matière qui veut se contenter d’exposer les faits ? E. Lavisse lui-même ne dit-il pas : « N’enseignons point l’histoire avec le calme qui sied à l’enseignement de la règle des participes180 » ? Certes, cette phrase s’adresse à de futurs instituteurs, mais n’incite-t-elle pas à mettre un peu de passion dans l’enseignement historique ? G. Monod et E. Lavisse engagent donc les enseignants à un pari, sinon impossible, difficile : celui de composer l’impartialité et la foi dans le progrès, l’objectivité de la science et les motifs d’agir et de croire en l’avenir que représente pour une société la transmission aux plus jeunes de son patrimoine d’expériences.
106Faire de l’instruction de l’histoire un enseignement de vérité est d’autant plus complexe que la logique du cours évacue la partie la plus féconde de l’activité historique, l’exercice de la méthode qui, pour les historiens positivistes, est la meilleure école de civisme par l’état d’esprit qu’il forge. Les élèves, en effet, n’accèdent qu’aux résultats de la recherche. Or la transmission de connaissances données pour vraies, parce que vérifiées, d’où est chassée toute allusion à des appréciations divergentes, afin de ne pas « transformer les classes en un champ clos de disputes passionnées et irritantes181 », n’incite ni à la réflexion ni à la pratique du questionnement. Car si, en bons disciples de Descartes, les initiateurs de la réforme n’envisagent guère une formation intellectuelle qui ne fasse pas de place au doute méthodique, G. Monod, en recommandant : » Qu’on prenne garde de ne jamais faire de l’histoire un enseignement de scepticisme182 ! », donne bien pour cette discipline la priorité à l’exigence de vérité, parce que la vie des hommes en constitue le socle. Un siècle après, face aux entreprises négationnistes, cette remarque de G. Monod n’a rien perdu de sa pertinence profonde.
107Les historiens les plus impliqués dans le mouvement de réforme du xixe siècle ont vu l’histoire comme une éducatrice au-dessus de tout soupçon. « L’enseignement historique, sans que nous y songions, sera éminemment scientifique, civique et moral183 ». Mais supposer que, parce qu’elle cherche sur le plan scientifique à atteindre le vrai, l’histoire fonde, en elle-même, sur le plan moral, le bien et prépare le futur citoyen à la clairvoyance, était placer des ambitions démesurées dans la science et la vérité vues comme des entités absolues et, ce faisant, ne pas faire la part entre ce qui relevait du travail de l’historien et ce qui relevait du système de valeurs de la République. Ainsi, les historiens de l’ère scientiste ont-ils cautionné de leur autorité professionnelle une histoire qui était une éducation à la République mais qui leur paraissait protégée du risque d’être la servante d’une politique « militante et quotidienne, au service d’intérêts particuliers184 », d’une part à cause de l’idée qu’ils se faisaient de la République, d’autre part parce que l’éducation historique leur paraissait fondamentalement laïque. En effet, aborder les questions du point de vue historique était garantir l’indépendance de la pensée, faire procéder de la connaissance ce qui pouvait relever des enjeux d’opinion, que celle-ci fût d’origine confessionnelle ou politique. Montrer les choses humaines dans leur évolution et leur diversité, c’était non seulement éveiller à la tolérance de toutes les religions et les idéologies mais provoquer une adhésion raisonnée au régime et aux principes qui le fondaient, consentie, quelles que fussent les convictions personnelles, et faire de la laïcité autant un ferment d’unité que de progrès. Telle était bien la logique du cours de la classe de philosophie, point final d’une étude qui avait pour objectif de présenter les notions générales de la politique non comme un nouveau dogme, mais comme des réalités explicables et compréhensibles forgées au cours de l’histoire, de les traiter « de façon théorique, mais avec l’appui des faits185 », afin de leur donner le statut de connaissances scientifiques.
108Cependant, comme dans les écoles primaires, la laïcité de l’instruction supposait la neutralité des établissements secondaires et de leur personnel. La neutralité est religieuse, et elle est politique puisqu’aucun prosélytisme, aucun intérêt privé n’a sa place dans des établissements d’État. Les règles de conduite sont les mêmes pour les professeurs que pour les instituteurs. « Toute immixtion dans la politique au sens étroit du mot, c’est-à-dire dans les luttes de la vie politique locale, doit être évitée avec le plus grand soin186 ». De fait, l’Administration se donne les moyens de veiller à cette injonction de F. Buisson et consigne scrupuleusement dans les dossiers personnels des professeurs toute trace de leur activité en dehors du lycée. La participation à des journaux ou à des conférences publiques fait l’objet de rapports circonstanciés envoyés au recteur par le chef d’établissement dans la mesure où elle est une entorse au devoir de réserve187. Quant à l’action militante, elle est sévèrement jugée. Un professeur agrégé du lycée de Saint-Brieuc est signalé comme une « brebis galeuse » en raison de sa politique socialiste188. Il semble que seuls, les personnages d’envergure échappent à des critiques aussi acerbes. Mais leurs faits et gestes sont également scrupuleusement notés. Tous les engagements d’A. R… figurent par exemple dans son dossier, son appartenance à la Libre pensée, au cercle Paul Bert, à la section rennaise de la Ligue des droits de l’homme, à celle de la SFIO, au comité radical et socialiste, au cercle républicain départemental d’enseignement laïque189. Si le proviseur semble s’inquiéter en 1906 que R… ne tienne pas sa réserve politique, les rapports ultérieurs signalent que son activité ne nuit pas à son enseignement. Les cours d’éducation populaire qu’il donne, les manifestations auxquelles il participe plus tard en tant que conseiller municipal ne provoquent pas de désaveu ouvert. Ainsi s’agit-il d’un cas atypique mais même une telle personnalité est étroitement surveillée.
109Il n’est pas rare également que, sur demande du préfet, les antécédents politiques des professeurs soient examinés lorsqu’ils arrivent dans un nouvel établissement, notamment dans les collèges communaux davantage exposés, du fait de leur gestion, aux susceptibilités locales190. Mais quelquefois, la demande provient du ministère même de l’Instruction publique. Ainsi les archives du lycée de Rennes gardent-elles la trace de télégrammes envoyés au préfet d’Ille-et-Vilaine par lesquels le directeur de cabinet du ministre s’enquiert de l’attitude politique des professeurs191. La réponse formulée toujours dans des termes analogues, à savoir « une attitude politique des plus correctes » ou « très correcte », ce qui signifie, est-il précisé une fois, que le professeur « se tient en général en dehors des manifestations politiques », laisse penser que le « politiquement correct » ne date pas d’aujourd’hui.
110Tant la formation intellectuelle et méthodologique que le contexte administratif incitent donc les enseignants à la prudence et à la modération. L’histoire établit des faits dont la valeur éducative doit être enseignée sans emphase. Un bon professeur « sait dégager la moralité des faits192 ». « Il suffit de montrer les faits et leur laide réalité, avec leurs néfastes conséquences. Un récit loyal de la révocation de l’édit de Nantes, un exposé sincère de ses conséquences ne peuvent pas ne pas provoquer de réflexions chez les enfants, ne pas éveiller en eux l’idée de la nécessité, de l’utilité pratique de la tolérance193 », déclare A. Malet. Mais les contradictions ne sont pas loin, chaque adjectif traduit un jugement de valeur et, avec la plus grande innocence, A. Malet ajoute quelques instants après : « Je ne me suis pas privé de dire, je ne me suis pas davantage privé d’imprimer que la Saint-Barthélémy était une page hideuse, peut-être la plus hideuse de notre histoire ». Or la récurrence de la question, l’accent mis sur les effets bénéfiques de la formation historique du point de vue intellectuel et moral indiquent bien qu’en filigrane le débat fondamental est loin d’être résolu : la politique doit-elle affleurer dans l’histoire scolaire ? Peut-on se contenter d’évacuer la question comme le faisait E. Lavisse, répondant aux objections relatives au programme de la classe de philosophie en ces termes : « C’est sans doute de la politique, mais le moyen n’a pas encore été trouvé de distinguer entre l’histoire et la politique194 » ?
111Toute élaboration de nouveaux programmes réactive les controverses puisqu’à chaque fois, se pose la question de la définition des contenus en fonction de la trinité de la finalité éducative de l’histoire, intellectuelle, morale et civique. Or si la tradition historiographique et scolaire tend globalement à la stabilité du savoir enseigné, comme le montre la continuité des programmes de 1865 et de 1880 ou 1890, chaque remodelage des programmes se veut une réponse à un besoin social déterminé. Ainsi, au début du xxe siècle, en pleine crise de la conscience française, les concepteurs du nouveau cours agencent-ils la matière historique de façon à ce qu’elle soit le soubassement d’une culture sociale active, commune à tous les futurs cadres de la nation. Mais il est aussi nécessaire, parce qu’il s’agit de l’enseignement secondaire, que l’histoire reste une discipline, c’est-à-dire un moyen de développer les qualités intellectuelles que les humanités forgeaient jusqu’alors. La réforme des études secondaires en 1902 offre donc l’occasion d’harmoniser cette double exigence en rendant, du fait des modifications de l’organisation générale, les programmes de 1 890 caducs.
Notes de bas de page
1 « Chronique de l’enseignement », RIE, t. 18, année 1889, n° 2, p. 610-614.
2 BAIP, 1890, supplément au n° 922, p. 475.
3 Chartier (R.), Compere (M.M.), Julià (D.), L’éducation en France du xvie au xviiie siècles, Paris, SEDES, 1976.
4 D’alembert, Article « Collège », l’Encyclopédie, publié dans la « Revue rétrospective des ouvrages de l’enseignement », RIE, t. 1, 1881, 1, p. 70-77.
5 Furet (F.), « La naissance de l’histoire », H-Histoire, mars 1979, n° 1, p. 11-41.
6 BAIP, n° 165, 1863, p. 299 sq.
7 Cette formulation est répétée deux fois dans la circulaire. Elle reprend en d’autres termes, l’idée que V. Duruy avait développée le 10 août 1863 lors du discours de la distribution des prix du Concours général. Il s’était ainsi exclamé : « Les élèves ignorent la société dont ils deviennent membres actifs, son organisation, ses besoins, ses désirs, les grandes lois qui la régissent et quel esprit de justice l’anime et la conduit. Les meilleurs sont, par leurs études, contemporains du siècle de Périclès, d’Auguste et de Louis XIV. Aucun ne l’est de Napoléon III ».
8 BAIP, n° 456, 1880, p. 923-973.
9 BAIP, n° 456, 1880, p. 923-973.
10 BAIP, n° 615, 1884, p. 361-363. La circulaire du 13 septembre 1884, fixant la durée hebdomadaire des heures des classes dans l’enseignement secondaire classique à vingt par semaine et la vacance du jeudi, les horaires d’histoire sont rapportés à deux heures par semaine dans toutes les classes.
11 Le chiffre que donne le résumé rétrospectif de l’Annuaire statistique de la France, Paris, INSEE, 1966, est de 73 311 en 1881.
12 Appel du comité d’organisation, RIE, t. 17, année 1889, n° 1, p. 534 sq.
13 Prost (A.), Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, 1968.
14 Note lue par E. Lavisse à l’Assemblée générale du 23-4-1881, RIE, t. 1, 1881, n° 1, p. 105.
15 Ibid.
16 Revue de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur, t. 1, 1884, n° 1, p. 3.
17 Seignobos (C.), Programme du Bulletin universitaire de l’enseignement secondaire, janvier 1891, n° 1, p. 5-10.
18 Ces derniers sont au nombre de 11 dans le Comité de patronage et de rédaction qui comprend 24 membres.
19 Nous choisissons d’adopter l’orthographe usuelle à la fin du xixe siècle.
20 Nora (P.), « Ernest Lavisse : son rôle dans la formation du sentiment national », Revue Historique, t. 228, juil.-sept. 1962, p. 73 à 106.
21 Nora (P.), « Lavisse instituteur national », Les lieux de mémoire, t. 1, La République, Paris, Gallimard, 1984-1993, p. 247-291.
22 La plupart de ces articles paraissent dans le cadre du Bulletin historique consacré à la France, dans la sous-section consacrée aux questions d’enseignement.
23 Rebérioux (M.), « Histoire, historiens et dreyfusisme », Revue historique, t. 255, avril-juin 1976, p. 407-431.
24 Liard (L.), « Jubilé de M. E. Lavisse », RIE, t. 65, année 1913, n° 1, p. 113-116.
25 BAIP, n° 918, 16-8-1890, p. 247-254.
26 BAIP, n° 960, 13-6-1891, p. 582.
27 Jaurès (J.), « Le capitalisme et la classe moyenne », 10 mars 1889, Œuvres, Études socialistes, I, Paris, 1931. Cité par Charle (C.), Naissance des « intellectuels » 1880-1900, Paris, Éd. de Minuit, 1990, p. 75.
28 À partir de 1901, Ribot passe dans l’opposition. Attaché fermement à la liberté d’enseignement, il combat la loi sur les associations votée le 2 juillet 1901.
29 JO, Documents parlementaires, Chambre des députés, Annexe n° 866 au procès verbal de la 2e séance du 28 mars 1899, t. 1.
30 Langlois (C.V.), La question de l’enseignement secondaire en France et à l’étranger, Paris Société nouvelle de librairie et d’édition, 1900, p. 15.
31 JO du 7 juillet 1899. Documents parlementaires, Chambre des députés. Annexe n° 866, Réponses écrites des inspecteurs d’académie, p. 1851.
32 Follioley (L’Abbé – dernier proviseur ecclésiastique des lycées de France), Mémoires de la société historique et archéologique de Bretagne, t. XVIII, 1990, p. 195-200.
33 Remarque : sont comptabilisés, dans la statistique de la commission d’enquête, les élèves des classes élémentaires et des classes préparatoires, comme celle de Saint-Cyr à Brest par exemple.
34 Briand (J.P.) et Chapoulie (M.), Les collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et le développement de la scolarisation prolongée pendant la IIIe République, Toulouse, INRP-CNRS, 1992.
35 Ribot (A.), Discours du 13-2-1902, Quatre années d’opposition, Discours politiques 1901-1905, Paris, Plon, p. 273.
36 JO, Documents parlementaires, Chambre des députés, Annexe n° 1196, SE-21 janvier 1900. Rapport de M. Perreau, député, p. 431.
37 Fouillée (A.), Les études classiques et la démocratie, Paris, A. Colin, 1898.
38 Lettre adressée par le ministre au Président de la Commission de l’enseignement de la Chambre des députés, BAIP, n° 1504, 1.2 – 1902, p. 97-106.
39 Bréal (M.), « Allocution à la société d’enseignement secondaire », RIE, t. 15, 1886, n° 1, p. 180-184.
40 Frédéricq (P.), « L’enseignement supérieur de l’histoire à Paris, notes et impressions de voyage », RIE, t. 5, 1883, n° 1, p. 743-798.
41 Gréard (O.), « Inauguration de la nouvelle Sorbonne », RIE, t. 18, 1889, 1, p. 199-202.
42 Goblot (E.), La barrière et le niveau, Paris, PUF, 1925.
43 Isambert-Jamati (V.), Les savoirs scolaires, op. cit., p. 62.
44 Schiller (H.), « La réforme de l’enseignement secondaire en Prusse en 1892 », RIE, t. 26, année 1893, 2, p. 481-505.
45 Ribot (A.), Discours du 13-2-1902, Discours politiques, op. cit., p. 277.
46 Ibid., p. 268.
47 Ibid., p. 277.
48 Journal Officiel, 1899, Documents parlementaires, Chambre des députés, Annexe n° 866, t. 1, p. 435-444.
49 Gildea (R.), « L’enseignement en Bretagne au xixe siècle : l’Ille-et-Vilaine (1800-1914) », ABPO, t. 84, année 1977, N° 3, p. 457-479.
50 Isambert-Jamati (V.), Les savoirs scolaires, op. cit., p. 62.
51 Gérard-Varet (L.), Discours prononcé à la distribution des prix du lycée de Nantes, RIE, t. 65, 1913, 1, p. 227-230.
52 Lavisse (E.), Souvenirs, Paris, Calmann-Lévy, éd. 1912.
53 Lavisse (E.), Souvenirs, Paris, 1912, p. 225 sq.
54 Ribot (A.), Discours du 13-2-1902 in Discours politiques, op. cit., p. 280.
55 Weisz (G.), The Emergence of Modern Universities in France (1863-1914), Princeton, Princeton UP, 1983.
56 Ferry (J.), Discours à la Chambre des députés, 6-6-1889, in Mopin (M.), Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours, Paris, La Documentation française, 1988.
57 Ribot (A.), Discours du 13-2-1902, Discours politiques, op. cit., p. 268.
58 Gréard (O.), « La question des programmes », RIE, t. 9, 1885, 1, p. 146-159 ; p. 232-253.
59 Langlois (C.V.), La question de l’enseignement secondaire en France et à l’étranger, Paris, 1900.
60 Liard (L.), « Le nouveau plan d’études de l’enseignement secondaire », RIE, t. 44, 1902, 2, p. 499-502. Liard (1846-1917), agrégé de philosophie, succède en 1902 à Octave Gréard comme vice-recteur de l’Académie de Paris. Chargé des questions de l’instruction publique en 1874 à la mairie de Bordeaux, il est, en 1880, recteur de Caen, puis directeur de l’enseignement supérieur de 1884 à 1902.
61 Labroue (H.), Discours prononcé au lycée de Toulon, RIE, t. 53, 1907, 1, p. 330-338. M. Labroue traite, devant son auditoire, la question, posée naguère à ses élèves : « Pourquoi pensez-vous qu’on vous enseigne l’histoire ? ».
62 Lavisse (E.), Souvenirs, op. cit., p. 283.
63 Ce passage est cité par Falcucci dans L’humanisme de l’enseignement secondaire, Toulouse, Privat, 1939.
64 Renan (E.) Préface de L’avenir de la science, 1890, Œuvres complètes, t. III, Paris, 1947-1961.
65 Monod (G.), « Les études historiques en France », RIE, t. 18, 1889, n° 2, p. 587-599.
66 Carbonell (Ch.O.), Histoire et historiens, une mutation idéologique des historiens français, 1865-1885, Toulouse, Privat, 1976.
67 Ibidem.
68 Monod (G.), « Du progrès des études historiques en France », Revue Historique, t. 1, 1876, n° 1, p. 5-38.
69 « Au lieu de considérer l’érudition et la littérature comme des sœurs ennemies, on les regarde comme des alliées nécessaires », RIE, t. 18, 1889, n° 2, p. 599.
70 Seignobos (C.), « L’enseignement de l’histoire dans les facultés », (I), RIE, t. 6, 1883, 2, p. 1076 à 1088.
71 Ibid., (IV), RIE, t. 8, 1884, 2, p. 97-111.
72 Monod (G.), « Du progrès des études historiques en France », Revue Historique, t. 1, 1876, n° 1, p. 5-38.
73 Parmi les nombreux articles de L. Febvre où ce procès a été instruit, on peut retenir « L’histoire historisante », Annales E.S.C., 1947, repris dans Combats pour l’histoire, Paris, A. Colin, 1953, p. 115-119.
74 Seignobos (C.), (III), RIE, t. 8, 1884, 2, p. 35-60. « En attendant ce jour que, ni vous ni moi ne verrons, il faut s’accomoder au présent ».
75 Ibid., (I), p. 1080.
76 Ibid., (IV), p. 109.
77 Langlois (C.V.), Seignobos (C.), Introduction aux études historiques, Paris, Hachette, 1897.
78 Lavisse (E.), « Questions d’enseignement national », RIE, t. 9, 1885, 1, p. 1-17.
79 Monod (G.), « La pédagogie historique à l’École normale supérieure en 1888 », RIE, t. 53, 1907, 2, p. 199-207. Un extrait de ce document figure dans l’annexe 2 (texte 1).
80 Ibidem, p. 202-203.
81 Ibid., p. 203.
82 RH, t. 1, 1876, 1, p. 38.
83 Monod (G.), « Les études historiques en France », RIE, t. 18, 1889, 2, p. 587-599.
85 RH, t. 1, 1876, 1, p. 1-38.
86 Lavisse (E.), « Questions d’enseignement national », RIE, t. 9, 1885, 1, p. 3 sq.
87 Statistique de l’enseignement supérieur, Ministère de l’Instruction publique 1878. L’absence de règlement pour les formalités d’inscription rend le chiffre seulement indicatif.
88 Renan (E.), « L’instruction supérieure en France », Œuvres complètes, t. 1, Paris, 1947-61, p. 76-77.
89 Liard (L.), L’enseignement supérieur en France, Paris, A. Colin, 1894.
90 Liard (L.), « La nouvelle Université de Paris », Revue de Paris, 1908, n° 3, p. 449 à 481.
91 Lavisse (E.), Questions d’enseignement national, Paris, A. Colin, 1885.
92 Ibid., p. 7.
93 Dumont (A.), « Notes sur l’enseignement supérieur en France », RIE, t. 8, 1884, 2, p. 193.
94 Lavisse (E.), « L’enseignement historique en Sorbonne et l’Éducation nationale », Questions d’enseignement national, p. 11.
95 Ibid., « L’enseignement et les examens », discours prononcé à l’Université, le 12-8-1884, op. cit.
96 Ibid., « L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », op. cit., p. 21.
97 Marion (H.), « Le mouvement des idées », RIE, t. 18, année 1889, 2, p. 293-300.
98 Lavisse (E.), Questions d’enseignement national, p. 2-3.
99 Ibid., « L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », p. 16.
100 Statistique des facultés des lettres, RIE, t. 6, 1883, 2, p. 1187.
101 Lavisse (E.), « L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », p. 23.
102 Ibid., p. 24.
103 Monod (G.), « Les études historiques en France », RIE, t. 18, 1889, 2, p. 587-599.
104 BAIP, arrêté du 5 novembre 1877.
105 BAIP, n° 1123, 1894, Arrêté du 28 juillet, p. 190-199.
106 Lavisse (E.), Questions d’enseignement national, op. cit., p. 6.
107 Ibid., p. 28.
108 Langlois (C.V.), « L’enseignement supérieur de l’histoire », Introduction aux études historiques, Paris, 1897.
109 BAIP, n° 265, 1872, Circulaire du 10 octobre 1870 relative à l’enseignement de l’histoire et de la géographie, p. 306.
110 BAIP, n° 265, 1872, rapport général sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie adressé à M. le ministre de l’Instruction publique et des cultes, p. 307 sq.
111 Ibid., p. 346.
112 Lavisse (E.), Questions d’enseignement national, Paris, 1885, p. 6.
113 BAIP, n° 265, Résumé, p. 346.
114 Bourgeois (E.), Lettre à M. le Secrétaire général, RIE, t. 8, 1884, 2, p. 579-583.
115 La circulaire du 13 septembre 1884 revient par exemple sur les dispositions de 1880 selon lesquelles l’enseignement de l’histoire avait été retiré aux professeurs de grammaire. BAIP, n° 615, 1884, p. 361-363.
116 Statistique de l’enseignement supérieur, Ministre de l’Instruction publique, Paris, 1900. Récapitulatif des dix dernières années.
117 Ibid., année 1897-1898, p. 317.
118 Compayre (G.), « Histoire de la pédagogie », Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1882-1887.
119 Leur histoire a été retracée par P. Nora, « Le Dictionnaire de pédagogie de F. Buisson », Les lieux de mémoire, t. 1, La République, Paris, Gallimard, 1984-1993, p. 353-381.
120 Bréal (M.), Quelques mots sur l’instruction publique en France, Paris, Hachette, 1872.
121 Marion (H.), « Cours sur la science de l’éducation », RIE, t. 6, 1883, 2, p. 1259-1277.
122 Sur de nombreux points la notice « Pédagogie » est reprise et développée dans le cours de Durkheim, L’évolution pédagogique en France, Paris, PUF, 2e éd., 1969.
123 Marion (H.), « Le mouvement des idées pédagogiques dans l’enseignement supérieur », RIE, t. 18, 1889, 2, p. 293-300.
124 Langlois (C.V.), La préparation à l’enseignement, Questions d’histoire et d’enseignement, Paris, Hachette, 1906.
125 Ibid., p. 272.
126 Ibid., p. 275.
127 Durkheim (E.), L’évolution pédagogique en France, op. cit., p. 12.
128 Ibid., p. 14-15. « On ne décrète pas l’idéal ; il faut qu’il soit compris, aimé, voulu par ceux dont c’est le devoir de le réaliser ».
129 Cette question, ici seulement évoquée, fait, en raison de son importance, l’objet d’un développement ultérieur.
130 Gérard (A.), « À l’origine du combat des Annales : positivisme historique et système universitaire », Au berceau des Annales, le milieu strasbourgeois, l’histoire en France au début du xxe siècle, Toulouse, Presses de l’IEP, 1983, p. 79-88.
131 Dumont (A.), « Notes sur l’enseignement supérieur en France », RIE, t. 8, 1884, 2, p. 193.
132 Isaac (J.), Combat pour la vérité, Paris, Hachette, 1970.
133 Ibid., p. 267.
134 Jubilé de E. Lavisse, RIE, t. 65, année 1913, 1, p. 113-116.
135 Joutard (P.), « Une passion française : l’histoire » in Burguiere (A.), Revel (J.) [dir.], Histoire de la France, les formes de la culture, t. IV, Paris, Le Seuil, 1993, p. 507-570. On peut se référer également à Guénée (B.), « Les grandes chroniques de France », in Nora (P.), Les lieux de mémoire, II, La Nation, 1, op. cit., p. 189-214.
136 BAIP, n° 61, 1865, p. 350-363.
137 Monod (G.), « Du progrès des études historiques en France depuis le xvie siècle, Revue historique, t. 1, 1876, n° 1, p. 5-38.
138 Ibid., p. 38.
139 Lavisse (E.), « L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », Questions d’enseignement national, Paris, 1885, p. 6.
140 Renan (E.), « Qu’est-ce qu’une nation ? », Œuvres complètes, t. 1, Paris, Calmann-Lévy, 1947-1961.
141 Monod (G.), « La pédagogie historique à l’ENS en 1888 », RIE, t. 53, 1907, 2, p. 199-207.
142 BAIP, 1890, supplément au n° 322, p. 477.
143 Cf. supra, p. 39-41.
144 La même critique se décèle sous la plume de Seignobos à propos des cours « destinés à exciter l’enthousiasme », « L’enseignement de l’histoire en Allemagne », RIE, t. 1, année 1881, 1, p. 563-600.
145 BAIP, 1890, supplément au n° 322, p. 477.
146 Ibid., p. 483.
147 Lavisse (E.), Notice « Histoire », Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1882-1887, p. 1273.
148 « Il faut avant tout fortifier le naturel amour du pays natal, raisonner cet instinct et l’éclairer », BAIP, Ibid., p. 477.
149 Dufayard, professeur d’histoire au lycée Henri IV, « Le concours général des lycées et collèges », RIE, t. 38, 1899, n° 2, p. 121.
150 Monod (G.), « La pédagogie historique », RIE, t. 53, 1907, 2, p. 206. Cf. texte 1, Annexe 2.
151 Ozouf (M.), L’École de la France, essais sur la Révolution, l’utopie et l’enseignement, Paris, Gallimard, 1984. S. Citron et C. Amalvi ont également développé ces aspects de la question dans les ouvrages cités en référence dans la bibliographie.
152 Renan (E.), Qu’est-ce qu’une nation, Œuvres complètes, t. 1, Paris, Calmann-Lévy, 1947-1961.
153 Monod (G.), Du progrès des études historiques en France depuis le xvie siècle, Revue historique, t. 1, année 1876, n° 1, p. 5-38.
154 Ibid., p. 38.
155 BAIP, 1890, supplément au n° 322, p. 485.
156 Lavisse (E.), « L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », op. cit., p. 40.
157 Monod (G.), « Compte rendu de l’ouvrage de E. Ollivier, La France avant et pendant la Révolution », Bulletin historique, RH, t. 43, 1890, 2, p. 115.
158 Ibid., Bulletin historique, RH, t. 77, année 1901, p. 98-100.
159 Lavisse (E.), « L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », op. cit., p. 40.
160 Ibid., p. 40 (souligné par nous).
161 Monod (G.), « La pédagogie historique », RIE, t. 53, 1907, 2, p. 199-207.
162 Ibid., p. 203.
163 Seignobos (C.), « L’enseignement de l’histoire dans les facultés, 1 », RIE, t. 6, année 1883, 2, p. 1076 à 1088.
164 Marion (H.), De la solidarité morale, essai de psychologie appliquée, Paris, 1879.
165 Reberioux (M), Histoire, historiens et dreyfusisme », RH, t. 255, avril-juin 1976, p. 407-431.
166 Seignobos (C.), « L’enseignement de l’histoire comme instrument d’éducation politique », Conférences du Musée pédagogique, Paris, Imprimerie Nationale, 1907, p. 1 à 23.
167 Ibid., p. 20.
168 Ibidem, p. 8.
169 BAIP, 1890, supplément au n° 922, p. 476.
170 JO, 1899, Documents parlementaires, SO, Chambre des députés, Annexe n° 866, Dépositions orales, p. 1015 sq.
171 Ibidem.
172 Ibid.
173 BAIP, n° 265, 1872, p. 310.
174 Voir les ouvrages Maingueneau (D.), Les livres d’école de la République, 1870-1914 ; discours et idéologie, Paris, Le Sycomore, 1979. Freyssinet-Dominjon (J.), Les manuels d’histoire de l’école libre, 1882-1959, Paris, A. Colin, 1969.
175 Febvre (L.), « L’histoire dans un monde en ruines », Revue de synthèse historique, t. 30, 1920, 1, p. 1-15. L. Febvre (1878-1956), élève de l’ENS de 1899 à 1902, docteur ès lettres en 1911, enseigne d’abord au lycée de Besançon. Il passe les quatre années de guerre au front et est nommé en 1919 à la faculté de Strasbourg où il rencontre Marc Bloch.
176 Cité par Langlois (C.V.), Questions d’histoire et d’enseignement, Paris, Hachette, 1906, p. 240.
177 Glotz (G.), « Réflexions sur le but et la méthode de l’histoire », RIE, t. 54, 1907, 1, p. 481-495.
178 Monod (G.), « Les réformes de l’enseignement secondaire », Bulletin historique, RH, t. 14, 1880, 4, p. 356-359.
179 BAIP, 1890, supplément au n° 922, p. 477.
180 Notice « Histoire », Dictionnaire de pédagogie…, Paris, Hachette, 1882-87.
181 Monod (G.), « Les réformes de l’enseignement secondaire », réf. cit.
182 Monod (G.), « La pédagogie historique », RIE, t. 53, 1907, 2, p. 199-207. G. Monod sépare soigneusement le plan scolaire et le plan intellectuel, ayant au préalable précisé à propos du travail historique, « Savoir ignorer et savoir douter sont des vertus scientifiques », p. 202.
183 Pagès, « L’enseignement de l’histoire au lycée », Revue de synthèse historique, t. 13, 1906, p. 107 à 110.
184 Buisson (F.), Notice « Politique », Dictionnaire de pédagogie…, Paris, Hachette, 1882-87. L’objet de la notice est de montrer que la politique, ainsi entendue, est à exclure de l’instruction.
185 BAIP, 1890, supplément au n° 922, p. 484.
186 Buisson (F.), notice « Politique », Dictionnaire de pédagogie…, op. cit.
187 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (R), Dossier G. G… (G), Agrégé en 1906. Dossier J. B…, Agrégé en 1913, professeur au lycée de Lorient à partir de 1923. Quoique postérieur, ce cas est intéressant car il permet de suivre la procédure administrative. L’appartenance du professeur au Parti communiste est signalée par le proviseur à l’inspecteur d’Académie, et la pièce à conviction – une coupure de presse du Nouvelliste du Morbihan – est jointe au dossier. Celui-ci est ensuite transmis au recteur, puis au ministre qui demande un complément d’enquête « discret » (sic). L’affaire est cette fois sans suite. Nommé dans l’académie de Toulouse, le professeur connaît, en 1929, de nouveaux déboires pour les mêmes raisons. À partir de 1927, la procédure du déplacement d’office est en effet de plus en plus fréquemment utilisée contre les professeurs suspectés de propagande communiste. BSPHG, n° 60, mars 1930.
188 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (R), Dossier L. F… (L), Agrégé en 1892, Rapport du chef d’établissement, 28-2-1902.
189 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (R), Dossier A. R…, professeur au lycée de Rennes.
190 A.D. Morbihan, T 1725. La demande est reproduite dans « L’enseignement secondaire public dans le Morbihan (1850-1914) », L’histoire en Bretagne, Série départementale du Morbihan, n° 7, CDDP, 1987.
191 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (P) – 207 – Renseignements sur les opinions politiques des professeurs, 1906.
192 A.D. Ille-et-Vilaine 1T (R), Dossier C. D…, professeur au lycée de Rennes.
193 Malet (A), Discussion consécutive à la conférence de Seignobos, Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907, p. 122.
194 BAIP, 1890, supplément au n° 922, p. 485.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008