Chapitre II. Le verdict du jury : les acquittements et leurs causes
p. 55-96
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Index géographique : France
Texte intégral
« En matière criminelle, rien de si facile, quand il existe un code pénal uniforme, que l’institution du juré. »
Hérault de Séchelles, 17931.
1Dans les années qui suivirent sa création, l’institution du jury suscita déjà des critiques au sommet de l’appareil d’État et de la magistrature. Dès février 1793, la Convention nationale recevait déjà des plaintes concernant « l’impunité des crimes » et, sous le Directoire, les ministères de la Justice et de l’Intérieur ne dissimulaient pas leur mécontentement face aux nombreux acquittements rendus par les jurés. Ce type de reproches s’intensifia sous Napoléon, dont le ministre de la Justice se plaignait des « impunités les plus scandaleuses » accordées aux accusés dans les affaires où les intérêts de l’État étaient en jeu. À Nîmes, un magistrat alla jusqu’à affirmer qu’« une assez longue expérience a prouvé qu’il est impossible, dans ce moment, de rétablir et maintenir l’ordre social avec les jugements par jurés […] ». Même un partisan convaincu du système du jury comme le président du tribunal criminel de Nevers admettait que « les jurés ont souvent et trop souvent, acquitté des coupables et de grands coupables […] ». Ces déclarations reflètent un sentiment répandu – quoique non unanime – dans la magistrature napoléonienne : le système répressif créé par la Révolution ne fonctionnait tout simplement pas2.
2L’indignation soulevée vers le tournant du siècle par la clémence des jurés était si étendue qu’elle fut à l’origine de nouvelles lois visant à assurer que les crimes seraient bien punis. Vers la fin des années 1790, avec la menace que faisait peser le brigandage sur une grande partie du territoire, le Directoire prit des mesures pour renforcer le système de répression. Non seulement le gouvernement eut recours aux tribunaux militaires pour s’assurer que les brigands seraient condamnés, mais il changea les règles en matière de verdict du jury criminel – en augmentant le nombre de jurés requis pour prononcer l’acquittement. Après Brumaire, le gouvernement ôta certaines formes plus bénignes de vol de la compétence des jurés et les fit juger par les tribunaux correctionnels. Les Consuls créèrent également un nouveau magistrat (le « substitut ») chargé de la recherche et de la poursuite de tous les crimes, et instituèrent des tribunaux spéciaux sans jurés pour certains crimes spécifiques. Napoléon lui-même – encouragé par une fraction importante de la magistrature – envisagea la suppression pure et simple du jury de jugement3. Il est clair que les fréquentes relaxes rendues par les tribunaux criminels inquiétaient bien des membres de l’appareil d’État et du monde judiciaire. Tout en convenant que l’institution du jury était « belle en théorie », ils le condamnaient comme « vicieuse dans la pratique4 ». Mais en réalité, quel type de jugements produisait le système du jury ?
Les verdicts
3Les jurés étaient donc enclins à prononcer l’acquittement : cette tendance a été confirmée par des études locales des tribunaux criminels sous la Révolution. Des monographies et des articles de la première moitié du xxe siècle ont montré que les taux d’acquittements ont varié de 30 % dans l’Hérault à 67 % dans l’Aisne5. À vrai dire, les auteurs de ces études n’ont guère paru eux-mêmes intéressés (ou impressionnés) par de tels chiffres ; mais les indications qu’ils ont fournies ont permis à des historiens plus récents de conclure que, dans les années 1790, les jurés français ont produit une forte proportion d’acquittements – du moins, si l’on compare leurs verdicts à ceux du xxe siècle6. Toutefois, notre connaissance du bilan des jurys de la Révolution est encore vague. La plupart des études locales ne distinguent pas les condamnations criminelles des correctionnelles. Même lorsque nous disposons de statistiques, elles se limitent à des pourcentages d’accusés condamnés ou acquittés pendant une période donnée. Il existe très peu d’informations concernant le rapport entre les verdicts du jury et le sexe, l’âge ou l’origine sociale des accusés7. Les historiens des tribunaux criminels se sont généralement abstenus de classer les verdicts selon le type de délit, et les études locales qui ont effectué un tel classement ont traité cette question de façons fort diverses. De plus, ces travaux ont rarement examiné les verdicts des jurys sur toute la période des tribunaux criminels, qui a duré vingt ans : certaines études locales s’arrêtent en 1795, d’autres en 1799, et la période napoléonienne a été relativement négligée8.
4Malheureusement, il est impossible de brosser un tableau statistique cohérent des verdicts des jurés à partir des documents de l’État central. La source préférée des chercheurs en matière de verdicts criminels pour les périodes ultérieures – le compte général de l’administration de la justice criminelle, tenu par le ministère de la Justice – n’a vu le jour qu’en 18259. Quant aux archives des autres services administratifs, elles n’offrent que des aperçus superficiels dans ce domaine10. En l’absence de documents exploitables à Paris, nous avons consulté les registres des jugements aux archives départementales afin de reconstituer les verdicts rendus par seize tribunaux criminels sous la Révolution et Napoléon. Ces registres présentent habituellement chaque affaire par ordre chronologique, avec l’acte d’accusation, la décision du jury et le jugement prononcé par les magistrats. Bien que certains registres provinciaux aient été détruits et que leur présentation diffère parfois d’un département à l’autre, ils constituent le guide le plus complet et le plus fiable pour comprendre le fonctionnement du système des jurés créé par la Révolution.
5Ces documents confirment la tendance évoquée précédemment : les jurés ont souvent prononcé l’acquittement. De 1792 à 1811, près de la moitié des accusés qui ont comparu devant ces seize tribunaux furent disculpés des charges qui pesaient sur eux (voir tableau I)11. 45 % d’entre eux ont été acquittés par le jury ; 43 % ont été condamnés pour des crimes aux termes du Code pénal de 1791, et 12 % pour des délits passibles de peines correctionnelles relativement légères (de quelques jours à deux ans de prison). On note, bien sûr, des variations selon les départements : les jurés de Haute-Garonne et de l’Ain ont prononcé davantage de condamnations pour des crimes (respectivement, 52 % et 49 %), alors que les tribunaux criminels de la Vendée et du Gard furent les champions de l’acquittement avec 57 %.
Tableau I : Nombre d’accusés ayant reçu des peines criminelles, des peines correctionnelles, et des acquittements, 1792-1811
Par département

6La teneur des verdicts des jurys a également varié selon les périodes, au cours de la vingtaine d’années d’existence des tribunaux criminels. Comme le montre le tableau II, les jurés ont prononcé davantage d’acquittements pendant la Révolution que sous Napoléon. La proportion de relaxes s’accroît pendant la Terreur et grimpe en flèche au cours de la réaction thermidorienne. Avec le Directoire, on observe un équilibre entre les condamnations pour crimes et les acquittements. Mais ces derniers commencent à diminuer avec l’avènement de Napoléon : on n’en compte plus que 40 % sous le Consulat et 36 % sous l’Empire. On notera, toutefois, que les jurés napoléoniens ne prononcèrent pas un taux de condamnations pour crimes beaucoup plus élevés que les jurés du Directoire : plus souvent que leurs prédécesseurs, ils préféraient infliger des peines correctionnelles légères plutôt que d’acquitter.
Tableau II : Nombre d’accusés ayant reçu des peines criminelles, des peines correctionnelles, et des acquittements, 1792-1811
Par année

7La loi du 19 fructidor an V, qui exigeait dans la plupart des cas un verdict unanime du jury, ne modifia guère l’attitude des jurés12. La tendance est la même avant et après le vote de la loi : le « Second Directoire » (tout comme le premier) présente un taux de condamnations pour crimes de 46 % et un taux d’acquittements similaire. Ainsi, on constate une situation fort paradoxale : bien que cette réforme de la procédure devait rendre (en principe) les acquittements plus difficiles à prononcer, en exigeant au moins six voix au lieu de trois en faveur de l’accusé (voir chapitre I), en fait la nouvelle loi ne réduisit nullement le taux des acquittements dans l’ensemble des seize départements. La « reprise en main » dans un sens plus répressif aura lieu plus tard, sous le régime de Napoléon.
8Quels types de délits ont provoqué les verdicts les plus sévères de la part des jurés ? Étant donné les tensions et les conflits complexes de l’époque, il ne faut pas prêter trop d’importance aux distinctions entre les différentes formes de crimes. La frontière entre crime politique et crime de droit commun, notamment, demeure extrêmement ténue durant toute cette période ; elle fluctue au gré des conflits politiques et de la lutte des gouvernements révolutionnaires, puis napoléoniens, pour rétablir l’ordre et une administration efficace en temps de guerre. Certains délits motivés essentiellement par l’intérêt personnel et l’enrichissement étaient souvent considérés par les patriotes zélés et les fonctionnaires du gouvernement comme des actes « politiques » ou, du moins, comme une menace pour la stabilité de l’État. Comme nous l’avons déjà vu, la Convention, le Directoire et Napoléon ont créé de nouvelles procédures pour réprimer des crimes tels que les détournements de fonds, les malversations, les faux, la contrefaçon d’assignats, le vol armé et le brigandage13. Ces changements fréquents tant au niveau pénal que politique rendent fort complexe la classification des crimes jugés par les tribunaux criminels. De plus, on ne peut se fier aux autorités judiciaires pour clarifier la situation : les actes d’accusation mentionnent rarement l’article en vigueur dans le Code pénal et se contentent de décrire le délit présumé. Il faut bien le reconnaître : toute tentative de classer les crimes poursuivis au cours de cette période reste subjective.
9Les catégories adoptées dans le tableau III représentent une approche possible. Dans le premier groupe, on trouve les crimes contre la propriété : vol, escroquerie, vandalisme et incendie volontaire. Le second groupe est constitué par les crimes violents, en particulier les agressions physiques comme l’homicide et les voies de faits14. Enfin, un troisième groupe de délits recouvre les délits motivés par l’intérêt personnel mais constituant une menace concrète pour l’appareil d’État. Ces délits sont définis comme des crimes contre l’ordre public et peuvent également être appelés des « crimes contre l’État ». On y trouve entre autres : la résistance à l’arrestation et aux ordres des autorités constituées, la contrefaçon des pièces de monnaie et des assignats, les faux et l’usage de faux, les détournements de fonds, l’acceptation de pots-de-vin, les vols de biens nationaux, la complicité d’évasion et la « résistance à la libre circulation des grains ». De telles infractions menaçaient l’appareil ou la propriété d’État ; elles pouvaient aussi entraver les efforts de l’administration pour réglementer la vie publique. Dans certaines conditions, elles prenaient l’allure de crimes politiques et furent considérées comme tels par le gouvernement. Mais tandis que la distinction entre les délits « politiques » et « contre l’ordre public » était souvent incertaine, ces derniers étaient plus souvent et davantage motivés par l’intérêt personnel que les délits purement politiques. Les infractions contre l’ordre public ressemblaient souvent à s’y méprendre à de simples vols, à ceci près que la victime était l’État et non un particulier.
Tableau III : Nombre d’accusés ayant reçu des peines criminelles, des peines correctionnelles, et des acquittements, 1792-1811
Par département et type de crime

10Le terme de « crime politique » désigne les délits exprimant ouvertement une opposition politique ou constituant, aux yeux des autorités, une trahison de la Révolution : la rébellion armée, les crimes impliquant des prêtres réfractaires et des émigrés, les « propos inciviques » contre le gouvernement, l’incendie volontaire et le pillage lorsque les motivations politiques étaient claires (par exemple, le saccage de la maison d’un prêtre réfractaire) ainsi que l’incitation à la rébellion contre l’« autorité légitime ». Cette catégorie comprend également certains cas de « résistance à la loi » lorsque ceux-ci prenaient une tournure plus agressive, comme lors des attroupements dirigés contre des assemblées municipales.
11Comme le montre le tableau III, les sentences les plus rigoureuses des jurys sous la Révolution et Napoléon ont été prononcées pour des atteintes à la propriété, dont plus de la moitié (55 %) furent qualifiées de « crimes ». Un tiers seulement des procès pour de tels délits ont donné lieu à des acquittements. Les personnes accusées de violences avaient plus de chances d’être relaxées. Mais le taux d’acquittements le plus élevé apparaît dans les affaires d’atteintes à l’ordre public et dans les procès politiques. On observe, bien sûr, des variations d’un tribunal à l’autre, mais la tendance générale est la même : les condamnations pour crimes sanctionnent plus souvent les délits contre la propriété. Suivent, par ordre décroissant : les crimes violents, les atteintes à l’ordre public et les crimes politiques. Pendant toute la période concernée, la tendance des jurés à prononcer les verdicts les plus lourds à l’encontre des voleurs ne se dément à aucun moment (voir tableau IV). Même les verdicts relativement plus « légers » rendus en l’an II pour les autres catégories de prévenus ne s’appliquent pas à ceux qui sont accusés de crimes contre la propriété : ce n’est que sous Thermidor que leur sort s’améliore quelque peu, avant d’empirer de nouveau sous le Directoire15. Le taux d’acquittements pour les délits violents et contre l’ordre public augmente nettement en l’an II, puis en l’an III, et décline plus lentement sous le Directoire et Napoléon16. Cette tendance générale ne s’applique pas aux affaires politiques. De 1792 jusqu’en l’an V, les accusés politiques étaient régulièrement relaxés par les jurés. Mais en l’an VI et en l’an VII, ils furent victimes d’une répression modérée : les tribunaux criminels (notamment ceux de Toulouse, Bourges et Vesoul) ont condamné davantage d’« ennemis » du régime. Pour une analyse des procès politiques par jurés, voir au chapitre V.
Tableau IV : Nombre d’accusés ayant reçu des peines criminelles, des peines correctionnelles, et des acquittements, 1792-1811
Par année et type de crime

12Si l’accusé était déclaré coupable, les magistrats appliquaient la peine prévue par le Code pénal. Les accusés condamnés par les jurés dans les seize départements étudiés ont reçu les sentences suivantes17 :
Tableau V : Peines prononcées dans des procès par jurés, 1792-1811
Nombre d’accusés ayant reçu chaque type de peine

13Les tribunaux du Finistère, des Hautes-Pyrénées et du Rhône peuvent être considérés comme les plus « durs » : près de 60 % des condamnés reçurent des peines de douze ans ou plus, alors que la moyenne générale est de 45 % (voir tableau VI). La rigueur pénale peut toutefois revêtir d’autres formes. Ainsi, le tribunal de la Mayenne a prononcé un taux élevé de peines criminelles courtes (moins de dix ans) ainsi qu’un fort pourcentage de peines d’au moins dix-huit ans, le nombre de peines « moyennes » étant relativement faible.
Tableau VI : Répartition des peines, 1792-1811
Par département

14La fréquence des peines capitales varie également selon des départements (voir tableau VII). Environ 6 % des accusés jugés par des tribunaux criminels furent condamnés à mort, les jurés de Laval étant les plus enclins à prononcer la peine suprême (10 %) – alors que ceux de Nîmes et d’Amiens répugnaient visiblement à cette extrémité (3 %). Entre 1792 et 1811, 175 personnes furent condamnées à la guillotine par les jurés de Versailles : 140 dans l’Ain, 102 dans le Rhône, 78 dans le Finistère, 73 dans la Gironde – contre 37 en Vendée et 21 dans la Creuse. Toutes ne furent pas exécutées : certaines furent condamnées par contumace et d’autres virent leurs peines annulées en cassation18.
Tableau VII : Nombre d’accusés condamnés à mort lors d’un procès par jurés, 1792-1811
Par département

Tableau VIII : Nombre d’accusés condamnés à mort lors d’un procès par jurés, 1792-1811
Par année

15Cependant, les forts taux d’acquittements ne doivent pas occulter les nombreuses sentences sévères et mêmes excessives rendues par les jurys. Si la plupart des condamnés à mort de ces départements le furent pour homicide, ce ne fut pas toujours le cas : 21 accusés reçurent la peine capitale pour avoir fabriqué ou distribué des faux assignats, 49 pour incendie volontaire, et 112 pour vol aggravé au titre de la législation du Directoire visant les brigands19. Cette législation contribua à intensifier le recours à la guillotine sous le Directoire et le Consulat. De l’an V à l’an XII, 8,1 % des accusés jugés par des jurys furent condamnés à mort, contre seulement 3,5 % avant l’an V (voir tableau VIII). Il est clair que sous ces deux régimes, les magistrats et le gouvernement étaient très sensibles aux troubles sociaux – et que les jurés partageaient jusqu’à un certain point leur inquiétude.
Les causes des acquittements
16Avant de tenter de comprendre pourquoi les jurés ont acquitté tant d’accusés au cours de cette période, il convient de se demander si cette question n’est pas anachronique. On objectera en effet que le taux d’acquittements n’apparaît « élevé » qu’a posteriori. Comparé à la proportion de relaxes prononcées à la fin du xxe siècle, le chiffre de 45 % est certes impressionnant : les cours d’assises contemporaines acquittent rarement les accusés (de 1970 à 1981 inclus, le taux de relaxes fut de 5 %). Mais qu’en est-il des jurys qui précédèrent les tribunaux criminels ? Si les procès par jurés n’existaient pas dans la France post-médiévale d’avant 1792, en Angleterre, par contre, l’institution du jury survécut après le Moyen Âge. Les historiens du droit anglais ont montré que les jurés d’Outre-Manche étaient fort disposés à acquitter : entre 1560 et 1670, dans le Kent, les jurys d’assises innocentèrent 37 % des personnes accusées de crimes contre la propriété ; entre 1660 et 1800, ceux du Surrey acquittèrent également 37 % des accusés jugés aux « quarter sessions » et aux assises ; enfin, si l’on remonte au début du xve siècle, les jurys du Derbyshire, du Leicestershire et du Warwickshire en ont relaxé près des trois quarts. Thomas Andrew Green a décrit la tendance des jurys à annuler (« nullify ») les accusations portées contre des personnes qui étaient, de toute évidence, coupables. Si on compare les verdicts des jurés sous la Révolution française à ceux qui étaient rendus dans l’Angleterre moderne, ils apparaissent conformes à la tendance historique générale20.
17Néanmoins, il est légitime de considérer le taux d’acquittements des tribunaux criminels comme élevé. Et ce, non seulement par rapport au bilan judiciaire de la fin du xxe siècle mais aussi dans leur propre contexte. Il est significatif qu’à l’époque, bien des gens percevaient ces nombreux acquittements comme un problème. On l’a vu, des magistrats et d’autres responsables du système judiciaire se plaignaient de la propension des jurés à acquitter à tour de bras. Leurs récriminations faillirent même persuader Napoléon d’abolir le procès par jurés, afin d’assurer une répression plus efficace. Bien sûr, ces plaintes étaient souvent teintées de partialité ; les positions idéologiques et sociales de leurs auteurs sont connues – notamment, l’opposition au concept même du citoyen juré et la volonté de renforcer le pouvoir des magistrats de profession21. Certes d’autres juges soutenaient que les décisions des jurés étaient généralement équitables. Mais le fait même que les relaxes provoquèrent des débats et stimulèrent le zèle législatif des directoriaux ainsi que de Napoléon, suggère que le « problème des acquittements » ne peut être considéré comme une pure projection anachronique.
Les structures de la justice
18Peut-être faut-il reformuler la question et se demander : « Quels éléments influençaient la décision des jurés ? » Toute réponse à cette question est vouée à rester théorique. Il est impossible d’imaginer la vision que les jurés avaient d’une affaire criminelle donnée. Leur tâche elle-même – évaluer la culpabilité ou l’innocence en entendant les déclarations orales des uns et des autres – est subjective. Mais c’est précisément la nature subjective de leurs verdicts qui les rend si précieux pour l’étude des mentalités de l’époque. Le service du jury mettait à l’épreuve les valeurs et les croyances fondamentales de ces simples citoyens : ils étaient requis de rendre des décisions basées sur des normes éthiques et une connaissance de la nature humaine ainsi que de la vie courante. Les jurés devaient s’orienter dans le labyrinthe de la psyché humaine et se confronter à ses manifestations les plus diverses : haine, solidarité, appât du gain, opportunisme, idéalisme politique, passion amoureuse. Le tout, filtré par les déclarations incertaines des témoins et des accusés, mesuré à l’aune de la probabilité et ajusté aux peines prévues par le Code pénal. Les verdicts des jurys exprimaient leur propre vision de l’être humain. Leur complexité suscite l’intérêt, mais commande la prudence, surtout lorsqu’ils émanent d’une société en proie à de profonds bouleversements politiques et institutionnels.
19La première contrainte qui s’exerçait sur les jurés était la structure judiciaire au sein de laquelle ils opéraient. Les codes de la Constituante établissaient les prérogatives formelles du jury ; mais ils limitaient aussi sa liberté de manœuvre et le contraignaient à accepter certaines normes où à leur résister. Si le nouveau système judiciaire induisait une tension entre les principes inscrits dans les textes de loi et les valeurs de la société civile, cette tension pourrait se lire ou se laisser deviner dans les verdicts du jury de jugement.
20Afin d’analyser plus facilement cette tension, on peut distinguer trois formes d’indulgence du jury22. Tout d’abord, les jurés pouvaient acquitter parce qu’ils estimaient que les actes commis n’étaient pas criminels. Ainsi, le jury pouvait s’opposer aux définitions légales de la criminalité. Par ailleurs, tout en reconnaissant que le comportement du prévenu était intrinsèquement criminel, le verdict pouvait exprimer un désaccord avec la peine prévue par la loi. Enfin, comme le suggère Thomas Green, le jury pouvait accepter que l’acte en question était un crime et que la peine prévue était juste, mais rendre un verdict clément « à cause des caractéristiques personnelles [de l’accusé] ou des traits particuliers de l’affaire jugée23 ».
21Sous la Révolution et Napoléon, les jurés des seize tribunaux criminels analysés dans notre étude paraissent avoir opposé peu de résistance à la définition légale des crimes de droit commun. Nous avons vu précédemment que les affaires de vol et de violences provoquaient les verdicts les plus sévères : la plupart des jurés n’auraient certainement rien trouvé à redire à leur caractère « criminel ». Les délits du droit commun les plus souvent innocentés étaient l’infanticide (67 %) et l’avortement (80 %). Les jurés étant pour la plupart des citoyens mâles de condition relativement aisée, on aurait pu s’attendre à une plus grande sévérité dans de telles affaires, qui concernaient presque toujours des femmes et où les normes sexuelles et éthiques communément acceptées avaient été bafouées. On peut cependant imaginer que certains jurés considéraient l’infanticide ou l’avortement comme une solution acceptable – ou du moins compréhensible – pour des femmes non mariées, comme des actes qui faisaient partie des prérogatives des parents, ou perpétrés par des gens en position de vulnérabilité. Les jurés ont peut-être également réagi contre les peines sévères prévues pour ces actes : vingt ans de « fers » pour l’avortement, et le choix entre dix ans de réclusion solitaire (« gêne »), vingt ans de fers, ou la mort pour les cas d’infanticide (en fonction des circonstances et de l’intention). En tout cas, s’il est clair que ces deux délits étaient moins graves aux yeux des jurés que pour les législateurs, il n’est pas certain que les premiers contestaient le statut « criminel » de l’infanticide. Par contre, la proportion très élevée d’acquittements dans les affaires d’avortement laisse à penser que certains jurés ne considéraient pas cette pratique comme un crime.
22Les actes de violence dans leur ensemble ont peut-être également provoqué une réaction ambivalente chez les membres des jurys. Si ces derniers n’étaient certes pas portés à acquitter à tour de bras les personnes accusées d’homicide ou de voies de fait, il n’en reste pas moins qu’ils en ont relaxé 44 %. Ce taux ne s’explique pas seulement par une réticence à infliger la peine de mort : nous avons vu que les jurés prononçaient volontiers la sanction suprême pour les crimes violents, notamment au milieu et à la fin des années 1790. De plus, le jury pouvait ériger le délit en crime tout en évitant la peine capitale : il suffisait de décider que l’accusé n’avait pas agi avec préméditation. Pour les crimes violents en général, certains acquittements n’étaient peut-être pas destinés à éviter des sanctions pénales trop dures : ils peuvent aussi s’expliquer par le fait que les jurés connaissaient bien la nature et les causes du conflit qui avait engendré la violence. Le rôle de la violence dans la France préindustrielle a attiré l’attention des historiens, qui suggèrent qu’elle n’était pas « uniquement destructrice » mais « aussi souvent une véritable technique de survie et d’adaptation aux dangers24 ». Si les jurés de la fin du xviiie siècle ne pouvaient justifier la violence, ils étaient apparemment prêts à considérer ses causes et à entendre le point de vue de l’accusé. Certains d’entre eux estimaient peut-être que la violence était un moyen compréhensible d’exprimer un conflit ou une tension, en particulier quand elle était perpétrée sous l’emprise de la boisson. Après tout, les jurés pouvaient parfaitement considérer qu’un acte était « compréhensible » dans certaines circonstances, tout en maintenant qu’il devait être proscrit par la loi.
23Tout en paraissant adhérer aux définitions étatiques de la criminalité figurant dans le Code pénal de 1791, les jurés ont résisté à l’application des lois adoptées ultérieurement pour réprimer les délits politiques ou les atteintes à l’ordre public. Si l’on prend les seize tribunaux criminels concernés, on constate que les jurys ont innocenté tous les émigrés présumés (sept), toutes les personnes accusées de complicité d’émigration (seize), et toutes celles accusées de correspondre avec des émigrés ou des prêtres déportés. Sur 39 personnes accusées d’avoir abattu des arbres de la liberté, 35 furent relaxées. Les jurés ont disculpé les trois quarts des accusés de « propos inciviques », d’écrits séditieux, de recrutement pour les armées ennemies, d’avoir caché des émigrés ou des prêtres réfractaires25. Quand, exceptionnellement, le jury prononçait la culpabilité, il le faisait presque toujours de manière à éviter la peine de mort. Bref, le jury de jugement entravait les tentatives du gouvernement révolutionnaire de réprimer diverses formes d’opposition présumée. Bien des jurés étaient sans doute en désaccord avec la peine prévue pour certains délits (en particulier, la peine de mort) et ont vraisemblablement utilisé l’acquittement comme un moyen de contester soit la criminalisation de ces actes, soit la peine elle-même. À vrai dire, s’il ne s’était agi que des citoyens jurés, la Terreur aurait été fort modérée26.
24De même, les lois décrétées par la Convention pour punir certains délits contre l’ordre public furent largement rejetées par les jurys – au point que les visées répressives de l’État furent nettement contrecarrées. Sur 54 personnes jugées pour avoir accaparé du grain ou pour avoir refusé de déclarer leurs stocks, 49 furent acquittés. Les jurys innocentèrent 304 des 354 accusés de complicité dans l’évasion des prisonniers dont ils avaient la garde. Ils ont également relaxé un grand nombre d’individus poursuivis pour avoir transgressé le maximum ou pour avoir demandé un supplément lors d’un paiement en assignats. Ces verdicts s’opposaient aux définitions de la criminalité selon l’État, mais les jurés ne soutenaient pas pour autant systématiquement des conceptions « bourgeoises » de la propriété. Ainsi, le pillage des convois de grain, tout en exprimant des notions populaires de propriété et de justice sociale, éveillait la sympathie – ou au moins la tolérance – des jurys, qui acquittèrent 252 des 304 accusés poursuivis pour de tels faits. On retrouve ici la même tendance que pour les affaires politiques évoquées plus haut : de nombreux condamnés voyaient leurs infractions qualifiées de simples délits et évitaient ainsi les peines plus lourdes prévues par la Convention. La question de savoir pourquoi les jurés délivraient des verdicts de ce type dans les affaires politiques ou d’« ordre public » sera examinée au chapitre V. Mais il est clair que les jurys des années 1790 ont contrarié les objectifs répressifs du gouvernement : ce faisant, ils exprimaient sans doute leur opposition non seulement aux peines stipulées par la loi mais aussi au fait même de poursuivre de tels contrevenants comme des criminels.
25Si les jurés se rebiffaient à l’occasion contre les définitions de la criminalité établies par l’État, ils étaient en outre et surtout mal à l’aise avec les peines rigoureuses prévues par le Code pénal. Ses dispositions les poussaient à prononcer des verdicts plus cléments : il s’agissait d’éviter aux prévenus des peines considérées comme trop sévères par rapport aux infractions commises. En théorie, les jurés étaient censés se prononcer sans tenir compte de la peine qui en résulterait, respectant ainsi une distinction entre les jugements de fait et de droit. Mais comme le signale Isser Woloch, plusieurs juges se plaignirent du fait que les jurés soupesaient la peine prévue avant de prendre leur décision. « Ils calculent trop souvent les conséquences de leurs verdicts, que les avocats ne manquent pas de leur expliquer », observait un magistrat cité par Woloch27. Dans un système pénal aussi rigide, il eût été étonnant que les jurés ignorent en général les châtiments qui attendaient le coupable.
26La complication la plus notable introduite par le Code pénal dans les délibérations du jury provenait de sa façon de classer les crimes contre la propriété. Le vol n’était pas qualifié en fonction des objets dérobés, mais selon la manière dont ils avaient été volés. À quelques exceptions près, les vols dont l’exécution nécessitait le moins de travail valaient à leurs auteurs les peines les plus légères, alors que les atteintes à la propriété perpétrées avec soin et préméditation étaient plus lourdement sanctionnées. Dans le cadre normatif du Code pénal et d’un système judiciaire qui tenaient fortement compte de l’intentionnalité, le degré de malveillance criminelle dépendait en quelque sorte de la somme de labeur accompli par le voleur. La valeur des objets dérobés, si elle offrait une indication sur le tort fait à la victime, ne présumait en rien de l’intention criminelle du délinquant : il était entendu que les voleurs cherchaient toujours à s’emparer de tout ce qu’ils pouvaient emporter. L’intention criminelle, et donc les peines adaptées à ses diverses manifestations, était bien plutôt liée aux circonstances de l’acte.
27Les sanctions les plus bénignes du Code pénal s’appliquaient aux crimes dont l’accomplissement nécessitait peu de préparatifs. Les vols perpétrés « sur la foi publique », c’est-à-dire dans les champs ou sur la voie publique, étaient passibles de quatre années de prison. À un échelon presque aussi bas dans la hiérarchie des crimes définie par le Code, on trouve les vols commis dans des magasins : de même que le fait de prendre une vache ou un soc de charrue dans un champ, on estimait que de tels actes pouvaient être dus à une tentation passagère. D’ailleurs, de nombreux accusés de vols à l’étalage faisaient valoir le caractère non prémédité de leur forfait. En 1792, un accusé affirma avoir volé une paire de chaussures sous l’influence de l’eau-de-vie et échappa à la sentence prévue de quatre années de fers28. Les vols commis dans les débits de boissons et les cabarets étaient passibles de huit ans de fers, et la même peine s’appliquait aux domestiques convaincus d’avoir volé leur maître. Bien que ces crimes pouvaient parfaitement avoir été perpétrés sans préméditation, on estimait que le serviteur avait trahi la confiance de son employeur : ils étaient donc punis plus sévèrement que les vols sur la place publique ou dans les magasins. Le lien de confiance entre l’employé domestique et le maître était considéré comme particulièrement sacré29. Les vols commis dans une auberge étaient passibles de la même sanction parce que le criminel avait enfreint une règle de confiance élémentaire qui permettait aux clients de se restaurer et de se reposer en toute confiance dans un lieu public privilégié – et à l’aubergiste d’offrir l’hospitalité sans avoir à surveiller constamment ses hôtes.
28Les peines les plus sévères étaient réservées aux crimes qui avaient clairement été organisés à l’avance et indiquaient donc une intention plus répréhensible. Les vols avec effraction étaient punis de huit ans de fers, ou davantage lorsque l’accusé était reconnu coupable de circonstances aggravantes (par exemple si le crime avait été accompli la nuit ou avec des complices). Les cambriolages, outre qu’ils étaient forcément prémédités, violaient un espace privé considéré comme sacro-saint. En pénétrant de force dans la maison d’un citoyen, le cambrioleur s’en prenait à deux de ses quatre « droits naturels et inaliénables » : la propriété et la sûreté30. Quant aux vols « commis à force ouverte ou par violence », ils transgressaient les mêmes principes et valaient à leurs auteurs de lourdes peines : au minimum dix ans de fers, quatorze ans si le crime avait été commis sur la grande route ou sur la voie publique, dix-huit ans s’il s’agissait d’un cambriolage ; de surcroît, la sentence était prolongée de quatre ans pour chaque circonstance aggravante, jusqu’à un maximum de vingt-quatre ans de fers.
29La place importante accordée aux circonstances entourant le vol créa un déséquilibre dans la structure pénale des tribunaux criminels. Ainsi, lorsque les jurés devaient décider du sort de personnes accusées d’avoir volé des objets de faible valeur : une condamnation entraînait automatiquement une peine relativement sévère. Il n’est pas surprenant que les jurés de Dijon, par exemple, aient hésité à ériger des menus larcins en crimes. Une des premières affaires entendues par le tribunal de la Côte-d’Or concernait un homme de soixante-douze ans, interpellé avec des bouts de chandelle qu’il avoua avoir dérobés dans l’Église de Saint-Jean-de-Losne. Plutôt que de le faire condamner pour vol dans un bâtiment public (un crime passible de quatre ans de fers), les jurés réussirent à atténuer la peine en décrétant que le vol n’avait pas eu lieu dans un « édifice public » et qu’il s’agissait donc d’un simple délit. Le vieil homme aux bouts de chandelle fut tout de même condamné à six mois de prison31. Le 27 mars 1810, au bourg d’Argilly, François Trapet déroba divers objets dans la cuisine de son voisin. On trouva chez lui un pot de graisse, deux morceaux de lard, un couteau, et une cuillère en fer blanc. L’accusé, un paysan de dix-huit ans, avoua le vol et déclara qu’il n’avait pu travailler à cause d’une coupure au pied et qu’il avait agi pour « satisfaire [son] appétit ». Le jury de Dijon le déclara coupable de vol avec effraction mais admit la question de l’excuse : « Trapet est excusable à raison de sa jeunesse, de sa misère, de la modicité des objets volés, et de la restitution qu’il en a faite ». Ce qui évita à Trapet de prendre dix ans de fers et contraignit les magistrats à lui infliger une simple peine correctionnelle (un an de prison)32.
30La contradiction entre les peines prévues par le Code pour le vol et son refus de tenir compte de la valeur des objets volés n’est pas le seul facteur qui poussait les jurés à atténuer les peines exigées par les législateurs. Les peines prévues pour d’autres crimes pouvaient influencer les jurés dans le même sens. Certes, la peine de mort prévue pour l’incendie volontaire et la fabrication de faux assignats explique sûrement les nombreuses relaxes prononcées pour ces crimes (respectivement, 61 % et 85 %). Par ailleurs, nous avons déjà noté que les affaires d’avortement, un acte passible de vingt ans de fers, se terminaient rarement par un verdict de culpabilité. Néanmoins, la certitude d’une lourde peine ne dissuada pas toujours les jurés de condamner. Dans les seize départements étudiés, 112 peines de mort furent prononcées au titre des lois de floréal an V, et de nivôse an VI33. Et en Côte-d’Or, les jurés ont souvent déclaré coupables les gens accusés des vols les plus graves, notamment les vols avec effraction ou violence34. Il n’y a pas de corrélation simple et directe entre la sévérité de la peine prévue et la tendance à acquitter. Si le caractère excessif des châtiments requis par la loi a parfois poussé les jurés dans ce sens, ces derniers ont souvent prononcé de longues peines de fers pour cambriolage ou vol armé.
31Le Code pénal de 1791 imposait d’autres contraintes au jury. On peut supposer que les tensions entre la culture des jurés et les valeurs qui fondent ce code naissaient moins de la sévérité du texte que de son inflexibilité. Ce caractère rigide, tout en transférant de fait le pouvoir pénal des magistrats aux jurés, entravait leur liberté de décision en fixant des peines automatiques pour tous les crimes. Dans le contexte politique des premières années de la Révolution, l’idée même que deux individus puissent subir des châtiments différents pour un forfait identique rappelait la vision de l’Ancien Régime, dans laquelle les individus étaient définis par ce qu’ils étaient et non pas tant par ce qu’ils faisaient. Pour les révolutionnaires, au contraire, ce qui comptait c’était bien leurs actions – et non ce qu’ils étaient. Le système judiciaire des Constituants était une tentative d’appliquer ce principe au droit pénal.
32Les nombreux acquittements prononcés par les jurés sous la Révolution et Napoléon suggèrent qu’ils étaient mal à l’aise dans ce corset rigide35. Ils ont sans doute réagi avec embarras et frustration à un système pénal centré exclusivement sur l’acte criminel et indifférent aux autres manifestations de la personnalité de l’accusé. Membres d’une société à prédominance paysanne, où les rapports sociaux étaient très personnalisés, ils devaient soigneusement jauger l’apparence physique des accusés, leur façon de s’habiller, de parler et leur comportement lors du procès. Comment présentaient-ils ? Comment réagissaient-ils aux aléas des débats et aux incidents qui les émaillaient ? Comment expliquaient-ils leurs actes ? Ces considérations et les preuves elles-mêmes pouvaient souvent se renforcer mutuellement. Mais ce n’était pas le cas pour toutes les affaires, et les jurés étaient parfois confrontés à un dilemme : l’accusé était de toute évidence coupable, mais la peine fixe paraissait trop sévère pour la personne concernée. Les acquittements et les requalifications des crimes en simples délits permettaient donc d’atténuer les effets de l’égalitarisme pénal outrancier qui inspire le Code pénal de 1791.
33L’importance de l’impression physique que faisait l’accusé à l’audience est démontrée a contrario par le bilan des verdicts rendus dans les affaires jugées par contumace. Si l’inculpé réussissait à éviter l’arrestation ou à s’évader, le procès criminel avait lieu en son absence. Dans de telles affaires, les témoins ne déposaient pas oralement. Leurs déclarations lors de la procédure préparatoire étaient lues aux jurés, qui se retiraient alors pour répondre aux questions posées par le président du tribunal36. Aucune confrontation n’avait lieu. Confiné à la procédure écrite, le procès donnait l’occasion aux jurés d’évaluer les faits dans toute leur nudité abstraite, dépouillés de toute profondeur et de toute nuance humaines. Résultat : un fort taux de condamnations (au moins en Côte-d’Or). Sur les 110 personnes jugées in absentia à Dijon, 73 furent reconnues coupables de crimes, trois de simples délits, et 34 furent acquittés. Par ailleurs, six accusés jugés par contumace furent innocentés grâce à la question de l’intention – alors qu’ils n’étaient même pas là pour s’expliquer ! – ce qui montre que les verdicts rendus par les jurés ne dépendaient pas seulement de l’impression « physique » qu’ils recevaient du prévenu. Mais en général, les jurys dijonnais se montraient rigoureux avec les personnes jugées par défaut. Le faible taux d’acquittements pour de telles affaires est probablement dû, du moins en partie, à deux facteurs : l’absence de l’accusé et le recours exclusif aux témoignages écrits.
Les accusés
34Si la réaction du jury envers les prévenus était influencée, consciemment ou non, par leur apparence et leur manière d’être, on ne saurait toutefois s’en tenir au terrain glissant des perceptions subjectives. Il faut saisir le rapport entre les verdicts et les attributs plus « quantifiables » des accusés. Pour ce faire, nous nous sommes fondés principalement sur les données de la Côte-d’Or. Tout d’abord, une analyse des professions (ou « conditions ») mentionnées dans les dossiers criminels de ce département suggère une différence sociale significative entre les jurés et la plupart des prévenus. Les jurys étaient surtout composés de propriétaires fonciers et de membres des couches moyennes urbaines alors que les accusés provenaient pour la plupart des classes inférieures de la société. Les tableaux IX et X montrent les métiers des inculpés dans la Côte-d’Or37. Parmi les femmes, on observe un grand nombre de domestiques et d’ouvrières du textile. Comme le souligne Olwen Hufton, il s’agit là des principaux emplois accessibles aux femmes de condition modeste au xviiie siècle38. Quant aux accusés hommes, ils travaillaient surtout dans l’agriculture, l’artisanat et le petit commerce. Bien que les catégories professionnelles en usage au xviiie siècle recouvraient un large éventail d’activités et doivent être utilisées avec précaution, les « qualités » mentionnées dans les dossiers criminels semblent indiquer que les prévenus agriculteurs vivaient le plus souvent de leur propre labeur. Les propriétaires et fermiers étaient nettement moins nombreux que les manœuvriers, les simples cultivateurs, les journaliers et les vignerons – précisément les mêmes catégories d’hommes qui siégeaient rarement dans les jurys. Les artisans et les petits commerçants figurent souvent sur le banc des accusés. On voit notamment beaucoup d’artisans du bâtiment (surtout des maçons, mais aussi des charpentiers, des menuisiers, des tailleurs de pierres et des couvreurs), de bouchers et de boulangers (ainsi qu’une poignée d’aubergistes et de cabaretiers), et d’artisans du textile. Les membres des professions libérales et les fonctionnaires apparaissent plus rarement, en général pour détournements de fonds ou malversations.
Tableau IX : Femmes accusées dans la Côte-d'Or Toutes procédures, 1792-1811

Tableau X : Hommes accusés dans la Côte-d'Or Toutes procédures, 1792-1811

35Certains accusés n’ont pas de résidence fixe. À Dijon, une minorité significative peut être considérée comme « errante » : soldats démobilisés ou fuyant leurs régiments, mendiants itinérants, gens sans domicile, et étrangers, notamment plusieurs prisonniers de guerre et déserteurs des armées ennemies39. En Côte-d’Or, un tiers des prévenus vivaient à plus de dix kilomètres de la scène du crime supposé, ce qui ne signifie pas toutefois qu’ils étaient tous des « déracinés40 ». En fait, si l’on ajoute les marchands ambulants (forains, « roulants », colporteurs) aux soldats débandés, déserteurs et prisonniers de guerre, on peut estimer qu’un peu plus de 10 % des personnes jugées par le tribunal de Dijon étaient clairement « sans feu ni lieu ». À ceux-là, il faut sans doute ajouter d’autres accusés itinérants, enregistrés sous diverses « occupations ».
36La majorité des accusés provenaient donc du petit peuple des villes et des campagnes mais non de ses couches les plus basses : cela se reflète d’ailleurs dans leur capacité à signer les procès-verbaux de leurs déclarations avant le procès. À la fin de l’interrogatoire, le magistrat demandait en effet à l’inculpé de signer son nom. En Côte d’Or, la moitié des gens l’ont fait :
Tableau XI : Capacité des accusés à signer leur nom41

37La proportion des hommes capables de signer semble avoisiner le taux d’alphabétisme de la population masculine de la Côte d’Or à la fin du xviiie siècle, ce qui s’explique sans doute par la présence de fonctionnaires mâles parmi les accusés. Par contre, la proportion de femmes capables de signer était un peu inférieure au taux d’alphabétisme de la population féminine du même département42. Ainsi, de ce point de vue, l’écart entre les sexes était plus accentué chez les accusés au tribunal criminel que dans la société.
38En outre, toujours dans la Côte-d’Or, les femmes étaient dans l’ensemble plus jeunes. À Dijon, l’âge moyen des accusées était de trente et un ans et demi et 82 % d’entre elles avaient moins de quarante ans. Par contraste, l’âge moyen des hommes dépassait trente-cinq ans. Le phénomène contraste avec les données fournies par les recherches sur la criminalité sous l’Ancien Régime43. Il s’explique en partie par le grand nombre de crimes contre l’État pendant la période révolutionnaire. On notera sans surprise que les détournements de fonds et autres malversations étaient, en général, le fait de fonctionnaires mâles qui avaient dépassé la trentaine. Sans les poursuites pour concussion et faux qui ont marqué la Révolution, l’âge moyen des hommes jugés par le tribunal de Dijon aurait été plus proche de celui des accusés sous l’Ancien Régime.
39D’autres différences entre les hommes et les femmes apparaissent dans la nature des accusations portées à leur encontre. Dans les seize tribunaux criminels que nous avons étudiés, près de deux tiers des femmes (63 %) étaient accusées de vol, 19 % de crimes violents, 15 % de délits contre l’ordre public et 2 % de crimes politiques. Cette répartition confirme un phénomène relevé par les chercheurs en criminalité, qui ont constaté que les femmes étaient surtout impliquées dans des crimes contre la propriété44. Dans les seize tribunaux que nous avons étudiés, le tableau est assez différent pour les hommes, qui étaient bien plus souvent accusés de crimes contre l’État ou politiques (27 % au total) ; 52 % comparaissaient pour des vols et 20 % pour des crimes violents45. La répartition proportionnelle des charges selon les sexes reflétait donc, elle aussi, les conditions exceptionnelles de l’époque révolutionnaire.
40Comment les jurés ont-ils réagi aux traits spécifiques des accusés ? Les caractéristiques abordées ci-dessus (capacité à signer, profession, sexe, résidence, âge) peuvent être mises en parallèle avec les décisions des jurys. À Dijon, les inculpés qui signaient les procès-verbaux de leur interrogatoire étaient plus souvent acquittés que les illettrés. 32 % des accusés qui signaient furent condamnés pour crime, 17 % pour simple délit, et 51 % furent acquittés46. Les illettrés avaient donc plus de probabilité d’être condamnés. Parmi les personnes incapables de signer, les taux sont respectivement de 43 %, de 20 % et de 37 %. Ces chiffres ne sont guère surprenants : parmi les accusés qui savaient écrire se trouvaient de nombreux fonctionnaires et membres des professions libérales, et les jurés sympathisaient sans doute plus facilement avec ceux dont le niveau social et culturel était proche du leur.
41La profession, ou l’absence de profession des inculpés avait également un effet sur l’attitude des jurés. Le tableau XII indique les verdicts rendus à Dijon en fonction de cette variable.
Tableau XII : Verdicts des jurys en fonction de la profession des accusés47

42Les jurés de la Côte-d’Or hésitaient à condamner les membres des professions libérales et les fonctionnaires : plus de la moitié de ceux-ci était purement et simplement relaxés. Plus surprenant : les soldats et déserteurs bénéficiaient également de verdicts assez cléments. Mais parmi les professions rurales, les manœuvriers et les journaliers étaient moins souvent acquittés que les propriétaires et les laboureurs, tandis que les domestiques et les vagabonds encouraient toute la rigueur des jurés. Il est difficile de tirer des conclusions définitives de ces données, surtout si l’on considère la nature vague des catégories professionnelles. Mais la partialité des jurés semble s’être exercée davantage contre les inculpés de groupes sociaux moins « élevés ».
43S’agissant de partialité, on détecte plus aisément une tendance des jurys à favoriser les suspects résidant dans les villes au détriment de ceux qui habitaient des villages. Si l’on admet le chiffre de deux mille habitants comme la ligne de démarcation entre une « ville » et un « village », on obtient les résultats suivants :
Tableau XIII : Verdicts des jurys en fonction de la résidence urbaine ou rurale des accusés

44On constate non seulement que les accusés des villes sont plus souvent relaxés, mais que cette indulgence bénéficie davantage à ceux des plus grandes agglomérations. Quant aux personnes qui résidaient à plus de dix kilomètres de la scène du crime, elles furent condamnées plus fréquemment que les autres accusés48.
45L’âge des inculpés semble avoir exercé une influence modeste sur les verdicts. Les jurés de la Côte-d’Or traitèrent plus sévèrement les jeunes adultes, notamment entre 20 et 30 ans. Dans l’ensemble, le taux d’acquittements augmente avec l’âge du prévenu : la courbe s’élève à partir de 30 ans et culmine après 50 ans. La question intentionnelle a sauvé un grand nombre des accusés de moins de 15 ans, ainsi que ceux qui avaient atteint la soixantaine. Ainsi les adolescents et les personnes âgées bénéficiaient de plus d’indulgence, tandis que les jeunes adultes éveillaient peu de sympathie chez les jurés49.
46Plus surprenant, peut-être : les jurys (par définition, exclusivement masculins) acquittaient un peu plus souvent les femmes que les hommes. Dans les seize départements étudiés, 39 % des femmes furent condamnées pour crime, 10,5 % pour délit, et 51 % acquittées. Pour les hommes, les taux correspondants sont de 44 %, 12 % et 44 %, respectivement. Cette tendance se vérifie pour toutes les catégories de crimes50. Alors, pourquoi les jurés se sont-il montrés plus cléments à l’égard des femmes, notamment lorsqu’elles étaient inculpées de crimes contre la propriété ? Il est possible que les jurés considéraient les femmes comme moins « responsables ». Dans les affaires de vol armé et de brigandage, lorsqu’un groupe incluait des individus des deux sexes, il arrivait que les jurés condamnent les hommes et acquittent les femmes. Percevaient-ils les hommes comme des chefs de bande et les femmes comme de simples exécutantes ? Quoi qu’il en soit, il est clair que dans les seize tribunaux étudiés, les femmes furent plus souvent relaxées que les hommes.
47Jusqu’à présent nous avons effectué une analyse simple. Nous avons montré que les jurés acquittaient plus fréquemment les personnes qui savaient signer leur nom, les femmes et les habitants des villes, les jeunes et les personnes âgés. Mais on peut approfondir la recherche. Une analyse à plusieurs variables (une régression multiple) basée sur les données de la Côte-d’Or, pourrait suggérer que certaines caractéristiques pesaient plus lourd dans la décision des jurés. Il est possible, par exemple, que ceux-ci acquittaient un pourcentage plus élevé de prévenus capables de signer non parce qu’ils sympathisaient davantage avec ce type de personnes, mais parce que celles-ci avaient tendance à résider près de la scène du crime, ou à être inculpées d’atteintes à l’ordre public ou de délits politiques. Nous avons choisi cinq variables : le sexe, la capacité à signer, l’appartenance à une communauté rurale ou urbaine, la résidence à plus ou à moins de 10 kilomètres de la scène du crime et le type de crime dont ils étaient prévenus. Nous n’avons pas intégré les professions des accusés dans l’analyse, puisque les catégories en usage à cette période ne permettent guère d’estimer avec précision la véritable position sociale des gens. De plus, il serait difficile d’inclure ces données dans un modèle linéaire simple. Nous avons dû nous contenter de la capacité des accusés à signer leur nom pour tenter d’évaluer approximativement, et de façon binaire, leur « rang » dans la société.
48Dans une analyse portant sur 450 accusés jugés à Dijon, trois des cinq variables choisies se sont révélées statistiquement importantes : la distance du domicile de l’accusé au crime, son appartenance au monde rural ou urbain, et la nature de son crime supposé. Le tableau ci-dessous donne leur importance statistique51 :
Tableau XIV : Analyse à plusieurs variables

49Le sexe et la capacité à signer présentent des « valeurs de F » faibles, ce qui tendrait à indiquer que ces variables n’ont pas joué un rôle important dans l’incidence des acquittements au tribunal de Dijon. Les facteurs relevant du domicile du prévenu pèsent nettement plus lourd : vivait-il à la ville ou à la campagne ? À proximité ou loin du lieu du crime ? Les réactions des jurés contre les « gens d’ailleurs » ne doivent pas nous surprendre. Les historiens ont montré que dans la France préindustrielle, les peurs sociales étaient souvent centrées sur les « étrangers », les inconnus dont la mobilité paraissait menacer la cohésion et les usages de la communauté locale. Aussi, les jurés sous la Révolution et Napoléon suivaient-ils une ancienne tradition des sociétés à prédominance agraire. Et leur tendance à condamner plus facilement les villageois que les habitants des villes suggère qu’ils projetaient leurs angoisses sur la campagne plutôt que sur les agglomérations. La criminalité n’était pas encore perçue comme un problème essentiellement urbain, liée à l’industrialisation de masse et à la misère qu’elle concentre dans les cités. Enfin, les jurés réagissaient fortement au type de crime poursuivi. Les jurés de jugement étaient particulièrement hostiles au vol, alors que les délits définis par l’État comme « politiques » suscitaient plutôt leur clémence.
50Il faut souligner que cette analyse est compatible avec la reconnaissance que les verdicts étaient parfois irrationnels et, en tout état de cause, motivés par des valeurs ou des perceptions subjectives que les jurés eux-mêmes auraient souvent été incapables de formuler explicitement. Comme les comparaisons à une seule variable, notre étude à plusieurs variables explore, en dernière analyse, non pas les motivations subjectives mais les résultats objectifs des verdicts rendus par le jury. Ces résultats éclairent des tendances générales dans ces verdicts et peuvent fournir des éléments permettant de comprendre les motivations des jurés. Mais la complexité des jugements défie les conclusions simplistes. Ce qui se déroule dans la tête des jurés reste en fin de compte aussi insaisissable que le caractère des êtres humains assemblés dans la salle du tribunal.
Magistrats et défenseurs
51L’influence des juges, des accusateurs publics et des défenseurs officieux lors du procès est incontestable. Leurs attitudes pouvaient modifier la perception que les jurés avaient de l’accusé et des faits. Comme nous le verrons au chapitre III, les juges et les défenseurs jouissaient de prérogatives considérables en matière de justice criminelle, dont certaines étaient fixées par la législation de 1791 et d’autres furent improvisées au fil de la pratique judiciaire. Nous n’examinerons pas la nature et l’impact de ces prérogatives dans le présent chapitre, mais toute évaluation des acquittements doit en tenir compte et se demander : « Quelle fut l’influence des juges, des accusateurs publics et des défenseurs officieux ? » – même si la réponse à cette question comportera toujours une grande marge d’incertitude52.
52La position implicite des travaux érudits sur les tribunaux criminels a été d’affirmer que l’influence des juges et des accusateurs publics lors du procès fut prédominante. La plupart des études locales s’intéressent beaucoup aux carrières des juges, mais n’abordent que brièvement la composition des jurys. Cela donne l’impression que les jurys avaient un rôle secondaire. Dans cette perspective, les acquittements – tant dans les affaires politiques que dans les affaires de droit commun – seraient moins dus à l’initiative des jurés qu’à celle des magistrats. Notre point de vue sur la question est que le pouvoir réel des juges, tout en étant considérable, ne leur offrait pas un contrôle assuré ou même facile sur le jury. Leurs décisions et opinions étaient certes cruciales dans le déroulement du procès et pouvaient incontestablement forcer l’adhésion des jurés, mais ils n’obtenaient pas toujours le verdict qu’ils souhaitaient, même s’ils étaient enclins à exercer de fortes pressions pour imposer leurs vues. Le jury n’était pas un instrument passif des juges : en témoignent les plaintes des magistrats napoléoniens sur la versatilité des jurés et leur tendance à acquitter les prévenus. Il semble bien que les jurés de la France révolutionnaire et napoléonienne, loin de se soumettre systématiquement aux desiderata des magistrats de profession, ont affirmé leur autonomie dans la salle du tribunal et ont parfois su résister aux pressions du parquet.
53D’ailleurs, les rapports entre les juges et le jury n’étaient pas nécessairement conflictuels. Tout comme les jurés, les magistrats étaient susceptibles de ressentir la rigidité du Code pénal. Sous le Consulat, par exemple, plusieurs juges ont critiqué le caractère inflexible du Code et ont affirmé que le gouvernement devrait introduire un système de peines plus souple. Les magistrats de la Loire-Inférieure, rejoints par ceux d’au moins huit autres départements, ont soutenu que les juges devraient être capables d’atténuer la peine, en fonction des circonstances du crime :
« Il sera toujours impossible d’établir une proportion juste entre les délits et les peines ; cette proportion doit être abandonnée à la conscience des juges. Le même crime acquiert plus ou moins de gravité, à raison de la moralité des coupables, de leur âge, de leur plus ou moins d’habitude dans le crime, et d’une multitude d’autres circonstances que le législateur ne peut prévoir53. »
54L’attitude des juges et des jurés a souvent dû être similaire. Il a pu arriver que les magistrats eux-mêmes encouragent le jury à trouver une autre solution que celle prescrite par le Code pénal – une condamnation pour délit simple par exemple. Mais l’harmonie, ou les tensions, entre les magistrats et les jurés ne sont pas faciles à déceler. L’accord entre les deux parties transparaît toutefois lorsque les juges acceptent que la question de l’excuse soit posée au jury et que celui-ci joue en faveur de l’accusé (ce qui assurait au prévenu une simple peine correctionnelle54). Dans la Côte-d’Or, les jurés ont accepté bien plus souvent la question de l’excuse qu’ils ne l’ont rejetée : de 1795 à 1811, ils ont approuvé 64 des 80 questions posées par les juges. Dans une affaire de vol déjà évoquée, ils répondirent à la question de l’excuse que « Trapet est excusable à raison de sa jeunesse, de sa misère, de la modicité des objets volés, et de la restitution qu’il en a faite55 ». Ici, les jurés étaient d’accord avec l’opinion des juges concernant la personnalité de l’accusé, qu’exprime justement la décision de soumettre la question à l’appréciation du jury. Il ne faut donc pas supposer un état de confrontation continuelle entre les magistrats et les citoyens jurés, où les premiers auraient sans cesse exigé des verdicts plus rigoureux et où les seconds auraient fait de la résistance en permanence.
55Enfin, si l’influence des magistrats sur les jurés est déjà assez malaisée à discerner, nous ignorons en outre les caractères des uns et des autres. Des jurés ont pu accepter de suivre les sollicitations des magistrats ou rechercher leurs conseils, tandis que d’autres préféraient affirmer leur propre point de vue. Certains juges étaient sûrement plus portés que d’autres à exprimer leur opinion, d’une façon plus ou moins subtile : leur habileté et leur force de persuasion étaient susceptibles de modeler la perception des jurés. On peut en dire autant des accusateurs publics et des défenseurs, dont l’éloquence, l’aisance oratoire et la capacité à détecter la moindre faille juridique pouvaient entraîner l’adhésion du jury. Si les motions et les décisions du procès portent la trace de tels conflits de personnes, leurs effets sur le jury ne peuvent qu’être imaginés. Une chose est certaine : les personnalités des défenseurs et des magistrats ont marqué les débats.
Les preuves
56Dans son excellente étude sur le tribunal criminel de Nancy, l’historien Hubert Thomas a offert une explication pénétrante des acquittements prononcés par cette cour dans les années 1790. Comme la plupart des recherches sur les tribunaux criminels publiées avant la Seconde Guerre mondiale, son travail n’a pas cherché à approfondir la question. Mais sa brève analyse n’évoque pas seulement la rigidité et la sévérité du Code pénal, elle aborde un aspect qui mérite d’être sérieusement pris en compte : la consistance des preuves contre les accusés. Selon Thomas, le taux de 40 % d’acquittements dans la Meurthe pendant la Révolution s’explique en partie par l’incapacité des juges de paix et des directeurs du jury à repérer et à relâcher les prisonniers dont la culpabilité paraissait peu probable. Il soutient qu’au xxe siècle, par contre, les prisonniers innocents avaient plus de chances d’être libérés avant que leur affaire parvienne devant les tribunaux, ce qui expliquerait dans une certaine mesure la différence des taux d’acquittements entre les deux époques56.
57Malheureusement, les moyens « scientifiques » de vérifier les observations de Thomas nous manquent. Aux archives départementales se trouvent des milliers de dossiers d’affaires jugées aux tribunaux criminels, et ces dossiers comprennent les documents de l’information préliminaire et de l’instruction : le rapport initial de l’officier de police (en général, le juge de paix) ; les dépositions des témoins devant le juge de paix et le directeur du jury ; les premiers interrogatoires ; la mise en accusation devant le jury d’accusation et d’autres documents requis par la procédure, comme les mandats d’amener et d’arrêt. On aurait pu espérer que cette masse impressionnante de documents permet de jauger avec prudence la teneur des preuves présentée au jury d’accusation et de jugement.
58Mais tel n’est pas le cas. Tout d’abord, l’appréciation de la solidité des preuves dans ces dossiers est une tâche aussi subjective pour l’historien que pour les jurés eux-mêmes. Dans un système de justice criminelle voué à l’évaluation subjective plutôt qu’objective et où les règles de la preuve doivent s’incliner devant l’« intime » conviction des hommes qui jugent, il est impossible d’établir de façon incontestable la valeur des preuves. Les évaluations des dossiers ne seraient pas plus indiscutables que les verdicts eux-mêmes. Et toute tentative de soupeser les preuves consignées dans les dossiers – outre son caractère évidemment « subjectif » – vient buter sur un obstacle méthodologique de taille : les débats ne sont jamais consignés. Nous avons les dépositions des témoins et les interrogatoires des accusés, mais il nous manque la confrontation entre ceux-ci et leurs accusateurs lors de l’audience – et ce face-à-face verbal, dont la tournure était imprévisible, pouvait révéler des aspects de l’affaire que les comptes rendus écrits de l’instruction préparatoire ne dévoilent pas. Faute d’une transcription des débats, et compte tenu des limites inhérentes au « savoir » de l’historien, notre appréciation de l’hypothèse de Thomas reste conjecturale57.
59À notre avis, la mise en accusation de personnes sans preuves solides n’est probablement pas la cause principale du taux élevé des relaxes, mais elle semble y avoir contribué. Les acquittements aux années 1790 peuvent être expliqués en bonne partie par la rigidité du Code pénal et par la multitude des affaires à connotations politiques et sociales. Dans ces cas, les « faits » n’étaient pas douteux, mais les jurés se refusaient à condamner la résistance de villageois à la confiscation de la cloche de leur église, le saccage de la maison d’un émigré par des gardes nationaux, le refus de vendre le pain au prix légal, ou les critiques verbales à l’encontre du « représentant en mission ». Néanmoins, la valeur de l’analyse de Thomas est confirmée par notre lecture des dossiers de Dijon. Il est clair que le taux d’acquittements aurait été plus bas si certains prévenus n’avaient pas été abusivement mis en accusation. Par exemple, sous la Terreur, les geôliers et les gendarmes accusés d’avoir facilité l’évasion de prisonniers étaient généralement jugés sans qu’il existe la moindre preuve de leur complicité : leur arrestation et leur mise en accusation étaient motivées exclusivement par le fait qu’un prisonnier s’était échappé58. Par ailleurs, les preuves contre certains fonctionnaires accusés d’avoir truqué des ventes aux enchères étaient fort minces. Les historiens peuvent aussi méditer à leur gré sur les acquittements moins nombreux mais persistants sous Napoléon, et en tirer des hypothèses : furent-ils provoqués plus directement par les rigidités et les sévérités du Code pénal ou par la faiblesse des preuves ? Les carences du Code pénal nous semblent plus déterminantes, mais l’état des fonds judiciaires ne nous autorise pas à aller plus loin.
Les « villageois » dans le jury
60Pour certains détracteurs des jurys, l’explication des acquittements était simple : elle tenait aux défauts des jurés eux-mêmes. En 1795, un juge affirmait que la plupart des jurés étaient « des hommes d’une ignorance crasse qui [n’avaient] pas de motives claires de l’objet de leurs fonctions ». Il leur manquait l’intelligence nécessaire « pour connaître le mérite des pièces et des dispositions des témoins, et discerner la force ou la faiblesse des défenses de l’accusé […] ». Ce thème fut récurrent dans les années qui suivirent. Au cours du débat passionné sur le système du jury qui se développa sous Napoléon, le ministre de la Justice imputa aux jurés illettrés les problèmes du système, déclarant qu’ils étaient « incapables d’avoir une conscience à eux ». Plus précisément, on attribuait le problème de l’ignorance et de l’illettrisme à la présence de campagnards dans les jurys. En 1800, un juge de paix dans la Charente observait : « Dans la classe des citoyens de la campagne, il en est peu qui ont la probité, les lumières, et les connaissances […] pour pouvoir distinguer l’innocent d’avec le coupable. » Les juges à Besançon se plaignaient que l’on ne pouvait confier le service du jury même aux jurés ruraux les plus qualifiés (ceux qui occupaient une fonction officielle quelconque dans leur commune). Et le ministère de la Justice alla jusqu’à ordonner, en 1806, aux autorités de Bordeaux de réduire le nombre de villageois dans les jurys et de s’assurer que le plus grand nombre possible d’habitants de Bordeaux soient inscrits sur les listes de jurés59.
61Cette méfiance à l’encontre des jurés ruraux et « ignorants » semble déplacée. On peut rarement vérifier leur degré d’alphabétisme, mais on dispose des données d’au moins un tribunal du Sud-Ouest qui exigeait, en 1795 et 1796, que les jurés signent leur nom dans un registre. Sur les 510 jurés appelés à signer au tribunal criminel de la Charente-Inférieure pendant cette période, 489 (soit 96 %) signèrent leur nom à la requête du président du tribunal60. Il est vrai que la Charente-Inférieure était un département relativement urbanisé et que son taux d’alphabétisme à la fin du xviiie siècle était légèrement élevé par rapport à la moyenne nationale de 37 %61. Néanmoins, le pourcentage extrêmement élevé de jurés capables de signer laisse à penser que les diatribes contre les jurés illettrés et « ignorants » n’avaient guère de fondement – au moins sous le Directoire.
62En outre, le poids numérique des villageois et des paysans dans les jurys était relativement faible. Si l’on consulte les listes de jurys dans sept tribunaux criminels, il apparaît clairement que les villageois sont minoritaires dans les années 1790 (Voir tableau I, chapitre IV). Entre 1792 et 1799, seulement 38 % des citoyens appelés à servir comme jurés étaient domiciliés dans un village (si l’on applique également ce terme aux bourgades de moins de 2 000 habitants). En fait, la proportion de « ruraux » dans les jurys était même inférieure à 38 %, puisque certains citoyens demandaient à être dispensés du service du jury et étaient alors remplacés par des habitants de la ville où se trouvait le tribunal criminel. En fin de compte, un jury typique de douze citoyens pendant la Révolution française incluait peut-être, en moyenne, trois campagnards. Et parmi ces derniers, un ou deux seulement se déclaraient propriétaire ou cultivateur. Après 1799, on note une augmentation du nombre de villageois et de paysans, due en partie à un nouveau système de recrutement qui autorisait les juges de paix à sélectionner un pool de citoyens, d’où étaient tirées les listes finales de jurés (voir chapitre IV). Sous Napoléon, 60 % des personnes appelées au service du jury habitaient dans des villages, et 45 % des jurés dont on connaît la profession vivaient de la terre. En tenant compte de l’absentéisme, un jury typique de l’époque napoléonienne devait comprendre cinq ou six villageois (l’estimation varie, bien entendu, selon les régions).
63Les années qui suivirent Brumaire furent ainsi marquées par un afflux de villageois et de paysans dans les jurés – une tendance qui aide à expliquer les inquiétudes exprimées à l’époque par certains juges ainsi que par le ministère de la Justice. Mais si les citoyens de la campagne représentaient environ la moitié des jurés sous Napoléon, la question se pose : leur présence dans le jury a-t-elle affaibli le pouvoir répressif du système de justice criminel ? Les ruraux étaient-ils davantage enclins à acquitter que les habitants des villes ? Malgré le scepticisme que suscita chez certains juges leur arrivée au tribunal, la réponse est de toute évidence négative. Il est révélateur que sous Napoléon, précisément au moment où les jurys présentaient un caractère plus « rural », les relaxes furent moins fréquentes que dans les années 1790. La question peut être explorée avec plus de précision si l’on met en parallèle le nombre de villageois dans un jury donné et les verdicts rendus par ce jury. Pour trois tribunaux criminels dont les documents archivés facilitent une telle comparaison, le taux d’acquittements des jurys dominés par les « urbains » fut de 41 %, tandis que les jurys comprenant au moins sept villageois ont relaxé 35 % des prévenus (voir tableau XV). Si on considère seulement les procès de vol et de violence (excluant ainsi les affaires politiques et d’atteintes à l’ordre public), la différence entre les jurys « ruraux » et « urbains » apparaît assez mince.
Tableau XV62 : Nombre d’accusés condamnés pour crimes, pour délits, et acquittés Départements de la Côte-d’Or, des Landes et de la Mayenne Par type d’infraction et selon la provenance rurale ou urbaine des jurés

64Lorsqu’ils étaient confrontés à des crimes violents, les jurys « urbains » et « ruraux » présentent des taux d’acquittements très proches (respectivement, 43 % et 41 %). Et quand il s’agissait de délits contre la propriété, les jurys « ruraux » ont effectivement acquitté plus souvent que les jurys urbains (32 % contre 23 %). Mais quels que soient les taux précis des acquittements, qui variaient d’un département à l’autre, la présence de jurés des campagnes ne modifie pas de façon significative la propension des jurys à relaxer les accusés – en tout cas pas assez pour faire porter le chapeau du fameux « laxisme » des jurys criminels aux « ruraux ».
Facteurs de lieux et de temps
65Les récriminations contre les prétendus effets pernicieux des jurés villageois ne sont donc pas corroborées par une analyse précise concernant trois départements. Il se peut toutefois que le comportement des jurés ait obéi à des considérations sociales ou géographiques d’un autre ordre. Les jurés des départements à forte population rurale furent-ils plus enclins à acquitter ? Les tribunaux situés dans des grandes villes avaient-ils la main plus lourde ? Ici encore, comme dans l’analyse précédente, force est de reconnaître que la différence entre des conditions « rurales » et « urbaines » ne saurait rendre compte de la teneur des jugements rendus par les tribunaux criminels. Certes, le tribunal de Toulouse présente un taux d’acquittement très faible (39 %) ; Bordeaux et Versailles se situent au-dessous de la moyenne. Mais le taux le plus bas dans les seize départements concerne Bourg-en-Bresse (Ain), une ville de moins de dix mille habitants dans un des départements les plus ruraux du pays63. Parmi les seize tribunaux criminels étudiés, ceux qui sont situés dans les six départements ayant la population urbaine la plus forte, présentent un taux d’acquittement de 45 %, alors que les huit départements où la prédominance de la population rurale est la plus accentuée ont un taux de 46 %64. À l’évidence, la « société rurale » ne peut servir de bouc émissaire pour les acquittements sensément trop nombreux prononcés par les tribunaux criminels.
66Par contre, la situation géographique peut avoir influencé l’attitude du jury. Les départements frontaliers ont peut-être connu des taux d’acquittements plus faibles, si l’on se fie aux données de l’Ain, de la Haute-Garonne et des Hautes-Pyrénées : dans ces trois départements, on note 49 % de condamnations pour crimes et 40 % de relaxes65. Dans de telles zones, le souci du maintien de l’ordre a peut-être été accentué par les menaces d’invasion ainsi que par la proximité d’opérations militaires et la présence d’éléments déstabilisateurs : troupes, déserteurs, fournisseurs et parasites des armées, camps de prisonniers de guerre. Des recherches plus approfondies sont toutefois nécessaires pour confirmer l’influence du facteur géographique. On constate par ailleurs un faible taux d’acquittements pour les quatre tribunaux du Sud-Ouest, peut-être dû à la proximité de la frontière espagnole. Dans le Sud-Est, les tribunaux de Lyon et de Nîmes ont relaxé 51 % des prévenus – le même pourcentage que celui obtenu par H. R. O. Maltby dans son travail sur la Drôme dans les années 179066. Puisque les trois tribunaux de l’Ouest de la France ont également acquitté plus fréquemment que la moyenne nationale de 45 %, il est tentant d’attribuer les verdicts les plus « cléments » aux régions où l’opposition à la Révolution était la plus prononcée67.
67L’impact des opinions politiques des jurés sur les verdicts est très difficile à détecter. Si les cinq départements de l’Ouest et du Sud-Est ont prononcé 50 % d’acquittements, les procès politiques ne sont pas la source principale de ce taux élevé. Et le tribunal le plus enclin à relaxer les accusés fut celui de la Vendée, où le personnel judiciaire était fermement ancré à « gauche », et fortement opposé au royalisme populaire. Le rôle de la politique dans la justice criminelle dépend en partie de la question du pouvoir judiciaire : qui avait le plus d’influence, les juges ou les jurés ? Si l’on estime que les juges (choisis par les assemblées qui élisaient les administrateurs départementaux) l’emportaient, il est alors légitime de comparer les verdicts dans les départements qui votèrent à « gauche » aux élections des années 1790 avec ceux des départements de « droite ». Mais, ici encore, nous nous heurtons à des difficultés méthodologiques : l’évolution des résultats des élections départementales est un sujet controversé, et les notions de « gauche » et de « droite » ne sont pas toujours pertinentes (comment qualifier les départements qui ont élu les listes du gouvernement en l’an IV ?). Si l’on accepte la classification par Lynn Hunt des départements français selon leur tendance politique dans les années 179068, il est clair que le comportement des jurys n’a pas grand-chose à voir avec l’orientation politique des assemblées électorales. Les tribunaux des départements considérés par Hunt comme « à gauche » ont acquitté 46,3 % des accusés jugés par un jury, alors que les tribunaux classés « à droite » en ont relaxé 47 %. Certes, dans les procès politiques, les départements de « droite » ont prononcé 76 % d’acquittements, contre 67 % pour les départements de « gauche ». Mais le rapport entre la tendance politique du département et le taux global des acquittements reste faible69. Le tableau n’est pas moins complexe si l’on considère l’opinion publique en dehors des assemblées électorales. À cet égard, on peut se fonder sur le nombre de prêtres qui acceptèrent de prêter serment pour tenter d’évaluer de façon très approximative les tendances politiques dans les provinces. Dans les départements où ce taux d’acceptation (estimé par Timothy Tackett) ne dépasse pas 35 %, le pourcentage d’acquittements dans les procès par jurés est de 50 %, tandis que dans les départements où 75 % du clergé accepta de prêter serment, les relaxes atteignent seulement 43 %. Mais ici encore, les verdicts dans les affaires politiques – là où, justement, on s’attendrait à trouver un contraste marqué – ne diffèrent guère dans les deux cas de figure70. L’idée que les nombreuses relaxes prononcées par les tribunaux criminels reflétaient la force du sentiment contre-révolutionnaire dans les provinces reste une hypothèse, qui exige des recherches plus poussées et se heurte à de sérieuses difficultés méthodologiques.
68Les variations les plus nettes dans le comportement des jurés ne relèvent pas de la géographie : elles s’inscrivent dans le temps. Les relaxes augmentent de façon significative en l’an II, puis à nouveau en l’an III, où elles atteignent leur maximum dans les seize tribunaux criminels. Le taux d’acquittements de 56 % observé en l’an II est dû principalement aux verdicts des jurés dans les affaires d’atteinte à l’ordre public. Comme le montre le tableau IV, la plupart des acquittements concernent des délits contre l’ordre public, souvent au titre de lois spéciales adoptées par la Convention nationale. Les jurés ont acquitté des personnes accusées d’avoir enfreint le maximum, d’accaparement, de résistance à l’arrestation, de complicité d’évasion de prisonniers, de concussion, et d’autres infractions considérées comme une menace à l’ordre de la République. Ainsi l’augmentation des acquittements en l’an II peut être perçue comme une réaction de la société civile aux poursuites générées par les conditions exceptionnelles de l’époque (voir chapitre V). Mais comment expliquer, alors, que la proportion soit encore plus élevée en l’an III ? Dans les seize tribunaux étudiés, 66 % des accusés furent innocentés, et l’indulgence des jurés dans certains départements paraît incroyable : 99 prévenus sur 137 furent relaxés en Côte-d’Or, 24 sur 29 dans les Hautes-Pyrénées, 257 sur 324 en Seine-et-Oise, 44 sur 51 en Vendée. Toutes les catégories de délits sont concernées. Si la majorité des relaxes de l’an III concernent des affaires d’ordre public, les jurys ont souvent prononcé des acquittements dans des affaires d’atteintes à la propriété et de crimes violents. Le taux des acquittements pour ces deux catégories atteignit alors son niveau le plus élevé : 48,6 %.
69Mais pourquoi les jurys de l’an III ont-ils exonéré tant de personnes soupçonnées de crimes de droit commun ? L’augmentation flagrante des relaxes dans les affaires de vol et de violences représente peut-être une réaction psychologique singulière à la Terreur. Après Thermidor, les dirigeants de la Terreur furent arrêtés et ses institutions abolies ou neutralisées : dans ces conditions, on peut imaginer que le discrédit frappant les symboles de la période antérieure se soit étendu aux tribunaux criminels eux-mêmes. Les citoyens révoltés par la Terreur et choisis pour le service du jury ont pu transférer inconsciemment leur compassion pour les victimes de l’an II sur les prévenus de l’an III, toutes catégories confondues. Face à un prévenu fraîchement tiré de sa geôle, les jurés avaient encore le souvenir récent des gens guillotinés, déportés ou arrêtés comme suspects, et leur expérience de la Terreur en province les a peut-être conduits à considérer avec horreur les institutions répressives, même lorsqu’elles étaient dirigées contre un voleur présumé. Un tel transfert d’ordre psychologique ne paraît guère rationnel, s’agissant d’affaires de vol. Mais il reste fort possible que la nette augmentation des acquittements en l’an III procède d’un mouvement contagieux et collectif – une réaction allergique, en quelque sorte, aux excès de l’année précédente.
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70En 1799, le ministre de l’Intérieur François de Neufchâteau se plaignait des erreurs fréquemment commises par les jurys de jugement dans les départements. En tant que protecteur du droit et de l’ordre républicains, il estimait que les criminels échappaient trop souvent à la « vengeance des lois », et que l’indulgence des jurys favorisait les désordres et la criminalité qui affligeaient le pays. Il accusait les défauts de caractère des jurés, dont il dénonçait la « faiblesse », l’« ignorance », la « partialité », le « défaut de lumières », l’« esprit de parti », les « affections et préventions personnelles ». Le remède consistait, selon lui, à trouver des jurés « vertueux », « éclairés », « probes », « sincèrement amis de la République71 ». Toutefois, comme tant d’autres observateurs frustrés de la justice criminelle révolutionnaire, de Neufchâteau ne parvenait pas à saisir les causes de tous ces acquittements. Le problème ne tenait nullement aux « déficiences » morales des jurés, pas plus qu’il n’était dû à l’ignorance ou à la présence de citoyens des campagnes dans les jurys : en effet, les villageois paraissent avoir été tout aussi capables de condamner que les habitants des villes. Le problème était bien plutôt structurel et, en dernière analyse, culturel.
71Les acquittements rendus par les tribunaux criminels constituaient une réaction des jurés au carcan de la législation en vigueur ainsi qu’à des affaires spécifiques et des accusés bien concrets. En votant la relaxe, certains jurés ont pu exprimer leur désaccord avec les définitions étatiques de la criminalité, notamment dans les affaires politiques et d’ordre public. D’autres ont sans doute réagi à la rigueur excessive de certaines peines du Code pénal de 1791, en particulier à son refus de prendre en compte la valeur de la marchandise dans les affaires de vol, aussi bien que de plusieurs peines dans la législation ultérieure. Mais la certitude d’une peine sévère ne les a pas toujours empêché de prononcer la condamnation du prévenu. Un facteur décisif dans les décisions du jury était la tension entre la rigidité du Code pénal et le désir de souplesse des jurés. Les auteurs du Code, aveuglés par leur phobie de l’Ancien Régime, cherchaient à nier l’identité personnelle de l’accusé qui était un des fondements du droit sous la Monarchie. Ils ont tenté de séparer l’acte criminel de celui qui l’avait perpétré. Cependant, les jurés sentaient bien qu’il était impossible de juger l’action sans juger l’auteur. « Ruraux » ou « urbains », ils ne réagissaient pas seulement au crime lui-même mais sans doute aussi au caractère et à la personnalité de l’accusé. Ce faisant, ils frustraient les espoirs des réformateurs du xviiie siècle : ceux-ci avaient aspiré à créer un système pénal où le châtiment des coupables était sûr et certain et se retrouvaient avec une situation où il était loin d’être prévisible.
Notes de bas de page
1 AN C 225, Hérault, « Rapport présenté à la Convention nationale, au nom du Comité de Salut public, sur le juré civil », p. 3.
2 La question de l’« impunité des crimes » fut soulevée dans l’enceinte de la Convention le 28 février 1793 (Procès-verbaux de la Convention nationale, t. 6, Paris, 1793, p. 503-504 ; voir aussi AP t. LIX, p. 342-351). L’inquiétude des ministres de la Justice et de l’Intérieur concernant les acquittements sous le Directoire est analysée au chapitre IV. Pour ce qui est des récriminations de Régnier, le ministre de la Justice de Napoléon, voir AN AD III 55, « Compte rendu au gouvernement […] par le grand-juge ministre de la Justice, » p. 213. Voir aussi AN AD III 56, « Observations des tribunaux criminels sur le projet de code criminel, » an XIII (départements du Gard, p. 1, et de la Nièvre, p. 1). Dès le mois de juillet 1792, le ministre de la Justice se plaignait de « la nullité des moyens de répression » : voir AN D III 371, « Compte rendu à l’assemblée nationale le lundy neuf juillet 1792 par M. de Joly Ministre de la Justice […] ».
3 Sur le débat sous Napoléon concernant l’avenir du système des jurés, voir Esmein (A.), Histoire de la procédure criminelle en France, op. cit., p. 481-526 ; Woloch (I.), The New Regime, op. cit., p. 375376 ; Schnapper (B.), « Le jury français aux xixe et xxe siècles », dans Padoa Schioppa (A.) (dir.), The Trial Jury in England, France, Germany 1700-1900, Berlin, Duncker & Humblot, 1987, p. 172175 ; Cruppi (J.), Napoléon et le jury, Paris, Marchal et Billard, 1896 ; Halperin (J.-L.), « L’Empire hérite et lègue », op. cit., p. 242-244 ; Martinage (R.), « Du tribunal criminel à la cour d’assises », dans La cour d’assises : bilan d’un héritage démocratique, op. cit., p. 34-37.
4 Les « observations des tribunaux criminels » de la Dordogne, de l’Orne, et de la Haute-Vienne en l’an XII utilisaient ces termes (voir AN AD III 56), tout comme les rapports transmis par les tribunaux d’appel d’Aix et de Nancy (AN AD III 55).
5 Voir Chertier (F.), « Recherches sur le tribunal criminel du département de l’Indre », Le Bas-Berry, 1876, p. 1-11, 49-64, 143-160, 206-217, 256-266 ; Combier (A.), La justice criminelle à Laon pendant la Révolution, 1789-1800, 2 t., Paris, H. Champion, 1882 ; Debauve (J.-L.), La justice révolutionnaire dans le Morbihan, 1790-1795, Paris, L’auteur, 1965 ; Demogue (R.), « Un tribunal criminel sous la Révolution : Le tribunal criminel de la Marne », Revue de Champagne, n° 18, juillet-août 1911, p. 161-177 ; n° 19, sept.-oct. 1911, p. 208-216 ; n° 20, nov.-déc. 1911, p. 225-240 ; Demogue (R.) « Une juridiction criminelle sous le Consulat et l’Empire : département de la Marne, an X1815 », Revue de Champagne n° 23, mai-juin 1912, p. 321-336 ; Pons-Devier (L.), « Le tribunal criminel du département des Basses-Pyrénées : Ses origines, ses débuts », Revue historique et archéologique de Béarn et du Pays Basque VI, 1923, p. 81-105, p. 162-180 et p. 229-247 ; Pons-Devier (L.), « Le tribunal criminel des Basses-Pyrénées et les Représentants du Peuple », dans t. VII, 1924, ibid., p. 5-31 et p. 81-105 ; Pons-Devier (L.), « L’application des lois révolutionnaires devant le tribunal criminel des Basses-Pyrénées, Ventôse-Thermidor an II », t. VIII, 1925, ibid., p. 81-100 et p. 199219 ; Thomas (H.), Le tribunal criminel de la Meurthe sous la Révolution, 1792-1799, Nancy, Impr. G. Thomas, 1937 ; Vercier (J.), La justice criminelle dans le département de l’Hérault pendant la Révolution, 1789-1800, Montpellier, Impr. Causse, Graille et Castelnau, 1925. Pour une analyse de ces œuvres, voir Allen (R.), The Criminal Court of the Côte-d’Or, 1792-1811, thèse, Columbia University, 1991, p. 5-13. Pour des études locales plus récentes, voir Allen (R.), « The Criminal Court », op. cit. ; Doyle (C. J.), The Judicial Reaction in South-Eastern France, 1794-1800, thèse soutenue à l’université d’Oxford, 1986, et « Internal Counter-Revolution : The Judicial Reaction in Southern France, 1794-1800 », French History, 1992, p. 106-124 ; Drugeon (L.), « La justice criminelle sous le Directoire dans le département de l’Oise », Annales historiques compiégnoises modernes et contemporaines 65-66, 1996, p. 23-39 ; Fages (M.), « Approche des nouvelles institutions judiciaires et fonctionnement du tribunal criminel dans le département des Basses-Pyrénées (1789-1794) », 1re partie, Bulletin de la Société Ramond, 126, 1991, p. 93-112, et 2e partie, 127, 1992, p. 1-29 ; Gau-Cabee (C.), « Le tribunal criminel de l’Aude et la répression politique en l’an II : un exemple de Terreur dévoyée », Études d’Histoire du Droit et des Idées politiques, 1, 1997, p. 176-188 ; Landron (G.), Justice et démocratie : le tribunal criminel de Maine-et-Loire (1792-1811), thèse de droit, Poitiers, 1993 ; Maltby (H. R. O.), Crime and the Local Community in France : the Department of the Drôme, 1770-1820, thèse soutenue à l’université d’Oxford, 1980 ; Moyaux (D.), Naissance de la justice pénale contemporaine : la juridiction criminelle et le jury – l’exemple du Nord (1792-1812), Lille, thèse de droit, 2000, 2 t. ; Moyaux (D.), « Le tribunal criminel du Nord. La Terreur en République », Études d’Histoire du Droit et des Idées politiques 1, 1997, p. 239-252 ; Peyrard (C.), « Le justice thermidorienne dans l’Orne », dans Le Tournant de l’an III, Paris, Éditions du CTHS, 1997, p. 461469 ; Schnapper (B.), « L’activité du tribunal criminel de la Vienne, 1792-1800 », op. cit., p. 623638 ; Schnapper (B.), « À propos de la justice criminelle dans la Vienne de l’an VIII à 1811 », dans Mélanges Jacques Charpy (Charpiana), Rennes, Fédération des sociétés savantes de Bretagne, 1991, p. 411-417 ; Wigoder (L. J.), Justice and the Criminal in the Haute-Marne, 1780-1815, thèse soutenue à l’université d’Oxford, 1979.
6 Woloch (I.), « Le Palladium de la liberté vicissitudes du juré criminel », dans Vovelle (M.) (dir.), L’Image de la Révolution française : communications présentées lors du Congrès mondial pour le bicentenaire de la Révolution, Sorbonne, Paris, 6/12 juillet 1989, t. 2, Paris et Oxford, Pergamon press, 1989, p. 983-988 ; Woloch (I.), The New Regime, op. cit., p. 355-379 ; Schnapper (B.), « Le jury criminel », dans Badinter (R.) (dir.), Une autre justice, op. cit., p. 149-170 ; Vovelle (M.), The Fall of the French Monarchy, Cambridge, Cambridge University press, 1984, p. 157-158 ; Halperin (J.-L.), « Justice criminelle, » dans Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, 1989, p. 612-613.
7 Landron (G.), Justice et démocratie : le tribunal criminel de Maine-et-Loire (1792-1811), op. cit., p. 338-350 ; Moyaux (D.), Naissance de la justice pénale contemporaine : la juridiction criminelle et le jury – l’exemple du Nord (1792-1812), op. cit., t. I, p. 144-150 ; t. II, p. 496-501.
8 La première analyse statistique des verdicts des jurés, basée sur des recherches effectuées dans plusieurs départements, a été publiée en 1996 : voir Allen (R.), « Expanding the Boundaries of Citizenship : The Jury System in the French Revolution », The Consortium on Revolutionary Europe, Selected Papers, 1996, p. 61-70.
9 Donovan (J.), « Justice Unblind : The Juries and the Criminal Classes in France, 1825 to 1914 », Journal of Social History 15, 1, 1981, p. 89-107 ; Aubusson De Cavarlay (B.), Huré (M. S.) & Pottier (M. L.), Les statistiques criminelles de 1831 à 1981, la base Davido, séries générales, Paris, Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, 1989.
10 Certains dossiers des Archives nationales contiennent des listes des jugements criminels couvrant des périodes limitées : des rapports envoyés au comité de Législation en l’an III (D III 325-328), quelques-uns des rapports transmis en réponse au premier projet de nouveau code criminel conçu par Napoléon (AD III 54-55), et bien sûr les données statistiques de l’ère napoléonienne (F 20 154-275). Mais les deux premières sources, à quelques exceptions près, fournissent des taux d’acquittements sur une période très restreinte et les descriptions des types de crimes poursuivis sont trop imprécises. Quant à la troisième source (les rapports statistiques accumulés sous Napoléon), elle ne paraît pas toujours fiable si on la compare aux registres des jugements dans les départements, et elle décrit rarement en détail les infractions jugées par le jury. Enfin, les « répertoires des jugements » qui figurent parfois dans les archives provinciales sont trop succincts et ne correspondent pas toujours aux jugements répertoriés dans les registres.
11 Dans notre ouvrage, les tableaux concernant les jugements ont été établis à partir d’une lecture des registres des jugements tenus par chaque tribunal et préservés aux archives départementales. Voir AD Ain, série L, « registres des jugements par jury » (non-classés) pour 1792, 1793-prairial an II, prairial an II-pluviôse an IV, pluviôse an IV-nivôse an V, nivôse an V-floréal an VI et floréal an VI-messidor an VII ; pour la période napoléonienne, voir les registres classés provisoirement dans les séries 3U 6-8, 10, 12-14 ; AD Cher, L 1513-1518 et 2U 1081-1083 ; AD Côte-d’Or, 2LF 1-4 et 2U 91-93 ; AD Creuse, 2L 13-25, et les registres non classés de la série U provisoire, jugements du tribunal criminel an XI-1808 et 1809-1811 ; AD Finistère, 67L 2-8, 3U 2/1-3 ; AD Gard, L 30353050 et les registres de séances, L 3064 et 5U 2-97 ; AD Haute-Garonne, 7L 201 U1-3, complété par 7L 201 U4-6 ; AD Gironde, 5L 51-57 et 2U 119-131 (ici les registres des années IV-VII sont classés avec les registres napoléoniens) ; AD Landes, 108L 4-9, 2U 12-13 ; AD Mayenne, L 18241830 ; AD Hautes-Pyrénées, 2L 1-6 et U 1-2 ; AD Rhône, 39L 59-66, 4U 35-45 ; AD Haute-Saône, 368L 10-14 et 2U 1-16 ; AD Somme, L 3192-3193 et L 3195 ; AD Vendée, L 1516-1518 et 2U 2-3. Pour la Seine-et-Oise, voir AD Yvelines, 42L 1-16.
12 Si les délibérations du jury duraient plus de vingt-quatre heures, le verdict était rendu à la majorité simple des jurés (loi du 19 fructidor an V, op. cit., art. 33). Le cas était très rare.
13 Voir les lois du 7 et du 30 frimaire an II (analysées au chapitre I), celles des 14 et 19 germinal an II (Duvergier, t. VII, p. 158), des 21 floréal et 1 prairial an II (Duvergier, t. VII, p. 196-197), l’article 140 du Code des délits et des peines, op. cit., ainsi que les lois du 1 pluviôse an IX (article 11), et du 3 floréal an X (articles 2 et 3). Les affaires de faux étaient couvertes par la procédure « spéciale » du Directoire et par les « tribunaux spéciaux » de Napoléon, mais non par les procédures spéciales adoptées par la Convention. Pour le vol armé et le brigandage, voir les lois du 26 floréal an V, op. cit. ; 29 nivôse an VI, op. cit. ; et 18 pluviôse an IX (Duvergier, t. XII, p. 386-390).
14 Ces deux catégories sont conformes aux dispositions du Code pénal, 2e partie, Titre II. La première section du Titre II couvre « les crimes et attentats contre les personnes », tandis que la deuxième section concerne les « crimes et délits contre les propriétés ».
15 Bernard Schnapper constate que le taux d’acquittement dans les affaires du vol a diminué au tribunal criminel de la Vienne après vendémaire an III. Voir Schnapper (B.), « De Thermidor à Brumaire », dans Boucher (P.) (dir.), La Révolution de la justice, op. cit., p. 207.
16 Gilles Landron signale une forte proportion d’acquittements pour les personnes accusées de crimes contre l’ordre public dans le Maine-et-Loire. Voir Landron (G.), Justice et démocratie : le tribunal criminel de Maine-et-Loire (1792 - 1811), op. cit., p. 420.
17 Au tableau V, la catégorie des « fers » inclut à la fois les hommes (condamnés aux fers) et les femmes (condamnées à la « réclusion » dans une maison de force).
18 Il est souvent impossible de déterminer, à partir des registres judiciaires, le taux précis des exécutions par rapport aux condamnations à mort. On peut toutefois l’estimer à environ 75 %. En Vendée, de l’an IV à 1811, 9 des 36 accusés condamnés à mort furent jugés par contumace. Dans la Seine-et-Oise, on connaît le sort de 74 condamnés à la peine capitale de l’an V à l’an XII. Douze d’entre eux (16 %) furent condamnés par contumace, quatre (5 %) virent leur verdict annulé par le tribunal de cassation, cinq (7 %) moururent en prison avant d’être exécutés, tandis que cinquante-trois (72 %) furent guillotinés.
19 Sur 1 160 peines de mort prononcées dans les seize départements concernés, 937 le furent pour homicide, 112 pour vol aggravé (dont 75 au titre de la loi du 26 floréal an V, et 35 au titre de la loi du 29 nivôse an VI), 49 pour incendie volontaire, 35 pour des crimes politiques, 21 pour contrefaçon d’assignats, et 6 pour diverses infractions criminelles.
20 La complexité de la procédure en vigueur sous l’Ancien Régime rend difficile l’évaluation précise de la fréquence des condamnations prononcées par les tribunaux royaux. Le taux d’acquittements de 1970 à 1981 est calculé à partir des chiffres de la base de données Davido ; voir Aubusson De Cavarlay (B.), Huré (M.-S.) & Pottier (M.-L.), Les statistiques criminelles de 1831 à 1981 : la base Davido, séries générales, Paris, Ministère de la Justice, 1989, p. 183. Les jugements rendus lors des procès criminels au xixe siècle ont été étudiés par James Donovan dans son article : « Justice Unblind : The Juries and the Criminal Classes in France, 1825 to 1914 », Journal of Social History, 15, 1, 1981, p. 89-107. Concernant ce taux d’acquittements dans le Kent, voir Cockburn (J. S.), « Twelve Silly Men ? » dans Twelve Good Men and True, p. 171 ; pour le Surrey, le taux a été calculé à partir du tableau fourni par J. M. Beattie dans son ouvrage Crime and the Courts in England (p. 411) ; et, pour le xve siècle, voir Powell (E.), « Jury Trial at Gaol Delivery » dans Twelve Good Men and True, op. cit., p. 100-103. Voir aussi Green (T. A.), Verdict According to Conscience : Perspectives on the English Criminal Trial Jury, 1200-1800, Chicago, University of Chicago press, 1985.
21 Bernard Schnapper souligne que « les critiques avancées à l’aube du xixe siècle contre les jurys de l’époque révolutionnaire s’expliquent par une volonté décidée d’aggraver la répression et par des options idéologiques contraires à celles de 1791 ». Voir Schnapper (B.), « Le jury criminel », dans Boucher (P.) (dir.), Une Autre Justice, op. cit., p. 170. Pour un examen réfléchi de la question de l’« indulgence » ou de la « sévérité » des jurés, Landron (G.), Justice et démocratie : le tribunal criminel de Maine-et-Loire (1792-1811), op. cit., p. 21-24 ; et Landron (G.), « À propos de la “commisération abusive” du jury criminel de la Révolution », Histoire de la Justice 7, 1994, p. 73-88.
22 Voir Green (T. A.), Verdict According to Conscience, op. cit., p. XVIII.
23 Ibid.
24 Muchembled (R.), Société et mentalités dans la France moderne, xvie-xviiie siècle, Paris, A. Colin, 1990, p. 54.
25 Voir chapitre V.
26 Voir Allen (R.), « Expanding the Boundaries of Citizenship », op. cit., p. 66.
27 Woloch, The New Regime, op. cit., p. 369.
28 AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 8 n° 34.
29 Petitfrère (Cl.), L’œil du maitre : maîtres et serviteurs, de l’époque classique au romanticisme, Bruxelles, Éditions Complexe, 1986 ; Maza (S.), Vies privées, affaires publiques : les causes célèbres de la France prérévolutionnaire, Paris, Fayard, 1997 ; Maza (S.), Servants and Masters in Eighteenth-Century France : the uses of loyalty, Princeton, NJ, Princeton University press, 1983.
30 Quatre « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » sont énoncés dans le deuxième article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
31 AD Côte-d’Or, 2LF 1, 2LF 5 n° 6.
32 AD Côte-d’Or, 2U 93, 2U 148 n° 956.
33 Soixante-quinze accusés ont été condamnés à la peine capitale au titre de la loi du 26 floréal an V et trente-sept au titre de la loi du 29 nivôse an VI.
34 Dans notre étude sur la Côte-d’Or, la catégorie de « crime contre la propriété » a été subdivisée en deux sous-catégories : d’une part, les atteintes à la propriétés considérées comme de simples délits selon la loi du 25 frimaire an VIII et jugées désormais par des tribunaux correctionnels ; et, d’autre part, les infractions plus graves qui relevaient de la compétence des tribunaux criminels jusqu’en 1811. Les jurés de la Côte-d’Or ont traité ces dernières avec un peu plus de sévérité : pendant les années 1790, ils ont acquitté 28 % et condamné 54 % des accusés pour ces crimes, alors que pour les atteintes à la propriété moins graves, ces chiffres étaient respectivement de 36 % et 51 %. Voir Allen (R.), « The Criminal Court », op. cit., p. 94.
35 Écoutons de nouveau Bernard Schnapper : « Rigueur inhumaine, irréaliste, contre laquelle beaucoup de jurés réagirent sous la Révolution et au xixe siècle par des verdicts contraires à l’évidence chaque fois qu’ils craignaient une condamnation excessive ». Schnapper (B.), « Le jury criminel », dans Badinter (R.) (dir.), Une Autre Justice, op. cit., p. 155.
36 La présence d’un défenseur n’était pas autorisée. Si, après le jugement, le condamné se présentait aux autorités ou était appréhendé, un nouveau procès conforme aux règles habituelles avait lieu – ce qui offrait au prévenu la possibilité de se défendre. Voir la loi des 16 et 29 septembre 1791, op. cit., 2e Partie, Titre 9. Par la loi du 4 thermidor an II, la Convention ordonnait aux juges de déclarer l’accusé purement et simplement coupable s’il était absent. Ainsi, en l’an III, le « procès » par contumace se résumait à une déclaration des magistrats. Le code de brumaire an IV rétablit les règles de procédure des Constituants en matière de contumace (voir Titre 9). Les affaires jugées in absentia entre thermidor an II et brumaire an IV ne sont pas prises en compte dans les calculs qui figurent à ce paragraphe, puisqu’il ne s’agissait pas de procès par jurés.
37 Ces deux tableaux présentent les professions de tous les inculpés, y compris dans les cas où les accusations furent abandonnées par le tribunal criminel avant le procès. Ainsi, le nombre des accusés comptabilisés y est supérieur à celui des personnes effectivement jugées par le jury.
38 Hufton (O.), The Poor of Eighteenth-Century France, 1750-1789, Oxford, Clarendon press, 1974, p. 26-33.
39 Sur les déserteurs et insoumis de l’époque, voir Forrest (A.), Déserteurs et insoumis sous la Révolution et l’Empire, Paris, Perrin, 1988.
40 Cette estimation a été effectuée à partir de dossiers concernant 688 accusés en 1792-1793, au cours des ans II-V, VIII-IX, et de 1809 à 1811.
41 Chiffres basés sur 1 043 cas de prévenus dont les procès-verbaux d’interrogatoires ont été conservés dans les dossiers de la Côte-d’Or, 1792-1811.
42 Voir Furet (F.) et Ozouf (J.), Lire et écrire : l’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Minuit, 1977, t. I, p. 60.
43 La plupart des personnes jugées au xviiie siècle par les tribunaux étudiés par André Zysberg et les collaborateurs de Porphyre Petrovitch avaient moins de trente ans. Nicole Castan, pour sa part, a découvert que les femmes accusées en Provence à la fin du xviiie siècle étaient en moyenne légèrement plus âgées que leurs homologues masculins. Voir Petrovitch (P.), « Recherches sur la criminalité à Paris dans la seconde moitié du xviiie siècle », dans Abbiateci (A.) et al., Crimes et criminalité en France, xviie-xviiie siècles, Paris, Colin, 1971, p. 237 ; Zysberg (A.), « Galley Rowers in the Mid-Eighteenth Century, » dans Deviants and the Abandoned in French Society, éds. Forster (R.) & Ranum (O.), Baltimore, Johns Hopkins University press, 1978, p. 103-105 ; et Castan (N.), Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Paris, Flammarion, 1980, p. 234-236.
44 Michelle Perrot explique la légère diminution du nombre des femmes jugées dans des tribunaux au xixe siècle par une diminution des vols de bois de chauffage et de denrées alimentaires. Elle estime que du fait de la fonction domestique et nourricière des femmes, ces délits constituaient leur forme dominante de délinquance (« Delinquency and the Penitentiary System in Nineteenth-Century France, » dans Forster and Ranum, p. 228). Dans la même veine, Petrovitch a constaté que les délits commis par les femmes étaient surtout des atteintes à la propriété, plutôt que des crimes violents, qui étaient « pratiquement un monopole masculin » (Petrovitch, p. 235). Dans son étude de la Loire au xixe siècle, Claude Chatelard attribue également aux femmes proportionnellement plus de crimes contre la propriété qu’aux hommes (Crime et criminalité dans l’arrondissement de St. Etienne au xixe siècle, St. Étienne, 1981, p. 148, 150).
45 Des 3 139 femmes jugées dans les seize départements, 1974 étaient accusées de crimes contre la propriété, 593 de crimes violents, 467 d’infractions à l’ordre public, 74 de crimes politiques, et 31 de délits divers. Pour les hommes (au nombre de 16 032), les chiffres sont respectivement de 8 255, 3 275, 3 449, 882, et 171.
46 Dans la Côte-d’Or, de 1792 à 1811, 515 prévenus ont signé leur procès-verbal d’interrogatoire : 163 (32 %) d’entre eux ont été condamnés pour crime, 88 (17 %) ont reçu une peine correctionnelle, et 264 (51 %) ont été acquittés. 528 prévenus étaient incapables de signer : 227 (43 %) ont été condamnés pour crime, 107 (20 %) ont reçu une peine correctionnelle, et 194 (37 %) ont été acquittés.
47 Ces chiffres sont calculés à partir des procès-verbaux d’interrogatoire de 1 188 prévenus entre 1792 et 1811 en Côte-d’Or.
48 Données établies sur la base des procès par jurés dans la Côte-d’Or (1792-an V, ans VIII-IX, et1809-1811). Pour les résidents des villes de deux à trois mille habitants, le taux de condamnations pour crimes est de 36,5 %, le taux de peines correctionnelles de 10,5 %, et le taux d’acquittements de 53 %. Pour les résidents de villes de plus de trois mille habitants, ces taux sont respectivement de 31 %, 11 % et 58 %. Les accusés qui ont déclaré résider à plus de 10 kilomètres du lieu du crime ont reçu 121 condamnations criminelles (48 %), 37 peines correctionnelles (15 %) et 94 acquittements (37 %). Par contraste, ceux qui vivaient à moins de 10 kilomètres du lieu du crime ont reçu 131 condamnations criminelles (30 %), 73 peines correctionnelles (17 %) et 230 acquittements (53 %).
49 À Dijon, les taux d’acquittements en fonction de l’âge ont été les suivants : moins de vingt ans : 49 % ; de vingt à vingt-neuf ans : 36 % ; de trente à trente-neuf ans : 44 % ; de quarante à quarante-neuf ans : 47 % ; de cinquante à soixante ans : 60 % ; plus de soixante ans : 58 %. Concernant l’âge des accusés, voir Landron (G.), Justice et démocratie : le tribunal criminel de Maine-et-Loire (17921811), op. cit., 1993, p. 346, et Moyaux (D.), Naissance de la justice pénale contemporaine : la juridiction criminelle et le jury – l’exemple du Nord (1792-1812), op. cit., t. I, p. 146-148.
50 Nombre d’accusés ayant reçu une condamnation criminelle, une peine correctionnelle ou un acquittement, selon leur sexe et le type d’infraction, dans les seize tribunaux criminels étudiés, de 1792:
51 Ce tableau est basé sur les cas de 450 accusés, sur lesquels on dispose d’informations concernant les cinq variables indépendantes dans les dossiers de la Côte d’Or pour les périodes suivantes : 179293, ans II-V, VIII-IX, et 1809-1811. Il a été établi à l’aide d’un modèle de dispersion, somme de carrés des écarts de Type III (SCE Type III). Je tiens à remercier le Département des Statistiques de la Southern Methodist University (Dallas, États-Unis) pour son aide précieuse dans la réalisation de cette analyse.
52 Sur l’arbitraire notamment des juges, voir Porret (M.), Le crime et ses circonstances : de l’esprit de l’arbitraire au siècle des Lumières selon les réquisitoires des procureurs généraux de Genève, Genève, Librairie Droz SA, 1995.
53 AN AD III 56, « Observations des tribunaux criminels sur le projet de code criminel », an 13 (département de la Loire-Inférieure, p. 2). Voir aussi les commentaires des juges des tribunaux criminels de l’Indre, de l’Indre-et-Loire, de la Loire, de la Manche, des Basses-Pyrénées, des Hautes-Pyrénées, des Vosges, et de l’Yonne.
54 La question de l’excuse est abordée au chapitre I, et son application est analysée au chapitre III. La fréquence des peines correctionnelles prononcées par les tribunaux spéciaux créés par Napoléon (voir chapitre VI) suggère que lorsque les juges siégeaient sans les jurés, ils s’efforçaient parfois d’atténuer la rigueur du Code.
55 AD Côte-d’Or, 2U 93, 2U 148 n° 956.
56 Thomas (H.), Le Tribunal criminel de la Meurthe sous la Révolution, 1792-1799, Nancy, Impr. G. Thomas, 1937, p. 564.
57 Sur les problèmes méthodologiques posés par la lecture des dossiers criminels, voir Martin (J.-C.), « Violences sexuelles, étude des archives, pratiques de l’histoire », Annales 51, 3, 1996, p. 644-661 ; et Landron (G.), Justice et démocratie : le tribunal criminel de Maine-et-Loire (1792-1811), op. cit., p. 23.
58 De telles affaires n’étaient pas soumises au jury d’accusation (voir la loi du 13 brumaire an II).
59 Voir AN C 227, lettre du 12 floréal an III de Rouvière à la Commission des Onze ; AN AD III 55, Compte rendu au gouvernement... par le grand-juge Ministre de la Justice, p. 212-213 ; AN BB 20 1 1, lettre du 19 frimaire an IX du juge de paix à Cognac au ministre de la Justice ; et AN AD III 56, Observations du tribunal criminel du Doubs, Paris, an XIII. Sur les instructions données aux magistrats de Bordeaux, voir AN BB 18 361, lettre du 31 décembre 1806 du ministre de la Justice au préfet de la Gironde, ainsi que la réponse de ce dernier du 9 janvier 1807.
60 AD Charente-Maritime, L 1047, procès-verbaux des ans IV et V. Pour chaque jury constitué, quinze hommes étaient invités à signer (les trois adjoints avec les douze jurés).
61 Voir Jones (C.), The Longman Companion to the French Revolution, London, Longman, 1988, p. 295-296.
62 Le Tableau XV est fondé sur les documents concernant les verdicts et la composition des juries en Côte-d’Or, dans les Landes, et en Mayenne (voir chapitre IV). Ces dossiers couvrent les périodes suivantes : an VII-1810 dans la Côte-d’Or, 1792-1795 dans les Landes, an II-1810 dans la Mayenne. La composition du jury est définie comme « urbaine » lorsque huit des douze jurés résidaient en ville. Par contraste, un jury est considéré comme « rural » si sept des douze jurés habitaient dans des villages. (Si le seuil de la catégorie des jurys ruraux était de huit villageois au lieu de sept, le nombre de verdicts rendus par les « jurés ruraux » serait nettement diminué.) Dans les trois départements concernés, sur 135 prévenus ayant comparu devant des jurys comprenant au moins huit villageois, 61 (45 %) furent condamnés pour crime, 24 (18 %) pour de simples délits « correctionnels », et 50 (37 %) furent relaxés.
63 En l’an VIII, Bourg-en-Bresse comptait 6 984 habitants (AN F 20 298).
64 En 1810, dans six des seize départements (Gard, Haute-Garonne, Gironde, Rhône, Seine-et-Oise, et Somme), la proportion des habitants de communes de plus de 2 000 habitants avoisinait ou dépassait vingt pour cent. Les tribunaux criminels de ces départements ont prononcé 43,7 % de condamnations criminelles, 11,5 % de peines correctionnelles, et 44,7 % d’acquittements. Par contraste, huit des seize départements avaient autour de 10 % d’« urbains » (Ain, Creuse, Finistère, Landes, Mayenne, Hautes-Pyrénées, Haute-Saône, et Vendée). Les tribunaux criminels de ces départements ont condamné 43 % des inculpés pour crimes, 11 % pour de simples délits, et en ont relaxé 46 %. Voir tableau I plus haut et, pour la proportion de résidents urbains dans ces départements, voir Jones (C.), The Longman Companion to the French Revolution, London, Longman, 1988, p. 296-298. Les départements du Cher et de la Côte-d’Or ont été omis, puisque les proportions respectives des « urbains » et des « ruraux » y sont médianes (15,4 % et 15,9 % de la population vivaient dans des communes de plus de deux mille habitants en 1810).
65 Verdicts cumulés dans ces trois départements : 1 868 condamnations criminelles, 406 peines correctionnelles, et 1 537 acquittements (voir tableau I).
66 Les jurys des quatre tribunaux du Sud-Ouest (Haute-Garonne, Gironde, Landes, Hautes-Pyrénées) ont prononcé au total 2 310 condamnations pour crimes, 472 peines correctionnelles, et 2 063 acquittements (42,6 % du nombre global d’accusés ayant comparu devant des jurés). Les chiffres cumulés du Gard et du Rhône donnent 1 296 condamnations criminelles, 371 peines correctionnelles, et 1730 acquittements. Les trois tribunaux de l’Ouest de la France (Finistère, Mayenne, Vendée) ont prononcé 912 condamnations criminelles, 173 peines correctionnelles, et 1 033 relaxes (48,8 % de l’ensemble des accusés ayant comparu devant un jury). Pour la Drôme, voir Maltby (H. R. O.), Crime and the Local Community in France : the Department of the Drôme, 1770-1820, Oxford University thesis, 1980, p. 359.
67 Le taux global d’acquittements dans la Haute-Garonne, la Gironde, les Landes et les Hautes-Pyrénées fut de 42,6 %, tandis que celui de la Finistère, de la Mayenne et de la Vendée fut de 48,8 % (ce dernier pourcentage serait particulièrement élevé du fait des verdicts rendus dans le Morbihan, si l’on en juge par les recherches de Debauve portant sur la période jusqu’en 1795).
68 Sur cette question, voir Vovelle (M.), La découverte de la politique : géopolitique de la Révolution française, Paris, Découverte, 1993, p. 212-218.
69 Dans Politics, Culture, and Class in the French Revolution (Berkeley, University of California press, 1984), p. 131, Hunt estime que les départements suivants ont été « à droite » pendant les années 1790 : le Cher, le Finistère, le Gard, la Mayenne, le Rhône-et-Loire, la Haute-Saône, la Seine-et-Oise, la Somme. Les tribunaux de ces huit départments (qui incluent le Rhône mais pas la Loire après 1793) ont prononcé 4372 condamnations pour crimes (41,4 %), 1233 peines correctionnelles (11,7 %), et 4965 acquittements (47,0 %). Hunt classe « à gauche » pour la même période les départements de la Creuse, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, et de la Vendée. Les jurys de ces quatre départements ont prononcé 1436 condamnations criminelles (44,8 %), 286 peines correctionnelles (8,9 %), et 1485 acquittements (46,3 %). Dans les procès politiques par jurés, les départements « de droite » ont prononcé 80 condamnations criminelles (12,8 %), 68 peines correctionnelles (10,9 %), et 478 acquittements (76,4 %). Les départements « de gauche » ont prononcé 47 condamnations criminelles (25,4 %), 14 peines correctionnelles (7,6 %), et 124 acquittements (67,0 %).
70 D’après Tackett, dans Religion, Revolution, and Regional Culture in Eighteenth-century France : The Ecclesiastical Oath of 1791, Princeton, Princeton University press, 1986, p. 364-366, les départements suivants avaient des taux d’acceptation du serment ecclésiastique égaux ou inférieurs à 35 % en 1791 : le Finistère, la Mayenne, le Gard, les Landes, la Haute-Saône, la Vendée. Les verdicts des procès par jurés s’y décomposent ainsi : 2 278 condamnations criminelles (38,6 %), 663 peines correctionnelles (11,2 %), et 2956 acquittements (50,1 %). Six départements présentent des taux d’acceptation égaux ou supérieurs à 75 % : l’Ain, le Cher, la Creuse, les Hautes-Pyrénées, le Rhône, la Seine-et-Oise. Les jurys de ces départements ont prononcé 3 471 condamnations criminelles (44,8 %), 942 peines correctionnelles (12,1 %) et 3342 acquittements (43,1 %). Dans les affaires politiques, les départements ayant des taux d’acceptations peu élevés, ont prononcé 54 peines criminelles (11,6 %), 45 peines correctionnelles (9,7 %) et 366 acquittements (78,7 %). Pour ceux qui avaient des taux d’acceptations élevés, les chiffres sont : 33 peines criminelles (13,4 %), 32 peines correctionnelles (13,0 %) et 181 acquittements (73,6 %).
71 AD Côte-d’Or, L1118, circulaires du 16 pluviôse et 28 thermidor an VII. Sur les tendances répressives de l’exécutif sous le Directoire, voir Halperin (J.-L.), « Continuité et rupture dans l’évolution de la procédure pénale en France de 1795 à 1810 », dans Rousseaux (X.), Dupont-Bouchat (M.-S.) & Vael (C.) (dir.), Révolutions et justice pénale en Europe : modèles français et traditions nationales, 1780-1830, op. cit., p. 109-130.
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Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008