Chapitre III : La voix de la Pangée
p. 123-184
Texte intégral
Il faut en tout cas que la radio bretonne apporte la contribution la plus grande à l’admirable relèvement spirituel de la Bretagne 1 .
1Imaginons pendant la guerre l’effervescence qui s’empare du mouvement breton : on vient de lui attribuer un bureau, une adresse avec des moyens matériels et financiers pour mettre en place des programmes radiophoniques.
2C’est pourquoi, avant de pénétrer à l’intérieur du bureau rennais et d’y mener mon enquête – notamment sur le contenu des programmes, il sera bon de se poster à l’extérieur pour entendre la rumeur et les commentaires, les cris et les chuchotements.
Une essence attendue et saluée
On nous signale de partout qu’un seul poste « Grandes Ondes » est parfaitement audible en Basse-Bretagne, c’est : – tenez-vous bien ! – Londres 2 .
3Au sein du mouvement breton, beaucoup d’espoirs sont placés dans les émissions de Rennes-Bretagne. Des réactions publiées dans les journaux militants de l’époque apportent des renseignements sur l’essence qui est prêtée à ces programmes par les rédacteurs. Pourtant, la vraie nature de cette radio est assez simple à définir : elle parle dans le vide.
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4 Le 24 octobre 1942, Tin Gariou, alias Youenn Drezen 3 , fait part de son mécontentement dans les colonnes de L’Heure Bretonne ; son article s’intitule « Aman, Roazon-Breiz ! Ia, met ne glever ket. /Ici, Rennes-Bretagne ! Oui, mais on n’entend pas » :
« Moarvat, n’eus nemet e Breiz a vez gwelet traou ker souezus !
Da genta, an dra-mañ, anat d’an holl : ouspenn eur million a dud o c’houzout brezoneg ha divarrek holl, koulz lavarout da lenn ha da skriva e doare ar yez-se.
D’an eil, ar Skingomz, ar Radio… ar Radio brezonek, evel just ! Aozet ha displeget a-ratoz kaer evit ar vrezonegerien, evit Breiz-Izel, abadennou “Roazon-Breiz”, mar bezont klevet e doare e Roazon, an Naoned, Ar Mans, pe Angers, ne deont ket betek Kemper pe Vontroulez, pe klevet e vezont ker divalo, ker raouliet ha kemmesket, ma troer ar bounton da selaou…traou all.
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Evit ar wech eo bet kavet gwelloc’h abegi eget meuli. E gwirionez, abeg a zo da gavout e “Radio-Roazon”, ha sevel a reomp hor mouez, ni ivez, gant ar glemmerien.
Paea a ran va skod, bep bloaz, evit va benveg-radio. Digoret am beus bet va rann, evel brezonegerien all, da c’houlenn abadennou brezonek… ha, dre eur chañs, evit eur wech, selaouet omp bet ! Eur Radio vrezone ez eus, e Roazon. Nemet… nemet, ha sell aze a ra deomp-ni eur vad, amañ e Breiz-Izel, pa n’omp ket evit he c’hlevout !
“Roazon-Breiz” ne vez ket klevet e Breiz-Izel !
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Pa ne felle ket d’in chom war ar seurt kerseenn, em beus skrivet da renerien “Roazon-Breiz” ha setu petra ’m beus gouezet : mar deo gwir e vez graet al labour e kêr-Roazon, ha gant Bretoned-rik ha brezonegerien ker rik all, eo ret gouzout e reont o labour war bladennou. Kaset e vez ar bladennou da Bariz evit beza dasskignet gant “Radio-Pariz”.
Hag amañ emañ an dalc’h, d’am meno ! “Radio-Pariz”, pa blij ganti, a vez kreñv he mouez. Moarvat, avat, n’he deus ket anal da goll gant ar brezoneg ha selaouerien Breiz-Izel. Ha moarvat emañ ar wirionez ganti, ma ne glemm den. Perak e lakafe he foan da ober mat evit tud a lez da gredi int difoultre, o-unan, gant strivou o sonerien, displegerien, kanerien, arzourien hag all ?...
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Kroget eo ar “Framm Keltiek” – “Skourr ar Skingomz” – gant eun enklask diwar-benn “Roazon-Breiz”.
Sealouerien “Roazon-Breiz”, brezonegerien douget d’ho yez, douget da glevout e brezoneg kanaouennou dudius, rimadellou farsus, barzonegou flour, peziou-c’hoari, prezegennou kentelius, keleier gwirion pe vommou faltazius, ha nann ar bourbouilh a vez stlapet ouz ho tiskouarn gant Pariz dindan an ano a Radio vrezonek, grit eveldoun : skrivit, klemmit ! Seul e vimp o rei da c’houzout n’omp ket laouen tamm tout gant ar seurt keusteurenn, seul vuanoc’h, seul hegaratoc’h e vo selaouet ouzimp !
Kasit ho liziri da :
Institut Celtique De Bretagne
Section de la Propagande (Radio)
29, rue Edmond-Rostand, Rennes.
Il n’y a probablement qu’en Bretagne que l’on voit des choses si surprenantes !
En premier lieu ceci, évident pour tous : plus d’un million de personnes savent le breton et sont presque toutes, pour ainsi dire, incapables de lire et d’écrire convenablement cette langue.
En second lieu, la Radio…la Radio en langue bretonne, évidemment !
Préparées et conçues spécialement pour les bretonnants, pour la Basse- Bretagne, les émissions de “Rennes-Bretagne”, si elles sont entendues convenablement à Rennes, Nantes, Le Mans, Angers, elles ne parviennent pas jusqu’à Quimper, ouMorlaix, ou bien elles sont entendues de façon si mauvaise, si brouillée que l’on tourne le bouton pour écouter…autre chose.
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De tout temps, on a préféré adresser des reproches plutôt que des louanges. En vérité, il y a lieu de faire des reproches à “Radio-Rennes”, et, nous aussi, nous ajoutons notre note à celles des reproches.
Je paie, tous les ans, ma contribution pour mon appareil de radio. Pour ma part, comme d’autres bretonnants, j’ai revendiqué pour réclamer des programmes en langue bretonne… et, par chance, pour une fois, nous avons été entendus ! Il y a une Radio en langue bretonne, à Rennes.
Seulement… seulement, cela nous fait une belle jambe, ici en Basse-Bretagne, puisque nous ne pouvons pas l’entendre !
“Rennes-Bretagne” ne s’entend pas en Basse-Bretagne !
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Puisque je ne voulais pas rester sur une telle déception, j’ai écrit aux responsables de “Rennes-Bretagne” et voici ce que j’ai appris : s’il est vrai que le travail est fait à Rennes, et par des Bretons véritables et des bretonnants tout aussi véritables, il faut savoir qu’ils font leur travail sur des disques. Ceux-ci sont expédiés à Paris pour être ensuite diffusés par “Radio-Paris”.
Et c’est ici que le bât blesse, à mon avis ! “Radio-Paris”, quand elle le veut, peut avoir une voix qui porte.Mais elle n’a certainement pas de souffle à perdre s’agissant du breton et des auditeurs de Basse-Bretagne. Et elle est probablement dans le vrai si nul ne se plaint. Pourquoi se donnerait-elle du mal pour satisfaire des gens qui donnent le sentiment qu’ils sont euxmêmes indifférents aux efforts que fournissent leurs musiciens, leurs récitants, leurs chanteurs, leurs artistes etc. ?
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“L’Institut Celtique” – “Section de la Radio” – vient de lancer une enquête au sujet de “Rennes-Bretagne”.
Auditeurs de “Rennes-Bretagne”, bretonnants aimant votre langue, aimant entendre en breton des chansons plaisantes, des comptines amusantes, de doux poèmes, des pièces de théâtre, des conférences instructives, de vraies informations ou des propos imaginaires, et non le bouillonnement verbal que Paris administre à vos oreilles sous le nom de Radio bretonne, faites comme moi : écrivez, plaignez-vous ! Plus nous serons nombreux à faire savoir que nous ne sommes pas du tout contents de cette espèce de ragoût, plus vite nous serons écoutés avec diligence et amabilité !
Expédiez vos lettres à :
Institut Celtique De Bretagne
Section de la Propagande (Radio)
29, rue Edmond-Rostand, Rennes 4 . »
5 Youenn Drezen sait de quoi il parle : il collabore régulièrement à la radio bretonne. Cependant, il est loin d’être le seul à s’alarmer de la situation qu’il dénonce. Va dans le même sens que lui, publié dans le journal Arvor , le résultat de l’enquête réalisée par l’Institut Celtique sur l’audition des émissions de radio du poste de Rennes-Bretagne 5 . La conclusion est sans appel : « Diskouez a ra an enklask-se penaos abadennoù Roazhon-Breizh ne vezont ket klevet pe klevet fall-kenañ en tu all da linenn ar Brezhoneg/ Cette enquête montre que les programmes de Rennes-Bretagne ne sont pas audibles, ou le sont très difficilement au-delà de la limite linguistique 6 . » Concernant l’audition du poste, 532 réponses sont parvenues à l’Institut : dans le Finistère et dans la partie bretonnante des départements des Côtesdu- Nord et du Morbihan, 37 auditeurs ont dit entendre bien, 298 entendent mal, sur 335 réponses. Dans les départements d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Inférieure et dans la partie francisante des Côtes-du-Nord et du Morbihan, 127 auditeurs disent qu’ils entendent bien, 70 qu’ils entendent mal, sur 197 réponses. Les nombres sont très parlants : ils le sont encore plus lorsqu’on les traduit en pourcentages. En Basse-Bretagne, 88,95 % de ceux qui ont répondu entendent difficilement le poste de Rennes-Bretagne ; 11,04 % l’entendent bien. En Haute-Bretagne, 35,53 % de ceux qui ont répondu le reçoivent difficilement, 64,46 % le reçoivent bien. Ainsi, en Bretagne, 30,82 % des personnes mentionnées dans l’enquête, entendent convenablement les émissions de Rennes-Bretagne, 69,17 % ne les entendent pas ou bien les entendent difficilement. Ces résultats sont confirmés par des correspondances aujourd’hui archivées. Ainsi, Taldir Jaffrennou adresse à l’abbé Le Clerc, qui réside à cette époque à Saint-Brieuc, une carte postale, en date du 16 septembre 1941, dans laquelle on lit :
« Kompren a ran hoc’h eus digaset ho kourc’hemennou d’in evit ma c’hozeadenn vrezonek e Radio-Breiz diwar benn an Anglizien hag ar Vretoned. Divinet am eus en despet d’ar gir berr, skrivet gant poan, rak gouzout mat aran eo sempl bras ho kweled, hag oc’h karget a vloaveziou.
Je comprends que vous m’ayez fait parvenir vos compliments pour la causerie en breton sur Radio-Bretagne au sujet des Anglais et des Bretons. J’ai deviné [qu’ils étaient de vous] malgré un texte bref, écrit difficilement car je sais très bien que votre vue est très faible et que vous êtes chargé d’années 7 . »
6 Si à Saint-Brieuc, on peut capter les programmes de Radio-Rennes, en revanche, dans le Finistère, il en va tout autrement : l’écoute y est très difficile. C’est ce que confirme, en septembre 1943, le directeur des œuvres diocésaines à Quimper, l’abbé Favé, dans un courrier qu’il adresse à Roparz Hemon et dans lequel il exprime sa surprise de recevoir de l’argent pour une pièce de théâtre qui vient d’être radiodiffusée 8 .
7 Il faut croire que l’enquête dont j’ai publié les résultats ne sera pas suivie d’améliorations pour ce qui est d’une meilleure qualité d’audition : de fait, un an plus tard, Youenn Drezen fait à nouveau part de son mécontentement, dans un article de L’Heure Bretonne qu’il intitule « Evit kaout eo ret goulenn /Pour obtenir, il faut demander ». Pour obtenir peu, il faut demander beaucoup : telle est la motivation de Tin Gariou. Il insiste à nouveau sur la difficulté de la réception. Il ne semble pas très satisfait non plus du contenu des programmes qui ne répond pas pleinement à toutes ses attentes : les horaires ne sont pas commodes, les émissions – il n’y en a pas assez – sont trop courtes, il manque un journal parlé pour donner des nouvelles de la guerre et de tout ce qui se passe dans le pays. Ici l’auteur se souvient de la parole de l’Évangile : « Demandez et vous recevrez. » Il fait aussi allusion à une enquête concernant Radio-Bretagne et différente de celle d’avril 1943 : elle est encore à l’initiative de l’Institut Celtique puisque c’est à lui qu’il faut adresser ses doléances au sujet du contenu des émissions. Youenn Drezen invite ses lecteurs à se plaindre, « en tant que Bretons » : « Talvoud a reomp ouzhpenn ur c’hard eurig bemdez./ Nous valons plus qu’un petit quart d’heure quotidien 9 . » J’ignore si cette enquête a obtenu un grand succès auprès des auditeurs. Ce qui est certain, c’est que ces émissions de radio, tellement désirées, ont, dès leur mise en place, fait l’objet d’articles nombreux dans la presse militante : on possède, grâce à eux, une image extérieure de l’expérience radiophonique. De surcroît, ces articles nous informent sur le caractère, sur la nature que le mouvement breton attribue à ces émissions : pour lui, elles sont, en quelque sorte, une victoire, voire une revanche, sur la III e République.
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8 Le 1 er novembre 1940, de 18 heures à 18 h 30, a lieu la première émission bretonne de Rennes-Bretagne. Désormais, tous les vendredis, à la même heure, « sur la longueur d’ondes de Radio-Paris et les postes relayés », est diffusé un programme d’inspiration bretonne, en français et en breton. L’Heure Bretonne s’en félicite et, le 30 novembre, elle apprend à ses lecteurs que :
« à chaque émission, on a la joie de trouver un programme meilleur et mieux au point. […] Et la place donnée à la langue bretonne étant de plus en plus grande, c’est très sincèrement que nous adressons des félicitations aux organisateurs et exécutants. […] Certes, nous voudrions que les émissions soient plus nationales, et aussi beaucoup plus nombreuses. Mais nous pouvons déjà nous réjouir, sans arrière-pensée, de ce qui est fait 10 . »
9 Cependant, le poste rennais ne semble pas avoir le monopole de la diffusion en breton. On ne peut certes point parler de concurrence ; néanmoins, dans son numéro du 21 décembre 1940, L’Heure Bretonne apprend à ses lecteurs que d’autres ondes que celles du poste rennais ont accueilli du breton. Voici en effet, le contenu de la rubrique « Échos » de ce numéro :
« Radio-Londres :
C’était un speaker breton ; déniché dans les couloirs du métro de Londres où il installait son matelas pour la nuit, sa femme avec lui, s’il vous plaît ! Drôle d’idée d’aller défendre la caisse à Rothschild et la prospérité des vignerons de Narbonne dans le métro de Londres, au lieu de rester chez soi, défendre son travail, sa famille et son pays ! Bref, il était de Brest et il savait le breton, et il nous le fit voir :
-
Me zo deus Brest ; ya, deus Sant-Marzin. Nozvez vat d’an tad…ha da tout ar familh…Kouskit mat…me a gomz brezoneg…ya, ha yec’hed vat d’am c’hoar vihan…Kouskit mat…
Là-dessus le zozo s’arrête, ayant sans doute épuisé son vocabulaire, mais saisi d’une nouvelle inspiration, et avant que le speaker à de Gaulle ait le temps de débrancher son micro, il se met à brailler les deux derniers mots qui lui restent, simple mal du pays, ou regret de son effroyable bêtise du 18 juin : - Breiz Atao, ya ya, Breiz Atao ! Breiz Atao 11 ! »
10 Ainsi donc, le breton ne se fait pas entendre qu’à Rennes. Le ton de cette rubrique est à l’ironie et, cette fois, n’est pas dénué « d’arrière-pensée ». Dans ces années quarante, et dans les colonnes de L’Heure Bretonne , pareille « arrière-pensée » est courante et sans grande originalité, il faut bien l’admettre 12 . Le même numéro de cette gazette, à la page suivante, fournit au lecteur un long article intitulé « Le Juif » : l’auteur de cette page, qui est demeuré anonyme, s’attache à montrer en quoi le Juif est nuisible, et il explique que « l’on persécute le Juif, parce que lui, il a persécuté l’Europe, depuis qu’il existe et ne cherche qu’à saper toute autorité autre que la sienne 13 ». Plus loin, il est question de radio : « Grâce à la puissance de l’argent, la grosse banque, ils [les Juifs] tenaient la grande presse. Et, par la presse, comme par le théâtre, la T.S.F., le cinéma, qu’ils contrôlaient, ils tenaient le public et le faisaient marcher comme un seul homme. » La radio bretonne et ceux qui y travaillent sont épargnés, c’est sûr, par cette emprise. Il n’en va pas de même pour les « Bretons d’Angleterre » :
« Keit ha ma pado ar brezel, an Anglichenn a implijo ar Radio evit klask dispartia an dud amañ hag ahont. Bez ez eus tud eus hor bro hag a zo chomet gant an Anglichenn, e Bro-Saoz. Ar Vretoned-se ne ouzont ket e labouront evit enebourien o gouenn, evit yuzevien, evit franmasoned, evit ar Saozon, evit ar Fransizien.
Eun adjudant Breton, ar yaou, 9 a viz genver, en deus kaozet e brezoneg e Radio Londrez. Daoust hag e veze kaozet brezoneg alies, araok ar brezel, gant ar radio-se ? Ger ebet. Gant ar seurt tud-se ar brezoneg a zo mat da veza prezeget, pa o deus [sic] ezomm anezañ da c’hounit kalonou hor c’henvroiz.
Met c’houi a lavaro : “Tud Londrez a gaoze d’eomp n’int ket Anglichenn : Fransizien int.” Ya ! Fransizien int ; met, daoust hag o deus ar Fransizien, araok ar brezel, lezet ar Vretoned da gaozeal brezoneg e Radio Roazon ? Nann. Ar brezoneg a oa evito, d’ar c’houlz-se, eur “langue de sauvages”. Ha bremañ perak o defe chenchet o menoziou ?
Ar paour kaez adjudant en deus prezeget d’eomp e brezoneg an deiz-all a zo eur Breton mat, met, siouaz ! n’eo ket desket awalc’h. Ne anavez ket istor e vro, hag an dra-se n’eo ket souezus peogwir ne vez ket desket istor Breiz er skoliou.
Lavaret en deus : “An otonomisted a zo tout Boched !” da lavarout eo e brezoneg mat : “Ar vroadelourien vrezon a zo holl Alamaned !” Me a zo broadelour ha, koulskoude, n’oun ket Alaman, evel ma n’eo ket eur Saoz, kennebeut.
Ar Vretoned a zo holl-gwitibunan broadelourien hep her gouzout. Karout a reont o yez, karout a reont o Breiz dreist pep tra, ha karout a reont ivez o gouenn, evel ma weler er vroiou-pell [sic], e-lec’h e klaskont atao en em voda.
Me, “mon adjudant”, am eus desket istor va bro ha kanaouennou hon tadou koz, kanaouennou ar re o deus stourmet e-pad kantvedou ouz ar Fransizien hag ouz an Anglichenn evit mirout da Vreiz “he brud vat, he nerz, he c’hened”. Setu perak da gala genver, ez oun bet er ru eus Siam, etre teir eur ha peder eur ;hag eno am eus gwelet meur a Vrestad o vale eveldoun ; ya ! bez ez eus tud c’hoaz hag a oar dibab o gwir mignoned e-touez an estrañjourien. Ar Vretoned n’o deus ket aon na rak an Anglichenn, na rak ar Fransizien.
Hag an Anglichenn ne zeuint ket e Breiz, me hel lavar d’eoc’h.
Ha pa vo Breiz d’ar Vretoned, ne vo ket ken yuzevien Londrez a roio an aotre d’ezo da gozeal o yez er skingomzerez evit servija o interest fall.
Gouzout a rit, Bretoned Bro-Saoz, ez eus bombezennou o koueza puilh war diez ho kenvroiz : bombezennou ho keneiled an Anglichenn ez int.
Neuze peogwir e ouezit ar brezoneg, sonjit mat er pez a zo skrivet war vanniel Breiz,
“Treitour biken ! Kentoc’h mervel !”
Tant que la guerre durera, les Anglais utiliseront la Radio pour essayer de séparer les gens ici et là-bas. Il y a des gens de notre pays qui sont restés avec les Anglais, en Angleterre. Ces Bretons-là ne savent pas qu’ils travaillent pour les ennemis de leur race, pour des juifs, pour des francs-maçons, pour les Anglais, pour les Français.
Le jeudi 9 janvier, un adjudant breton a parlé breton à Radio Londres.
Parlait-on souvent en breton, avant la guerre, à cette radio ? Pas un mot.
Pour ce type de personnes, le breton peut servir sur les ondes quand ils enont besoin pour gagner le coeur de nos compatriotes.
Mais vous me direz : “Les gens de Londres qui nous parlaient ne sont pas des Anglais : ce sont des Français.” Oui ! Ce sont des Français ; mais, les Français, avant la guerre, ont-ils laissé les Bretons parler breton à Radio Rennes ? Non. Le breton était pour eux, à cette époque, une “langue de sauvages 14 ”. Et maintenant, pourquoi auraient-ils changé d’opinion ?
Le pauvre adjudant qui nous a parlé en breton l’autre jour est un bon Breton, mais, hélas ! il n’est pas suffisamment instruit. Il ne connaît pas l’histoire de son pays et cela n’est pas étonnant puisque l’on n’enseigne pas l’histoire de Bretagne dans les écoles.
Il a dit : “Les autonomistes sont tous des Boches !”, c’est-à-dire en bon breton : “Les nationalistes bretons sont tous des Allemands !” Moi, je suis nationaliste et, cependant, je ne suis pas Allemand, tout comme lui n’est pas davantage un Anglais.
Les Bretons sont tous sans exception des nationalistes sans le savoir. Ils aiment leur langue, ils aiment leur Bretagne par-dessus tout, et ils aiment aussi leur race, comme on le constate dans les pays lointains où ils cherchent toujours à se regrouper.
Moi, “mon adjudant 15 ”, j’ai appris l’histoire de mon pays et les chansons de nos ancêtres, les chansons de ceux qui ont lutté pendant des siècles contre les Français et contre les Anglais pour conserver à la Bretagne “sa bonne réputation, sa force, sa beauté”. Voilà pourquoi, à l’occasion du premier janvier, je suis allé rue de Siam entre trois et quatre heures 16 ; et là j’ai vu plus d’un Brestois marcher comme moi ; oui ! il y a encore des gens qui savent choisir leurs vrais amis parmi les étrangers.
Les Bretons n’ont peur ni des Anglais ni des Français. Et les Anglais ne viendront pas en Bretagne, je vous l’assure.
Et quand la Bretagne sera aux Bretons, ce ne seront plus les juifs de Londres qui leur donneront l’autorisation de parler leur langue à la radio dans le but de servir leur intérêt détestable.
Vous savez, Bretons d’Angleterre, qu’il y a des bombes qui tombent en grand nombre sur les maisons de vos compatriotes : ce sont les bombes de vos amis les Anglais.
Alors, puisque vous savez le breton, réfléchissez bien à ce qui est écrit sur le drapeau breton,
“Traître jamais ! Plutôt mourir 17 !” »
11 On sait au moins que sur Rennes-Bretagne la parole ne sera pas donnée aux Juifs 18 . Ou plus exactement qu’elle ne le sera plus, si l’on se réfère à une caricature publiée en première page de L’Heure Bretonne , le 21 juin 1941. Dans un salon, confortablement installée dans des fauteuils, une famille est à l’écoute du poste de radio posé sur la table : le père portant une barbe aussi fournie qu’il a le nez proéminent, la fille et le fils – à moins que ce ne soit le gendre. La légende dit ceci :
- Le poste de Rennes-Bretagne . – Aman, Roazon Breiz…
- La famille Levy . – Ah ! du breton maintenant ! On voit bien que nous ne sommes plus là !… 19
12 J’ai donné ci-dessus des extraits de trois articles ; d’autres cités antérieurement, avaient trait à l’audition défectueuse des émissions, surtout en pays bretonnant : tous ces documents se placent délibérément dans un ordre naturel breton. En effet, dans l’idéologie qui sous-tend tout ceci, il existe une nature bretonne à part dont la substance principale est la langue bretonne, et dès lors les programmes radiophoniques en langue bretonne doivent être l’émanation la plus éclatante de cette substance. Les programmes de la radio doivent véritablement refléter « l’essence de la Bretagne », pour reprendre le titre d’un article paru en 1937 dans Stur sous la plume d’A. Calvez, alias OlivierMordrelle 20 . Puisque ces émissions sont une émanation de l’âme, de l’essence de la Bretagne, elles peuvent être la cible de vives critiques, dans la mesure où l’on accorde à ceux qui écrivent pour donner leur avis sur les émissions le droit de s’inquiéter sur ce qui pourrait être déviation concernant une juste perception de la dite essence bretonne. Prenons le cas du journal Arvor : assez régulièrement, il publie une modeste rubrique, intitulée « Hor radio /Notre radio », consacrée à la radio bretonne. Y figurent non seulement les programmes à venir, mais aussi des « billets d’humeur » dus à des rédacteurs du journal et ayant trait aux émissions déjà diffusées : on se prononce par exemple sur la qualité du breton, c’est-à-dire qu’on s’en tient purement à la forme. La date du 18 mai 1941 marque un tournant et Arvor passe à l’attaque. Le numéro 20 de la revue publie un long éditorial intitulé « Pas assez de breton à Rennes-Bretagne ! » : il est signé L.F.A.
« Un lecteur nous écrit pour nous faire part de son étonnement de ne pas entendre plus souvent d’émissions en breton à Rennes-Bretagne. Il nous demande s’il n’y aurait pas moyen d’attirer l’attention des dirigeants de ce poste sur la nécessité de faire une plus grande part à notre langue dans les programmes transmis par lui. C’est d’autant plus volontiers que nous accédons à son désir que nous avons entendu maintes fois des auditeurs de Rennes-Bretagne lui adresser la même critique.
Avant 1940, lorsque le gouvernement ignorait systématiquement la langue bretonne il n’était pas étonnant de voir sa part à la radio réduite à quelques chansons. Depuis, il n’en est plus de même. Rennes-Bretagne a été doté d’un speaker bretonnant en la personne de notre ami Abeozen, le savant, consciencieux et tenace traducteur en langue bretonne des “Mabinogion”. Grâce à lui, les émissions sont annoncées dans les deux langues. D’autre part, depuis sa réouverture Rennes-Bretagne a diffusé quelques beaux spectacles en breton. Cinq ou six. Pas plus.
Et c’est justement cela que nous trouvons amer. À Rennes-Bretagne, le seul, l’unique poste d’émission breton, le breton est traité en parent pauvre. Il suffit de se mettre à l’écoute chaque mercredi pour s’en convaincre.
De plus, les programmes transmis, à part quelques bonnes émissions, pour lesquelles on ne saurait trop féliciter MM. Trécan, Florian Le Roy, Abeozen et d’autres que nous oublions ont déçu le public breton. On s’attendait à voir Rennes-Bretagne nous donner du neuf. Or, la plupart des émissions ne s’élèvent pas au-dessus du meilleur régionalisme. Des gwerzes, des sones, des reconstitutions historiques à grands coups d’orchestre, il semblerait que cela soit toute la matière de Bretagne. Or, le peuple breton n’est pas un de ces peuples heureux qui n’ont d’autre préoccupation que l’organisation de leurs loisirs. Le peuple de Bretagne souffre et lutte suffisamment pour qu’on se penche avec lui sur ses besoins et pour qu’on l’aide.
Nous ne nions pas le mérite des dirigeants et des bons ouvriers de Rennes-Bretagne qui, avec un dévouement réel s’efforcent de mener à bien, malgré des moyens réduits une oeuvre difficile mais nous aimerions les voir quitter les petits chemins creux – si agréables ! J’en conviens – du régionalisme pour les grandes routes nationales pleines de lumière et de vie. Leurs critiques que nous adressons aujourd’hui sont un témoignage de l’intérêt que nous portons à leur effort.
Les Bretons pensaient que le gouvernement de Vichy aurait introduit le breton dans l’enseignement. Cette réforme indispensable se faisant attendre le poste de Rennes-Bretagne pourrait, dans une certaine mesure remédier à la carence des pouvoirs publics et entreprendre l’oeuvre d’éducation populaire qu’ils se refusent à faire. C’est pourquoi nous demandons dès aujourd’hui :
Que le breton et le français soient mis sur un pied d’égalité à Rennes- Bretagne, c’est-à-dire que le même temps soit consacré aux émissions en breton et en français.
Que les émissions n’aient pas seulement un but récréatif mais aussi éducatif.
Que, pour cela, on envisage la transmission de nouvelles locales et internationales en langue bretonne (c’est facile puisqu’il n’y a qu’à les prendre dans « Arvor » par exemple) et d’un cours de langue bretonne. Il nous paraîtrait également désirable de transmettre des causeries sur l’agriculture bretonne, sur les divers métiers bretons en langue bretonne.
Nous ne faisons qu’indiquer quelques réformes qui nous paraissent désirables. Dès aujourd’hui nous ouvrons une enquête auprès de nos lecteurs 21 . »
13 L’objectif est clair et la guerre presque déclarée : ce qui est en cause, ce n’est pas un quelconque programme régionaliste même bon teint, mais carrément un programme national breton. Puisque le gouvernement de Vichy se fait prier pour mettre en oeuvre l’enseignement du breton, les « dirigeants bretons » – qui contrôlent Arvor – veulent tirer partie des possibilités qu’offre la radio dont la puissance symbolique est évidemment considérable. De fait, Arvor lance une enquête auprès de ses lecteurs et publie des extraits de lettres ou d’articles de presse qui abondent dans son sens 22 , c’est-à-dire celui de griefs assez vifs dont l’éditorial cité ci-dessus donne une idée. Voici quelques titres de paragraphes sous lesquels sont regroupés ces extraits de lettres : « Beaucoup de nos compatriotes comprennent mal le français » ; « L’heure de l’émission est mal choisie » ; « De tout en breton ! 23 »
14 C’est l’officier allemand des troupes d’occupation Weisgerber qui fait nommer Roparz Hemon à la tête des programmes de radio en langue bretonne : c’est chose faite dès le 1er juillet 1941. Quatre semaines plus tard, le 27 juillet, Arvor inaugure une nouvelle rubrique ayant trait à cette radio précisément et intitulée « Notre radio. Roazon-Breiz ». Les articles sont signés Skinlonk . Dans celui du 27 juillet, l’auteur écrit que « quel que soit le jugement porté sur les émissions passées et présentes, un fait se dégage : la matière de Bretagne est au point de vue radiophonique d’une incomparable richesse 24 . » Il donne des exemples de l’exploitation radiophonique de cette matière inépuisable et il conclut de la sorte : « Et vous compren drez aussi combien il est difficile, en une seule émission par semaine, de faire tenir tant de choses. Tout compte fait, Rennes-Bretagne s’en est-il si mal tiré ? » Le ton mesuré de cet article est-il à mettre en rapport avec la toute récente nomination de Roparz Hemon ? Et la question posée dans la dernière phrase n’est-elle pas un hommage rendu aux collaborateurs de la radio bretonne et peut-être même en tout premier lieu à son directeur fraîchement nommé ? Toujours est-il que dès le numéro suivant, Skinlonk invite, en breton, les lecteurs d’Arvor à communiquer au journal leurs réactions, leurs encouragements et leurs voeux pour ce qui concerne la radio bretonne 25 . De fait, Arvor publie des réponses 26 et Skinlonk fait paraître derechef sa prose dans le numéro du 10 août, sous le titre « La double tâche de Rennes-Bretagne ».
« Ne parlons pas du Rennes-Bretagne d’avant-guerre. Ce n’était qu’une succursale de Paris, un instrument de plus entre les mains de la Troisième République pour abrutir un petit peuple nordique entre tous, et lui faire perdre la conscience de ses origines.
Parlons du Rennes-Bretagne d’aujourd’hui, de celui qui parle breton, qui parle à la Bretagne, qui parle de la Bretagne. S’il n’est encore, nous le savons tous, qu’un poste breton en miniature, ne disposant que d’un horaire réduit, déjà se posent devant lui les problèmes qui seront ceux de notre radio de demain.
Il n’est pas de pays qui ne divise ses émissions en deux classes : celles destinées au pays même et celles destinées à l’étranger. Il ne peut être question de négliger les auditeurs de l’intérieur, mais ce serait une faute grave de négliger ceux de l’extérieur. Se faire écouter des Bretons, c’est assurément pour Rennes-Bretagne le but capital. Se faire écouter au-delà des frontières bretonnes n’est pas non plus sans intérêt pour le renom et l’avenir de notre pays.
Si j’avais voix au chapitre dans la composition des programmes de Rennes, je proposerais que les deux tiers fussent entièrement consacrés aux auditeurs bretons et que l’autre tiers, tout en les intéressant et en les instruisant, pût aussi être écouté sans ennui de l’autre côté du Couesnon.
Dans ces deux tiers, je ferais une très large part à la langue bretonne, sans oublier cependant le dialecte gallo et les émissions destinées à la Haute- Bretagne. Pour le tiers restant, où la musique jouerait d’ailleurs un grand rôle, j’utiliserais le français, envisageant pour plus tard de le remplacer par une langue plus répandue et d’une portée plus internationale.
Comment répartir la matière de ces différentes émissions ? Une séance tout entière serait-elle de temps en temps faite pour l’étranger, ou bien chaque séance contiendrait-elle ses quelques minutes de “propagande exté- rieure” ? C’est une question que je livre à vos méditations, me réservant de la traiter dans un article à venir 27 . »
15 Grâce aux programmes de Rennes-Bretagne, le « petit peuple nordique entre tous » qu’est le peuple breton sera donc en mesure de retrouver ses origines. Il faudra aussi s’adresser aux étrangers « de l’autre côté du Couesnon », afin que la Bretagne fasse entendre sa voix dans le concert des nations de la nouvelle Europe. Telles sont donc les espérances que représente pour Arvor la radio bretonne. Quelques mois plus tard, le 8 novembre 1941, c’est au tour de L’Heure Bretonne de fêter le premier anniversaire de l’émission par un article. Si on lit entre les lignes, on comprend aisément que le voeu de L’Heure Bretonne , journal nationaliste, est de voir la radio bretonne devenir elle aussi une antenne nationaliste. Ne se doit-elle pas, tout comme L’Heure Bretonne , de servir « la cause de la Bretagne, de sa civilisation, de sa langue, de sa musique, de sa poésie, de toutes ses activités 28 » ? Deux semaines plus tard, sous la plume de Sezni , le ton devient nettement plus virulent : il n’y a pas assez de breton sur les ondes. De plus, du fait que la modeste part de breton n’est pas diffusée en une seule fois,
« ret eo d’ar paour kaez brezoneger lonka galleg beteg dislonka evit klevout ar prezegennou, pe ar c’hanaouennou pe ar peziou-c’hoari skignet e yez e gavel pe yez e galon.
il faut que le pauvre bretonnant ingurgite du français à en vomir pour entendre les causeries, ou bien les chansons ou encore les pièces de théâtre diffusées dans la langue de son berceau ou dans la langue de son coeur 29 . »
16 L’exemple à suivre se trouve outre-Manche, chez les frères celtes du pays de Galles. D’un point de vue nationaliste, l’appréciation de Sezni n’est pas sans fondement : aux débuts de Radio-Bretagne, la langue bretonne ne remplit guère que le rôle de figurant, elle n’est qu’un accessoire qui permet de faire plus « breton ». L’article de Sezni résume le contenu des émissions : conférences, chansons ou encore pièces de théâtre. Programme culturel d’où est bannie la politique : il n’y a pas de journal parlé, ce qui déplaît à Sezni .
17 Dans le domaine nationaliste, il y a certainement plus virulent que L’Heure Bretonne. Il faut vraiment prendre connaissance d’un article publié dans une autre revue que L’Heure Bretonne , sous une plume particulièrement aiguisée et incisive : voici ce texte in extenso dans lequel l’auteur montre bien que, au-delà de ce qui est contingent et périssable dans les émissions de Rennes-Bretagne, il cherche et traque les éléments qui, à ses yeux, font partie de l’essence bretonne permanente. Voici l’article de Stur , signé Fri-Lemm (c’est-à-dire « nez aigu » : ceci peut correspondre au français « nez aquilin »…), qui est l’un des pseudonymes d’OlivierMordrelle, alias Olier Mordrel 30 : l’article s’intitule « Radio-Folklore ».
« Deux fois par semaine, le mardi et le samedi, à 19 h. 15, nous entendons “Radio-Bretagne” (pourquoi donc le speaker prononce-t-il “Brotagne”)… Aman : Roazon-Breiz ! C’est, croyons-nous, l’unique exemple, l’unique essai systématique de radio régionale et folklorique sur le territoire français. Il est édifiant de constater qu’en dehors d’un seul article paru une fois dans la Gerbe , une effroyable conspiration du silence, digne des plus beaux jours de la haine juive, pèse sur l’entrée en scène radiophonique du terroir breton, de ses hommes et de ses accents musicaux ou lyriques. Pas un commentaire, ni une critique, ni un encouragement. On a l’impression d’une administration qui attend son jour et son heure pour prendre sa revanche. Ceci, parmi d’autres indices, n’est pas pour étoffer notre confiance dans la réalité de la “révolution nationale”.
Il y a encore des lacunes et de l’inexpérience dans la radio rennaise, mais il y a aussi une chose énorme, presque miraculeuse, par le temps de veulerie que nous vivons : il y a là des gens qui, tout seuls, parfois presque à tâtons, mais avec une foi et une obstination extraordinaires, ont le toupet de laisser de côté modèles tout faits, traditions-maison, archives richissimes, vedettes à succès, pour taper eux-mêmes dans la matière vierge et tenter de bâtir une formule nouvelle. Ceci devait être dit, et applaudi.
Si nous voulons voir les choses de plus près, il faut distinguer les émissions de langue bretonne et celles de langue française, qui se partagent les programmes en parties égales. Les Bretonnants se sont trouvés avantagés au départ, du fait qu’ils disposaient d’une matière écrite assez importante. Mais leur migration de la tour d’ivoire du mouvement linguistique au sein du grand public a posé pour eux un problème d’adaptation qui n’est pas encore entièrement résolu. L’homme de cabinet habitué à vivre avec ses pensées et à écrire pour lui-même, ne trouve du premier coup ni la formule, ni le style, ni le ton pour accrocher le public le plus fuyant et le plus difficile qui soit, je veux dire le public bretonnant, puisque celui-ci n’a encore jamais entendu parler sa langue en public, exception faite de l’église, et qu’il ne sait en général ni lire ni écrire le breton littéraire, banni jusqu’ici sans pitié des écoles. Cependant, malgré ses hésitations, ses fautes, et peut-être à cause d’elles, la radio bretonne est bouleversante de sincérité. Elle rend très souvent un accent d’authenticité humaine qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Un homme comme Abéozen [ sic ] qui transcrit et présente en musique les guerzes, ou “lieder” bretons, va à l’encontre des habitudes auditives du public, comme un boeuf qui chargerait sur un mur. Ça lui est prodigieusement égal. Si vous n’appréciez pas ses guerzes, il aura pour vous un regard de commisération, et le plus beau, c’est qu’il aura raison. Un Jef Penven, le jeune compositeur déjà connu en Bretagne, est taillé dans la même souche. Il a étudié à Paris avec Dupré, mais il donne l’impression de ne prononcer la langue française qu’au prix de laborieux efforts. Cet homme menu, effacé, à l’air sombre ou sarcastique, glisse d’une pièce dans l’autre de la démarche de l’aïeul qui chouannait dans les bois de Pontivy. Un chouan de la musique. Il a juré la mort des “Zim-boumboum”, car, dit-il, si je ne les tue pas, ce sont eux qui m’auront. Sa musique sort toute de la technique des airs populaires bretons, qui sont, comme chacun sait, parmi les plus riches, en modes et en rythmes, du monde. On ignore encore ce que donnera in fine Penven, c’est un très jeune ; mais déjà ses oeuvres radiophoniques pour accompagnement des guerzes ou pour orchestre peuvent être considérées comme une magnification de la musique populaire bretonne. Il y aMona Pesquer, la suave chanteuse vannetaise, qui est loin d’avoir découvert toutes les ressources de son tempérament. Il y en a d’autres, que le public connaît moins et qui ne sont pas les moins méritants. Le dernier adjoint à l’équipe, Youenn Drézen, le joyeux Bigouden, ne se doute pas des espoirs qui convergent sur sa tête frisée de mouton d’Ouessant. On attend de lui qu’il sauve définitivement la radio bretonnante de l’académisme qui l’a un moment menacée, qu’il y fasse un peu entrer l’homme vivant, le Breton tel qu’il est, afin que le public se sente en sympathie, se détende et se donne. Grâce à sa nature primesautière et sa connaissance parfaite de la langue populaire, Drézen peut donner à Radio- Roazon la seule couronne qui décide du succès en cette matière, celle de la popularité.
Les Bretons de langue française ont eu un départ beaucoup plus difficile, car la matière celtique en français est entièrement à reprendre et la matière haute-bretonne en patois est à l’état à peu près vierge. Florian Le Roy, le romancier connu de nos terroirs paysans, s’est attelé avec courage à cette oeuvre à la mesure de son talent et de son amour du pays natal. Il a eu de belles réussites dans le genre littéraire, notamment avec les évocations : Une soirée à la Chesnaie ou Tristan Corbière . Il en a avec ses saynètes paysannes. Ses Dits et baliverneries font se tordre de joie l’auditeur. Là, il croche dans le vivant. Ses gens de la campagne, on les rencontre chaque jour, avec leurs confidences sur le marché noir et leurs lamentations sur les prisonniers. Je ne serais pas surpris que la radio haute-bretonne, grâce à l’expérience de ses interprètes et de ses animateurs, qui ont du théâtre derrière eux, ne soit bientôt à citer en exemple, au moins sur certains points, à l’ouest comme à l’est de la Haute-Bretagne.
Car si la Haute-Bretagne reste intelligible à toute la France grâce à la communauté de langue et de ce fait ne peut être ignorée, elle n’est pas terre étrangère, malgré la différence de langue, pour les Bas-Bretons. C’est ce qui fait l’intérêt de sa position et lui fixe un rôle tout particulier : d’une part, de filtre des influences françaises s’exerçant sur la Bretagne celtique ; d’autre part, d’interprète du celtisme vis-à-vis du public international familiarisé avec le français.
Les oreilles encore résonnantes de Rennes-Bretagne, j’ai entendu – c’est la première fois et j’espère la dernière – une chanteuse chanter en allemand , à Berlin retransmis par Radio-Paris, une chanson du genre négro-américain, avec petites vocalises suraiguës, ainsi qu’éructations éraillées et spasmes du fond de la gorge, le tout avec trémoussements de derrière par la pensée. Un simple petit rapprochement comme celui-là montre le rôle salutaire de foyers de culture aryenne comme le nôtre et projette un flot de lumière sur la valeur d’un poste comme Rennes-Bretagne 31 . »
18 Olivier Mordrelle n’a pas que le nez d’aiguisé : sa plume et sa langue le sont tout autant.OlivierMordrelle aime à se tenir sur les hauteurs : comme l’aigle, dont il pense avoir le nez, il essaie de fixer le soleil, sans baisser les yeux. Quel soleil ? La Bretagne elle-même, dont il cherche à déterminer la substance en la campant dans un domaine spatio-temporel sacré, en en faisant l’interprète du celtisme, et par là même un foyer de culture aryenne, foyer mineur mais parent tout de même de celui du national-socialisme allemand. Le lecteur retrouvera ici certaines constantes de l’idéologie du mouvement nationaliste breton, à savoir, l’existence d’un ordre naturel des choses – en l’occurrence l’ordre breton –, la sanctification de la vie nationale, celle-ci étant dès lors érigée en absolu et étant devenue une divinité 32 . Tous ces ingrédients, Mordrel et les rédacteurs de la revue Stur leur donnent une tournure exacerbée. L’article cité est bâti sur un jeu d’oppositions entre le bien et le mal, le vivant et le mort, le blanc et le noir, c’est-à-dire, d’une part, « l’homme vivant, le Breton tel qu’il est » et, par ailleurs, « l’autre » qui peut être le juif haineux, le Français veule, le nègre lubrique. L’article de Fri-Lemm comporte encore quelques points significatifs. Mordrelle, fils de général, se souvient-il de l’affaire Dreyfus ? Toujours estil que revient sous sa plume, comme sous d’ailleurs d’autres plumes de l’époque, l’idée d’une radio enjuivée.Mais, ouf ! les ondes sont enfin libérées et tenues par de vrais Bretons qui diffusent des programmes allant dans la direction de l’essence bretonne. Fri-Lemm ne fait aucune allusion au coup de pouce allemand dans la création de ces programmes : il y a là un silence étonnant, à moins qu’il ne soit tactique, chez un homme habituellement si prompt à saluer les marques d’amitié et les marques de la collaboration brito-germanique. Pour en terminer avec cet article, il est remarquable par une absence tout à fait significative. Comment ne pas noter en effet qu’est complètement passé sous silence le nom de Roparz Hemon ; je dis bien le « nom », car le personnage semble bien se dissimuler ici ou là entre les lignes : quel est donc « l’homme de cabinet » qui a dû migrer de sa « tour d’ivoire », si ce n’est Roparz Hemon lui-même ? Depuis 1925, où Gwalarn s’abritait dans les pages de Breiz Atao , beaucoup d’eau a passé sous les ponts de l’Elorn. Les deux hommes ne s’aimaient guère. Dans tout duumvirat , il y en a toujours un qui est de trop. En cette année 1942, Roparz Hemon, qui a choisi de collaborer, est au sommet de la gloire précaire que lui apporte la collaboration : il a accumulé, en deux ans, un capital symbolique très important, et il jouit d’un certain pouvoir. Il en va tout autrement pour Mordrel qui est en perte de vitesse après sa tentative avortée de créer un État breton dans le giron de l’Europe Nouvelle 33 . Mordrel comprend aussi très bien que, dans la barque idéologique, c’est Roparz Hemon qui tient la barre ; c’est lui qui continue à fournir et à fourbir les armes idéologiques dont ont besoin les militants, tant culturels que politiques. C’est lui, Roparz Hemon, qui est le père de l’idéologie totalitaire bretonne, celle à laquelle adhère la presque totalité du mouvement breton d’alors. Voilà de quoi faire de l’ombre, beaucoup d’ombre, àMordrel. Plus tard, il placera sur les faits sa propre grille de lecture : retour d’Amérique latine en 1972, il publie son Histoire et actualité du nationalisme breton 34 où est brillamment campé un Olier Mordrel debout au milieu d’une troupe indisciplinée de militants incompétents. De cette même plume aiguisée et féroce, au détour de phrases d’apparence anodine, il égratigne, et parfois exécute, tous les militants du mouvement breton de l’entre-deux guerres, en faisant exception pour Jean-Marie Perrot, le recteur de Scrignac. Hormis ce dernier, qu’il tient pour un martyr, s’il doit n’en rester qu’un, celui-là, c’est lui-même, Olier Mordrel 35 .
19 Faisons maintenant un bond en avant de quarante années dans le temps, ce qui me permettra de rendre à Mordrelle ce qui est à Mordrel. En 1982, à l’occasion de la parution en traduction française de La Marie-Morgane , roman de Roparz Hemon 36 , il publie dans la revue Éléments , un article qu’il intitule « Renaissance d’une langue 37 ». Loin de faire l’éloge du fondateur de Gwalarn , il profite de l’occasion pour parler de sa propre personne et de son rôle dans la dite renaissance. Néanmoins, il ne peut évidemment pas passer sous silence le nom du directeur de la revue Gwalarn . Aussi, au début de son article, tient-il sur lui des propos relativement élogieux. Mais, au fil de sa plume, il va peu à peu discréditer la pensée du « chef de file » dont la production idéologique n’est guère qu’un démarquage en breton de sa propre pensée à lui Mordrel ou de celle de Marchal. À la fin de l’article, c’est l’exécution pure et simple de ce malheureux Roparz, tenu pour responsable de l’échec de la tentative gwalarnienne : « Il est, en définitive, navrant que son insularité, son obstination à repousser tout ce qui n’émanait pas de lui, l’aient poussé à empêcher la synthèse entre le breton vivant des autres et son “gwalarnien” 38 . » L’homme Nemo intrigue pourtantMordrelle : ce dernier consent même à parler de lui comme d’un « homme exceptionnel », non sans ajouter de nombreuses nuances, interrogations et restrictions.
« Il y eut parfois dans la conduite de cet homme exceptionnel une pointe de sadisme, dont il se confesse d’ailleurs lui même quand il dit : “Serais-je aiguillonné par l’envie de faire le contraire de ce qu’on attend de moi ? Un désir puissant de toujours de mon âme ?” ( Gwalarn , n° 148, juin 1942). Doit-on voir dans ce penchant la réaction d’un secret désespoir, dont la source serait dans cette sensibilité particulière qu’il ne pouvait satisfaire ouvertement ? Il se sentait opprimé, blessé par le mur des préjugés du milieu qui l’entourait et il se soulageait comme il pouvait. Je ne vois pas d’autre explication psychologique des ruades qu’il lançait quand on s’y attendait le moins, et ne m’étonne pas que l’étude du personnage ait fasciné le médecin psychiatre qui signe l’introduction du livre 39 . »
20 Il y a là une allusion très claire à l’homosexualité de Roparz Hemon, « cette sensibilité si particulière qu’il ne pouvait satisfaire ouvertement ». Elle semble avoir été connue de tous ceux qui admettaient Roparz Hemon comme leur chef de file, et même bien au-delà de ce petit cercle. Le fait est que, même sous sa forme allusive, la mention par Mordrelle de l’homosexualité de Louis Nemo est bien une des seules par écrit. Le seul objectif qui anime Mordrel, c’est que soit démontée la « statue de commandeur » élevée à la gloire de Roparz Hemon… pour placer la sienne sur le socle vacant. Voici ce qu’il dit, dans le même article, des militants de Breiz Atao , c’est-à-dire de lui-même et de ses camarades, lorsqu’ils accueillent, en 1923, une nouvelle recrue du nom de Roparz Hemon :
« Quant à la littérature, la passion politique, l’amour du grand air, du mouvement, de la parole, de la bagarre, les en détournaient. Ils ne s’en préoccupaient pas, étant persuadés que la conquête de l’État primait et conditionnait les pétitions culturelles. Ils étaient heureux qu’un nouveauvenu se chargeât du secteur linguistique et littéraire 40 . »
21 C’est clair : le « nouveau-venu » ne partage pas les valeurs viriles des petits camarades de jeu de Mordrel. À lui la littérature, à eux l’action. En dépit ou en raison de leur collaboration dans les débuts de Breiz Atao , il n’y a pas eu d’estime réciproque entre Louis Nemo et Olivier Mordrelle. L’estime de Mordrel allait plutôt à Eichmann : lorsque ce dernier fut exécuté, parut, publié dans la revue bretonnante national-socialiste Ar Stourmer , un poème intitulé « Élégie à Eichmann 41 ». Louis Nemo, lui, n’a pas fait l’objet d’une élégie de la part d’OlivierMordrelle. Dans des ouvrages destinés au grand public,Mordrel affirme haut et fort, que c’est lui le véritable idéologue du mouvement. Dans d’autres revues, réservées à des initiés et par des allusions dignes de la presse people anglaise ou française, il affirme qu’il échappe lui à cette « sensibilité particulière », que lui n’est pas une lopette vivant enfermée entre « les quatre murs de son cabinet 42 », mais qu’il est bien un homme digne de ce nom et de son père.
22Quelle est donc la nature réelle des émissions de « l’homme de cabinet » ?
Le spectacle et sa mise en scène
Verba volant, scripta manent.
« Eus kreizlec’h-skingomz Roazhon-Breizh e veze kaset prezegennoù hag abadennoù, hag harp a veze goulennet digant meur a zen. Un tolpad skridoù a voe savet. Kalz anezho, war am eus klevet, a voe distrujet e 1944. Lod hepken, embannet e “Gwalarn” pe er gazetenn “Arvor” a zo bet saveteet.
Du centre de transmission de Rennes-Bretagne étaient diffusées des causeries et des émissions, et beaucoup de personnes étaient mises à contribution. Un grand nombre de textes furent écrits. Beaucoup d’entre eux, d’après ce que j’ai entendu dire, furent détruits en 1944. Seuls quelques-uns, publiés dans “Gwalarn” ou dans le journal “Arvor”, ont été sauvés 43 . »
23 Des émissions de radio de la guerre, comme l’écrit justement Roparz Hemon, nous ne possédons plus que des traces écrites. Enregistrées sur des disques de cire qui, semble-t-il, ont été détruits, ces émissions sont irrémédiablement perdues tout comme, du reste, les manuscrits des causeries radiodiffusées. Pourtant, à défaut d’une représentation sonore, il est possible de développer une image photographique de cet objet que se trouve être la somme des centaines d’émissions diffusées par Rennes-Bretagne entre novembre 1940 et avril 1944 44 . Cependant, la réalisation de cette photo prise d’avion n’est pas pleinement suffisante car, qui trop embrasse mal étreint. À partir de cette photo, tout particulièrement, j’ai pu entrer dans le détail et, comme dans un tableau de Vermeer, m’intéresser au reflet dans la perle ou dans la commissure de la lèvre du modèle.
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24Avant d’entendre le spectacle puis de décrypter sa mise en scène, il faut pénétrer dans les coulisses. C’est par elles que l’on va commencer en effet et, à leur sujet, poser trois questions : « Quand, comment et qui ? »
25 La question « quand ? » posée dans les coulisses concerne évidemment jour et l’heure où du breton est diffusé sur Rennes-Bretagne. Au fil des ans, la part des émissions ira en grandissant. Au tout début, en 1940, l’émission dure une demi-heure et est diffusée le vendredi – la toute première a lieu le 1er novembre ; les trois premiers vendredis l’émission a lieu de 11 heures à 11h30, puis elle est repoussée en soirée de 18 h à 18h30. Dès le début de 1941, elle passe à 55 minutes et a lieu de 17h50 à 18h45 45 . Cet horaire est maintenu pendant trois mois à peine car, dès le début d’avril, le jour, l’heure et la durée changent : l’émission dure désormais une heure entière et est diffusée le mercredi de 18h15 à 19h15 46 . Puis, il y eut encore quelques fluctuations horaires dont j’ignore la raison. D’avril à la mi-juillet 1941, le temps de l’émission est d’une heure – toujours le mercredi mais, de 18h20 à 19h20. À compter du 16 juillet, l’émission gagne 20 minutes et a lieu de 18h25 à 19h45. Le 6 août, elle perd cinq minutes et débute à 16h45 jusqu’à 18heures 47 . Début 1942, l’horaire et le jour des diffusions sont à nouveau modifiés : celles-ci sont substantiellement augmentées et ont lieu deux fois par semaine, le mardi et le vendredi de 19h15 à 20 heures, à la grande satisfaction des journaux bretons 48 . On apprend aussi que tous les samedis étaient retransmis, de 12 heures à 12 h 45, des déjeuners concerts 49 . J’ignore si ces trois-quarts d’heure musicaux ont été mis en place dès la naissance de la station. À partir de février 1942, le programme radiophonique du poste rennais occupe trois jours et se présente ainsi : le mardi, de 19h15 à 20 heures ; le vendredi de 19h15 à 20 heures ; et le samedi, un déjeuner-concert de 12 heures à 12 h 45 50 . Ce changement horaire s’accompagne aussi d’un changement de longueur d’ondes qui passe de 431,7 m à 288 m en ondes moyennes 51 . Toujours à partir de février 1942, les programmes bretons sont transmis par un autre relais. À cette date, la Bretagne disposait de deux émetteurs que les Allemands, faut-il le préciser, exploitèrent l’un et l’autre : le premier, Alma 52 , était situé dans la ville de Rennes, le second, Thourie 53 , à une trentaine de kilomètres au sud de la ville. Dès février 1942, l’émetteur de Thourie fut, semble-t-il, réservé à la radiodiffusion d’inspiration strictement allemande 54 , les programmes bretons de Rennes-Bretagne étant diffusés par l’émetteur d’Alma 55 . Ces changements aboutirent en fait à une puissance moindre du nouvel émetteur et à une audition encore plus détestable des émissions bretonnes, tout au moins pour ce qui concerne la Basse-Bretagne, où pourtant, la langue bretonne était d’une utilisation quotidienne. En mars 1942, survient un nouveau changement : l’émission de 19h15 à 20 heures passe du vendredi au samedi 56 . En août de la même année, une nouvelle émission est créée, elle a lieu le jeudi et ne dure qu’un quart d’heure : c’est le quart d’heure de l’Institut Celtique 57 , 19h00 à 19h15. À compter du 14 novembre 1942, les émissions du mardi et du samedi changent encore d’horaire et sont diffusées dès lors de 18h30 à 19h15.
26 Les émissions bretonnes, à la fin de 1942, représentent, en tout et pour tout, une heure trois quarts par semaine. Dans la constellation hémonienne, on ne peut évidemment se contenter d’une pareille part du pauvre. L’Institut Celtique qui fut fondé en juin 1942 et qui fonctionna pendant les deux années à peine de son existence sous la houlette de Roparz Hemon, tint un congrès en novembre 1942. Les travaux de ce congrès firent l’objet d’un compte rendu dont l’hebdomadaire Arvor se fit l’écho. On a vu plus haut qu’une enquête avait été lancée par l’Institut Celtique pour déterminer la qualité d’audition des programmes dans la Bretagne entière. L’intervention d’un congressiste, Jord Ar Mée 58 , sur cette question comportait la conclusion suivante :
« Div gudenn a zo enta : 1) lakaat Roazhon-Breizh da vezañ klevet gwelloc’h2) kaout muioc’h a amzer. Roazhon-Breizh n’eo ket meret ganeomp : ret eo enta lakaat e vererion da glevout ac’hanomp, displegañ dezho hon ezhommoù, ha biskoazh gwelloc’h eget dre sifroù. Alese menoz an enklask : diskouez spis pelec’h ne vez ket klevet Roazhon-Breizh . […] Bet hon eus Kardeur ar Framm ouzhpenn an div abadenn sizhuniek ; n’eo ket a-walc’h. Goulenn a reomp un eur bemdez d’an nebeutañ. Ret e vo dastum sinadurioù evit-se. Ret e vo ivez kaout danvez evit an abadennoù. Hen goulenn a reer.
Il y a donc deux problèmes : 1) faire que Rennes-Bretagne soit mieux entendu 2) obtenir plus de temps. Ce n’est pas nous qui gérons Rennes-Bretagne : il faut donc nous faire entendre de ses gestionnaires, leur expliquernos besoins, et rien de tel pour cela que des chiffres. D’où l’idée de l’enquête : montrer d’une manière précise où Rennes-Bretagne n’est pas audible. […] Nous avons le quart d’heure de l’Institut en plus des deux émissions hebdomadaires ; ce n’est pas assez. Nous demandons, au moins, une heure par jour. Il faudra rassembler des signatures pour cela. Il faudra aussi avoir de la matière pour ces programmes. On réclame de tels programmes 59 . »
27 Les militants finissent par obtenir gain de cause et, sans qu’on puisse savoir à qui attribuer la décision, le fait est qu’en juin 1943, on entend du breton tous les jours sur les ondes, sauf le dimanche. Le lundi, à 19 heures : le quart d’heure agricole, en breton et en français ; le mardi, à 18 h 30 : une émission réalisée pour la Haute-Bretagne ; le mercredi, à 19 heures : une causerie pour les ouvriers ou la jeunesse, ou encore une causerie à propos de la littérature et des beaux-arts, toujours dans les deux langues ; le jeudi, à 19 heures : le quart d’heure de l’Institut Celtique ; le vendredi, à 19 heures : « La Vie Celtique » avec toutes sortes d’informations sur les frères d’outre-Manche, dans les deux langues également ; le samedi, à 18 h 30 : une émission faite pour la Basse-Bretagne comprenant des chansons, des pièces de théâtre, des contes etc., entièrement en breton. Après cela, à 19 heures, un cours de breton est assuré par André Guellec, et pour finir, il y a une petite causerie 60 . À cette date, la situation des émissions bretonnes est la suivante : deux heures et demie par semaine, dont la moitié à peu près en langue bretonne.
28Les tout derniers changements se produisent en avril 1944 et affectent trois des jours de la semaine. Le jeudi, apparaît une nouvelle émission, « le quart d’heure de la Basse-Bretagne » – où se logent la leçon d’André Guellecet une causerie en breton : cette émission occupe la place du quart d’heure de l’Institut Celtique, ce dernier étant repoussé au samedi où il occupe la fin de l’émission. Ces innovations sont en place dès la première semaine d’avril. La semaine suivante, c’est le dimanche lui-même qui bénéficie d’une nouvelle émission d’un quart d’heure. La semaine radiophonique s’organise comme suit : le dimanche, de 19 heures à 19 h 15 : le quart d’heure de Haute-Bretagne ; le lundi, de 19 heures à 19h15 : « La Bretagne agricole » ; le mardi, de 18 h 30 à 19 heures : « Chant et musique » ; de 19 heures à 19h15 : le quart d’heure de la Bretagne maritime ; le mercredi, de 19 heures à 19h15 : « La Bretagne des métiers » ; le jeudi, de 19 heures à 19h15 : le quart d’heure de la Basse-Bretagne ; le vendredi, de 19 heures à 19h15 : « La Vie Celtique » ; le samedi, de 18h30 à 19 heures : programme variable, de 19 heures à 19h15 : le quart d’heure de l’Institut Celtique.
29L’évolution du volume horaire hebdomadaire, langue française et langue bretonne confondues, est récapitulée dans le tableau suivant : il traduit une montée constante de ce volume.

30 Pour ce qui est de répondre à la question « comment ça marche ? », autrement dit, pour avoir une idée du fonctionnement interne des émissions, l’embarras du chercheur est plus grand. C’est qu’en effet, l’on dispose de peu de matière : les acteurs ont très peu témoigné. Les émissions bretonnes, nées pendant l’Occupation avec la protection de l’occupant, ont dû susciter chez ceux qui les ont fait fonctionner des sentiments équivoques. De tels sentiments perdurent, de nos jours encore, dans la fraction du mouvement breton ne trouvant rien à redire à ce qui s’est passé pendant la guerre, pour ce qui concerne la promotion de la langue bretonne. Ces sentiments équivoques ont un nom : fierté et… prudence. D’une part, ces émissions de radio bretonne sont les premières du genre et de là peut naître une certaine fierté. De fait, l’examen de certains programmes donne l’impression d’une profusion de moyens et, un auteurcomme Pierre-Jakez Hélias a estimé que certaines des oeuvres programmées n’étaient pas « sans mérite 61 ». On admettra du reste bien volontiers quen ces émissions de la guerre ont marqué une première rupture avec la politique d’indifférence et d’hostilité de la IIIe République à l’encontre des « langues locales ». En second lieu pourtant, il faut bien admettre que le silence du mouvement breton d’obédience hémonienne paraît surtout dû à un sentiment de prudence, une prudence qui devrait peut-être s’appeler le dépit d’avoir perdu. La défaite allemande, la fin de l’Occupation, la victoire des Alliés ont entraîné dans l’opinion une réprobation durable à l’égard de tout ce qui pendant la guerre a pu bénéficier de la protection allemande. L’attitude adoptée par l’école hémonienne quand il s’agit des émissions de la guerre est de faire de cet événement un non-événement : on ne parle pas de choses qui fâchent. Cependant, quelques informations surnagent, principalement sur l’ambiance de travail et sur une certaine exaltation procurée par cette aventure nouvelle. En 1959, la revue Al Liamm publie un numéro consacré en partie à Jord ar Mée, disparu en 1957 : c’est l’occasion pour Abeozen de confier à la revue une partie de ses souvenirs concernant le défunt, relatifs notamment à la période durant laquelle ils ont travaillé ensemble 62 . On reconnaît bien dans cet article la manière d’Abeozen. Une mémoire sélective mais précise, une langue nerveuse et châtiée, une teinte appuyée d’ironie, d’amertume. Cette notice chronologique est aussi, naturellement, un témoignage sur l’engagement personnel du signataire durant la période à laquelle l’ensemble de l’article se réfère. Et ce témoignage est double.
31Il reflète en premier lieu le discours dominant des acteurs de la période d’occupation, avec des arguments qui justifient, de façon plus ou moins convaincante, leur choix de guerre. Au début du conflit, Georges Le Mée habitait à Paris. Les événements de l’été 1940 avaient provoqué bien des bouleversements à travers tout le pays. À Paris, on ne pouvait plus guère trouver de travail dans certaines branches. C’est ainsi que certains militants bretons vinrent chercher refuge en Bretagne.
« Lusk ha birvilh a oa en Emsav en amzer-se. Diaes e oa e gwirionez d’un den barn petra zeufe da vezañ Kuzul Broadel Breizh. Dont a c’helle da vezañ ur framm evit ar vro, pe venel un taol esa aner ouzhpenn war-lerc’h reoù all. An darvoudoù muioc’h eget an dud o deus renet ar c’hoari. Da c’hortoz ma voe krennet e zivaskell d’an Emsav e roas labour d’ur bagad niverus a baotred hag a verc’hed gredus. Jord a oa unan anezho.
Il y avait de l’animation et de l’effervescence au sein du Mouvement breton à cette époque. À dire vrai, il était difficile de juger ce que deviendrait le Conseil National Breton. Il pouvait devenir une structure pour le pays, ou bien finir par n’être qu’une vaine tentative de plus après bien d’autres. Les événements plus que les individus ont dirigé le jeu 63 . En attendant que ses ailes ne lui soient coupées, leMouvement breton donna du travail à un groupe important d’hommes et de femmes zélés [pour la Bretagne]. Georges était l’un d’entre eux. »
32On relèvera aussi que les explications restent très floues : l’utilisation de la forme impersonnelle, très courante en breton, permet d’éviter de préciser qui sont les vrais créateurs de la radio bretonne.
« War-dro miz Here, edod o klask lakaat en he flom ur radio breizhek. En abeg da se em eus graet meur a dro e Roazhon a-raok bezañ distaget e miz Du diouzh va micher kelenner…evit un nebeut mizioù, war a grede din. Piv en dije kredet en amzer-se e oa dirazomp bloavezhioù ha bloavezhioù brezel. An U.S.A. a chome peoc’h en tu all d’ar mor. An U.R.S.S. hag an Alamaned a oa pe a seblante bezañ mignoned. Ar brezel, un afer fall embreget diboell ha da vezañ klozet dizale. N’eus nemet e Mezheven 1941, pa grogas ar brezel etre Alamaned ha Rusianed, ma teuis da soñjal ne welfemp ket penn hon hent.
Mat ! da c’hortoz savomp Roazhon-Breizh. Hag en ur gambr vras, feurmet dimp evel burev e straed Lafayette, ez en em vodemp un dousenn bennak a baotred hag a verc’hed.
Aux alentours du mois d’octobre, on cherchait à mettre en place une radio bretonne. Pour cette raison, j’ai fait plus d’un voyage à Rennes avant d’être détaché au mois de novembre de mon emploi de professeur…Pour quelques mois, à ce que je croyais. Qui eût cru à cette époque que nous avions devant nous des années et des années de guerre. Les U.S.A. restaient tranquilles de l’autre côté de l’océan. L’U.R.S.S. et les Allemands étaient ou semblaient être amis. La guerre, une sale affaire engagée sans réflexion et sur le point de se clore. Ce n’est qu’en juin 1941, quand commença la guerre entre les Allemands et les Russes, que je mis à penser que nous ne verrions pas le bout de notre route 64 .
Bien ! en attendant créons Rennes-Bretagne. Et dans une grande pièce qu’on nous avait affectée en guise de bureau rue Lafayette, nous nous réunissions, une douzaine d’hommes et de femmes. »
33 « Bien ! en attendant, créons Rennes-Bretagne » : cette phrase d’apparence banale laisse entendre que c’est le mouvement breton, et non pas l’occupant, qui est à l’origine des nouveaux programmes de cette station. Le texte d’Abeozen insinue que de vraies réalisations ont pu voir le jour et que la vie de l’esprit fut florissante…à la différence de la période antérieure et surtout postérieure, « amzer ar reuz /le temps du malheur 65 ». En second lieu, cet article donne une idée de l’ambiance qui règnait au sein de l’équipe radio phonique, ambiance studieuse, avec ce sentiment si vif de travailler pour le bien du pays et de sa langue. C’est bien sûr l’état d’esprit de Le Mée :
« Karout a rae Breizh hag ar brezhoneg. Dezho en doa roet betek neuze al lodenn vrasañ eus e amzer vak, ha diwar neuze eo e labour pemdeziek a ouestlas dezho ken e burevioù ar Strollad hag en e skol vrezhonek da gentañ hag er Skingomz da c’houde. E lod en deus graet evit degas da wir “hon huñvreoù kaer” : Ur Vreizh breizhek e pep tachenn ha kement-se hep kasoni ouzh nikun, a gredan, nag ouzh neb bro all.
Il aimait la Bretagne et le breton. Il leur avait jusqu’alors consacré la plus grande partie de ses loisirs, et c’est à partir de ce moment-là qu’il leur consacra son travail quotidien, tant dans les bureaux du Parti [National Breton] que dans son cours de breton tout d’abord, et à la Radio ensuite. Il a fourni sa part de besogne pour que deviennent réalité “nos rêves superbes” : une Bretagne bretonne sur tous les plans et cela sans haine envers personne, je crois, ni envers aucun autre pays. »
34 L’article laisse encore entendre que les moyens mis à la disposition des patriotes bretons vont en s’améliorant : d’une chambre, on passe à un bureau. On peut enfin deviner que, entre le mouvement culturel et le mouvement politique – et notamment le PNB –, les passerelles sont nombreuses et empruntées régulièrement par tout ce monde. La radio est, en quelque sorte, un centre névralgique, un lieu de création où la Pangée trouve son expression la plus neuve. Il existe un autre témoin direct de cette période, dont la plume féconde a laissé à la postérité plusieurs tomes de « mémoires » qui, dans leur ingénuité et dans leur manque d’apprêts, ont tout de même leur importance. Ce témoin c’est Anna Youenou-Debauvais, l’épouse même du militant nationaliste François Debauvais 66 . Un passage, emprunté au troisième tome des « mémoires du chef breton commentés par sa femme », précise les conditions de réalisation des émissions, et plus précisément, le fonctionnement de la troupe Gwalarn , créée par Roparz Hemon pour jouer les pièces, Anna Youenou-Debauvais ayant été elle-même une actrice de ce théâtre radiophonique.
« Nous nous réunissions autour du micro, serrés les uns près des autres, pour y lire notre texte et donner la réplique. Ces séances se passaient calmement sans anicroches. R. H., le directeur des émissions en langue bretonne, n’intervenait que rarement, sinon pour rectifier la diction, mais non l’accent, que l’équipe Gwalarn possédait de naissance. Au fond de la vaste salle, Méavenn tricotait entre deux scènes. Je ne pouvais l’imiter pour exécuter des broderies, ni converser lorsque le feu rouge était mis, aussi écoutais-je avec attention les acteurs déclamer leurs rôles pour perfectionner madiction 67 . »
35 En novembre 1978, Anna Youenou-Debauvais témoigne à nouveau : elle le fait dans un numéro spécial de la revue An Teodeg , réalisé en hommage à la mémoire de Roparz Hemon, décédé quelques mois auparavant.
« Ar wech kentañ ma kejis gant Roparz Hemon e oa e Lesneven da geñver ar Bleun-Brug 1928. Barner ur genstrivadeg e oa, hag eñ c’hwec’h miz koshoc’h egedon hepken. Goude bezañ dibunet va frezegenn e reas gourc’hemennoù din e daou c’her hepken : “mat-tre”.
En nevez-amzer 1929, nevez dimezet gant Frañsez Debauvais, e ris anaoudegezh gant Roparz Hemon e Brest, pedet ma oamp bet gantañ ha gant Youenn Drezen dont d’o gwelout, peogwir n’o doa ket gallet dont d’an eured e Douarnenez.
Da c’houde, evel-just, em eus bet tro da gejañ gant “Roparz Hemon” meur a wech, ken e Roazon, ken e lec’hiou all.
E 1942, da skouer, pa voe e penn Radio-Breizh e Roazhon, e krouas Strollad Gwalarn da gas da benn an abadennoù brezhonek. Goulenn a reas ouzhin dont da sikour anezhañ. Ar pezh a ris laouen.
Bez’e oa dija er strollad Mari Milin ar Mee, a oa ur “vedette” a zoare gant he mouezh sklaer ha nerzhus. Displegañ a rae gant un taol mouezh tregeriat rik. Meavenn ivez, a oa dreist en he doare, taol mouezh leonat ganti. Marc’harid Gourlaouen a zeue da Roazhon pa oa [sic] ezomm anezi ; se a rae daou daol mouezh kernevat ouzhpenn.
Paotred a oa ivez, evel-just, en o zouez ma breur Jos. An hini pennañ avat a oa ar rener e-unan. Kement a blijadur hag ar re all a gave o tibunañ e roll. Skrivañ brezhoneg zo mat, komz zo gwelloc’h, neketa ?
Soñjal a raen e kolle un amzer brizius p’en doa kement a draoù da skrivañ. Ar brezhoneg bev a gomze, a oa evitañ un dudi eus ar vrasañ. E ti al Lemeed, e-lec’h ma veze graet an esaeadennoù, ne oa nemet brezhoneg gant tud ar strollad. En ti-post avat, lec’h ma oa [sic] aozet ar skingasadennoù, ar vicherourien ne oa nemet galleg ganto. Skuizh e oa Roparz Hemon moarvat dre ne gave ket an tu da gomz e yezh. Ne oa gantañ na gwreg na bugale da dabutal ganto.
Un devezh, e oamp o c’hortoz ar vicherourien er sal vras, Roparz Hemon a ziskouezas deomp penaos e veze graet gant an ardivink-trouzioù. Hag eñ o lakaat ar mekanik da vont en-dro ; laouen evel ur bugel en dije kavet un doare c’hoari nevez. Gouzout a ouie ober trouz ar mor o skeiñ ouzh ar c’herreg, ar gurun hag ar glav, trouz ar c’hezeg o c’haloupat en avel, hag all.
Souezhet e oan o tizoleiñ un den par da’r re all, a chome evel-se tostoc’h ouzhomp, daoust d’e zeskadurezh vras.
Ne oa ket diaes labourat gantañ, dre ma veze sioul, hegarat ha seven bepred. Ar pezh eo chomet a-hed e vuhez, ken en enorioù ken en diaesterioù.
La première fois que je rencontrai Roparz Hemon, c’était à Lesneven à l’occasion du Bleun-Brug de 1928. Il était juge de l’un des concours, n’étant d’ailleurs mon aîné que de six mois. Après que j’eus déclamé ma causerie, il me fit ses compliments en deux mots seulement : “très bien”.
Au printemps 1929, nouvellement mariée avec François Debauvais, je fis la connaissance de Roparz Hemon à Brest : il nous avait invités, lui- même et Yves Le Drezen, à venir leur rendre visite parce qu’ils n’avaient pas pu se rendre à notre mariage à Douarnenez.
Par la suite, évidemment, j’ai eu l’occasion de rencontrer “Roparz Hemon” plus d’une fois, tant à Rennes qu’en d’autres endroits.
En 1942, par exemple, quand il fut à la tête de Radio-Bretagne à Rennes, il fonda la Troupe Gwalarn afin de réaliser les émissions en langue bretonne. Il me demanda de venir l’aider. Ce que je fis avec joie.
Il y avait déjà dans la troupe Marie Moulin Le Mée qui était une “vedette” remarquable grâce à sa voix claire et ferme. Elle déclamait avec une intonation trégorroise parfaite. À sa façon, Meavenn était formidable aussi, avec son intonation léonarde.Marguerite Gourlaouen venait à Rennes quand on avait besoin d’elle ; cela faisait deux intonations cornouaillaises supplémentaires.
Il y avait aussi des hommes, évidemment, parmi lesquels mon frère Jos. Pourtant, le plus important était le directeur lui-même. Il éprouvait autant de plaisir que les autres à jouer son rôle. Écrire du breton, c’est bien, parler c’est mieux, n’est-ce pas ?
Je pensais qu’il perdait un temps précieux alors qu’il avait tellement à écrire. Le breton vivant qu’il parlait était pour lui un plaisir des plus grands. Chez les Lemée, là où se déroulaient les répétitions, les acteurs n’utilisaient que le breton. À la poste, par contre, là où étaient montées les émissions, les techniciens ne parlaient que français. Apparemment, Roparz Hemon n’appréciait pas car il ne pouvait utiliser sa langue. Il n’avait ni femme ni enfants pour se chamailler avec eux.
Un jour que nous attendions les techniciens dans la grande salle, Roparz Hemon nous montra comment fonctionnaient les bruitages. Et lui de faire marcher l’engin, heureux comme un enfant qui aurait trouvé une sorte de nouveau jouet. Il savait fort bien imiter le bruit des vagues qui se brisent sur les rochers, le tonnerre et la pluie, le bruit que font les chevaux qui courent au galop dans le vent, etc.
J’étais étonnée de découvrir un homme semblable aux autres, et qui restait ainsi plus proche de nous, malgré sa grande instruction.
Il n’était pas difficile de travailler avec lui, car il était toujours calme, aimable et poli. Ce qu’il est resté tout au long de sa vie, tant au milieu des honneurs qu’au milieu des difficultés 68 . »
36Abondent dans ce tableau les notes pittoresques et spontanées. À la différence d’Abeozen, qui est un intellectuel soucieux d’aligner des idées et d’accumuler des preuves, Anna Youenou sait rendre l’ambiance bon enfant des répétitions, Roparz Hemon s’amusant, Meaven tricotant…
37 Il convient de soulever, tout de même, le problème que ne manqua pas de poser la réalisation de ces émissions en langue bretonne entre 1940 et 1944 : quel niveau de langue adopter ? Il ne fait pas de doute que l’objectif de Roparz Hemon en ces années demeurait toujours le même : faire du breton une langue d’État. L’homme avait suffisamment décortiqué les structures grammaticales de la langue, et noirci passablement de pages en breton depuis 1925, pour mettre en circulation un breton normalisé, codifié, débarrassé de ce qui était à ses yeux un lourd handicap : la multitude des parlers locaux dont l’existence et l’émiettement contrariaient d’une manière considérable la détermination du maître. Voici comment Skinlonk commente, dans Arvor , le breton des « Conférences » radiodiffusées :
« Depuis plusieurs semaines, Rennes-Bretagne diffuse chaque mercredi une ou plusieurs conférences, certaines en français, la plupart en breton. Ces conférences sont comme il convient très courtes, et s’efforcent de traiter de sujets divers. Nous ne retiendrons aujourd’hui que les conférences en langue bretonne, en examinant les différents problèmes qu’elles posent.
Un problème linguistique d’abord. Le conférencier breton doit avoir, cela va de soi, une diction claire. Rien à reprocher jusqu’ici à ce point de vue. Mais il doit de plus s’exprimer de façon à être facilement compris du plus grand nombre.
Quelle prononciation adoptera-t-il ? Si l’orthographe du breton est à présent unifiée, la prononciation ne l’est pas. On me dira qu’il en est de même de la prononciation de la plupart des langues, à commencer par celledu français. On peut devenir en France, docteur et agrégé de l’Université sans être jamais prié de modifier son parler, qu’on soit de Lille ou de Marseille. Il n’en reste pas moins qu’une codification de la prononciation est désirable, et “l’Ensavadur Breizh”, qui rend déjà tant de services à notre langue, fera bien d’y songer un jour. En attendant, qu’on me permette de donner à nos conférenciers bretonnants le conseil suivant : qu’ils tâchent de suivre d’assez près la langue écrite, sans renoncer tout à fait à leur dialecte à eux ; lire comme on écrit, c’est être assuré, croyons-nous, de se faire bien entendre ; mais teinter légèrement sa prononciation d’un accent local, c’est introduire dans son discours de la saveur et du naturel, autrement dit, de la vie.
Le vocabulaire pose un autre problème. Il serait à souhaiter que les causeriesde Rennes-Bretagne fussent toujours faites dans une langue simple, assez pure, mais exemptes d’expressions trop littéraires. Je ne cache pas que certaines conférences, où les plus grossiers emprunts au français voisinaient avec des termes rarissimes, m’ont un peu étonné. Je m’empresse d’ajouter qu’il y a depuis ces dernières semaines une grande amélioration à cet égard.
Les sujets enfin. L’idée de faire une série de causeries agricoles était toute naturelle. Les conférences sur le breton, l’histoire de Bretagne, la littérature bretonne, répondent à une nécessité. J’aperçois cent autres sujets possibles. Mais sans doute les dirigeants de Rennes-Bretagne les aperçoivent-ils aussi bien que moi. Une seule chose fait défaut : le temps. Je ne peux pourtant me retenir de suggérer que la note familière et humoristique fait un peu défaut : soyons sérieux, puisque l’époque l’exige, mais ne soyons pas trop solennels 69 . »
38 Skinlonk conseille ici, en particulier, de parler le breton comme il est écrit : il s’agit donc d’ajuster la prononciation à l’orthographe – celle-ci fit 151 l’objet d’une unification le 8 juillet 1941. La destruction des enregistrements ne permet pas de vérifier dans quelle mesure les conseils de Skinlonk furent suivis d’effets, pas d’avantage de savoir si ceux qui ont parlé à la radio pendant ces années sont parvenus à « lire comme on écrit », « sans renoncer tout à fait à leur dialecte à eux ». Mais on dispose de quelques indications de l’époque qui ont trait au sujet. Lors du congrès de l’Institut Celtique de Bretagne, en novembre 1942, sont mises en place des sessions de travail en breton et sont aussi organisées des conférences. L’une d’entre elles est donnée le 27 novembre par Roparz Hemon : elle porte sur le théâtre et, notamment, sur la prononciation à adopter. Le conférencier cite le cas d’une troupe trégorroise, celle de Jarl Priel 70 , qui se tailla un joli succès à Tréguier mais dont le breton, à Rennes, lors de la fête en l’honneur du marquis de l’Estourbeillon, ne fut pratiquement pas compris. Pour lui,
« ur strollad a c’hoario dirak mikro Roazhon-Breizh ivez, a ranko bezañ komprenet dre-holl ha dre se n’eus ket gwelloc’h eget kemer diazez war ar skrivadur peurunvan.
une troupe qui jouera aussi devant le micro de Rennes-Bretagne, devra être comprise partout et, pour cela, il n’y a pas mieux à faire que de prendre appui sur l’écriture totalement unifiée 71 . »
39 De plus, ils devront parler assez lentement : ainsi, écrit Roparz Hemon, les acteurs de la troupe « Gwalarn », malgré leur prononciation majoritairement léonarde, sont compris par les auditeurs de la radio puisqu’ils parlent lentement et distinctement. Le maître passe ensuite à des considérations sur la façon de poser sa voix devant le micro, de reprendre son souffle, de distinguer vers et prose… Il tient beaucoup, pour faire de la radio bretonne une radio de qualité, à ce que les émissions soient réellement marquées d’un sceau artistique : il est préférable de prononcer « plaen ha hir evitar pezhioù-c’hoari dic’hoarzh, berroc’h (ha rannvroeloc’h mar plij d’an den) evit ar re fentus ./d’une manière régulière et ample pour les pièces dramatiques, de manière plus brève (et plus dialectale si l’on veut) pour les comiques. »
40 L’idée d’une langue unifiée jusque dans la prononciation ne quitte pas Roparz Hemon : il profite d’une causerie du 30 janvier 1943 sur les ondes de Rennes-Bretagne, pour faire l’éloge des Hauts-Bretons qui ont appris la langue et qui militent pour elle (Loeiz Andouard, Fañch Denoual – c’està-dire François Debauvais, Arzel Even – alias Jean Piette, Merwen Floc’hbreizh – alias l’abbéMarcel Rimpot, Yann Kerwerc’hez – alias Jean-Marie Guerchet, Per Denez – alias Pierre Denis, etMaopreden – alias Pierre Denis). Il prend la défense de ces nouvelles recrues contre ceux qui en Basse-Bretagne se permettent de tourner leur breton en dérision.
« Ha lavaret e kaver c’hoazh tud e Breizh-Izel da ober goap ouzh ar baotred-se. Gouzoud a ran, aes eo kavout abeg en o brezhoneg, re lennek ha warnañ meur a wech liv ar galleg. Ar c’hodiserien avat, daoust ha gouest e vefent d’ober gwell ? Int ha na ouzont nemet aozañ ha diaozañ ur rimadell pe ur sorbienn bennak e trefoedach o c’hanton, a rank bezañ reizhet hag adskrivet c’hoazh kent bezañ moulet. Rak un dra a zo : al levrioù-skol, al levrioù gouiziegezh, al lezennoù ha kement skrid uhel a zo ret e buhez ur bobl ne vezont savet e bro ebet e yezh ar gwrac’hed kozh. Pezh a anvomp a-wechoù liv ar galleg n’eo ket muioc’h liv ar galleg eget hini an alamaneg, ar saozneg, al latin pe ar c’hembraeg : bez’ ez eo liv ar sevenadur.
E-lec’h tabutal etrezomp, labouromp evit mad hor yezh. Kaeroc’h e vo moarvat brezhoneg an amzer da zont eget hini an amzer bremañ, hag eñ c’hoazh e-giz ur bugel a-boan divailhuret. Ha trugarekaomp hor breudeur a Vreizh-Uhel a ro dimp skoazell ha skouer war un dro.
Et dire que l’on trouve encore des gens en Basse-Bretagne pour se moquer de ces hommes. Je le sais, il est facile de trouver à redire à leur breton, trop intellectuel et où apparaît trop la teinture du français. Les moqueurs, pourtant, seraient-ils capables de faire mieux ? Eux qui ne savent que façonner et défaçonner un bout rimé ou une historiette dans le patois de leur canton, textes qu’il faut encore rectifier et réécrire avant de les imprimer. Car il y a une chose qui compte : les livres de classe, les livres érudits, les textes de lois et tous les écrits de haut niveau qui sont indispensables dans la vie d’un peuple ne sont rédigés dans aucun pays dans la langue des vieilles commères. Ce que nous appelons parfois la teinture du français, ce n’est pas davantage la teinture du français que celle de l’allemand, de l’anglais, du latin ou du gallois : c’est la teinture de la culture.
Au lieu de polémiquer entre nous, travaillons pour le bien de notre langue. Le breton de l’avenir sera sans doute plus beau que celui de notre époque, qui lui n’est encore que comme un enfant à qui l’on vient tout juste d’enlever ses langes. Et remercions nos frères de Haute-Bretagne qui nous donnent en même temps leur concours et leur exemple 72 . »
41 Si on combine les citations ci-dessus, il ne fait pas de doute que la langue bretonne, pour devenir une « langue de culture », doit se débarrasser, sinon des accents locaux – ceux-ci, à condition de ne pas être trop appuyés, sont bien sympathiques et brisent l’uniformité –, tout au moins de ce patoisage cantonal que dénonce avec ironie Roparz Hemon. La « langue nationale » qu’il appelle de ses voeux pour la Bretagne sera, est déjà, débarrassée de sa gangue dialectale et ceux qui la parlent, les nouveaux bretonnants, sont tout indiqués pour prêter leur voix à la radio, cette dernière devenant le vecteur, la médiatrice de cette néo-langue supra-dialectale. Supra , parce que supérieure aux « patois », supra aussi, parce que parlée par une certaine élite se recrutant majoritairement, semble-t-il, à l’extérieur de la Basse-Bretagne. C’est à cette époque, en effet, que naquit un nouveau dialecte du breton, lequel n’en est pas un en vérité puisqu’il s’agit d’un supra-dialecte, le bre-ton de Rennes, le « Roazhoneg », présenté par Alan al Louarn dans un numéro d’ Arvor de 1944.
« Ur souezh vras eo atav evit ur Breizh-Izelad o tegouezhout e Roazhon, klevout kement a dud o komz brezhoneg. Klevout a ra re gozh ha dreist-holl re yaouank, o pourmen war ar straedoù, er c’hafedioù, en o bodadegoù, en o labour, e pep lec’h, oc’h ober atav gant ar brezhoneg, d’ar sul koulz ha war ar pemdez o komz, o lenn, o skrivañ, o kanañ brezhoneg. Frealzus eo evitañ gouzout e vez kenteliet amañ ivez e yezh vroadel e meur a zoare hag e meur a lec’h, bep sizhun.
Pouezusoc’h e kav c’hoazh marteze, e vez graet gant ar brezhoneg da venveg- kenteliañ er skol uhel Emil-Ernod. Fiziañs a zeu ennañ neuze, pa glev mouezh Roazhon-Breizh o tibunañ bemdez koulz lavarout keleier, prezegennoù, studiadennoù, kentelioù e brezhoneg. Ha selaouet e vez hor skinva broadel gant ur bern tud amañ (tra ma chom diglevus peurliesañ e Breizh-Izel !).
Distreiñ a ra hon den d’ar gêr, lorc’h ennañ o welout hor “paour kaez trefoedach” (hervez ar C’hallaoued), tonket d’ar marv abaoe pell’ zo (hervezo atav) o tont da vezañ muioc’h-mui bemdez yezh an darempredoù boutin evit ur rummad brav a Vrezhoned emskiantek.
Met un dra all a verzo c’hoazh hor Breizh-Izelad a-raok kuitaat ar gêr-benn. Merzout a raio un doare, un tammig nevez evitañ, da ober gant ar brezhoneg gant an holl dud-se. Kement a dud a zo amañ o deus desket ar brezhoneg drezo o-unan ha kement a rannyezhoù a vez kemmesket ivez, ma teu an doare distagañ da gemmañ evel ma vefe kanet un tammig ; dont a ra ivez ar sonennoù da hiraat. Implijet e vez ouzhpenn ur bern gerioù divoutin-tre e-touez ar bobl.
Diwar ar c’hemmeskaj-se eo [sic] ganet ur wir ran-yezh nevez a zo bet anvet gant tud’ zo ar “Roazhoneg” pe Brezhoneg Roazhon.
C’est toujours un grand étonnement pour un Bas-Breton arrivant à Rennes, d’entendre tant de gens parler breton. Il entend des vieux et surtout des jeunes, se promenant le long des rues, dans les cafés, dans leurs réunions, à leur travail, en tous lieux, il les entend utiliser constamment le breton, le dimanche tout comme en semaine : ils parlent, ils lisent, ils écrivent, ils chantent en breton. C’est réconfortant pour lui de savoir qu’ici aussi sa langue nationale est enseignée de bien des façons et dans bien des endroits, toutes les semaines.
Il trouve plus important encore peut-être de voir le breton utilisé comme outil d’enseignement à l’université Émile Ernault 73 . Il prend confiance alors, quand il entend pratiquement tous les jours, grâce à la voix de Rennes-Bretagne des informations, des causeries, des études, des cours en breton. Et ici quantité de gens sont à l’écoute de notre poste national (alors qu’on ne peut pratiquement pas l’entendre en Basse-Bretagne !).
Notre homme retourne chez lui, fier de voir notre “misérable patois” (d’après les Français), destiné depuis longtemps à mourir (toujours d’après eux), devenir de plus en plus tous les jours la langue des rapports communs pour une belle génération de Bretons conscientisés.
Mais notre Bas-Breton remarquera encore autre chose avant de quitter la capitale. Il remarquera la manière, quelque peu nouvelle pour lui, qu’ont tous ces gens de parler le breton. Il y a ici tant de gens qui ont appris le breton tout seuls et il y a aussi tant de dialectes qui sont amalgamés, que la prononciation en vient à changer, comme si l’on chantait un petit peu ; les syllabes aussi en viennent à s’allonger. De plus, on utilise quantité de mots complètement inhabituels dans le peuple.
C’est à partir de cet amalgame qu’est né un véritable nouveau dialecte que certains ont appelé ou dénommé le “Rennais” ou Breton de Rennes 74 . »
42 Après le « quand » et le « comment », le « qui » : quels ont été les collaborateurs, assidus ou occasionnels, de Roparz Hemon à Rennes-Bretagne de 1940 à 1944 ? Il est possible de dresser une liste, où figurent 160 noms. En effet, si la radio emploie des collaborateurs réguliers, elle fait aussi appel à une « voix-d’oeuvre » : la radio bretonne doit être la radio des Bretons et la variété des voix, des timbres et des genres est la bienvenue. La société du spectacle ne date pas d’avant-hier 75 .
43Du point de vue de la répartition linguistique, le corps radiophonique se présente comme suit :

4455 collaborateurs n’ont préparé que des émissions en breton, 87 n’en ont préparé qu’en français. En affinant ces nombres, on fait apparaître ceux qui n’ont participé qu’à une émission : ce sont, en quelque sorte, des collaborateurs occasionnels. On obtient les résultats suivants : ne sont intervenus qu’une fois 45,45 % des collaborateurs des émissions en breton (25 sur 55), pour 51,72 % des collaborateurs des émissions en français (45 sur 87).
45La répartition de ces intervenants au fil des quatre années – 1940 est à part, car les mois de novembre et de décembre n’occupent que bien peu de personnes au total – est intéressante à plus d’un titre. Les deux tableaux qui suivent synthétisent les informations. Le premier présente la répartition, en chiffres et en pourcentage, du nombre des bretonnants qui ont collaboré une seule fois à la radio (total 1b), et la même chose pour les francisants (total 1f ).

46 Une première remarque, qui est aussi une évidence : l’augmentation du volume horaire entraîne presque nécessairement, une augmentation du nombre des intervenants. On observe encore ceci : dès 1942, les bretonnants sont sollicités plus rapidement ; quant aux francisants, c’est à partir de 1943 qu’ils entrent en masse dans le paysage radiophonique. Ces données sont confirmées par un autre calcul présenté dans le tableau cidessous où figurent cette fois, en nombre et en pourcentage, les collaborateurs qui ont participé à une ou à deux émissions.

47 L’année 1943 voit le nombre des collaborateurs occasionnels décupler. Il y a à ce phénomène une explication assez simple : en octobre 1942, a été mis en place le quart d’heure hebdomadaire de l’Institut Celtique. Un appel aux bonnes volontés est lancé et, au fil des semaines, on voit défiler différents membres de l’Institut qui, suivant leur « spécialité » ou la « commission » qu’ils représentent, réalisent une causerie et l’interprètent au micro. Il convient ici de fournir le profil des personnes qui ont été amenées à s’exprimer sur ces ondes bretonnes, que ces collaborateurs soient réguliers ou occasionnels : elles sont instruites ; capables de parler devant un micro – démarche qui était fort peu courante à l’époque ; il s’agit très certainement de Rennais, membres de l’Institut, bien sûr. Ils sont suffisamment passionnés par leur sujet pour être à même d’en parler pendant cinq à sept minutes. Parfois, on sollicite telle ou telle personnalité en raison de sa compétence particulière : c’est le cas, par exemple, de l’abbé Jean-Marie Perrot qui, pour la Toussaint 1941 fait un sermon intitulé « Kenteliou arVered 76 » et à l’occasion du samedi de Pâques, un autre sermon, intitulé « Ar stourm etre ar maro hag ar vuhez 77 ».
48Mais, faisons plus ample connaissance avec les collaborateurs réguliers de la radio. On peut les ranger en deux groupes : le premier rassemble les spécialistes, le second ceux que j’appellerai les polyvalents.
49 Les spécialistes sont compétents sur un sujet seulement, qu’ils possèdent bien et qu’ils développent, soit en français, soit en breton, soit dans les deux langues. Ainsi, Yves Levot-Bécot, sous le pseudonyme « Ar c’houer koz (h) », ne parle que d’agriculture en breton : ingénieur agronome, il est, par ailleurs, l’auteur d’un ouvrage agricole publié avant-guerre 78 . À côté de lui, ses homologues, Baillargé et Esnault, qui ne s’expriment, eux, qu’en français – le premier est agronome et le second professeur d’agriculture. Mais, on ne parle pas que d’agriculture à la radio bretonne, et cette dernière n’offre pas davantage ses micros qu’aux seuls spécialistes. Certains collaborateurs, en effet, disposent d’une palette plus large, limitée pourtant à deux ou trois sujets. Ainsi, Florian Le Roy réalise principalement des évocations historiques et des causeries qui concernent la Haute-Bretagne et son patrimoine ; un certain de Berdouaré réalise de nombreuses causeries ayant trait à la marine et c’est lui aussi qui s’occupe des revues de presse en langue française.
50 Les polyvalents à présent : ce qui les caractérise tous, c’est qu’il s’agit de bretonnants… qui savent aussi parfaitement le français, bien entendu. Ils font donc des causeries variées, tant en français qu’en breton et ils réalisent aussi des pièces de théâtre, surtout en breton 79 . Quatre noms apparaissent de manière privilégiée : il s’agit de François Eliès, Guillaume Berthou, Yves Le Drezen et Georges Lemée, auxquels s’ajoute un cinquième, qui est en réalité le premier, Roparz Hemon lui-même. Les cinq noms qui précèdent figurent au palmarès comme étant les plus prolifiques parmi les 160 de la liste des collaborateurs. Ce qui soude ces cinq personnages, c’est qu’ils sont tous des bretonnants, qu’ils ont de la langue bretonne la même conception et qu’ils considèrent Rennes-Bretagne comme l’aubaine unique offerte par l’Histoire pour la promouvoir, et pour se promouvoir en mêmes temps. Ils appartiennent évidemment tous les cinq à l’école de Gwalarn 80 : quatre d’entre eux ont, du reste, publié des écrits dans la revue du même nom dans l’entre-deux guerres 81 . François Eliès (1896-1963), plus connu sous le pseudonyme d’Abeozen 82 , était avant la guerre professeur de lettres et devint le premier responsable des émissions de radio dès leur création : il publie son premier ouvrage en 1942 83 . Guillaume Berthou (1908-1951), lui, était ingénieur-chimiste : il devint, en 1940, secrétaire de Gwalarn , gérant d’ Arvor et collaborateur de langue bretonne du journal L’Heure Bretonne . Il publie son premier ouvrage en 1943 84 . Quant à Yves Le Drezen (1899- 1972), qui était journaliste, il est le seul, avec Roparz Hemon, à avoir publié avant la guerre 85 : pendant l’Occupation, il tient une chronique hebdomadaire dans L’Heure Bretonne qu’il signe Tin Gariou et il collabore à la chronique « ar seizh avel » de la Bretagne ; en 1943 et 1944, il est à la tête du journal Arvor . Enfin, Georges Lemée (1902-1957), qui était avant la guerre « sous-chef de publicité à la maison Pernod », devient, en 1941, chef de la propagande du PNB 86 . En juillet 1943, lorsqu’est créé à la radio le quart d’heure dit de « La Vie Celtique », il en assume la responsabilité. La moyenne d’âge de ces cinq personnages est de 40,2 ans. Celle de tous les intervenants bretonnants est de 40 ans et demi 87 : le plus vieux des collaborateurs est âgé de 84 ans, le plus jeune de 21 ans. 40 ans, c’est la génération née avant la Grande Guerre. Elle n’est pas partie au front mais elle a subi de plein fouet les conséquences idéologiques de la déflagration : c’est la génération Breiz Atao et Gwalarn – qui est parfaitement représentée par les cinq acteurs principaux de la radio.
51 Gwalarn et Arvor sur le plan culturel, L’Heure Bretonne et le PNB sur le plan politique, l’Institut Celtique et la radio en tant qu’organismes créés pendant la guerre, tels sont les pôles, en principe autonomes mais reliés, en fait, par de nombreuses passerelles qu’empruntent assidûment les mêmes acteurs qui vont et viennent ainsi de la rive du mouvement culturel à celle du mouvement politique, et vice versa . Et c’est Roparz Hemon lui-même que l’on retrouve au centre de toutes ces activités : même s’il ne semble pas avoir été membre du PNB, et même si je n’ai pas trouvé sa signature dans L’Heure Bretonne , son poste de directeur de l’Institut Celtique lui procure un pouvoir fédérateur certain et allant au-delà d’une fonction purement décorative. De plus, sa qualité de fondateur du mouvement et de la revue Gwalarn lui confère dans les milieux où il évolue une aura certaine – Gwalarn , c’est l’origine, la genèse du monde nouveau, de la Bretagne nou- velle, de la langue bretonne nouvelle ; à présent en tant que directeur des programmes en langue bretonne, il incarne à la fois la modernité et la concrétisation des intuitions gwalarnistes.
52Voici la façon dont, le 2 janvier 1943, Roparz Hemon définit le rôle qui est imparti à la radio :
« En ur hetiñ deoc’h bloavezh mat e rin un dro en a-dreñv war ar bloavezhioù tremenet.
Trugarez deoc’h, c’hwi hag a selaou hon abadennoù Roazhon-Breizh a-hed ar bloaz, mignoned anavezet ha mignoned dianav, c’hwi dreist-holl hag a skriv dimp da lavarout hoc’h eus bet plijadur, pe c’hoazh da zisplegañ dimp ho c’hoant.
Ober plijadur deoc’h, kredit mat, setu aze ar pezh a glaskomp. Diaes eo, hen gouzout a rit, plijout d’an holl. Ha tri c’hardeur bep sadorn, zoken evit ur vro vihan evel Breizh-Izel, a zo nebeut a dra.
Hogen bez’ e klaskomp muioc’h eget ober plijadur. Ar Vrezhoned betek-hen n’o deus ket bet tro da zeskiñ kalz diwar-benn o bro. E-touez pobloù an douar ez eo pobl ar Vrezhoned an hini marteze a oar an nebeutañ petra ez eo. Perak an dra-se ? Abaoe pell’ zo, ez eo ar skolioù hag ar c’hazetennoù e Breizh traoù estren. Ar Breizhad bihan, betek ar bloavezhioù-mañ, ne gleve digant e vestrskol ger ebet eus e yezh. Deut da vezañ bras, ne lenne ger ebet, pe hogozik ger ebet eus an holl draoù-se war ar c’hazetennoù. Pe washoc’h c’hoazh : alies-tre e veze dismegañset dirazañ kement tra a dalvoudegezh, kement tra santel a oa e Breizh. En doare ma welomp hiziv c’hoazh euzhusañ tra moarvat a c’heller gwelout er bed-mañ : ur bobl oc’h ober fae warni hec’h-unan.
Ha setu en un taol kemmet penn d’ar vazh. Ur spered nevez, spered ar vro, spered ar ouenn, a c’hwezh war ar skolioù, war ar c’hazetennoù hag a gav ivez ur vouezh all, mouezh ar skingomz, mouezh ar radio da huchal war bep oaled pezh a oa bet kuzhet keid-all.
Lakaat ar Vrezhoned d’en em anavezout o-unan, da gompren pegen uhel, pegen kaer, pegen talvoudus e pep doare eo ar pezh a zo chomet a-ziwar-lerc’h o zadoù, setu aze kefridi vras, kefridi gentañ Roazhon-Breizh.
Teñzorioù hol lennegezh : bep miz e tispleger amañ pezhioù-c’hoari, awechoù savet gant skrivagnerien a vremañ, Perrot, Malmanche, Langleiz, hag all. A-wechoù tennet diouzh marvailhoù ar bobl, ar re a gonted gwechall e-tal an tan e-pad nozvezhioù ar goañv. Soñjit e oa kollet, ankounac’haet e meur a gornad ar marvailhoù kaer-se, enno un heklev o tont eus an amzerioù pellañ, eus ar rummadoù a veve war hor beg-douar a-raok ar Gelted zoken. Evidon, ar marvailhoù-se a dle bezañ evel sichenn deskadurezh pep Brezhon. Ha setu i o tasorc’hiñ, oc’h advevañ, oc’h advleuniañ a drugarez d’an hini nevesañ eus ijinadennoù mab-den.
E-kichen teñzorioù hol lennegezh ez eus teñzorioù hor sonerezh : hor c’hanaouennoù, hon tonioù kozh ha nevez. Kozh ha nevez, a lavaran, rak amañ ivez, ma tleomp skignañ oberoù hor sonaozourien a vremañ, Gwion Ropartz, Paol Ladmirault, Paol ar Flem, Jef Penven ha re all, e tleomp lakaat kalonoù hor c’henvroiz da dridal gant an tonioù dastumet war ar maez, ha bremañ ankounac’haet alies evel ar marvailhoù. Al labour-se a vez graet gant Roazhon- Breizh, a drugarez d’hor mignoned Jef Penven hag Abeozen.
Neuze, ret eo dimp kelenn. Bep sadorn, e klevit mouezh ar C’houer Kozh, o reiñ deoc’h alioù diwar-benn al labour-douar, hag hor prezegennerien, Meavenn, Kerverziou, Drezen ha re all, hep menegiñ bep yaou prezegennerien ar Framm Keltiek, atav o komz ouzhoc’h a-zivout ar pezh hoc’h eus ar muiañ ezhomm da anavezout ha da anavezout mat : ho pro Vreizh, he c’haerderioù, he finvidigezhioù diniver.
Tudoù hag a selaou ac’hanon, m’ho ped, skrivit dimp da lavarout ha mat pe fall e reomp hon dlead en ho keñver.Me ha va c’henlabourerien, setu ar pezh a glaskomp ober. Gant ho skoazell-c’hwi e c’hellimp ober muioc’h c’hoazh.
En vous souhaitant une bonne année, je ferai un retour en arrière sur les années passées.
Merci à vous, vous qui écoutez nos émissions de Rennes-Bretagne tout au long de l’année, amis connus et amis inconnus, vous surtout qui nous écrivez pour nous dire que vous avez été satisfaits, ou encore pour nous exprimer votre désir.
Vous donner satisfaction, croyez-le bien, voilà ce que nous cherchons. Il est difficile, vous le savez, de plaire à tout le monde. Et trois quarts d’heure tous les samedis, même pour un petit pays comme la Basse- Bretagne, c’est bien peu de chose.
Mais nous cherchons davantage que de vous faire plaisir. Les Bretons, jusqu’à présent, n’ont pas eu l’occasion d’apprendre beaucoup au sujet de leur pays. Parmi les peuples de la terre, le peuple des Bretons est peut-être celui qui sait le moins ce qu’il est. Pourquoi cet état de fait ? Depuis longtemps, en Bretagne, les écoles et les journaux sont des réalités étrangères. Le petit Breton, jusqu’à ces dernières années, n’entendait de la bouche de son instituteur aucun mot de sa langue. Devenu adulte, dans les journaux, il ne lisait rien, ou presque rien, à propos de tout cela. Ou pis encore : très souvent, on tournait en dérision devant lui tout ce qui, en Bretagne, est important, est saint. De sorte que nous voyons aujourd’hui encore la chose la plus horrible sans doute que l’on puisse voir en ce monde : un peuple qui se méprise lui-même.
Et voici, d’un coup, la vapeur renversée. Un esprit nouveau, l’esprit du pays, l’esprit de la race, souffle sur les écoles, sur les journaux et trouve aussi une autre voix, la voix de la radio, la voix de la radio 88 pour proclamer dans chaque foyer ce qui avait été caché depuis si longtemps.
Permettre aux Bretons de se connaître, de comprendre combien est noble, beau et plein de valeur à tous égards l’héritage de leurs pères, voilà la grande mission, la mission première de Rennes-Bretagne.
Les trésors de notre littérature : tous les mois on joue ici des pièces de théâtre, parfois créées par des écrivains contemporains, Perrot, Malmanche, Langlais, etc. Ou parfois tirées des contes populaires, ceux que l’on racontait jadis auprès du feu pendant les nuits d’hiver. Rendez-vous compte qu’étaient perdus, oubliés dans bien des zones, ces contes magnifiques, dans lesquels résonnait un écho en provenance des temps lointains, des générations qui vivaient dans notre presqu’île avant même les Celtes. Pour moi, ces contes doivent être comme le socle de l’éducation de tout Breton. Et les voici qui ressuscitent, qui revivent, qui refleurissent grâce à la plus récente des inventions humaines.
À côté des trésors de notre littérature, il y a les trésors de notre musique : nos chansons, nos airs anciens et nouveaux. Anciens et nouveaux, dis-je, car ici aussi, si nous devons diffuser les oeuvres de nos compositeurs contemporains, Guy Ropartz, Paul Ladmirault, Paul Le Flem, Jef Penven et d’autres, nous devons faire battre le coeur de nos compatriotes avec les airs recueillis à la campagne, et souvent oubliés comme les contes. Ce travail est réalisé par Rennes-Bretagne, grâce à nos amis Jef Penven et Abeozen.
Et puis, il nous faut enseigner. Tous les samedis, vous entendez la voix du Vieux Paysan qui vous donne des conseils concernant l’agriculture, et nos conférenciers,Meavenn, Kerverziou, Le Drézen et d’autres, sans mentionner tous les jeudis les conférenciers de l’Institut Celtique, qui, toujours, vous entretiennent de ce que vous avez besoin de connaître et de bien connaître : votre pays de Bretagne, ses beautés, ses richesses innombrables.
Bonnes gens qui m’écoutez, je vous en prie, écrivez-nous pour nous dire si nous faisons convenablement ou non notre devoir à votre égard. Moi et mes collaborateurs, voici ce que nous essayons de faire. Grâce à votre aide à vous, nous pourrons faire plus encore 89 . »
53 Les objectifs sont clairement affichés : la radio fait oeuvre d’éducation, elle doit éduquer les Bretons, et les aider à « retrouver la Bretagne », comme Roparz Hemon lui-même l’a fait. La radio est pangéenne. Gwalarn et Arvor , L’Heure Bretonne et le PNB, l’Institut Celtique et la radio : ces six échos forment la modeste symphonie de ce nouveau monde.
54La voix de ce nouveau monde, ce sont les ondes de Rennes-Bretagne qui la font entendre : que disent-elles vraiment ? Comment les collaborateurs de la radio vont t-ils s’y prendre pour éduquer les masses, les aider à retrouver la Bretagne ? La causerie de Roparz Hemon précitée, c’est l’occasion de se tourner à présent vers la scène et c’est un début de réponse à la question « Quoi ? »
.
55 La radio n’évolue que sur le terrain culturel : sont exclues a priori, on l’a vu, les déclarations politiques enflammées. Pas de politique, pas de choses qui fâchent. Et c’est vrai que l’on ne trouve pas de textes radiodiffusés dans lesquels l’inspiration politique serait clairement et franchement affichée : sur les ondes de Rennes-Bretagne, il n’y a pas l’équivalent d’un Philippe Henriot, éditorialiste de Radio-Vichy, distillant sa haine de l’autre 90 . Ceci dit, on ne peut répertorier absolument tous les titres des émissions programmées, ou bien parce qu’ils n’avaient pas été annoncés par les journaux, ou encore parce qu’ils ne sont pas suffisamment explicites, et qu’on ne possède pas le texte écrit qu’ils annoncent. Chemin faisant, j’aborde ici l’un des paradoxes de ces émissions : une partie du contenu des programmes en langue bretonne est parvenue jusqu’à nous, conservée dans des journaux ou revues contemporains de la radio. En effet, de très nombreuses causeries radiodiffusées ont ensuite été publiées . C’était l’occasion de faire d’une pierre deux coups, cela sans grand risque de lasser le public, car on sait que les émissions étaient difficilement audibles en Basse-Bretagne.
56 Dans le tableau qui figure ci-après apparaissent les grands types d’émissions 91 telles qu’elles ont été diffusées sur les ondes bretonnes.

57Dans cette liste figurent 1419 occurrences, qui se rangent de manière très inégale sous 29 types – deux sont, l’un incertain (« causerie ? »), et l’autre non identifiable (« ? »). Examinons d’abord les quatre types qui, à eux seuls, regroupent la très grande majorité des programmes diffusés, autrement dit de nos 1419 occurrences :
- 902 causeries d’une durée de cinq à sept minutes – dont 13 « éphémérides », titre que l’on ne peut pas préciser davantage, en l’absence de contenu correspondant ;
- 131 évocations 92 : ce terme désigne une causerie, avec mise en scène, où sont décrits des événements marquants, où interviennent expressément des personnages du passé, d’un passé qui appartient naturellement à l’histoire de la Bretagne. Ils sont « évoqués », c’est-à-dire qu’on les fait sortir de l’ombre froide d’un souvenir presque éteint, tout comme les pythonisses de l’Antiquité « évoquaient » les grands personnages disparus ;
- 101 pièces – dont 22 contes, cinq légendes, quatre farces, trois fantaisies, trois comédies, trois drames (dont deux « sacrés »), un mystère et une tragédie. Alors que les réalisateurs des évocations puisent dans le passé breton, ceux des pièces radiophoniques empruntent à leur imagination. Une précision, dès à présent : les évocations sont, pour la plupart, en langue française, alors que c’est en langue bretonne que sont écrites la majorité des pièces ;
- 95 programmes musicaux – dont deux « suites d’orchestre », quatre « concerts », quatre émissions consacrées au biniou, et une émission dite de « variétés ».
58 Ces trois derniers types sont représentés de façon relativement équilibrée. Si l’on traduit en pourcentage les nombres les concernant, on obtient respectivement 9,23 %, 7,11 % et 6,69 %. En admettant que l’on puisse regrouper les évocations et les pièces comme étant les deux faces d’un même type radiophonique – la première face est française, la deuxième, bretonne – ce type de programme représente alors 16,34 %.Mais, naturellement, ce qui saute aux yeux, c’est la part représentée par les causeries : les 902 causeries correspondent à 63,56 % du total. La jeune radio bretonne diffuse donc en grande quantité de la parole écrite non mise en scène, de la parole brute, de la parole lue. En cela, elle ne fait qu’imiter ses grandes soeurs de l’entre-deux-guerres qui ont aussi fait leurs premières voix de la sorte 93 . Les quatre premiers types de notre tableau représentent à eux seuls plus de 85 % (86,59 très exactement) des programmes diffusés. Viennent ensuite les cours de breton qui, moyennant cinq minutes régulières toutes les semaines, à compter de juin 1943, finissent par atteindre 3,38 % 94 . Après les chants, qui totalisent 2,46 %, viennent les baliverneries hautes-bretonnes 95 et les interviews – presque toujours réalisées par Juliette Nizan auprès d’artisans – qui représentent 1,47 %. Figure aussi dans nos 29 types un « radioopéra » ; une longue recension parue dans L’Heure Bretonne nous en donne une description qui se finit par ces mots : « Un bon point donc à l’équipe de Radio-Roazon. Elle fait là une probante démonstration de ce que notre radio peut faire, si elle le veut. Certes, les Bretons lui en sauront gré. À elle de maintenir ses émissions à ce niveau. Et elle forcera l’écoute internationale 96 . » L’auteur de cet article semble satisfait de la haute tenue de ce programme qui, il est vrai, paraît exceptionnel : 50 musiciens, c’est imposant. La radio bretonne dispose assurément de moyens.
59 Qu’en est-il des différents types radiophoniques, exclusivement d’expression bretonne ? Abeozen et Roparz Hemon, dressant un bilan du breton sur Rennes-Bretagne durant l’année écoulée, en font état dans leur causerie radiodiffusée du 31 décembre 1942 97 . Ils finissent en annonçant les objectifs pour l’année à venir.
« Ha bremañ, petra a vo graet er bloaz a zeu ?
Kendalc’het e vo da labourat start amañ evit ar brezoneg. Hor yez, gwir eo, he deus enebourien dre-holl, darn anezo pell, darn anezo tost. Hogen muioc’h a vignoned he deus c’hoaz. Hag ar vignoned-se a labouro dizehan eviti.
Hor c’hoariva a gendalc’ho evel a-raok. Peziou-c’hoari a bep seurt, peziouc’hoari a Vreiz koulz ha peziou-c’hoari estren lakaet e brezoneg, a vo displeget, unan bep miz da vihana. E-kichen strollad Gwalarn, strolladou all, strolladou nevez marteze a vo galvet da ziskouez d’eoc’h ar pez a c’hellont ober.
Hor sonerez ivez a vo lakaet en enor. Dizale e klevot gwerz Kêr-Iz hag ar Roue Gralon, lavaret ha kanet dirazoc’h gant sonerez kaer-meurbet aozet aratoz gant Andreo Vallee. Kanaouennou, nevez dastumet gant an Abad Falc’hun hag an Aotrou Jaffre, a dle ivez beza kanet, ha re all c’hoaz.
Evit ar prezegennou, klasket e vo ober kement anezo hag a-raok, hag o lakaat da veza ken plijus ha ken talvoudus ha ma vo gallet.
Kenvroiz ker, ma hoc’h eus eur c’hoant bennak e-keñver ar radio brezonek, skrivit d’imp. Lavarit d’imp hep aon kement tra en deus plijet d’eoc’h, kement tra en deus displijet d’eoc’h en hon abadennou. N’oufec’h ket hor skoazella gwelloc’h ha skoazella ar brezoneg war eun dro eget o skriva d’imp ho menoziou.
Ha bremañ, c’houi holl, Bretoned, ne vern pelec’h emaoc’h, e korn an oaled gant ho tud, pe e broiou estren en harlu, e hetomp d’eoc’h, hervez lavar hon tadou-koz, eur bloavez mat, yec’hed ha prespolite, hag ar baradoz da fin ho puhe.
Et maintenant, qu’est-ce que sera le programme de l’an prochain ?
Ici, on continuera à travailler avec ardeur pour le breton. Notre langue, il est vrai, a de nombreux ennemis, certains éloignés, certains proches.Mais, elle a encore plus d’amis. Et ces amis-là travailleront pour elle sans relâche. Notre théâtre continuera comme avant. Seront jouées des pièces de toutes sortes, des pièces aussi bien de Bretagne que de l’étranger, traduites en breton, une fois par mois, au minimum. À côté de la troupe Gwalarn, d’autres troupes, de nouvelles troupes peut-être, seront appelées à vous montrer ce qu’elles peuvent faire.
Notre musique aussi sera mise à l’honneur. D’ici peu vous entendrez la gwerz de la ville d’Is et du roi Gradlon, déclamée et chantée devant vous accompagnée par la très belle musique créée spécialement par André Vallée. Des chansons, nouvellement recueillies récemment par l’abbé Falc’hun et monsieur Jaffré, doivent aussi être chantées, et bien d’autres encore. En ce qui concerne les causeries, on essayera d’en faire autant qu’auparavant, et de les rendre aussi plaisantes et aussi profitables qu’on le pourra.
Chers compatriotes, si vous désirez quelque chose à propos de la radio en langue bretonne, écrivez-nous. Dites-nous sans peur tout ce qui vous a plu, tout ce qui vous a déplu dans nos émissions. Vous ne sauriez mieux nous soutenir et, par là même, soutenir la langue bretonne, que de nous écrire vos idées. Et maintenant, vous tous, Bretons, où que vous vous trouviez, au coin du feu avec vos parents, ou en exil dans des pays étrangers, nous vous souhaitons, pour reprendre la formule de nos ancêtres, une bonne année, santé et prospérité, et le paradis à la fin de votre vie. »
60Cette causerie fait bien ressortir trois types radiophoniques, à savoir les pièces de théâtre, les évocations et les causeries : je vais à présent examiner en détail chacun d’entre eux.
61 Entre le 24 janvier 1941 et le 13 mai 1944, j’ai relevé 74 pièces de théâtre en breton radiodiffusées. Ces 74 pièces ont toutes été jouées par la troupe Gwalarn , à l’exception de quatre 98 . Parfois aussi, la troupe de Gwalarn s’était vue consolider par des chanteurs : ce fut le cas, notamment, pour le « drame sacré » de Roparz Hemon intitulé Résurrection (le 7 avril 1942, rejoué le 24 avril 1943), la « pièce lyrique » d’Eliès Marivonig (le 21 août 1943), et le « conte lyrique » d’Eliès Nedeleg Ker-Iz (Noël à Ker-Ys), joué le 25 décembre 1943.
62 Les genres abordés dans ces pièces sont classiques : on joue des farces ou des contes, et aussi des drames, sans que l’un des genres prédomine nettement sur l’autre. Ces pièces, qui sont en breton, en sont naturellement à leur toute première radiodiffusion. Il n’en demeure pas moins que beaucoup d’entre elles furent écrites avant la guerre : c’est Roparz Hemon, le plus souvent, qui les adapte pour la radio. C’est le cas notamment des contes adaptés en « contes dialogués » pour les besoins de la radio : « Ar C’hastellinad o kas an amzer en-dro /Le Châteaulinois qui commandait au temps » (le 12 décembre 1942), « Yann al laer /Jean le voleur » (le 23 jan- vier 1943), « Ar sarpant milliget /Le serpent maudit » (le 13 février 1943) recueillis par Christophe Jézégou 99 ; « Nebeut a dra /Peu de chose » (12 décembre 1942) recueilli par Yvon Crocq 100 . Par ailleurs, Roparz Hemon trouve l’occasion de faire jouer à la radio et pour la première fois des pièces qu’il avait publiées avant la guerre dans sa revue Gwalarn . Parmi ces pièces, il y a celles de Roparz Hemon lui-même : Dour ar c’halvar (L’eau du calvaire), jouée le 24 janvier 1941, An tan e ti Kernaspreden (Le feu à Kernaspreden), le 21 mars 1941, Fest al leue lart (Le festin du veau gras), le 16 juillet 1941, Lina , le 12 décembre 1941, Meurlarjez (Mardi-gras), le 6 février 1942 et Un den a netra (Un homme de rien du tout) le 22 août 1942, qui avaient été publiées entre 1925 et 1938 dans sa revue 101 . À l’inverse, les pièces intitulées Ur bugel zo ganet (Un enfant est né 102 ) et Roperzh Emmet 103 , Roparz Hemon les écrit pour la radio avant de les publier dans Gwalarn . De même, une pièce de Youenn Drezen, Karr-kañv an aotrou maer (Le corbillard de monsieur le Maire), jouée les 9 et 16 octobre 1943, fait plus tard l’objet d’une publication sous forme de plaquette non datée, illustrée d’un portrait de l’auteur réalisé par R.-Y. Creston. Sous le titre, on lit ceci : « Abadennig e tri bennad evit ar skingomz /Petite pièce en trois actes pour la radio 104 . » Indiscutablement, dans ces années d’occupation, la radio est le moteur d’une certaine création littéraire. On écrit des pièces pour la radio, lesquelles peuvent ensuite tout aussi bien être publiées sous forme de livre, ou servir à remplir les colonnes d’un journal comme Arvor ou d’une revue comme Gwalarn . C’est ainsi qu’en 1944, la maison d’édition Skridoù Breizh , fait paraître « C’hoariva brezhonek. Pemp pezh-c’hoari berr /Théâtre en langue bretonne. Cinq pièces courtes 105 » : écrites par des auteurs différents, ces cinq pièces ont déjà été publiées avant guerre mais toutes données à la radio, pendant l’Occupation. Et n’est-ce pas aussi parce qu’elles ont été jouées et, pour ainsi dire, testées, qu’elles font l’objet d’une nouvelle édition ? Il y a aussi, certainement, la volonté de republier, mais cette fois dans la nouvelle orthographe de juillet 1941, des textes destinés à devenir des classiques.
63 Parfois, le contraire se produit. Ainsi, la Jeunesse Agricole Chrétienne (en breton, Yaouankizou Kristen arMaeziou ) avait publié en 1942 une petite plaquette intitulée « C’hoariomp /Jouons », comprenant deux pièces en un acte, la première ( Distro ar Prizonnier /Le retour du prisonnier), pour les hommes et la seconde ( En em garit …/Aimez-vous…), pour les femmes 106 . Elles avaient été écrites pour être jouées par des équipes de la JAC dans le pays bretonnant. Or, le samedi 18 septembre 1943, la première des deux pièces est diffusée sur les ondes de Rennes-Bretagne : c’est là l’un des rares exemples de l’accueil fait par Rennes-Bretagne à une création littéraire d’essence populaire, et tout à fait contemporaine.
64 Un second type occupe une place importante dans le panorama des programmes radiophoniques : les évocations. Sous ce titre, j’ai rangé les adaptations de complaintes et de sônes bretonnes, ainsi que les programmes en dialecte vannetais. Un article de Skinlonk décrit ce type radiophonique mis en valeur par Rennes-Bretagne.
« E-kichen ar peziou-c’hoari dibunet e Roazon-Breiz gant strollad Gwalarn ha Kêr-Vreiz, n’eus netra talvoudusoc’h eget ar gwerziou, dibabet hag aozet gant Abeozen, eilet gant sonerez Jef Penven, ha displeget gant strollad Ti ar Skingomzerez Roazon [sic]. Hor gwerziou brezonek koz a zo graet a-ratoz, a vije lavaret, evit ar radio. Petra int e gwirionez nemet peziou-c’hoari bihan, peziou-c’hoari na n’heller ket koulskoude diskouez dirak an dud war eur c’hoariva gwirion ? Dirak ar mikro, gant skoazell eun displeger mat, tremen a reont dispar.
Betek-hen ne oa bet c’hoariet e Radio-Roazon nemet tammou trouc’het diouz gwerziou koz, gwerziou “Barzaz Breiz”, pe gwerziou dastumet gant An Uhel. An abadenn a vo displeget d’ar meurz 27 a viz Eost a vezo eun doare nevezenti, peogwir e vezo displeget eur werz en he fez, hini “Yannig Kokard” pe “Ar Gakouzez”, hag a gaver e kenta levr An Uhel, p. 253.
Anaout a rit moarvat istor Yannig Kokard, eus Plouilio, “Brava mab kouer a oa er vro”, a gouezas e karantez eur plac’hig koant, Mari Tili, hag a zimezas ganti, daoust da rebechou e gerent. Mari Tili, siouaz, a oa kakouzez, pe lovrez mar kirit gwell. Hag eun deiz, Yannig Kokard, o vont d’ar feunteun, a welas e skeudenn en dour hag a gilas spontet pa verzas e oa krignet e zremm gant ar c’hleñved euzus. Ne chomas mui nemet eun dra da d’ober : kas anezañ d’al lovrdi :
Kriz ’vije ’r galon na ouelje,
E Plouilio neb a vije,
O welout ar groaz, ar banniel
O kas Yannig d’e di nevez.
Talvoudus eo diskouez penaos e vez aozet eur seurt gwerz evit ar radio. Klevet e vo dimerc’her a zeu, ouspenn an Displeger (amañ kentoc’h ar C’haner), an dud a gemer perz er c’hoari, da lavarout eo Yannig Kokard, Mari Tili, an Tad, ar Vamm hag eur bagad merc’hed, pep unan o kana ar poz pe al lodenn eus eur poz a zo lakaet war e ano. Aes eo kompren pegen beo e teu ar werz da veza evel-se, buhezekoc’h ha bravoc’h eget ar werz koz hec’h-unan pa veze displeget gant eur c’haner hepken en amzer gwechall.
Eur goulenn a rafen digant kanerien Roazon-Breiz : distaga ar geriou ken fraez ha ma c’hellont. Eur werz, evel pep doare kanaouenn all, a zo graet da veza komprenet gant ar selaouerien ; n’eo ket a-walc’h tañva braventez ar sonerez ha kaerder an toniou ; ret-mat eo gouzout petra a lavarer, pe e koller an hanter eus ar blijadur.
À côté des pièces de théâtre montées pour Rennes-Bretagne par la troupe Gwalarn et Kêr-Vreiz, il n’y a rien de plus précieux que les complaintes, choisies et arrangées par Abeozen, accompagnées par la musique de Jef Penven, et déclamées par la troupe de laMaison radiophonique de Rennes. On dirait que nos vieilles complaintes bretonnes sont faites expressément pour la radio. Que sont-elles en réalité, sinon de petites pièces de théâtre, des pièces de théâtre que l’on ne peut cependant pas représenter devant un public sur une scène réelle ? Devant le micro, avec le secours d’un bon récitant, elles passent admirablement.
Jusqu’à présent, on n’avait joué à Radio-Rennes que des passages extraits des vieilles complaintes, les complaintes du “Barzaz Breiz”, ou les complaintes recueillies par Luzel. L’émission du mardi 27 août aura des allures de nouveauté, puisqu’on jouera une complainte dans sa totalité, celle de “Yannig Kokard” ou “La Lépreuse”, que l’on trouve dans le premier recueil de Luzel, à la page 253.
Vous connaissez sans doute l’histoire de Yannig Kokard, de Ploumilliau, “Le plus beau fils de paysan de la contrée”, qui tomba amoureux d’une jolie jeune fille, Marie Tili, avec laquelle il se maria, malgré l’opposition de ses parents. Marie Tili, malheureusement, était lépreuse… Et un jour que Yannig Kokard s’était rendu à la fontaine, il vit son image dans l’eau et il recula d’effroi quand il remarqua que son visage était rongé par l’horrible maladie. Il ne restait plus qu’une chose à faire : le conduire à la léproserie :
Dur serait le coeur qui ne pleurerait,
Le coeur de quiconque à Ploumilliau,
En voyant la croix, la bannière
Accompagnant Yannig à sa nouvelle demeure .
Il est important d’expliquer comment on met au point pour la radio une complainte de ce genre. Mercredi prochain, on entendra, outre le Récitant (qui ici est plutôt le Chanteur), les personnages qui interviennent dans le jeu, c’est-à-dire Yannig Kokard, Marie Tili, le Père, la Mère et un groupe de femmes, chacun chantant le couplet ou le morceau de couplet qui lui est imparti. On comprend aisément à quel degré la complainte devient vivante à ce jeu-là, plus vivante et plus belle que la vieille complainte elle-même quand elle était déclamée par un seul chanteur dans l’ancien temps.
Je présenterais bien une requête aux chanteurs de Rennes-Bretagne : puissent-ils articuler les paroles le plus distinctement qu’ils pourront. Une complainte, comme tout autre type de chanson, est faite pour être comprise par les auditeurs ; ce n’est pas suffisant d’apprécier la beauté de la musique et la splendeur des airs ; il est indispensable que l’on comprenne ce qui se dit, sinon on perd la moitié de son plaisir 107 . »
65 On l’aura peut-être deviné, ces émissions thématiques qui s’inspirent notamment des complaintes recueillies au XIXe siècle, sont animées par Abeozen. Celui-ci en a parlé brièvement dans le numéro 100 d’ Al Liamm qui lui est presque entièrement consacré. Dans ce numéro figure un texte d’Abeozen lui-même, intitulé « Talvoudegezh hon dastumadoù kanaouennoù- pobl /L’importance de nos recueils de chants populaires ». Il semble, du reste, que ce texte soit la reprise d’une communication faite par lui peu après la guerre, devant un public qui ne peut être davantage précisé. Il explique que les Complaintes et les Sônes ont très tôt trouvé place dans les émissions de radio de Rennes-Bretagne 108 . Dans ce même article, Abeozen expose en quelque sorte la technique qui a été la sienne : il ne manque pas d’expliquer comment il est passé des programmes thématiques intégrant des extraits de complaintes (« Gwerziou Breiz-Izel, Melezour Ene ur Bobl /Les Gwerzes de Basse-Bretagne, Miroir de l’âme populaire bretonne 109 ») à des complaintes chantées par plusieurs récitants (par exemple « Renea ar Glaz », jouée le 27 février 1942) ; il poursuit en montrant comment il a adapté ces gwerzes sous forme de pièces 110 . Le même Abeozen réalisera aussi des émissions sur les « sônes, échos de la vie populaire bretonne », de mars à octobre 1942. Enfin, il mettra en ondes des émissions thématiques consacrées, par exemple, à « l’humour dans la littérature bretonne » (le 14 novembre 1942), aux saisons et aux hommes (« L’automne » le 24 octobre 1942, « L’hiver » le 2 janvier 1943, « Le printemps » le 20 mars 1943), ou encore au « paysage dans la poésie et la musique bretonnes » (le 6 mars 1943).
66 L’autre composante des évocations, c’est la demi-heure vannetaise. Elle apparaît tardivement sur les ondes de Rennes-Bretagne, à savoir le 25 septembre 1943 seulement. La mise en ondes est assurée par « l’amicale des Vannetais de Rennes », qui a à sa tête Jos Pempoull, alias Job Jaffré 111 . Les journaux annoncent la demi-heure vannetaise comme un « reportage folklorique ». Cette dénomination est intéressante et permet de prendre la mesure du regard porté sur le pays vannetais : c’est un pays de désolation que régit une langue morte ou moribonde et que l’on accepte à la table des vainqueurs par charité chrétienne. Il est vrai aussi que les collaborateurs doivent être plus difficiles à trouver : toutes les énergies sont les bienvenues.
67Le troisième type de création à se faire jour sur les ondes bretonnes, ce sont les causeries. On a déjà vu combien leur place est grande dans le paysage radiophonique de Rennes-Bretagne : l’augmentation du volume horaire en faveur de l’une et l’autre langues, se traduit, notamment, par une augmentation du volume des causeries. De plus, dès octobre 1942, est mis en place le « quart d’heure de l’Institut Celtique ». Un article non signé appelle à la collaboration à cette nouvelle tranche horaire en fournissant des informations sur la mise en ondes et sur le contenu de ces causeries :
« Bep yaou, e-doug Kardeur ar Framm Keltiek, e klevomp ur gaozeadenn e brezhoneg, skignet gant Roazhon-Breizh, diwar-benn tra pe dra o sellout ouzh buhez ar vro.
Seul vuioc’h a dud a gemero perzh er c’haozeadennoù-se, seul welloc’h.
Lennerien Arvor, ho tlead eo kenlabourat.
Petra ’zo d’ober ?
- Sevel un tamm skrid da badout 4 munutenn hanter pa vo lennet (etre 700 hag 800 ger ennañ). Skridoù hiroc’h a ranko bezañ nac’het.
- Skrivañ mat ha sklaer, ha lakaat ouzhpenn un droidigezh alamanek pe c’hallek (evit an ensellerezh alaman).
- Kas ar skrid da Roparz Hemon, Radiodiffusion, Hôtel des Postes, Roazhon.
Notenn a bouez. – Evit kemer perzh ez eo gwell bezañ ezel ar Framm Keltiek. N’eo ket ret-holl koulskoude. An danvez a dle bezañ dibabet e-touez ar c’hudennoù sevenadurel studiet gant ar Framm : yezh, lennegezh, arz, skiantoù, arboellerezh, kevredouriezh, h. a. Anat eo, paeet e vo d’an aozer pep kaozeadenn degemeret. N’eo ket ret dezhañ dont e-unan d’he lenn e Roazhon.
Tous les jeudis, durant le quart d’heure de l’Institut Celtique, nous entendons une causerie en breton, diffusée par Rennes-Bretagne, à propos de tel ou tel sujet ayant trait à la vie de notre pays.
Plus il y aura de personnes à participer à ces causeries, mieux ce sera.
Lecteurs d’Arvor, votre devoir c’est de collaborer.
Que faut-il faire ?
- Rédiger un texte écrit d’une durée de 4 minutes et demie à la lecture (entre 700 et 800 mots). Des textes plus longs se verraient refusés.
- Écrire lisiblement, et ajouter une traduction allemande ou française (pour la censure allemande).
- Expédier le texte à Roparz Hemon, Radiodiffusion, Hôtel des Postes, Rennes.
Note importante. – Pour participer il est préférable d’être membre de l’Institut Celtique. Ce n’est pas une obligation absolue cependant. Le sujet doit être choisi parmi les problèmes culturels qu’étudie l’Institut : langue, littérature, art, sciences, économie, sociologie, etc. Evidemment, chaque causerie acceptée sera payée à son rédacteur. Il ne lui est pas nécessaire de venir lui-même à Rennes pour la lire 112 . »
68Le relevé des causeries en breton aboutit à un total de 422, celui des causeries en français à un total de 431 – dont 13 « éphémérides ». 27 causeries sont bilingues et pour 22 d’entre elles, je ne suis pas parvenu à déterminer la langue utilisée. Or, je l’ai dit, il y eut en tout 902 causeries. 46,78 % d’entre elles ont donc été réalisées en breton, 47,78 en français : la parité entre les deux langues a été respectée à la quasi-perfection. Le petit tableau ci-dessous présente les noms des personnages qui sont intervenus dans les causeries en breton le plus grand nombre de fois, réalisant à eux seuls 69,16 % de celles en breton, à savoir 292 sur 422. Les autres collaborateurs – au nombre de 55 – réaliseront moins de 10 causeries chacun.

69Le champion des causeries est donc l’agronome Levot-Bécot, dont le rôle à la radio est limité absolument à ce genre d’intervention. Roparz Hemon occupe la deuxième place mais son activité se répand sur plusieurs autres domaines. Le tableau suivant classe les 422 causeries par genres :

70On relèvera la prédominance des causeries agricoles : elle s’explique par leur régularité. Les causeries culturelles (langue, culture et littérature) arrivent en deuxième position, puis viennent celles que j’ai rangées sous l’appellation « celtisme » : elles figurent pour la plupart dans le cadre du « quart d’heure de la vie celtique », sous la direction de Georges Lemée. Puis viennent les causeries économiques. Ces quatre genres représentent à eux seuls 63,48 % du total. Les suivants (géographie et nature, presse et édition d’une part ; personnalités, enfance et jeunesse d’autre part) sont représentés de façon relativement égale.
71 Je viens d’énumérer et de classer par catégories la presque totalité des émissions de radio en langue bretonne diffusées sur Rennes-Bretagne. Quelles sont les lignes de force qui se dégagent ? Comment cerner un objet radiophonique qui demeure flou, dont la représentation se fait difficilement ? Officiellement, ces émissions n’étaient que culturelles. C’est une autre façon de dire qu’elles n’étaient pas politiques, qu’elles ne voulaient pas l’être, donc on disait très fort qu’elles ne l’étaient pas.Mais quelle était la nature de cette culture ? Encore quelques questions : quel est le message véhiculé par les ondes ? Y a-t-il un projet idéologique clair ? Par exemple, les causeries agricoles qui sont en si grand nombre, que disent-elles ? Y donne-t-on des conseils plus ou moins identiques à ceux de Théophile de Pompéry dans les premières années du premier Feiz ha Breiz 113 ou bien y présente-t-on le paysan comme une figure nationale ? Les publics visés conditionnent les contenus ; de leur côté, les contenus renseignent sur les publics. Il est bien certain que je ne peux pas me contenter de la description du paysage radiophonique hémonien, sous peine de me limiter à un répertoire dénué de toute signification 114 . Pour mener à bien une interprétation de ce que m’apprend la contemplation de ce paysage, il me faut mettre en scène l’objet radiophonique.
.
72 Afin de mettre en lumière cet objet, j’ai pris le temps . Dans tous les sens du terme.
73 En 1940, la Pangée peut enfin émerger. Et la radio se trouve être sa voix. La nature même de la radio contribue à l’émergence de la Pangée : les ondes ne sont pas palpables, elles permettent donc de déconstruire le réel et de le reconstruire à sa guise. Car c’est bien de construction qu’il s’agit ici : les thèmes abordés au sein des programmes nous permettent d’appréhender leur géographie. Dis-moi d’où tu parles, et je te dirai qui tu es : la voix de la Pangée, qu’est-elle et que dit-elle ? En effet, pour prendre un exemple, comment comprendre la plus grande partie des causeries du « quart d’heure de la vie celtique », si l’on n’a pas à l’esprit que c’est un thème pangéen par excellence ? Pour les adeptes de la Pangée, il existe, indépendamment des frontières étatiques et de l’étendue des mers, un unique peuple celte éclaté : ce peuple est censé partager des traits naturels communs, qu’il appartient à la radio bretonne de mettre en valeur et d’illustrer. Dans ces causeries, il n’est nullement question de quelconques relations commerciales entre les pays celtiques : ne sont abordées que les situations linguistiques et culturelles du pays de Galles, de la Cornouailles ou bien de l’île de Man, ce qui revient toujours en fin de compte à parler de la situation bretonne. Ce parti pris pan-celtique permet de donner au discours une apparence universaliste, de faire naître l’universalisme derrière le localisme, et d’appeler général un particulier agrandi. Des causeries se dégage encore l’une des caractéristiques de la Pangée, à savoir l’abolition du temps, au profit d’un éternel présent amalgamant le passé et le futur. Aux côtés d’un temps sans repère, subsiste l’ espace , seul : la Pangée, c’est un espace intemporel ; c’est aussi un espace naturel, qui est là de toute éternité, et, encore une fois, hors du temps, puisque celui-ci est aboli. Connaître l’histoire de la Pangée permet à l’aspirant pangéen de trouver le chemin qui y mène.
74 Le 29 avril 1944, M me Guerchet donne, à Rennes-Bretagne, une causerie intitulée « l’exemple d’une institutrice de Haute-Bretagne » : c’est l’histoire d’une maîtresse d’école de la région nantaise qui, il y a une vingtaine d’années, inculquait à ses élèves une éducation bretonne.
« Arabat ankounac’haat, avat, e oa al labour dellidek-se hini ur vaouez n’he doa koulz lavaret biskoazh gwelet Breizh-Izel, na klevet tra diwar-benn ar Barzhaz-Breizh, pe vraventez ar brezhoneg, ur vaouez hag a oa bet kuzhet outi istor he bro, n’ouie netra a-zivout sonerezh dispar kanaouennoù gwir hor pobl, ur vaouez tremenet dre ar Skol Normal e-lec’h ma oa bet klasket sankañ en he fenn e-doug tri bloaz ar menozioù gall ar gwashañ. Enni hec’h-unan, diskoazell- krenn, o stourm er c’hontrol ouzh an deskadurezh c’hall o pouezañ warni, he doa ar Vreizh-Uheladez-se kavet he c’harantez evit Breizh, ur garantez dizampart a-wechoù, hogen ur garantez wirion atav. Hag ar skouer-se, daoust ha n’eo ket ur frealz evidomp hag ur spi en amzer da zont ?
Il ne faut cependant pas oublier que ce travail méritoire était celui d’une femme qui n’avait pour ainsi dire jamais vu la Basse-Bretagne, ni jamais entendu parler du Barzaz-Breiz, ou de la beauté de la langue bretonne, une femme à qui on avait caché l’histoire de son pays, qui ne savait rien de la musique incomparable des chants authentiques de notre peuple, une femme qui était passée par l’École Normale où, pendant trois ans, l’on avait essayé de lui bourrer le crâne avec les pires idées françaises. C’est en elle seule, dépourvue de tout appui, en luttant au contraire contre l’éducation française qui pesait sur elle, que cette Haut-Bretonne avait trouvé son amour pour la Bretagne, un amour maladroit parfois, mais un amour véritable toujours. Et cet exemple-là, n’est-il pas pour nous un réconfort et un espoir pour l’avenir 115 ? »
75 C’est le moment de se rappeler le titre de l’ouvrage de Roparz Hemon de 1931 : Eur Breizad oc’h adkavout Breiz /Un Breton qui retrouve la Bretagne. L’exemple ci-dessus montre à l’envi qu’une nature bretonne existe bien, qui n’attend que de se révéler à la conscience des Bretons eux-mêmes. Dans une causerie radiodiffusée du 24 septembre 1941, c’est Roparz Hemon lui-même qui, cette fois, rappelle sa propre expérience de « redécouverte » de la Bretagne. Le maître certifie qu’actuellement beaucoup de Bretons font la même expérience, non pas individuellement comme autrefois, mais collectivement. Pour lui, la radio est un bon exemple de l’appropriation par les Bretons de leur pays et de leur culture : « Studi hag unvaniez, setu amañ ar ger-stur he deus dibabet ./Étude et union, voilà la devise que la radio s’est choisie 116 . » L’union sacrée se dessine en effet, c’est tout au moins ce que l’auteur laisse entendre en fournissant dans cette même causerie deux autres exemples : la nouvelle orthographe peurunvan (motà- mot « complètement, totalement unifiée 117 ») et l’Institut Celtique. Parlant au micro de Rennes-Bretagne, Roparz Hemon ne manque pas de rappeller le rôle de cette radio : il lui revient d’ éduquer le peuple, et de l’aider à retrouver la Bretagne. Pour parvenir à un tel objectif, la radio, toujours elle, est un moyen privilégié, et un cycle d’émissions sur l’histoire de la Bretagne devrait permettre de réveiller les consciences endormies. C’est ainsi que, en décembre 1943 et durant les premiers mois de 1944, Rennes- Bretagne diffuse une série de causeries réalisées par Pol Le Gourriérec – sous le pseudonyme de Pol Lannester ou de Pol ar Floc’h – sur l’origine de la Bretagne. Entrent ainsi en scène Nominoë et Salomon, les princes de l’éphémère royaume breton. Arvor publie le texte de ces causeries : on y chercherait en vain une quelconque conclusion hâtive sur la nécessité de suivre l’exemple de Nominoë boutant les Francs hors de Bretagne. On a tout simplement l’air de rappeler des événements anciens de l’histoire du pays. On serait alors tenté de les placer du côté du temps , et non de l’ espace . Pourtant, elles participent bien – peut-être malgré leur auteur lui-même – à la vision de l’histoire que réclame la Pangée, une histoire qui est une galerie de tableaux de héros et de personnages figés à jamais. Cette vision n’est en rien originale et ne fait que calquer le modèle de l’historiographie française : l’histoire de la Pangée, c’est un panorama, autrement dit, un espace .
76 Le 22 juillet 1943, François Debauvais et Jos Youinou donnent une causerie sur « L’histoire en langue bretonne ». Les différents événements de cette histoire ont été déformés pour faire apparaître d’évidence que la Bretagne n’avait jamais formé un peuple animé de sa vie propre, « ur ouenn dezhi disheñvel-krenn diouzh hini ar C’hallaoued, dezhi ul lusk taer a aloubidigezh a lakaas war vrall buhez dister Bro-C’hall o tiwanañ /une race complètement différente de celle des Français, mise en branle par de violentes poussées d’invasion qui mirent à mal la vie chétive d’une France en train de naître 118 . » Bref, la vie de la Bretagne, l’âme de la Bretagne avaient été niées. Ce qui est martelé, c’est que le peuple breton est toujours, malgré l’aliénation qu’il a subie, le peuple fier et glorieux qu’il a été et qu’il va redevenir au grand jour : ici encore, présent, passé et avenir sont mêlés, mais toujours au profit du présent. L’occasion est donc bonne de rappeler que les voisins, eux, filent un mauvais coton. C’est du moins le sentiment de Youenn Drezen, tel qu’il s’exprime le 24 octobre 1942 dans une causerie intitulée « Ar ouenn hag ar sport /La race et le sport » :
« Feiz ! me lavar diouzhtu on chomet digor va genou an deiz all o lenn ar gazetenn Auto.
Rentañ a raed kont enni eus kevezadeg an neuerezh en ur gêr vras. Setu amañ anvioù an neuerion wellañ. Moulet e oa an anvioù-se gant lizherennoù bras war ar gazetenn : Morgen, Robcoff, Jesum, Nakache, Kovacs, Cecchini, h. a.
Pelec’h e kred deoc’h e tirolle ar c’hoarioù sportel-se ?… E New York ? peogwir eo deut an Amerik da vezañ repu holl ouennoù ar bed-holl, pe un tu bennak en-dro da Jeruzalem ha tour bras Babilon ?…
Nann, feiz-Doue ! E kalon unan eus ar c’hêrioù ar gallekañ, ne lavaran ket, e kêr Lyon, brasañ kêr ar Frañs goude Paris. Hogen, pelec’h e oa ar Fransizion, e-touez an holl gampioned-se ? Fransizion gant anvioù gallek, evel just, pe anvioù broadel, ha kreisteizat zoken ? Na liv na roud anezho… nemet ur Breizhad bennak, evelMorvan, Guillou, Le Bras, h. a., ha daou pe dri Elsasad, evel Müller… Soñjal a ris neuze e oa bet bodet, e Lyon, evit ur genstrivadeg, ar pep ampartañ, an dibab eus an neuerion estrañjour, evel ma veze graet araok ar brezel, e-kerz ar C’hoarioù Olumpel, hag e klaskis anvioù ar c’hluboù, hag anvioù ar broioù estren o doa kaset o c’hannaded da Lyon. Ha setu petra a rankis gwelout ha kemer evel ar wirionez : Fransizion e oa an holl baotredse, hag o c’hluboù a oa re Lyon, eeun-hag-eeun, Tourcoing, Orléans, Marseille, Castres, Annecy, Clermont-Ferrand, h. a., h. a
Petra soñjal diwar-benn kement-mañ ? Ha roet o deus ar wir C’hallaoued o dilez er sportoù, evel ma reas ar Romaned kozh war o diskar, pa oant deut re binvidik, ha diwar o finvidigezh, re lezirek ha re laosk evit keñveriañ o nerzh gant hini ar Varbared yaouank ?…
Pe chomet eo yaouankizoù ar Frañs, en despet d’ar brezel ha d’hor gwalleurioù, muioc’h douget d’an aperitif eget d’ar sportoù yac’h ?… Hag e lezont an estren, badezet Frañsizion, da zougen banniel o enor ?…
Doue ra viro !…Rak, ma vefe gwir, e vefe ar Frañs tost ouzh he diskar, hag e c’hoarvezfe ganti pezh a c’hoarvezas gant Roma Gozh…
Ar sport a zo un dra, evel ar muzig, an arzoù-kaer, ar garantez. Ar sport a zo dreist ar mamm-vroioù, hag evidon-me e kavan kaer ur reder du, pe un dornataer, ur boxer yankee, pe ur skiour eus broioù an erc’h. Kaer e kavan o gwelout e-kreiz o striv, hag enor a reont d’o gouenn ha d’o bro. Rak mar deo diazezet nerzh ur vro e skiant-prenañ ar pennoù-bras, diazezet eo kerkoulz all en izili yac’h ar wazed yaouank.
Hogen, lavarit ar pezh a garot, Peñaforte Zins, Dumarquez, hag an holl Taiebed a welomp o strivañ dindan banniel ar Frañs, ha sportourion eus ar c’hentañ anezho, ne c’hellont ket bezañ kemeret evit Frañsizion : n’o deus ket ar gwad. N’eo ket warno e c’hell kontañ Bro-C’hall, evit mirout he brud. N’he deus ket da gaout fouge gant ampartiz an estrenion-se.
Ha ni, e Bro-Vreizh, penaos emañ kont ganeomp, paotred yaouank Bro- Vreizh ? A drugarez da Zoue ha da izili hor yaouankizoù, n’hon eus ket ezhomm eus an estren da lakaat hor c’hluboù da gaout lufr. Un drugar eo lakaat da ganañ d’hon diskouarn anvioù evel re Jañ-Mari Goasmat, Per Gloareg, Tassin, An Drogo, Marsel Jezo, Ar Go, Chapalen, ha n’oar den pet all… anavezet ganeoc’h holl. Ar Vretoned o deus atav gwad dindan o ivinoù, ha setu perak e c’hellomp kaout fiziañs en amzer-da-zont ar ouenn. N’eo ket c’hoazh a-benn ar sizhun a zeu e vo gwelet morianed, Poloniz, pe baotred brizh-livet ar Sav- Heol o tont da gemer, war dachennoù ar vro, perchennoù ar sportoù dilezet gant ar Vretoned yaouank.
Dalc’homp peg, paotred yaouank, ha sport dezhi ken na foeltro !…
Eh bien, je vous vais dire d’emblée que je suis resté bouche bée l’autre jour en lisant le journal Auto .
On y rendait compte du championnat de natation dans une grande ville. Voici le nom des meilleurs nageurs. Ces noms étaient imprimés en grandes lettres dans le journal : Morgen, Robcoff, Jesum, Nakache, Kovacs, Cecchini, etc.
Où croyez-vous que se déroulaient ces épreuves sportives ?… À New York ? tant il est vrai que l’Amérique est devenue le refuge de toutes les races de l’univers, ou bien dans les parages de Jérusalem et de la grande tour de Babylone…
Eh bien non ! Je vais vous le dire, c’était au coeur de l’une des villes les plus françaises, à Lyon, la plus grande ville de la France après Paris. Mais, où se trouvaient les Français au milieu de tous ces champions ? Des Français portant des noms français, évidemment, ou des noms régionaux, et même méridionaux. Pas la plus petite ombre de l’un d’entre eux…si ce n’est l’un ou l’autre Breton, commeMorvan, Guillou, Le Bras, etc., et deux ou trois Alsaciens, comme Müller… Je me figurai alors qu’avait été rassemblée, à Lyon, pour un concours, l’élite, la fleur des nageurs étrangers, comme cela se faisait avant la guerre, au moment des Jeux Olympiques, et je cherchai les noms des clubs et les noms des pays étrangers qui avaient envoyé leurs représentants à Lyon. Et voici ce que je fus contraint de voir et d’admettre comme étant la vérité : tous ces gars-là étaient des Français, et leurs clubs étaient très précisément ceux de Lyon, de Tourcoing, d’Orléans, de Marseille, de Castres, d’Annecy, de Clermont-Ferrand, etc. etc.
Que penser de tout ceci ? Les vrais Français ont-ils laissé le sport de côté, comme le firent les anciens Romains au moment de leur décadence, quand ils étaient devenus trop riches, et à cause de leur richesse, devenus trop paresseux et trop relâchés pour mesurer leurs forces avec celles des jeunes Barbares ?…
Ou bien, la jeunesse de la France est-elle restée, malgré la guerre et nos malheurs, plus portée sur l’apéritif que sur les sports sains ?…Et ils laissent l’étranger, baptisé Français, porter le drapeau de leur honneur ?…
Dieu nous en garde !…Car, si c’était vrai, la France approcherait de son déclin, et il lui arriverait ce qui arriva à la Rome Antique…
Le sport, c’est quelque chose d’identique à la musique, aux beaux-arts, à l’amour. Le sport est au-dessus des patries, et moi je trouve superbes un coureur noir, ou un pugiliste, un boxer yankee, ou un skieur des pays de la neige. Je les trouve magnifiques quand je les vois en plein effort, et ils font honneur à leur race et à leur pays. Car si la force d’un pays est fondée sur l’expérience de ses dirigeants, elle est tout autant établie sur les membres sains de ses jeunes hommes.
Mais, vous direz ce que vous voudrez, Peñaforte Zins, Dumarquez, et tous les Taieb que nous voyons concourir sous les couleurs de la France, et il s’agit là de sportifs qui font partie de l’élite, ne peuvent être considérés comme des Français : ils n’ont pas le sang. Ce n’est pas sur eux que la France peut compter pour préserver sa réputation. Elle n’a pas à être fière des prouesses de ces étrangers-là.
Et nous, en Bretagne, où en sommes-nous, jeunes gars de Bretagne ? Grâce à Dieu et aux éléments de notre jeunesse, nous n’avons pas besoin de l’étranger pour donner de l’éclat à nos clubs. C’est un ravissement de faire chanter à nos oreilles des noms tels que ceux de Jean-Marie Goasmat, Pierre Cloarec, Tassin, Le Drogo, Marcel Jezo, Le Goff, Chapalain, et combien d’autres…que vous connaissez tous. Les Bretons ont toujours du sang dans les veines, et c’est la raison pour laquelle nous pouvons avoir confiance dans l’avenir de la race. Ce n’est pas demain la veille que l’on verra des nègres, des Polonais ou les gars basanés du Levant, venir saisir, sur les terrains de sport de notre pays, les perches des sports qu’auraient abandonnés les jeunes Bretons.
Tenons bon, les gars, et du sport à en faire péter 119 !… »
77 On aura reconnu dans ce long passage le thème de la race à promouvoir, en l’espèce la race bretonne. Pour ce qui est de la race française, Youenn Drezen souligne avec complaisance qu’elle est en état de dégénérescence, et c’est là une opinion qu’il partage avec un certain nombre de collaborationnistes français – on relèvera au passage la grande absence d’originalité du mouvement breton de cette époque 120 . Un des postulats de base de la théorie raciste, c’est que la dégénérescence est essentiellement due au métissage ; tous ces thèmes, Youenn Drezen – sous le pseudonyme de Tin Gariou – les reprendra dans L’Heure Bretonne 121 . Sur les ondes, ces idées seront reprises également et diffusées en breton par Erwan Kroezer, alias Job Jaffré. Dans une causerie du 6 février 1943, ce dernier s’exprime sur le propos :
« Ne vez ket maget hepken ar yaouankiz gant bouetaj speredel ha soñjoù du. Hag o lavarout kement-mañ e teu din soñj eus ar Vro-se a zo bremañ da benn Broioù an Europ hag a zo desavet he yaouankiz hervez ar pennstur-mañ : an Nerzh dre al Levenez. Ha gwelout a rit bemdez talvoudegezh ar vro-se !
On ne nourrit pas la jeunesse qu’avec de la bouffe intellectuelle et des idées noires. Et en disant ceci, me vient à l’esprit ce Pays-là qui est maintenant à la tête des Pays d’Europe et qui a élevé sa jeunesse selon cette maxime : la Force par la Joie. Et vous voyez tous les jours la valeur de ce pays-là 122 ! »
78 Il y a ici une référence évidente à l’organisation des loisirs de l’Allemagne hitlérienne : Kraft durch Freude 123 . Ainsi, Youenn Drezen et Job Jaffré apportent un commencement de réponse à la question posée en préambule, à savoir : quelle est la nature de ces émissions culturelles ? Culturelles si l’on veut, mais en partant du sens allemand du mot Kultur . Nos Bretons se situent tout à fait dans l’extrême droite ligne de la nouvelle culture européenne mise en valeur par le Reich : il faut former la jeunesse, avenir de la Pangée, sur le modèle culturel allemand. Kraft durch Freude : une Pangée hors du temps , certes, mais dont l ’espace doit à présent se rattacher au modèle national-socialiste.
79 À l’image de la race bretonne, l’espace de la Pangée se doit d’être préservé de toute souillure. Dans une causerie du 14 mars 1942 124 , Roparz Hemon, à propos du Folgoët et de son pardon, ne manque pas de rappeller que cette fête religieuse est le prolongement des rassemblements des anciens Celtes. Il conclut comme suit :
« Eus holl bardonioù bras Breizh-Izel, ez eo hini Ar Folgoad a oar ar gwellañ chom breizhat, en em zifenn ouzh an astut : an termaji hag an douristed. Amañ n’eus ket a dermaji. Merc’hed hepken o werzhañ chapeledoù, dizenezioù, medalennoù, skeudennoù ha delwennoù bihan, piledoù-koar, kantikoù ha kanaouennoù.
De tous les grands pardons de Basse-Bretagne, c’est celui du Folgoët qui sait le mieux rester breton, le mieux se protéger des minables : les forains et les touristes. Ici, il n’y a pas de saltimbanques. Seulement des femmes qui vendent des chapelets, des dizeniers, des médailles, de petites images et de petites statues, des cierges, des cantiques et des chansons. »
80 Le temps est aboli : cette causerie présente encore l’image d’une Bretagne éternelle et intemporelle, fervente et saine qui sait heureusement se préserver de la souillure ; un espace , où passé et présent, passé et futur se rencontrent. Dans une autre causerie de type géographique, c’est la ville de Rennes dont il est question. Du point de vue pangéen, la capitale de la Bretagne, présente un scénario en or. En effet, Rennes est une ville où l’on n’a jamais parlé breton. Or, dans la perspective d’une Bretagne éternelle et éternellement bretonnante, il faut bien que la capitale ait parlé, parle actuellement et soit appelée à toujours parler breton. C’est ce que proclame Guillaume Berthou dans l’émission du 1er août 1942 : « Ya, Roazhon a vo adarre ur gêr vrezhonek, ha neuze e vo da vat kêrbenn ha kalon Breizh abezh ./ Oui, Rennes sera de nouveau une ville bretonnante, et elle sera alors pleinement la capitale et le coeur de la Bretagne intégrale 125 . »
81 La langue bretonne, faut-il le rappeler, tient une place de premier rang dans la Pangée. En écoutant la voix de ce nouveau pays, on se fait tout à fait à l’idée que le breton est en train de se tailler, durant ces années de guerre, une place de langue nationale parmi les autres langues nationales de l’Europe : il s’agit bien d’une langue bretonne telle que la Pangée la conçoit, telle qu’elle la façonne à partir de son état, à ses yeux, abâtardi dans le peuple et telle qu’elle la promeut, notamment par la nouvelle orthographe et par toute la production radiodiffusée. Car, évidemment, la langue pangéenne est bien autre chose que le pauvre breton du petit peuple : elle renoue avec la langue des origines qui, par essence, est pure et qui s’enrichit des mots nouveaux grâce auxquels elle est une langue pour le présent, comme aussi la langue de l’avenir. Dans cet esprit, on relève de nombreuses causeries consacrées aux publications en breton. C’est ainsi que, le 10 octobre 1942, Youenn Drezen présente sa rubrique coutumière intitulée « À travers les livres et les journaux 126 ». Il passe en revue les deux derniers numéros de Gwalarn :
« Ha pebezh danvez en daou levr tev-se ! Evit komz heñvel ouzh ar wirionez, pennadoù-skrid Gwalarn n’int ket graet evit ar Vrezhoned n’o deus lennet o yezh nemet e levr Buhez ar Sent ! Ret eo bezañ desket e pep feur, ha zoken e brezhoneg, evit en em zibab er pennadoù-se. Hogen pebezh dudi evit hor c’henvroiz ouiziek ! Eus ar re-mañ ez eus meur a hini ouzh va selaou moarvat.
Et quelle matière dans ces deux épais numéros ! Pour parler en toute franchise, les articles de Gwalarn ne sont pas faits pour les Bretons qui Réédité en 1980 par Al Liamm dans une version expurgée. n’ont lu leur langue que dans La Vie des Saints ! Il faut être instruit dans tous les domaines, et surtout en breton, pour maîtriser ces articles. Mais quel plaisir pour nos compatriotes instruits ! Je sais qu’il y en a beaucoup qui m’écoutent. »
82 Ce court extrait nous informe, ou nous rappelle, que le public visé, c’est vraiment l’élite, une élite tellement éloignée de la langue parlée dans les campagnes qu’on a créé pour elle l’hémonien : Youenn Drezen admet même qu’il existe une distance entre le breton et l’hémonien. Un an plus tard, le 20 novembre 1943 127 , à la faveur de la présentation de En ur rambreal 128 , roman de Jean Guerchet qui signe Yann-Vari Kerwerc’hez, Youenn Drezen insiste sur le fait que dans cette oeuvre sont présentés et une Bretagne saine et des Bretons sains. Tout en faisant une remarque sur la syntaxe parfois hésitante de l’auteur, il observe que ce sont des néo-bretonnants qui ont mis au point, on peut bien le dire, une nouvelle langue : ils ont forgé un outil adapté à leurs mains. A cette néo-langue, tout à fait pangéenne, correspond et convient une nouvelle orthographe, celle adoptée le 8 juillet 1941. Dans sa causerie du 28 août 1943 129 , Drezen, se faisant l’écho de la publication d’un nouveau dictionnaire par Roparz Hemon, insiste sur l’importance de cet ouvrage qui est rédigé dans la nouvelle orthographe. Il conclut comme suit : « N’eus mui na K.L.T. na Gwenedeg. N’eus mui nemet ur brezhoneg skrivet, pinvidikaet-souezhus gant peder eienenn-bobl. /Il n’y a plus ni K.L.T. ni Vannetais. Il n’y a plus qu’un breton écrit, étonnamment enrichi par quatre sources populaires ».
83 De même, dans le domaine littéraire, Abeozen s’efforce-t-il d’établir dans un éternel présent toute la production bretonne antérieure, y compris celle qui a reçu à juste titre l’appellation de « populaire ». Voici par exemple le titre de ses évocations : Ar gwerzioù, melezour ene ar bobl vreizhat / Les « Gwerzes », miroir de l’âme populaire bretonne ; Soniou Breiz-Izel, hekleo buhez eur bobl /Les Sônes, échos de la vie populaire bretonne 130 . Ces titres peuvent paraître banals et inoffensifs. C’est peut-être bien plus compliqué : gwerzes et sônes sont littéralement « évoquées » par Abeozen, c’està- dire, rappelées du monde des morts dans celui des vivants. Ce qu’il veut mettre en lumière, c’est la littérature éternelle de la Bretagne, celle forgée, aussi loin que l’on se souvienne, par le peuple breton : voilà pourquoi elles forment un miroir, ou un écho, de l’âme tout autant que de la vie de ce même peuple. Et rien que de celui-là. Dans l’espace breton s’étend et se répand une littérature de la Bretagne que la Pangée veut intemporelle et éternelle. Ce qui n’empêche pas de mettre en vedette, dans les causeries, quelques personnages, sous forme de panorama : Georges Le Rumeur 131 (le 28 janvier 1942), Claude Le Prat 132 (le 16 mai 1942), Tanguy Malmanche 133 (le 25 juillet 1942), Joseph Le Bayon 134 (le 29 avril 1943), Louis le Floc’h 135 (le 10 juillet 1943)…
84 Le breton hémonien n’existe pas que sous une forme orthographique et même écrite dans des textes littéraires : les causeries radiodiffusées témoignent de sa réalité langagière, orale et commune… tout au moins pour quelques-uns. De même que la nouvelle langue écrite a été baptisée par l’adoption, le 8 juillet 1941, de l’orthographe totalement unifiée, de même la nouvelle langue parlée devient-elle officielle le 15 novembre 1941 : c’est en effet ce jour-là que fut inaugurée « l’université Émile Ernault », et c’est Jean Piette 136 qui a donné à la date ci-dessus toute l’importance qu’elle revêt à ses yeux. En effet, dans une causerie du 4 décembre 1943 137 , il revient sur cette inauguration :
« A-dra-sur, levrioù pouezus war bep seurt danvezioù uhel a zo bet savet dija e brezhoneg, hogen evel ma lavaras Roparz Hemon en e brezegenn-digeriñ levr ebet ne dalv war mouezh an den. Ouzhpenn-se, e brezhoneg ez eus un abeg muioc’h : ar brezhoneg uhel a chome tra peuzvarv, ur yezh skrivet nemetken, un doare sanskriteg ; adal ar 15 a viz Du 1941 eo deut da vezañ ur yezh vev.
Assurément, on a déjà rédigé en breton des livres importants sur toutes sortes de sujets élevés, mais comme le dit Roparz Hemon lors de sa conférence inaugurale, aucun livre ne l’emporte sur la voix humaine. En outre, il y a en breton un argument supplémentaire : le breton de haut niveau demeurait une réalité presque morte, une langue écrite seulement, une sorte de sanscrit ; depuis le 15 novembre 1941, il est devenu une langue vivante. »
85 On perçoit dans ces extraits une sorte de sainte ivresse, celle qui habite les hommes des commencements. Les Pangéens estimaient en effet que le monde, en tout cas le monde breton, commençait avec eux. Pratiquer la nouvelle langue bretonne, l’écrire, la parler, relève d’une activité d’apostolat. Prenons le cas de Roparz Hemon, par exemple, qui, dans sa causerie du 7 novembre 1942, s’adresse « aux bretonnants de Rennes » – il s’agit notamment d’étudiants de l’université d’État originaires de la Basse- Bretagne 138 : « E Roazhon evel e pep lec’h, ni brezhonegerion a ro ar skouer vat d’an holl Vrezhoned dre ober pep tra hon-unan-penn ./À Rennes, comme partout, nous les bretonnants nous donnons le bon exemple à tous les Bretons en menant nos affaires par nous-mêmes. » Ceci relève de la théo- rie ; ce qui suit, de la pratique : le 18 février 1943, Yves Tymen rappelle, dans une causerie consacrée au « breton dans le cercle celtique 139 », que c’est un devoir de le parler partout et en tout lieu. Ce doit être un exemple pour le peuple :
« Pa welo hor c’henvroiz ez eo ar brezhoneg evidomp, nann ur si ma reomp gantañ dre voaz, hogen ur perzh a lorc’h, dont a raint d’hon heul. Ar c’helc’h keltiek en devo tizhet e bal, ha se dre ar brezhoneg.
Lorsque nos compatriotes verront que le breton est pour nous, non pas une tare dont nous nous accommodons par habitude, mais un élément de fierté, ils nous suivront. Le cercle celtique aura atteint son but, et cela par l’intermédiaire du breton. »
86 Le mot commun à ces deux derniers extraits, c’est nous . « À Rennes, comme partout, nous les bretonnants nous donnons le bon exemple à tous les Bretons en menant nos affaires par nous -mêmes. » « Lorsque nos compatriotes verront que le breton est pour nous , non pas une tare dont nous nous accommodons par habitude, mais un élément de fierté, ils nous suivront. » Dans ces deux extraits, qui est le nous ? Nous , c’est le causeur luimême et ce sont les bretonnants, qu’à défaut de mieux, j’appellerai militants. Ce nous peut aussi s’adresser à ceux qui ne sont pas encore acquis complètement à la cause, mais qui peuvent ainsi s’identifier à elle, et devenir des nous . Ce nous induit une connivence entre ceux qui sont ainsi désignés et sous-entend leur adhésion à un certain nombre d’idées reçues et de stéréotypes communs 140 et, même, à une idéologie commune : l’idéologie pangéenne. Dans ces deux exemples, c’est la Pangée qui se parle à ellemême, pour se faire exister 141 .
87 Pangéennes, les causeries le sont toutes, par nature et par nécessité. Car, elles se déclinent sur deux modes : dans un cas, on cause, on parle pour convertir et on dira « nous » ; dans l’autre, on parle pour éduquer et on dira « eux ». Parmi les causeries qui s’adressent aux bretonnants, on peut donc distinguer celles destinées à des Pangéens et celles qui le sont à des non- Pangéens. Il serait plus juste de dire que l’on fait semblant de s’adresser à des bretonnants non-Pangéens, ce qui est encore une attitude pangéenne. Devant une poignée d’auditeurs convertis, on crée des auditeurs virtuels, on s’inscrit dans une réalité tangible. Les causeries agricoles tiennent le plus grand compte du réel : il le faut bien, si l’on veut, s’agissant par exemple des agriculteurs, qu’ils fassent leur profit hic et nunc des conseils donnés par Levot-Becot. Aussi bien, les exhorter à cultiver le maïs correctement, c’est s’ancrer dans le temps. Mais, je pense que ces causeries ne s’adressent pas vraiment aux paysans – qui, de toute façon, ne les entendent pas – mais bien au nous , tout comme d’autres causeries qui dressent un tableau de la vie matérielle en Bretagne : c’est le cas de celle de Guerchet sur « la population de Bretagne ». Diffusée le 28 janvier 1943, elle commente les chiffres de la population bretonne, département par département 142 . Le 11 novembre 1943, le même Guerchet réalise une causerie sur « l’importance du Pays Nantais dans l’économie bretonne » : l’auteur s’appuie sur des considérations économiques et géographiques de son temps 143 . Qui se soucie de débattre, en breton, de « l’importance du Pays Nantais dans l’économie bretonne » ? De même, le réel, on peut le voir pris en compte lorsqu’il est question des locuteurs du breton et de la pratique de la langue. C’est le cas d’une causerie réalisée par Jean Ezel 144 , le 22 septembre 1943 145 , laquelle parle des habitants de Douarnenez. Il explique que le breton est la langue des marins et que, même si l’on parle français aux enfants ici depuis une quarantaine d’années, lorsque ceux-ci embarquent, ils apprennent le breton. Il ajoute que c’est un bon breton que ces enfants apprennent, même s’il se révèle un peu grossier. Ici, l’auteur se situe délibérément dans le temps et l’espace. Mais, il ne s’adresse pas aux habitants de Douarnenez : il parle d’ eux à nous 146 .
88 En mai 1941, Arvor avait publié une série d’articles critiquant la tiédeur régionaliste du poste breton. Dans un éditorial, Louis-Fernand Andouard écrit que « le peuple de Bretagne souffre et lutte suffisamment pour qu’on se penche avec lui sur ses besoins et pour qu’on l’aide 147 ». Il poursuit en précisant qu’il ne nie pas « le mérite des dirigeants et des bons ouvriers de Rennes-Bretagne qui, avec un dévouement réel s’efforcent de mener à bien, malgré des moyens réduits une oeuvre difficile mais nous aimerions les voir quitter les petits chemins creux – si agréables ! j’en conviens – du régionalisme pour les grandes routes nationales pleines de lumière et de vie ». Il demande que Rennes-Bretagne entreprenne une « oeuvre d’éducation populaire » et, notamment, que des causeries sur l’agriculture bretonne soient transmises. Ces propos reflètent une attention portée au peuple, et un souci de l’éduquer. Andouard parle des « besoins » du peuple. Attitude louable, s’il en est. Pourtant, le reste de l’article n’est pas très explicite sur les moyens à mettre en oeuvre et sur les buts à atteindre. L’ » éducation populaire » dont il se proclame, est-elle nationaliste ? Vise-t-elle à aider le peuple aliéné à « retrouver » la Bretagne ? Le peuple – et notamment la paysannerie – sont à la base de toute revendication nationaliste : les paysans sont les gardiens des valeurs universelles du peuple. C’est chez eux , à l’intime de leurs foyers, que couvent les braises de la Nation. Ce feu, il faut le maintenir vivant en en protégeant les tisons et en soufflant dessus. Andouard a-t-il été entendu ? Toujours est-il qu’en juillet, c’est Roparz Hemon, directeur d’ Arvor qui est placé à la tête de la radio et que les premières émissions agricoles bilingues débutent en juillet. Peut-on voir dans ces changements un coup de force d’ Arvor , et dans la nomination de Roparz Hemon, la volonté politique allemande de faire une radio nationale, et non plus seulement une radio régionaliste bon teint ? On peut en douter, d’autant plus qu’elle n’est pas audible en Basse- Bretagne… et que tout le monde le sait. La solution, c’est de faire semblant : on façonne un nous idéal auquel on s’adresse. C’est ce qui explique, selon moi, les deux modes d’expression des causeries, le nous et le eux 148 .
89 Au demeurant, qu’en est-il des pièces de théâtre radiodiffusées ? La très grande majorité de celles que j’ai pu lire sont situées hors du temps. C’est le cas des contes, qui sont si intemporels qu’on a pu dresser une « morphologie 149 » des types qui y figurent, et c’est aussi le cas des farces qui sont situées le plus souvent dans un espace bien breton, mais hors du temps . Les contes véhiculent des types et baignent dans le merveilleux, les farces véhiculent aussi des types, mais, théoriquement, elles sont réalistes. De même, les drames écrits par des auteurs bretons – notamment Roparz Hemon – ou bien traduits de grandes oeuvres 150 présentent des thèmes et des personnages aux traits de caractère universels. C’est un théâtre très rationnel dans lequel thèmes et conflits ont une valeur intemporelle : c’est un théâtre qui se trouve hors du temps et, parfois même hors d’un espace proprement reconnaissable 151 ; c’est aussi et surtout un théâtre où la psychologie des personnages tient une place très grande, voire essentielle. Doit-on y voir une influence de Ibsen ? Toujours est-il que l’on retrouve chez cet auteur,
Notes de bas de page
1 Eur Breizad divroet , « Roazon-Breiz. L’opinion d’un Breton émigré », Arvor , n° 33, 17 août 1941, p. 1.
2 « On demande une Radio bretonne plus puissante », L’Heure Bretonne, n°109, 15 août 1942, p. 3. La suite de cet encart dit : « Tous les autres postes sont faibles ou étouffés, y compris Radio-Paris. Les auditeurs bretons sont obligés de subir les élucubrations de la “Bibissi” s’ils veulent saisir au vol quelques émissions bretonnes ou même françaises. Étonnons-nous après cela que certaines [ sic ] de nos compatriotes croient encore en la puissance des “Tommys” ! Nous savons que des améliorations ont été déjà apportées au fonctionnement du poste de Roazon-Breiz. Mais c’est encore insuffisant : nous demandons que dans toute la Bretagne on puisse entendre la radio bretonne ; c’est une exigence qui ne peut froisser personne. »
3 Yves Le Drézen (1899-1972). Publie en 1941 un roman intitulé Itron Varia Garmez , traduit en français sous le titre Notre-Dame des Carmes .
4 Tin Gariou, « Aman, Roazon-Breiz ! Ia, met ne glever ket », L’Heure Bretonne , n° 119, 24 octobre 1942, p. 1.
5 Cette enquête est annoncée en première page du n° 89 d’ Arvor (20 septembre 1942) : on trouve en page 2 de ce même numéro un questionnaire (« follenn-enklask ») à expédier à l’Institut Celtique.
Cf . aussi « Aidez la Radio bretonne ! », L’Heure Bretonne , n° 116, 3 octobre 1942, p. 3.
6 « Enklask ar radio », Arvor , n° 118, 18 avril 1943, p. 2.
7 Archives personnelles de l’abbé Le Clerc. J’ai eu connaissance de ce courrier grâce à l’obligeance de Frédéric Le Personnic.
8 ADIV 213W66. Procès Némo. 3. Information : pièce 39 ; « pièces remises par le CDL Pièce n° 96 ».
9 Tin Gariou, « Aman, Roazhon Breizh !... Evit kaout eo ret goulenn », dans L’Heure Bretonne , 19 mars 1944, n° 190, première page.
10 L’Heure Bretonne , n° 21, 30 novembre 1940. Article signé C. Le Du.
11 L’Heure Bretonne , n° 24, 21 décembre 1940, p. 2. Le Brestois dit : « Moi, je suis de Brest ; oui, de Saint-Martin. Bonne soirée au père…et à toute la famille…Dormez bien…moi je parle breton… oui, bonne santé à ma petite soeur…Dormez bien… »
12 Cf . par exemple, publiés dans L’Heure Bretonne : « A la porte les juifs et les enjuivés » (n° 105, 18 juillet 1942, p. 1 et n° 109, 15 août 1942, p. 1) ; « Les Français sont-ils des Juifs ? » (n° 106, 25 juillet 1942, p. 2)… La Bretagne n’est pas en reste et, sous la plume de Lan hag Herve , dans la rubrique « arseizh avel », on lit, en breton cette fois, des articles violemment antisémites (« Jakob ha Jakob a zo ! /Il y a Jacob et Jacob ! », n° 398, 30 juin 1942 ; « Ar yuzevien hag ar brezoneg /Les juifs et la langue bretonne », n° 414, 18-19 juillet 1942 ; « Ar steredenn-velen /L’étoile jaune », n° 432, 8-9 août 1942).
Cette rubrique était dirigée par Xavier de Langlais (1906-1975) qui fit appel à de nombreux collaborateurs : cf . Langleiz [Xavier de Langlais], « Ar seizh avel. (Ur pennad-skrid e brezhoneg bemdeiz !).War roudoù Lan hag Herve », Al Liamm , n° 161, du-kerzu 1973, p. 438-446.
13 L’Heure Bretonne , n° 24, 21 décembre 1940, p. 3.
14 En français dans le texte.
15 idem .
16 L’auteur fait référence à une manifestation inspirée par Londres : le 1er janvier 1941, les Brestois sont appelés à déserter les rues. « Par le canal de la BBC, les Français parlent aux Français. Le 1 er janvier, en milieu d’après-midi, une heure de recueillement et de deuil tient presque tous les habitants chez eux. Les rues se vident d’un seul coup. Personne dehors » (A. Kervella, Brest rebelle. 1939-1945 , op. cit ., p. 85).
17 L’Heure Bretonne , n° 33, 22 février 1941, p. 4. Article intitulé « Aman Radio Londrez /Ici Radio Londres » signé « Sezni », pseudonyme de Paul Le Reste (1914-1968), dentiste brestois et membre actif du PNB ( cf . Lukian Raoul, Geriadur ar skrivagnerien ha yezhourien , Al Liamm, 1992, p. 268). Sezni signera d’autres articles violemment anti-anglais ( cf ., par exemple, « Brestiz a-enep an Anglichen /Les Brestois contre les Anglais », L’Heure Bretonne , n° 138, p. 1).
18 Au même moment, Radio-Paris s’adonne à une propagande antisémite des plus violentes : cf . J.-L. Crémieux-Brilhac, H. Eck, chapitre consacré à la France, dans La guerre des ondes…, op. cit. , p. 53- 57.
19 L’Heure Bretonne , n° 50, 21 juin 1941, p. 1. Dans ce même numéro, R. Delaporte signe un éditorial intitulé « Un grave problème pour la Bretagne de demain : La protection de la race bretonne » (p. 1 et 2) et le slogan du jour, imprimé à droite de la première page est le suivant : « Pour assurer l’avenir de la Bretagne une politique de la Race ? Mais oui !… »
20 Essai réédité en 1977 par les Éditions Kelenn, avec une postface de l’auteur.
21 L.F.A., « Pas assez de breton à Rennes-Bretagne ! », n° 20, 18 mai 1941, p. 1. L.F.A. est un des pseudonymes de Louis-Fernand Andouard (1904-1985) : de 1941 à l’été 1943, il fut un des rédacteurs principaux d’ Arvor .
22 Cf . Arvor , n° 21, 25 mai 1941, p. 2.
23 Cf . Arvor , n° 23, 8 juin 1941, p. 1-2.
24 Skinlonk , « Notre radio. Roazon-Breiz », Arvor , n° 30, 27 juillet 1941, p. 1. Skinlonk signifie « qui avale des rayons ». Il serait le pseudonyme de Guillaume Berthou (1908-1951) qui était administrateur d’Arvor , et aussi rédacteur à L’Heure Bretonne . J’utilise le conditionnel, car Malo-Renault est le seul à l’attribuer à Berthou, et encore avec un point d’interrogation ( cf . J. Malo-Renault, Les pseudonymes des Bretons. XVIe-XXe siècles , vol. I et II, Studi n° 32 et 33, janvier 1987 et mars 88, 133 et 214 p.).
25 Skinlonk , « Radio-Roazon. Skrivit ! », Arvor , n° 31, 3 août 1941, p. 1.
26 Cf ., par exemple, « L’opinion d’un Breton émigré », publiée dans le n° 33 (17 août 1941) : cet émigré propose que des « leçons de prononciation consistant en la lecture à voix lente de mots, de phrases, voire même de textes simples » soient instaurées sur les ondes bretonnes. Il demande aussi que les programmes de la radio soient publiés à l’avance par Arvor : de fait, ce même n° 33 ouvre la rubrique « Programme de Rennes-Bretagne » où figure le contenu des deux prochaines émissions.
27 Skinlonk , « La double tâche de Rennes-Bretagne », Arvor , n° 32, p. 1-2.
28 J. Pendu, « Radio Roazhon Breizh a un an », L’Heure Bretonne , n° 70, 8 novembre 1941, p. 4.
29 Sezni, « Ici Rennes-Bretagne… Aman Roazon-Breiz », L’Heure Bretonne , n° 72, 22 novembre 1941, p. 3.
30 Cf . J. Malo-Renault, Les pseudonymes des Bretons… , op. cit. L. Raoul, dans la notice consacrée à Mordrelle, ne fait pas figurer Fri-Lemm au répertoire des nombreux pseudonymes de cet auteur ( Geriadur ar skrivagnerien , op. cit. , p. 314-316).
31 C’est l’auteur qui souligne. « Radio-Folklore », Stur , première année, nouvelle série, n° 3-4, juillet-août 1942, p. 50-52.
32 Cf . R.-A. Pois, La religion de la nature et le national-socialisme , op. cit.
33 Cf . le témoignage du Gallois Ambrose Bebb, traduit en breton : Koroll an Ankou , Brud Nevez, Emgleo Breiz, 1998, 141 p. ; cf . Conseil National Breton, Déclaration – Programme , Pontivy, 3 juillet 1940, Rennes, 1940, sans pagination.
34 O. Mordrel, Breiz Atao. Histoire et actualité du nationalisme breton, op. cit .
35 Cf . la lecture critique de cet ouvrage de Mordrel par Jean-Yves Guiomar, « Un séducteur dans le désordre : Olier Mordrel », La Taupe bretonne , n° 5, novembre 1973, p. 85-100.
36 Traduction de Goulven Pennaod et Alain Le Berre, préface de Guy Étienne, op. cit .
37 Éléments pour la civilisation européenne. Revue de la nouvelle droite , n° 41, mars-avril 1982, p. 55-58.
38 Ibidem , p. 58.
39 Ibid ., p. 58.
40 Ibid ., p. 55.
41 « Marvnad d’an Eichmann », dans Ar Stourmer , niv. 4-5, Gourzheren-Heneoal 1962, p. 38. Ce texte porte la signature suivante : « Clet Guezennec, A-gent SS-Scharführer der Sicherheitspolizei u. SD ». Les recueils de pseudonymes bretons ne mentionnent pas ce pseudonyme. Dans leur ouvrage sur Les Droites Nationales et Radicales en France (PUL, 1992, p. 92), J.-Y. Camus et R. Monzat écrivent, dans la notice consacrée à Olivier Mordrelle : « On lui doit aussi, dans la revue de Goulven Pennaod, Ar Stourmer (1962) un poème à la mémoire de Eichmann. »
42 Op. cit. , p. 58.
43 Roparz Hemon, « Youenn Drezen (14 Gwengolo 1899-15 C’hwevrer 1972) », Al Liamm , n° 151, Meurzh-Ebrel 1972, p. 109.
44 Cette photographie, qui se trouve dans ma thèse, je l’ai réalisée grâce au dépouillement de trois journaux publiés pendant la guerre : Arvor , hebdomadaire créé en janvier 1941 – le dernier numéro, le 176, est daté du 4 juin 1944 ; L’Heure Bretonne – le dernier numéro, le 204, est daté du 30 juillet 1944 ; La Bretagne , quotidien dirigé par Yann Fouéré de mars 1941 à août 1944. Concernant la radio, ces journaux renferment trois sources. Ils ont tout d’abord en commun de publier, de manière régulière à compter de fin mars 1941, le programme hebdomadaire des émissions du poste de Rennes-Bretagne. J’ai ainsi pu réaliser une sorte de maillage qui semaine après semaine, mois après mois, offre une représentation de l’objet de mon étude. Ce maillage est, d’une manière encore plus précise, une photographie aérienne qui embrasse, dans son entier, une île et ses archipels. Par ailleurs, dans les trois journaux cités, de nombreux articles mentionnent le poste de Rennes-Bretagne : ils renseignent sur les réactions provoquées par telle ou telle émission dans les différentes rédactions ; ils offrent des informations sur les collaborateurs, sur la façon dont sont réalisées et entendues les émissions… Enfin, l’hebdomadaire Arvor publiera très régulièrement une grande partie des causeries diffusées à la radio, et ce sera aussi le cas de la revue Gwalarn . Ces écrits – scripta manent – sont évidemment une mine essentielle, la seule existante du reste, pour permettre de se faire une idée du contenu des émissions de Rennes-Bretagne.
45 Je n’ai pas réussi à déterminer de façon précise la date de changement : de novembre 1940 à mars 1941, les informations sont lacunaires.
46 Cf . le n° 11 de La Bretagne , du lundi 31 mars 1941, p. 4. Le 1er novembre 1941 donna lieu à une émission supplémentaire, peut-être pour marquer l’anniversaire de la toute première émission. Dans le quotidien La Bretagne , on lit : « Le 1er novembre, à 17 h. 45, Radio-Rennes-Bretagne donnera une émission bretonne consacrée aux Trépassés. M. l’abbé Y.-V. Perrot, recteur de Scrignac, et directeur de Feiz ha Breiz, prononcera un sermon “Kenteliou ar Vered”, précédé et suivi des cantiques “Ar Purgator” et “Kanenn ar re dremenet”, chantés par Mona Pesker, accompagnée à l’harmonium, par Jeff Penven » ( La Bretagne , « A l’occasion de la Toussaint. Un sermon breton à Rennes- Bretagne », n° 193, samedi 1er novembre 1941, p. 1). Le n° 196 (5 novembre) de ce même journal annoncera que cette émission a été mieux entendue à Paris que dans le Finistère.
47 Le mercredi 24 décembre 1941, un gala de Noël est diffusé à 18 h à 19 h : le volume horaire est moindre mais l’émission a lieu à un horaire plus accessible ; du reste, après cette faveur, l’émission retrouve son créneau précédent.
48 Cf . le n° 55 d ’Arvor , 25 janvier 1942, p. 1 ; L’Heure Bretonne , 24 janvier 1942, n° 80, p. 3.
49 C’est L’Heure Bretonne , dans son numéro cité à la note précédente qui fait savoir que ces déjeuners concerts continuent.
50 Cf . aussi l’annonce en première page du n° 262 de La Bretagne : « Les nouvelles émissions de la radio Bretonne… » (23 janvier 1942.)
51 Cf . Arvor, n° 57, 8 février 1942, p. 1 ; n° 58, 15 février 1942, p. 1.
52 La longueur d’ondes était de 288,60 mètres et la puissance était de 40 kW : cf . tome I de l’ouvrage de Ch. Brochand, op. cit. , p. 598 (« Le réseau français en 1943. Postes exploités par les Allemands »).
53 La longueur d’ondes était de 431,70 mètres et la puissance de 120 kilowatts.
54 Cf . Ch. Brochand, op. cit. , p. 598.
55 Cf . Ph. Modol, Télévision et culture régionale…, op. cit ., tome 1, p. 166 sq .
56 Cf . L’Heure Bretonne , n° 86, 7 mars 1942.
57 Le premier « quart d’heure de l’Institut Celtique » est diffusé le 13 août 1942.
58 Alias Georges Lemée (1902-1957).
59 « Kendalc’h ar Framm. Kevrennoù Brezhonek . Le Congrès de l’Institut. Sections en langue bretonne », Arvor , n° 104, 10 janvier 1943, p. 2. L’intervention de Lemée apparaît dans la partie du compte rendu que signe Kerverziou, alias Guillaume Berthou (1908-1951). Cette nécessité d’une enquête pour obtenir davantage des dirigeants de la radio est rappelée dans un encart publié en première page du n° 105 : cf . « Amañ Roazhon-Breizh », Arvor , n° 105, 17 janvier 1943, p. 1. « Evit tennañ evezh an dud a zo e karg eus ar skingomz bremañ, eo ret kinnig dezho sifroù, jedoù-feuriañ, kartennoù resis, hag all. /Afin d’attirer l’attention de ceux qui sont actuellement à la tête de la radio, il faut leur présenter des chiffres, des pourcentages, des cartes précises, etc. »
60 Cf . « Nevezintioù er radio /Nouveautés à la radio », Arvor , n° 127, 20 juin 1943, p. 2. Cf aussi Tin Gariou, « Radio-Roazhon bemdeiz /Radio-Rennes tous les jours », L’Heure Bretonne, n° 152, 20 juin 1943, p. 1. La nouvelle grille des programmes n’est publiée qu’à partir du mois de juillet dans les journaux.
61 « Cette émission, en raison des circonstances et du petit nombre des postes récepteurs, n’obtint qu’une écoute dérisoire bien que certaines oeuvres écrites à son intention n’aient pas été sans mérite » (P.-J. Hélias, Le quêteur… , op. cit ., p. 145).
62 Fañch Elies, « Jord ar Mée (Eñvorennoù) », Al Liamm , n° 73, meurzh-ebrel 1959, p. 95-98.
63 Ce mot « c’hoari /jeu » semble faire écho à l’article du même Abeozen publié en mars 1941 dans la revue Galv : « Ne doun tamm ebet c’hoarier kartou, hogen va c’hredenn a oa, hag a zo dalc’hmat, o deus ar Vretoned eur gartenn da c’hoari : ar gartenn alaman ./Je ne suis en aucun cas joueur de cartes, mais mon opinion était, et demeure, que les Bretons ont une carte à jouer et c’est la carte allemande. » ( Op. cit. , supra. ).
64 J’ai traduit littéralement. L’auteur laisse-t-il entendre que les Allemands vont perdre et que les projets qui fleurissent sous l’Occupation ne porteront pas tous leurs fruits, ou bien, veut-il dire qu’il pensait que la guerre n’était pas près de finir ? Les deux peut-être.
65 Il y a dans un paragraphe une allusion, à peine voilée, à Fañch Gourvil, militant breton d’avant guerre, journaliste, résistant et, à la Libération, membre du Comité d’Épuration du Finistère : ce dernier, après avoir été sorti des prisons allemandes grâce à l’intervention des Bretons de Paris, « n’était jamais plus à son affaire que quand il pouvait foutre au trou ses compatriotes par douzaines ».
Ainsi, comment reprocher aux militants leurs options, alors qu’ils ont payé le prix fort à la Libération, qu’ils ont été trahis, eux si droits et si honnêtes ?
66 1903-1944. Ancien responsable du PNB. Après sa mort, il sera présenté comme le chef spirituel de la branche du mouvement breton partisane d’une collaboration armée jusqu’au-boutiste avec l’Allemagne hitlérienne ( cf . l’unique numéro du nouveau Breiz Atao publié en mai 1944).
67 Anna Youenou, Fransez Debauvais de Breiz-Atao et les siens. Mémoires du chef breton commentés par sa femme. Tome III : vicissitudes du nationalisme breton , Rennes, 1977, p. 337-339. Dans cet ouvrage, la première mention des émissions se lit aux pages 255-256.
68 Anna Youenou-Debauvais, « Roparz Hemon ha Radio-Breizh /Roparz Hemon et Radio-Bretagne », An Teodeg , n° 55, 16e année, novembre 1978, p. 12.
69 Skinlonk, « Roazon-Breiz. Conférences », Arvor , n° 37, 14 septembre 1941, p. 1.
70 Alias Charles Trémel (1885-1965). Cf. infra .
71 « Kendalc’h ar Framm. Kevrennou brezhonek. Danevellskrid gant G.-B. Kerverziou /Le Congrès de l’Institut. Sections en langue bretonne. Compte rendu de G.-B. Kerverziou [ alias Guillaume Berthou] », Arvor , n° 103, 27 décembre 1942, p. 1.
72 Roparz Hemon, « Breizh-Uheliz hag ar Brezhoneg ./Les Hauts-Bretons et la langue bretonne », Arvor , n° 107, 31 janvier 1943, p. 1-2. Cette causerie fut diffusée le samedi 30 janvier à 19 h 05.
73 Sur cet embryon d’université bretonne et bretonnante, cf . infra .
74 Alan al Louarn, « Ur Brezhoneg nevez : ar “Roazhoneg” /Un nouveau breton : le “Rennais” », Arvor , n° 162, 27 février 1944, p. 1.
75 On trouvera cette liste dans ma thèse. Elle comporte le nom de ceux qui ont réalisé une pièce, une évocation ou encore une causerie.
76 « Les leçons du Cimetière » : publié dans le n° 11-12 de la revue Feiz ha Breiz (novembre-décembre 1941), p. 93-97.
77 « Le combat entre la mort et la vie » : publié dans le n° 3-4 de Feiz ha Breiz (mars-avril 1942), p. 133-139.
78 Kenteliou war al labour-douar. Prezegennou graet gant Levot-Bécot (Leçons d’agriculture. Causeries faites par Levot-Bécot), Landerneau, Office central, 1932, 124 p.
79 Roparz Hemon lui-même réalisera un tout petit nombre d’émissions en français.
80 Cf. Gwalarn. Histoire d’un mouvement littéraire, op. cit . : on y trouve des notices biographiques sur ces auteurs dans le chapitre intitulé « Roparz Hemon et les écrivains de Gwalarn » ; cf . F.Morvannou, « La littérature de langue bretonne au XXe siècle… », op. cit , p. 175-240.
81 Georges Lemée, pour sa part, n’a rien publié.
82 Il signera beaucoup de ses causeries radiodiffusées du pseudonyme Jean-Pierre ( ou Yann-Ber) Kerdilez .
83 Il s’agit de Dremm an Ankou (Le visage de la mort) qui contient des nouvelles dont l’action se déroule pendant la première guerre mondiale. En 1943, il publie Hervelina Geraouell qui raconte l’amour impossible entre un jeune paysan léonard d’origine modeste et la fille d’une famille « julod » de Saint-Thégonnec. Sur la vie et l’oeuvre d’Abeozen, voir la thèse de G. Denis, Eliès-Abeozen, 1896- 1943…, op. cit .
84 Il s’agit de Levr an amprevaned (Le livre des insectes). Pour la radio, il use de deux pseudonymes : Kerverziou et Erwan Danteg.
85 Cf . Kan da Gornog (Chant à l’Occident), publié en 1932.
86 Cf . par exemple, son intervention lors du troisième congrès régional des cadres à Saint-Brieuc (mercredi 8 avril 1942), dans le n° 92 de L’Heure Bretonne (18 avril 1942, p. 1 et 3). Il occupe ce poste jusqu’en juin 1942. Les raisons de son départ restent floues.
87 Moyenne d’âge des bretonnants exclusifs et des bretonnants francisants réalisée à partir de l’annéede naissance et de celle de la première collaboration à la radio.
88 Dans le texte breton, le mot « radio » est rendu par deux termes bretons différents : « skingomz » et « radio ».
89 Roparz Hemon, « Kefridi Roazhon-Breizh /La mission de Rennes-Bretagne », Arvor , n° 105, 17 janvier 1943, p. 3.
90 Cf . J.-L. Crémieux-Brilhac, H. Eck, dans La guerre des ondes… , op. cit. , p.120 ; J.-P. Azéma, De Munich à la Libération… , op. cit. , p. 239 ; P. Ory, Les collaborateurs , op. cit ., p. 81-83 ; Anne Bouchez-Trifunovic, « Philippe Henriot », L’écho du siècle… , op. cit. , p. 310-311.
91 Pour une illustration des types, cf . Ouest-France du 12 novembre 1941.
92 Parmi lesquelles j’ai rangé les quatre émissions « thématiques ».
93 Cf . Catherine Bertho-Lavenir, « Du télégraphe à Internet : vitesse et mondialisation », L’Histoire , n° 226, novembre 1998, p. 37.
94 « Depuis longtemps les auditeurs de Rennes-Bretagne demandaient que cette station organise un cours de langue bretonne. C’est aujourd’hui chose faite. Le cours, professé par Andrev Gelleg, a lieu tous les samedis, à 19 heures, aussitôt après l’émission en breton. Il est fait d’après la Méthode Rapide de Breton de Roparz Hémon. » (« Un cours de breton à Rennes-Bretagne », L’Heure Bretonne , n° 152, 20 juin 1943, p. 3). Ce cours est annoncé, en breton, dans le n° 127 (20 juin 1943) d ’Arvor .
Le premier cours a lieu le 12 juin.
95 J’ignore le sens exact donné à ce mot (qui est celui-là même utilisé par les journaux pour annoncer ce programme) : on pense naturellement aux Baliverneries d’Eutrapel de Noël du Fail… Faute de documents écrits, on peut raisonnablement penser à des sketchs, à des monologues, en français ou en gallo.
96 C. C., « La “Gwerz” de Kêr-Iz. Radio-opera », L’Heure Bretonne , n° 51, 31 janvier 1942, p. 4.
97 Cette causerie figure dans le numéro d’ Arvor du 18 janvier 1942.
98 « Ar sorser /Le sorcier » (le 11 juin 1941) jouée par les bretonnants de Paris ; « An dakenn dour /La goutte d’eau » (le 17 octobre 1942) jouée par la troupe trégorroise de Jarl Priel – cette pièce, écrite par Jarl Priel, alias Charles Trémel, sera publiée dans le n° 25 de la revue Sav (automne 1942) : elle avait été jouée à Rennes le 11 octobre 1942 à l’occasion de la fête en l’honneur du marquis de l’Estourbeillon ; « Distro ar Prizonier /Le retour du Prisonnier » (le 18 septembre 1943) jouée par une troupe de la Jeunesse Agricole Chrétienne ; « En Ozeganned /Les lutins » (le 15 avril 1944) jouée par le groupe vannetais de Job Jaffré (1906-1986) – cette pièce avait été écrite par Joseph Le Bayon (1876-1935). Pour les pièces du 21 mars 1941 (« An tan e ti Kernaspreden »), du 8 août 1942 (« Kondle ar Flamm ») et du 22 août 1942 (« Un den a netra »), les programmes ne mentionnent pas la troupe Gwalarn . Pourtant, il n’y a aucune raison, semble-t-il, pour que ces pièces n’aient pas été jouées par cette troupe.
99 1864-1953. Ces contes sont extraits de E korn an oaled (Brest, 1923, 317 p.). Pratiquement tous les contes de ce recueil seront adaptés à la radio.
100 1885-1930. Ce conte est publié dans Eur Zac’hadMarvailhou , Éditions de la revue « Buhez Breiz », Brest, 1924, 216 p. 165
101 En 1979, ces pièces-là, ainsi que les pièces de la guerre et de l’après-guerre, ont été rassemblées et publiées par Al Liamm en deux volumes (Roparz Hemon , C’hoariva I, Al Liamm, 1979, 211 pages ; C’hoariva II , Al Liamm, 1979, 246 pages).
102 Cette pièce, jouée à la radio le mercredi 24 décembre 1941, est publiée dans le numéro 144-145 de Gwalarn , janvier-février 1942.
103 Cette pièce, jouée à la radio le 22 avril 1944, est publiée dans le dernier numéro de Gwalarn , en mai 1944.
104 Youenn Drezen, Karr-kañv an aotrou maer , moulerezh kreiz-kêr – Roazhon, 31 p. Cette pièce sera de nouveau publiée en 1947, ainsi que quatre autres pièces du même auteur, dont une (« Ret eo nouiñ ar Gurun kozh ») a aussi été jouée pendant la guerre, le 6 février 1943, mais sous un titre différent ( Nouenn ar Gurun Kozh /L’extrême-onction du Vieux Gurun ») : cf . Youenn Drezen, Youenn vras hag e leue , Skrid ha Skeudenn, 1947, 164 p.
105 146 p. Les pièces publiées sont : An div zremm /Les deux visages de Langleiz (jouée le 22 mai 1943) ; E-tal ar poull /Près du lavoir de Perrot (jouée le 21 mars 1941) ; An dakenn dour /La goutte d’eau de Jarl Priel (jouée le 17 octobre 1942) ; Fostus an doktor daonet /Faust le docteur damné de Chr.Marlowe, traduite par R. Hemon (jouée le 12 juin 1943) ; Torfed ar frer Juniper /Le crime du frère Juniper de Henri Ghéon, traduite par Jakez Riou (jouée le 19 décembre 1942).
106 Kemper, Moulerez ru an Dudchentil, 30 p.
107 Skinlonk , « Roazon-Breiz. Ar gwerziou /Rennes-Bretagne. Les complaintes », Arvor , n° 34, 24 août 1941, p. 1.
108 Cf . Abeozen, « Talvoudegezh hon dastumadoù kanaouennoù-pobl /L’importance de nos recueils de chants populaires », Al Liamm , n° 100, septembre-octobre 1963, p. 346. Il précise aussi ceci : « Tri bloaz hepken hon eus bet dirazomp da glask sevel ur radio ma oa ar Vretoned mistri warni, evel ma ne gredan ket ez int bet abaoe./ Nous avons eu devant nous seulement trois ans pour tenter de créer une radio dont les Bretons étaient les maîtres, comme je ne crois pas qu’ils l’ont été depuis. »
109 Ce programme compta six parties, diffusées de mars 1941 (je n’ai pas retrouvé la date précise de diffusion du premier volet) au 23 juillet 1941.
110 Abeozen précise que la complainte « Janedig ar Rouz », « ne deo ket bet skignet e 1943 dre ma kolle Strollad c’hoarierion yaouank Gwalarn a zeiz da zeiz e izili. /n’a pas été diffusée en 1943 du fait que la Troupe des jeunes acteurs de Gwalarn perdait ses membres au fil des jours. » ( Ibidem , p. 347.) Il cite le cas d’une autre réalisation avortée : « An aotrou Nann /Monsieur Nann », « ne deo ket bet skingomzet e derou 1944 dre ma oa an traoù o vont d’ar strad /n’a pas été radiodiffusée au début de 1944 du fait que c’était la dégringolade générale » ( ibid ., p. 347).
111 La dernière des huit émissions vannetaises que j’ai relevées est diffusée le 20 mai 1944.
112 « Evit Kardeur ar Framm Keltiek. Kenlabourit !/Pour le quart d’heure de l’Institut Celtique. Collaborez ! », Arvor , n° 91, 4 octobre 1942, p. 1. Cf . aussi, supra , l’article de Skinlonk : « Roazon- Breiz. Conférences », dans Arvor , n° 37, 14 septembre 1941, p. 1.
113 Cf . R. Calvez, « Vie et mort du paysanisme breton… », op. cit .
114 Cf . Laurence Bardin, L’analyse de contenu , Paris, PUF, 1996, notamment p. 43 et 47.
115 Publiée dans le n° 171 d’ Arvor.
116 Publiée dans le n° 39 d’ Arvor .
117 « Unifiée, surunifiée, superunifiée » : les termes pour traduire peurunvan varient, les sous-entendus aussi (cf. Herve ar Bihan, « Notennoù yezh & notennoù lec’hanvadurezh », Hor Yezh, n° 219, diskaramzer 1999, p. 49-50).
118 Publiée dans le n° 132 d’ Arvor .
119 Youenn Drezen, « Ar ouenn hag ar sport /La race et le sport », Arvor , n° 104, 10 janvier 1943, p. 1 et p. 3. Radiodiffusée le 24 octobre 1942.
120 Cf . P. Ory, Les collaborateurs 1940-1945 , op. cit. , notamment les chapitres 8 (« Le Français d’Europe. L’idéologie ordinaire de la collaboration ») et 10 (« Voir la figure. Les intellectuels de l’Europe nouvelle »). Voir aussi, dans l’ouvrage de MichelWinock Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France (Seuil, 1990), le chapitre intitulé « L’éternelle décadence » (p. 103-111).
121 Tin Gariou, « Gall ? Forzh piou ! Français ? N’importe qui ! », L’Heure Bretonne , 12 mars 1944, n° 189, p. 1-2.
122 Erwan Kroezer, « Yec’hed ha yaouankiz. C’hoarioù goañv /Santé et jeunesse. Jeux d’hiver », Arvor , 7 mars 1943, n° 112, p. 2-4. Radiodiffusée le 6 février 1943.
123 Sur les objectifs et le fonctionnement de cette organisation, cf . Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales…, op. cit., p. 266 sq .
124 Publiée dans le n° 62 d’ Arvor .
125 Publiée dans le n° 82 d’ Arvor .
126 Publiée dans le n° 92 d’ Arvor .
127 Publiée dans le n° 150 d’ Arvor .
128 En ur rambreal /En rêvassant, Brest, Skridoù Breizh, 1943, 256 p. Premier roman policier breton, cet ouvrage est surtout remarquable par son antisémitisme, sur la base des clichés habituels de l’époque.
129 Publiée dans le n° 137 d’ Arvor .
130 Ce sont les titres tels qu’ils ont été publiés par les journaux.
131 Alias Mathiliz (1882-1942). Publiée dans le n° 56 d’ Arvor .
132 1875-1926.
133 1875-1953.
134 1876-1935.
135 1867-1936.
136 Alias Arzel Even (1921-1971).
137 Publiée dans le n° 151 d’ Arvor . Dans cette causerie, l’auteur fournit aussi une liste des langues enseignées dans la dite université (irlandais, cornique, allemand), ainsi que les titres des conférences qui y ont été données (« relijion ar C’hermaned, an Edda, ar brederouriezh alaman… /la religion des Germains, l’Edda, la philosophie allemande … »).
138 Publiée dans le n° 96 d’ Arvor .
139 Publiée dans le n° 111 d’ Arvor .
140 Par exemple, l’existence d’une communauté celtique, la mise en lumière d’un peuple breton nordique.
141 Cf . Antoine Prost, « Les mots », Pour une histoire politique , sous la direction de René Rémond, Seuil, 1988, p. 255-285 et notamment p. 278 où l’auteur, s’appuyant sur des études antérieures, montre le poids du « nous » dans le discours communiste des années trente : ce dernier est « dominé par l’idéal du Parti ».
142 Publiée dans le n° 108 d’ Arvor .
143 Publiée dans le n° 150 d’ Arvor .
144 Jean Ezel (1908-1967), médecin exerçant à Douarnenez.
145 Publiée dans le n° 141 d’ Arvor : « Ur ouenn dud : Douarneneziz ».
146 Pour un autre exemple, cf . la causerie de Georges Toudouze à propos des « saveteerion enoret /sauveteurs honorés », publiée dans le n° 153 d’ Arvor . À ma connaissance, cet auteur n’était pas bretonnant ce qui laisse supposer que cette causerie est une traduction d’un texte de Toudouze.
147 LFA, « Pas assez de breton à Rennes-Bretagne ! », n° 20, 18 mai 1941, p. 1.
148 Ceci est une bonne illustration de la façon dont on peut détourner les fonctions du langage – notamment la fonction émotive ou expressive et la fonction conative – mises en lumière par Jakobson : cf . « Linguistique et poétique », dans Essais de linguistique générale , Les Éditions de Minuit, 1963, p. 209-248. On trouvera des illustrations du « schéma canonique » de Jakobson, ainsi que des compléments dans : Catherine Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation. De la subjectivité dans le langage , Armand Colin, 1980, p. 11-33 ; Christian Baylon, Xavier Mignot, La communication , Nathan, 1994, p. 75-83 et p. 290-294.
149 Cf . Vladimir Propp, Morphologie du conte suivi de Les transformations des contes merveilleux , Paris, Seuil, 1970, 255 p. Cf . aussi la postface de Evguéni Mélétinski : « L’étude structurale et typologique du conte », p. 201-249.
150 Cf . « Torfed ar breur Juniper /Le crime du frère Juniper », de Henri Gheon, jouée 19 décembre 1942, « Istor reuzeudik an Doktor Fostus /La tragique histoire du docteur Fostus », jouée le 12 juin 1943.
151 C’est le cas de la pièce « Un den a netra /Un homme de rien du tout », diffusée le 22 août 1942. Les indications scéniques situent la scène dans le bureau d’un journal, « ne vern e pe vro /peu importe le pays » (dans C’hoariva I , op. cit. , p. 25). Le contre-exemple parfait, qui est aussi une exception, est la pièce de la JAC se situant dans un temps (la guerre) et dans un espace (le Léon rural) clairement définis.
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