Chapitre IV : La voix de Poullfaouig
p. 185-247
Texte intégral
Je suis un indigène. Le phénomène dont j’essaie de rendre compte, je suis dedans.
Pierre-Jakez Hélias
1
1 Lorsqu’il se retrouve à la tête des émissions de l’après-guerre, Pierre Hélias pense n’être qu’un pape de transition 2 . On fait appel à lui, en attendant mieux. Son règne radiophonique durera finalement presque douze ans. Voici une sorte de bilan de ce gouvernement sur les ondes bretonnantes.
L’esprit et la lettre
De bons esprits ne veulent pas admettre que la Radio soit un art. Libre à eux. Quoi qu’il en soit, elle est soumise à la règle des règles de tous les arts, qui est de plaire.
Pierre Hélias 3
2 Dès les premières années de sa production radiophonique, Pierre Hélias se fait un devoir d’expliquer ses objectifs. Veut-il ouvrir le parapluie en prévision d’une averse de reproches s’abattant sur les épaules des deux Bigoudens ? Peut-être est-ce aussi dans un but pédagogique : la TSF est en pleine effervescence 4 et, depuis la Libération, le contexte radiophonique a changé. Hélias pousse même la démarche pédagogique jusqu’à jouer son rôle hors du champ radiophonique et jusqu’à se présenter devant son public : les ondes deviennent perceptibles .
.
3 Les articles contenant des réflexions radiophoniques sont aussi une réponse d’Hélias lui-même à la question qui aurait pu lui être posée : « Qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet 5 ? »Pour l’ajuster au sujet, on peut poser la question autrement : » Qui émet quoi, pour qui, avec quels effets ? »
4 Naturellement, le « Qui » est surtout Pierre Hélias. Que dit-il ? Il dit « Quoi » ? En 1947, Ar Falz publie un recueil de farces de « Jakez Kroc’hen ha Gwilhou Vihan » , réalisées par « Per Helias, Rener Abadennou brezonek Radio-Breiz /directeur des émissions en langue bretonne de Radio-Bretagne » ; le recueil s’intitule : « Biskoaz kemend-all !/Jamais autant ! »Voici ce qu’écrit Pierre Hélias dans son introduction, au sujet de ses pièces :
« N’eo ket bras, moarvat, talvoudegez ar skridou-mañ, rak re vuan int bet aozet ha re zister eo an danvez anezo. Piou bennak a glaskfe amañ eur spered o nijal a gollfe e boan hag e amzer. Koulz e vefe d’ezañ serri al leorig dioustu ha mont da gousket wareeun. Ar bouedmañ ne zigouezo ket mat gant an hini en deus en em daolet war ar studi hag al labourpenn. Graet eo hepken evit an dud laouen ha yac’h, prest da c’hoarzin bep tro ma vez kavet an tu. Petra fell deoc’h ? Pep hini e c’hoant : logod d’ar c’haz, eskern d’ar c’hi, ha setu !
Sans doute n’est elle pas grande la valeur de ces textes, car ils ont été composés trop vite, et leur contenu est bien insignifiant. Qui conque chercherait ici un esprit en plein vol, perdrait sa peine et son temps. Il ferait mieux de fermer le livre tout de suite et d’aller se coucher séance tenante. Cette pitance ne conviendra pas bien à quiconque s’est a donné aux études et au travail cérébral. Ce livre est fait uniquement pour les gens joyeux et en bonne santé, disposésàrire à chaque fois que l’occasion seprésente. Que voulez-vous, chacun son envie : des souris au chat, des os aux chiens, et puis voilà 6 ! »
5 Le la est donné : place à la farce et au rire. On mesure le contraste entre les objectifs annoncés par Pierre Hélias et ceux de Roparz Hemon : on s’adressera au cœur des bretonnants et non pas à leur esprit. De même, on doit reconnaître à Pierre Hélias le mérite d’avoir» cerné »le public au quel ils’adressait, en énumérant assez précisément ses principes et ses objectifs. Ceux cifigurent dans un long article qu’il adresse en 1951 à la Nouvelle Revue de Bretagne 7 :
« Quiconque s’occupe d’une émission régulière à la Radio, particulièrement une émission parlée, sait donc par avance que certains l’attendent avec impatience tandisque d’autres, dès l’ indicatif , tourneront le bouton d’un geste excédé. Les esprits, aussi, ont leurs différences de longueur d’ondes. Cependant, deux catégories d’auditeurs priment les autres : d’une part, les gens cultivés, les intellectuels, les esthètes ou prétendus tels ; de l’autre, la masse des auditeurs populaires. Quant à moi, j’ai choisi d’émettre pour la masse bretonnante et voici pourquoi.
Chargé, à la Libération, d’une émission en langue bretonne, qui est ma langue maternelle, connaissant, hélas, l’état actuel de cette langue, j’ai estimé qu’il fallait laisser de côté, dans mon domaine , les ambitieux et souvent intéressants projets derénovation dont certain sont fait leur cheval de bataille, parfois même un cheval deTroie. Avant d’armer le breton d’un vocabulaire riche et nouveau, propre à enfaire une langue moderne capable d’exprimer les milles nuances de la pensée et de refléter les innombrables aspects de la civilisation contemporaine, j’ai cru qu’il était plus urgent de maintenir ce qu’il en reste. Or, qu’en reste-t-il, si non ce qui la maintient dans la dignité de langue vivante , ces tournures admirables, ces mots, hélas, trop rares, mais combien expressifs, qui passent tous les jours sur les lèvres bretonnes dans les ports de Bretagne et sur les mers du monde, dans les champs de Bretagne et les cantons les plus reculés des cinq continents où vivent des essaims de notre vieille ruche. C’est ce breton-là qu’il importe de sauver d’abord. L’autre, le breton rénové, embaumé dans certains livres des dernières décades sous ses bandelettes philologiques, il doit se sauver et s’imposer tout seul s’il veut prouver sa vertu.
C’est pourquoi j’ai voulu m’adresser actuellement (c’est aujourd’hui qui compte) aux seuls usagers, aux auditeurs dont le Breton[ sic ] est la langue habituelle, celle des travaux et des jours, à ceux qui ne parlent que lui, faute des avoir lef rançais. Et, de préférence encore, aux illettrés complets, à tel grand-père que je connais et qui se résigne, toute la semaine, aux vociférations pour lui inintelligibles des ondes avant d’écouter, le dimanche, une demi-heure de paroles familières. C’est à ce public qu’il fautre donner la fierté de sa langue, particulièrement au moment où beaucoup l’abandonnent par faux orgueil, ristes mandarins de village qui considèrent la langue de leurs pères comme un jargon de truandaille 8 . »
6 Redonner au public la fierté de sa langue, Pierre Hélias estime avoir atteint cet objectif : il écrit en 1947que » le résultat le plus incontestable de cette émission, outre le divertissement qu’elle procure, est d’avoirins piréaux bretonnants la fierté devoir leur langue introduite dans les ondes, recevoir en quelque sorte de nouvelles lettres de noblesse. La langue bretonne compte officiellement 9 . » Les deux producteurs de radio bigoudens éprouvaient tous les deux le même attachement au breton parlé : l’un et l’autre avaient suffisamment de bon sens et de culture pour éviter de s’enfermer dans leur breton local–leur badume –,tout en se gardant bien de rendre leur articulation artificielle, ce qui aurait anéanti leur spontanéité et les notes spécifiques qui colorent chacun des parlers. Quelques semaines après la première émission, voici ce que Pierre Hélias fait observer :
« Actuellement, ces ont des Bigoudens qui parlent et ils sont facilement reconnus pour tels car ils ne cherchent pas à neutraliser leur prononciation, se bornant à éviter les ellipses et les contractions. Mais les nombreuses lettres reçues de Cornouaille, du Léon, du régor, nous prouvent que nous sommes entendus. Bienmieux, certains sa vourent notre accent du terroir, réussite supplémentaire et inattendue 10 . »
7 Le choix de Pierre Hélias est clair : ils’adresse au cœur des bretonnants, en passant par leurs oreilles avec des intonations familières et locales ; le badume ne désoriente pas les bretonnants, il les rassure plutôt. L’indicatif par le quelles deux Bigoudens commençaient leurs émissions disait : « Amañ Radio Kimerc’h, evid ar Vretoned bet desket brezoneg ganto war barlenn o mamm. /Ici Radio Quimerc’h, à l’intention des Bretons qui ont appris leur langue sur les genoux maternels. » Ce choix populaire–que d’aucuns jugeront populiste–n’est pas la seule différence entre Roparz Hemon et Pierre Hélias. En effet, ce dernier va aller planter son micro sur les tréteaux des kermesses et des fêtes : les ondes prennent corps. Les écrits de Pierre Hélias laissent poindre une volonté chez lui des emettre à l’écoute du peuple. Il a créé un personnage populaire, afin de s’adresser à un public populaire et de satisfaire » le plus grand nombre de bretons [ sic ] effectivement bretonnants 11 »
8.Il lui faut aller jusqu’au bout du jeu : c’est ainsi qu’il part à la rencontre de son public.
« Pour plus de sûreté, et non sans tremblement, je me suis présenté devant lui, tout seul, plus decent cinquante fois, au cours de fêtes populaires ou de kermesses. Cela n’a pas toujours été facile, et jusqu’à la dernière parole de ma production sur les scènes de villages, j’ai guetté avec inquiétude la moindre lueur dans l’œil des paysans et des pêcheurs, le moindre tressaillement des muscles de leurs visages qui m’aurait révélé que je froissais en eux je ne sais quelle vive susceptibilité ou quelle obscure pudeur. Selon cette expression si juste du langage parlé, “j’ai eu chaud !”Et comme je me sens plus à l’aise devant un auditoire de lettrés 12 ! »
9 Pierre Hélias semble vouloir instaurer un va-et-vient entre lui et ses auditeurs : il veut être le public de son propre public, être émetteur et récepteur tour à tour. Ses archives contiennent un petit dossier comportant des articles de presse et des tracts annonçant le programme de kermesses ou de fêtes populaires. Le point commun entre tous ces écrits, c’est que l’on voit apparaître le nom de Jakez Kroc’hen : il est une « animation », voire parfois l’animation à lui tout seul. Dans ses mémoires, PierreJakez Hélias raconte 13 : il restitue l’ambiance de ces « tréteaux » d’aprèsguerre, et énonce aussi ses objectifs. Il explique que, devant l’insistance des auditeurs de voir les deux compères en chair et en os, il dut bien se résoudre à affronter les populations bretonnantes, seul et non sans appréhension. Sa première prestation eut lieu dans le bourg de Quimerc’h et, lorsqu’il écrit ce qui ressemble fort à une épreuve initiatique, il fait montre de ses talents de conteur. Ce récit est sans doute trop beau pour être… faux. L’émotion, la sincérité percent à toutes les lignes. Le récit est vivant, bien enlevé : on devine les visages renfrognés des paysans, leur flegme pendant que Jakez Kroc’hen se démène, puis leur jovialité. C’est une vraie mise en scène, dans tous les sens du terme, un travail d’écriture et de réécriture. L’ensemble est dominé par un sentiment de respect certain pour ces bretonnants devant lesquels l’auteur s’est présenté humblement, pour passer l’examen le plus difficile de son existence. C’est bien lui, c’est le peuple, le personnage principal du récit. Certes, le héros reste toujours Pierre Hélias qui parvient à braver ce peuple sans faire le fanfaron, à s’en faire accepter après avoir passé une rude épreuve : en défiant les paysans bretonnants, Hélias se défie luimême ; il parvient à faire corps avec le peuple, à être accepté par lui pour être sa voix.
10 Les archives viennent confirmer le succès de ces apparitions publiques. Ainsi, le journal Ouest-France du 4 mai 1948 annonce « les fêtes du Petit-Ergué », avec une photo d’Hélias portant chapeau à guides et costume bigouden, un large sourire aux lèvres 14 , et la légende suivante : « Le célèbre comique breton Jacky Kroc’hen de Radio-Quimerc’h, dont la participation à la Fête du Printemps réserve beaucoup de surprises 15 . » Jakez est devenu « Jacky », certes, mais Pierre Hélias est devenu un « célèbre comique ». En date du 7 mai 1948, sous l’article annonçant les fêtes, l’hebdomadaire La Bretagne 16 reprend en première page la même photo ornée de la même légende.
« Il est souvent décourageant de consulter les programmes ou les comptes rendus des manifestations organisées dans la partie bretonnante de la Bretagne. Le moindre petit bourg se croit à la page en donnant sur les tréteaux de son Patronage (c’est là que cela se passe le plus souvent) des pièces françaises d’une platitude parfaite, aussi incomprises des acteurs que des auditeurs, et jouées avec un accent comme le plus malintentionné des chansonniers français n’en prêterait pas à Bécassine elle-même.
Aussi l’on ne peut manquer de féliciter chaudement le Comité des Fêtes du Petit-Ergué, près Quimper, qui, pour son Gala de cette année, prépare une série de manifestations bretonnes qui ne manqueront pas de gaîté. Jugezen.
La fête débuter a par la réception à la gare de Quimper des animateurs de Radio-Quimerc’h, Hélias et Trépos, sous les espèces de Jakez Kroc’hen et Guilhou-Vihan, les deux personnages bretonnants qu’il sont créés à la radio et dont nous avons déjà dit tout le succès qu’il sobtiennent. Discours en breton et en route en char-à-bancs jusqu’à Ergué Armel ! Un diplôme de citoyen d’honneur, de la grandeur d’un drapeau, sera remis à M. Hélias. Après cela, deux pièces en breton et une série d’histoires amusantes, en breton toujours, dites par Jakez-Kroc’hen, le tout agrémenté de danses bretonnes par le groupe des Écoles Normales de Quimper. Un exemple à suivre dans toute la Bretagne bretonnante 17 ! »
11 Ces articles témoignent du succès rencontré par les émissions, transposées sur lest réteaux des fêtes locales…ou des kermesses 18 .Mais les peaker de Radio-Quimerc’hne se produit pas que dans ces manifestations. Les archives de Pierre-Jakez Hélias contiennent un prospectus où est annoncé, pour le mercredi 21 avril à 20h30, sous les halles de la ville de Morlaix, le » Tirage de la 8 e tranche 1948 de la“Loterie Nationale”sous les auspices de la Municipalité de Morlaix et de Tourisme & travail la grande association des tous les Travailleur 19 ». Leprogramme officiel se présente comme suit :
- « Exécution de» La Marseillaise »par l’Harmonie Municipale.
- Tirage de la 8 e Tranche de la Loterie Nationale
- Groupe folklorique des éclaireurs de Quimper.
- Mimi Salaun, Finaliste des concours U.F.O.L.E.A.
- Le barde Fench [ sic ] Gourvil.
- Charles Crenn, champion de Bretagne de gymnastique, et sa fille dans leurs exercices acrobatiques.
- Jackès Crohen et Guillou Bihan, de Radio-Quimerch.
- Luttes bretonnes (démonstration) par les frères Le Foll, champions de Bretagne 1947, et MM. Doucen et Laizet, challengers 1948. – Arbitre : François Corvez, ex-champion interceltique.
- “Colchique”, duo breton.
- Pierre Hélias, Directeur des Émissions bretonnes de Radio-Quimerch.
- Groupe folklorique d’Hanvec, danseurs et chanteurs avec bombardes et binious.
- Le Fantaisiste de la Radio Arthur Allan dans son répertoire
- Ballet hongrois, tiré des “Deux Pigeons”. – Ballet d’André Messager.
- Le Musicien burlesque Aimé-Théo et sa partenaire de l’A.B.C.
Orchestre de l’Harmonie municipale sous la direction de M. Caer Présentation de M. Gorius, Speaker officiel de la Loterie Nationale 20 »
12 L’ensemble de ces prospectus et de ces articles qui présentent Pierre Jakez Kroc’hen Hélias dans ses œuvres, ont trois éléments en commun : l’orientation politique, le folklore et le décorum. D’une part, l’apparition de Pierre Hélias se fait dans des fêtes organisées par des associations laïques, proches du PCF : ainsi, « Tourisme et travail », qui organise le tirage de la 8 e tranche de la Loterie Nationale, est une émanation de la CGT. Durant ce tirage, bien des animations ressortissent à la même famille : les éclaireurs ne sont pas les scouts, l’UFOLEA 21 est affiliée à la Ligue de l’Enseignement, les frères Le Foll sont issus des terres rouges de Berrien. D’autre part, la démonstration de Pierre Hélias est associée à des représentations de type folklorique ou plus ou moins présentées comme telles : de jeunes gens, habillés en Bretons, défilent au son du biniou et de la bombarde. Enfin, lors de certaines de ces manifestations, Pierre Hélias côtoie les notables de la République 22 : son statut de professeur le place d’ailleurs de ce côtélà. En 1993, en se remémorant « l’épreuve initiatique » de Quimerc’h, il racontera : « La première fois, à Quimerc’h, le maire m’a demandé de mettre un chapeau et une cravate. Pour lui, un professeur, c’était quelqu’un qui avait un chapeau et une cravate 23 . » Le moyen que trouve Hélias pour sortir de cette ambiguïté, c’est, en allant jusqu’au bout du rôle qu’il s’est créé, d’arborer un costume bigouden. Il n’est pas peuple, il n’est pas notable, il est entre les deux : il est Jakez Kroc’hen. Il tient un peu le rôle du prêtre dans la société traditionnelle bretonne ; issu du peuple breton, le prêtre a l’oreille des notables, il est notable mais en chaire, il n’est plus peuple, il n’est plus notable : il se trouve entre les deux. La comparaison, pour l’instant, s’arrête là. Car les raisons de cette prise de parole en public ne sont pas tout à fait les mêmes.
« Si j’ai accepté de me prêter à ces exhibitions publiques, ce ne fut point par vaine gloriole, mais parce que j’étais largement payé de retour et qu’il le fallait bien pour mener à bien mon projet. En effet, je n’avais plus à me creuser la tête pour trouver les thèmes sensibles de mes comédies ou farces radiophoniques ni à dépouiller les vieux journaux en breton, les recueils de proverbes, jeux et agesses, de contes et delégendes, collectés par d’authentiques bretonnants du siècle dernier. C’étaient mes auditeurs, mes spectateurs qui allaient m’en approvisionner largement. Lors de mes interventions dans les villages, il se trouvait toujours quelqu’un pour me dévoiler les traditions orales du lieu et les autres assistants renchérissaient sur lui, suppléaient sa mémoire défaillante. Il m’arrivait rarement d’aller quelque part en Cornouaille, Léon, Trégor ou Vannetais sans recevoir en cadeau quelques expressions imagées, de courts récits exemplaires, des réflexions significatives qui enrichissaient mes carnets de notes 24 . »
13 Ses exhibitions sont pour Pierre Hélias l’occasion d’amasser de la matière pour ses émissions. Il devient ainsi le récepteur, et non plus seulement l’émetteur. Hélias collecteur diffuseur : voilà l’image qu’il veut présenter de lui. En lui, la boucle doit se boucler, les auditeurs doivent pouvoir devenir les acteurs et les émetteurs de l’émission. Le succès rencontré par les émissions a été immédiat : issus eux-mêmes du peuple bretonnant, les producteurs ont su d’emblée capter l’oreille et l’attention des auditeurs. La nouvelle chaire, qui diffuse un breton lui aussi standardisé et moyen, c’est le studio des émissions de radio : ce n’est peut être pas le breton de la famille ou de la paroisse, néanmoins, il reste parfaitement compréhensible. Le glissement a été indolore et comme imperceptible ; le tout s’est produit avec une aisance qui a paru naturelle. À partir de 1946, le récepteur de radio est pendant quelques années le seul lieu « officiel »où le breton se fait entendre, sans que soit compromise la paix de l’État. Les réalisateurs sont, eux-mêmes, évidemment, le produit de la société bretonnante à la quelle ils s’adressent : les émissions destinées à cette société contiennent donc, inévitablement, une partie plus ou moins remaniée et réévaluée des stéréotypes qui sont en elle à l’état diffus. Il existe assurément un phénomène de vases communicants entre, d’une part, l’émetteur – c’est-à-dire le producteur de l’émission – et, d’autre part, le récepteur – l’auditeur bretonnant : il est évident que l’émetteur ne renvoie pas au récepteur sa propre image mais, néanmoins, l’ensemble des émissions peut contenir un certain reflet de la société à la quelle il est destiné 25 .
14La volonté de Pierre Hélias d’aller au peuple est nouvelle : il la partage avec d’autres acteurs culturels qui forment une famille idéologique issue d’un mariage presque contre nature entre des acteurs d’une gauche laïque bretonnante, et des prêtres dont la tradition politique est plutôt de droite.
15 Au sortir de la guerre, en Bretagne, des associations et des mouvements s’activent dans les domaines de la musique, de la danse et de l’édition. Le dessein que se fixe ce qu’il est convenu d’appeler » le mouvement culturel », peut se résumer par une formule claire : défense et illustration de la langue et de la culture bretonnes. En 1953 est créée la « Fondation Culturelle Bretonne », qui regroupe Kendalc’h 26 , le BleunBrug , la Jeunesse Étudiante Bretonne et Ar Falz . Le numéro de septembre de la revue BleunBrug de cette même année précise que cette Fondation, qui porte le nom breton d’ Emgleo Breiz , est « une commission du CELIB […] chargée de récolter de l’argent pour promouvoir le breton à l’école 27 » . En effet, cette commission culturelle est chargée de répartir les fonds recueillis et de les utiliser pour imprimer des livres d’enseignement du breton. Cette action de terrain est rendue possible par le vote de la loi Deixonne, au début de l’année 1951 28 : cette loi institue l’enseignement facultatif des « langues et dialectes locaux » dans les collèges et les lycées. Emgleo Breiz s’adresse au peuple bretonnant par l’intermédiaire de pétitions multiples, tente de le sensibiliser et de rendre la langue « sympathique » par le biais de concours scolaires et de livres accessibles : le but est, incontestablement, de susciter au sein du peuple qui fait un usage quotidien du breton, une prise de conscience de sa valeur, dans l’espoir que les locuteurs habituels continueront à l’employer… et à le transmettre. Voici deux exemples qui témoignent de cette démarche.
16 En octobre 1955, paraît, publié par Kendalc’h , un petit opuscule intitulé « Breiz Hor Bro (La Bretagne notre pays) 29 » . Dans la présentation, Pierre Mocaër, président de Kendalc’h , rappelle que ce livret « n’est qu’une synthèse très résumée de la riche matière de Bretagne. Tel qu’il est, nous croyons, toutefois, qu’il rassemble une documentation jusqu’ici éparse mais indispensable à la formation de tous les Bretons soucieux de travailler sérieusement au relèvement de leur pays. » Le préfacier croit néanmoins devoir ajouter :
« Il est inutile de dire, je pense, qu’il ne s’agissait aucunement pour nous de rédiger un panégyrique volontairement partial de la Bretagne. La vérité a des droits qu’en toute honnêteté on doit respecter et nous avons voulu présenter la Bretagne telle qu’elle est et non pas telle que nous voudrions qu’elle soit. Nous n’en sommes pas moins convaincus qu’il ressortira lumineusement de ces pages sincères qu’elle a droit au moins au loyalisme de ses enfants, et c’est de ceux-ci et d’eux seuls que dépend son avenir 30 . »
17 L’ouvrage comporte des développements concis sur l’histoire des Celtes, sur l’histoire et la géographie de la Bretagne, sur l’histoire de la langue bretonne et sur sa littérature, et enfin, sur des « aspects de l’ethnographie et du folklore bretons ». Le but pédagogique des auteurs est clairement affiché, tout comme est clairement défini celui des initiateurs de la l’exposition « Brud ar Brezoneg. Monuments de la langue bretonne », organisée à Quimper, aumusée breton du 22 juin au 21 septembre 1957 31 . Dans le catalogue de cette exposition 32 , le responsable de l’association organisatrice 33 explique que le but de cette exposition,
« était de donner à nos compatriotes une meilleure connaissance et la fierté de leur langue, leur montrer l’importance qu’elle avait autrefois, les possibilités qu’elle offre, l’intérêt évident qu’il sont à la conserver parce qu’elle est la traductrice fidèle de leur pensée et la gardienne de leurs traditions ; aux étrangers à la Bretagne, nous avons voulu montrer la vitalité de notre langue, l’amour que nous lui portons toujours, l’intérêt que présentent la conservation et le développement du breton 34 . »
18 C’est bien dans cet esprit aussi, me semblet-il, que sont conçues et réalisées les émissions bretonnes à la radio, média reconnu par Hélias comme étant un « puissant moyen de réveiller les conscience 35 ». C’est encore ce même esprit qui anime les articles fournis par Visant Fave, dans les années cinquante, à la revue Bleun-Brug 36 Cette communauté de vues n’a, en fait, rien d’étonnant ; les liens entre les acteurs des émissions de radio et les membres de la Fondation Culturelle sont apparents : Pierre Hélias et Pierre Trépos sont tous deux membres d’ Ar Falz ; la plupart des collaborateurs font partie d’ Emgleo Breiz . Le numéro de la revue Bleun-Brug déjà mentionné donne la liste des membres du bureau directeur (« bureokreiz » ) d’ Emgleo Breiz : « Per Trepos, skolveur Roazon /Pierre Trépos, université de Rennes » est l’un des sous directeur (« isrenerien » ),avec » Per Roy , Roazon, eus Kendalc’h , Gab ar Moal eus ar Bleun-Brug hag M. Giot eus Ar Falz/Pierre Roy, Rennes, de Kendalc’h , Gab Le Moal du Bleun-Brug et M. Giot d’ Ar Falz » . Parmi les représentants (« kuzulierien » ) du bureau, apparaît le nom de « Per Helias (RadioKimerc’h) » , ainsi que d’autres noms connus : « chaloni Falc’hun ( skolveur Roazon ) , Mevel hag ar Gall (ar Falz) , Per Bernard (rener ar J.E.B.), Le Grand (Kendalc’h) , Yann ar Minor (Bleun-Brug) 37 ». Pratiquement tous les bretonnants de cette organisation participeront, de près ou de loin, à la réalisation des émissions entre 1946 et 1975.
19 1958 voit la mise en place d’un camp adverse, avec l’apparition d’une nouvelle organisation, Kuzul ar Brezhoneg 38 : elle groupe les associations et mouvements qui refusent la nouvelle orthographe dite « universitaire », élaborée par le chanoine Falc’hun 39 , et diffusée par la Fondation Culturelle Bretonne à partir de 1955.En fait, dès la Libération, une ligne de partage assez nette se dessine entre deux mouvements : la condamnation, ou non, des compromissions du mouvement breton avec l’Allemagne hitlérienne pendant les années d’occupation, la remise en cause, ou non, de l’idéologie élitiste et fasciste d’avantguerre. D’un côté, on fait comme si de rien n’était : on continue la lutte en s’inscrivant dans le prolongement du mouvement gwalarniste et hémonien. Le symbole de cet attachement est, naturellement, la fidélité à l’orthographe de la guerre et à son signe graphique emblématique, le « zh ». De l’autre côté, on ne peut pas non plus parler franchement de « table rase » : on n’en parle pas, et l’on essaie d’éviter les symboles par trop voyants d’une quelconque filiation idéologique avec le mouvement collaborationniste. Il apparaît que bien des différences marquent le mode de fonctionnement de ces deux mouvements, ainsi que leur attitude face au peuple bretonnant. Le Kuzul vise à créer une contre société nationale d’expression bretonne ; Emgleo Breiz essaie de toucher le peuple bretonnant 40 . Pierre Hélias a choisi son camp, cela ne semble pas faire de doute : j’en veux pour preuve un texte qu’il reçoit le 15 janvier 1949 d’Yves Le Goff 41 . At-il été diffusé ? J’en doute, car il est assez polémique et de facture assez complexe : il est donc très probablement inédit. Ce qui m’intéresse dans ce texte, c’est le sous entendu : si ce texte est adressé à Pierre Hélias, c’est que lui n’est pas comme ça.
« D’ar zedachegerien
(Gwerzig fentus, hep ton ebet)
Aux zédacherien
(Petite complainte rigolote, sans air)
Eur froudenn hep roudenn a dremen e empenn Ken
hor gouizieien, ken hor brientinien ;
Rikaman, paramant a glaskont dizamant
D’eur bugelig maro araok beza ganet,
Elec’h rei o skoazell, hep oaz ha distanet,
D’eur gwaz ’zo bet chichant, kalet ha divorgant.
Une passion sans faille traverse le cerveau
Tant de nos savants que de nos bourgeois ;
Ils recherchent sans ménagement fioriture et parement
Pour un petit enfant mort avant d’être né,
Au lieu de donner leur aide, sans inimitié et dans l’apaisement,
À un homme qui a été affable, solide et sans arrogance.
’N eun arched alaouret ’vo douget d’ar vered
Ar bugelig maro, ha garo douaret.
Ha war e vez, hep mez hag ivez gant evez,
’Vo skrivet hep striva maronad ’n emzivad,
Lavaret helavar, birvilhet gant pompad E ragach
zedachek, hor malgacheg nevez.
Dans un cercueil doré, on portera au cimetière
L’enfant mort, rudement mis en terre.
Et sur sa tombe, sans honte mais aussi avec prudence,
On écrira sans effort l’éloge funèbre de l’orphelin,
Dite avec éloquence, animée par l’apparat
De son pépiement zédachien, notre nouveau malgache.
Strollad foll ar c’hollad, abostol dirollet,
Gant leñv ’ouelo kreñvoc’h ’get moc’h minoc’hellet
D’e c’hanadur hudur hag aeneb natur
Anvet “Reizskrivadur an Dud Emskiantek”
Doare-skriva ratous, latous ha korbellek,
Doue da bardono da dad seurt taoladur !
La troupe folle de l’enfant avorté, apôtre déchaîné,
Pleurera en gémissant plus fort que des porcs portant l’anneau au groin
À sa procréation sordide et contre nature
Nommée “L’Orthographe des Gens Conscients”
Écriture naine, saligaude et ratée,
Dieu pardonne au père d’un tel coup !
Met ’pad al lavamant a roent, hep damant,
D’ar santig inosant gant o holl zeskamant,
E kreiz o apoteiz, gant apotikerien,
Hor mezeged vuel 42 , tud uhel ha santel,
’Laoske d’hervel skoazell ha, siouaz ! da vervel
An den ken vailhant kent, diank gant an anken.
Mais pendant le lavement qu’ils donnaient, sans réticence,
Au petit saint innocent avec toute leur instruction,
Au milieu de leur laboratoire, avec des pharmaciens,
Nos médecins humbles, de hautes et saintes personnes,
Laissaient demander secours et, hélas ! mourir
L’homme si vaillant auparavant, égaré par l’angoisse.
Pa vo maro garo, hon aotrouned faro,
Daerou ’leiz o baro, ken kaer a lavaro :
“Gwaz a ze d’ar gwazse taget gwasoc’hgwasa !
N’omp abeg na kiriek ma tibab hor skaseg
Aratoz baradoz digevanez hag a anver Gwenva !”
Quand il mourra rudement, nos messieurs farauds,
Des larmes plein la barbe, diront joliment :
“Tant pis pour cet homme étouffé atrocement !
Nous ne sommes ni responsables ni coupables si notre échassier choisit
Exprès le paradis inhabité que l’on nomme Élysée !”
’N eul lavar difeson, war ziskar, diwirion,
Chimik, maro mik, war o meno breton,
Gant ton ha pompadou ’vo skrivet maronad
Ar paourig kizidik, simudik hag izel :
“A vrezhoneg poblel, gwerinel, rannyezhel.
Aet ezh out digened da get en ul laourad !”
Dans un parler laid, en récession, inauthentique,
Chimique, raidemort, selon eux breton,
Avec honneur et apparats, on écrira l’éloge funèbre
Du pauvret fragile frappé de mutisme et bas :
“Ah ! Langue bretonne du peuple, plébéienne, dialectale
Tu t’es anéantie inesthétiquement allongée dans un cercueil 43 !”
Perak neuze keuzia pa’z eo beuzet euzus
Dasson hor brezoneg, ken heson ha nerzus,
Gant lano lubaner eur yezall alouber ?
Ha kenvroiz iskis, lorc’hus, kriz, divorc’hed,
Hen dismantr ken mantrus, buc’hiet gant o fec’hed !
Ra vo milliget mik seurt stroll foll ha houber !
Alors pourquoi regretter puisqu’est noyé atrocement
L’écho de notre breton, si harmonieux et nerveux,
Sous le flux obséquieux d’une autre langue envahissante ?
Et des compatriotes étranges, orgueilleux, cruels, insouciants,
Le disloquent si lamentablement, accablé par leur péché !
Que soit complètement maudit une telle troupe folle et dupe !
Gouzout ’ouzon ’tarzo diharz hag e harzo
Hag e skopo garo o halo divalo,
Ar re ’venn e zerc’hel, war o meno, salo.
Se ne vern ket eur bern, d’an ifern o goustlan !
Ha va mouez war he fouez, hep mar, a lavaran,
Sonn, d’an dud dizonet, ar wirionez ’skigno.
Je sais bien qu’éclateront irrésistiblement et qu’aboieront
Et que cracheront rudement leur sale haleine,
Ceux qui veulent le maintenir, selon eux, sauf.
Cela n’a pas une grande importance, je les voue à l’enfer !
Et de ma voix, tranquillement, avec certitude, je dis,
Fièrement, aux gens frustrés, la vérité éclatera 44 »
20 Ce texte est un exercice de style 45 . C’est aussi une preuve, s’il en était besoin, que l’Histoire est bien cruelle… ou qu’ il tempo è galant’uomo : depuis la mort de Yeun ar Gow, en 1966, toutes ses œuvres ont été rééditées dans L’Orthographe des Gens Conscients .
21Ce texte explique aussi le choix d’Hélias de parler comme les locuteurs naturels du breton. Pourtant, des voix s’élèvent pour faire état de reproches à l’encontre des émissions.
.
22 Publié en 1963, voici le témoignage rétrospectif que porte un auteur sur les émissions radiophoniques de Pierre Hélias et sur le succès rencontré par Jakez Kroc’hen : « C’était lui qu’on pouvait entendre, en n’importe quel bourg ou hameau de Basse-Bretagne à l’heure de son émission hebdomadaire, au cours de toute excursion dominicale 46 . » En effet, l’émission qui se met en place connaît un succès immédiat : les noms de Jakez Kroc’hen et Gwilhou Vihan deviennent célèbres ; dans le « réduit breton » fautil le préciser, « réduit breton » confiné luimême à sa portion bretonnante. On en a déjà eu un avantgoût à la lecture des communiqués de journaux annonçant kermesses et fêtes populaires. En voici un autre, extrait de Ouest-France : sous la rubrique intitulée « Échos de la semaine », l’auteur, « Korantin », présente les nouveautés culturelles de la région.
« Sur la longueur d’ondes de Quimerc’h, chaque samedi soir, quand sonne 20 heures, s’ouvre l’émission folklorique, due à l’initiative de M. Favennec, directeur de la station de Rennes. Cette demiheure bretonne est plus qu’un succès et l’on m’a cité le cas de personnes qui dans les campagnes, accomplissent chaque samedi soir, plusieurs kilomètres, pour écouter les anecdotes de Jacques la Peau. Ce personnage n’est autre que notre compatriote M. Hélias, professeur au Lycée de Rennes. Il a su créer cette émission 100 % bretonne, à tel point que la traduction française n’est qu’un pâle reflet de la version originale.
Déjà les lettres de félicitations s’amoncellent à Rennes, quelquesunes accompagnées de judicieuses remarques. Mais à tous il semble bien que la jeune femme qui tient le rôle de speakerine ne soit pas du cru et que ses présentations n’apportent rien de bien utile.
Cela mis à part, c’est un mouvement unanime de satisfaction qui sanctionne l’émission bretonne, la jeune émission bretonne qui ne compte que quelques mois 47 . »
23 Pourtant, contenter tout le monde n’est pas chose aisée. À côté de bien des compliments, un petit lot de reproches, ou decritiques, figure dès les débuts dans le berceau de la naissante émission bretonne : ce sont des articles de revues, du courrier… Avel an Trec’h 48 ne perd pas de temps. Cette publication mensuelle, dans son numéro de février 1947, donne un long article où la toute première émission bretonne est passée au crible d’une critique très détaillée. Voici ce texte :
« On a enfin accordé aux bretonnants une demi-heure d’émission en breton par semaine. Nous enregistrons cette concession, réclamée depuis si longtemps, avec satisfaction. Nous espérons d’ailleurs qu’elle ne sera que la première des mesures qui feront cesser en Bretagne un état de choses qui a été jusqu’ici la honte de l’État français et qui a créé l’extrémis me breton : en particulier il faut que sans tarder la Bretagne cesse d’avoir le triste privilège d’être le seul peuple d’Europe dont la langue ne soit pas enseignée dans ses propres écoles .
Il est difficile de juger la nouvelle radio bretonne d’après une seule émission. Pourtant dès aujourd’hui nous pouvons souhaiter tout d’abord que le nombre d’émissions se multiplient [ sic ]. Il y a en Galles une heure d’émission en Gallois [ sic ] par jour. Une demi-heure de breton par semaine est presque symbolique. Ensuite j’entends bien qu’on veut avant tout nous donner des émissions populaires : ce qui est bien, mais encore faudrat-il faire attention à ne pas nous servir des paysanneries, dont les paysans se fatigueront vite eux-mêmes.
Je crois que nous pouvons faire ici une suggestion. En dehors des émissions artistiques etré créatives, on pourrait à l’avenir, diffuser les nouvelles générales, aussi bien que bretonnes, chaque soir, de même que chaque soir, nous pouvons entendre un journal parlé en gallois, où nous est donné un panorama des principaux évènements mondiaux et gallois : je me rappelle avoir entendu au cours d’une émission de juin 1944 l’exposé du développement des opérations de débarquement, et ensuite le compte rendu d’un “Eisteddfod”local. Ces émissions seraient d’ailleurs particulièrement faciles à réaliser.
Autre [ sic ] desiderata. Il faut absolument augmenter la puissance du poste de Kimerc’h, de façon que les émissions soient entendues aussi bien En Haute qu’en Basse-Bretagne, non seulement parce que le breton est la Langue de la Bretagne entière, mais encore parce qu’il se trouve en Haute Bretagne pas mal de Bretonnants et en particulier un certain nombre de Bretonnants instruits auxquels il faut songer : nous parlions d’émissions populaires au début de cet article, et il est certain qu’une radio doit s’adresser à tous et plaire à tous. Mais il nous semble qu’à côté de ces émissions récréatives, si l’on peut dire, il serait bon d’avoir un certain nombre d’émissions artistiques, théâtre, etc. ou de vulgarisations (conférences sur l’économie bretonne, histoire de la Bretagne, etc.) ; en un mot la radio bretonne doit devenir un instrument d’éducation populaire destiné spécialement aux Bretons. Remarquez d’ailleurs que nous ne demandons pas que toutes ces émissions soient faites en breton : nous exprimons simplement le désir que Radio-Bretagne, d’une façon générale, devienne un poste vraiment breton, dirigé par des Bretons et organisé en vue de leur intérêt et de leur plaisir.
Nous avons fait remarquer tout au début que la création d’une radio bretonne devait avoir pour corollaire l’introduction du breton à tous les degrés de l’enseignement en Bretagne. Et de fait nous ne pourrons avoir vraiment une radio complète en breton que le jour où tous les Bretons seront instruits dans leur langue : il existe une radio galloise complète, parce que la langue est enseignée à tous les degrés au pays de Galles. Une langue purement populaire ne peut être une langue de civilisation, et une langue qui n’est pas une langue de civilisation est condamnée à mort.
De toute façon nous conseillons à nos lecteurs d’écrire à Radio-Bretagne pour lui exposer leurs défiances et leurs désirs 49 . »
24 L’auteur signe « An Arvester /Le Spectateur » : ce pseudonyme demeure un anonyme. Cet anonyme n’est pas le premier venu, ce n’est pas non plus un néophyte. En effet, ce qu’il propose, c’est tout simplement le programme de Rennes-Bretagne pendant la guerre. Mais la radio ellemême n’est pas mentionnée. Cet « Arvester » a lu ses classiques, et a tous les diplômes pangéens dans son dossier : le breton, langue de la Bretagne entière ; le breton, langue de gens instruits qui en font une langue de civilisation. Tout y est. Le numéro d’ Ar Falz de décembre de cette même année 1947 contient une réponse à notre « Arvester » si exigeant et si critique. Ar Falz commence par faire état de la parution, sous le titre Biskoaz kemendall , d’un premier recueil des sketchs de Per Hélias diffusés chaque samedi par RadioQuimerc’h. Ar Falz ne manque donc pas de monter en épingle le succès de l’émission ; puis c’est la réponse à Avel an Trec’h :
« Félicitons, en passant, les deux interprètes de ces sketches savoureux, nos amis P. Hélias – leur auteur – et P. Trépos. Ne nous étonnons pas de trop si quelques super-intellectuels de telle ou telle chapelle “littéraire” [ ?] désigne [ sic ] ces petites comédies parfaitement réussies du nom plein de dédain de “paysanneries” : de toute évidence elles ne sont pas faites pour eux, et un abîme sépare ces éminents théoriciens du bon peuple de chez nous, qu’ils ne comprendront jamais et dont ils ne s’assimileront jamais l’esprit. Et il faut bien poser une question aux puristes qui reprochent à la Radio régionale de diffuser (dans un programme de Variétés) des choses prétendûment “faciles”. Qu’estce qui est le plus utile : écrire ou interpréter un “ Jakez Kroc’hen ” toujours réussi que 100 000 personnes ou plus écouteront, goûteront avec un plaisir dont témoigne le courrier extraordinaire reçu à la Radio, ou traduire dix contes d’E. Poe en un breton qui n’a de breton que les mots et que ne lira qu’un lecteur sur trois d’une revue confidentielle ?… Au reste, qu’attendentils pour adresser à la Radio des œuvres d’un genre moins “facile”… mais “audibles” tout de même 50 ?… »
25 L’attaque est frontale : sont visées au moins deux publications, Avel an Trec’h , et aussi Al Liamm Tir na nòg qui, de fait, publiera, en 1948, des traductions en breton d’Edgar Poe 51 . La brève polémique où sont impliquées les deux publications Avel an Trec’h et Ar Falz témoigne de la mise en place de deux conceptions rivales et opposées – parfois durement – pour ce qui concerne la langue bretonne. On a de la sorte deux pôles : d’un côté, ce qui deviendra Emgleo Breiz , de l’autre, ce qui formera une contre-attaque, Kuzul ar brezhoneg . Au centre de la réponse d’ Ar Falz à l’article de Avel an Trec’h , s’inscrit la question de la fidélité : fidélité au peuple et à la langue que le peuple parle et comprend, ou fidélité à la langue comme emblème de la nation, langue à laquelle il faut hisser le peuple ? On sait qu’Hélias a choisi son camp. Mais dans ce camp luimême, quelques grincements se font entendre. Qu’on en juge par cette page du mensuel Kroaz Breiz :
« Didrugar awalc’h eo ar pez emaoun o vont da skriva aman diwarbenn tud a gav dija, kasisur, skoilhou a bep seurt adreuz o hent hag o defe kentoc’h ezomm da veza sikouret eget da veza tamallet gant ar re na reont netra… Met n’oun ket evit mirout da lavarout oun aet skuiz gant Gwilhou Vihan ha Tonton Loullig. Ha n’emaoun ket va unan.
Diês meurbet eo plijout d’an oll, hag ar Vreiziz a zo bet aviskoaz, kizidik ekenver o brud.
Evelse em eus klevet a gleiz hag a zehou, klemmou : Tud desket o lavarout : “Vulgaire, vulgaire, c’est bécassine à la Radio” !…Tud diwar ar mêz : “Eman ar rese adarre oc’h ober goap ouz ar beisanted”…
Aes eo kaout abeg met ne dleer ket barn labour an Aotrounez Helias ha Trepos war zigarez eur farsadenn displijus ha n’eman ket ganti holl spered ar vro.
Anzao ’ranker e teu ganto brezoneg ar gêr, eur parlant frêz ha doareou divorfilet ; buhez a zo ivez en abadennou…
Hep mar ebed, ar pez a rafe plijadur, eo klevout aliesoc’h moueziou merc’hed o komz eur brezoneg flouroc’h ; klevout kanaouennou gant strolladou kanerien, farsadennou gant rummadou c’hoarierien.
N’eo ket danvez a vank, met tud kentoc’h. Daoust ha rebech a c’hellfemp da Ber Helias ha da Ber Trepos beza nemet daou ?
Ouspenn an danvez, ar vicher a vije ivez da wellaat : War ar poentse eman an abadennou brezonek warlerc’h an abadennou gallek. Da skouer, an trouziou da eila ar moueziou (“le bruitage”), al liamm etre ar pennadou (“le découpage”) ha kalz traou all a zo netraigou mat da gaout… Siouaz ! radio Kimerc’h ne ruilh ket war an aour, sur awalc’h, ha kaer a vo lavarout, ganti eman c’hoaz ar penn araok evit al labour brezonek a drugarez d’an Ao. Ao. Helias ha Trepos.
Ils sont bien désagréables les propos que je vais tenir ici au sujet de personnes qui trouvent déjà, certainement, des difficultés de toutes sortes sur leur chemin et qui auraient plus besoin de trouver de l’aide que des reproches venant de gens qui ne font rien…Mais je ne peux m’empêcher de dire que j’en ai assez de Gwilhou Vihan et de Tonton Loullig. Et je ne suis pas le seul.
Il est extrêmement difficile de plaire à tout le monde, et les Breton sont toujours été sensibles à leur réputation.
Ainsi ai-je entendu des plaintes à droite et à gauche : des personnesins truites qui disent :“ Vulgaire, vulgaire, c’est bécassine à la Radio 52 ” !… Des ruraux : “Ceux là sont encore à se moquer des paysans”…
C’est facile de trouver à redire maison ne doit pas juger le travail de Messieurs Hélias et Trépos sous le prétexte d’une farce déplaisante qui ne relève pas entièrement de la mentalité bretonne.
On doit reconnaître qu’ils parlent le breton familier, en une langue claire avec des expressions vivantes ; il y a de la vie aussi dans les émissions…
Sans aucun doute, ce qui ferait plaisir, c’est d’entendre plus souvent des voix féminines de femmes parlant un breton plus élégant ; d’entendre des chants interprétés par des groupes de chanteurs, des farces par des troupes d’acteurs.
Ce n’est pas la matière qui fait défaut, mais plutôt les personnes. Pourrions-nous reprocher à Pierre Hélias et à Pierre Trépos de n’être que deux ?
En plus de la matière, la technique serait aussi à améliorer : sur ce point, les émissions en breton sont en retard sur les émissions en français. Par exemple, les bruits qui accompagnent les voix (“lebruitage 53 ”), le lien entre les morceaux (“le découpage 54 ”) et beaucoup d’autres choses qui sont des détails, mais des détails qui ont leur importance…
Hélas !, radio Quimerc’h ne roule sans doute pas sur l’or, et on aura beau dire, c’est encore elle qui est en tête pour ce qui est du travail de langue bretonne, et ce grâce à MM. Hélias et Trépos 55 . »
26On aura noté chez l’auteur le souci de prendre des gants dans sa volonté d’égratigner le contenu des émissions et d’exprimer salassitude devant le peu de variété des programmes. Il laisse entendre qu’il y a un mécontentement chez les « personnes instruites » – qui parlent français – et chez les gens de la campagne–qui, eux, parlent breton. Mais notre auteur ne va pas plus loin dans la critique de fond : ils’empresse de rappeler que la qualité de la langue n’est pas en cause et que c’est parfois la forme qui pèche.
27 Cette flèche décochée va faire réagir celui qui est visé. Dans la Nouvelle Revue de Bretagne , Hélias entreprend, sinon de se justifier, tout au moins de développer la philosophie qui est la sienne 56 . Il en profite pour dresser un premier bilan qui, selon lui, est positif. Il n’esquive pas pour autant les critiques :
« Les esprits distingués nous en veulent de nous en tenir à des émissions comiques, farces ou comédies légères, d’une psychologie assez rudimentaire. Il y a, disentils, d’autres sujets plus graves, plus élevés ou simplement plus sérieux. Nous sommes éperdument d’accord. Mais, outre les limites techniques et artistiques qui nous sont imposées et dont nous parlerons tout à l’heure, outre que nous ne visons pas à toucher les intellectuels, nous prétendons que la Radio, parole qui passe, doit être parfaitement comprise d’un public comme le nôtre qui ouvre son poste non pour s’instruire mais en guise de passetemps. Nous n’occupons ni une chaire à prêcher ni une tribune d’endoctrinement. Cela dit, la suite de ce bilan prouvera qu’il y a autre chose que de la farce dans l’émission bretonne. Pour nous en tenir aux chiffres, sur plus de deux cents émissions, il y a eu 87 “Jakez”, y compris les reprises à la demande des auditeurs.
Les mêmes esprits distingués se déclarent choqués profondément par nos deux lascars. “Ils sont vraiment trop bêtes – soupirentils, avec quel accent de vertueuse réprobation – et vous les engagez vraiment dans des aventures d’une stupéfiante invraisemblance.” Voyons, messieurs, entendons-nous. Il s’agit de farce et la farce est d’excellente tradition. Nous n’irons pas invoquer le patronage illustre du grand Molière, ni même celui des tréteaux du PontNeuf. Réfléchissez cependant que ni le “Médecin malgré lui”, ni le “Scapin” ni le “Bourgeois Gentilhomme”, pour exemplaires qu’ils soient, ne poussent à la crédibilité. Pour notre part, nous nous référons à la tradition populaire bretonne, celle des aventures de Yann Seitek qui bercèrent notre enfance, celle de Aotrou Fistoulik, celle des innombrables Yann, y compris le désopilant Yann ar Pôtr Mat de l’abbé Conq, celle enfin de ces innombrables farfelus (le mot est de Rabelais) dont la création sans cesse renouvelée constitue une épopée paysanne plus significative, peutêtre, que le Barzaz-Breiz du noble vicomte-poète Hersart de la Villemarqué. Lisez Loeiz ar Floc’h, Yann ar Floc’h, Yvon Crocq, Dirnador, Pôtr Treoure, le père Médard et dix autres si vous voulez prendre contact avec la veine populaire dont Frédéric Le Guyader aurait sans doute écrit le chefd’œuvre s’il avait employé le breton. Et demandezvous si Panurge, Till Eulenspiegel, Lazarillo de Tormes ou le Gil Blas du Vannetais Lesage sont des personnages cérébraux. La question n’est pas simple, mais, en tout état de cause, il n’est pas nécessaire d’être sérieux pour être vrai ni d’employer les modes graves pour se montrer exemplaire. Dans les “Jakez”, si vous faites abstraction de l’anecdote, il reste assez de répliques de bon sens pour justifier le tout. Précisément, c’est peutêtre cela qui vous gêne. Non ?
Ce sont les mêmes critiques zélés, apparemment, qui nous accusent de faire passer les Bretons pour des ivrognes, sous prétexte que dans nos petites pochades radiophonique s’il est souvent question de “boire un coup”. Déjà la même accusation a été portée contre Tanguy Malmanche, à propos de “La Veuve Arzur”, si bien que cet ouvrage, à ma connaissance, n’a jamais vu le jour. Dans la “Revue des Jeunes” (1926), le grand dramaturge, avec son ironie coutumière, déclare à ce propos : “Vous savez – ou tout au moins je vous l’apprends–que parmi les Bretons il n’y pas d’ivrognes ; il n’y a que des malheureux qui, dans une heure d’égarement, se laissent ‘entraîner’ au débit par un démon tentateur, en général Parisien ou Marseillais. ”Le sujet est donc tabou. D’accord. Cela ne nous gêne nullement, puisque ni Jakez ni Gwilhou ne sont des ivrognes. Il est exact qu’ils parlent assez souvent de boire. Doit-on s’en étonner ? Le plus souvent ils travaillent aux champs, sous le soleil. Ils ont quelque raison d’être assoiffés. Or, dans une société comme la nôtre, où chaque rencontre, chaque visite, est sanctionnée par la dégustation d’un quelconque liquide, cérémonial souvent obligatoire, la grande majorité de nos contemporains boit sans soif. Jakez et Gwilhou parlent assez souvent de boire, mais ils ne boivent, hélas, pas souvent, les pauvres diables. En quatre ans, textes en main, nous pouvons prouver qu’ils se sont trouvés trois fois enflagrant délit d’ivresse. Et moi, bonnes gens, je connais de fort honnêtes personnes qui boivent plusieurs apéritifs par jour. Cela vaut évidemment mieux que de distiller du vinaigre.
Bornons ici ces explications que nous avons tenu [sic] à donner au quarteron de super-celtes qui voudraient que nous fournissions un chef d’œuvre hebdomadaire sur les ondes sans réfléchir, les pauvres, que la littérature bretonne tout entière n’y tiendrait pas deux mois ? Sans réfléchir non plus que le public, qui nous occupe nous laisserait bientôt seuls dans l’éther des sentiments et des idées, derrière la barrière d’une langue superbement artificielle 57 . »
28 Après le mot» vinaigre », apparaît un appel de note dont le contenu est une réponse directe à l’article précité de Kroaz Breiz .
« Nous avons été fort étonnés de lire, dans l’excellente revue bretonne Kroaz Breiz (aujourd’hui Bleun-Brug ), qu’on nous reprochait de jouer les “Bécassine” et de ridiculiser les Bretons. À supposer que Bécassine , que nous ne défendons en aucune manière, croyez-le bien, ridiculise les Bretons aux yeux du public de langue française, nous nous demandons avec effarement comment nos modestes héros, qui s’expriment en breton et dont les propos ne sont entendus que des bretonnants , pourraient ridiculiser la Bretagne. Aux yeux (ou aux oreilles) de qui ? À radio-Quimerc’h nous sommes entre nous, en famille, et nous nous racontons nos propres histoires. Laissez-nous donc en paix, au lieu de bourgeonner de l’encéphale 58 . »
29 Pierre Hélias, on le voit, ne prend pas de gants pour répondre à son détracteur de « l’excellente revue bretonne Kroaz Breiz » : il choisit clairement son camp, celui du peuple, en se plaçant lui-même dans la lignée des auteurs populaires bretons 59 qui ont recueilli et écrit des contes, et en faisant de ses héros Jakez et Gwilhou, des cousins – à la mode de Bretagne – des grands héros picaresques 60 . Une autre mention significative sur le sens qu’Hélias entend donner à son œuvre radiophonique, c’est quand il cite le nom de Malmanche 61 : dans le petit monde des lettres bretonnantes, c’est un peu une référence. Malmanche a écrit des drames baignant dans une atmosphère mystique qui fait totalement défaut dans la production en langue bretonne de l’époque ; il rédige dans une langue populaire et simple des œuvres « d’une densité poétique et d’une intensité dramatique jamais vues 62 ». Le point commun de toutes ces allusions littéraires, c’est le rapport au peuple, c’est la veine populaire. Le peuple : on le voit apparaître dans les archives de PierreJakez Hélias, notamment dans le courrier conservé par l’homme de radio.
30 Dans une chemise portant comme titre « Radio-Quimerc’h. Correspondance à conserver », Pierre Hélias avait rangé des lettres relatives à son activité radiophonique. Certaines proviennent de personnalités du mouvement breton qui le félicitent pour telle ou telle émission, ou bien qui proposent des pièces ou des chansons 63 . D’autres, écrites par des instituteurs à la retraite, comportent des petites histoires ou des contes, des chansons de leur terroir susceptibles d’alimenter les émissions. Quelquesunes, enfin, très peu sembletil, sont écrites par des bretonnants noninstruits. L’exemple cidessous, bien émouvant, mérite de sortir de l’oubli :
« Landévennec, ce 1 er décembre 1954
Monsieur,
Chaque dimanche, mon vieux père écoute religieusement votre émission bretonne de Radio-Quimerch ; c’est une des grandes distractions desa vieillesse, car le breton est restée sa langue préférée, nous le parlons beaucoup.
Il a 87 ans mais se souvient encore des vieux contes entendus autrefois dans son village natal de Quimerch, à la lisière du Cranou.
Depuis quelques jours, ils’est mis en tête d’en relater quelques uns pour vous les adresser, en breton comme il le prononce, mais avec une très mauvaise orthographe.
Je doute que vous puissiez les lire ; si non, tout simplement, jetez ces feuilles au panier.
En nous excusant de vous déranger, de vous distraire de vos multiples occupations, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les meilleurs 64 . »
31Suivent une dizaine de feuilles à carreaux remplies d’une écriture serrée et « sans orthographe » aucune. À la fin de l’une des histoires retranscrites par le vieil homme, on lit cette phrase :
« Mé ébeuse composet toude an drasé et vidoh nousonquéde a houi a hallo compren ar pése émeuse scrifet car mé névélon quet made mé aso conse mé et meuse 88 ans.
C’est moi qui ai composé tout cela pour vous je ne sais pas si vous pourrez comprendre ce que j’ai écrit car moi je ne vois pas bien je suis vieux j’ai 88 ans 65 . »
32 C’est bien à de tels courriers» sans orthographe » qu’Hélias fait allusion dans ses mémoires 66 . Pourtant, ce genre de lettres n’est pas le seul témoignage d’un processus de rétroaction où l’émetteur devient récepteur et vice versa . Certaines d’entre elles, très peu aussi, contiennent des reproches. Je citerai les deux plus remarquables. La première est en date du 5 mars 1951 : signée « Pierik ar Go, menajer », elle est écrite « sans orthographe » dans un breton remarquable, sur une double feuille à carreaux extraite du milieu d’un petit cahier d’écolier. En voici l’intégralité :
« Lanhuon d’ar 5 a vis Meurs 1951
Otro ker.
Pell so moa c’hoant da scrivan d’ec’h goude n’on ket ur maout voar ar scrivan brezonek. Met en de all meus klewet oc’h adress er post T.S.F. Divoar ben Radio Quimerc’h an hini ê e fall d’ime lared eur gir bennag d’ec’h.
Mad avoalc’h e ve klewet aman breman ha da gentan moamp cals a blijadur o chilaou anean, met ziouas n’ê ket padet pell ar blijadurze, kar bop sul e ve memes tra : rac’hoanach groac’het koz a contadenno meoierien. An dud dre aman a zo crog da laret penos na glewer nemert cauzio paour gand ar radio brezonek, c’hoas, emê, pa ve treo brao e vent alies kaned pe lared gand tud nan ouzont ket mad ar brezonek evel an Ergouarc’h petramant Pier al Loue pehini a vlej memestra evel eur vuc’h.
Me zonj ive penos n’om ket tud ken bas se a speret ha treo eun tam huelloc’h a blijfe muoc’h dimp. Ar gauz se a meus klewed gand ar re a jilaou Radio Quimerch dre aman, da lared ê en Bulien, Rospez ha Berlawene.
Coulskoudee eiz te so e oa bet brao tout an treo : unan bennag a nevoa lenned eur paper divar ben eur film. Se a oa pliget d’an oll. Yann Poënze pe Paulic Huellou, ar re ze a oar canan pe Cercle celtique Raon ive. Plijus ê, ive ar zonio koz pa vent canet gand tud divoar ar mêz. Met ne vefe ket possubl klewed eun accordéon pe eun instrumant bennag ewel eur piano da harpan ar ganerien ?
Petra zo caus na ve klewet kammet mann bet deus ar vro man, me zo sur a zo canerien dre aman ive. Arabad ê d’ec’h ober ewel ar veleienn, sonjal ec’h ê zotoc’h an dud ewit nan ind.
Mez a meus o scrivan eur lizer ewel heman met red ê dime ober, kar tud all er broio estren a jilaou anoc’h ha meus aon e kleont ober goab deus ar Vretoned.
Esperanz meus pa oc’h directeur ar Radio e hallfet goellât an treo. Kas a ran d’ec’h ma goellan saludo.
Pierik ar Go
Menajer
Lannion le 5 mars 1951
Cher monsieur.
Il y a longtemps que je voulais vous écrire bien que je ne sois pas un as pour ce qui est d’écrire en breton. Mais l’autre jour, j’ai entendu votre adresse au poste de T.S.F. C’est à propos de Radio Quimerc’h que je veux vous dire quelques mots.
L’audition ici est assez bonne maintenant et, au début, nous avions beaucoup de plaisir à l’écouter, mais hélas, ce plaisir n’a pas duré longtemps, car tous les dimanches, c’est la même chose : des bougonneries de vieilles bonnes femmes et des contes d’ivrognes. Les gens par ici commencent à dire que l’on n’entend que de bien pauvres causeries à la radio en langue bretonne, et encore, disentils, quand il y a de belles choses, elles sont souvent chantées ou dites par des gens qui ne savent pas bien le breton comme L’Ergouarc’h ou bien Pierre Le Loue qui beugle comme une vache 67 .
Je pense aussi que nous ne sommes pas des gens si pauvres d’esprit que cela et que des sujets d’un niveau plus élevé nous plairaient davantage. Ce propos, je l’ai entendu de ceux qui écoutent Radio Quimerc’h par ici, c’est-à-dire à Buhulien, Rospez et Berlevenez.
Cependant, il y a huit jours tout avait été remarquable : quelqu’un avait lu un papier à propos d’un film. Cela avait plu à tout le monde. Yann Poëns ou Paulic Huellou, ceuxlà savent chanter, tout comme le Cercle celtique de Rennes. Les vieux chants sont agréables aussi quand ils sont chantés par des gens de la campagne. Mais ne seraitil pas possible d’entendre un accordéon ou quelque instrument comme un piano afin d’accompagner les chanteurs ?
Comment se faitil que nous n’entendions pratiquement rien du coin, je suis sûr qu’il y a de bons chanteurs par ici aussi. Il ne faut pas que vous fassiez comme les prêtres et que vous pensiez que les gens sont plus idiots qu’ils ne le sont.
J’ai honte de vous écrire une lettre de la sorte mais il faut que je le fasse, car d’autres personnes vous écoutent dans les pays étrangers et je pense qu’ils doivent se moquer des Bretons.
J’espère, puisque vous êtes directeur de la radio, que vous pourrez apporter des améliorations. Je vous envoie mes meilleures salutations.
Pierre le Goff
Paysan 68 . »
33La deuxième, en français, est adressée cinq ans plus tard à» Monsieur le Directeur Général de Radio Bretagne ».
« Roscoff le 18 juin 1956
Monsieur le Directeur
Au nom de plus d’une centaine d’auditeurs Roscovites je me permets de vous écrire au sujet de l’audition en langue bretonne que nous entendons tous le Dimanche. Vraiment il y a de l’abus. Sans doute monsieur le Directeur vous ne devez surement pas comprendre la langue bretonne sans quoi il y a bien longtemps que vous auriez mis fin à cette pantomine que nous entendons il y a déjà trop longtemps. Il y a plusieurs mois que Messieurs Hélias et Pierre Trépos ridiculisent notre belle Bretagne. Il est temps que cela cesse.
Dans tous le Léon on se demande où vont-ils chercher ces imbécilités qu’ils nous racontent. Histoires qui netiennent pas debout, et qui n’ont aucun sens. Dimanche, pas encore un seul chant, chose que nous aimions tant. Si pendant la demie heure bretonne nous écoutons l’émission, c’est toujours dans l’attente de chants qui malheureusement n’arrivent pas. Si on pouvait téléphoner tandisqu’ils nous racontent leurs histoires idiotes avec quel empressement on leur dirait de fermer vos g - - - on vous a assez entendu. J’espère monsier [ sic ] le Directeur que vous tacherez de faire quelque chose pour faire modifier le programme avant que les touristes arrivent chez nous. Car la plus part d’entre eux connaissant la langue bretonne seraient outrés de voir à quel point on les ridiculise. Que deviennent les chanteurs léonards qui remportaient tant de succès pour leurs chants et leurs chansons. Le Barde Cuëff, le Barde Gourvil, le Barde Francis Moal, Mademoiselle Pronost ? et tant d’autres ? C’est du chant surtout que nous demandons au moins un quart d’heure, l’autre suffirait largement à Jacquez Kroc’hen et à tonton Loulic pour leurs causeries habituelles. Si vous faisiez une enquête au sujet de cette audition bretonne des milliers d’auditeurs vous en diraient de même. Dans l’attente que vous ferez quelque chose, recevez le Directeur en chef au nom d’une centaine d’auditeurs mes meilleurs salutations.
Un auditeur indigné 69 . »
34 Que penser de ces lettres ? Elles semblent faire écho à l’article de Kroaz Breiz reflétant l’opinion du peuple selon laquelle à la radio bretonneils « sont encore à se moquer des paysans ». Ce reproche figure à nouveau, en 1956, dans la revue Ar Vro .
« En vue de rédiger cet article je décidais d’écouter une fois de plus radio Kimerc’h : en toute sincérité je dois avouer que je n’écoute pas régulièrement l’émission bretonne car j’y trouve vraiment trop peu d’intérêt. Sans doute suisje de parti pris et d’autres que moi pourront découvrir dans ces émissions les qualités que je n’ai pas su y voir.
Je me mis donc à l’écoute et entendis l’indicatif habituel, quelques notes de bombarde, un groupe de sonneurs et enfin un sketch de Per Helias. À ce moment arriva un ami et je dus tourner le bouton de mon poste sur un “ye, ye, ye” de Jakez Kroc’hen. Ce “ye, ye, ye” est notre “ya” national ; et ce petit mot suffit, comme le roseau du poète, à faire affluer les critiques.
La critique est aisée, me diraton, je le sais ; c’est la raison pour laquelle, tout platoniquement, je me contenterai de quelques suggestions et vœux.
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Historique
La radio bretonne vit le jour pendant la dernière guerre et fut pour vue d’un personnel spécialisé, comme celui de tous les vrais services radiophoniques. Il paraît queses émissions étaient excellentes ; ne les ayant pas entendues je ne puis évidemment l’affirmer. À la fin de la guerre, les « anciens » furent balayés, et, plus tard, la direction était confiée à deux nouveaux venus, sans compétence spéciale mais politiquement sûrs…
Leur grand mérite a été de tenir, seuls, pendant dix ans ; mais il en est résulté un grand manque de variété : c’est le moins que l’on puisse dire.
Au début, cela pouvait être acceptable, bien qu’il y eut un peu trop d’histoires d’ivrognes et de bretons intellectuellement arriérés. Coups de biniou, petite chanson (de très bonnes et de très mauvaises), sketch de Per Helias, suivis de… coup de biniou, petite chanson, sketch de Per Helias. Mais pendant dix ans, pour ainsi dire chaque semaine, du Per Helias, dit par Per Helias, devient naturellement rengaine, quelque soit la bonne volonté de l’auditeur, le talent et l’imagination de l’auteur.
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Exclusivité !…
Il s’ensuit une terrible monotonie dans les sujets, dans la diction et dans la présentation. Je me souviens pourtant d’une excellente émission, avec bruitage parfaitement adapté, récit, musique et chants entremêlés : c’était, je crois, au sujet de KerIs.
Pourquoi l’auteur déjà mentionné seraitil le seul admis ? Il n’est pas l’unique écrivain breton ; il existe des nouvelles et des pièces de théâtre modernes et de grande valeur, cependant assez populaires pour être comprises de tous.
Il nous faudrait aussi des informations ; il est regrettable que la radio bretonne n’ait pas jugé bon d’accepter une proposition qui lui a été récemment faite dans ce sens. La seule information consiste dans la critique des livres, par Per Trepos ; brève, mais honnête et impartiale, elle ne manque certainement pas son but qui est de donner aux auditeurs l’envie de lire les œuvres présentées.
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Langue ou dialectes ?
Et j’en viens à ce“ye, ye, ye”. Per Trepos et Per Helias sont d’excellents bretonnants, et nous sommes certes loin du“brezhoneg beleg 70 ”d’antan ; hélas, ils aiment trop leur propre dialecte. Sur ce point, il y aurait un petit effort à faire, car en Bretagne nous ne sommes pas tous Cornouaillais. Dans tous les pays, aussi bien en France qu’en Allemagne où les dialectes sont si nombreux, la langue de la radio est tout naturellement la langue unifiée. Je sais que l’abbé Falc’hun a décidé que“la valeur pédagogique et culturelle du breton ne peut être que dialectale” ; cela est parfait pour Monsieur Falc’hun qui est un phonéticien : tous les bretons ne le sontpas !
Supposons que la radio tombe entre les mains d’un trégorrois et qu’il trouve bon d’adopter l’intonation et la prononciation de son petit terroir, au lieud ’un breton intelligemment standardisé, plus agréable, sans accent exagéré et compris de tous. Nous entendrions alors des “wite” pour “evito”, des “ordinal” pour “bepred” et des “bremazon” pour “bremaik”, sans compter d’autres particularités encore plus étranges.
La radio s’adressant à la Bretagne entière ne doit pas être dialectale.
Donc pas d’abus tels que“ye” : disons“ya”et tout le monde comprendra ; ne disons pas non plus“kerenchoù”au lieu du mot“kerent”, correct
Et connu dans tous les dialectes. Et il ne s’agit ici que de quelques exemples.
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Bref…
En résumé nous demandons tout simplement une bonne présentation, pas trop de rires, ni de bégaiements, un langage qui ne soit pas“le dialecte du coin”, de la variété dans les voix et les émissions. L’idéal enfin serait une véritable radio bretonne dirigée par des gens de métier et non par des amateurs qui, ayant nécessairement une autre profession, s’occupent des émissions à leurs moments perdus.
Nous savons que de telles décisions sont davantage du ressort de Paris que de celui de Rennes et cela, une fois de plus, nous conduit au seuil du problème des autonomies régionales 71 . »
35 Ce long article d’ Ar Vro est signé R. Sénéchal, qui marque sa différence par rapport aux autres auditeurs : il est indisposé par « l’accent du terroir ». Les collaborateurs d’ Ar Vro appartiennent tous à la constellation Roparz Hemon et en partagent l’idéologie : la « langue unifiée » à laquelle R. Sénéchal fait allusion, c’est la langue écrite qui a été mise au point le 8 Juillet 1941. On retrouve dans cet article les mêmes références idéologiques que dans la première critique, en date de 1947, citée plus haut.
36Quel est donc le contenu des émissions d’Hélias, et comment s’expliquent les réactions, du reste disparates, que j’ai citées ?
Un panorama qui se déroule
Cela nous a permis de confronter la Bretagne d’hier soir avec celle de cet orageux matin
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Pierre Hélias
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37 L’émission de Pierre Hélias aura un horaire très stable : en presque 12 ans, on ne signale que trois modifications 73 . Voici en quels termes l’homme de radio annonce le dernier de ces changements à ses auditeurs :
« Selaouit mat, eur c’helou a bouez
Adalek disul kenta, an naontek a viz meurz abadenn vrezonek R. K. a dremeno war ar radio deus eun eur ha pemp war n’ugent goude kreizteiz betek div eur nemet pemp.
Eur vech c’hoaz
Gant ar brasa bolonte ne c’heller ket ober gwelloc’h. An euriou a zo bet chenchet hervez eun emgleo etre holl broiou ar bed, anvet « accords de Copenhague.
Rak-se, tud kez, selaouit breman R. K. etre eun eur hanter à [sic]div eur en eur lonka eur banne kafe goude mern.
Écoutez bien, une nouvelle importante
À compter de dimanche prochain, le dix-neuf mars, l’émission bretonne de R[adio] Q [uimerc’h] passera à la radio entre treize heures vingt-cinq et quatorze heures moins cinq.
Une fois encore
Avec la plus grande volonté, on ne peut faire mieux. Les heures ont été modifiées d’après un traité entre tous les pays du monde, appelé» accords de Copenhague.
Ainsi, braves gens, écoutez maintenant R. Q. entre treize heuresvingt-cinq et quatorze heures, tout en buvant un café après le repas 74 . »
38Du statut d’émission accompagnant la veillée, on passe à celui de digestif. Cette annonce renseigne aussi et surtout sur la vision que Pierre Hélias a de ses auditeurs : après le repas, ils boivent le café, assis autour du poste qui trône sur le buffet. C’est peut être la meilleure illustration du décalage qu’il y a pu y avoir entre le producteur et ses auditeurs.
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39S’agissant des toutes premières émissions de radio de l’après-guerre, le bretonnant moyen se remémore principalement les farces de Jakez Kroc’hen et Gwilhou Vihan. Pourtant, l’émission bretonne n’était pas entièrement meublée par les dites farces, qui accaparaient ce pendant les vingt premières minutes. Les dix minutes restantes étaient livrées à des chansons, ou à ce qu’Hélias appelait des historiettes.
« Faut-il ranger les chansons, et même la chansonnette, au nombre des genres littéraires reconnus ? En ce qui concerne notre vieux pays, nul doute que les soniou et gwerziou de jadis n’en reflètent l’âme mieux que d’autres ouvrages de prétention plus élevée. En conséquence, sont passés sur l’antenne de Quimerc’h plus de trois cents chansons d’inspirations diverses : chansons de métier ou d’amour, chansonnettes enfantines, couplets satiriques, compositions savantes de clercs, que sais-je ! Les unes étaient significatives, émouvantes même, d’autres ne valaient que par l’intention. Des auteurs eux-mêmes sont venus au micro : le dynamique abbé Conq, interprète éblouissant de ses oeuvres, Fanch Gourvil, qui autrefois n’hésita pas à chanter dans les foires, Francis arMoal, Yfik arMoal accompagné à l’accordéon par son fils, Yann Poens dans ses chants montagnards, Charles Lecotteley dont la belle basse fit merveille dans des compositions de Pierre Trépos. Notre modeste poste a fortement contribué à lancer une estimable vedette du disque et de la Radio, Freddy Noël, dont on peut dire qu’il fit chez nous ses premières armes, et en breton, dans des poèmes de Calloc’h. Il nous faut faire mention de nos collaborateurs ordinaires, L’Helgouac’h,
Quintin et Roy, compositeurs à leurs heures.
Dans un domaine proche de la chanson, celui de la poésie, nous avons utilisé près de cent cinquante poèmes d’auteurs divers, dénichés dans des livrets minuscules et introuvables ou recopiés dans les anciennes revues. Certains ont fait l’objet d’un montage avec fond musical. Il nous en reste une ample provision pour les semaines à venir. […]
Il serait sans intérêt de recenser tous les éléments utilisés pour une émission de variétés, d’une durée exacte de vingt-huit minutes, quand on considère que l’on a souvent besoin de “ tampons ” allant de trente secondes à trois minutes. Pour combler ces intervalles, ont été employées des historiettes (pennadou berr) , des devinettes, des proverbes, des comptines, des fables. On a même eu recours à des recettes de cuisine 75 . »
40 Les auteurs que cite Pierre Hélias sont tous issus du peuple : ils le connaissent bien, c’est pour lui qu’ils écrivent ou ont écrit. Il donne ainsi les noms de Francis Moal (1897-1979), alias Francis ar Moal, et d’Yves Moal (1906-1973), alias Yfik arMoal, deux frères originaires de Saint-Polde-Léon. Tous deux, avant et après la Seconde Guerre mondiale, ont écrit des quantités de chansons sur feuilles volantes qui sont loin d’être complètement recensées 76 . Ifik arMoal, alias Pabor Kastell , et son fils prénommé aussi Ifik, se produiront après la guerre. Des chansons sur feuilles volantes illustrées d’une photo représentent le père au banjo et le fils à l’accordéon et, sous la chanson en breton, un slogan, en breton lui aussi :
« Evit er friko : plijadur, kan a muzik gant pabor kastell hag e vab ifik .
Pour un repas de noce : plaisir, chant et musique Avec le caïd de saint-pol et son fils ifik . »
41 Il s’agit de chansons sans aucune ambition, étrangères à toute préoccupation linguistique ou orthographique, et dont le seul but est de faire rire. Voici, mise en chanson, les heurs et malheurs d’une femme qui croyait avoir épousé un brave homme : le jour de son mariage, il se» lâche », dans tous les sens du terme 77 . Citons encore, dans ce registre très humble, deux chansons où c’est la gent féminine qui est mise en scène, pour raconter nombre d’évolutions – physiques et psychologiques – récentes la concernant, avec, in fine , les inévitables regrets du bon vieux temps 78 …
42 Dans les archives de Pierre-Jakez Hélias, figurent un certain nombre de contes, d’historiettes ou de chansons écrites, à son intention, par tel ou tel lettré bretonnant et que l’animateur utilise pour la radio : sa plume entre en œuvre en attribuant àTrépos ou à lui-même telle ou telle partie. C’est le cas d’un texte du docteur Du jardin – son écriture est facilement reconnaissable : il narre la bénédiction de la chapelle érigée à Morlaix, treize ans après les faits, en mémoire des victimes du bombardement du 29 janvier 1943. L’auteur propose des musiques d’accompagnement et, de surcroît, des extraits d’une complainte écrite de sa main pour commémorer ce tragique événement 79 . Hélias a découpé le texte de Dujardin, en faisant un montage pour le donner à la radio : ce texte a donc constitué un « plus » dont on ne connaît pas la date de diffusion. Les archives de Pierre-Jakez Hélias recèlent encore des coupures de Feiz ha Breiz 80 , ou encore de Bleun-Brug 81 .Maison n’en sait guère plus sur ces « suppléments ».Ce qui est passé à la postérité, ce sont les quatre types de programmes que je vais présenter maintenant afin de dresser la carte du paysage radiophonique composé par le Bigouden. À tout seigneur, tout honneur : commençons par les» Jakez ».
43 En 1963, pour les Annales de Bretagne , un auteur jette un coup d’œil rétrospectif sur» l’œuvre bretonne de Pierre Hélias ».Il présente le travail radiophonique de l’artiste en répondant à certains des reproches qui ont été faits au producteur de radio et il inscrit les deux héros Jakez et Gwilhou dans une tradition littéraire populaire 82 . Pierre Hélias lui-même le reconnaît implicitement lorsqu’il présente ses objectifs : les noms de Jakez Kroc’hen (Jacques la Peau) et Gwilhou Vihan (Petit Guillaume, Guillaumet) suivent une tradition ancienne de pseudonymes que les auteurs bretons se donnent, mais aussi de noms et de surnoms que l’on trouve en abondance dans la littérature bretonne aussi bien profane que religieuse 83 . Voici comment le Bigouden présente ses deux personnages :
« Il s’agit de deux bonshommes nettement farcesques, en butte le plus souvent aux tracasseries de leurs deux femmes aussi hautes en couleur qu’eux-mêmes, Katellig et Marianna . Les thèmes sont les thèmes traditionnels de la farce, à l’échelle bretonne évidemment et mis à part tout ce qui pourrait offenser la morale. Les intrigues se résolvent le plus souvent à une attrape ou à un coup de théâtre très simple. Parfois il s’agit de petites comédies de moeurs.
Il est inutile, je pense, de faire remarquer que ce sont là des histoires bien bretonnes. Certaines sont traditionnelles, d’autres m’ont été racontées sur les champs de foire ou dans les fermes, d’autres portées à ma connaissance par des lettres d’auditeurs. Enfin, quelques-unes sont si bien contemporaines et véridiques que je les ai trouvées dans la Presse régionale . Je me suis borné à les mettre en scène, à leur monter des ressorts. Personne, d’ailleurs, ne s’y est trompé. Les personnages sont devenus tellement populaires qu’on a vu figurer, dans les kermesses et les défilés des chars reproduisant le relais de Quimerc’h, avec nos deux lascars en chair et en os. Bien mieux, un peu partout, on raconte des histoires de Jakez Kroc’hen et Gwilhou Vihan dont Pierre Trépos ni moi n’avons jamais eu connaissance ! Inutile de dire que nous en faisons tout de même notre profit. C’est un exemple très caractéristique de la collaboration du public et des producteurs 84 . »
44 Avec Jakez Kroc’hen et Gwilhou Vihan , on entre de plain pied dans la farce, sans prétention aucune, comme le reconnaît Pierre Hélias. On est en présence de deux personnages auxquels il arrive des histoires dont le ressort est de faire rire. Le « coup de théâtre très simple » est ponctué par un retentissant « Biskoaz kemend-all » , qui veut dire, mot à mot « Jamais autant » et dont on peut proposer l’une ou l’autre traduction comme « On a jamais vu – ou entendu – ça », ou encore « Ça alors ! », « Incroyable ». D’ailleurs, sur les manuscrits des premiers sketchs, figure, au-dessus du titre propre du dialogue, le titre générique « Biskoaz kemend-all » . C’est aussi le titre des premiers dialogues quand ils sont publiés en 1947 85 , de même que l’édition des sketchs radiophoniques par Emgleo Breiz 86 . Ces deux personnages sont sommairement typés : juste quelques traits pour les reconnaître d’emblée. En fait, c’est au fil des semaines que Pierre Hélias dresse, par petites touches, le paysage, le cadre dans lequel évoluent ses deux héros. Mais saitil luimême précisément qui sont Jakez et Gwilhou ? Ce flou artistique n’estil pas volontairement entretenu par Hélias ? Il semble bien que si, et pour deux raisons : tout d’abord parce que cela lui laisse plus de latitude pour mettre en ondes des situations variées, et en second lieu, parce que la liberté des auditeurs n’en est que plus grande pour accueillir et interpréter à leur guise ce qu’ils entendent. De sorte que Jakez peut être le voisin de l’auditeur, son cousin ou son grandpère : à chacun son Jakez ; il tend un miroir à ceux qui l’écoutent 87 .
45 Que nous apprend cependant Hélias sur ces deux « bonshommes » – il n’y a pas d’autre mot – et sur leurs aventures ? Tous les deux habitaient à Pouldreuzic. Je dis « habitaient » car le nom de la commune natale du Bigouden apparaît dans le troisième sketch 88 , avant d’être remplacé par le nom de Poullfaouig : ce bourg n’existe pas, il est pourtant doté d’une mairie, d’une poste et, au moins, d’une taverne. De plus, on sait que cette localité ne se trouve pas loin de Pontl’Abbé 89 : elle se situe donc certainement en pays bigouden. Mais tout cela importe peu : Poullfaouig est un modèle, un archétype. Nos deux compères vivent apparemment du travail de la terre, même si ce travail n’est pas souvent luimême mis en scène. Ils portent parfois costume, tout comme leurs femmes Katellig et Marianna portent la coiffe ; d’ailleurs, lorsque Ar Falz publie les premiers sketchs, la couverture du livre est illustrée par un dessin de la main même de Trépos qui représente les deux amis ornés, l’un d’une casquette, l’autre d’un chapeau à guides : Pierre Hélias luimême s’était fait tirer le portrait en costume bigouden afin de donner chair à son héros. Jakez Kroc’hen semble un peu plus dégourdi que son ami Gwilhou : ce dernier, qui ne parle pas le français et ne sait pas écrire, a souvent du mal à comprendre, encore plus à accepter les nouveautés qui bouleversent parfois le quotidien de nos deux compères 90 . De plus, le ton radiophonique utilisé nous renseigne sur le caractère que le créateur a voulu donner à ses personnages. En effet, deux sketchs ont fait l’objet d’un enregistrement sur disque 91 : c’est le seul témoignage auditif qui reste. Hélias, alias Jakez Kroc’hen, parle avec un accent bigouden, certes, mais de façon distincte. Trépos, alias Gwilhou Vihan, qui fait souvent semblant de bégayer, a un accent bigouden beaucoup plus marqué et remarquable, notamment, par son « r » apical. Ce trait phonétique a une connotation importante, puisqu’il représente une prononciation plus « archaïque » qui est plutôt le fait des anciens. D’autre part, dans un des premiers dialogues entre les deux Bigoudens, on apprend que Jakez « perd son temps sur cette terre depuis 60 ans 92 ». Si Pierre Hélias situe les aventures de Jakez et de Gwilhou à la date où il les écrit, nos deux héros sont donc nés vers les années 1880. Complétons ce tableau, que la lecture des pièces ne peut guère rendre plus précis, par ce qu’écrira Hélias lui-même dans ses mémoires, après avoir rappelé que, dans cet immédiat après-guerre, l’on entendait toujours « dans nos campagnes », des historiettes de la veine des fabliaux.
« Nous avions décidé, Pierre Trépos et moi, de nous glisser dans la peau de deux de ces personnages-types. Sous le nom de Gwilhou Vihan (Guillaumet) il a joué une petite nature sujette à de violents retours de flamme, l’inséparable compagnon souffre-douleur, admiratif et dévoué, d’un escogriffe péremptoire et sentencieux mais souvent victime de ses propres machinations, Jakez Kroc’hen (Jacques La Peau) – moi-même, s’il vous plaît – qui l’entraînait dans des aventurettes risquées et le tirait aussi bien de toutes sortes de pièges quotidiens quand l’autre ne s’arrangeait pas pour l’y faire tomber lui-même. Ils faisaient bien la paire, unis en toutes occasions contre leurs épouses, l’une coquette et dépensière, l’autre avare et acariâtre, mais tenant les rênes serrées aux deux maris 93 . »
46Cet extrait date de 1990 : Pierre-Jakez Hélias écrit son histoire. Ce qu’il explique du caractère de ses personnages était certainement valable… en 1958, au moment où sa participation aux émissions s’achève, marquant ainsi la fin des aventures des deux compères. Et il est bien vrai que celui des deux qui reste est toujours enclin, des années après le décès, à enjoliver l’existence de celui qu’il a côtoyé pendant de longues années. On ne peut affirmer qu’Hélias enjolive, il fait oeuvre d’écrivain, lequel est aussi un arrangeur de l’histoire : la lecture de ses manuscrits laisse apparaître qu’il n’a pas du tout en tête ce qu’il se plaira à décrire du caractère et de la personnalité des deux compères. Et justement, que leur arrive-t-il ?
47 Dans les premiers sketchs, sont brossées de courtes scènes croquées sur le vif. Ainsi, dans le deuxième sketch de la série 94 , Gwilhou réveille son ami Jakez qui se révèle avoir une solide « gueule de bois » : la journée de la veille a été bien arrosée. D’autant plus que, comme le rappelle Gwilhou, « Piou bennak a refus eur banned en eun ti n’eo ket eur c’hristen /Quiconque refuse un verre chez quelqu’un n’est pas un chrétien 95 » . Or c’est bien ce qui est arrivé au pauvre Jakez qui, se rendant chez un voisin pour couper le cochon, a dû s’arrêter bien des fois en chemin pour répondre à plus d’une invitation… Il est revenu dans un piteux état et, devant son compère compatissant, il promet de ne plus boire que de l’eau. Promesse vite oubliée : il apprend que Gwilhou rentre du bourg où il a fait quelques emplettes qui lui permettront d’accueillir décemment des membres de sa famille qui vont arriver. Mais dans le panier à provisions se trouve une bouteille de cognac : Jakez se met en tête de la boire afin d’épargner la santé des invités de son ami, et d’empêcher ce dernier de commettre un péché mortel. Devant l’étonnement de Gwilhou qui lui rappelle sa promesse, Jakez répond :
« Gwir eo, Guillou. Met ar pez a ran eo evit renta chelvich d’ar reall, hervez lezen an Aotrou Doue ; n’eo ket evit va flijadur, han. Ha diouall da leskin ar voutailh da gouezan war an douar, daouarn youd. Petra, gurun. Biskoaz kemendall.
C’est vrai, Guillaume. Mais ce que je fais c’est pour rendre service aux autres, d’après la loi de Dieu ; ce n’est pas pour mon plaisir, hein. Et prends garde de ne pas laisser tomber la bouteille à terre, maladroit. Tonnerre de Dieu. On n’a jamais vu ça. »
48 Dans le troisième sketch, Loullig se fait accoster par la « demoiselle de la Poste » : elle est bien embarrassée car une lettre vient d’arriver dont nul ne connaît le destinataire. Séance tenante, Gwilhou se charge de la lettre, car il connaît tout le monde. Se retrouvant seul, Gwilhou sort ses lunettes et lit 96 sur l’enveloppe : « Monsieur Lagadec, bourg de Pouldreuzic, Finistère ». Stupéfaction ! Il ne sait pas qui est ce Lagadec. Arrive son compère à qui il fait part de son désarroi. Celuici lui révèle alors que le Lagadec en question, c’est lui-même, Jakez Kroc’hen. Horreur ! De son côté, Gwilhou réalise qu’il ne connaît pas son nom officiel : sur les bons conseils de Jakez, il se rend à la mairie afin de demander son nom. En chemin, il rencontre la receveuse des Postes. C’est par le dialogue suivant que se clôt la pièce :
- « Ho, tonton Guillou ! Kavet oc’heus perhenn al lizer ?
- Ia, Ia, dimezell. Kavet em eus anezhan. En e groc’henn ema.
- Ha da beleac’h em oc’h o vont ker prim ?
- D’ar Mairie, o mon vont. Da c’houll peseurt hano am eus. Biskoaz kemend all !
- Oh, tonton Guillaume ! Vous avez trouvé le propriétaire de la lettre ?
- Oui, oui mademoiselle. Je l’ai trouvé. Il est bien dans sa peau.
- Et où vous rendez-vous donc si rapidement ?
- Je vais à la Mairie. Demander le nom que je porte. On n’a jamais vu ça 97 ! »
49 Le comique farces que repose ici sur le jeu de mots et sur l’ignorance d’un des héros de son propre nom de famille : non seulement, tout le monde le connaît sous le sur nom de Guillaumet , mais, en plus, c’est le seul nom dont il se souvient. Situation fort peu vraisemblable, certes, mais qui a pu rencontrer un succès réelchez des auditeurs qui étaient eux-mêmes presque tous affublés d’un surnom, car telle était la situation courante, normale pourrait on dire, dans la société traditionnelle bretonne 98 .
50 Dans les ketch suivant, arrive Jakez, habillé de son plus beau costume, cigare à la bouche : il est bien pressé, c’est qu’il se rend chez le grand propriétaire de la contrée, à Kerlaeronan Trest 99 , afin de confirmer le mariage de son fils avec la fille de ce dernier, mariage qu’ils ont tous deux arrangé. À l’annonce de cette nouvelle, Gwilhou semble compatir à la tristesse du fils de Jakez :
- « Ha, paour keas den iaouank. Siouaz d’heñ.
- Penaos paourkeas den. Eun dimezi kaer a ra. Marteze eur stal a dailh daou vilion. Setu eman etouez pennou bras ar barez. D’ar c’henta votadek a vo kuzulier, marteze maer memes.
- Ia, sur. Met gwellet ac’h eus eur vech bennak ar plac’h iaouank ?
- Morse. Ha goudeze ?
- Daou ugent vloaz he deus, hag ouspenn.
-
Daou ugent ! Bast, anTimic en deus ugent. Setu e rei tregont da bep hini.
Mad an traou. - He lagad deou a zell warzu KastellPaol, he lagad kleiz warzu Gwened.
- Mad atao. N’eo ket eur pec’hed marvel.
- Hanter-bouzar eo ive.
- Mad. Kuit da glevout Timic o tont diwezat deus ar foeriou.
- He gar gleiz a zo kalz berroc’h eget he gar deou.
- Neus fors, ma jom en he sav.
- Neus ken eun dant en he genou, ha c’hoaz e brall gwasoc’h eget kleier ar vadiziant.
- Mad. Kuit d’ezi da bega.
- Hag hervez ar mod eo ker skragn, ker skragn, ma ne ra ket morse da zen na banned gistr, na banned gwin na banne piketez ebet. Neus ken dour skleren he zi.
-
Penaos ? Penaos ? Banneebed. Petra eo ar vaouezse. Netra vad sur awalc’h.
Banneebed. Ta ta ta. Mont a ran da derri an dimezi dioustu. Banne ebed.
Petra gurun ! Biskoaz kemendall. - Ah, pauvre garçon ! Dommage pour lui.
- Comment ça, pauvre garçon. Il fait un beau mariage. Une affaire qui vaut peut-être deux millions. Il fait maintenant partie des huiles de la commune. Aux prochaines élections, il sera conseiller municipal, peut-être même maire.
- Oui, assurément. Mais tu as déjà vu la jeune fille ?
- Jamais. Et alors ?
- Elle a quarante ans, voire plus.
- Quarante ! Eh bien, Petit Bout en a vingt. Ça fait donc trente à chacun. Tout va bien.
- Son œil droit regarde vers Saint-Pol de Léon, son œil gauche vers Vannes.
- Pas de problème. Ce n’est pas un péché mortel.
- Elle est aussi à moitié sourde.
- Bien. Ça l’empêchera d’entendre Petit Bout rentrer en retard des foires.
- Sa jambe gauche est beaucoup plus courte que sa jambe droite.
- Aucune importance, si elle tient debout.
- Elle n’a plus qu’une dent dans la bouche, et encore, elle branle pire que les cloches lorsqu’il y a un baptême.
- Bien. Çal’empêcherademordre.
- Et à ce que l’on dit, elle est siradine, siradine, qu’elle n’offre jamais à pers on ne ni coup de cidre, ni verre de vin ni lampée de piquette. Il n’y a que de l’eau claire chez elle.
-
Comment ? Comment ? Pas de coup à boire. Qu’est-ce que c’est que cette bonne femme. Rien de bon, sûrement. Pas de coup à boire. Taratata.
Je vais tout de suite casser le mariage. Pas de coup à boire. Tonnerre de Dieu ! On n’a jamais vu ça 100 . »
51 Ces trois exemples donnent une idée du genre des « Jakez » : une intrigue des plus réduites, avec un dénouement plus ou moins « gros ». Ainsi dans une pièce diffusée le 1er mars 1947 101 , Jakez et Gwilhou sont dans une charrette, de retour de la foire de Quimper : il fait nuit noire et les esprits sont embrumés, car il a fallu arroser comme il se devait les ventes conclues. De peur de se faire enguirlander par leurs femmes respectives s’ils n’arrivent pas avant le lever du jour, ils accélèrent la cadence. Et c’est alors que survient le drame : ils ont écrasé quelqu’un. Un homme ? Une femme ? Ou pire, un enfant ? Finalement, ils découvriront qu’ils viennent de passer sur un plein sac de pommes de terre, très certainement tombé de la charrette de Philibert Kof teo , le gros propriétaire de la contrée. Quelle aubaine ! Ils vont pouvoir revendre le sac afin de se remettre de leurs émotions… devant un bon verre de vin. Dans une autre pièce 102 , Jakez et Gwilhou se disputent la bouillie qui est restée collée sur le bâton à bouillie ; on a trouvé une issue : chacun d’entre eux, tour à tour, va essayer d’éteindre une braise incandescente et celui qui y sera parvenu se léchera les babines… Mais la procédure est longue et compliquée : pendant ce temps, c’est le chat qui se régale de la bouillie du litige…
52 Ce que Pierre Hélias met en ondes, ce sont des scènes de la vie quotidienne dont il a peutêtre entendu parler ou bien qu’il a lues et peutêtre vécues. En effet, on n’a pas trop de mal à croire à la vraisemblance des deux premiers sketchs publiés par Ar Falz 103 : dans le premier, on apprend que la femme de Gwilhou a truffé de crottin de cheval le tabac de son mari, ce qui lui coupe la chique ; dans le deuxième, Jakez croit avoir découvert le flacon de cognac personnel de sa femme qui se révèle être, après dégustation, un flacon d’eau de Cologne. On a déjà vu ça ! Que dire de plus, en effet ? Fautil lire derrière ces coups de théâtre des messages conscients ou inconscients que Pierre Hélias destine à ces auditeurs ? Par exemple, la conclusion du sketch où Jakez va marier son fils estelle misogyne ? On pourrait d’ailleurs aisément trouver d’autres exemples confirmant cette hypothèse : dans le sketch intitulé Kalz a drouz evit nebeut’dra /Beaucoup de bruit pour pas grandchose, les deux compères se lancent à la figure toute une série de reproches… qui se révèlent des racontars véhiculés par leurs femmes respectives 104 . La conclusion est sans appel : si les femmes devenaient muettes, ce serait immédiatement le paradis sur terre 105 . La conclusion du sketch qui raconte un retour de foire difficile estelle empreinte d’une sévère critique sociale ? Pourquoi pas. Je serais pourtant tenté de dire qu’elles n’ont qu’un objectif : faire rire. Peu importe le flacon – c’est le cas de le dire –, pourvu qu’on ait l’ivresse : toutes les ficelles sont bonnes, surtout si elles sont grosses. En revanche, ce qui se révèle peutêtre parlant, ce sont les allusions diverses qui émaillent les dialogues de nos deux compères. En effet, les pièces ne se résument pas à une chute, à un coup de théâtre. Il faut mettre la situation en place et préparer l’auditeur. Et pendant toutes ces minutes, Pierre Hélias maintient l’attention des auditeurs en déposant le long du sketch des perles plus ou moins bien ciselées. Ainsi, Jakez nous apprend que lorsque le mariage de son fils a été arrangé avec le propriétaire, il venait de se laver les pieds dans le baquet à lessive, « egiz a ran eur vech ar bloaz /comme je fais une fois l’an 106 ». De même, lorsque nos compères se retrouvent tous les deux, il leur arrive de disserter sur leurs épouses respectives, sur les misères qu’elles leur font subir 107 , ou bien sur les lubies qui leur passent par la tête. Pendant que les deux camarades préparent la bouillie, Jakez informe Gwilhou que sa femme Katellig s’est rendue à Pontl’Abbé acheter de nouvelles coiffes car, cette année, les coiffes font 25 centimètres, alors que les siennes à elle Katellig ne font que 23 centimètres. C’est encore Jakez qui raconte que sa femme Katellig vient de dépenser 3 000 francs afin d’acheter une poupée… pour mettre sur le lit, comme les dames de la ville 108 . C’est dans ces allusions, qui ne sont souvent que des stéréotypes, que Pierre Hélias nous renseigne le plus sur le public à qui il s’adresse, ou du moins, sur l’image qu’il a, lui, de son public. Il apparaît, du reste, que la longueur des « Jakez », au fil des années, va augmentant : de cinq minutes dans les premiers mois, on passe à quinze puis à une vingtaine de minutes. On a peutêtre là l’indice du succès rencontré : Pierre Hélias utilise le filon de la farce et opère des transitions entre les sketchs. D’une semaine sur l’autre, les situations s’enchaînent : ainsi, lorsque Jakez est choisi, en lieu et place de Gwilhou, pour occuper le poste de garde-champêtre 109 , ce sera dans le sketch de la semaine suivante que l’auteur nous brossera le tableau de leur réconciliation 110 . À mesure que les sketchs s’allongent, les allusions et les réparties comiques qui les émaillent se font plus nombreuses. Leur ressort fonctionne fort souvent sur une opposition entre autrefois et aujourd’hui. Ainsi, alors que Gwilhou souffre d’une rage de dent ( sic ), c’est l’occasion de rappeler qu’autrefois, c’était le maréchal-ferrant qui arrachait les dents malades. Maintenant, il y a un dentiste au bourg. Cependant, Gwilhou ne parvient pas à se décider pour l’une ou l’autre des solutions 111 . Hélias continue de confier aux ondes les histoires qu’il invente et clôture par l’inévitable coup de théâtre ; le caractère de ses personnages s’affine, devient moins sommaire : il donne vie à la paroisse de Poullfaouig. Ce village, c’est l’archétype de la Bretagne d’Hélias. Poullfaouig et ses habitants, ce sont les auditeurs tels que le Bigouden se les représente. Le comique repose généralement sur le décalage entre deux visions du monde : Pierre Hélias place souvent dans la bouche de ses héros des considérations sur la vie d’autrefois ou sur des traits de caractère, sur des habitudes culturelles qui appartiennent assurément au paysage mental des auditeurs. Ainsi, on apprend que Chefig Lagad-Pikouz met du beurre rance sur ses cheveux, tous les matins, afin de les faire tenir sous sa coiffe 112 . Ailleurs, dans un autre sketch, Jakez raconte que son cousin cache la clé de la maison dans son chapeau et que son propre père s’en servait pour fermer son pantalon. C’est l’occasion pour Jakez de rappeler que les anciens avaient de la sagesse : la femme était maîtresse de la maison et l’homme maître à l’extérieur. À la femme, la clé de l’armoire, à l’homme, la clé de la maison 113 . En forçant le trait, Pierre Hélias obtient un effet comique qui peut expliquer le succès rencontré par ses dialogues. C’est ce choc entre autrefois et maintenant qui va servir de postulat de départ à la série des « Loullig ».
53Lorsqu’on fait allusion aux premières émissions de radio de Pierre Hélias, l’homme de la rue (ou des champs…) se remémore spontanément les aventures de Jakez Kroc’hen et Gwilhou Vihan. Toutes les émissions radiodiffusées ne se limitaient cependant pas à des farces. Avec les « Jakez », fonctionne en alternance, dès les premières années, une autre série de dialogues : ce sont ceux qui mettent en scène Tonton Loullig et Herveig. Laissons leur créateur nous présenter cette nouvelle série de dialogues ; elle fut, pour leur auteur, l’occasion d’élargir et d’enrichir l’émission bretonne, après avoir, grâce aux « Jakez », « constitué une audience » :
« Les “Loullig” sont plus dépouillés. Ils se privent délibérément de l’attrait d’une histoire préparée, avec exposition, progression par péripéties et dénouement à sensation. Par contre leur matière est plus riche, plus vraisemblable, plus directement frappante, la part du rire y est sacrifiée au bénéfice de l’exactitude psychologique. Si les premiers d’entre eux pouvaient encore apparaître, à l’estimation de l’auditeur moyen, comme une nouvelle mouture des “Jakez”, on s’aperçut bien vite que cette ressemblance n’était qu’illusion. Le thème général des “Loullig” n’est autre que le conflit, dans nos campagnes, entre la tradition, représentée par le vieux Loullig, et le modernisme qui s’exprime par la voix du jeune Herveig. Autrement dit, il s’agit de l’évolution de la vie bretonne et du caractère breton depuis la première guerre mondiale, évolution dont nous avons été témoins, Pierre Trépos et moi, aux premières loges et que nous nous flattons de connaître suffisamment. Cela nous a permis de confronter la Bretagne d’hier soir avec celle de cet orageux matin 114 . »
54 Dans le premier sketch de la série « Loullig », celui-ci se présente aux auditeurs. Les brouillons d’Hélias montrent qu’il avait tout d’abord pensé à un monologue dans lequel Loullig se présenterait directement à l’auditeur et dialoguerait directement avec lui. Il a finalement opté pour un dialogue où le « quelqu’un » (« unan bennak » ) – qui n’est pas encore Herveig – joue le rôle de l’auditeur-intercesseur type posant les bonnes questions 115 .
55 Son existence est ainsi rapidement contée, son univers circonscrit – il habite aussi la paroisse de Poullfaouig 116 – et son caractère efficacement dessiné. Loullig est un bon vieux de 70 ans 117 – il a fait son service avant la guerre de 1914-1918 – qui n’a pas été très longtemps à l’école :
« N’oun ket bet kalz muioc’h eget tri miz er skol o teski va lizerennou, abalamour d’ar vamm, e oa mall ganti kas ac’hanon da ziwall va c’hoarezed hag ar zaout.
Je ne suis pas resté beaucoup plus de trois mois à l’école à acquérir unpeu d’instruction, à cause de ma mère qui avait hâte de m’envoyer garder mes soeurs et les vaches 118 . »
56 Son portrait physique est dressé tout au long de ce premier dialogue : il chique constamment – sa joue gauche en est enflée –, il porte costume, chapeau et sabots 119 .Mais le vrai trait qui le caractérise, c’est qu’il est gaucher. Et c’est ce qui lui a occasionné tant de soucis qui sont autant d’anecdotes à raconter. Le premier sketch est, en fait, le récit d’une série d’anecdotes dont le pauvre gaucher Loullig a fait les frais tout au long de sa vie. C’est, en quelque sorte, un prétexte pour « accrocher » les auditeurs : le fait est que ce sketch n’est jamais qu’un collage de mésaventures loufoques et farcesques dont le fil conducteur est Loullig lui-même 120 . L’interlocuteur se plaît alors à rappeler à Loullig qu’il a beau être gaucher, cela ne le rend
57Pas muet, loin de là. Et Loullig de lui fournir une explication qui forme la conclusion de ce premier sketch :
« Pag emonn da vad o troc’hi geot pe gousil pe eun dachennad ed bennak, me, ar c’hleiard, ne hellan ket chom tost d’ar re all, na war ar memes tu. Setu eo red din mont d’an tuall deus an dachenn, da droc’hi va unan, heb gellout kaozeal gant den ebet. Setu n’am eus netra d’ober nemet kaozeal ganin va unan, peogwir n’oun ket mestr d’am zeod. Ia, eur c’hleiard a zo laket en eur stad truezus. N’ez eus netra d’ober. Kleiard e oan gwechallgoz ha gwechall nevez, kleiard oun hirio ha kleiard a chomin betek ar maro. Egizse a ya ar bedholl abaoe viskoaz. An dud hag an traou e dle chom er stad m’emaint lakaet.
Evel al loar, ar stered, hag an denvalijenn
E tarz an heol bep mintin da rei deomp sklerijenn
Barz an oabl an alc’houeder a sav en eur ganna [sic]
Vel en amzer dremenet, memes tra memestra
Lorsque je suis en train de couper de l’herbe ou de la litière ou bien un champ de blé, moi, le gaucher, je ne peux pas rester près des autres, ni du même côté. Il faut donc que j’aille de l’autre côté du champ, afin d’être seul à couper, sans pouvoir parler à personne. Je n’ai donc rien d’autre à faire que de me parler à moi tout seul, puisque je ne peux tenir ma langue. Oui, être gaucher, c’est se retrouver dans un état pitoyable. Il n’y a rien à faire. J’étais gaucher jadis, et encore naguère, je suis gaucher aujourd’hui, et je resterai gaucher jusqu’à ma mort. Le monde tourne de la sorte depuis toujours. Les gens et les choses doivent rester dans l’état où elles ont été mises.
Comme la lune, les étoiles, et les ténèbres
Le soleil se lève chaque matin pour nous éclairer
Dans le ciel, l’alouette se lève en chantant
Comme au temps jadis, pareillement, pareillement 121 . »
58 Le chant final est la réfection d’une strophe d’un poème de Prosper Proux, « An amzer guech all ac an amzer breman /Le temps passé et le temps présent », publié dans son premier recueil en date de 1838 Canaouennou grêt gant eur C’hernewod (« Chansons faites par un Cornouaillais ») 122 . Ce chant, du moins dans les premiers temps, sera repris à chaque fin des sketchs : ce sera l’équivalent de « Biskoaz kemend-all » pour la série des « Jakez ». « Les gens et les choses doivent rester dans l’état où ils ont été mis » : cette affirmation est la fondation théorique de la série des « Loullig ». Avec Herveig qui, lui, est âgé de 40 ans 123 , Loullig va évoluer autour de cette assertion et ils tâcheront de définir quelle attitude on doit adopter face aux changements. À propos de quoi s’exercera la sagacité des deux héros ?
« Loullig et Herveig ont conversé sur les noces, les “ fest an hoc’h ”, la politesse paysanne, l’émancipation des femmes, le prix de la vie, les costumes, les danses, le tourisme, les automobiles, les habitations, les jeux et vingt autres sujets à propos desquels le traditionnaliste [ sic ] Loullig tirait à boulets rouges contre le “progrès” défendu par le moderne Herveig avec des chances diverses. Si la farce conserve encore quelque place dans ces disputes familières c’est que Loullig, personnage fin, esprit délié, pénétré de bon sens, un sage pour tout dire, n’en possède pas moins le goût de l’ironie. D’autre part, à chaque fois que nous l’avons pu, nous avons traité de l’actualité immédiate. L’émission qui obtint le plus de succès, à notre connaissance, fut celle qui roulait sur l’échange des billets de cinq mille, car le paysan breton accepte fort bien la plaisanterie convenablement présentée, même sur une conjecture dont on peut croire avec quelque raison qu’elle lui laisse des souvenirs moroses. En vérité, cet essai des “Loullig”, assez périlleux dans son principe puisqu’il abordait des sujets brûlants et sollicitait sans cesse l’irritabilité bien connue des bretons, a été, dans l’ensemble, fort bien compris et sa répercussion sur les esprits a été assez heureuse si l’on en croit les échos de certains débats qui se sont instaurés dans les bourgs à la suite de telle ou telle émission.
Il nous est revenu à la dernière foire deMai, qu’un lit-clos, relégué dans une grange comme réserve de pommes de terre, a été ramené dans la salle commune et triomphalement astiqué parce que Loullig, “ dans la boîte ”, avait prononcé un virulent plaidoyer pour les vieux meubles. C’est là une pièce à verser au dossier et à valoir comme une preuve que l’émission bretonne n’est pas seulement une demi-heure de “ diotachou ” et de “ konchennou mamm-goz ” 124 . »
59 Les sketchs se présentent sous forme de dialogues très souvent contradictoires : on devine chez Hélias le modèle de la maïeutique de Socrate. De plus, leur plan s’apparente, dans une certaine mesure, au discours rhétorique tel que les Grecs le définissent et que l’on retrouve à la source des exempla médiévaux, des sermons dominicaux et d’un certain art de la dissertation. En effet, toute argumentation se doit d’être structurée en quatre parties : l’ exorde , qui annonce le sujet et tâche d’y intéresser l’auditoire ; la narration , qui expose les faits ; la confirmation , qui est le moment de la discussion et des preuves (ces deux parties renvoient à deux éléments essentiels de tout sketch : la transmission du fait – le contenu – et l’échange sur le sens que l’on veut bien lui donner – la relation) ; enfin, la péroraison , qui résume et conclut le discours (dans le cas qui nous occupe, c’est un peu la morale de l’histoire). Aristote, dans son traité sur la Rhétorique , rappelle que celle-ci a aussi pour rôle de toucher et d’émouvoir : c’est bien l’objectif que semble s’être fixé Pierre Hélias quand il démarre la série des « Loullig » et qu’il dit que cela lui « a permis de confronter la Bretagne d’hier soir avec celle de cet orageux matin ». En effet, si le premier sketch relève de la farce, la suite se révélera en prise avec une certaine actualité, même s’il est vrai qu’on s’abstiendra d’aborder des sujets brûlants – politiques par exemple.
60 Prenons comme exemple le deuxième sketch de la série, Bragou ar vaouez /Les pantalons de la femme 125 . Voici comment Loullig commence le dialogue :
« Bugale baour, gortoz ta ma lavarin deoc’h, ar mintinman am eus kinniget lonka va zamm butun ken souezet oun bet. Ia ! N’am bije ket kredet gwelout traou ken difeson se eur wech. Ha ! poent eo deomp, ni ar re goz a ziwar ar maez, poent eo deomp mont d’ar vered war eeun ; ar bed zo deut da drei re vuhan d’an amzer hirio, ha n’omp (ni ar re goz) da vont d’e heul, m’hen toue. Nann ! Tud ar c’herio [sic], me gred, a zo aet sod raïlh. N’ouzont ket mui peseurt sotoniou ober. Kollet o deus o fenn vad. Eur vez eo.
Mes pauvres enfants, attendez donc que je vous raconte, ce matin j’ai failli avaler ma chique tant j’ai été étonné. Oui ! Je n’aurais jamais cru voir de telles choses. Ah ! il est temps pour nous, nous les vieux de la campagne, il est temps pour nous d’aller au cimetière directement ; le monde s’est mis à tourner trop vite de nos jours, et nous ne sommes plus capables (nous les vieux) de le suivre, je le jure. Non ! Les gens des villes, je le crois bien, sont devenus complètement timbrés. Ils ne savent plus quelles bêtises faire. Ils ont perdu leur bon sens. C’est une honte. »
61Loullig finit par raconter à son interlocuteur qu’il a vu, ce matin, dans son jardin, deux personnes en short, un homme et son épouse, sortant d’une tente de camping. Le campeur sait le breton et il demande à l’ancien s’il peut leur vendre du lait. Loullig les fait entrer pour boire un bol de lait. La femme ne sachant pas le breton, il en profite pour s’inquiéter auprès du mari et pour tâcher de savoir s’il est toujours le patron dans le ménage. Avant de partir, le campeur le rassure : sa femme est en short, certes, mais c’est bien lui qui porte la culotte. C’est alors que l’interlocuteur de Loullig raconte que lui aussi a campé avec sa femme et que tous deux étaient en short. Il doit rassurer le pauvre Loullig sur son autorité restée intacte et sur la bonne répartition des tâches domestiques. C’est Loullig qui conclut :
« Ma, sabatuet oun. Kementse a ziskouez deomp penaos n’eo ket gwir eo chenchet an traou. An den a chom ar mestr daoust d’ar vaouez gwiska bragou, tana ar c’hornbutun ha mont d’ar votadeg. N’eus netra chenchet er bed, boulien. Mad an traou, egiz ma gane gwechallnevez an Aotrou Proux (Doue d’e bardono)
Evel al loar ar stered…
Eh bien, je suis époustouflé. Tout cela nous montre qu’il n’est pas vrai que les choses ont changé. L’homme reste le maître, bien que la femme porte le pantalon, fume la pipe et aille voter. Il n’y a rien de changé dans le monde, sapristi. Tout va bien, et comme chantait naguère Monsieur Proux (Dieu ait son âme)
Comme la lune les étoiles… »
62 On retrouve là les quatre éléments de la rhétorique. La conclusion est donc une sorte de compromis : c’est la morale de l’histoire qui laisse apparaître une confrontation synthétisée de deux mondes. Et ce que laisse entendre Pierre Hélias, c’est que les apparences matérielles changent mais que les habitudes culturelles, elles, ne varient pas. Les gens restent les mêmes, et c’est ce qui compte. Toutes les conclusions se révèlent plus ou moins identiques. Ainsi, dans les ketch intitulé « Eur beaj e Landerné /Un voyage à Landerneau », tonton Loullig raconte à son interlocuteur qu’il a acheté un billet de train et qu’il a fait un aller retour à Landerneau : il voulait depuis longtemps aller au de là de Quimper. Durant son périple, il a observé les paysages, il a écouté les gens parler de la politique du gouvernement, de la pluie et du beau temps et dire dumal de leur prochain : il fait donc part de ses réflexions à Herveiget du profit qu’il entire.
« Ec’h ma mabig, desket am eus penaos, abell pe adost e oa kalz tud sod evit nebeut tud fur. Ha ne oa ket dao kuitaat Poullfaouig evit selaou resoniou paour ha sotoniou ker bras hag an tour Eiffel. […]
Rakse, ar vech diveza eo din da guitaat va zi evit mont da c’haloupa bro. Chom e rin breman e Toull ar C’hefeleg betek mervel. Kaer hoc’h eus mont pell, atao eo ar memestra, an dud, al loened, hag all. Evel ma lavare an aotrou Proux.
Evel…
Eh bien, mon petit, j’ai appris qu’il y avait, de loin ou de près, beaucoup d’insensés pour peu de sages. Et qu’il n’était pas nécessaire de quitter Poullfaouig pour écouter de pauvres arguments et des idioties aussi grosses que la tour Eiffel. […]
Ainsi, c’est la dernière fois que je quitte ma maison pour aller courir le monde. Je resterai maintenant à Toull ar C’hefeleg jusqu’à ma mort. Vous avez beau aller loin, c’est toujours la même chose, les gens, les animaux, et tout et tout. Comme disait Monsieur Proux.
Comme 126 … »
63 Dans le sketch intitulé « Loulig hag ar fox-trott/ Loullig et le fox-trot », notre héros se rend à un mariage : il a mis ses souliers en cuir pour danser… bien qu’il craigne ne pouvoir le faire, car maintenant les jeunes n’apprécient que les danses nouvelles, « an dansou e vez graet er c’heriou, dansou dismegans, dansou kof-ha-kof, ma n’eo ket eun druez/ les danses que l’on fait dans les villes, des danses inconvenantes, ventre contre ventre, que c’en est pitoyable 127 ». Il regrette amèrement le temps de la gavotte et du jabadao. Herveig, qui se rend aussi à cette noce pour jouer de l’accordéon, lui apprend le fox-trot, puis se propose de lui jouer un air de bombarde.
64La conclusion coule de source : celui qui est capable de danser la gavotte apprendra vite le foxtrot, ainsi que n’importe quelle danse nouvelle.
65 Autrefois et maintenant : tels sont les deux thèmes principaux. Dans la série des « Loullig », la vie d’ autrefois est bien en place : la nourriture 128 , la demande en mariage 129 , les moyens de locomotion 130 , la politesse 131 , les vêtements 132 … Avec, toujours, une prime pour autrefois, alors qu’aujourd’hui est bien moins avantagé. Notamment en ce qui concerne la nourriture : on ne voit plus nulle part la couleur du beurre, pour ainsi dire, et on croirait que toutes les vaches se sont transformées en taurillons. Le pain est préparé à partir d’une vilaine marchandise dont nul ne sait à quoi elle ressemble 133 . Pour autant, le temps de l’abondance n’est pas révolu. Au contraire, d’après Loullig, ce tempslà reviendra, comme autrefois, lorsqu’on tuait le cochon – quelle fête ! Après la pluie, le beau temps. Quoiqu’il soit une sorte de « recteur laïque », qui propage la bonne parole du breton, Pierre Hélias ne ressemble nullement à ce prêtre du XIX e siècle, légitimiste, et qui, écrivant dans Feiz ha Breiz , y dénonçait l’époque corrompue et mécréante dans laquelle il lui fallait bien vivre en appelant de ses vœux le retour de l’ancien régime, synonyme d’ordre et de foi. Par la voix de Loullig, Pierre Hélias admet que le passé est digne d’intérêt et qu’il ne faut pas avoir honte de ce que nos pères nous ont légué, la preuve : sur les bons conseils de sa femme, Loullig veut reléguer le litclos au grenier ; puis, se ravisant, il décide de le garder car il se rend compte que la nuit qu’il a passée dans le lit neuf n’a pas été concluante :
« Me am eus kousket e meur a blas, war an douar, er vouilhenn, er foz ha me oar me. Met da betra selvich chench eur gwele evit eur gweleall. Eur gwele n’eo ken eur gwele. A, ma rafe ar gwele se din iaouankaat, ma rafe din askorn nevez ha kroc’hen flour evel m’am boa da ugent vloaz, nunze [sic] a dailhfe ar boan. Met peogwir n’am eus ket da c’hortoz kementse, me a chom er stad ma oan betek hen, memes tra. N’eo ket gwir aotrou Proux
Evel al loar, ar stered…
J’ai dormi dans bien des endroits, à même le sol, dans la boue, dans le fossé et que saisje ? Mais à quoi bon changer un lit contre un autre. Un lit, ce n’est jamais qu’un lit. Ah, si ce lit me faisait rajeunir, s’il me donnait de nouveaux os et une peau douce comme à l’époque de mes vingt ans, alors il vaudrait la peine. Mais comme c’est là quelque chose à quoi je ne puis m’attendre, je reste dans l’état où j’étais jusqu’à présent, tout pareil. N’est ce pas monsieur Proux
Comme la lune, les étoiles 134 … »
66Loulligg ar de son vieux lit clos mais, pour autant, Herveigne s’enprocure pas un. Ces ketch n’incite pas les Bas-Bretons à retourner dormir dans des lits-clos. Tout au plus, incitet-il les quelques auditeurs qui y dorment toujours à continuer de le faire. Sont-ils nombreux au sortir de la guerre ? Peu importe, serais je tenté de dire : Pierre Hélias ensemble persuadé. Et c’est bien ce qui compte. Ce sketch, l’auteur l’a quelque peu remanié pour sa rediffusion du28 janvier 1951, avec une nouvelle conclusion :
« Me am eus kousket e meur a blas, war an douar, er vouilhenn, barz ar foz ha me oarme, epad ar brezel. Met da betra zelvich chench eur gwele evit eur gweleall ? Lavar din ta ! Eur gwele n’eo nemet eur gwele. C’hoaz ma lakfe ar gwele nevez ac’hanon da zont iaouank ha nevez ma unan. Met siouaz, ar [sic]oad a zo aze. Ma rafe din askorn nevez ha kroc’hen flour ma ugent vloaz e talvezfe ar boan. Met peogwir n’am eus ket da c’hortoz kementse, me a jomo er stad ma oan betek hirio. Gra din eun taol dorn, Herveig. Bec’h d’ar gwele kloz. Ale ! Emout prest ! Savomp anezan. Gortoz eun tammig (eun taol mailh) La ! Dalc’h peg. Eman deomp. Ponner eo alloen. Bec’h, Herveig, bec’h. Laeman diblaset. Ha breman a ielo ganeomp bep a vanne jistr evit iec’hed ar gweleou kloz hag an dud koz a gousk ebarz.
J’ai dormi dans bien des endroits, à même le sol, dans la boue, dans le fossé et que sais-je ? pendant la guerre. Mais à quoi bon changer un lit contre un autre. Dis-moi donc ! Un lit, ce n’est jamais qu’un lit. Si encore le lit neuf me faisait devenir jeune et neuf moi-même. Mais hélas, l’âge est là. S’il me donnait de nouveaux os et la peau douce de mes vingt ans, ça vaudrait la peine. Mais comme c’est là quelque chose à quoi je ne puis m’attendre, je resterai dans l’état où j’étais jusqu’à présent. Donne-moi un coup de main, Herveig. Sus au lit-clos. Allez ! Tu es prêt ! Soulevons-le. Attends un peu (un coup de maillet) Voilà ! Tiens bon. Il est à nous. Il est lourd, l’animal. Sus, Herveig, sus. Voilà, il est déplacé. Et maintenant, buvons chacun un verre de cidre à la santé des lits-clos et des anciens qui dorment dedans 135 . »
67Ces deux extraits comparés mettent en lumière les progrès d’Hélias en breton écrit : la première version n’est qu’une retranscription plus ou moins hâtive d’un discours parlé et, pour une part, récemment appris. Le deuxième extrait montre qu’il a appris son métier d’écrivain bretonnant, petit à petit. On peut y déceler aussi une évolution dans la pensée de l’auteur : Loullig n’essaie toujours pas de convertir Herveig aux bienfaits du lit-clos. Mais tous les deux trinquent à la santé de ceux qui y dorment, comme à la santé des lits-clos eux-mêmes : la morale par l’humour ! Et si la conclusion est moralisante, on voit percer dans ce sketch un brin d’émotion :
« Traou hag a zo en eun ti abaoe marteze kant vloaz, an traouse… n’int ket mui traou anezo. Penaos a lavarin… beo int dija, deus ar familh int, deus ar familh, ia. Chomet int warlerc’h hon tadou koz ha… grouez ar vuhez a zo ganto c’hoaz. Marteze, Herveig (te a zo gwall iaouank c’hoaz) marteze ne gomprenez ket kaer ar pez e fell din lavaret ?
Des objets qui sont dans une maison depuis peut-être cent ans, ces objets là… ce ne sont plus des objets. Comment dirai-je… ils sont vivants déjà, ils sont de la famille, de la famille, oui. Ils nous viennent de nos ancêtres et…la chaleur de la vie les habite encore. Peut-être, Herveig (toi tu es bien jeune encore) peut-être que tu ne comprends pas bien ce que je veux dire? »
68Si toutes ces choses du passé ont une vie, il n’est donc pas inconvenant de les étudier, de les mettre en valeur, de les présenter. La culture bretonne d’Hélias, c’est la civilisation de Loullig. La Bretagne d’Hélias, c’est le Poullfaouig de Jakez et de Loullig. Logiquement, la « confrontation » de « la Bretagne d’hier soir avec celle de cet orageux matin » donne lieu, sur les ondes à des études de folklore, à des émissions « thématiques ».
69 Dans la série des « Jakez » et dans celle des « Loullig », Pierre Hélias plante le décor à Poullfaouig. Il re-crée un village breton avec ses habitants. Jakez et Gwilhou, ce sont les farceurs, les bons vivants à qui il arrive des aventures sans trop grande incidence. Loullig et son interlocuteur Herveig, ce sont deux paysans qui, au départ, s’interrogent sur le sens à donner à la modernité. Puis, les « Loullig », on l’a vu, deviennent prétexte à parler d’autrefois, de façon plus ou moins raisonnée. Enfin, cette série laisse la place à des « études de folklore 136 ».
« Elles sont de plusieurs sortes mais présentent, néanmoins, pour l’essentiel, des caractères communs :
- un premier groupe d’émissions prend pour thèmes les fêtes les plus populaires de l’année : la Toussaint, la Noël, le Mardi-Gras, Pâques, etc… Elles comprennent une étude des traditions relatives à ces fêtes, illustrées par des contes, des légendes et des chants appropriés ;
- d’après ce modèle, nous avons monté des « spéciales » sur les métiers bretons traditionnels : le tailleur – le meunier – le mendiant – le cultivateur le biniou – le sabotier, etc…
- les nourritures bretonnes ont fourni la matière de plusieurs autres émissions intitulées : le “Goût” des Crêpes – le “Goût” du Cidre – le Goût de la Bouillie – le Goût de l’Andouille, etc…
Il n’est pas utile de préciser que de telles émissions ne peuvent avoir lieu chaque semaine car elles nécessitent des recherches assez longues dans des ouvrages difficiles à trouver et même des enquêtes minutieuses auprès des “anciens”. Ceux qui savent de quelle diplomatie il faut faire preuve pour arracher des confidences aux vieilles gens me comprendront sans peine 137. »
70 Le terme breton « abadennou penndabenn » résume bien l’objectif que se fixe Pierre Hélias car « abadennou » peut se traduire par « émissions », et « penndabenn » veut dire, mot à mot, « d’un bout à l’autre » : il faut tenter de faire le tour d’une question, d’étudier, d’un bout à l’autre, un thème du folklore breton ; par exemple, les meuniers, les tailleurs, la musique ou encore les gardiens de phare 138 . La différence entre les « thématiques » et les « Loullig » tient essentiellement dans le ton utilisé : avec les « Loullig », le registre est plus léger, à la faveur d’anecdotes ou d’historiettes ; le rythme se casse parfois quand intervient l’un ou l’autre des interlocuteurs par quelque répartie, trait d’humour, juron. Les titres des « thématiques » sont révélateurs : « E kou 139 n » , « Envoradu 140 » sont des termes totalement inconnus à Poullfaouig ; Pierre Hélias change de registre. Dans les « thématiques », on raconte surtout, avec une sorte d’intermède parfois – extrait de conte, couplet de chanson. Ainsi, dans l’émission Blas ar butun /Le goût du tabac (diffusée le 8 janvier 1950), les paragraphes sont entrecoupés par la chanson « Son ar butun /La chanson du tabac », de Pierre Derrien 141 . Dans une émission consacrée aux mendiants, le texte du récitant est entrecoupé de plusieurs chansons dont l’une, « Dans ar Beorien /La danse des Pauvres », est extraite du Barzaz Breiz 142 , et une autre, « Ar c’hlaskerbara /Le mendiant », est écrite par Yeun ar Gow 143 . Voici la conclusion de cette émission :
« Ne glever ket mui kalz pedennou ar beorien e toull an noriou. Ha gwellase. Met epad n’ouzon ket pet kantved, war hentchou Breiz, an dud paour-se o deus stlejet o miseriou. Aet int kuit breman gant kalz traou koz. Gwelloc’h sikour e vez graet breman d’an dud koz ha d’an dud mac’hagnet. Bepred, koulskoude, dalc’homp sonj deus klaskerien bara Breiz. En o zouez, marteze, e oa kalz hag a zouge ar memes ano eveldomp, hon tadou truezus ha dilezet, beuzet ekreiz ar baourentez hag an dienez betek mervel avechou gant an naon.
On n’entend plus guère les prières des pauvres au seuil des portes. Et c’est tant mieux. Mais pendant je ne sais combien de siècles, sur les chemins de Bretagne, ces pauvres gens ont traîné leurs misères. Ils ont disparu maintenant, comme beaucoup d’autres vieilles choses. De nos jours, on vient mieux en aide aux vieillards et aux handicapés. Souvenons-nous toujours, cependant, des mendiants de Bretagne. Beaucoup d’entre eux, peut-être, portaient le même nom que nous, nos ancêtres pitoyables et délaissés, noyés au milieu de la pauvreté et de la misère jusqu’à parfois en mourir de faim 144 . »
71 Le temps des mendiants est révolu et c’est tant mieux. Pour autant, il ne faut pas oublier cette page de l’histoire bretonne : telle est la conclusion de Pierre Hélias. C’est aussi, et l’extrait précité en est une bonne illustration, un moyen de fusionner le passé dans le présent : ces mendiants, nous les portons en nous. Cette série d’émissions semble donc comprise comme une cérémonie du souvenir, comme une volonté de rappeler ou d’apprendre aux auditeurs une partie de ce qui forme leur héritage. Cet objectif semble aussi celui d’Hélias dans sa série des « Loullig ». Pourtant, avec les « pennda-benn » , on se situe à un autre niveau : l’anecdotique est évité, le rire est mis de côté, et c’est le caractère pédagogique du message qui prime. Pour autant, Pierre Hélias n’entend pas donner des leçons : il ne transforme pas la chaire radiophonique en une chaire à prêcher. Il se fait le chantre du folklore breton, il présente un miroir aux auditeurs et leur dit : « Voilà comment étaient vos pères. Ne les oubliez pas. »
72 Après avoir fait re-vivre Poullfaouig et ses habitants, archétype du village bas-breton et des Bas-Bretons eux-mêmes, Pierre Hélias entame la présentation du folklore de ce village. Les émissions littéraires et les contes en forment un pan.
73Dans la présentation du panorama de son émission, il reste en effet une partie à présenter. Elle concerne tout d’abord les textes littéraires adaptés radiophoniquement par Pierre Hélias.
« L’émission en breton, étant unique, devait nécessairement accueillir les textes des écrivains bretonnants, les vivants et les morts, mais dans la mesure où ils présentent un intérêt radiophonique. Ce n’est pas toujours le cas, hélas. D’ailleurs, il n’est que de réfléchir à la mince contribution que la littérature française, pourtant si riche, fournit à l’art radiophonique, le théâtre dramatique et lyrique excepté, pour se convaincre que le nôtre nous est d’un pauvre secours. Il n’était pas question de remonter au moyen breton ni même d’utiliser certains écrits plus récents dont la compréhension eût été difficile pour l’auditeur “illettré”. J’entends par illettré tout auditeur, intellectuel compris, qui ne lit pas suffisamment et n’écrit pas du tout dans la langue de ses pères. Nous nous sommes donc bornés à certains auteurs de la fin du dix-neuvième siècle à nos jours qui nous ont semblé réunir les conditions voulues 145 . »
74 Dans les archives de Pierre-Jakez Hélias, je n’ai pas trouvé trace des adaptations radiophoniques de certaines des oeuvres de la littérature bretonne. Ceci s’explique peut-être par le fait que ces contes ou ces brèves histoires étaient lues au micro par l’un des deux compères, sans autre arrangement qu’un découpage sommaire. J’ai en revanche trouvé la trace d’émissions consacrées à trois auteurs bretons, à savoir JeanPierre Calloc’h (1888-1917) 146 , Tanguy Malmanche (18751953) 147 et Jakez Riou (1899-1937) 148 . L’objet de chacune des émissions était de présenter ces trois écrivains tour à tour, en donnant de longs extraits de leurs œuvres. Cependant, la galerie de portraits dressée par Pierre Hélias ne semble pas très étoffée. D’autre part, ici on est loin des « Jakez » : le Tanguy Malmanche de Gurvan 149 , le JeanPierre Calloc’h de Ar en deulin 150 et le Jakez Riou de Geotenn ar Werc’hez 151 , ne sont pas, dans ces œuvreslà, des auteurs qui font rire. N’étaitce pas une gageure de radiodiffuser en breton ces textes denses, loin de la langue simple et dure de Poullfaouig ? Ce sont des ouvrages d’un accès difficile et qui doivent être lus à tête reposée, alors que la radio est le domaine de la parole qui passe – dixit Pierre Hélias : le danger était de se couper irrémédiablement du peuple dont Pierre Hélias se faisait un devoir d’être le porteparole. Il en était très certainement conscient et c’est pour cela qu’il n’a pas accumulé ce type d’émissions. Pour quitter celui de la farce, il a préféré prendre un autre chemin : celui des contes. Du reste, Pierre Hélias n’a pas fait que lire ou adapter des contes d’auteurs illustres dans ce genre populaire, il s’est luimême fait auteur, et a proposé a son public des productions de son cru. Voici ce qu’il en dit :
« Avant de terminer ce panorama rapide de l’émission en langue bretonne, disons encore un mot de quelques essais que nous avons tentés :
- de tout temps, en Bretagne, on a aimé les histoires courtes, à valeur d’anecdotes, sans autre but que de faire rire à peu de frais, et qui peuvent se raconter ensuite entre amis ou dans des réunions de famille. Nous en avons raconté quelquesunes qui ont eu l’heur de plaire si l’on en juge par l’empressement du public à réclamer “ Ar Perseptor” ,“ PennSkanv” ou “ Eur vadiziant dispar” .
- Nos pères avaient un personnage qui les faisait traditionnellement rire et au compte de qui ils mettaient toutes les loufoqueries imaginables. C’est Yann . Chacun connaît “Yann Pôtr ar Ger” de DirnaDor ou le célèbre “Yann ar Pôtr Mat” de l’abbé Conq. Nous avons essayé d’allonger la liste avec “Yannig e Benn Goullo”, “Yann GortozAtao”, “Yannig PrimTenn”, “Yann e Fri Hir”, “Yannig ar Pôtr war vat”, “Yannig e VoutouAvel”, etc. 152 »
75 Ces textes courts, très souvent des monologues, ce sont les premiers essais d’Hélias dans le domaine du conte : j’en ai retrouvé certains dans les archives, sans mention de date de diffusion, ni même de date de rédaction. Ces petits monologues, qui sont tout d’abord des adaptations de « classiques » populaires, auraient pu n’être qu’une variation du caractère farcesque qu’Hélias prête à ses personnages Jakez et Gwilhou. Pourtant, ils évoluent. Ainsi, diffusé le 27 décembre 1947, le texte farcesque Ijin Penn Skanv /L’ingéniosité de Tête Légère, d’une durée n’excédant pas les dix minutes, devient un conte dialogué de 22 minutes, diffusé le 28 novembre 1954. Le canevas est le même mais l’auteur a ajouté moult formules qui font de cette farce un conte du nom de Yannig Penn Skanv 153 : il figure dans le deuxième recueil des tapuscrits de certaines pièces radiophoniques intitulé Kontadennou ar ganevedenn (RadioKimerh) /Les contes de l’arcenciel (RadioQuimerc’h). C’est donc Pierre Hélias qui le hisse au rang de conte. Pourtant, on l’a vu, ce « rang » n’apparaît pas dans la classification proposée par le créateur luimême dans son article de la Nouvelle Revue de Bretagne. Cela s’explique assez facilement : c’est tout simplement que ce rang n’existe pas encore 154
76Le moment est donc venu de compléter les types déjà présentés et de mettre en lumière leur évolution entre décembre 1946 et la fin de l’année 1958.
.
77 Le tableau cidessous donne la répartition des types que j’ai définis 155

78 En plus des « Jakez », des « Loullig », des émissions thématiques – les « penndabenn » – et des émissions littéraires, on voit apparaître deux évocations 156 et deux enregistrements extérieurs 157 . Mais ce qui est nouveau – et qu’Hélias mentionne dans son panorama des émissions en langue bretonne pour préciser qu’il n’a pas eu l’occasion de les faire jouer, faute d’acteurs 158 –, ce sont les autres pièces , c’estàdire les contes et, dans une moindre mesure, les drames – les pièces véristes 159 . À deux, il est difficile de les donner à la radio 160 . La solution que trouvera Hélias, c’est de les enregistrer lors des écoles d’été d’ Ar Falz 161
79Si l’on s’attache maintenant à connaître le type de programmes le plus diffusé, on observe que ce sont les « Jakez » qui arrivent en tête, suivis de près par les contes. Puis viennent les « Loullig ». Cependant, il faut dès à présent, parler d’un élément important du fonctionnement radiophonique de Pierre Hélias : la rediffusion. En effet, beaucoup de pièces et notamment dans la série des « Jakez », ont été rediffusées une ou deux fois. Et encore doisje préciser que je ne suis pas sûr que les « Jakez » qui ont été diffusés une fois ne l’ont pas été une seconde fois, sans que je puisse cependant m’en assurer : c’est pourtant fort probable, au vu des nombreuses dates pour lesquelles j’ignore ce qui a été donné à la radio – beaucoup de vides seraient à combler par des rediffusions. Ainsi, j’ai pu déterminer que 20 « Jakez » ont été rejoués au moins une fois, et que 38 n’ont pas été rejoués : on obtient de la sorte, en éliminant les doublons, 58 « Jakez ». Si l’on applique le même traitement aux « Loullig », on observe que 14 ont été rejoués et que 23 ne l’ont pas été : ce qui donne 37 « Loullig ». De même, une farce et un « penndabenn » ont été joués deux fois. Par contre, aucun des contes répertoriés n’apparaît en doublon. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas été rediffusés, mais je ne possède aucun moyen de vérification. Voici, corrigeant et complétant la répartition du premier tableau, un second tableau des émissions, éliminant les doublons.

80L’ordre d’arrivée du tiercé s’en trouve modifié : passe en tête la série des contes, avec presque 10 % d’émissions en plus, puis viennent, avec encore 10 % d’écart, les « Loullig ». Quantitativement, la production radiophonique de Pierre Hélias est donc principalement composée de contes, même si, sembletil, ce ne sont pas ces productions qui ont marqué les esprits des auditeurs : qui dit Radio-Quimerc’h, dit Jakez Kroc’hen.
81 Intéressons-nous maintenant à l’évolution, au fil des années, des trois types de tête. Celleci se fait jour dans le graphique cidessous à la suite d’un tableau dont voici la clé de lecture : est donné, par année, le nombre d’émissions relevant soit du type des contes, soit du type des Jakez, soit enfin, du type des Loullig et des « penndabenn » que j’ai regroupés sous la bannière folklore 162

82Évolution comparée du nombre des trois types

83Le graphique montre même que les 12 années des émissions peuvent être scindées en trois. De 1947 à 1951, les farces sont majoritaires, même si leur création tend à diminuer : nombreuses sont, en revanche, dans ces années, les rediffusions des « Jakez ». Ainsi, trois « Jakez » sont rediffusés en 1949, quatre en 1950, six en 1952. Au moment où la création de farces va en diminuant, les émissions folkloriques prennent le pas : c’est la deuxième vague. Puis, à compter de 1952, c’est le nombre des contes qui va en augmentant, alors que les productions folkloriques disparaissent. Je ne sais pas si ces contes ont été rediffusés mais rien ne m’interdit de le penser. Un conte créé en 1952 et rediffusé cinq ans plus tard, en 1957, cela est fort envisageable, eu égard au peu de moyens de l’émission. Observer les émissions de RadioQuimerc’h, c’est faire de la géologie : trois couches se superposent, la dernière se révélant la plus importante. Ces trois couches sont, en quelque sorte, les trois étapes de la production radiophonique de Pierre Hélias.
84 Avec ses sketchs de la série des « Jakez », notre producteur commence par dessiner les contours de la commune de Poullfaouig. Il s’inspire très directement à cet effet de la Commedia dell’arte dans laquelle les noms, les rôles et les caractères des personnages sont fixés une fois pour toutes : seules changent les actions selon l’occasion 163 . Les actions de ses farces, Hélias les situe au sortir de la guerre, au moment où elles sont diffusées : les deux compères habitent à Poullfaouig, en 1947, leurs aventures peuvent parfaitement être celles des auditeurs. Bien sûr, la ficelle est grosse, le ton est à la farce, mais les actions sont plausibles. De même, les sketchs de la série des « Loullig » sont plausibles : deux paysans originaires de Poullfaouig parlent ensemble, leurs conversations roulant sur le passé. Le but recherché est le comique : le rire est déclenché par le décalage entre le présent et le passé.
85Peu à peu, ce regard tourné vers le passé se systématise, et Hélias se lance dans la description du folklore de Poullfaouig, tout d’abord à travers des sketchs, puis par l’intermédiaire d’émissions consacrées de bout-en-bout à un sujet folklorique précis. Poullfaouig devient alors synonyme de Basse-Bretagne, c’est-à-dire du pays bretonnant. L’objectif de cette deuxième étape du travail d’Hélias se trouve résumé dans un des sketchs de la série « Loullig » diffusé en juillet 1954 : on y aborde le thème du folklore. En voici de très larges extraits car, plus que dans tout autre texte, on voit se dessiner la figure de Pierre Hélias derrière les propos de Tonton Loullig. Ce dernier rencontre Herveig qui s’étonne de voir son ami portant sa veste brodée et son chapeau de velours. Où se rend il de la sorte ?
« Loullig : Herveig, me a zo o vont d’ober ar “folklore”.
Herveig : Ar folklore, siouaz. Petra eo an dra-se ?
Loullig : An anose a zo bet kavet gant unan bennak deus a Vro-Zaoz evit pez a zell ouz silvidigez ar bobl.
Herveig : Silvidigez ar bobl. Ha petra eo silvidigez ar bobl ?
Loullig : Silvidigez ar bobl eo ar giziou a zo bet dalc’het gant ar bobl, driest-holl war ar mêziou. Lakomp, e Breiz, silvidigez ar bobl eo ar gwiskamantou, ar c’hoeffou, an dansou ha peb tra a zell ouz ar vuhez pemdeziek.
Herveig : A, ia, komprenn a ran. C’houi a zo o vont en hent gant kelc’h Keltiek Poullfaouig da vroiou ar C’hreizteiz, da ziskouez d’an dud-se penaos e vez danset eur jabadao pe eur gavotenn ?
Loullig : Ia, dres.
Loullig : Herveig, je m’en vais faire le “folklore”.
H . : Le folklore, malheureux. Qu’est-ce donc que cela ?
L . : Ce nom a été trouvé par un Anglais afin de définir la civilisation populaire.
H . : La civilisation populaire. Et qu’est-ce que c’est que la civilisation populaire.
L. : La civilisation populaire, ce sont les habitudes qui ont été conservées par le peuple, surtout à la campagne. Mettons, en Bretagne, la civilisation populaire, ce sont les vêtements, les coiffes, les danses et tout ce qui concerne la vie quotidienne.
H. : Ah, oui, je comprends. Vous allez en voyage avec le Cercle Celtique de Poullfaouig dans les pays du Sud, afin de montrer à leurs habitants comment l’on danse un jabadao ou une gavotte ?
L . : Oui, tout à fait 164 . »
86 L’exorde que nous venons de lire a pour mission d’accrocher l’attention de l’auditeur. Ecoutez-bien, il sera question de folklore et de « civilisation populaire ». Pour rendre « civilisation », Pierre Hélias utilise le mot» silvidigez » : c’est un terme religieux qui désigne le salut . Au sens figuré, il peut être traduit par vie . On apprécier a l’à propos et la finesse de notre producteur. En 1954, Hélias avait dû faire des progrès en breton littéraire.
87 Il n’ignorait pas – il n’ignorait plus – que pour « civilisation », des lettrés avaient forgé le mot sevenidigez , terme complètement inconnu de la chaire bretonne et du catéchisme breton du diocèse de Quimper et de Léon. Mais avec silvidigez , on était en terrain connu, et les deux termes, celui du catéchisme et celui des doctes, avaient un air de famille, pour cause de sonorités communes. Cependant, à côté de ce mot, on trouve dans la prose d’Hélias des expressions qui n’appartiennent pas au vocabulaire de Poullfaouig et qui dénotent un souci de purisme absent des premiers textes : que peut bien vouloir dire « kelc’h Keltiek » pour les auditeurs 165 ? Après cette mise en oreille, Tonton Loullig se fait un plaisir de décrire le confort de l’autocar dans lequel il s’apprête à monter. Puis il explique comment les jeunes ont réussi à le convaincre de s’engager pour un si long périple. Herveig aborde alors l’aspect financier.
« Herveig : Hag ar veaj ne gousto netra, kasi sur.
Loullig : Netra grenn, evel just. Ni a zanso war al leurgoad dirak an dud, evit boued ha lojeiz. A, Herveig, me am eus danset gavotennou epad va buhez, evit ar pardoniou, al leuriou nevez, ar frikoiou hag all, met ar wech kenta eo din da veza pêt evit maneal va divesker gant son ar biniou.
Herveig : Hervez pez e welan, Tonton Loullig, ar Vretoned a zo klask warno abaoe eun nebeud bloaveziou. Rak Kelc’h Keltiek Poullfaouig a zo alies en hent. Ha c’hoaz ne hell ket mont bep tro pa vez goulennet.
Loullig : Ia, pôtr paour. Pez a ziskouez deomp, ma mabig, a zo bet aman e Breiz, gwechall, eur silvidigez hag a dalveze silvidigez ar broiou all, d’an nebeuta. Kaer a to galoupa broiou, morse ne gavi gwiskamantou ken kaer a zo bet aman etre amzer an impalaer Napoleon tri hag ar brezel pevarzek. N’eo ket evit konta drouk deus ar broiou all, met ganeomp eman ar maout evit an habijou brao. Sell deus va chupenn eured, han. Daou ugent vloaz so eo bet brodet hag eo ken sklamm [sic] ha da zevez ar friko. Gwechall ne oa ket sotoc’h an dud eget hirio, ma mab.
Herveig : O, gouzout mat e ran. Nemet an amzer a ya buhan spontus breman, hag arabat chom warlerc’h, ma fell deomp kaout boued.
Loullig : A zo gwir ivez. Met pez a c’hoarvez, Herveig paour, an den a vag eun hirnez evit an traou koz hag a zo atao mignon d’e gavel. Hag ouspenn, an traou mat hag an traou brao a zo mat ha brao da virviken. Ar c’hrampouez a zo eur bevans mod ar re goz ha koulskoude an dud a gavo mat krampouez da virviken. Ar chupenn a zo ganin war va c’hein a zo eur chupenn modkoz ha koulskoude eo kaer da welet. Hag an dud a oar petra so kaer ha petra n’eo ket.
Herveig : Ia, met, tonton Loullig, ar chupennou a zo êt ermêz pellikso. Ne vez gwelet den ebet mui gwisket hervez ar mod koz.
Loullig : Gwir eo, met ar chupennou a zo kaer memes tra. Sell ouz al loened kezeg, Herveig. Ne vez ket gwelet ken kalz a dud war varc’h. Ha koulskoude e vez atao redadeg war varc’h egiz gwechall. Hag eur marc’h a ouenn vat a zo brao da welet redek, n’eo ket gwir ! Memes tra evit ar veloiou, ia. N’eo
ket diês gwelet penaos ar velo a zo o vont da goll. Breman an dud a gav gwelloc’h gaolikennat eur velomotor, eur velodredan hag a ia kalz buanoc’h en eur ober pet pet pet war an hent. Ha koulskoude e ez [sic] atao redadeg veloiou hag an tour de France hag all. Ar mekanig a zo mat, Herveig, ne lavaran ket. Met pez a ra an den gant e zaouarn pe e dreid, an draze eo muzul an den, n’eo ket gwir !
Herveig : Ia, met dont a ray eun amzer ma ne vo ket chupenn mui ebet e breiz [sic] . Ma yelo kuit silvidigez ar re goz.
Loullig : Gwir eo c’hoas. Met eun dra bennak a chomo atao. Sell, ma mabig, hirio e weler pegen digemeret mat eo ar c’habig gant pôtred ha merc’hed, hag er c’heriou c’hoaz. Ha petra eo ar c’habig, ma mab, nemet gwiskamant pesketourien ha bezinourien ar Vro Pagan, Plouneour, Guisseni hag all war ar c’hostiouse. Ar broderez hag an dantelez a vo atao brao ha ker epad ma vint grêt gant an daouarn, evel just hag a lako kalz tud da c’honid o bara. Klevet am eus penaos ar gemenerien hag ar gemenerezed bras deus Paris a deu bep bloaz da Vreiz epad ar festou da welet hor gwiskamantou evit prena skiant diwarno. Hag an dudse, Herveig, a oar petra zo brao.
Herveig : Ne lavaran ket. Met ar gwiskamantou doare ar re goz a zo kondaonet d’ar maro.
Loullig : Piou oar, Herveig, piou oar. Marteze, dre ma z’int re ger, dre ma n’eo ket ês ober ganto, int dilezet gant an holl koulz lavaret. Met bez ez eus tud hag a gred start e heller derc’hel anezo evit ar goueliou bras. Gouzout a rez, er c’heriou a zo ganto eur gwiskamant ispisial evit ar festou, hag a vez anvet an habigall pe ar “smokin”. Setu aze gwiskamantou, va mabig, ha ne vezent ket gwelet dre ar ruiou. Bez ez eus tud, breman, hag o deus laket sevel habijou bigouden pe habijou glazik mod nevez evit ar festou bras, ha ne gavan ket kemendse iskiz.
Herveig : Koulskoude, tonton Loullig, evit dougan, pemp pe c’houec’h gwech ar bloaz, ne dalvez ket ar boan.
Loullig : Penaos, ne dalvez ket ar boan ! Ha daoust ha gwechall, araok ar brezel pevarzek, lakomp, ar jiletennou neudet e veze laket bep sul ! Va zad, Doue d’e bardono, a lakas e chupenn eured c’houec’h gwech epad e vuhez, na muioc’h na nebeutoc’h. Ha hirio, pa z’eus eun den yaouank o timezi gant eur “smokin”, pet gwech a lako ar “smokin” se epad e vuhez ? Lavar din, ta ! Hag an dilhad gwenn e vez prenet gant ar merc’hed evit ar gomunion pe an dimezi, pet gwech int gwisket goudeze.
Herveig : Ne lavaran ket. Met n’eo ket ar memes tra.
Loullig : Netra n’eo ar memes tra da dra ebet, Herveig. Met ret eo sellet eeun dirazomp, han. Sell ! Ar c’hoeffou a zo o vont da goll, n’eo ket gwir ! Eo ! Met pez ne lavarer ket, Herveig, an tokeier kiz ker ivez a ia da goll. Anavezet a rez kalz a verc’hed iaouank pe a itronezed a zoug an tog bemdez, han ! Ma ia ar c’hoeffou ermêz, an tokeier ivez, ha buanoc’h c’hoaz, Herveig paour. Pennou noaz, Herveig, pennou noaz, ne vo gwelet araok pell nemet pennou noaz. Aboan ma laker c’hoaz eun tamm distera hanter tokig evit mont d’an oferenn. Spontus eo. Ar respet hag an doujans a ia kuit, Herveig, betek ma teuio endro. Rak dont a ray endro, Herveig, hag ar c’hoeffou d’e heul. Me a zo re goz da welet an draze, met te marteze a welo. Piou oar penaos a droio ar bed warc’hoaz, Herveig. Aviskoaz, Herveig, aviskoaz, e holl broiou ar bed, klevit ac’hanon mat, ar giziou folklorek a zo bet trec’h d’ar giziou ker.
Herveig : N’on ket desket awalc’h evit mont eneb deoc’h, tonton Loullig. Neuze, c’houi a zo ali d’adkemer ar giziou koz ha da zilezel ar “c’hompleveston” evit gwiska ar chupenn.
Loullig : Nann feiz, n’on ket. Arabat kila, Herveig. Pez e oa mat dec’h n’eo ket mat hirio, ha pez a zo mat hirio ne vo ket mat warc’hoaz. Mont pep hini gant e amzer. Me a zo ali da renevezi, Herveig, ha da zerc’hel ganeomp pez a zo mat c’hoaz. Sell, da skouer. Evit eur vaouez hag eo ret dezi mont alies en eur wetur vihan, n’eo ket ês dougan eur c’hoef bigouden, abalamour eo re uhel. Petra ober ! Koeffou izeloc’h ta ! Met pez e heller derc’hel, perak teurel anezan ermêz. Roue BroZaoz, Jorj ar C’houec’hvet, ha breman ar rouanez hag he gwaz a zoug broz marellet BroSkos p’emaint e vakansou. Gwir eo pe n’eo ket ?
Herveig : Gwir eo. Met diès [sic] eo lakaat an dud da zistrei d’ar giziou koz, ha n’eo ket echu ganeoc’h, tonton Loullig, ma fell deoc’h…
Loullig : Met me ne fell din netra, Herveig. Peb hini a ra hervez e santiman ha n’eo ket Loullig ToullarC’hefeleg a bigno er gadorbrezeg, nann, d’ober kenteliou. Ne ran fors ebet. Met pez a zo brao, Herveig, ne hell ket mervel. Ha pez a zigouez gant an dud hag ar vro a jomo atao, dindan eur spez pe eur spez all. Memes tra egiz ar biniou.
Herveig : Petra c’hoaz gant ar biniou ?
Loullig : Ar biniou, Herveig, a zo eur benveg, hervez ma kred kalz tud, ha ne vez implijet enemet [sic] e Breiz. Se a zo eur gaou. Ar benveg a zo anvet biniou aman, a zo anvet cabrette pe cornemuse e kreiz BroC’hall hag e kaver anezan e holl broiou Europa, koulz lavaret. Hag abaoe kantvedou so. Nemet ar Vretoned o deus stummet anezan en eur mod dishenvel deus mod BroSkos, lakomp. Mat ! Ar biniou hag ar vombard a zelviche deomp evit ar frikoiou, evit al leuriou nevez, hag all. Met breman eo êt al leuriou nevez ermêz kiz, ar frikoiou a zo grêt gant ar jazz band, pe me oarme. Met ar biniou n’eo ket êt da goll evit kennebeut. Biskoaz, Herveig, n’eus bet kemend a viniaouerien e Breiz. Perak, abalamour ar biniou bihan a zo bet renevezet e stumm ar biniou skos hag eo deut da veza eur benvegson evit bale, elec’h chom da veza eur benveg da zeni evit dansal. Gwechall ne veze nemet daou zen azamblez [sic] o seni. Breman e vez savet bagadou ha kevrennou. Gwelet em eus, e festou meur Kerne, ouspenn pevar c’hant biniaouerien o vale azamblez en eur ober eun trouz gurun dichadennet hag a lakae an dour pilh da zont e da gerc’henn ken brao e oa. Hag an devez all, am eus lennet war ar journal penaos martoloded an Oriant a oa bet o seni e Paris dirak ar mistri bras gant ar biniou. Herveig, ma mab, ar biniou, c’hoarvezo pez a c’hoarvezo, a zo saveteet, ha traou all a vo saveteet c’hoaz.
Herveig : Gwellase, tonton Loullig, gwellase ! Ha da c’hortoz, c’houi ya d’ober an tourist d’ar broiouall.
Loullig : Ia, da ziskouez dezo petra eo eur breizad pennkilhatroad. Tud ar c’hreizteiz a gred marteze ar Vretoned a zo begou bras, met gwelet a vo.
H. : Et le voyage ne coûtera rien, évidemment.
L. : Absolument rien, évidemment. Nous danserons sur la scène devant les spectateurs, en échange du gîte et du couvert. Ah, Herveig, moi j’ai dansé des gavottes durant ma vie, pour les pardons, les aires neuves, les repas de noces et autres, mais c’est la première fois que je serai payé pour faire remuer mes jambes au son du biniou.
H. : À ce que je vois, tonton Loullig, les Bretons sont sollicités depuis quelques années. Le Cercle Celtique de Poullfaouig est souvent en route. Et encore, il ne peut répondre à toutes les demandes.
L. : Oui, mon gars. Ce qui nous montre, mon petit, qu’il y a eu ici en Bretagne, autrefois, une civilisation qui valait, au moins, la civilisation des autres pays. Tu auras beau courir le monde, jamais tu ne trouveras de costumes aussi beaux que ceux qu’il y a eu ici entre l’époque de l’empereur Napoléon III et la guerre 14. Ce n’est pas pour déprécier les autres pays, mais pour les beaux habits, les champions, c’est nous. Regarde ma veste de mariage, hein. Quarante ans qu’elle a été brodée, et elle est aussi éclatante que le jour de la noce. Autrefois, les gens n’étaient pas plus bêtes qu’aujourd’hui, mon fils.
H. : Oh, je sais bien. Seulement, le temps file à toute vitesse maintenant, et il ne faut pas rester à la traîne, si nous voulons avoir de quoi manger.
L. : C’est vrai aussi. Mais ce qui se passe, pauvre Herveig, l’homme a de la nostalgie pour les vieilles choses et est toujours fidèle à son berceau. Et en plus, les bonnes choses et les belles choses sont bonnes et belles à jamais. Les crêpes sont une nourriture du goût des anciens et cependant, les gens aimeront toujours les crêpes. La veste que je porte est une veste traditionnelle et cependant, elle est belle à voir. Et les gens savent ce qui est beau et ce qui ne l’est pas.
H. : Oui, mais, tonton Loullig, les vestes sont dépassées. On ne voit plus personne habillé traditionnellement.
L. : C’est vrai, mais les vestes sont belles tout de même. Regardez les chevaux, Herveig. On ne voit plus grand monde à cheval. Et pourtant, il y a toujours, comme autrefois, des courses de chevaux. Et un cheval de bonne race est beau à voir courir, n’estce pas ! Même chose pour les vélos, oui. Il n’est pas difficile de voir que le vélo se perd. Maintenant, les gens préfèrent chevaucher un vélomoteur 166 qui va beaucoup plus vite en faisant pouett, pouett, pouett sur la route. Et pourtant, il y a toujours des courses de vélos et le tour de France 167 et autres. La mécanique, c’est bien, Herveig, je ne dis pas. Mais ce que l’homme fait de ses mains et de ses pieds, c’est cela la mesure de l’homme, ce n’est pas vrai !
H. : Oui, mais le temps viendra où il n’y aura plus de veste en Bretagne. Où la civilisation des anciens s’en ira.
L. : C’est encore vrai. Mais il restera toujours quelque chose. Tiens, mon petit, aujourd’hui on voit que le kabig est bien accueilli par les hommes et les femmes, et dans les villes en plus. Et le kabig, c’est quoi, mon petit, sinon le vêtement des pêcheurs et des goémoniers du Pays Pagan, Plouneour, Guisseny et ailleurs dans ces coinslà. La broderie et la dentellerie seront toujours belles et chères tant qu’elles seront faites à la main, évidemment, et permettront à beaucoup de gens de gagner leur pain. J’ai appris que les grands couturiers et les grandes couturières de Paris viennent tous les ans en Bretagne pendant les fêtes afin de voir les costumes et pour s’en inspirer. Et ces genslà, Herveig, savent ce qui est beau.
H. : Je ne dis pas. Mais les costumes traditionnels sont condamnés à mort.
L. : Qui sait, Herveig, qui sait. Peutêtre qu’ils sont délaissés pratiquement par tous parce qu’ils sont trop chers, parce qu’ils ne sont pas très commodes. Mais il y a des gens qui croient que l’on peut les conserver pour les grandes fêtes. Tu sais, les citadins ont un costume spécial pour les fêtes, que l’on appelle l’habit français ou le “smoking”. Voilà des costumes, mon petit, que l’on ne voyait pas souvent dans les rues. Il y a des gens, maintenant, qui ont fait faire des habits bigoudens ou des habits glaziks rénovés pour les grandes fêtes, et je ne trouve pas ça déplacé.
H. : Cependant, tonton Loullig, pour le porter cinq ou six fois dans l’année, ça ne vaut pas la peine.
L. : Comment, ça ne vaut pas la peine ! Et estce qu’autrefois, avant la guerre de 14, mettons, les gilets brodés étaient portés tous les dimanches ! Mon père, Dieu ait son âme, mit sa veste de mariage six fois durant sa vie, ni plus ni moins. Et aujourd’hui, quand un jeune se marie en “smoking”, combien de fois porteratil ce “smoking” durant sa vie ? Dismoi, donc ! Et les vêtements blancs que les femmes achètent pour la communion ou le mariage, combien de fois ils seront portés ensuite.
H. : Je ne dis pas. Mais ce n’est pas pareil.
L. : Rien n’est jamais pareil à rien, Herveig. Mais il faut regarder bien droit devant nous, hein. Tiens ! Les coiffes se perdent, n’estce pas ! Si ! Mais ce que l’on ne dit pas, Herveig, c’est que les chapeaux des villes se perdent aussi. Tu connais beaucoup de jeunes femmes ou de dames qui portent le chapeau tous les jours, hein ! Si les coiffes disparaissent, les chapeaux aussi, et encore plus vite, mon pauvre Herveig. Des têtes nues, Herveig, des têtes nues, d’ici peu on ne verra plus que des têtes nues. A peine si l’on met encore un semblant de moitié de chapeau de rien du tout pour aller à la messe. C’est épouvantable. Le respect et la déférence se perdent, Herveig, en attendant qu’ils reviennent. Car ils reviendront, Herveig, et, dans la foulée, les coiffes. Je suis trop vieux pour voir ça, mais toi peutêtre que tu le verras. Qui sait comment tournera le monde demain, Herveig. De tout temps, Herveig, de tout temps, dans tous les pays du monde, écoutezmoi bien, les traditions folkloriques ont toujours vaincu les traditions citadines.
H. : Je ne suis pas assez instruit pour vous contredire, tonton Loullig. Alors, vous êtes partisan de revenir aux anciennes traditions, et d’abandonner le “complet veston 168 ” pour mettre le gilet breton.
L. : Non, ma foi, certainement pas. Il ne faut pas régresser, Herveig. Ce qui était bien hier n’est pas bien aujourd’hui, et ce qui est bien aujourd’hui ne sera pas bien demain. S’adapter à son époque. Moi je suis partisan de transformer, Herveig, et de conserver ce qui est encore bien. Tiens, par exemple. Pour une femme qui doit entrer souvent dans une petite voiture, ce n’est pas facile de porter la coiffe bigoudène, parce qu’elle est trop haute. Que faire ! Des coiffes plus petites, voyons ! Mais ce que l’on peut conserver, pourquoi le jeter. Le roi d’Angleterre, Georges VI, et maintenant la reine et son mari, portent le kilt écossais quand ils sont en vacances. C’est vrai, oui ou non ?
H. : C’est vrai. Mais c’est difficile de forcer les gens à revenir aux vieilles coutumes, et vous n’avez pas fini, tonton Loullig, si vous voulez…
L. : Mais moi je ne veux rien, Herveig. Chacun fait comme bon lui semble et ce n’est pas Loullig de ToullarC’hefeleg qui montera dans la chaire à prêcher, non, pour donner des leçons. Cela m’est égal. Mais ce qui est beau, Herveig, ne peut pas mourir. Et ce qui convient bien aux gens et au pays subsistera toujours, sous une forme ou sous une autre. Même chose pour le biniou.
H. : Quoi encore avec le biniou ?
L. : Le biniou, Herveig, est un instrument qui, d’après ce que croient beaucoup de gens, n’est utilisé qu’en Bretagne. C’est faux. L’instrument que l’on appelle biniou ici est appelé cabrette 169 ou cornemuse 170 dans le centre de la France et on le trouve dans tous les pays d’Europe, pratiquement. Et depuis des siècles. Seulement, les Bretons l’on façonné d’une façon différente de la façon écossaise, disons. Bien ! Le biniou et la bombarde nous servaient pour les repas de noces, pour les aires neuves, etc. Mais maintenant, on ne fait plus d’aires neuves, les repas de noces sont animés par le jazz band, ou je ne sais quoi encore. Mais le biniou n’a pas disparu pour autant. Jamais, Herveig, il n’y a eu autant de joueurs de biniou en Bretagne. Pourquoi, parce que le petit biniou a été rénové sous forme du biniou écossais et il est devenu un instrument de musique pour marcher, au lieu de rester un instrument dont on joue pour danser. Autrefois il n’y avait que deux personnes qui jouaient ensemble. Maintenant, on fonde des bagadou et des formations musicales. J’ai vu, aux grandes fêtes de Cornouaille, plus de quatre cents joueurs de biniou qui marchaient ensemble en faisant un bruit du tonnerre de Dieu et qui te faisait transpirer de tout ton corps tant c’était beau. Et l’autre jour, j’ai lu dans le journal que les marins de Lorient 171 avaient été jouer du biniou à Paris devant les hautes autorités. Herveig, mon fils, le biniou, advienne que pourra, est sauvé, et d’autres choses seront sauvées aussi.
H. : Tant mieux, tonton Loullig, tant mieux ! Et en attendant, vous allez faire le touriste dans les autres pays.
L. : Oui, pour leur montrer ce qu’est un Breton de la tête aux pieds. Les gens du midi croient peutêtre que les Bretons sont des grandes gueules, mais on verra. »
88Pour finir, Loullig explique à Herveig qu’il est allé emprunter des livres à l’instituteur pour s’informer de la population et du commerce des pays méditerranéens. Il a même appris une chanson dans la langue du pays. Herveig est étonné devant tant de travail et demande des explications. Loullig apporte cette réponse :
« Evit diskouez deso [sic] n’on ket eun azen kornek, daoust din beza gwisket gant eur chupenn. P’en do c’hoant eur bourc’hiz bennak ober goap ouzin (evel ma c’hoarvez avechou, peogwir, dre c’hras Doue, an dud diot a zo stankoc’h war an douar eget an dud fur, ha stankoc’h er c’heriou eget war ar mêz)me a c’houlenno gantan, en e skouarn : “aotrou, ha gouzout a rit pegement avalou oranjer [sic]e vez diskarget e Marseilh bemdez ?” Neuze e vo gwelet an deno tenna e skasou ar buana posubl. Ha ma lavar din : “N’ouzon ket ; ha c’houi ?” me a lavaro dezan ar gont justjust, hag a lavaro ouspenn : “Duman, e Toullarc’hefeleg, e PennarBed, an holl a oar kementse, kirzier ha chas hag all.” Me gred din e kouezo an aotrou war e benn-adrenv.
Pour leur montrer que je ne suis pas un âne bâté, bien que je sois vêtu d’un gilet. Quand un bourgeois voudra se moquer de moi (comme ça arrive parfois, parce que, grâce à Dieu, les imbéciles sont plus nombreux sur la terre que les sages, et plus nombreux dans les villes qu’à la campagne) je lui demanderai, dans l’oreille : “monsieur, est-ce que vous savez combien d’oranges on décharge à Marseille tous les jours ? ” Alors on verra notre homme se tirer le plus rapidement possible. Et s’il me dit : “Je ne sais pas ; et vous ? ” je lui dirai le compte très précis, et je rajouterai : “Chez moi, à Toull-ar-C’hefeleg, en Finistère, tout le monde sait ça, y compris les chats et les chiens.” Je crois bien que le monsieur tombera sur le derrière. »
89Ce sketch est un manifeste, une sorte de « défense et illustration du folklore » à l’intention des auditeurs : le folklore, c’est un rond dans l’eau lorsqu’on a jeté un caillou dans un étang ; c’est la trace visible de tout événement dans un pays. Loullig nous l’a dit plusieurs fois : les transformations matérielles affectent Poullfaouig, mais cela n’est rien, les femmes portent des shorts mais c’est toujours l’homme, qui porte le pantalon. Ce texte explique où Hélias veut en venir, ce vers quoi il tend, ce qu’il cherche à faire à la radio. Il n’est pas donneur de leçons et ne souhaite pas le retour de la coiffe : il cherche, au sein d’un peuple dont il se veut l’observateur, les traces présentes de la civilisation bretonne passée. Pour Pierre Hélias, le folklore est intemporel.
« Quand je dis que le folklore est intemporel, je veux dire d’abord qu’il échappe à la mode, à l’accidentel, qu’il n’est que très peu concerné par le temps qu’il fait. Il est le résultat d’une très longue sédimentation d’éléments constants qui se décantent, en réagissant au besoin les uns sur les autres, pour constituer certains traits de caractère et certaines qualités de culture qui survivent à toutes les révolutions. On ne peut qualifier de folkloriques que les us et coutumes qui ont bénéficié au moins de l’assentiment général des trois ou quatre générations d’une même population qui vivent ensemble sur un territoire donné. Et j’entends bien qu’il peut y avoir défolklorisation. Mais il est vrai que le folklore, toutes proportions gardées, n’est pas sans rapport avec une certaine sacralisation. On sait assez que le sens religieux des Bretons – qui est distinct des avatars de la religion – est imprégné de multiples éléments païens indélébiles. Autrement dit, la notion de sacré n’arrête pas de se renouveler sur certaines assises fondamentales 172 . »
90 Le sketch que j’ai longuement cité est contemporain de la production de contes, production qui forme la troisième couche géologique du domaine radiophonique, la troisième étape du travail d’Hélias à la radio. Depuis les frères Grimm, on prête aux contes une antiquité obscure : ce sont les vestiges des croyances et des mythologies des peuples qui les véhiculent, on y trouve assurément « certains traits de caractère et certaines qualités de culture qui survivent à toutes les révolutions ». Que cherche l’homme de radio en recréant ces contes, si ce n’est toucher de la voix l’antiquité de Poullfaouig et, ainsi, contribuer à la survie de ce bout de Bretagne qu’il a si habilement créé ? Pierre Hélias poullfaouiguise : il ne décrit plus le folklore de Poullfaouig, archétype du village breton, il le crée. Il ne s’adresse plus de la même façon à ses auditeurs, il ne décrit plus leur quotidien ou, à la rigueur celui de leurs parents : les contes, même situés dans un espace breton, sont hors du temps, ils sont intemporels. Sont également intemporelles les pièces radiophoniques dans lesquelles sont mis en scène des thèmes et des personnages aux traits de caractère universels 173 .
91 Lorsque l’on embrasse le panorama des émissions de RadioQuimerc’h, ce que l’on voit se dérouler, c’est une boucle : Pierre Hélias commence ses émissions en s’inscrivant dans le temps et l’espace de ses auditeurs. Toujours en s’inscrivant dans le présent, il se tourne vers son passé et celui de ses auditeurs. Il dit : « Rappelezvous comment nous étions, et vous les plus jeunes, voyez comment étaient vos grands-parents. Certes, des choses ont changé de nos jours, mais ce passé est encore inscrit dans notre temps et notre espace. » Puis, ce passé, et notamment ce qu’il définit comme étant la civilisation bretonne, le Bigouden en entreprend l’étude plus ou moins raisonnée : Hélias est un indigène , il peut témoigner et veut gagner à cette civilisation les bretonnants euxmêmes : « Mon ferme propos était […] de gagner à la civilisation bretonnante la considération des bretonnants euxmêmes, trop portés à nourrir un complexe d’infériorité à l’égard de la bourgeoisie francisante 174 . » À la radio, le moyen qu’il trouve pour mettre en lumière le folklore de la civilisation bretonne, c’est l’élaboration et la diffusion de contes intemporels. Avec ses contes, Pierre Hélias atil l’impression de s’adresser à « l’âme bretonne » éternelle qui sommeille dans les foyers basbretons ? Dans ce caslà, son but n’est plus exactement le même que lorsqu’il écrivait des farces présentant des « tranches de vie ». Nées au milieu des champs de Poullfaouig, les émissions d’Hélias s’achèvent au coin de l’âtre d’une masure de ce même village.
92 Pierre Hélias, qui a gagné, à l’issue de son expérience radiophonique, le titre de PierreJakez Hélias, poullfaouiguise : il s’adresse aux auditeurs de Poullfaouig, il parle à des auditeurs assis au coin du feu, l’écoutant, après une dure journée de labeur, comme on écoute un vieux conteur. Au même moment, en juin 1953, les paysans bretons écoutent ou mieux, regardent la retransmission du couronnement d’Élisabeth II 175 et leurs filles rêvent en lisant Paris-Match .
Notes de bas de page
1 « Pierre-Jakez Hélias : trente années pour l’inventaire d’une langue et d’une culture. Entretien avec Jean-Marie Le Sidaner », Europe. Littérature de Bretagne , 59 e année, n° 625, mai 1981, p. 11. C’est l’auteur qui souligne.
2 Cf . Le quêteur …, op. cit ., p. 138.
3 Pierre Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle…L’émission en langue bretonne. Ses principes – Sonbilan », Nouvelle Revue de Bretagne , n° 6, novembre-décembre 1951, p. 425.
4 Les rapports préfectoraux se font l’écho du mécontentement de la population : cf . ADF 31 W 244. Eléments de rapports [préfectoraux] mensuels. 1946. « RG Quimper. Rapport bimensuel 22 janvier 1946 » ; « RG Brest. Rapport bimensuel 7 février 1946 » ; « RG Brest. Rapport bimensuel 6 avril 1946 » ; « RG Brest. Rapport bimensuel 20 avril 1946 ».
5 Dans cette série de questions, je reprends le programme de recherche conçu, à la fin des années quarante, par le chercheur américain Harold H.Lasswell (1902-1978)pour analyser les médias. Cf .Daniel Bougnoux, Sciences de l’information et de la communication , Larousse, Paris,1993, p.698-703.
6 Biskoaz kemend-all , levrenn genta, Peziouc’hoari Yann Gouer, Ar Falz, Brest, 1947, p.7.
7 Cet article sera publié en deux parties : Pierre Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle…L’émission en langue bretonne. Ses principes–Son bilan », Nouvelle Revue de Bretagne , novembre-décembre 1951, n°6, p.424-434 ; « Radio-Quimerc’h vous par le…L’émission en langue bretonne. Ses limites – Ses perspectives », Nouvelle Revue de Bretagne , n°1, janvier-février 1952, p.41-45.
8 P.Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle… », op. cit ., p.425-426.C’est l’auteur qui souligne. Pierre Hélias connaît ses classiques : le poète Hésiode, auteur de Les Travaux et les Jours , en fait partie.À propos du publicvisé, cf . Pierre-Jakez Hélias, Le quêteur…, op. cit ., p.143.
9 P.Hélias, « Bilan provisoire. À propos d’une émission en langue bretonne », Celta , n°4, janvier-février1947, p.25.Quelque 40 ans plustard, ce propos et cet esprit sont confirmés par le même auteur dans son Quêteur de mémoire : p.152-278-281.
10 P.Hélias, « Bilan provisoire… », op. cit ., p.25. Dans son Quêteur , il théorisera quelque peu son expérience a posteriori : cf .p.143 et p.282-283.
11 P.Hélias, « L’émission en langue bretonne… », op. cit ., p.426.
12 Ibidem .Cet extrait est présenté comme une note de l’extrait précédent.
13 P.-J. Hélias, Le quêteur… , op. cit ., p. 153-155.
14 C’est P. Hélias luimême qui fera faire ces portraits de lui en costume bigouden, dans des postures variées.
15 Archives Pierre-Jakez Hélias CRBC (APJH).
16 La Bretagne. À Paris – En France et dans le monde. Hebdomadaire d’information et de défense des Bretons résidant hors de Bretagne . Cet hebdomadaire était une publication du groupe OuestFrance qui reprenait pour les Bretons résidant hors de Bretagne les articles du quotidien Ouest-France réputés les plus représentatifs.
17 Hebken , « Une belle initiative bretonne…en Bretagne », La Bretagne , n°80, vendredi 7 mai 1948, APJH. P-J.Hélias racontera le déroulement de cette représentation à Ergué-Armel dans son Quêteur de mémoire, op. cit , p.286-288.
18 Ainsi, le Télégramme du 14 juin 1948 rend compte de « la kermesse des écoles publiques » de Briec-de-l’Odet : la venue de Jakez Kroc’hen constitue le clou du spectacle. Dans une autre manifestation, les prestations de Jakez apparaissent couplées avec des» danses et chants folkloriques » : cf . le programme de la kermesse de Telgruc-sur-Mer tel qu’il est présenté sur un tract (APJH) : aucune mention d’année n’apparaît sur ce tract.
19 APJH.
20 Ibidem . Parmi ces 14 animations, trois sont mises en valeur typographiquement : le tirage, Arthur Allan et Aimé-Théo. Jackès Crohen et Pierre Hélias sont les vedettes « américaines » de la soirée.
21 Union Française des Organisations Laïques d’Éducation Populaire. Cf. infra.
22 Le tirage de la loterie nationale est effectué sous la présidence d’honneur de MM. Mouton, conseiller d’État, président du Comité de direction ; Barbier, secrétaire général de la Loterie Nationale ; Max Martin, préfet du Finistère ; M. le conseiller de la République ; M. le trésorier payeur général ; M. le receveur des Finances ; M. le sous-préfet ; M. le maire de Morlaix ; M. le président du tribunal civil de Morlaix ; M. Blin, délégué régional « Tourisme et Travail ».
23 Entretien particulier avec Lionel Buannic, publié dans son étude : Biskoaz kemendall ! Pierre Jakez Hélias et Radio Quimerc’h… , op. cit. , p. 17.
24 P.-J.Hélias, Le quêteur… , op. cit ., p.155.
25 Cf .Jean Cazeneuve, Sociologie de la radio-télévision , Paris, puf , 1986, (Que-sais-je ?), p.7.
26 Kendalc’h , qui peut se traduire par « constance, persévérance », fédérait les cercles celtiques.
27 « Eur gevrenn eus ar CELIB […] karget da zastum arc’hant evit sikour ar brezoneg er skol » ( BleunBrug , niv. 63, gwengolo 1953, p. 14). Le CELIB (Centre d’Étude et de Liaison des Intérêts Bretons) est fondé en 1951.
28 Cf . Philippe Martel, « Autour de la loi Deixonne », Actes de l’université d’été 1990 , réunis par Agnès Lobier, Nimes, MARPOC – IEO 30, 1991, p. 4157.
29 Rennes, 96 p. Cet opuscule, rédigé principalement par Charles Le Gall, a connu quatre éditions, la dernière étant datée de 1973.
30 Ibidem , p. 3.
31 Les Archives départementales du Finistère conservent, sous la cote 52 J, les documents relatifs à l’organisation et à la présentation de cette exposition (correspondance, catalogue de l’exposition, livre d’or…), ainsi que des documents et archives émanant de la Fondation Culturelle Bretonne et du Bleun-Brug .
32 Brud ar Brezoneg. Monuments de la langue bretonne .Brest, Emgleo Breiz, 1957, 140 p.
33 « L’exposition Brud AR BREZONEG a été organisée à Quimper par l’Amicale Ar Roue Gradlon groupant les associations culturelles, artistiques et folkloriques des pays Glazig, Rouzig, Bigouden et du Cap, affiliées à la Confédération KENDALC’H et placée sous le Haut Patronage des Autorités Civiles et Religieuses. » ( Ibidem , p. 3.)
34 Ibid .
35 P.-J.Hélias, Le Quêteur…, op. cit. ,p. 158.
36 Cf. notamment, « Broada ha divroada », n° 36, avril 1951, p. 4-5 ; « Labour disparti etre ar poblou pe unani startoc’h ? », n° 41-42, septembre-octobre 1951, p. 2-4; « Evit Dec’h pe evitWarc’hoaz ? », n° 63, septembre 1953, p. 3-5… Visant Favé (1902-1997) fut évêque auxiliaire du diocèse de Quimper et de Léon de 1958 à 1978.
37 Op. cit ., p.14-15. » chaloni Falc’hun ( skolveur Roazon )/chanoine Falc’hun (université de Rennes) » ; « rener ar J.E.B. /directeurde la J.E.B. ».
38 Le Conseil de la langue bretonne.
39 François Falc’hun, « Autour de l’orthographe bretonne », Annales de Bretagne , tome LX, n°1, année 1953, Rennes, p.48-77.
40 Cf . F.Broudic, La pratique du breton…, op. cit ., p. 327.
41 Ce texte manuscrit est signé « Yann Besteod ».En haut, à gauche, on lit, de la main d’Hélias : « kaset gt Le Goff 15/1/49 /envoyé pr Le Goff 15/1/49 ». De toute façon, l’écriture suffit à identifier Yves Le Goff : dans les archives d’Hélias, on trouve des lettres manuscrites du notairede Gouézec, qui signait ses œuvres en breton Yeun ar Go (w) (1897-1966). J’ai traduit strophe par strophe pour rendre la lecture comparée plus facile.
42 Il faut certainement lire « uvel /humble ».
43 Cette citation est transcrite en orthographe totalement unifiée.
44 APJH.
45 Outre le vocabulaire extrêmement riche et varié ainsi que les parodies de textes moyenbretons ( Buhez Mabden , La vie de sainte Nonne), on remarquera le système des rimes finales : la rime finale du premier vers rime avec le suivant, la rime du troisième s’accorde avec le sixième, la rime du quatrième formant couple avec celle du cinquième. De même, l’auteur multiplie les rimes internes, à la manière des textes moyenbretons.
46 Jean Cormerais, « L’œuvre bretonne de Pierre Hélias », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest , t. 70, 4, 1963, p. 455-456.
47 Korantin, « Échos de la semaine », Ouest-France , 8-9 mars 1947. Les auditeurs eux-mêmes se font l’écho de ce succès. Un texte écrit en l’honneur des personnages créés par Hélias est révélateur (APJH) : il est de la plume du docteur Louis Dujardin (1885-1969). Président du Bleun-Brug de 1920 à 1927, il collabora au journal Arvor pendant la guerre dans une rubrique intitulée « Ar furcher brez(h)onek /Le fureteur breton » consacrée à la littérature bretonne. Il réalisa un certain nombre d’émissions pour alimenter la demi-heure de P. Hélias.
48 « Le vent de la victoire » est un organe mensuel écrit majoritairement en français. Le sous-titre dit ceci : « Kelaouenn emsav Breizh. Cahier d’études et de documentation bretonnes » . Sur cet organe, cf . M. Nicolas, Histoire du mouvement breton…, op. cit ., p. 164 sq .
49 An Arvester , « À propos de Radio », Avel an Trec’h , février 1947, nouvelle série – cahier n° 4, p. 78. C’est l’auteur qui souligne.
50 Ar Falz , n° 12, décembre 1947, p. 9. C’est l’auteur qui souligne.
51 Al Liamm Tir na nòg résulte de la fusion de deux revues antérieures, Kened et Tir na nòg .
52 En français dans le texte.
53 Idem .
54 Id.
55 Y.M., « RadioKimerc’h », dans Kroaz Breiz , niv.33, genver 1951, p. 19. Kroaz Breiz est la revue mensuelle du Bleun Brug : à la Libération, elle reprit le flambeau de Feiz ha Breiz .
56 Cf . le compte rendu de l’école d’été à Baud (dans Ar Falz , 14 e année, n° 1, septembre-octobre 1951, p. 20), où Hélias fait un exposé dans lequel il « réfute, avec son brio habituel, les critiques de certains esprits chagrins qui cherchent dans les émissions en langue bretonne je ne sais quelles hautes spéculations ».
57 P. Hélias, « L’émission en langue bretonne… », novembre-décembre 1951, op. cit .p.428-430. C’est l’auteur qui souligne.
58 P. Hélias, ibidem , p.429-430. C’est l’auteur qui souligne.
59 Loeiz ar Floc’h (1867-1936), Jean Le Page (1881-1936) alias Yann ar Floc’h, Yvon Crocq (1885-1930), Yves Le Moal (1874-1957) alias Dirnador, Augustin Conq (1874-1952) alias Pôtr Treoure, Jacques Dourmap alias le père Médard (1908-1988) : tous ces auteurs, nés au XIX e siècle, ont commencé à publier, hormis le dernier, avant la première guerre mondiale. Hormis Le Page, ils ont continué entre les deux guerres.
60 Il cite Lesage, l’auteur notamment de l’Histoire de Gil Blas de Santillane et grand animateur du théâtre de la foire, précurseur de l’OpéraComique. Le même Lesage écrira des pièces pour la Comédie-Italienne. Lesage n’était pas un inconnu pour Hélias : dans ses mémoires, il raconte qu’il avait en tête, en 1946, « le projet d’une thèse de doctorat sur Lesage et le théâtre de la Foire » (P.J. Hélias, Le quêteur…, op. cit ., p. 138).
61 De son vrai nom Tanneguy Malemanche (18741953), cet auteur a été « récupéré » par les deux camps présentés plus haut : son œuvre majeure Gurvan ar marc’hek estrañjour a été rééditée dans l’orthographe universitaire par Emgleo Breiz en 1959, puis dans l’orthographe totalement unifiée par Al Liamm en 1977. Il n’est pas le seul auteur bretonnant à avoir eu ainsi les faveurs des deux chapelles rivales : c’est le cas de Jakez Riou pour plusieurs de ses œuvres.
62 F. Morvannou, « La littérature de langue bretonne au XX e siècle… », op. cit ., p. 195.
63 C’est le cas du docteur Dujardin qui propose, en 1947 et 1948, sketchs et chansons qui seront diffusés ; c’est aussi le cas de Yves le Goff, alias Yeun ar Gow.
64 APJH.
65 APJH.
66 Cf. P. J. Hélias, Le quêteur…, op. cit ., p. 156.
67 Il y a ici un habile jeu de mot : « Loue » est la prononciation trégorroise du mot, traditionnellement écrit « Leue » , qui signifie « veau ».
68 APJH.
69 APJH. La signature qui orne la lettre est illisible. J’ai respecté l’orthographe originelle.
70 « Breton de curé. »
71 R.Sénéchal, « Ici, Radio Kimerc’h » Ar Vro , niv.1516, Du-Kerzu 1956, p.4. C’est l’auteur qui souligne. J. Malo-Renault attribue le pseudonyme de Sénéchal à René dit Ronan Huon qui donna quelques causeries à Rennes Bretagne.
72 P. Hélias dans Nouvelle Revue de Bretagne…, op. cit. , 1951, p. 430.
73 De décembre 1946 à octobre1948 – le changement d’horaire a peut être eu lieu en septembre mais je n’en ai aucune certitude car les journaux n’annoncent aucun programme durant ce mois de septembre –, l’émission sera diffusée le samedi soir, de 20h à 20h30. Puis, d’octobre 1948 au 19 mars 1950, ce sera le dimanche, à la même heure. A compter du 19mars, le programme breton est diffusé de 13h 25 à 13h 55 et ce jusqu’à la fin, en 1958, malgré les protestations que j’ai trouvées dans les colonnes d’ Ar Falz : n°22, août-septembre1950, p.27.
74 Cette annonce se trouve au dos du tapuscrit de l’émission du 19 mars 1950 consacrée au « goût du cidre »(APJH)
75 P. Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle…L’émission en langue bretonne… », op. cit ., p.432 et 434.
76 Cf . L. Raoul, Geriadur ar skrivagnerien…, op. cit ., p. 311-312. Les deux frères sont tous les deux définis en ces termes : « Saver kanaouennoù-pobl /Créateur de chansons populaires ».
77 « Friko Jakou, ar paotr fur /Le repas de noces de Jakou, le garçon sage ».
78 « Son ar merc’hed a zoare /La chanson des femmes comme il faut » et « Merc’hed ar c’hiz nevez /Les femmes à la nouvelle mode ».
79 APJH.
80 Par exemple « Ar roue Marc’h ha barver Kerzerrien e koad Nevet » par Bleiz Nevet , pseudonyme de Germain Horellou (1864-1923), extrait du numéro de Feiz ha Breiz d’avril 1922. D’autres textes sont visiblement découpés de Feiz ha Breiz mais sans mention de date ni d’auteur : « Yvon al Lostik Du », « Per ha Laou »…
81 Par exemple, « Brendu » de Mab an Dig, pseudonyme de Gabriel Eliès (1910-1978) publié dans Bleun-Brug en 1955.
82 Cf . Jean Cormerais, « L’oeuvre bretonne de Pierre Hélias », op. cit ., p. 459-460.
83 Cf . la préface, l’avertissement et l’introduction de J. Malo-Renault à son ouvrage Les pseudonymes des Bretons…, op. cit. , p. 1-20. Dans Feiz ha Breiz apparaissent ainsi de nombreux personnages stéréotypés que l’on retrouve au fil des numéros : Maze Letern , le prototype du fainéant ; Lan an Dall : il s’agit du brave paysan fidèle à ses origines et à sa foi, et qui se charge de dénoncer, avec une verve sans pareille, le mal là où il se trouve…
84 P. Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle… », op. cit ., p. 427-428. C’est l’auteur qui souligne.
85 Per Helias, Biskoaz kemend-all ! Farsadennou Jakez Kroc’hen ha Gwilhou Vihan, op. cit.
86 Per-Jakez Helias, Biskoaz kemend-all ! Peziou-c’hoari . Ces pièces ont été publiées en dix volumes, de 1987 à 1996 : n° 1, 194 p. ; n° 2, 216 p. ; n° 3, 216 p. ; n° 4, 140 p. ; n° 5, 132 p. ; n° 6, 116 p. ; n° 7, 116 p. ; n° 8, 112 p. ; n° 9, 108 p. ; n° 10, 135 p. Outre les pièces déjà publiées ici ou là et rééditées pour l’occasion, cette édition a été réalisée à contiennent les tapuscrits de certaines pièces radiophoniques de Pierre Hélias. Il avait luimême remis ces deux volumes à son éditeur André Le Mercier qui, pour l’édition, a normalisé l’orthographe des pièces : il semble bien que Pierre Hélias ne s’en préoccupait pas du tout. Le premier volume, intitulé « Troiou Jakez Krohen ha Gwilhou Vihan /Les aventures de Jacques la Peau et Petit Guillaume », contient 29 pièces ; le deuxième, intitulé « Kontadennou ar ganevedenn (RadioKimerh) /Les contes de l’arcenciel (RadioQuimerc’h) », en contient 39. Cependant, beaucoup de « Jakez », et notamment les premiers, sont restés à l’état de manuscrits dans les archives de l’auteur. Quatre sketchs de la série des « Jakez », « traduits du breton par l’auteur », seront publiés en 1979 : ce sont « Comédie de campagne », « Le garde-champêtre inattendu », « Un homme du monde », « Les compères tremblants » (Pierre Jakez Hélias, Compère Jakou suivi de contes bretons de la belle humeur , Éditions Galilée, 1979, 230 p.).
87 Cf . P. Hélias, « Bilan provisoire… », op. cit , p. 25.
88 Biskoaz kemendall , 4 janvier 1947, APJH.
89 Cf . Biskoaz kemendall – An dour « kologn » /L’eau de Cologne, 1 er février 1947, APJH.
90 Cf . Lionel Buannic, Biskoaz kemendall… , op. cit ., p. 34 sq .
91 Ce sont les sketchs suivant : War eun dachenn fobal /Sur un terrain de foot et Eun den divemor /Un homme sans mémoire.
92 Biskoaz kemend all. Dimezi ar mab /Le mariage du fils, 11 janvier 1947, APJH. Dans le même sketch, on apprend que Jakez a sept fils et que le dernier est toujours nourri au sein.
93 P.-J. Hélias, Le quêteur…, op. cit. , p. 280.
94 Je n’ai malheureusement pas retrouvé le premier des sketchs.
95 Biskoaz kemend all , 28 décembre 1946, APJH. Se souvenir que « eur c’hristen » , c’est aussi un être humain : « Ne oa kristen ebed en ti /Il n’y avait personne dans la maison ». Je retranscris scrupuleusement les extraits des archives. L’exemple cité est une occasion de dire que, parmi les fautes de breton qui émaillent les premiers manuscrits de Pierre Hélias, on trouve des erreurs qui ne sont pas uniquement celles d’un bretonnant ne sachant pas lire et écrire le breton : il y a aussi des fautes qui témoignent d’une méconnaissance de certaines règles de base de la langue.
96 Dans les sketchs suivants, Hélias fera de son personnage un analphabète.
97 Biskoaz kemend all , 4 janvier 1947, APJH. Ce manuscrit n’est pas de la main d’Hélias mais de celle de Trépos. Hélias a rajouté, à la fin du manuscrit, « copie approx- ».
98 Situation à ce point courante qu’un chercheur, Mikael Madeg, a entrepris de récolter, dans les années soixante-dix, les surnoms en breton des habitants de différents terroirs de Basse-Bretagne ( cf ., par exemple le premier volume, publié, Leor lesanoiou Leon , Brud Nevez, 1981, 172 p.).
99 Ce nom de lieu pourrait se traduire par « Le hameau des voleurs du grand champ ». Faut-il, pour autant, y voir un semblant de critique sociale ? Plus tard, dans la pièce intitulée Ar sac’had avaloudouar (Le sac de pommes de terre, diffusée le 1er mars 1947), on apprendra que le propriétaire en question s’appelle « Philibert Kof teo » , c’est-à-dire « Philibert Gros bide ».
100 Biskoaz kemend all. Dimezi ar mab , 11 janvier 1947, APJH. Il sera rejoué en 1952.
101 Biskoaz kemend all. Ar sac’had avalou-douar /Le sac de pommes de terre, 1er mars 1947, APJH.
102 Biskoaz kemend all. Ar vasyod /Le bâton à bouillie, 15 mars 1947, APJH.
103 Butun kaoc’hmarc’h /Tabac de crottin de cheval, diffusé le 25 janvier 1947 ; An dour « kologn » /L’eau de cologne, diffusé le 1 er février 1947 dans Biskoaz kemendall !… , op. cit ., p. 11-26.
104 Cette farce est certainement une libre adaptation de la pièce de Shakespeare Much Ado about Nothing (vers 1598).
105 Ce sketch, diffusé la première fois le 8 février 1947, a été publié par Ar Falz ( op. cit , p. 2736). La conclusion du texte publié a été quelque peu modifiée par rapport à celle du texte original que l’on trouve dans les archives. Les femmes sont certes accusées de rendre infernale la vie de leurs maris, mais Hélias mentionne aussi la politique : « Ma ne vefe ket tam politik ebet, ha ma vefe an oll merc’hed mud, a zeufe raktal ar Baradoz war an douar. /S’il n’y avait pas de politique, et si toutes les femmes étaient muettes, ce serait immédiatement le Paradis sur terre. » (APJH.) Censure de l’éditeur engagé politiquement à gauche, ou autocensure d’Hélias ? Il semble donc y avoir, dans l’esprit de l’auteur, une différence entre ce qui est destiné à être joué devant un micro, parole fugitive par excellence, et ce qui va être publié et lu. Verba volant…
106 Biskoaz kemend all. Dimezi ar mab, 11 janvier 1947, APJH.
107 Cf ., par exemple, An dour « kologn » ou Ar sac’had avalou , op. cit .
108 Bec’h d’ar brilli !/Ils sont beaux mes maquereaux !, dans Biskoaz kemendall… op. cit ., p. 4959. Le manuscrit ne se trouve pas dans les archives.
109 Biskoaz kemend all. Piou e vezo gwardmaeziou /Qui sera garde-champêtre, 22 mars 1947, APJH. Ce texte sera repris et publié, avec des ajouts et des modifications, sous le titre An eil evid egile /L’un pour l’autre.
110 Biskoaz kemend all. An hik /Le hoquet, 29 mars 1947, APJH.
111 Biskoaz kemend all. An dant lammet kuit /La dent retirée, 11 mai 1947, APJH. Ce texte sera repris et publié sous le titre Pintig-Du (surnom de femme).
112 An eil evid egile /L’un pour l’autre, op. cit .
113 Eun nozvez bale-divale /Une nuit de va-et-vient, publiée dans le premier volume des pièces de P.-J. Hélias, op. cit , 1987, p. 35-47.
114 P. Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle… », op. cit ., p. 430.
115 Un seul des sketchs de la série des « Loullig » a été publié, celui « qui roulait sur l’échange des billets de cinq mille » : Biskoaz kemend-all !…Tonton Loullig hag e vilhejou pemp mil lur /Tonton Loullig et ses billets de cinq mille francs (supplément à Ar Falz , n° 14, septembre 1948, 4 p.).
116 Dans le deuxième sketch, Hélias circonscrit encore plus l’univers de Loullig. Ce dernier rappelle qu’il est, pour les enfants de la paroisse, « Tonton Loulig Toull ar C’hefeleg ». Toull ar C’hefeleg , c’est mot à mot « Le coin de la bécasse » : Clocher-les-Bécasses, la paroisse de Bécassine, serait certainement la traduction la plus fidèle.
117 « N’eo ket echu c’hoaz ganin va zek [sic] vloaz ha tri-ugent. E kreiz ma brud emoun, emichans. Deut da zek ha pevar ugent, ne lavaran ket /Je n’ai pas encore fini mes 70 ans. Je suis dans la pleine force de l’âge, je pense bien. Arrivé à 80, je ne dis pas » ( Loulig hag ar fox-trott /Loullig et le fox-trot, 7 août 1949, APJH).
118 Loulig ar c’hleiard hag e deod /Loullig le gaucher et sa langue, 1er octobre 1947, APJH.
119 L’interlocuteur de Loullig, alors que Loullig lui demande de trouver la raison pour laquelle on se moque de lui, apporte cette explication : « Marteze da-penn d’ar boutou koad a zo ganeoc’h en ho treid, hag a zo bras awalc’h d’ober eur bailh-koue pe…pe eur c’havel d’eur potrig nao miz, pe me oar, me ? /Peut-être à cause des sabots que vous portez aux pieds qui sont assez grands pour faire un baquet à lessive ou… ou un berceau pour un petit garçon de neuf mois, ou que sais-je encore, moi ? » ( Loulig ar c’hleiard hag e deod /Loullig le gaucher et sa langue, 1er octobre 1947, APJH.)
120 Dans le deuxième dialogue de cette série, Loullig rappelle les événements loufoques de son existence de gaucher, et son interlocuteur, symbole de l’auditeur-type, lui assure qu’il se rappelle tout cela. Et Loullig de répondre : « Mad ! Gwelout a ran n’eo ket kollet ar pez a gouez e da ziskouarn. Mad tre./ Bien ! Je vois que tout ce qui tombe dans ton oreille n’est pas perdu. Très bien. » Hélias commence à connaître son métier : il accroche l’auditeur, le « fidélise » ( Loulig ar c’hleiard. Bragou ar vaouez /Loullig le gaucher. Les pantalons de la femme, 4 juin 1950, APJH).
121 Loulig ar c’hleiard hag e deod /Loullig le gaucher et sa langue, 1er octobre 1947, APJH.
122 Les deux premiers vers de l’original sont différents puisque Prosper Proux écrit : « Après la lune, les étoiles et les ténèbres/Le soleil, chaque matin, fait briller la lumière. » Cf . Y. Le Berre, J. Le Dû, F. Morvannou, « Un poète et chansonnier de langue bretonne. Prosper Proux 1811-1873. Vie, oeuvres, correspondance comprenant de nombreux inédits », Cahiers de Bretagne Occidentale , n° 4, 1984, CRBC, UBO, 343 p. Le texte se trouve p. 143.
123 « Met deut oun da zaou-ugent vloaz, echu abaoe an dek deus a vis ere /Mais j’ai atteint les 40 ans, accomplis depuis le 10 octobre » ( Ar gwella maouez /La meilleure femme, 26 mars 1950, APJH).
124 P. Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle… », op. cit ., p. 430-431. « fest an hoc’h » signifie « la fête du cochon », « diotachou » veut dire « idioties » et « konchennou mamm-goz » , « des contes de grand-mère ».
125 APJH. Le manuscrit ne porte pas de date de diffusion : il est orné d’un grand numéro 2 de la main d’Hélias. Le manuscrit n° 1 porte la date du 1 er octobre 47, le n° 3 celle du 26 octobre.
126 Eur beaj e Landerné /Un voyage à Landerneau, décembre 1947 (date de rédaction?), APJH.
127 Loulig hag ar fox-trott /Loullig et le fox-trot, sans date de diffusion, APJH.
128 Loulig hag ar frikoiou /Loullig et les repas de noce, non daté ; Loulig hag ar c’huignened /Loullig et les gateaux des Gras, février 1948 (date de réalisation) ; Blas ar c’hrampouez /Le goût de la crêpe, diffusé le 6 novembre 1949. APJH.
129 Ar gwella maouez /La meilleure femme, non daté. APJH.
130 Eur beaj e Landerné /Un voyage à Landerneau, décembre 1947 (date de rédaction ?) ; Loulig hag ar gweturiou dre dan /Loulig et les automobiles, 15 avril 1948 (date de rédaction ?). APJH.
131 Tonton Loullig hag ar gompagnunez /Tonton Loullig et la civilité, novembre 1950. APJH.
132 Divizou Tonton Loullig war ar gwiskamanchou /Les propos de Tonton Loullig à propos des vêtements, I et II, 10 décembre 1950 et 17 novembre 1950. APJH.
133 Cf . Fest an oc’h /La fête du cochon, 26 octobre 1947 (date de rédaction ?). APJH.
134 Loulig hag ar gwele-kloz /Loullig et le lit-clos, 21 avril 1948 (date de rédaction?). APJH.
135 Ar gwele kloz /Le lit-clos, 28 janvier 1951. APJH.
136 Certains sketchs de la série des « Loullig » se situent d’ailleurs à la lisière des émissions thématiques : ce sont Blas ar c’hrampouez /Le goût des crêpes (diffusé le 6 novembre 1949), Blas ar yod /Le goût de la bouillie (diffusé le 27 novembre 1949) et Blas ar c’hafe /Le goût du café (diffusé le 23 avril 1950 et rediffusé le 6 avril 1958).
137 P. Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle…», op. cit ., p. 431.
138 Ar milinerien e Breiz /Les meuniers en Bretagne (le 10 juillet 1949) ; Kemenerien Breiz /Les tailleurs en Bretagne (le 18 décembre 1949) ; C’houez er beuz /Souffle dans le buis (le 18 novembre 1951) ; Eur vicher evel eun all /Un métier comme les autres (le 4 décembre 1955).
139 Ar barz Matilin. E koun Matilin an Dall /En souvenir du barde Matilin l’aveugle, diffusée le 9 octobre 1949, rediffusée en 1955.
140 Envoradur evit (Gouel) an hollzent /La Toussaint, diffusée le 30 octobre 1949.
141 1822-1865. La feuille volante – imprimée chez Le Goffic à Lannion, sans indication de date – accompagne le manuscrit (APJH).
142 Cf . T. Hersart de La Villemarqué, Le Barzaz Breiz. Chants populaires de la Bretagne , 1839-1847, rééd. Maspero, 1981, p. 424-426.
143 Un mendiant vient frapper à la porte d’un riche bourgeois pour quémander ses restes : il se fait renvoyer. Une vieille femme lui ouvre la porte et lui offre même le coucher, en plus du couvert : le mendiant se révèle alors être le Christ (APJH).
144 Ar c’hlaskerien-Vara e Breiz /Les mendiants en Bretagne, diffusée le 4 décembre 1949, APJH.
145 P. Hélias, « Radio-Quimerc’h vous parle… », op. cit ., p. 431-432. Il poursuit en donnant des exemples d’auteurs qui ont en commun d’être des écrivains populaires.
146 E koun YannBer Kalloc’h /En souvenir de JeanPierre Calloc’h (émission non datée, avant 1951). La première page du tapuscrit de cette émission comporte une phrase manuscrite d’Hélias : « E koun Yann ber Kalloc’h eun abadenn savet gant Per Hélias evit brud hag enor ar barz Yann Ber Kalloc’h ganet e Groez ha maro er Brezel pevarzek evit ar vro. /En souvenir de JeanPierre Calloc’h, une émission réalisée par Pierre Hélias pour la réputation et la gloire de JeanPierre Calloc’h et mort à la Guerre quatorze pour la patrie » (APJH).
147 Hunvreou kaer Tangi Malmanche /Les beaux rêves de Tanguy Malmanche (le 26 avril 1953).
148 Eur paotr eus Lotei /Un gars de Lothey (le 22 novembre 1953).
149 Gurvan ar marc’hek estrañjour, op. cit. , première édition : 1923 .
150 Ar en deulin, lais bretons, première édition : 1921. Recueil de poèmes d’un mysticisme sombre.
151 « L’herbe de la Vierge », première édition : 1934. Recueil de nouvelles d’un réalisme poignant.
152 P. Hélias, « RadioQuimerc’h vous parle… », op. cit ., p. 434. On notera, dans cette liste, l’absence de Yann Vigoudenn , personnage imaginaire pourtant fort connu en pays bigouden.
153 « Yannig l’Étourdi ».
154 Par contre, dans son Quêteur, P.J. Hélias consacrera un paragraphe à la mise en place de ces contes, op. cit , p. 281.
155 Comme pour les émissions de la guerre, j’ai dressé une photographie des émissions d’Hélias. Une constatation : il est beaucoup moins complet. Le dépouillement du Télégramme entre 1946 et 1958 n’a pas été fructueux : lorsque l’émission est annoncée, ce qui est loin d’être toujours le cas, son contenu n’est aucunement détaillé. Aucune revue bretonne ne fournit davantage le détail des émissions. J’ai donc élaboré ma photographie à partir de deux sources : en premier lieu, les manuscrits ou les tapuscrits des émissions, sur lesquels figurent parfois la date de diffusion… ou la date de rédaction, ou encore les deux. En second lieu, j’ai eu recours à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) : j’ai obtenu la liste des œuvres de P. Hélias déclarées à cette Société, ce qui m’a permis de compléter les informations glanées ici et là.
156 Le 8 janvier 1956, An itron a Geryann /La dame de Kerjean, une évocation de la vie au château de Kerjean au XVII e et XVIII e siècles, et, le 25 mars 1956, An aotrouig treut /Le petit monsieur malingre, qui propose une réflexion sur la vie du célèbre médecin Laënnec.
157 Eun abadennnoz e Kervarzin /La veillée à Kervarzin, diffusée le 15 et le 26 janvier 1950 à partir d’enregistrement réalisés lors de l’école d’été d ’Ar Falz au Relec au mois de septembre de l’année 1949.
158 Cf . « Radio Quimerc’h vous parle… », op. cit ., p. 43.
159 Vérisme est une expression utilisée par J. Cormerais (« L’œuvre bretonne de Pierre Hélias », op. cit ., p. 466-467) et Thierry Glon ( Pierre-Jakez Hélias et la Bretagne perdue , Rennes, PUR, 1998, p. 74).
160 Il y eut quelques collaborateurs aux côtés des deux compères, notamment des étudiantes bretonnantes recrutées par Pierre Trépos. La collaboratrice la plus régulière fut M me Yvonne Jannes qui joua à leurs côtés de la fin de l’année 1952 à maijuin 1957.
161 Ce fut le cas à Baud, en 1951, où trois pièces furent enregistrées : Marc’heg an NevezAmzer , An hini all , et Maro Bihan Tin ar C’halvez ( cf . Ar Falz , 14 e année, n° 1, septembre-octobre 1951, p. 20). Marc’heg an Nevez Amzer /Le Cavalier du Printemps avait été joué pour la première fois, en public, lors de l’école d’été du Relec, en septembre 1949. Des extraits de cette pièce avaient été diffusés à la radio en novembre 1949. An hini all /L’autre est diffusé 23 septembre 1951 et Maro bihan Tin ar C’halvez /La petite mort de Corentin Calvez, le 28 octobre 1951 (ce conte sera publié dans Le Cheval d’orgueil…, op. cit. , p. 150-151).
162 Ne figurent pas dans le tableau huit contes non datés. De même, les deux Jakez des deux premières émissions ne figurent pas dans le tableau. Deux « folklores » sont restés non datés.
163 Cf . Oswald Ducrot, Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage , Seuil, 1972, p. 290.
164 « Tonton Loullig o vont en hent /Tonton Loullig en voyage », diffusé le 11 juillet 1954. Le tapuscrit est daté du 1 er juillet 1954. APJH.
165 De même, dans l’extrait suivant, l’adoption du mot « Europa » , en lieu et place du traditionnel « Europ » , semble marquer une évolution dans le travail de l’auteur. On verra aussi qu’il n’hésite pas à faire se côtoyer deux expressions pour exprimer une seule et même idée.
166 Dans le texte breton, Hélias utilise la forme francisée (« velomotor ») et une forme « plus bretonne » (« velo-dre-dan /vélo de feu »).
167 « tour de France » : en français dans le texte.
168 En français dans le texte
169 En français dans le texte.
170 En français dans le texte.
171 P. Hélias fait référence au Bagad de Lann-Bihoue.
172 « Pierre-Jakez Hélias : trente années pour l’inventaire d’une langue et d’une culture… », op. cit ., p. 19.
173 Cf . Maro bihan Tin ar c’halvez /La petite mort de Corentin Calvez, diffusée le 28 octobre 1951 : « Tout donne à la pièce une majesté plus qu’antique, presque intemporelle, comme située dans un éternel Jour des Morts » (Jean Cormerais, op. cit ., p. 464) ; ou encore An hini all /L’autre, diffusée le 23 septembre 1951.
174 « Pierre-Jakez Hélias : trente années pour l’inventaire d’une langue et d’une culture… », op. cit ., p. 12.
175 Cf . Marie-Françoise Lévy, « Le couronnement d’Élisabeth II d’Angleterre », L’écho du siècle.., op. cit. , p. 62-63.
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