Chapitre V. Les procès politiques par jurés
p. 189-229
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Texte intégral
« Ce serait singulièrement rétrécir sa pensée que de se borner à envisager le jury comme une institution judiciaire ; car, s’il exerce une grande influence sur le sort des procès, il en exerce une bien plus grande encore sur les destinées mêmes de la société. Le jury est donc avant tout une institution politique. C’est à ce point de vue qu’il faut toujours se placer pour le juger. »
Alexis de Tocqueville,
De la démocratie en Amérique1.
1Le 16 mars 1793, les jurés de la Côte-d’Or ont accompli un exploit remarquable. Pour la première fois, un homme passait en procès à Dijon pour émigration, un délit grave passible de la peine de mort au titre des lois du 23 octobre et du 26 novembre 1792. Ces dispositions, élaborées par la Convention nationale en pleine guerre et suivant une vague d’émigration provoquée par l’effondrement de la monarchie, prévoyaient la guillotine pour les personnes qui avaient quitté le territoire national, étaient revenues et résidaient en France. Pour les Conventionnels, l’affaire était entendue : s’ils étaient partis, c’est qu’ils étaient hostiles à la Révolution ; et s’ils étaient revenus, c’est qu’ils avaient l’intention de déstabiliser la République de l’intérieur.
2Les implications judiciaires de ces lois et l’état d’esprit des jurés appelés à siéger dans des procès politiques apparaissent avec acuité à Dijon, au procès de Claude Mignot. En mai 1790 ce domestique, alors âgé de 18 ans, avait dû choisir : perdre sa place ou suivre son employeur, Agathe de Brosse. Ayant pris ce dernier parti, Mignot quitta la France et s’installa avec de Brosse à Fribourg, où il demeura jusqu’en novembre 1792. Il reçut alors une lettre de son père, l’informant que les émigrés étaient tenus de rentrer en France. Il se mit en route à la fin novembre, muni d’une lettre de référence de son dernier employeur, et arriva chez son père à Aisy-sous-Thil au début décembre2. Dénoncé par le procureur de la commune, il fut arrêté la veille de Noël, placé en détention par le juge de paix puis conduit au directeur du jury de Semur, où il fut mis en accusation au titre des dispositions de la loi du 26 novembre.
3Lors du procès, les débats tournèrent autour de la chronologie exacte des événements. L’accusé reconnaissait avoir quitté la France en 1790, tout en affirmant qu’il ignorait le caractère définitif de l’exil d’Agathe de Brosse. Par ailleurs, il soulignait inlassablement l’absurdité de sa situation. Quand il avait pris connaissance de la loi ordonnant son retour en France, il était revenu au pays et s’était trouvé… en infraction avec la loi du 26 novembre, qui stipulait que tous les émigrés arrêtés en France deux semaines après la promulgation de la loi seraient mis à mort ! Mignot déclarait qu’il n’avait pu quitter de nouveau le territoire national en décembre, d’abord parce qu’il n’était pas au courant de ces nouvelles lois, puis parce qu’il avait été emprisonné par le juge de paix. Ainsi, les magistrats de Dijon avaient sur les bras une affaire délicate. Avant le procès, ils écrivirent à la municipalité d’Aisy-sous-Thil et demandèrent si Mignot avait pu avoir connaissance avant son arrestation des lois du 23 octobre et du 26 novembre ordonnant à tous les émigrés de quitter le pays sous peine de mort. Les autorités d’Aisy répondirent qu’elles avaient été informées de ces lois les 22 et 26 décembre, et qu’elles les avaient publiées les 25 et 30 du même mois (respectivement un et six jours après l’arrestation de Mignot3).
4Le procès, qui fut la première affaire d’émigration jugée en Côte-d’Or, eut lieu le 16 mars. Le président du tribunal criminel, Jean-Edme Durande, après avoir clos les débats, posa aux membres du jury de jugement les questions suivantes :
- « Y a-t-il sortie du territoire français par un français, au mois de mai 1790 ?
- Claude Mignot est-il convaincu de ce fait ?
- Le 1er décembre 1792, époque de la rentrée de Claude Mignot à Aisy, lieu de sa résidence, les lois des 23 octobre et 26 novembre 1792 étaient-elles promulguées par la municipalité d’Aisy ? »
5Après en avoir délibéré, les jurés revinrent à la salle du tribunal et le chef du jury se leva pour annoncer leur décision.
« Sur mon honneur et ma conscience, la déclaration du juré est qu’attendu que la question intentionnelle ne se trouve pas au nombre de celles posées par le tribunal, sa conscience ne lui permet pas de prononcer sur ces mêmes questions4. »
6Les magistrats ajournèrent le procès. S’estimant incapables de répondre aux défis des jurés, ils écrivirent à la Convention nationale et demandèrent à être informés par le Comité de législation de la marche à suivre. Mais avant qu’ils aient pu recevoir de réponse, la Convention avait rendu la question sans objet en retirant les affaires d’émigration de la compétence des jurys de jugement. La loi des 28 mars et 5 avril 1793 créa une procédure uniforme pour les personnes accusées d’avoir émigré, les soumettant au jugement des magistrats et des administrateurs départementaux5. En pluviôse an II, les juges déclarèrent Mignot coupable d’émigration. Au vu des circonstances atténuantes, ils ne le condamnèrent pas à la guillotine mais à la déportation, puis suspendirent l’exécution de la sentence « jusqu’à la paix » et le firent emprisonner6.
7La révolte du jury de la Côte-d’Or exprimait une certaine vision de l’équité judiciaire. En invoquant la question de l’intention, les jurés contestaient la conception de la justice énoncée par les députés de la Convention nationale et appliquée à Dijon. De fait, les lois d’octobre et novembre 1792 sur l’émigration marquaient un tournant décisif : dorénavant, le gouvernement central allait subordonner de plus en plus la justice aux besoins de la sûreté publique. Pour la Convention, la justice était inextricablement liée à la raison d’État politique – à la survie de la République en temps de guerre. Dans ces conditions, toute personne soupçonnée d’avoir quitté le pays depuis le 14 juillet 1789 et d’être revenue pouvait être mise en accusation et, le cas échéant, condamnée à mort.
8Dans la Côte d’Or, la justice de la Convention fut appliquée avec souplesse. Les juges dijonnais ne voulaient pas envoyer Mignot à la guillotine. Après avoir soigneusement vérifié les dates de promulgation des lois en question à Aisy-sous-Thil, Durande, un modéré, demanda au jury de décider si elles avaient été publiées avant le 1er du mois. Ce faisant, il permettait aux jurés de répondre plus facilement « non » à la troisième question7. Si le jury avait répondu par la positive aux deux premières questions et négativement à la troisième, les juges se seraient probablement contentés soit d’ordonner à Mignot de quitter le pays, soit de le faire déporter.
9Mais les jurés n’ont pas saisi la perche tendue par Durande, qui les invitait à atténuer les conséquences pénales de l’acte d’émigration commis par Mignot. Ils accomplirent un véritable acte de résistance, affirmant que l’accusation d’émigration ne pouvait être dissociée de la question intentionnelle : un homme ne pouvait être considéré comme un traître et un ennemi de la République que s’il avait eu l’intention de trahir. Cette pétition de foi ne peut être assimilée à la réaction partisane d’un jury contre-révolutionnaire. Les jurés auraient pu innocenter Mignot et contourner l’accusation en répondant négativement aux deux premières questions. En fait, leur déclaration n’arrangeait personne : ni les magistrats qui se trouvaient fort embarrassés, ni le pauvre Mignot lui-même. Le jury ne chercha pas à exonérer l’accusé. Il voulait affirmer un principe. Politiquement, sa déclaration est une épée à deux lames tournée à la fois contre les Conventionnels, qui considéraient que le simple fait d’émigrer justifiait une peine sévère, et – implicitement – contre les royalistes, qui estimaient que l’accusation d’émigration (même intentionnelle) était en soi absurde.
10Les fondateurs du procès par jurés savaient que leur réforme aurait une signification politique immense. Pour certains des Constituants – comme, plus tard, pour Alexis de Tocqueville – la portée politique du système du jury était l’un de ses atouts majeurs : il s’agissait avant tout de contrecarrer les abus de pouvoir du gouvernement. Adrien Duport soutenait en 1790 qu’une fois le système des jurés mis en place, « on pourrait braver les efforts mêmes de la tyrannie, puisque le peuple ne cessera pas d’être libre tant que ce formidable pouvoir de juger, cette puissance qui s’applique à tous les moments et à tous les individus, restera dans son sein […]8 ». Ces législateurs avaient encore en mémoire les lettres de cachet de l’Ancien Régime et prévoyaient que la branche exécutive de l’État pouvait être tentée de renforcer son pouvoir en usant d’artifices et d’expédients judiciaires. En créant le jury et en instituant l’élection des juges, ils cherchaient à garantir l’indépendance du judiciaire et à donner à la société civile les moyens de se défendre contre l’arbitraire étatique9.
11Très vite, cependant, l’institution du jury fut mise à l’épreuve lors de procès « sensibles », où les intérêts de l’État étaient en jeu. La Convention créa certes les tribunaux révolutionnaires pour entendre diverses accusations politiques, et retira formellement au jury les affaires impliquant les rebelles, les prêtres réfractaires et les émigrés. Mais les missions confiées aux nouveaux tribunaux révolutionnaires étaient plutôt vagues. La loi du 10 mars 1793 stipulait : « Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire, qui connaîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tous attentats contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l’État […]10. » Ces instructions accordaient des pouvoirs considérables aux juges, administrateurs, comités révolutionnaires et représentants en mission, qui, pour les délits politiques, pouvaient choisir entre plusieurs options judiciaires. Ils pouvaient faire comparaître les suspects devant le tribunal révolutionnaire de Paris, les faire juger par des tribunaux d’exception locaux, ou les détenir en prison sans procès en vertu de la loi des suspects11. De plus, elles pouvaient initier des poursuites devant des tribunaux criminels ordinaires. Ainsi, les tribunaux criminels entendaient aussi bien des affaires clairement et directement politiques que des cas de violations de l’ordre public ayant des implications politiques.
12Le comportement des jurés dans les années 1790 face aux affaires politiques révèle ce qui se passe lorsque les domaines de la vie privée et de la vie publique se rencontrent. La distance entre les deux sphères, déjà réduite par la Révolution elle-même, semble presque abolie en la personne du citoyen-juré, extirpé de son train-train quotidien et plongé dans l’ambiance politisée du palais de justice. Quelle fut l’attitude des jurés quand ils ont dû trancher des conflits politiques ? Ont-ils souvent fait preuve d’indépendance, en affirmant – comme dans l’affaire Mignot – leur propre conception de la justice ? Dans le présent chapitre, nous analyserons le rôle du jury dans les procès politiques et d’« ordre public ». Ce faisant nous aborderons une question importante mais insaisissable : pourquoi les jurés ont-ils prononcé tant d’acquittements dans ces affaires ? (Sans prétendre, bien sûr, y apporter de réponse définitive.)
13Il faut ici encore souligner qu’au cours de la période révolutionnaire, la distinction entre crime « politique » et de « droit commun » était souvent floue12. Certains délits jugés au titre des dispositions ordinaires du Code pénal reflétaient des tensions politiques, alors que certains actes perçus par les autorités comme des manifestations d’opposition politique (émigration, assistance aux prêtres réfractaires) ont pu être motivés par des considérations apolitiques. Il n’existe pas de méthode entièrement satisfaisante pour distinguer les affaires « purement » politiques entendues par les tribunaux criminels. À notre avis, la méthode la plus efficace et la moins problématique – « la moins inacceptable », si l’on peut dire – relèverait d’une approche à deux niveaux.
14D’un côté, nous avons appelé « procès politique » toute affaire clairement désignée comme telle par les autorités. L’émigration, l’assistance aux prêtres insermentés, les propos inciviques, les délits sur les arbres de la liberté, la rébellion et les écrits séditieux faisaient partie des actes poursuivis en vertu de lois pénales spécifiques votées afin de réprimer certaines formes d’opposition politique. De même, nous avons classé comme « politique » toute affaire ayant induit une peine tirée des trois premières sections du Titre I de la Deuxième Partie du Code pénal de 1791, consacrées aux crimes contre la sûreté « extérieure » ou « intérieure » de l’État et aux crimes contre la constitution.
15En second lieu, même si la nature des poursuites ne correspondait pas aux critères susmentionnés, nous les avons considérés comme « politiques » lorsque le crime présumé présentait un caractère politique prononcé. Joseph Le Bon, par exemple, fut exécuté pour homicide à Amiens, mais une lecture de l’acte d’accusation révèle clairement le fondement politique de l’affaire. On le voit, une évaluation subjective de la nature de l’accusation est indispensable. Dans de tels cas, pour distinguer les procès « politiques » des procès d’« ordre public », nous nous sommes posé les questions suivantes : l’accusé a-t-il commis, pour ses propres intérêts immédiats et personnels, un acte portant atteinte au maintien de l’ordre public ? Ou bien a-t-il voulu, pour des raisons plus idéalistes, exprimer une opposition au gouvernement lui-même ? Bien sûr, ces deux types de comportement pouvaient se chevaucher chez la même personne et dans la même action : d’où l’impossibilité d’établir une démarcation nette et incontestable en la matière. Mais plutôt que de renoncer à identifier les procès politiques, nous avons cherché à les définir en jaugeant les intentions des autorités et celles des accusés. Le lecteur devra donc se souvenir que, dans le présent chapitre, l’expression « crime politique » n’est pas une catégorie étanche et nettement circonscrite mais une notion de fond appliquée par l’historien à une réalité complexe.
Les affaires de « crimes contre l’ordre public »
16Dans le cours de la Révolution, certains crimes inspirés essentiellement par l’intérêt matériel ou personnel ont acquis une dimension politique. L’État a notamment cherché à réprimer les transgressions dont il estimait qu’elles étaient nuisibles à l’effort de guerre ou à la Nation : les malversations commises par les fonctionnaires, l’accaparement, les vols des biens de l’État, les faux documents, la fausse monnaie 13… Les poursuites contre ces crimes se multiplièrent en temps de guerre. À mesure que le contrôle réglementaire de l’État se resserrait, les simples citoyens s’ingéniaient évidemment à résister ou à se dérober. Et si les impératifs de la guerre permettaient aux fonctionnaires d’abuser plus facilement de leur pouvoir, le climat de suspicion généralisée les rendait à leur tour vulnérables aux « dénonciations » de leurs ennemis politiques.
17Les crimes des fonctionnaires publics étaient considérés comme des délits particulièrement graves. Dès 1790, Jean-Paul Marat préconisait un tribunal politique spécial pour punir les agents de l’État convaincus de tels méfaits et tout au long de la Terreur les actions des fonctionnaires furent étroitement surveillées par les partisans les plus ardents de la Convention14. Les administrateurs et les employés de l’État risquaient d’être poursuivis pour détournement de fonds (souvent des biens nationaux), faux, obstruction de la justice ou corruption, tandis que les percepteurs passaient souvent en jugement pour avoir levé des sommes abusives. Les Constituants ont même consacré toute une section du Code pénal aux « crimes des fonctionnaires publics dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont confiés ». Dans de tels cas, les jurys ont prononcé davantage de condamnations que pour la plupart des autres délits contre l’ordre public : sur 379 fonctionnaires jugés entre 1792 et 1811 par les seize tribunaux étudiés, 253 (67 %) ont été acquittés et 109 (29 %) ont reçu des peines criminelles (allant d’une simple déchéance des droits civiques à vingt ans de « gêne »)15.
18Les geôliers étaient particulièrement surveillés sous la Terreur. Une série d’évasions survenues après la promulgation de la loi des suspects fit soupçonner une collusion entre certains prisonniers contre-révolutionnaires et leurs gardiens. Le 13 brumaire de l’an II, les Conventionnels ordonnèrent que les gardiens soient arrêtés à chaque fois qu’un prisonnier ou un détenu en garde à vue parvenait à s’échapper. Ils stipulaient la peine de mort pour les accusés convaincus d’avoir volontairement favorisé l’évasion d’un prisonnier16. Mais les cavales continuèrent et de nombreux geôliers et gendarmes se retrouvèrent en maison de justice, où ils purent contempler l’univers carcéral sous un autre angle. Ils avaient toutefois peu à craindre du procès : les preuves recueillies à leur encontre étaient en général minces et les jurés ne pouvaient décemment appliquer les peines draconiennes prévues par la Convention. Sur les 354 accusés jugés par les tribunaux criminels de 1792 à 1811 pour complicité d’évasion, 305 furent acquittés et 6 seulement ont écopé de condamnations criminelles 17 (le reste recevant de simples peines correctionnelles).
19Si les agents de l’État n’étaient pas à l’abri des arrestations, le Code pénal les protégeait contre les agressions. La répression des attaques violentes contre les fonctionnaires était prévue par le Code pénal (« délits des particuliers contre le respect et l’obéissance dus à la loi »). Dans la pratique, la plupart des actes d’accusation mentionnent deux types de délits. Le premier concerne une réaction violente de citoyens à un ordre émis par l’administration ou la police. Il s’agissait souvent d’une résistance à une arrestation ou à des huissiers envoyés pour faire exécuter la décision d’un tribunal (par exemple, un jugement rendu lors d’un procès civil). Le second type de délit se référait communément à des assauts physiques plus offensifs : attaques délibérées et non provoquées contre des fonctionnaires, émeutes, agressions contre les gardes nationaux. Un tel incident se produisit au village de Clugnac (Creuse) en août 1792, au moment de la publication des rôles de l’impôt. Selon le rapport officiel, un groupe de femmes a arraché les affiches et assailli le fonctionnaire municipal venu rétablir l’ordre ; puis elles lui ont coupé les cheveux et l’ont conduit à une auberge voisine, l’obligeant à payer à dîner à tout le monde. Les mutines ont ensuite célébré leur victoire éphémère en dansant autour de l’arbre de la liberté avec leurs complices masculins. Au procès qui se tint deux mois plus tard, les jurés acquittèrent huit des personnes accusées d’avoir agressé un agent de l’État et prononcèrent de simples peines correctionnelles contre trois autres prévenus18.
20Les émeutes sur les grains constituaient un type d’attroupement particulièrement fréquent en Île-de-France : elles étaient dues à des disettes aggravées par la demande sur le marché parisien. Un grand nombre de ces troubles, qui éclatèrent surtout au début et au milieu des années 1790, furent jugés par les tribunaux criminels de Versailles et d’Amiens. Les jurés acquittaient souvent les personnes accusées d’avoir tenté d’empêcher le transport des céréales ou d’avoir imposé sa distribution sur place. Ce fut le cas de 252 des 305 prévenus inculpés pour de tels actes ; cependant, les 28 accusés ayant reçu une condamnation criminelle à ce titre subirent les peines prévues pour « désobéissance à la loi » (de deux à huit ans de fers).
21Les crimes contre l’ordre public comprenaient non seulement la malversation et l’attroupement, mais aussi les faux et la contrefaçon. Les accusations de faux visaient souvent des déserteurs qui tentaient de percevoir des soutiens financiers indus (« subsistances ») auprès des autorités locales en présentant des faux certificats médicaux19. Lorsqu’ils étaient interpellés sur la grand-route, ils présentaient parfois aussi un ordre de route ou une délibération portant un faux cachet du conseil administratif de leur bataillon20. Parmi les autres documents fréquemment falsifiés, il y avait les actes et accords notariaux, notamment les testaments et les transactions mobilières et immobilières, ainsi que des titres financiers comme les lettres de change. En fait, n’importe quel document administratif pouvait être contrefait : les passeports, les certificats de naissance ou de mariage, les rôles d’impôt, et (sous la Terreur) les fameux certificats de civisme. Les peines prévues pour ce type de crimes allaient de quatre à huit ans de fers, selon la nature du document contrefait. De toute évidence, la rigueur de ces châtiments n’a pas empêché les jurés de condamner les coupables : dans les seize tribunaux étudiés, un pourcentage assez élevé (34 %) de personnes accusées de faux se virent infliger des condamnations criminelles.
22La contrefaçon des pièces et assignats, qui représentait une menace indirecte pour l’État parce qu’elle portait atteinte à son contrôle sur la monnaie nationale, était aussi jugée par les tribunaux criminels. Ainsi, même ce domaine était « politisé » : des impératifs tant économiques que politiques poussaient le gouvernement à soutenir vigoureusement la validité de l’assignat en tant que monnaie ayant cours légal, et à réprimer sévèrement sa falsification ou sa dépréciation. Le Code pénal faisait la distinction entre deux types de crimes : la fabrication de fausse monnaie, punie de quinze ans de fers, et la contrefaçon d’assignats, passible de la peine de mort21. Il est surprenant, étant donné la rigueur de la peine prévue, de constater que 21 personnes (15 % du total) accusées de ce dernier délit ont été condamnées à mort. En janvier 1793, Claude Huve, percepteur des contributions à Boussenois (Côte-d’Or), soumit un faux assignat de 300 livres au receveur du district. Celui-ci détecta la contrefaçon, envoya l’assignat à Paris pour le faire annuler puis, fait étrange, le rendit à Huve. Quand le document fut remis en circulation – Huve l’aurait offert à un paysan en échange de deux bœufs – le percepteur fut arrêté, poursuivi, condamné et exécuté en fructidor an II22.
23La prolifération des réglementations économiques pendant la guerre donna naissance à de nouvelles formes de criminalité mues par des intérêts personnels, mais qui revêtaient un caractère « politique » dans la mesure où elles défiaient la volonté de la Convention nationale. Le 26 juillet 1793, dans le cadre de mesures destinées à assurer le ravitaillement de la population, la Convention décréta la peine de mort pour les accapareurs – sanction qui fut réduite à deux ans de fers par la loi du 12 germinal an II. Les jurys traitèrent avec clémence les spéculateurs présumés, innocentant 35 des 38 personnes jugées à ce titre23. L’un de ces acquittés s’appelait Louis Cosse, boutiquier à Carhaix (Finistère). En l’an II, les autorités municipales découvrirent chez lui un vaste stock de biens non-déclarés, comprenant des denrées alimentaires (sucre, café, cidre, grain), du fil, du tissu et divers articles ménagers. Mais des témoins se portèrent garants de sa moralité et de son civisme, attestant que sa marchandise était toujours disponible et en vente et que ses prix étaient conformes au maximum : les jurés l’acquittèrent en dépit du fait qu’il avait enfreint la loi24.
24La Convention ne criminalisa pas seulement la spéculation sur les denrées mais également ceux qui transgressaient le contrôle des prix. Toute personne reconnue coupable de vendre au-dessus du maximum encourait une amende, au titre des lois du 11 septembre 1793 et du 12 germinal an II. Vingt-cinq des trente-deux prévenus jugés pour ce crime devant les seize tribunaux étudiés furent acquittés ; cinq écopèrent de peines criminelles et durent payer de fortes amendes. Le refus d’accepter des assignats en guise de paiement était puni plus sévèrement. De fait, les gens préféraient les pièces sonnantes et trébuchantes à la monnaie fiduciaire et les vendeurs fixaient souvent un prix plus élevé pour les transactions en assignats. Cette pratique était rarement poursuivie devant les jurys, mais elle donna tout de même lieu à onze sentences criminelles sur un total de 41 accusés, et les condamnés encouraient une peine de six ans de fers25.
25Lorsque le contrôle des prix institué par la Convention prit fin après la Terreur, les accusations d’accaparement et de transgression du maximum tombèrent en désuétude. Mais les tribunaux criminels thermidoriens étaient encore mobilisés par de nombreuses affaires de malversation, de faux, d’attroupement, de complicité d’évasion, de résistance à l’arrestation, de pillage de convois de grains, et de contrefaçon d’assignats. Le nombre de poursuites pour atteintes à l’« ordre public » diminua sous le Directoire (18 % de tous les accusés ayant comparu devant les seize tribunaux de l’an IV à l’an VII, contre 45 % en l’an II et 39 % en l’an III), mais ces procès n’étaient plus aussi chargés politiquement. La frilosité sécuritaire des notables directoriaux avait remplacé l’idéalisme exalté de la Terreur. Alors que les dirigeants de la Convention étaient surtout préoccupés par les atteintes directes à l’appareil d’État, les Directoriaux exercèrent leurs penchants répressifs contre les cambrioleurs et les bandits de grand chemin – qui sévissaient particulièrement dans le sud de la France, profitant de l’isolement des autorités républicaines26.
Les affaires politiques
La monarchie constitutionnelle
26Créés peu avant le déclenchement de la guerre, les tribunaux criminels ont connu une période initiale de calme, interrompue par quelques affaires isolées à connotation politique. Des conflits politiques intenses avaient déjà surgi dans de nombreux départements, et des clubs de plus en plus audacieux se heurtaient aux modérés dans de nombreux corps administratifs. Mais les délits liés à ces affrontements étaient rarement portés devant les tribunaux criminels. En fait, dans les premiers mois de 1792, les heurts les plus marqués impliquaient le clergé réfractaire. Dans maintes communes, protégés de la déportation par le veto du roi, ils disputaient avec acharnement à leurs collègues assermentés l’adhésion des catholiques pratiquants. Ces escarmouches véhémentes, marquées par des prêches enflammés, provoquèrent l’intervention des clubistes : en février 1792, les jacobins parisiens encouragèrent leurs filiales en province à soutenir les « curés patriotes27 ».
27Une tactique possible pour les adversaires des prêtres réfractaires était de pousser les autorités judiciaires à les poursuivre devant la justice criminelle pour leurs discours contre-révolutionnaires28. Du haut de leurs chaires, ils prononçaient des prêches dont la teneur pouvait être considérée comme « criminelle ». En mai 1792, un curé insermenté passa en procès à Lyon ; il était accusé d’avoir déclaré un an plus tôt, dans le village de Clavans, que l’Assemblée nationale semait le désordre et « détruisait la religion », et qu’il était prêt à prendre les armes contre la Nation. Dans plusieurs de ses sermons, il attaqua aussi l’évêque constitutionnel du Rhône-et-Loire et le clergé assermenté dans son ensemble (composé, à ses yeux, de « schismatiques » qui célébraient les « messes du Diable »), les officiers municipaux de Clavans (« démons déchaînés et des brigands ») et les administrateurs du district. L’acte d’accusation signale qu’il aurait refusé de confesser un homme gravement malade parce qu’il avait acquis des biens nationaux. Mais les jurés acquittèrent ce prêtre inculpé d’avoir provoqué les citoyens « à désobéir à la loi » et il fut relâché29.
28Des affaires similaires furent jugées à travers le pays. En avril 1792, un curé de village comparut pour plusieurs délits devant le jury de jugement de Dijon : il était accusé d’avoir déclaré que les trois quarts des députés de l’Assemblée nationale cherchaient à détruire la religion, que des laïcs n’avaient pas le droit de nommer des membres du clergé, que les acquéreurs de biens nationaux seraient excommuniés, qu’il fallait recueillir des fonds pour les armées émigrées, que les prêtres réfractaires – comme les premiers chrétiens – seraient contraints de se réfugier dans des caves afin de préserver la « bonne religion », et que les ecclésiastiques assermentés étaient des schismatiques guère plus qualifiés que leurs chiens pour dire la messe. Face à ce déluge d’imprécations, les autorités du village arrêtèrent le curé, et le directeur du jury l’accusa d’avoir inspiré « du mépris pour les lois ». Toutefois, les jurés décidèrent que si ce crime avait bien eu lieu, le prêtre ne l’avait pas commis30.
29Dans les seize départements étudiés, la plupart des prêtres inculpés en 1792 étaient passibles des sanctions prévues par le Code pénal pour les crimes commis par des fonctionnaires publics. Étant payés par l’État, les prêtres étaient considérés comme tels et risquaient six ans de « gêne » (réclusion solitaire) – la peine automatique pour les fonctionnaires qui incitaient les citoyens à désobéir aux lois – ou encore deux ans de gêne s’ils continuaient à exercer leur charge après avoir été suspendus ou radiés. Jusqu’en août 1792, les seize tribunaux ont jugé au total 20 prêtres, prononçant 5 condamnations criminelles, 3 peines correctionnelles et 12 relaxes31. Les autres affaires politiques soumis aux jurés avant la chute de la monarchie incluaient des poursuites pour attroupement, écrits séditieux, collusion avec des prêtres réfractaires, et perturbations des assemblées électorales. Sur les 51 prévenus (y compris les prêtres réfractaires) jugés pour des délits politiques devant ces tribunaux avant août 1792, 9 ont reçu des peines criminelles – et un seul fut condamné à plus de six ans de prison32.
La Convention et la Terreur
30Après la chute de la monarchie et l’avènement de la Convention nationale, les tribunaux criminels ont eu à traiter davantage d’affaires politiques. Entre août 1792 et mai 1793, les jurys des seize départements concernés par notre étude ont jugé 142 accusés « politiques » (presque un par mois pour chaque tribunal). Dès l’entrée en fonction du tribunal révolutionnaire et d’autres tribunaux d’exception, les jurys de jugement ont entendu moins d’affaires de ce type. De juin 1793 à messidor an II, seulement 68 prévenus « politiques » furent jugés par un jury devant ces tribunaux – en moyenne, moins de cinq par mois pour l’ensemble des seize tribunaux.
31On note encore la présence de prêtres réfractaires parmi les prévenus, mais ils sont désormais moins souvent accusés de propos séditieux que de résistance au serment ecclésiastique. Pendant un an, les jurys furent compétents pour juger les prêtres soupçonnés d’enfreindre la loi du 26 août 1792. Cette loi ordonnait à tous ceux qui avaient refusé le serment de 1790, ou qui s’étaient rétractés, de quitter la France dans les quinze jours. Les prêtres insermentés qui ne se présentaient pas aux autorités de leur district pour obtenir un passeport risquaient la déportation s’ils étaient appréhendés sur le territoire national, tandis que ceux qui obtenaient un passeport mais restaient (ou revenaient) en France étaient passibles de dix ans de prison33. Cette peine fut infligée à un prêtre qui avait obtenu un passeport pour la Savoie en automne 1792. Il déclara au jury de Bourges qu’ayant presque atteint la frontière de la Savoie, il avait rebroussé chemin lorsqu’il avait appris que les troupes françaises avaient occupé le Duché et qu’on y massacrait des hommes d’église. Les jurés estimèrent qu’il avait en fait quitté le territoire français, qu’il était coupable d’être revenu en France en violation de la loi, et le condamnèrent à dix ans de prison34. Cinq autres prêtres reçurent la même peine et trois furent déportés. Mais ce furent les seuls procès de ce genre : à l’automne 1793, la Convention adopta un nouveau train de mesures répressives contre les prêtres réfractaires et ôta toute compétence aux jurys en la matière35.
32Pendant une brève période, les affaires d’émigration passèrent devant les tribunaux criminels. Outre le procès de Mignot à Dijon, les jurys des seize départements jugèrent sept personnes accusées d’émigration : ils les acquittèrent toutes, estimant soit qu’elles n’avaient pas quitté la France, soit que ce faisant elles n’avaient pas eu l’intention d’émigrer36. La Convention souhaitait une répression judiciaire stricte et exemplaire de l’émigration : d’où la loi du 28 mars 1793, qui retira de telles affaires de la juridiction du jury de jugement37.
33Les propos inciviques occupèrent également les jurys sous la Convention. Nous avons vu qu’une des formes de cette infraction – les attaques verbales des prêtres contre la Révolution pendant la messe – a valu des peines de cachot aux fonctionnaires du clergé qui appelaient les fidèles à désobéir aux lois. Mais après la chute de la monarchie, les autorités judiciaires ont commencé à intenter des procès aux citoyens soupçonnés d’avoir exprimé leur soutien aux Bourbons ou leur hostilité à la République. Les propos inciviques représentaient un dilemme pour les tribunaux criminels : quelle sanction infliger à un simple citoyen qui s’écriait : « Vive le roi ! » ? Aucun article du Code pénal ne couvrait explicitement un tel cas. On pouvait toutefois, à la rigueur, interpréter de façon extensive une disposition dudit code et l’appliquer aux expressions verbales d’hostilité au gouvernement :
« Toutes conspirations ou complots tendant à troubler l’État par une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres, ou contre l’exercice de l’autorité légitime, seront punis de mort38. »
34Ainsi, lorsque les autorités estimaient qu’un simple « propos » constituait une « conspiration » visant à la guerre civile, et si le jury de jugement déclarait l’accusé coupable d’avoir préparé la guerre civile ou une révolte, la peine de mort était applicable39. Mais la Convention ressentit visiblement le besoin de dissiper tout doute en la matière : le 9 avril 1793, une nouvelle loi priva toute personne accusée d’un tel crime du droit à un procès par jurés. La peine de mort s’appliqua désormais à toute expression ouverte en faveur du retour de la monarchie.
35Malgré ces mesures, certains propos séditieux donnèrent encore lieu à des procès par jurés sous la Terreur, sans doute grâce à l’initiative d’autorités locales cherchant à protéger les prévenus de la rigueur inflexible de la justice révolutionnaire. Sur 25 personnes (excepté les prêtres) jugés par jury pour propos séditieux entre août 1792 an messidor an II, 22 furent acquittées et 3 reçurent des peines correctionnelles. Un cas typique fut celui d’un fabricant jugé à Lyon le 17 juin 1793, peu après que les fédéralistes eurent pris le contrôle de la ville. Il était accusé d’avoir déclaré en février de la même année que les républicains étaient des « fameux coquins », que les députés ayant voté la mort du roi étaient des « gueux » et qu’ils seraient bientôt châtiés par les royalistes, que Chalier aurait la tête tranchée dans trois semaines, et que l’église constitutionnelle était « le refuge de la canaille et le rassemblement de maquereau et de putains […] ». Le jury l’acquitta et les juges le firent relâcher40. Quoique moins véhémentes en général, les professions de foi politiques poursuivies devant les tribunaux étaient presque toujours royalistes ou « contre-révolutionnaires ». Cependant, un homme qui travaillait dans un vignoble dans le Cher fut arrêté pour avoir confié ses idées ultra-révolutionnaires à un domestique, qui le dénonça promptement aux autorités. Il lui aurait déclaré « qu’il fallait égorger tous les bourgeois », sonner le tocsin et massacrer les « cavaliers » (sans doute les gardes nationaux) appelés pour rétablir l’ordre. Jugé à Bourges un août 1792, il fut acquitté ; le jury estima que s’il avait effectivement prononcé ces paroles, il l’avait fait « sans malice et sans prévoir qu’ils pourraient produire aucun mauvais effet41 ».
36Ainsi, la répression des propos inciviques dut finalement être confiée aux juridictions d’exception. Les mêmes procédures expéditives furent appliquées aux « conspirations ou complots tendant à troubler l’État par une guerre civile » ; mais ces actes, déjà criminalisés dans le Code pénal, étaient parfois jugés et sanctionnés par des tribunaux criminels ordinaires42. En septembre 1792, un jury de la Haute-Garonne déclara un homme coupable de conspiration contre l’État et les juges l’envoyèrent à la guillotine. Un an plus tard, 3 hommes furent condamnés à mort par contumace à Toulouse pour la même infraction43. Ces procès (ainsi que trois affaires de rébellion dans la Mayenne sous le Directoire et une autre en 180044) sont les seuls cas où la peine de mort fut réclamée par les jurés au titre des sanctions prévues par le Code pénal contre les crimes politiques. Dans de tels cas, les acquittements l’emportèrent sur les condamnations : sur 27 prévenus jugés avant thermidor an II pour des actes tournant autour de la notion de « conspiration contre l’État », 19 furent relaxés par le jury45.
37Les jurés devaient également se prononcer sur des délits moins graves, tels que les actes de résistance populaire contre les autorités locales qui expropriaient les cloches et les objets de culte des églises (dans le but de soutenir la « défense nationale »). De tels troubles, assez fréquents dans les provinces, étaient de simples réactions défensives ne menaçant pas sérieusement l’État46. Mais les dirigeants révolutionnaires n’acceptaient pas de voir leur autorité bafouée par des foules de citoyens furieux cherchant à conjurer ce qu’ils percevaient comme des attaques contre leur religion et leurs coutumes locales. Un incident de cette nature se produisit à Arc-sur-Tille, un chef-lieu de canton situé à l’est de Dijon. Le 20 octobre 1792, une foule d’hommes et de femmes s’assemblèrent sur la place publique, s’armèrent de fourches et envahirent la maison commune, où les autorités locales avaient entreposé des ornements et objets du culte en argent confisqués à l’église47. Les manifestants s’emparèrent de ces pièces et les ramenèrent à leur lieu consacré ; puis ils adoptèrent une résolution exigeant la dissolution immédiate de la municipalité. L’ordre ne fut rétabli et l’argenterie récupérée que deux jours plus tard quand un contingent de la garde nationale arriva de Dijon. Quatre personnes passèrent en procès en janvier 1793 devant le tribunal criminel : deux femmes que des témoins avaient vu brandir des fourches en tête de la foule, un homme soupçonné d’avoir rédigé la motion contre la municipalité, et le procureur de la commune, accusé d’avoir fomenté le soulèvement. Les jurés estimèrent que tous les accusés avaient agi « par provocation » et les juges prononcèrent de simples peines correctionnelles48.
38Avant Thermidor, les infractions liées à la question religieuse ont donné lieu à de nombreux acquittements (28 relaxes et 8 peines correctionnelles). D’ailleurs, on note une réticence générale des jurés à sanctionner les crimes politiques. Entre août 1792 et messidor an II, la grande majorité des prévenus politiques sont innocentés : c’est le cas, notamment, des 5 personnes accusées d’écrits séditieux, des 7 personnes jugées pour émigration, des 11 prévenus de complicité d’émigration, 10 des 11 hommes poursuivis pour rébellion armée dans l’ouest de la France, et des 2 hommes soupçonnés d’avoir correspondu avec des émigrés et des prêtres déportés49. Cent cinquante des 210 prévenus jugés par un jury pour des crimes politiques au cours de cette période ont été acquittées, 25 ont reçu des peines correctionnelles, et 35 ont écopé de peines criminelles (la moitié de ces derniers étaient des prêtres). Trois des cinq sentences capitales furent rendues in abstentia : ainsi, avant Thermidor, dans les seize départements concernés par notre étude, seulement 2 personnes périssent sur l’échafaud pour un crime politique jugé par jurés50.
Tableau I : Crimes politiques, aux seize tribunaux criminels étudiés, 1792-1811
Par crime

Tableau II : Crimes politiques aux seize tribunaux criminels étudiés 1792-1811
Par période

La Convention thermidorienne
39Si le jury de jugement suppléait parfois les tribunaux exceptionnels dans les affaires politiques avant Thermidor, il assuma un rôle plus important par la suite. Le culte de la « légalité » en vogue après Thermidor a sans doute servi les objectifs politiques plus généraux de la Réaction, et son effet sur le plan judiciaire fut de restreindre la compétence des tribunaux exceptionnels qui avaient appliqué la Terreur et, finalement, de les éliminer. Mais le déclin de la justice d’exception rendait plus aléatoire la répression des opposants politiques. Dans les provinces, où les partisans locaux de la Terreur languissaient en prison, le jury représentait souvent la seule instance judiciaire à la disposition des thermidoriens. Non seulement la condamnation par les jurés était loin d’être assurée à l’avance mais, de plus, la loi du 14 vendémiaire an III obligeait les tribunaux criminels à soumettre systématiquement la question intentionnelle au jury. Les citoyens provinciaux déterminés à tirer vengeance des excès de la Terreur ont dû trouver cette situation fort injuste : de nombreux « terroristes » de l’an II emprisonnés allaient bénéficier de protections légales qu’ils avaient refusées à leurs propres ennemis. À n’en point douter, la Terreur Blanche profita de la frustration de nombreux citoyens face au légalisme scrupuleux qui animait souvent les autorités et de leur crainte que les coupables soient acquittés51.
40Les garanties légales accordées après Thermidor à la plupart des prisonniers politiques incluaient non seulement le droit à un procès par jurés et à une prise en considération de l’intention mais aussi une application plus précise et plus scrupuleuse du Code pénal que sous la justice révolutionnaire. À quelques exceptions près, ceux qui avaient été impliqués dans la Terreur ne furent pas accusés de complicité avec des « forces du mal » aux contours vagues, ou encore d’avoir exprimé des opinions hostiles au gouvernement. Ils furent jugés pour des infractions spécifiques, soigneusement décrites dans l’acte d’accusation. Lorsqu’ils étaient condamnés, leur peine n’était généralement pas tirée des lois d’exception de la Convention, ni même des sections du Code pénal concernant les crimes politiques mais des sections du même code ayant trait aux délits commis par des fonctionnaires publics. Il y eut bien sûr des exceptions criantes : des gens furent poursuivis sur des chefs d’inculpation fort vagues et subirent des persécutions politiques caractérisées. Mais la plupart des responsables de la Terreur jugés par jurés sous la Réaction étaient formellement accusés de crimes spécifiques, comme la corruption ou l’arrestation arbitraire ; on ne se contentait pas de les qualifier de « terroristes » et la plupart des condamnés furent envoyés en prison mais pas à l’échafaud.
41Cette adhésion plus stricte aux normes légales dans les affaires politiques fut, il est vrai, favorisée par le contexte de la Réaction. Certes, les thermidoriens se montraient tout aussi enclins à dénigrer leurs ennemis, et leur rhétorique (« buveurs de sang », « partisans de la dernière tyrannie ») était tout aussi caricaturale que celle qui avait cours sous la Terreur. Mais en préconisant un strict légalisme dans le domaine judiciaire, les dirigeants thermidoriens de la Convention cherchaient à se distinguer du gouvernement révolutionnaire. Par ailleurs, la Convention avait des raisons plus prosaïques de restaurer les pratiques légales du début de la Révolution. Au sein de la Convention, les partisans de la Terreur et ceux de la Réaction étaient souvent les mêmes personnes : l’invocation vertueuse de la règle de droit peut être considérée, dans une certaine mesure, comme une attitude d’autodéfense – une tentative de prévenir une vague de répression judiciaire contre des thermidoriens ex-terroristes. De fait, la détermination de la Convention à limiter la réaction judiciaire aboutit à une amnistie générale pour les personnes condamnées pour leur participation à la Terreur.
42Un cas célèbre en Côte-d’Or illustre certains aspects caractéristiques des procès politiques thermidoriens : la précision des chefs d’accusation, l’importance de la question intentionnelle, la nature explosive des enjeux et des débats. Du 6 au 8 août 1795, Claude Vallée, un ancien épicier devenu officier de police influent à Dijon pendant la Terreur et membre du comité révolutionnaire local, fut jugé pour de nombreux délits commis en qualité d’officier de gendarmerie et de gardien de prison. Vallée fut interpellé à l’hiver de 1794-1795 sur les ordres de Calès, le représentant en mission thermidorien. Trente-six témoins (pour la plupart d’anciens prisonniers) signèrent une déposition auprès du juge de paix de Dijon. Vallée était accusé d’avoir arrêté des citoyens sans mandat, d’avoir confisqué des objets précieux à des prisonniers, soutiré de l’argent à des citoyens menacés d’arrestation, et d’avoir intimidé et insulté des prévenus. Il était l’objet d’un ressentiment intense et généralisé. Lors des trajets entre la prison et le tribunal criminel avant son procès, Vallée subissait sur son passage des « propos et menaces » de la part des citoyens, qui se promettaient de le tuer si le tribunal l’acquittait ; le 9 juillet 1795, il fut poignardé par un co-détenu et blessé au cou.
43Son procès, en août, provoqua une émeute. Selon le greffier du tribunal, qui transmit un long rapport au Comité de la sûreté générale à Paris, l’audience du 21 thermidor fut suivie par une « quantité prodigieuse de spectateurs qui remplissaient la salle et attendaient avec impatience le jugement ». À onze heures, les jurés achevèrent leurs délibérations et le chef du jury annonça le verdict : Vallée avait bien effectué des arrestations arbitraires et illégales, pris de l’argenterie aux détenus, exigé de l’argent lors de l’interpellation de suspects – mais sans qu’il y eût « malice », ni intention criminelle.
44Pendant que Mony, le chef du jury, lisait la déclaration, requérant la relaxe pour chacun des chefs d’accusation, ses paroles ont « occasionné d’abord des murmures considérables dans le public […] ». Le brouhaha s’apaisa lorsque le président du tribunal Benoist recommanda que l’accusé soit poursuivi pour un autre crime. Mais lorsque le magistrat tenta d’interroger Vallée à ce titre, il dut s’interrompre devant l’indignation du public :
« […] Les murmures et les cris ont commencé à éclater dans la salle, au point qu’il a été impossible au président d’obtenir du silence et de rappeler les citoiens à l’ordre et au respect de la loi. On a entonné dans ce moment le premier couplet de l’Hymne des Marseillais, L’étendard sanglant est levé, des voix confuses traitaient de scélérats les jurés et les juges, le peuple par des cris réitérés demandait au tribunal qu’il lui rendit justice, et annonçait qu’il fallait envoyer l’accusé à la guillotine ; une femme entre autres, en habits de deuil, lui reprochait avec des hurlemens affreux d’avoir fait assassiner son mary par le tribunal révolutionnaire, et les vociférations de cette femme étaient suivis chaque fois d’applaudissements réitérés52. »
45C’est alors que l’accusateur public s’éclipsa et alerta les officiers municipaux, qui arrivèrent bientôt avec une escorte de quarante grenadiers. Mais les citoyens barricadèrent les portes de la salle. Il fallut de « grands efforts » aux officiers pour forcer l’entrée et atteindre l’estrade, où le maire s’adressa à la foule. Mais ses tentatives « de l’amener à la raison » furent couvertes par les huées et les protestations et des gens qui avaient franchi la barre chantaient le « Réveil du Peuple » et d’autres couplets « en accompagnant leurs chants de gestes menaçants contre l’accusé ». Malgré le tumulte, le président poursuivit l’interrogatoire et émit un nouveau mandat d’arrêt contre Vallée. À trois heures et demie de l’après-midi, épaulés par de nouveaux renforts, les officiers municipaux mirent fin aux incidents en ramenant Vallée en prison. Par la suite, celui-ci fut inculpé pour une autre infraction, mais fut libéré en octobre 1795 quand la Convention décréta l’amnistie pour les personnes impliquées dans la Terreur53.
46La tension entre la modération judiciaire et la volonté de punir les « terroristes » n’éclate pas seulement dans les conflits entre les magistrats et le public des salles d’audience ; elle se lit également dans les jugements eux-mêmes. Le 10 mai 1795, onze anciens membres du comité de surveillance de Bazas (Gironde) furent innocentés de l’accusation de faux par les jurés de Bordeaux. Le lendemain, quand les mêmes hommes comparurent pour concussion et « taxes arbitraires », les jurés les innocentèrent sur la question intentionnelle, mais les juges condamnèrent les onze à des peines correctionnelles de prison, au motif que « tous les accusés ont été déclarés convaincu d’avoir porté la Terreur dans l’âme des citoyens […] ». Ainsi, lors d’un procès censé examiner des chefs d’accusation précis et évaluer l’intention criminelle des prévenus, les magistrats ont fini par retomber dans la phraséologie politique. Et pourtant quand Raymond St-Blancard, un ex-membre du comité de surveillance de Bordeaux, fut jugé six jours plus tard, les questions posées au jury concernaient des délits spécifiques (avait-il reçu des pots-de-vin, menacé des prisonniers, détourné des biens publics ?) et l’accusé fut acquitté. Et même dans un des rares cas où les jurés de la Gironde délivrèrent une condamnation criminelle dans une affaire politique, l’accusé (Bertrand, l’ancien maire de Bordeaux) ne fut pas condamné à mort pour sa participation à la Terreur mais reçut douze ans de fers pour concussion par un officier public54.
47Des tensions similaires ont marqué les deux procès politiques thermidoriens dans le Cher. Le 5 août 1795, le tribunal criminel de ce département avait à juger un officier municipal de St-Saulge soupçonné d’avoir commis des abus de pouvoir durant la Terreur et d’avoir insulté le représentant en mission thermidorien. Le jury le disculpa de tous les chefs d’accusation et le fit libérer. Mais le lendemain, tout en innocentant trois hommes prévenus de concussion et d’arrestation arbitraire, les mêmes jurés déclarèrent deux d’entre eux coupables chacun d’être « l’oppresseur et le fléau de ses concitoyens ». Et les juges qui avaient eux-mêmes utilisé ce type de phraséologie dans leurs questions au jury, conclurent fort à propos :
« […] qu’il n’existe aucune loi qui inflige des peines précises à ceux qui sont convaincus d’avoir été les oppresseurs de leurs concitoyens ; qu’il existe bien des lois qui inflige des peines à ceux qui par abus de leurs pouvoirs ont fait des incarcérations injustes, mais que le juré de jugement a déclaré que [les prévenus] ne l’ont pas fait méchament […] ».
48Des trois accusés, deux furent relaxés et le troisième condamné à un an de prison pour avoir créé des désordres lors d’une vente publique aux enchères55.
49De tels verdicts étaient courants sous la Réaction. Après Thermidor, comme auparavant, les acquittements l’emportaient largement sur les condamnations criminelles. Cent treize des 152 accusés politiques ayant comparu devant les seize tribunaux étudiés de thermidor an II à fructidor an III furent acquittés, 25 condamnés à des peines correctionnelles, et 14 pour crimes. Ce taux de relaxes (lors de procès politiques) de 74 % est en léger déclin par rapport au taux de 79 % constaté de brumaire à messidor an II, mais il excède le taux de 67 % en 1792-1793. Les observateurs qui connaissaient les attitudes des jurés depuis 1792 n’ont pas dû être surpris par les verdicts rendus après Thermidor.
50S’ils étaient enclins à acquitter, les jurés thermidoriens étaient néanmoins prêts à condamner les véritables parrains de la Terreur. Les deux procès les plus célèbres (du groupe des seize tribunaux criminels étudiés ici) se terminèrent par des condamnations à la peine capitale. Dans le département du Gard, où la révolte fédéraliste déclencha une vague de Terreur particulièrement sanglante, les thermidoriens furent prompts à arrêter les dirigeants les plus en vue de l’an II, dont Courbis, le maire de Nîmes, ainsi que les membres du tribunal criminel qui avaient envoyé 135 personnes à la guillotine. Certains de ces « terroristes » arrêtés ne parvinrent pas jusqu’au palais de justice. En février 1795, l’ex-accusateur public et un juge qui avaient mené la répression sous la Terreur furent assassinés pendant un transfert de détenus ; Courbis lui-même périt le 12 mai, au cours d’un massacre perpétré dans la prison de Nîmes. Un autre magistrat se suicida dans sa cellule. À l’ouverture du procès des dirigeants « scélérats », il n’y avait plus que treize prévenus : l’ancien président du tribunal criminel, un juge, plusieurs administrateurs et deux gardiens de prison.
51Pour les autorités thermidoriennes, il s’agissait de juger l’activité du tribunal criminel du Gard qui s’était constitué en « tribunal criminel révolutionnaire » en l’an II. Chacun des accusés avait participé, à un titre ou à un autre, à son fonctionnement en tant que membre, témoin, agent de police ou gardien de prison. En fait la plupart des ex-administrateurs inculpés furent condamnés non pour abus de pouvoir mais pour avoir témoigné à charge dans des procès politiques. La phraséologie de l’acte d’accusation (comme sans doute celle qui était utilisée pendant les débats) dénote la passion politique enflammée par les conflits de 1793-1794. Elle révèle une profonde hostilité à l’encontre des prévenus, qui sont décrits comme une « confédération de brigands » cherchant à accomplir « la dépopulation de la France » et de « couler les jours heureux, sans mœurs, sans loix, sans cultes, sans contrainte, et sans remords ». Ils sont essentiellement accusés de meurtre et de complicité de meurtre ; les gardiens de prison sont également inculpés pour vol et extorsion, et les administrateurs ayant servi comme témoins pour « menaces tendantes à écarter les témoins à décharge » et « témoignages captés et dictés par l’esprit de passion56 ».
52Le jury de jugement répondit en condamnant les deux anciens membres du tribunal criminel pour « assassinats judiciaires ». Quatre fonctionnaires furent déclarés coupables d’avoir fourni des témoignages partisans et le jury convainquit également six accusés d’avoir perpétré « des actes d’oppression multipliés envers une infinité de citoyens [sic !] ». Après avoir pris connaissance de la décision des jurés concernant ces chefs d’accusation ainsi que d’autres, les juges condamnèrent à mort les deux ex-membres du tribunal criminel pour homicide ; un homme reçut six ans de fers pour extorsion, trois autres furent déportés pour leur rôle en tant que témoins, un autre condamné à la détention « jusqu’à la paix » au même titre, et les six derniers prévenus furent disculpés57. Ce procès complexe et hautement « sensible » ne scella toutefois pas le sort des deux condamnés à mort. En effet, tandis qu’ils attendaient en prison le résultat de leur pourvoi en cassation, la Convention nationale annonça l’amnistie d’octobre 1795 en faveur des personnes condamnées pour avoir sévi sous la Terreur. Néanmoins, les autorités thermidoriennes du Gard refusèrent de les relâcher, au motif que leur condamnation à mort était fondée sur un article ordinaire du Code pénal et non sur des dispositions s’appliquant à des crimes politiques. Il fallut des pressions répétées du ministère de la Justice pour que les deux hommes soient enfin libérés en septembre 179658.
53Joseph Le Bon eut moins de chance. L’ex-conventionnel, qui avait été envoyé en 1793 pour galvaniser les autorités constituées et pour assurer l’organisation militaire dans le Pas-de-Calais et le Nord, fut l’accusé le plus célèbre jugé par un tribunal criminel thermidorien. À la différence de Jean-Baptiste Carrier59, Le Bon ne comparut pas devant le tribunal révolutionnaire mais demeura en prison en attendant un procès par jurés au tribunal criminel de la Somme. Le président du tribunal chargé de conduire ce procès, Jacques Desmery, n’avait à coup sûr aucune sympathie pour la Terreur. Son beau-frère était un prêtre réfractaire, et Desmery lui-même avait été démis de son poste de président du tribunal à Amiens en septembre 1793 par le représentant en mission André Dumont pour « incivisme » et « projets liberticides ». Dumont l’avait maintenu en détention pendant trois mois. Après la Terreur, Desmery fut rétabli dans ses fonctions au tribunal criminel, et la décision de la Convention de faire juger Le Bon à Amiens le propulsa pour un temps sur le devant de la scène politique nationale60.
54Le Bon était essentiellement prévenu d’avoir abusé de ses pouvoirs en tant que représentant en mission en 1793-1794. À ce titre, plusieurs charges pesaient sur lui : on lui reprochait d’avoir exercé des pressions sur les juges et les jurés du tribunal révolutionnaire d’Arras puis de Cambrai, d’avoir fait arrêter des jurés qui avaient osé acquitter certains accusés, d’avoir poursuivi des personnes protégées par l’amnistie du 15 septembre 1791, d’avoir arrêté des citoyens dont les actes ne constituaient pas une opposition à la Révolution, d’avoir intimidé et menacé les autorités constituées à Achicourt, d’avoir fait souffrir inutilement les prisonniers dans le Pas-de-Calais et le Nord. Le 5 octobre 1795, les jurés de la Somme ont déclaré Le Bon coupable de ces méfaits et de quelques autres, le sanctionnant non seulement pour ses actes mais aussi pour intention criminelle. Puis Desmery et ses collègues le condamnèrent à être guillotiné pour homicide. Huit jours plus tard, la Convention nationale rejeta sa requête en « appel ». Son sort était scellé : le 16 octobre à Amiens, dix jours seulement avant l’amnistie, l’ancien prêtre monta sur l’échafaud61.
55Cependant, les ennemis des thermidoriens n’étaient pas tous à gauche. Pendant la Réaction, les procès politiques par jurés inclurent plusieurs affaires impliquant des royalistes présumés. Aux seize tribunaux concernés par notre étude, 14 personnes ont comparu pour des crimes de parole, 12 pour rébellion (tous dans des départements de l’Ouest), 11 pour complicité d’émigration, 5 pour avoir caché des prêtres réfractaires ou des émigrés, 2 pour écrits séditieux. Au total, entre thermidor an II et fructidor an III, ces tribunaux ont jugé 53 personnes pour des crimes politiques « classiques » – c’est-à-dire associés dans l’esprit des autorités à la contre-révolution – et en ont acquitté 43 (81 %). À titre de comparaison, sur 99 prévenus jugés durant la même période pour complicité avec la Terreur, 70 (71 %) ont été relaxées. En fait, Joseph Le Bon fut la seule personne exécutée après un procès politique devant ces tribunaux sous la Réaction.
Le Directoire
56Sous le Directoire, les verdicts des jurys commencent à préoccuper sérieusement le gouvernement. Avec la restauration de l’État constitutionnel à l’automne de 1795, les autorités judiciaires et administratives en province seront exclusivement désignées par les électeurs et non plus par les représentants en mission. En effet, le Directoire craignait de voir ses opposants être élus à des fonctions officielles et s’en servir pour subvertir le régime. Six ans après le début de la Révolution, il fallait bien prendre la mesure des risques inhérents à la souveraineté de la société civile : qu’adviendrait-il des institutions civiques si les représentants élus de la société s’opposaient au nouvel ordre ? Plus concrètement, quelle serait l’attitude d’un tribunal criminel si son président et son accusateur public (tous deux élus) étaient royalistes ? Ainsi, les dilemmes politiques qui tourmentaient les directoriaux traversaient, à une moindre échelle, les institutions judiciaires.
57Les tribunaux criminels étaient effectivement empêtrés dans les conflits de l’heure : d’où le coup de Fructidor an V, qui permit au gouvernement d’épurer non seulement la législature mais aussi l’appareil judiciaire d’une partie du personnel élu au printemps. Ces mesures, suivies d’une nouvelle purge du judiciaire en l’an VI, exprimaient l’inquiétude des autorités : on craignait que des royalistes se soient infiltrés dans les rouages de la justice. Il s’agissait de remettre les tribunaux, et notamment les tribunaux criminels, entre les mains de républicains sincères62. Il est toutefois permis de se poser des questions sur la nature de l’angoisse des Directoriaux : ne procédait-elle pas davantage de projections idéologiques que de l’influence réelle des royalistes dans les tribunaux criminels ? Mais quelles que fussent les causes des nombreux acquittements prononcés par les jurés (elles seront analysées plus loin dans le présent chapitre), le gouvernement considérait ce « laxisme » comme une trahison politique.
58En fait, le taux de relaxes diminua très légèrement sous le Directoire par rapport aux niveaux observés pendant la Terreur et la Réaction. De l’an IV à l’an VII, les jurys ont acquitté 314 (72,5 %) des 433 accusés politiques (contre 79 % en l’an II avant Thermidor, et 74 % à partir de Thermidor et en l’an III). La très grande majorité des procès politiques visaient des suspects « contre-révolutionnaires », accusés de rébellion armée, de complicité avec des prêtres réfractaires, et de crimes de parole exprimant des sympathies royalistes. Dans ce type d’affaires, les jurys des seize tribunaux ont exonéré 256 (71 %) des 361 prévenus. Les quelques accusés de « gauche » (des néo-jacobins ou des ultra-révolutionnaires poursuivis le plus souvent pour des propos séditieux ou des attroupements) ont suscité une réaction similaire chez les jurés, qui en ont acquitté 17 (68 %) sur 25. Enfin, dans les procès où l’orientation politique de l’accusé était douteuse, 41 (87 %) personnes sur 47 ont été relaxées.
59Une comparaison des verdicts avant et après Fructidor montre que non seulement le taux d’acquittements chute brutalement après le coup, de 85 % (ans IV et V) à 62 % (ans VI et VII) ; mais qu’en outre le traitement judiciaire des personnes accusées de délits « contre-révolutionnaires » change encore plus radicalement. Comme le montre le tableau III, en l’an V presque tous les prévenus de « droite » ont été relaxés. Mais l’année suivante, le taux d’acquittements baisse de 98 % à 62 % pour de tels accusés ; et cette chute s’accentue en l’an VII, où la moitié seulement d’entre eux est innocentée. Ces chiffres tendent à confirmer les conclusions de Richard Cobb et Colin Lucas, qui estiment que les procès politiques dans certains tribunaux criminels ont été fortement influencés par le réveil du conservatisme après Thermidor63.
Tableau III : Procès politiques, de l’an IV à l’an VII aux seize tribunaux étudiés

60La réticence des jurés de l’an V à condamner est manifeste à la lecture des verdicts. Les tribunaux des grandes villes (Lyon, Bordeaux, Toulouse) ne soumettent, cette année-là, que deux affaires politiques à l’appréciation du jury : il s’agit de crimes de paroles et les deux prévenus sont relaxés64. Dans les petites villes aussi, les procès politiques par jurés sont rares. En l’an V, les trois tribunaux criminels des provinces de l’Ouest ont jugé 13 accusés politiques et prononcé 13 relaxes, dont 9 en faveur d’hommes soupçonnés de complicité avec des émigrés dans la Mayenne65. Plusieurs tribunaux (dont ceux de la Côte-d’Or, de la Creuse, des Landes, des Hautes-Pyrénées et de la Seine-et-Oise) n’ont entendu aucune affaire politique. Les plus actifs à cet égard furent les tribunaux criminels du Cher, de la Haute-Saône et du Gard. À Bourges, en brumaire an V, les jurés eurent à se prononcer sur un procès politique particulièrement massif : 25 personnes étaient poursuivies pour avoir participé à la révolte de Sancerre, connue sous le nom de « petite Vendée », et qui eut lieu au printemps de 1796. Quand la rébellion, menée par l’ancien gouverneur royal du Berry, échoua le 14 avril 1796, des insurgés en fuite furent arrêtés et conduits à Bourges. Les jurés innocentèrent les 25 accusés jugés en brumaire, dont 7 sur la question intentionnelle. Par la suite, 6 autres personnes soupçonnées d’être impliquées dans l’affaire furent jugées et acquittées66.
61Dans la Haute-Saône, la résistance religieuse ne se traduisit pas par une rébellion ouverte mais par de multiples formes d’aide au clergé réfractaire. Onze personnes furent jugées à Vesoul en l’an V pour avoir hébergé des prêtres insermentés et – fait exceptionnel – deux d’entre elles furent condamnées pour crime à dix ans de prison. Les neuf autres accusés furent acquittés, de même que deux hommes prévenus d’avoir crié « Vive le roi ! » et trois autres soupçonnés d’attroupement armé67. Mais en l’an V, les verdicts les plus dramatiques ont été rendus dans le Gard, où le président du tribunal et l’accusateur public étaient d’anciens fédéralistes. Le tribunal criminel de Nîmes eut à juger de très nombreuses affaires de rébellion et de désordres perpétrés non seulement dans le Gard mais aussi dans des départements avoisinants. Deux hommes inculpés pour leur rôle dans des troubles armés à Montpellier en pluviôse an IV choisirent de comparaître à Nîmes, où ils furent convaincus d’attroupement et condamnés à huit ans de fers. Mais si les jurés du Gard ont eu la main lourde contre ces prévenus de « gauche », ils se sont montrés beaucoup plus indulgents pour les « contre-révolutionnaires ». Sept hommes jugés pour une action violente à caractère politique à Aigues-Mortes furent relaxés, ainsi qu’une femme soupçonnée d’avoir prononcé un discours royaliste (le jury estima qu’elle était ivre au moment des faits), un homme accusé d’avoir participé à la rébellion de vendémiaire an IV à Avignon, et les onze hommes jugés pour le célèbre massacre du Fort Saint-Jean à Marseille, où comme l’a démontré Stephen Clay, environ 90 anciens terroristes ou sympathisants périrent, victimes de la vengeance populaire68.
62Après Fructidor, l’humeur des jurés change. En effet, les acquittements ne diminuent pas dans certains départements, comme le Gard et la Vendée. Pourtant, leur fréquence globale dans les seize tribunaux étudiés est en baisse : alors qu’en l’an V, 92 % des prévenus politiques avaient été relaxés, le pourcentage passe à 64 % en l’an VI et 60 % en l’an VII. On ne compte que deux inculpés de « gauche » après Fructidor : ce sont donc les « contre-révolutionnaires » qui ont subi les effets de la nouvelle attitude des jurés. Certes, la plupart d’entre eux sont innocentés. Mais dans la Haute-Saône, le Cher, la Haute-Garonne et, dans une moindre mesure, dans la Mayenne, les accusés de « droite » reçoivent des verdicts, et donc des condamnations, plus sévères (parfois nettement) après Fructidor.
63Dans la Mayenne, où les chouans ont résisté jusqu’à la fin des années 1790, les procès politiques des ans VI et VII ont abouti à 20 acquittements et 4 peines criminelles. Mais trois procès par jurés pour rébellion se sont terminés par des condamnations à mort. Deux chouans présumés ont eu la tête tranchée au titre des dispositions du Code pénal contre les « conspirations et complots tendant à troubler l’État par une guerre civile » ; un autre fut exécuté en vertu de la loi du 30 prairial an III, qui prévoyait la peine de mort pour quiconque s’opposait à la « pacification » menée par Hoche dans les provinces de l’Ouest. Dans cette dernière affaire, jugée à Laval le 3 décembre 1798, le jury décréta que l’accusé avait été un commandant rebelle avant ladite pacification et qu’il avait dénoncé à deux reprises la République et tenu des propos royalistes en l’an VI. Le jugement qui s’ensuivit paraît quelque peu spécieux : les juges ont estimé que les « propos séditieux » de l’accusé montraient qu’il ne s’était pas soumis à la loi républicaine au cours de la « pacification ». Il devait donc être considéré comme un « révolté » qui s’était déchu lui-même du droit à l’amnistie s’appliquant à ses crimes antérieurs. Il fut condamné à mort69.
64Aucune exécution pour crime politique n’a eu lieu dans la Haute-Saône et le Cher. Mais le changement d’attitude des jurés dans ces deux départements est incontestable. Au cours des ans IV et V, les procès politiques par jurés y aboutissent à 60 acquittements, 4 peines correctionnelles et 2 condamnations criminelles. Par contraste, les ans VI et VII donnent 26 acquittements, 10 peines correctionnelles et 21 condamnations criminelles. Neuf personnes sont déportées, l’une pour avoir troublé une réunion électorale, 4 pour avoir caché des prêtres réfractaires, et 4 autres pour des crimes de parole ou des écrits séditieux70. Ces derniers furent sanctionnés au titre de la loi du 27 germinal an IV, qui prévoyait la peine de mort pour les personnes convaincues d’avoir appelé, verbalement ou par écrit, à renverser le gouvernement ou à restaurer la monarchie. En vertu de cette loi, on pouvait déporter le coupable au lieu de l’exécuter si le jury lui reconnaissait les circonstances atténuantes. Et c’est ce que firent en général les jurés. Le 10 janvier 1799, le jury de Vesoul jugea un homme accusé d’avoir écrit « Vive Louis XVIII » sur un mur de la prison de Jussey. L’accusé avait commis l’imprudence de signer sa profession de foi et l’écriture fut reconnue comme la sienne. Le jury estima néanmoins que sa condition de détenu constituait en quelque sorte une « circonstance atténuante » et lui épargna la guillotine71.
65C’est à Toulouse que les « contre-révolutionnaires » avaient le plus à craindre des jurés. Après avoir entendu peu d’affaires politiques sous le premier Directoire, les jurys de Haute-Garonne jugèrent 40 personnes dans des procès de ce type au cours des ans VI et VII et prononcèrent 27 condamnations pour crimes et seulement 7 relaxes. Une telle fermeté est remarquable, même dans la « ville rouge » du Directoire72. En l’an VI, toutes les personnes jugées par jurés à Toulouse dans des affaires à forte connotation politique ont écopé de peines criminelles ! Cinq hommes furent convaincus de crimes de parole ou d’écrits séditieux en faveur des Bourbons, et quatre d’entre eux condamnés à mort par contumace. Par ailleurs, les jurés ont condamné 2 hommes soupçonnés de s’être attaqué à un arbre de la liberté (un crime passible de quatre ans de prison) et 9 hommes accusés d’attroupement contre-révolutionnaires (6 peines capitales par défaut73).
66Les accusés condamnés à la sentence capitale par contumace ne risquaient pas l’exécution immédiate : lorsqu’ils étaient appréhendés, ils avaient droit à un nouveau procès par jurés et pouvaient donc se défendre. Mais le jury de Toulouse confirma 3 exécutions en l’an VII. L’un des accusés fut convaincu d’avoir eu l’intention de tuer des néo-jacobins à Verdun (Haute-Garonne) et fut guillotiné pour tentative d’homicide. Et à l’occasion de deux procès distincts, les 7 et 8 septembre 1799, le jury envoya deux hommes à l’échafaud pour des crimes de parole sans circonstances atténuantes : tous deux étaient soupçonnés d’avoir exprimé des opinions royalistes, l’un dans une auberge, et l’autre au cours d’une réunion à Fousseret en l’an VII. Le tribunal criminel de Toulouse prononça également la peine de mort (par contumace) contre deux hommes pour « propos séditieux », et des peines de déportation contre six personnes accusées d’avoir hébergé des prêtres réfractaires74.
67Ces verdicts tranchent radicalement avec la tendance qui prévalait depuis 1792. De la création des tribunaux criminels jusqu’au coup de Fructidor, seulement trois prévenus avaient été exécutés à la suite d’un procès politique par jurés dans les seize départements étudiés. Mais après Fructidor, l’attitude des jurys change considérablement : on note 6 exécutions en l’an VI et VII, et le taux de relaxes chute, notamment dans les cas de délits « contre-révolutionnaires ». Il ne faut toutefois pas exagérer le contraste entre la justice pré- et post-Fructidor. Le taux d’acquittements global pour les procès politiques en l’an VI-VII atteint encore 62 %. Si l’on excepte le Cher, la Haute-Saône, la Haute-Garonne et quelques affaires en Mayenne, la tendance d’ensemble ne change pas de façon spectaculaire. Dans les départements les plus calmes (Ain, Côte-d’Or, Creuse, Landes, Hautes-Pyrénées, Seine-et-Oise), les jurés avaient rarement à juger des accusés politiques ; quant à ceux de Lyon ou de Bordeaux, ils étaient dessaisis par un tribunal militaire habilité à entendre de tels cas. Pour trois tribunaux particulièrement sollicités (Gard, Mayenne et Vendée), le pourcentage de relaxes demeure élevé après Fructidor : respectivement 94 %, 77 %, et 87 %. Des recherches plus approfondies sont nécessaires si l’on souhaite atteindre une vision plus nette des procès politiques durant cette période. Mais les données que nous avons consultées pour les seize départements en cause suggèrent, dans l’ensemble, un changement indéniable dans la réponse des juges aux poursuites politiques, surtout à Bourges, Vesoul et Toulouse.
Napoléon
68Du fait de la consolidation du pouvoir d’État sous Napoléon, la fréquence des procès politiques diminue dans les seize tribunaux étudiés. Le Concordat de 1801 a eu pour effet d’apaiser le principal foyer de résistance au gouvernement post-révolutionnaire, tandis que la création des tribunaux spéciaux a réduit encore le nombre d’affaires à connotation politique entendues par des jurés. Si les tribunaux criminels ordinaires continuent à juger des prévenus politiques, les poursuites de cette nature diminuent rapidement : dans les seize tribunaux, on passe de 121 accusés en VII à 61 en l’an VIII, 25 en l’an IX et 7 en l’an X. Par ailleurs, la volonté de Napoléon d’enterrer les conflits des années 1790 coïncide avec un taux d’acquittements très élevé : de l’an VIII jusqu’au dernier procès politique par jurés en l’an XIV, 91 % des prévenus seront innocentés.
69Le chef d’accusation le plus commun est celui d’avoir tenu des « propos inciviques ». Les crimes de parole représentent un tiers des affaires politiques : la plupart des personnes prévenues à ce titre sont soupçonnées de sympathies royalistes et sont souvent simplement accusées d’avoir crié « Vive le roi » (ou « Vive mon Louis XVIII », « Vive le roy, vive la reine, vive le comte d’Artois »). Mais les propos séditieux jugés après Brumaire expriment encore parfois des sentiments néo-jacobins. En 1802, le tribunal de Bourges jugera un paysan accusé d’avoir prédit le retour imminent de l’armée révolutionnaire dans la Nièvre, d’avoir traité Bonaparte de « petit foutu gueux », et d’avoir déclaré que Fouché était bien préférable au Premier Consul. Le jury constata les faits, mais accepta l’excuse du prévenu, qui était ivre au moment du délit, et le condamna à huit mois de prison75.
70Dans les seize départements étudiés, trois accusés politiques jugés par un jury furent guillotinés. Le 13 décembre 1799, les jurés de Toulouse ont condamné un homme pour avoir tenu des propos royalistes et lui ont refusé les circonstances atténuantes, malgré l’avis des magistrats qui estimaient qu’il y avait dans sa conduite « plus de legereté, de phrenesie ou inconsequence que de malice ». La décision du jury contraignit les juges à l’envoyer à l’échafaud en vertu de la loi du 27 germinal an IV76. Dans la Mayenne, en 1800, les jurés déclarèrent deux chouans coupables de « conspiration contre l’État », un crime qui entraînait automatiquement la mort77. Mais, une fois de plus, de tels verdicts étaient exceptionnels. De l’an VIII à l’an XIV, 97 des 107 accusés politiques furent acquittés. Toutes les personnes accusées d’actions contre des arbres de la liberté (16), d’attroupement (17), d’écrits ou de discours séditieux (5) furent innocentées. Il en fut de même pour 11 des 13 personnes accusées de trahison ou de conspiration contre l’État, pour 31 des 36 auteurs présumés de propos inciviques, et pour 4 des 5 prévenus soupçonnés d’avoir hébergé des prêtres réfractaires (le cinquième fut tout de même déporté). On le voit, comme leurs prédécesseurs révolutionnaires, les jurés napoléoniens étaient fortement enclins à relaxer les accusés politiques. Paradoxalement, cette clémence a pu jouer en faveur des intérêts généraux du gouvernement en facilitant le processus de réconciliation nationale souhaité par Napoléon.
La Société et l’État révolutionnaire :
les jurés face aux conflits politiques
71On vient de le voir, les jurys de jugement ont annulé la plupart des poursuites politiques soumises à leur appréciation sous la Révolution et Napoléon. Entre 1792 et 1811, aux seize tribunaux étudiés ici, ils ont acquitté les deux tiers des personnes soupçonnées de délits contre l’ordre public et les trois quarts des accusés politiques. Sur 953 prévenus inculpés de crimes dont la nature politique était claire, 12 seulement furent guillotinés (dont 5 chouans présumés en Mayenne). On peut en conclure que l’institution du jury s’est généralement opposée aux tentatives des gouvernements successifs de faire condamner leurs ennemis politiques par les tribunaux criminels. En s’interposant entre la société et l’État révolutionnaire, les jurés ont souvent déjoué les intentions répressives des autorités. Mais comment interpréter cette résistance ?
72Dans les affaires d’ordre public, les accusés ont peut-être bénéficié d’une tendance naturelle des jurés à s’identifier, dans une certaine mesure, à leur sort. Les jurés de la Révolution, dont la plupart étaient des hommes de propriété, avaient sans doute plus de sympathie pour un fonctionnaire inculpé de malversation que pour un vagabond ou un ouvrier accusé de vol. Et pourtant, il arrivait que leur adhésion à l’ordre social soit tempérée par un instinct « communautaire ». S’ils ont acquitté 92 % des accapareurs présumés, ils ont aussi relaxé 83 % des personnes accusées d’avoir entravé la libre circulation des grains. Ce dernier chiffre laisse à penser que l’opposition au transport des denrées alimentaires vers des marchés distants n’était pas le seul fait des classes populaires mais également d’un grand nombre de censitaires nommés jurés en 1792-1793 et après 1795.
73Il existe toutefois une autre explication possible pour le taux élevé d’acquittements dans les affaires d’ordre public : ici, la victime n’a pas d’identité. Aux yeux des jurés, le tort fait à l’État est moins tangible que la souffrance éprouvée par un individu. Un crime commis contre l’État ou contre le « bien public » peut apparaître comme une infraction qui ne lèse personne. De plus, les peines prévues par le Code pénal et les autres lois répressives étaient souvent très sévères : condamner un marchand pour spéculation, un faussaire pour contrefaçon d’assignats ou un gardien de prison pour complicité d’évasion, c’était les envoyer à la mort. Enfin, il se peut que les nombreuses relaxes prononcées dans les affaires d’ordre public exprimaient une persistance des attitudes traditionnelles envers l’État. Sous l’Ancien Régime, les intérêts « privés » et « publics » convergeaient souvent à la fois en pratique et en théorie. Cette convergence s’incarne bien évidemment dans la personne même du roi. Mais elle est visible également dans la figure des officiers vénaux et dans celle des fermiers généraux : il était admis que ces personnages (contrairement, en principe, aux futurs fonctionnaires révolutionnaires) cherchaient leur profit personnel. Derrière l’indulgence des jurés dans les affaires d’ordre public sous la Révolution, se profile peut-être l’ancienne notion d’un État que l’on peut exploiter, manipuler, contourner, avec lequel on peut négocier.
74Le taux élevé d’acquittements dans les procès plus nettement politiques confronte l’historien à un autre problème d’interprétation. Il est tentant d’attribuer cette clémence à la présence d’adversaires du gouvernement – voire, de contre-révolutionnaires – dans les jurys ou sur le banc des magistrats. Il va de soi que le système de justice criminelle n’était pas imperméable aux tensions politiques des années 1790, et que les adversaires de la Révolution ont dû saisir toutes les occasions d’affaiblir les tribunaux criminels. Mais l’idée d’une véritable subversion contre-révolutionnaire est plus plausible pour certaines périodes que pour d’autres. De toute façon, cette hypothèse ne suffit pas en soi à expliquer l’indulgence des jurés, dont les motivations réelles nous demeurent, en fin de compte, inaccessibles.
75Avant la Terreur, certains acquittements politiques sont peut-être dus aux scrupules de certains jurés et juges « modérés ». Les listes trimestrielles des jurys en 1792 étaient établies par un fonctionnaire élu (le procureur-général-syndic) et comprenaient des électeurs du deuxième degré qui avaient signé le registre au district. Les juges et l’accusateur public aussi étaient désignés par élection. Ainsi, dans un département donné, la composition du banc et celle du jury de jugement pouvaient refléter, directement ou indirectement, la prédominance des « modérés » dans l’électorat. Toutefois, qualifier leur influence de « contre-révolutionnaire » risquerait de nous induire en erreur. Avant la chute de la monarchie, les luttes entre partisans modérés et radicaux de la Révolution ont rarement dégénéré en affrontements entre « révolutionnaires » et « contre-révolutionnaires ». Le terrain du « centre » était certes difficile à occuper à cause du conflit entre le roi et l’Assemblée législative ainsi que de la guerre, mais il était encore possible de s’y maintenir et les « modérés » aspiraient encore à « arrêter » la Révolution plutôt qu’à revenir en arrière. Les tribunaux criminels de cette période ont, dans une certaine mesure, freiné l’application des lois pénales contre les ennemis du gouvernement : les jurys ont acquitté 31 (61 %) des 51 accusés politiques ayant comparu devant les seize tribunaux avant août 1792. Le traitement relativement sévère réservé aux prêtres réfractaires contredit l’idée d’une forte influence contre-révolutionnaire : plus de la moitié d’entre eux reçut une peine criminelle ou correctionnelle.
76Après la fin de la monarchie, des juges politiquement modérés comme Augier (Cher), Bretet (Haute-Saône), Desmery (Somme), Desmirail (Gironde), Durande (Côte-d’Or) et Vigier (Gard) furent réélus en septembre 1792 et ont conservé leur poste jusqu’à leur limogeage par les représentants en place (au début de l’automne 1793 pour la plupart). Les registres pour le service du jury furent progressivement ouverts à tous les citoyens mâles et adultes. Mais le procureur-général-syndic contrôlait encore les listes trimestrielles jusqu’en décembre 1793 et pouvait en théorie rayer les noms des patriotes les plus ardents (quand il les connaissait). Ainsi, les « modérés » pouvaient parfois encore façonner la configuration politique des tribunaux criminels, et dans les départements fédéralistes ceux-ci prirent ouvertement position dans la guerre civile naissante. Lorsque les luttes politiques dans un département s’intensifiaient et que les camps se polarisaient, les tentatives d’épurer les listes des jurys et de faire pression sur les jurés devenaient sans doute plus fréquentes.
77Et pourtant, si l’orientation politique des juges et des administrateurs avait influencé de façon décisive la tendance générale des verdicts politiques en 1792-1793, le taux d’acquittements aurait baissé quand les représentants de la Convention ont nommé de nouveaux juges et quand le gouvernement a introduit une nouvelle procédure de sélection des jurés. Or, loin de décliner, le taux de relaxes dans les procès politiques a légèrement augmenté à l’automne de 1793 : de 71 % entre 1792 et août 1793, il est passé à 73 % entre octobre 1793 et messidor an II. Ainsi, en dépit du nouveau système de recrutement des jurés promulgué le 2 nivôse an II, les jurys des seize départements ont acquitté 24 (80 %) des 30 personnes prévenues de crimes politiques entre pluviôse et messidor an II. Il est vrai que les jurys ont entendu moins d’affaires politiques après l’été 1793. Mais la remise en ordre effectuée par les représentants en mission n’a pas modifié la tendance générale des verdicts. Malgré la présence de fervents patriotes à la tête des tribunaux criminels et dans les parquets, malgré la mainmise étroite des agents nationaux de district sur le processus de sélection des jurys, ceux-ci ont continué à acquitter comme auparavant.
78Si les jurys de la Terreur ont acquitté la plupart des contre-révolutionnaires présumés, ceux de la Réaction ont fait de même pour la plupart des personnes soupçonnées de terrorisme. 74 % des accusés politiques jugés entre thermidor an II et l’an III (inclus) ont été relaxés, et les jurys de cette période ont innocenté 71 % des personnes prévenues d’avoir participé à la Terreur78. Si l’on considère les tribunaux sous la Réaction, il est peu probable qu’ils aient été infiltrés massivement par des adversaires politiques du régime : les listes des jurys étaient proposées par des agents nationaux thermidoriens, et les juges étaient approuvés par des représentants en mission également favorables à Thermidor. Comme sous la Terreur, les ennemis de la Convention ne pouvaient pénétrer les institutions de la justice criminelle qu’en gagnant le soutien des Conventionnels eux-mêmes – un exploit peu probable, mais pas impossible. Quoi qu’il en soit, la tendance des jurys à acquitter aussi bien des crimes de « gauche » que des crimes de « droite » suggère que les nombreux acquittements observés ont d’autres causes que l’influence contre-révolutionnaire.
79Pour la période du Directoire, l’hypothèse d’une subversion interne est plus plausible. Les magistrats et les accusateurs publics n’étaient plus nommés mais élus, et les listes de jurys étaient confiées à l’administration centrale de chaque département. Et, de fait, les verdicts des jurés dans les seize départements étudiés trahissent une tendance conservatrice sous le premier Directoire. Avant Fructidor, les prévenus de « droite » obtiennent davantage de jugements favorables que ceux de la « gauche » (voir tableau III). Le taux d’acquittements des « contre-révolutionnaires » présumés est extrêmement élevé en l’an IV et V ; par contre, après Fructidor trois des seize tribunaux criminels commencent à condamner un pourcentage important de suspects royalistes. Il est donc tentant d’accepter la thèse des directoriaux eux-mêmes, qui considéraient que le gouvernement d’avant Fructidor était menacé par une vaste conspiration monarchiste. Mais cette thèse est-elle fondée ? Lorsque le Directoire a purgé la magistrature en l’an V et VI, s’est-il attaqué à un ennemi réel ou à un spectre imaginaire ?
80Des recherches plus approfondies sont nécessaires pour répondre à cette question énigmatique, en particulier dans les départements politiquement explosifs du Midi. Mais nos recherches nous conduisent à penser que le gouvernement a réagi à la fois à une menace concrète et contre les fantômes de ses propres projections idéologiques. Les élections de l’an IV ont effectivement mis en place ou reconduit des juges modérés ou même conservateurs qui ont certainement influencé le cours de la justice. Les sentiments anti-jacobins d’hommes comme Vigier (Gard) et Desmery (Somme) sont incontestables et ne proviennent nullement de l’imagination des Directoriaux. Et le taux spectaculaire de 98 % d’acquittements pour les suspects contre-révolutionnaires en l’an V est significatif.
81Mais si les verdicts des tribunaux criminels laissent transparaître un parti pris conservateur avant Fructidor, il n’en reste pas moins que la théorie d’une « conspiration » présente bien des incohérences et des limites. De par leur nature même, de telles explications sont inattaquables. Mais ce qui compte dans une théorie c’est sa capacité à expliquer les faits, et les preuves sur lesquelles elle est basée. Dans les seize départements étudiés, nous n’avons trouvé aucun élément confirmant l’existence d’un « complot » mené par des magistrats conservateurs et visant à subvertir la République de l’intérieur. Des cas de favoritisme politique et des violations de la procédure ont dû se produire : on a pu, par exemple, modifier subrepticement la composition du jury à l’occasion de tel ou tel procès. Mais en l’absence de preuves, la théorie selon laquelle les juges conservateurs ont systématiquement tourné la loi pour défendre leurs amis politiques et pour abattre leurs ennemis demeure une simple hypothèse79. En fait, il se peut bien que les juges réactionnaires aient principalement opéré dans le cadre des lois existantes.
82Par ailleurs, la capacité de la théorie du complot à expliquer les faits est limitée. L’histoire des tribunaux criminels après 1792 montre que la présence de juges contre-révolutionnaires n’est pas nécessaire pour expliquer un fort taux de relaxes. Même sous le Directoire, l’idée répandue par le gouvernement d’une conspiration ne rend pas compte de la clémence observée dans un département comme la Vendée, où les sentiments politiques des magistrats et des administrateurs étaient au-dessus de tout soupçon et où les autorités en place ne furent pas affectées par la purge de Fructidor : 27 sur 31 accusés royalistes y furent acquittés en l’an IV et V.
83Toute tentative de comprendre les verdicts des jurys de 1792 à 1811 doit inévitablement aborder la question des preuves. Ici, il nous faut répéter les mises en garde du chapitre II : il se peut que les jurés aient acquitté des condamnés tout simplement parce que les preuves à charge étaient insuffisantes. D’un point de vue strictement juridique, le taux d’acquittements dans les procès politiques ne constitue pas vraiment un « problème », à moins que la culpabilité des relaxés ne soit manifeste. Et puisque les débats n’étaient pas consignés, nous n’avons aucune certitude concernant la culpabilité des accusés politiques. Néanmoins, en restant dans le domaine du vraisemblable, nous devons nous orienter prudemment vers d’autres explications possibles, tout en gardant à l’esprit que la question des preuves demeure entière.
84Une deuxième raison possible des acquittements des prévenus politiques rappelle un autre thème développé au chapitre II : la rigueur et le caractère inflexible des peines. Il semble indubitable que les peines sévères prévues pour les crimes politiques ont souvent dissuadé les jurés de condamner. Les lois votées par l’Assemblée constituante ou la Convention nationale prévoyaient la peine capitale non seulement pour rébellion armée mais aussi pour émigration, propos inciviques et « conspiration contre l’État » – une situation qui satisfaisait sans doute les révolutionnaires les plus intransigeants, mais qui a dû faire hésiter plus d’un juré. Les autorités provinciales reconnaissaient elles-mêmes l’« effet dissuasif » de la peine de mort… sur les jurés ! En l’an VII, le commissaire du gouvernement en Seine-et-Oise signalait au ministre de l’Intérieur que les jurys préféraient relaxer les personnes prévenues de « délits révolutionnaires » plutôt que « faire appliquer une loi portant peine capitale80 ». Ce phénomène paraît avoir été particulièrement fréquent dans les affaires de propos séditieux. Sous le Directoire, certains magistrats ont demandé au gouvernement d’atténuer les peines prévues pour ce délit, puisque les jurés rechignaient visiblement à envoyer des gens à la mort pour des propos81. Même lorsque l’accusé ne risquait pas sa tête, comme dans les affaires d’émeutes liées aux « subsistances », les juges suppliaient le gouvernement de modérer les sanctions et de prévoir plus de souplesse dans leur application82.
85Une troisième hypothèse mérite toute notre attention. Nombre d’acquittements ne seraient pas tant dus à l’action délibérée des magistrats qu’aux diverses pressions qu’ils subissaient. Plutôt que de supposer une tentative concertée de subvertir le système judiciaire, il faudrait alors prendre en compte l’influence d’individus ou de groupes extérieurs aux institutions judiciaires. Ainsi, dans leur propre logique, les Directoriaux auraient peut-être dû chercher la véritable cause du « laxisme » des tribunaux criminels non seulement du côté des juges mais aussi dans l’opinion publique provinciale, ou encore dans la crainte qu’inspiraient aux magistrats les bandes royalistes du Midi. D’ailleurs, à d’autres périodes, les pressions extérieures ont pu pousser les magistrats dans un sens révolutionnaire. Jusqu’au milieu des années 1790, les clubs jacobins et les sans-culottes ont sans doute parfois tenté d’imposer aux tribunaux criminels une conception « populaire » du droit au détriment de la légalité « formelle ». Alors que la Convention était déjà écartelée entre ces deux tendances, les députés ont voté des lois qui rendaient les membres des tribunaux encore plus perméables aux influences du dehors. Le 26 juin 1793, la Convention décréta que dorénavant « tous les juges des tribunaux civils et criminels seront tenus d’opiner à haute voix et en public83 ». Ensuite, on leva le voile du secret entourant les déclarations des jurés. Le 7 frimaire de l’an II, la Convention établit une nouvelle procédure judiciaire, où les membres du jury de jugement (qui passaient de douze à onze) devaient se lever et annoncer chacun leur décision à haute voix. Ces règles s’appliquaient toutefois seulement à certains procès d’ordre public ou politiques84. Les juges et les jurés ont-ils souvent cédé aux pressions extérieures ? C’est fort probable, mais il est impossible de l’affirmer avec certitude. En tout cas, il leur est arrivé de défier ouvertement la foule massée dans la salle du tribunal. En brumaire an III, un jury de la Creuse déclara un gendarme coupable d’avoir abusé de son pouvoir sous la Terreur, malgré la présence de membres de la société populaire locale qui s’efforçaient d’influencer « par des signes et des cris d’approbation ou improbation l’opinion des jurés et celle des membres du tribunal, afin de soustraire l’accusé à l’action de la loi 85 […] ».
86Les pressions n’émanaient pas seulement du public mais aussi des autorités révolutionnaires elles-mêmes. Pendant la Terreur, les juges devaient suivre la ligne politique officielle (et parfois les instructions précises) des représentants en mission : ils risquaient de perdre leur poste et même d’être arrêtés s’ils s’en écartaient. Les représentants thermidoriens avaient également le pouvoir de nommer et de renvoyer les magistrats. Quant au Directoire, tout en prônant théoriquement la règle de droit, il finit par épurer l’appareil judiciaire des éléments réactionnaires, et ces purges – auxquelles s’ajoutaient des circulaires exhortant les tribunaux à se montrer plus fermes dans les affaires politiques – constituaient à coup sûr une forme d’intimidation. Certains juges s’inclinaient volontiers : leur capacité à survivre à plusieurs changements de régime témoigne de leur adaptabilité. Jean-Baptiste Duval, notamment, était visiblement prêt à servir plusieurs sortes de maîtres : élu accusateur public à Amiens en 1791, il traversa la Terreur et la Réaction sans être inquiété. D’autres juges avaient l’échine moins souple. Tout comme les jurés, les magistrats comprenaient des hommes enclins à l’opportunisme et d’autres plus fidèles à leurs principes.
87Une quatrième hypothèse, comme les trois premières, ne rejette pas mais nuance plutôt l’idée que les tribunaux criminels du Directoire étaient soumis à des manipulations de la part des juges. Postuler, comme le faisaient les directoriaux, que la racine du problème résidait chez les magistrats, revenait à éluder la question du pouvoir judiciaire réel dans la salle d’audience. Ainsi que nous l’avons vu au chapitre II et dans deux des affaires évoquées plus haut, le jury était parfaitement capable de résister aux pressions des juges. Bien entendu, certains jurés suivaient sans doute les conseils et les insinuations des magistrats. Mais de là à supposer que les jurés dans leur ensemble n’étaient que des instruments dociles entre les mains de juges réactionnaires – il y a un pas que nous ne pouvons franchir86.
88Au lieu d’attribuer la responsabilité des verdicts aux seuls juges, on peut explorer les motivations possibles des jurés, qui ne partageaient pas forcément la conscience politique des magistrats. Un juré pouvait acquitter un suspect royaliste accusé d’avoir crié « vive le roi » sans être pour autant un contre-révolutionnaire. Au contraire, la fréquence et le caractère extensif des acquittements prononcés en matière de justice criminelle révolutionnaire suggère que de nombreux jurés n’ont pas relaxé en vue de « subvertir » le système judiciaire mais parce qu’ils ne vivaient pas les luttes politiques de l’époque avec la même intensité et le même engagement que les hommes du gouvernement. La polarisation des camps en présence, qui s’exprime dans la rhétorique enflammée des royalistes, des jacobins et des directoriaux, n’était pas nécessairement ressentie avec autant d’acuité dans tous les secteurs de la société civile. Si certains jurés avaient incontestablement des comptes politiques à régler, nombre d’entre eux devaient se sentir peu concernés par les batailles partisanes qui faisaient rage dans le prétoire.
89Cette relative indifférence des jurés à l’égard des « partis », au sens large du terme, impliquerait deux réponses possibles aux poursuites politiques devant les tribunaux criminels. Tout d’abord, les acquittements pouvaient refléter un manque d’intérêt pour la politique répressive de l’État. Dans ce cas, la clémence des jurés s’expliquerait par leur indifférence envers les conflits entre « révolutionnaires » et « contre-révolutionnaires », tout comme un spectateur refuse de prendre parti dans une querelle entre deux personnes dont il ne partage pas les griefs : ce qui importait, ce n’était pas tant l’issue du combat que sa cessation. Ensuite, certains jurés « cléments » pouvaient parfaitement soutenir la Révolution tout en éprouvant une répulsion à l’égard des poursuites judiciaires contre ses ennemis politiques. Ils ont pu estimer que si l’État devait prendre des précautions et se défendre, des mesures sévères n’étaient justifiées que lorsque la survie de la Révolution était en jeu. Ce type de juré ressemble au témoin qui n’intervient pas dans une rixe parce qu’il sent que son camp est en train de gagner. Partisans de l’ordre révolutionnaire, mais lassés des règlements de comptes et peu convaincus de la nécessité d’envoyer des accusés politiques au bagne ou à la guillotine, de tels jurés devaient être plus prompts à réagir contre la sévérité des peines ou à invoquer les circonstances atténuantes. Formaient-ils une majorité dans les jurys ?
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90En fin de compte, les acquittements des accusés politiques (comme ceux des accusés de droit commun) résistent à l’analyse. Rétrospectivement, à deux siècles de distance, les motivations des jurés se prêtent à des spéculations fructueuses. Mais l’historien doit s’imposer une certaine prudence. L’interaction des structures judiciaires, des textes de loi, des magistrats et des simples citoyens au palais de justice, varie selon les départements et reflète la diversité du paysage institutionnel et humain de la France provinciale. Il va sans dire que l’orientation de la magistrature sous les régimes successifs a contribué à façonner les verdicts politiques rendus par les jurés. Mais elle ne constitue que l’un des ingrédients d’un processus riche et complexe, et qui a eu pour effet de restreindre l’influence politique de l’État sur ses propres institutions judiciaires.
Notes de bas de page
1 Tocqueville (A. de), De la démocratie en Amérique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1990, t. I, p. 212.
2 Le certificat de l’employeur a été conservé et indique que Mignot a justifié son départ de Fribourg en se référant au « décret sur l’émigré ». La loi du 9 novembre 1791 obligeait les Français partis à l’étranger à rentrer, et la loi du 30 mars 1792 considérait comme émigrés ceux qui avaient quitté la France depuis le mois de juillet 1789 et n’y étaient pas rentrés au 9 mai 1792. Voir Martin (J.-C.), Contre-Révolution, Révolution et Nation en France, 1789-1799, Paris, Seuil, 1998, p. 116, et Monnier (R.), « Le peuple juge », dans Boucher (P.) (dir.), La Révolution de la justice, op. cit., p. 171.
3 D’autres magistrats auraient peut-être décidé, en recevant cette information d’Aisy, de mettre fin aux poursuites.
4 Toutes les déclarations des jurés sous la Révolution étaient précédées des mots, « Sur mon honneur et ma conscience […] ».
5 Voir la loi des 28 mars et 5 avril 1793 (Duvergier, t. V, p. 272-283) et le chapitre VI du présent ouvrage.
6 Concernant cette affaire, voir AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 14 n° 79.
7 La loi du 26 novembre 1792 (Duvergier, t. V, p. 73-74) ordonnait aux émigrés de quitter le territoire français dans les quinze jours suivant la promulgation de la loi dans leur commune. Pour respecter l’esprit de cette disposition, il aurait fallu poser la question de savoir si la loi avait été publiée à Aisy-sous-Thil avant le 10 décembre (soit deux semaines avant l’arrestation de Mignot).
8 AN AD III 50, rapport fait au nom des comités de constitution et de jurisprudence criminelle, de la loi sur la police de sûreté, la justice criminelle, et l’institution des jurés, par Adrien Du Port, député de Paris, séance du 27 novembre 1790, p. 77.
9 Constitution de 1791, Chapitre V, art. 9.
10 Loi des 10 et 12 mars 1793 (Duvergier, t. V, p. 238-239), art. 1.
11 Certaines infractions pouvaient être jugées par le tribunal criminel sans jury (voir chapitre VI). Les hommes du gouvernement qui souhaitaient poursuivre les suspects politiques avaient deux autres procédures à leur disposition : les représentants en mission étaient habilités à faire juger n’importe quelle affaire « révolutionnairement », c’est-à-dire sans jury (loi du 22 nivôse an II), et les juges du tribunal criminel pouvaient faire déporter les personnes accusées d’incivisme au titre de la loi du 7 juin 1793.
12 Concernant le problème de la définition, voir Greer (D.), The Incidence of the Terror in the French Revolution, Gloucester, Mass., P. Smith, 1966, p. 71-81.
13 Les 7 et 30 frimaire de l’an II, la Convention nationale soumit ces délits à des règles de procédure spéciales.
14 Gottschalk (L.), Jean-Paul Marat : A Study in Radicalism, Chicago, University of Chicago press, rééd., 1967, p. 108.
15 Ces chiffres comprennent les fonctionnaires soupçonnés de malversations dans la garde ou la vente de biens nationaux.
16 Loi des 13 et 14 brumaire an II (Duvergier, t. VI, p. 335). Cette législation suit une augmentation rapide de la population carcérale, stimulée par la loi des suspects. La Convention pensait, de toute évidence, que la vigilance des geôliers et des gardiens serait aiguisée par la crainte d’une arrestation immédiate.
17 Pour de telles affaires dans la Côte-d’Or, voir AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 17 nos 111 et 113 ; 2LF 1, 2LF 19 nos 127 et 130 ; 2LF 1, 2LF 20 nos 131 et 132 ; 2LF 1, 2LF 22 n° 156. En ventôse an II, un gendarme perdit son prisonnier sur la grande route entre Beaune et Dijon lorsqu’il l’autorisa à « faire ses besoins » (AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 17 n° 113).
18 AD Creuse, 2L 14, jugement du 16 octobre 1792.
19 AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 8 n° 43 ; 2LF 1, 2LF 10 n° 47. Ces procès, tenus en mars et avril 1793, se conclurent tous deux par une condamnation à quatre ans de fers pour falsification de documents privés (2e Partie, Titre II, Section II, art. 42 du Code pénal). Le certificat clé était un billet d’hôpital, qui prouvait en apparence que son détenteur avait été réformé pour raisons médicales.
20 AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 14 n° 78 ; 2LF 1, 2LF 22 n° 157 ; ces deux affaires se terminent par des acquittements grâce à la question intentionnelle. Certains documents pouvaient permettre à des jeunes gens ayant déserté leur régiment de voyager et, avec un peu de chance, de se réinsérer dans la société civile. De plus, comme l’a montré Alan Forrest, le crime de faux pouvait précéder l’entrée dans l’armée : les actes de mariages et les dates de naissance pouvaient être falsifiés par des fonctionnaires locaux pour leur éviter la conscription. Voir Forrest (A.), Conscripts and Deserters : The Army and French Society During the Revolution and Empire, Oxford, Oxford University press, 1989, p. 140-142.
21 2e Partie, Titre I, Section VI, art. 1 et 2.
22 AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 22 n° 158. Le prévenu affirmait avoir égaré l’assignat en juin 1793.
23 La seule condamnation criminelle prononcée aux seize tribunaux concernés par notre étude eut lieu le 15 thermidor an II dans la Somme, où un homme déclaré coupable d’accaparement par les jurés fut condamné à deux ans de fers. Voir AD Somme, L 3192, jugement du 15 thermidor an II.
24 AD Finistère, 67L 3 et 67L 22, jugement du 17 floréal an II.
25 Voir la loi des 11 et 16 avril 1793 (Duvergier, t. V, p. 305-306). Dans les Landes, un accusé échappa à la condamnation, malgré les dépositions de plusieurs témoins affirmant qu’il avait tenté de vendre un bœuf à Hagtemau pour 600 livres en écus mais 800 livres en assignats (voir AD Landes, 108L 4, jugement du 18 ventôse an II). L’un des crimes contre l’ordre public le plus fréquemment poursuivi était le vol « des deniers publics ou effets mobiliers appartenant à l’État » : ce délit était puni de quatre ans de fers. 81 des 385 personnes accusées à ce titre reçurent cette peine, non seulement pour le vol de biens nationaux, mais également pour avoir dérobé des vivres, des fournitures et des uniformes militaires, ainsi que des ornements ou des matériaux de construction utilisés dans des bâtiments publics.
26 Voir Cobb (R.), Reactions to the French Revolution, Oxford, Oxford University press, 1972 ; Lucas(C.), « Themes in Southern Violence after 9 Thermidor, » dans Lucas(C.) & Lewis (G.) (dir.), Beyond the Terror, Cambridge, Cambridge University press, 1983, p. 152-195 ; Lewis (G.), « Political Brigandage and Popular Disaffection in the South-East of France, 1795-1805 », dans ibid., p. 195-231 ; et Doyle (C.), « Internal Counter-Revolution », op. cit.
27 Henriot (M.), Le club des jacobins de Semur, 1790-1795, Dijon, Rebourseau, 1933, p. 123. Le gouvernement toléra au début le clergé réfractaire. Le 11 avril 1791, le département de la Seine autorisa les prêtres insermentés à célébrer des offices dans des églises qu’ils louaient. L’Assemblée constituante étendit cette tolérance à l’ensemble du pays avec la loi du 7 mai 1791. Mais les hostilités qui suivirent poussèrent l’Assemblée législative à décréter que les insermentés, lorsqu’ils étaient dénoncés, seraient considérés comme des « suspects » et passibles de deux ans de prison. Le roi opposa son veto à ce décret puis, ultérieurement, à une autre loi (26 mai 1792) qui aurait permis de déporter plus facilement les prêtres insoumis. Voir Henroit, p. 122, et McManners (J.), The French Revolution and the Church, London, 1969, SPCK for the Church Historical Society, p. 61-65.
28 Richard Andrews a montré que les dispositions du Code pénal de 1791 étaient susceptibles de s’appliquer à une grande variété de crimes de parole. Voir Andrews (R.), « Boundaries of Citizenship : The Penal Regulation of Speech in Revolutionary France », French Politics and Society 7, 3 (Été 1989), p. 90-109.
29 AD Rhône, 39L 59, jugement du 19 mai 1792.
30 AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 5 n° 7.
31 Pour les condamnations, voir le jugement du 15 juin 1792 dans la Haute-Saône (368L10), et ceux du 21 avril et du 16 mai 1792 dans le Gard (L 3035). Voir aussi le Code pénal, 2e Partie, Titre I, Section V, art. 5 et 6.
32 Des 51 accusés, 9 ont reçu des peines criminelles, 11 des peines correctionnelles et 31 ont été acquittés. Parmi les 9 personnes condamnées pour des crimes, 4 ont été envoyées à la réclusion solitaire (gêne) pour deux ans, un autre pour six ans, 3 ont écopé de six ans de fers ; enfin, un juge de paix du Finistère a été condamné à quinze ans de gêne pour avoir mené une rébellion armée pour perturber les élections de 1791 (AD Finistère, 67 L 2, 3, jugement du 15 juillet 1792).
33 Loi du 26 août 1792 (Duvergier, t. IV, p. 423-424), art. 1-3 et 5.
34 AD Cher, L 1513, jugement du 16 décembre 1792.
35 Sur les 27 prêtres jugés par les jurys de ces tribunaux entre août 1792 et frimaire an II, 18 ont été condamnés pour des crimes (dont 8 pour avoir transgressé la loi du 26 août, et 10 pour avoir enfreint les dispositions du Code pénal concernant les fonctionnaires publics) ; un autre ecclésiastique a reçu une peine correctionnelle, et 8 ont été acquittés. Pour la loi du 29 vendémiaire an II et son application, voir chap. VI.
36 Voir AD Haute-Garonne, 7L201 U1, 24 décembre 1792 ; AD Gironde, 5L 53, 17 février 1793 ; AD Haute-Saône, 368 L 10, 15 février 1793 ; AD Somme, L 3192, 17 avril 1793 ; AD Rhône, 39 L 60, 15 juin 1793 ; AD Hautes-Pyrénées, 2 L 2, 28 brumaire et 16 pluviôse an II.
37 Feignant d’ignorer cette loi, le tribunal criminel des Hautes-Pyrénées a fait juger deux émigrés présumés par des jurys en l’an II. Ces deux procès se sont terminés par des relaxes (AD Hautes-Pyrénées, 2L 2, jugements du 28 brumaire et du 16 pluviôse an II). Et les onze personnes accusées de complicité d’émigration avant thermidor an II ont toutes été acquittées.
38 Code pénal, 2e Partie, Titre I, Section II, art. 2.
39 Pour une analyse des crimes de parole, voir Andrews (R.), « Boundaries of Citizenship », op. cit.
40 AD Rhône, 39L 60, jugement du 17 juin 1793.
41 AD Cher, L 1513, jugement du 17 août 1792.
42 Les juges avaient une autre option pénale pour les affaires politiques. En juin 1793, la Convention étendit aux tribunaux criminels ordinaires une disposition délibérément vague qui s’appliquait déjà au tribunal révolutionnaire de Paris : « Ceux qui, étant convaincus de crimes ou délits qui n’auraient pas été prévus par le Code pénal et les lois postérieures, ou dont la punition ne serait pas déterminée par les lois, et dont l’incivisme et la résidence sur le territoire de la République auraient été un sujet de trouble et d’agitation, seront condamnés à la peine de déportation » (loi des 7-8 juin 1793, Duvergier, t. V, p. 398). Au titre de cette loi, la peine de déportation pouvait comporter une durée fixe ou être prononcée à vie, à l’appréciation des magistrats et selon « les circonstances et la nature des délits ».
43 AD Haute-Garonne, 7L 201 U1, jugements du 29 septembre 1792 et du 16 octobre 1793.
44 AD Mayenne, L 1827/28, jugements du 10 pluviôse an VI, du 13 frimaire an VII, et du 27 nivôse an VII ; L 1829/30, jugement du 15 frimaire an IX (ce dernier cas concernait deux accusés).
45 Outre les 4 hommes condamnés à Toulouse, 3 autres reçurent des peines criminelles dans le Gard pour avoir conspiré en vue de « faire triompher l’aristocratie », mais ces derniers furent déclarés coupables en vertu des dispositions du Code pénal s’appliquant aux crimes de pillage et de violences illégales exercées par des troupes de ligne. AD Gard, L 3037, jugement du 19 avril 1793.
46 McManners, op. cit., p. 93-95.
47 Les officiers municipaux avaient confisqué l’argenterie de l’église en vertu de la loi du 10septembre1792.
48 AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 9 n° 39. Le procureur reçut une peine de prison de trois ans et les autres prévenus furent condamnés à quinze jours de détention.
49 Concernant les cas d’écrits séditieux, voir AD Gironde, 5L 51, jugement du 20 septembre 1792 ; AD Finistère, 67L 2, 3, jugement du 17 septembre 1792 ; AD Rhône, 39L 60, jugement du 17 janvier 1793 ; AD Haute-Saône, 368L 10, jugement du 15 avril 1793. Concernant les cas d’émigration, voir AD Haute-Garonne, 7L 201 U1, jugement du 24 décembre 1792 ; AD Gironde, 5L 53, jugement du 17 février 1793 ; AD Haute-Saône, 368L 10, jugement du 15 février 1793 ; AD Somme, L 3192, jugement du 17 avril 1793 ; AD Rhône, 39L 60, jugement du 15 juin 1793 ; AD Hautes-Pyrénées, 2L 2, jugements du 28 brumaire et du 16 pluviôse an II. Concernant les cas de complicité d’émigration, voir AD Cher, L 1513, jugement du 15 décembre 1792 ; AD Rhône, 39L 60, jugements du 18 février et du 8 juin 1793 ; AD Yvelines, 42L 1, jugement du 20 pluviôse an II ; AD Côte-d’Or, 2LF 1, jugement du 8 ventôse an II ; AD Haute-Saône, 368L 11, jugement du 22 prairial an II. Concernant le cas de rébellion, voir AD Finistère, 67L 2, 3, jugement du 16 mars 1793. Concernant les cas de correspondance avec des émigrés et des prêtres, voir AD Ain, registre non classé, jugement du 25 frimaire an II ; AD Yvelines, 42L 1, jugement du 20 germinal an II.
50 AD Haute-Garonne, 7L 201 U1, 29 septembre 1792 et 16 octobre 1793 ; AD Finistère, 67L 2/3, 16 mars 1793.
51 Pour une étude du concept et du processus de la Réaction – voire des réactions – dans la région de la France le plus fréquemment associée à ce phénomène, voir Clay (S.), « “Réaction” dans le Midi : le vocable de la vengeance » dans Guilhaumou (J.) & Monnier (R.) (dir.), Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815), t. 6, Paris, Klincksieck, 1999, p. 157-186.
52 AD 2LF 2, 2LF 32 n° 234. Voir le « procès-verbal des mouvements séditieux qui ont eu lieu au tribunal criminel » 21 thermidor an III.
53 AD 2LF 2, 2LF 32 n° 234. Vallée n’a jamais plus été jugé à Dijon.
54 AD Gironde, 5L 57, jugements du 21, 22, et 28 floréal et du 1er prairial an III.
55 AD Cher, L 1515, jugements du 18 et 19 thermidor an III.
56 Certains des prévenus étaient soupçonnés d’avoir participé aux fameuses « orgies » censées avoir eu lieu chez Courbis et d’avoir dansé avec lui autour de la guillotine. Voir AD Gard, L 3041, jugement du 29 messidor an III.
57 Ibid.
58 Face à l’intransigeance des autorités du Gard, le tribunal de cassation fut contraint de faire transférer ces condamnés dans l’Isère, où le tribunal criminel prononça leur relaxe le 28 fructidor an IV (14 septembre 1796). AN BB 18 316, extrait du registre du tribunal criminel de l’Isère, 28 fructidor an IV.
59 Baczko (B.), Comment sortir de la Terreur : Thermidor et la Révolution, Paris, Gallimard, 1989, p. 194-207.
60 Concernant la destitution de Desmery par Dumont le 11 septembre 1793, voir AD Somme, L 3192, 15 septembre 1793 ; et pour le rétablissement de Desmery dans sa charge par un décret du représentant en mission Santereau le 18 brumaire an III, voir L 3192, 28 brumaire an III. Le registre L 3190 (vendémiaire an IV) mentionne les problèmes suscités par le fait que le beau-frère de Desmery était un prêtre réfractaire.
61 Pour le jugement de Le Bon, voir AD Somme, L 3193, jugement du 13 vendémiaire an IV, et L 975, « Joseph Le Bon ».
62 Emmanuel Berger a montré, cependant, que le Directoire a généralement respecté l’indépendance du judiciaire. Ce n’est qu’après Fructidor qu’il envisagea de faire surveiller les juges par le pouvoir exécutif. Voir Berger (E.), « Le modèle judiciaire libéral mis à l’épreuve : la surveillance des juges sous le Directoire », AHRF 337, 2004, p. 41-62.
63 Voir Cobb (R.), Reactions to the French Revolution, Oxford, Oxford University press, 1972, p. 48, 50, 243, 244, 248-249 ; Lucas (C.), « The Rules of the Game in Local Politics under the Directory », French Historical Studies 16 (Automne 1989), p. 358-362 ; Doyle (C.), The Judicial Reaction in South-Eastern France, 1794-1800, op. cit., et « Internal Counter-Revolution : The Judicial Reaction in Southern France, 1794-1800 », French History (1992), p. 106-124.
64 AD Gironde, 2U 120, jugement du 18 vendémiaire an V ; AD Rhône, 39L 64, jugement du 17 ventôse an V.
65 AD Mayenne, L 1826, jugements du 29 pluviôse et du 21 floréal an V ; L 1827/28, jugements du 14 et 15 fructidor an V ; AD Vendée, L 1517, jugement du 14 germinal an V.
66 AD Cher, L 1516, jugements du 25 brumaire et du 21 germinal an V. Pour la révolte, voir Saclier De La Bâtie (G.), Vendée sancerroise, 1796, Héron, 1996 ; Vilaire (F.), Bourges sous la Révolution, 2e éd., Mayenne, 1989, p. 123-124 ; et Devailly (G.) (dir.), Histoire du Berry, Toulouse, Privat, 1980, p. 242.
67 AD Haute-Saône, 368L 12, jugements du 16 brumaire, 19 frimaire, 15 nivôse, 18 pluviôse, 30 pluviôse et 16 floréal an V, et 368L 13, jugements du 20 messidor et 18 fructidor an V. Les personnes déclarées coupables d’avoir caché des prêtres réfractaires risquaient dix ans de prison au titre de la loi des 22 germinal et 1 floréal de l’an II (Duvergier, t. VII, p. 166).
68 Au sujet de la condamnation de deux hommes accusés d’avoir participé aux troubles de Montpellier, voir AD Gard L 3044, jugement du 21 ventôse an V. Voir aussi L 3043, jugements du 16 vendémiaire et 18 brumaire an V ; L 3044, jugements du 22 floréal, 23 prairial, et 10 messidor an V. Concernant le massacre du Fort St-Jean, voir L 3043, jugement du 10 frimaire an V. Voir aussi Clay (S.), « Le Massacre du fort Saint-Jean, un épisode de la Terreur blanche à Marseille » dans Vovelle (M.) (dir.), Le tournant de l’an III : réaction et terreur blanche dans la France révolutionnaire, Paris, Éditions du CTHS, 1997, p. 579-583.
69 Pour les trois condamnations à mort, voir AD Mayenne, L 1827/28, jugements du 10 pluviôse an VI, 13 frimaire et 27 nivôse an VII.
70 Voir AD Cher L 1517, jugement du 12 germinal an VI, L 1518, jugement du 6 fructidor an VII, AD Haute-Saône, 368 L 13, jugements du 2 nivôse an VI, 24 pluviôse an VI, 21 ventôse an VI, 16 fructidor an VI, 21 nivôse an VII, 368 L 14, jugement du 16 fructidor an VII.
71 AD Haute-Saône, 368L 13, jugement du 21 nivôse an VII.
72 La ville était un « bastion néo-jacobin » sous le Directoire : voir Fournier (G.), « La longue survie du jacobinisme toulaisain du Directoire à la Restauration », dans Mazauric (C.) & Le Bozec (C.) (dir.), Pour la Révolution française. Hommage à Claude Mazauric, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1998, p. 365-370 ; Gainot (B.), 1799, un nouveau Jacobinisme ?, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2001, p. 21.
73 AD Haute-Garonne, 7L 201 U2, jugements du 22 vendémiaire, 9 ventôse, 23 ventôse, 11 floréal, 22 messidor et 15 thermidor an VI.
74 Pour les 3 exécutions, voir AD Haute-Garonne, 7L 201 U2, jugements du 26 messidor, 21 et 22 fructidor an VII. Pour les peines capitales par contumace, voir le jugement du 28 brumaire an VII, et pour les 6 personnes convaincues d’avoir caché des prêtres réfractaires, voir les jugements du 17 vendémiaire, 17 brumaire, 16 floréal, 16 et 23 fructidor an VII. Ces peines de déportation furent tirées de la loi du 22 germinal an II (votée par la Convention). Quatre personnes furent acquittées en l’an VII d’avoir hébérgé des prêtres insoumis (jugements du 19 brumaire, 19 thermidor, et 18 fructidor an VII) ; deux furent innocentés du soupçon d’avoir proféré des propos dont l’orientation politique est indéterminée (jugements du 21 brumaire et 28 floréal an VII) ; enfin, une personne accusé d’un délit sur un arbre de la liberté fut relaxée (jugement du 19 frimaire an VII).
75 AD Cher, 2U 1081, jugement du 5 floréal an X.
76 AD Haute-Garonne, 7L 201 U3, jugement du 23 frimaire an VIII. Par contre, trois personnes comparaissant devant ces tribunaux pour avoir avoir tenu des propos séditieux ont été condamnées à deux ans de fers au titre de la loi du 1er Germinal an III (une loi souvent invoquée à la fin des années 1790 par les juges qui préféraient éviter de prononcer la peine de mort ou la déportation pour les crimes de parole, et qui étaient prêts à ignorer purement et simplement les dispositions du 27 germinal an IV). Voir, par exemple, AD Ain, 3U 6, jugement du 15 ventôse an VIII.
77 AD Mayenne, L 1829/30, jugement du 15 frimaire an IX.
78 Même sans tenir compte des deux derniers mois de l’an II, le taux d’acquittements dans les procès politiques de l’an III est de 73 %.
79 Les lettres adressées au ministère de la Justice, rassemblées dans la série BB 18 aux Archives nationales, déploient une rhétorique exubérante et paraissent souvent refléter plus les frictions politiques de la vie provinciale que des réalités judiciaires.
80 AN BB 18 834, lettre du 27 fructidor an VII du ministre de l’Intérieur au ministre de la Justice. Ce document cite le commissaire central de la Seine-et-Oise.
81 AN BB 18 900, lettre du 25 prairial an VII transmise par le directeur du jury à Fontenay au ministre de la Justice, et lettre du 27 fructidor an VII du commissaire du pouvoir exécutif rattaché aux tribunaux civils et criminels de la Vendée au ministre de la Justice ; et BB 18 834, lettre du commissaire du pouvoir exécutif rattaché aux tribunaux civils et criminels de la Seine-et-Oise au ministre de la Justice. L’auteur de cette dernière lettre, qui se révèle être Brillat Savarin lui-même, faisait observer que la peine de mort prévue par la loi du 27 germinal an IV n’était jamais appliquée, « car vainement observera-t-on aux jurés qu’ils ne doivent examiner que le fait sans s’inquiéter de la punition qui doit suivre ; il est impossible qu’ils s’en tiennent à cette abstraction métaphysique […] ».
82 AN BB 29 182, « V », p. 11, lettre du 30 pluviôse an II du président du tribunal criminel des Vosges ; BB 29 180, « F », p. 28, lettre du 16 juin 1793 de l’accusateur public du Tarn.
83 AP t. LXVII, p. 509. On trouvera un exemple de cette façon pour les magistrats d’exprimer leur avis dans AD Hautes-Pyrénées, 2L 2, jugement du 23 nivôse an II : « Les juges ont opiné sans désemparer, le plus jeune a commencé et tous successivement jusqu’au président ont donné leur avis à haute voix et en présence du public. »
84 Voir la loi des 7 et 9 frimaire an II (Duvergier, t. VI, p. 376-377). En Seine-et-Oise, le greffier du tribunal qualifie ce jury de onze hommes de « jury révolutionnaire de jugement. »
85 AD Creuse, 2L 20, jugement du 17 frimaire/16 brumaire an III. Nous avons déjà vu l’acquittement accordé à Claude Vallée à Dijon par un tribunal soumis à une intense pression.
86 Notons, au passage, que la question du degré de pouvoir des juges et des jurés est l’un des points les plus controversés de l’histoire de la justice criminelle moderne en Angleterre. Voir les articles réunis dans Twelve Good Men and True, op. cit.
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