La nef des idiots : en quel monde se rencontrer ?
Passe-montagne (Jean-François Stévenin, 1978)
p. 277-298
Texte intégral
1Dans deux essais désormais classiques, Clément Rosset a décrit comment, selon lui, l’esprit humain s’échine à refuser l’évidence du réel, et donc à ne pas le rencontrer. Déniant perpétuellement l’insupportable insignifiance du monde, sa platitude muette, il l’occulte en la recouvrant d’un scénario orienté, d’un sens fictif. Ce en quoi il ne vit pas dans le réel, mais dans sa doublure, la carapace de la « réalité ».
« Le réel ne commence qu’au deuxième coup, qui est la vérité de la vie humaine, marquée au coin du double [...]. Pour être réel, en somme, selon la définition de la réalité d’ici-bas, double d’un inaccessible réel, il faut copier quelque chose1 [...]. »
2Pour Rosset, cet « inaccessible réel » est fondamentalement idiot. D’abord, trivialement, parce qu’il est exclusivement mu par le hasard, une fatalité glaciale qui tout à la fois nous détermine et nous rend parfaitement fortuits, nécessairement quelconques : « somehow anyhow », d’une certaine façon de toute façon, comme la démarche du Consul et d’Yvonne dans Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry2. Mais surtout, le réel est idiot au sens étymologique, car précisément sans double – ce pourquoi l’homme a dû en élaborer un.
« Un mot exprime à lui seul ce double caractère, solitaire et inconnaissable, de toute chose au monde : le mot idiotie. Idiôtès, idiot, signifie simple, particulier, unique ; puis, par une extension sémantique dont la signification philosophique est de grande portée, personne dénuée d’intelligence, être dépourvu de raison. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles sont et telles qu’elles sont : incapables donc, et en premier lieu, de se refléter, d’apparaître dans le double du miroir3. »
3Comment, dès lors, rencontrer le réel puisqu’il n’a pas de double, de médiateur ? Rosset semble assez sceptique sur la possibilité de rencontre. Si jamais elle a lieu, elle est vouée au tragique (Œdipe, aveuglé par la doublure et finalement « doublé » par le réel), ou du moins à la souffrance : c’est le dépressif (Rosset lui-même a relaté, dans Route de nuit, sous formes d’ » épisodes cliniques », sa propre dépression) ou l’alcoolique (le Consul de Lowry, encore une fois), livrés à l’intensité et l’insignifiance de l’être-là, au risque du désespoir et de l’hébétude.
4Autrement dit, pour rencontrer le monde idiot, il faudrait consentir à tomber la doublure, devenir soi-même idiot, supporter un sens non canalisé, un excès de possibilités qu’on ne peut toutes embrasser.
« De même que l’insignifiance se définit non par le manque mais par la prolifération des chemins, de même l’oubli se caractérise non par une perte du souvenir mais bien par une omniprésence des souvenirs, par la masse indistincte de tous les souvenirs qui, lors de l’oubli, affluent en rangs si serrés qu’il devient impossible d’y repérer le souvenir recherché. [...] L’ivrogne véritable n’oublie tout que parce qu’il voit tout4. »
5Une sorte de paralysie lucide que Rosset distingue notamment chez Beckett :
« Ses séries [...] ne suggèrent pas une signification insaisissable et cachée, promesse d’un sens lointain et mystérieux, mais offrent au contraire une signification immédiate, muette et plate, sans aucune promesse d’écho ni de reflet, qui s’évapore dans le temps même où elle se révèle5. »
6Le réel glacial et l’idiot nu : deux blocs face à face. Débarrassée du fluidifiant de la doublure, la rencontre avec le monde, chez Rosset, s’apparente à un terrible papier de verre.
7Un autre philosophe a intimement lié les notions de rencontre et d’idiotie : c’est bien sûr Gilles Deleuze. Chez lui, comme on le sait, chaque être animé a son territoire, c’est-à-dire son propre monde. Il reprend ici, notamment, les théories du biologiste Jacob von Uexküll : les différentes espèces animales ne vivent pas dans le même monde puisque chacune perçoit le réel de manière spécifique, selon sa physiologie et ses besoins, « monde vécu » que Uexküll nomme l’Umwelt (« entours »). Selon le scientifique, chaque animal vit dans « une sorte de bulle de savon » et « un nouveau monde se forme dans chaque bulle6 ». Aucune comparaison possible (donc, a priori, aucune empathie, aucun terrain d’entente) entre le monde d’un insecte et celui d’un oiseau. C’est ici une autre manière de formuler l’excès de possibles pointé par Rosset : le réel est idiot parce qu’il est peuplé de mondes idiots et irrémédiablement étrangers, écume de bulles qui ne peuvent se « comprendre7 ». En quel monde, dès lors, se rencontrer ? La rencontre entre les êtres est-elle impossible, faute d’un langage commun, chacun étant enfermé dans sa « bulle » ?
8Elle est pourtant envisageable selon Deleuze, et même essentielle8. Mais elle ne saurait être une rencontre parlementaire, passant par une compréhension de l’autre : dégoût constant du philosophe pour les simagrées de la discussion, du colloque, de la communication, de « l’échange d’idées ». On ne peut se rencontrer de cette manière puisque chaque individu ayant son propre monde, il s’agit toujours de cannibaliser l’autre, de le dissoudre dans son propre langage, sa propre doublure. La rencontre parlementaire s’apparente à une guerre des mondes, où l’enjeu de pouvoir se cristallise vite. Parlons-nous ! Parlons le même langage ! Oui, mais lequel ? Le mien, forcément – tout comme certains États disent vouloir imposer la démocratie.
9Rencontrer, pour Deleuze, c’est précisément ne pas comprendre, reconnaître ce qu’on ne connaît pas (et non reconnaître ce qu’on connaît, comme dans la rencontre parlementaire), tolérer l’intrusion en soi de signes illisibles, qu’on ne peut intégrer, que l’on se sait condamné à lire de manière aberrante. Autrement dit : en avoir un usage idiot, devenir idiot, du moins du point de vue du monde adverse. Le contresens, l’incompréhension est ici la base de la rencontre, expérience aussi rare que périlleuse (c’est l’intégrité de son propre monde qu’on joue là) : elle ravit littéralement9.
10En ceci, le Passe-montagne de Jean-François Stévenin (1978) est un film très deleuzien, figurant une rencontre non pas comme une fusion ou une discussion, mais comme la contiguïté de deux solitudes extrêmes, deux mondes totalement étrangers qui cohabitent dans une ferme vermoulue. Deux hommes, deux idiots beckettiens, qui se croisent par hasard, n’ont presque rien à se dire, mais marchent et mangent ensemble quelques jours, plongés dans le silence de la montagne, une pénombre terreuse, des aboiements de chien, des moteurs qu’on laisse tourner. La parole n’est ici d’aucun secours, et même d’aucun usage, souvent rendue inaudible (recouverte par un bruit ou d’autres voix, ou plongée dans l’épaisse gangue de l’accent jurassien) ou fatalement parcellaire, bizarrement couturée : les personnages parlent par accrocs, zigzaguant entre des sous-entendus et des points de suspension qui ne sont jamais explicités. Les deux personnages principaux ne se répondent de fait jamais, chacun semblant suivre, de son côté, un sentier soliloquant, ce qui ne l’empêche pas de s’amuser des signes erratiques envoyés par l’autre. Intense déflagration du malentendu : leurs jeux d’enfants flambent d’autant mieux qu’ils se comprennent mal. Le mime de Jacques Villeret, durant un dîner, ressemble sacrément à l’irrésistible physique des lignes de fuite deleuziennes, ces lignes par lesquelles des mondes s’entrouvrent : deux mains qui se rapprochent, se frôlent presque comme des ailes de pigeon. « Ça s’approche, ça s’approche, dit Villeret, y a un moment où on y est presque, asymptote (sic) et pfuit. » Les mains s’écartent, s’éloignent irrémédiablement. Une fois de plus, on ne sait pas de quoi il parle exactement. Stévenin, en face de lui, le sait-il plus ? Cela ressemble au schéma d’un rendez-vous manqué mais c’est tout le contraire : le mouvement même de la rencontre.
11L’idiot10, celui qui ne comprend pas, celui qu’on dit souvent replié sur soi, serait-il aussi celui qui rencontre vraiment, le grand rencontreur ? On pourrait par facilité lui imputer une nature quasi végétale, dire qu’il n’a pas de monde « parasite » (contrairement au fou qui présente, lui, un excès de monde, un délire qui le déborde) et serait ainsi directement enraciné dans la terre muette du réel. C’est sûrement un peu plus compliqué : l’idiot a bien un monde propre mais particulièrement resserré, donc d’autant moins capable de se conformer à des situations inconnues, de les digérer dans la doublure de la familiarité. Ne maîtrisant ou ne percevant qu’un certain type de signes, il n’oublie jamais l’unicité, la singularité, l’incomplétude de son monde, ne rêve jamais, contrairement à celui qui a « les pieds sur terre ». Il est dès lors aussi celui qui travaille perpétuellement, ne se repose jamais, est toujours aux aguets : non pas passif, comme le laisse parfois croire son apparence, mais au contraire monstre d’activité, la poussant juste à son comble, l’inertie d’un nœud qui, à se tendre dans tous les sens, est trop serré. Il réfléchit trop, doute plus que de raison, il est celui à qui se refusent toujours la joie de l’intuition et l’euphorie de l’ivresse11. Il reconnaît ainsi en permanence ce qu’il ne connaît pas, il rencontre à chaque instant, comme un fakir hébété sautillant d’un charbon ardent à l’autre.
12Dostoïevski dit tout de cela lorsqu’il décrit le prince Mychkine approchant de la crise d’épilepsie – pour Deleuze, les personnages dostoïevskiens vont « d’urgence en urgence » : telle est la panique de la rencontre perpétuelle. L’Idiot ne voit d’abord plus rien, marche machinalement dans la ville sans le molleton de la doublure. Il ne perçoit dans la rue que des mondes illisibles, étrangers à lui, bulles contiguës ignorantes les unes des autres. Confusion grandissante, vertige nauséeux : tout d’un coup, il voit tout, il a tous les mondes en tête, tous les doubles, ce maelström de bulles, et cela ne peut se tolérer. Un trait de lumière, il défaille et s’évanouit, cisaillé par une clairvoyance trop intense.
13D’où que l’idiot soit logiquement, pour Deleuze, du côté de la pensée et de la création : on pense et on crée à la crête de son ignorance, de ce qu’on ne connaît pas. C’est en raréfiant son monde qu’on s’expose à la rencontre : « écrire pour les idiots, les sauvages, les bêtes », c’est-à-dire non pas à leur attention, mais à leur place.
14Juste quelques mots sur l’idiotie et la notion de modernité, par laquelle on se rapproche enfin du cinéma. D’abord dire que nous sommes plus idiots que nos aïeux. Étant donné l’accélération des transports que nous empruntons, des flux qui nous environnent et nous traversent, nous sommes susceptibles d’être plongés dans une beaucoup plus grande variété de situations, donc d’être exposés à des agencements qui nous dépassent, que nous ne pouvons pas lire – notre polyvalence a ses limites –, devant lesquels nous sommes idiots.
15Dans un livre récent12, Jean-Yves Jouannais a fait de l’idiot le grand expérimentateur de la modernité artistique. À mi-chemin entre l’essai et l’anthologie, il distingue une lignée de créateurs, née avec les Fumistes fin de siècle, puis ancrée par Alfred Jarry et Dada, et qui, refusant l’intelligence et la solennité, prônent l’idiotie, l’hébétude, le rire, la danse trébuchante, le burlesque. L’une des plus riches intuitions de Jouannais consiste à ramener la modernité, via la rivalité entre Dada et le surréalisme, à une guerre entre les idiots et les fous – ou plutôt une caste de prêtres qui instrumentalisent et esthétisent le corps des fous afin de restaurer une vision antique du génie inspiré et de maintenir sous respiration artificielle l’académisme romantique. Entre ces idiots et ces fous, se noue bien aussi un enjeu de rencontre, en tant que péril consenti ou contourné. Positivité de l’idiot : je n’ai que ce monde-là à vous proposer, débile, troué de partout, inapte à tout rassembler, toujours en butte au réel, donc entre autres à votre propre monde. Négativité du prêtre fou : je n’ai que faire de votre monde, je l’efface, je le mange ; voici le mien à la place, qui contient tout.
16Reprenons : l’idiot comme figure même de la rencontre. Comment voir le monde sans simplement perpétuer son double illusoire, comment rencontrer l’idiotie du monde sans entrer en syncope, tel Mychkine ? Premier élément de réponse avec Le Moindre Geste, qui suit pour l’essentiel le jeune Yves, « débile profond » selon les « experts », ainsi que le rappelle Fernand Deligny en voix off, en ouverture du film. Rappelons en quelques mots sa production particulière. Les images furent tournées dans les Cévennes dans les années 1963-64 et ne semblaient pas spécialement destinées à être projetées en salles : il s’agissait plus, apparemment, d’une méthode parmi d’autres, que Deligny expérimentait avec les autistes qu’il encadrait. Le pédagogue a élaboré un vague argument fictionnel (deux enfants jouant dans la campagne, la chute de l’un d’entre eux dans un trou, comment le second cherche des secours) qui servait de trame aux prises de vues, tournées dans la journée par son assistante Josée Manenti. Des prises de son indépendantes étaient réalisées le soir, notamment pour enregistrer les sidérants monologues d’Yves. Ce matériel resta en sommeil jusqu’à ce qu’il soit découvert en 1969 par Jean-Pierre Daniel, totalement étranger à l’équipe de tournage et qui s’attelle seul à son montage : le résultat fut projeté à Cannes en 1971 et resta inédit en salles jusqu’à l’année dernière. Rappelons aussi que le travail de Deligny aurait laissé une trace conséquente dans l’œuvre commune de Deleuze et de Félix Guattari, via ce dernier. Le pédagogue comparait, dans l’un de ses textes, l’image à du lichen, et dessinait ce qu’il appelait des cartes ou des lignes « d’erre », schémas striés censés retranscrire l’espace mental des autistes (gestes, déplacements). Dans la serre de Deleuze et Guattari, la germination de ces expériences aurait apparemment contribué au concept de rhizome13.
17[Projection d’un extrait du Moindre Geste, Fernand Deligny, 1963-1971.]
18Il y a bien ici un monde, c’est le moins qu’on puisse dire. Le Moindre Geste n’est pas un film sur Yves, mais avec lui, dans ses déambulations. C’est une « carte d’erre » filmée. Le jeune homme est un grand marcheur, l’immobilité lui semblant même douloureuse dans un plan le montrant la tête dans les genoux.
19Yves reste désemparé, ne sachant que faire, autour de la maison en ruine où l’autre enfant a disparu. À défaut d’appeler des secours, il se met à les mimer en construisant, avec des bouts de bois, une barrière précaire en guise de périmètre de sécurité, à laquelle il tente sans succès, longuement, de nouer une ficelle – activité qui le mobilise fréquemment dans le film, et toujours infructueuse, que ce soit avec des bouts de ficelle ou ses lacets. Traversant avec obstination tous les échecs, les attendant presque comme une délivrance, il anticipe celui des secours qu’il n’a pas appelés en édifiant avec des pierres la tombe à venir de son camarade. Tout au long du film, il se bat ainsi avec des bouts de bois, de pierre, de ficelle. Il est en guerre contre tous ces bouts. Dans une autre séquence, marchant au milieu d’une grande zone de caillasse, il jette des pierres sur les pierres, puis, tentant sans succès de décoincer une souche qu’il traîne avec une corde, finit par littéralement fouetter la terre. On retrouve cette guerre avec les bouts dans Passe-montagne, où les deux hommes passent beaucoup de temps à débiter – des légumes qu’on coupe, un arbre qu’on tronçonne –, tandis qu’autour d’eux s’effiloche la parole et poudroie la poussière.
20Dans Le Moindre Geste, Yves est un bloc, logiquement têtu, confronté à un grand émiettement qui l’exaspère – on ne saurait mieux figurer la pluralité des mondes à laquelle l’idiot (lui, nous) est confronté, cette tâche perpétuelle de déchiffrement, cette quête illusoire d’un principe qui pourrait les unifier. Yves tente toujours de recoller les morceaux : faire une ficelle avec deux bouts, entrechoquer les pierres. Par là-même, le « débile profond », apparemment réticent à tout échange (il fuit régulièrement une jeune fille, la repousse même physiquement avant de se laisser glisser sur un talus), ne cesse de rencontrer le monde, par tous les bouts. C’est bien sûr épuisant : allez donc rencontrer une pierre. Quelle pierre ? Celle-ci ou celle-là ? On n’en finit pas, on va de caillou en caillou, rêvant d’un rocher. Les plans de la carrière, où se rend régulièrement Yves, sont dès lors parmi les plus beaux du film : visage granitique sur fond de roche qu’on fracasse et qu’on broie, monde du morcellement perpétuel sur lequel s’écorche, en une rencontre toujours recommencée, le monde de l’idiot.
21Nous parlions tout à l’heure, à propos de la rencontre selon Rosset, de papier de verre : voilà bien une rencontre pierreuse, qui est aussi celle du Consul dans Au-dessous du volcan, que le philosophe cite :
« Why was he always more or less, here ? Un miroir lui aurait fait plaisir, pour s’y poser cette question. Mais il n’y avait pas de miroir. Rien que la pierre. » « L’opposition entre le miroir et la pierre, commente Rosset, est ici une trouvaille, qui résume en deux mots la différence entre l’habituelle manière de percevoir les choses, et l’ivrogne. Il y a en effet deux grandes possibilités de contact avec le réel : le contact rugueux, qui bute sur les choses et n’en tire rien d’autre que le sentiment de leur présence silencieuse, et le contact lisse, poli, en miroir, qui remplace la présence des choses par leur apparition en images. [...] Vision [de l’ivrogne] pierreuse, qui a la dureté du caillou, également sa froideur et sa précision : tout est dur, résistant, parce que non susceptible d’être distancié par le regard, – et c’est éminemment le cas de sa propre personne, la seule chose au monde qu’il soit de toute façon impossible de regarder14 [...]. »
22Vu son objet et les conditions de sa production, Le Moindre Geste pourrait être considéré comme un film brut, un représentant cinématographique de l’art brut (dont l’échafaudage branlant qu’édifie Yves, à côté de la maison, relève en effet). Les promoteurs de l’art brut ont eu tendance à développer, autour des œuvres essentielles qu’ils mettaient à jour, une idéologie spontanéiste ou primitiviste, fantasmant des créateurs purs de toute souillure culturelle, supposée fallacieuse, de quasi-chamans, intercesseurs avec le « vrai » monde – le choix du terme « brut » en dit déjà long, les Anglo-Saxons préférant outsider, moins chargé. Lesdites œuvres s’avèrent pourtant souvent extrêmement référencées, doublées, en ceci qu’elles recyclent des formes préexistantes ou des objets manufacturés. Jouannais attaque durement, mais assez justement, ce discours spontanéiste :
« La vérité et l’authenticité [...] ne sont, en art, que les publicités d’elles-mêmes et, à ce titre, les attributs les plus kitsch dont puisse se prévaloir une œuvre15. »
23Si j’évoque ici ce discours de l’art brut, c’est qu’il n’est pas sans rapport avec une mystique proprement cinématographique, elle aussi intimement liée à la rencontre : celle de la durée, supposée seule garante d’une épiphanie du monde à l’écran, d’une rencontre entre le réel et le film sur lequel il s’imprime. Sur ces terrains (authenticité brute et durée), Le Moindre Geste est difficilement annexable.
24Un de ses plans pourrait pourtant facilement nourrir le fantasme de l’idiot pris dans un devenir-chose : Yves devant un arbre, cachant le tronc de son corps et du coup comme coiffé de branches. À l’évidence, il ne devient pourtant pas un arbre. C’est peut-être sa quête, mais il n’y parvient pas, au plus près de la disjonction entre son monde et tous les autres. Tout au plus mime-t-il l’arbre avec sa langue de bois (ses imitations d’un sermon de curé ou d’un discours du général de Gaulle), sa voix de roche broyée. On perçoit bien, d’ailleurs, dans ces monologues, qu’Yves n’est jamais « brut », malgré les apparences, qu’il est peuplé de références à foison, comme autant de mondes entre lesquels il ne peut choisir, foule muette devant laquelle il discourt, en endossant des figures d’autorité.
25Le film, fait lui-même de bouts, appuie, dans sa forme finale, les saillies de ces références, les accrocs de ces rencontres. Là où on attend plutôt de la durée, il fait un travail de rapiéçage qui insiste sur ses coutures, ses vices de fabrication, unité précaire aux nœuds volontairement grossiers : montage se jouant de toute unité de lieu ou de temps, voix jamais enregistrées en son direct et superposées aux images, à mi-chemin entre une post-synchronisation rustaude et une voix off, de multiples bruitages ou sons importés au moment du mixage, parmi lesquels des ajouts surprenants (bruits de circulation, fête folklorique). Voilà bien un film fondé sur la désynchronisation (autre nom possible de la rencontre : deux mondes qui tentent désespérément de se phaser sur un même rythme), alors même qu’on attend le pur synchronisme de l’idiot voyant.
26Pareillement, le Passe-montagne de Stévenin lorgne vers l’art brut – son environnement (une ruralité à la lisière de la marginalité) et le projet de l’oiseau géant, cette grande nef de bois possiblement imaginée par un Facteur Cheval jurassien. Mais il est aussi piégé, miné par la désynchronisation : faux raccords ou greffe, dans sa bande-son, d’une musique ouvertement référencée et recyclée, puisque c’est la bande originale d’un film d’André Téchiné, réalisé seulement deux ans auparavant, Barocco. Dès l’ouverture de Passe-montagne, pour que les choses soient bien claires, on dit d’ailleurs au personnage de Stévenin que sa maison-oiseau « manque d’authenticité ».
27Idiotie, matière « brute », durée : signes extérieurs (et parfois trompeurs) de rencontre et de présence. Le parcours de Lars Von Trier est très explicite de ce point de vue, le Danois ne cachant rien, avec son cynisme habituel, de la façon dont il manipule ces gages. Qu’est-ce que Von Trier à l’origine ? Jusqu’à Europa, un formaliste, un maniériste précieux travaillant en studio, à la limite d’un Greenaway. Pour se sortir de cet écrin confidentiel, le cinéaste a redoublé de formalisme tout en singeant la rencontre : la pochade du manifeste Dogma, prônant explicitement une forme de cinéma brut basé sur le support numérique. Les Idiots n’ont dès lors pas tardé à sortir du bois : probablement son meilleur film, peut-être parce qu’il met en scène la stratégie même de son réalisateur. Voici des avant-gardistes qui font les idiots, finissent par se lasser du jeu et laissent, livrée à elle-même, la seule qui pousse l’expérience jusqu’au bout. Une fois que la greffe est prise, plus besoin de faire semblant de rencontrer l’idiot, ou de tourner avec lui. Logique implacable : il faut maintenant le sacrifier – c’était déjà le cas dans Breaking The Waves, ça l’est à nouveau avec Dancer in The Dark. Dogville a peut-être amorcé un nouveau chapitre vendeur : la revanche de l’idiote. Ou comment, grâce à l’idiot, on phagocyte la rencontre, on l’enferme à l’intérieur même du film, afin de mieux satisfaire la soif de contrôle d’un cinéaste agoraphobe.
28Le cinéma se conçoit souvent comme un art de la rencontre, ouvert à tous les accidents lumineux. Pourquoi, dès lors, ne pas le fantasmer comme un art idiot ? Il délègue bien sa vision à une boîte noire muette et docile, une machine, idiote par nature, qui laisse le monde s’imprimer en elle16. Entière disponibilité qu’est prêt à reproduire, au moment de la projection, le cinéphile, aimant lui-même à se penser comme une boîte noire, tout à la fois dans le monde et en dehors, personnage compulsif par excellence. Il y aurait beaucoup à dire sur la parenté entre le cinéphile et l’idiot moderne, mondes monomaniaques résistant à l’impératif de la polyvalence : ce sentiment, exprimé par Daney, d’être « accepté de justesse dans le monde », tout comme Beckett répondait : « Bon qu’à ça », à la question : « Pourquoi écrivez-vous ? »
29Fantasme du cinéma comme art idiot : on en revient vite à cette question de la durée. À la fois prostré et hyperactif, l’idiot est toujours tiraillé entre l’enregistrement et le montage, la continuité et la collure, à l’image du Passe-montagne, entre stases aux aguets et sautes subites des faux raccords. Là est tout le tourment du chantier de sa grande nef en bois : rêve d’un plan commun, d’un plancher où les deux hommes pourraient peut-être se rencontrer, mais apparemment voué à rester inachevé, troué, sa continuité étant de toute manière toujours suspendue à des fragmentations, des émiettements parallèles – ce grand arbre que les deux acolytes tronçonnent ensemble, dans la combe, ajoutant à cette usante sciure du monde qu’ils cherchent précisément à fuir. Périodiquement pensif, Passe-montagne peut soudain s’ébranler en un montage panique, une décharge qui, face au monde illisible, tente toutes les combinaisons, toutes les rencontres. L’idiot comme monteur éperdu : c’est bien sûr, depuis longtemps, Jean-Luc Godard – une rencontre pierreuse entre l’enregistrement et le montage, des images et des sons qui ne raccordent jamais tout à fait17.
30Le cinéma moderne a parfois eu tendance à recourir à la seule durée pour revendiquer sa rencontre avec le monde. À devenir réflexe, « le plan-qui-dure » peut aboutir à un simple effet de cinéma, de l’image-temps filmée (comme Louis Skorecki parle de « cinéma filmé »). Ce qui se voulait une figure poreuse, offerte à la matière du réel, se mue alors en cela même qui refuse toute rencontre.
31Ce réflexe de la durée, nourri par une philosophie de l’empreinte, doit bien sûr beaucoup à André Bazin. Dans « Montage interdit », le critique s’interrogeait précisément, en apparence, sur la manière dont deux mondes radicalement étrangers, deux mondes idiots pouvaient se rencontrer à l’écran. La formulation de son interdit, ainsi que l’a remarqué Daney dans « L’Écran du fantasme18 », tient pour l’essentiel, dans ses exemples, à la nature des êtres filmés : pas de montage si un homme et un animal (Charlot et un fauve), ou deux animaux d’espèce différente (le crocodile et le héron de Louisiana Story) cohabitent dans un même lieu. Si bien que ces rencontres, comme le souligne Daney, consistent pour une large part en des rapports de prédation et ne sont donc pas faites pour durer : « [...] des figurants contraints de partager l’écran, parfois au risque de leur vie. L’interdit du montage est fonction de ce risque. » De deux êtres, il ne devrait bientôt, idéalement, en rester qu’un. Comme dans le cadre parlementaire (« parlons le même langage »), il s’agit bien ici de savoir, sous couvert de rencontre, qui mangera l’autre. De même, le cinéma, sous couvert de durée et de plan commun, ne semble ici rencontrer le monde que pour mieux le manger et le digérer dans l’écran. « Interner la différence, cela veut dire sauver la représentation », résume Daney, écrivant plus loin :
« L’attachement à la représentation, le goût du simulacre, un certain amour du cinéma (cinéphilie) relèvent moins de l’ontologie que de la névrose obsessionnelle. » Ou de l’idiotie ?
32Si le « sauvetage » bazinien revient à une prédation du monde, peut-être est-ce, inversement, le montage interdit qui est la figure même de la rencontre, conçue alors comme un pliage d’hébétude, un gouffre abyssal que le champ contrechamp plie et replie, jusqu’à ce que peut-être, deux mondes finissent par se toucher. C’est bien sûr la visite de la ménagerie, dans Au hasard Balthazar, de Bresson19, doublement interdit puisque le montage et les barreaux des cages empêchent tout carnage. Un âne devant un tigre, un âne devant un éléphant, un âne devant un ours... À chaque fois, des trous noirs qui se fixent et se mangent (seulement) du regard, des mondes indifférents et vacillants, au plus près et au plus loin.
33Sur l’hébétude de la rencontre et le montage interdit, Nicholas Ray a réalisé un beau film-monstre : The Savage Innocents (Les Dents du diable, 1961). On ne saurait être plus insistant que le titre original pour nous assurer qu’on va nous vendre du brut, de l’idiot aussi en l’occurrence : Anthony Quinn grimé en Esquimau bonasse. Ray ne connaît rien du pôle Nord et réalise sans entrain, en studio, cette coproduction internationale. Entre deux séquences tournées sur une banquise postiche, le film multiplie les transparences et les inserts d’images documentaires, tout en étant affublé d’une voix off pédagogique sur la vie quotidienne des Esquimaux. Nous sommes ici dans le sur-montage interdit, le film s’apparentant à une parodie carnavalesque de Nanouk l’Esquimau. Voici une séquence de chasse à l’ours.
34[Projection d’un extrait des Dents du diable, Nicholas Ray, 1961.]
35Par la différence du traitement photographique entre les champs et les contre-champs, le film semble lui-même insister sur le fait que Quinn et l’ours blanc n’ont jamais été mis en présence dans un même lieu. Nous ne rencontrons évidemment en rien, dans ce raccommodage, un Esquimau ou un ours. Ils se rencontrent eux-mêmes assez peu (l’Esquimau, mimant l’animal, s’adonne à un anthropomorphisme bêta). Mais, tout comme Quinn affronte un ours absent, le film brave dans cette charge sa propre ineptie, sa propre aberration. Un film déphasé, isolé de tout dans son studio, idiot en somme, bricole comme il peut une rencontre, cela même qui lui est impossible. D’où probablement cette puissance d’hébétude, cette brutalité débraillée qui touche par la bande, malgré elle, ce que c’est que rencontrer un ours. Peut-être se sent-on, alors, aussi seul que Ray sur sa banquise de carton-pâte ?
36« Sortir de la philosophie par la philosophie », disait Deleuze. Comment peut-on sortir du cinéma par le cinéma ? Comment voit-on le mieux les choses ? Comment les rencontre-t-on le mieux ? Il y a quelque temps, une programmation de Pierre-Marie Goulet, à Porto, permettait de distinguer trois stratégies de la durée.
37D’abord Chantal Akerman, D’Est : on voit mieux en travelling. Son voyage vers la Russie est rythmé par cette figure : un très long plan-séquence dans une gare, de nombreuses vues filmées d’une voiture roulant au pas. Pour voir ces corps fugaces, ces visages absents, cette foule d’inconnus, il faut apparemment infiniment reporter la rencontre, ce qui condamne peut-être à un interminable tapis roulant.
38Ensuite, le Cézanne des Straub-Huillet : on voit mieux en plan fixe. Obnubilation de la rencontre (voir ce que voyait le peintre de la Sainte-Victoire) qui tend fatalement à se dédoubler, devenir sa propre représentation. Gardiens de l’épiphanie matérialiste, les Straub s’affichent d’ailleurs volontiers, dans le documentaire que Pedro Costa leur a consacré, Où gît votre sourire enfoui, comme un couple d’idiots, de clowns (Straub, le rouge ; Huillet, la blanche) : tout à la fois des maniaques obsédés par les bouts (s’insultant, au montage, à cause d’un photogramme coupé de trop) et de burlesques moines zen (Straub imitant dans le couloir un personnage de Mizoguchi).
39Dieu sait quoi, enfin, de Jean-Daniel Pollet : on voit mieux en tournant autour. Pollet était bien devenu un grand créateur idiot (tout comme Francis Ponge), travaillant seul à ses natures mortes, retranché dans son mas provençal, à la fois atelier et studio. Comme Yves, dans Le Moindre Geste, il tripotait et scrutait, sans relâche, les miettes du monde : pierres, rondins, fruits, fleurs. C’était aussi un artiste qui bégayait, reprenant toujours des extraits de ses films antérieurs, choses déjà étrangères, qu’il rencontrait à nouveau, comme des cailloux au fond d’une rivière. Dans les fameux travellings circulaires de Dieu sait quoi, tournant en boucle autour de la table de jardin, il a tiré toutes les conséquences de la modernité, en tant qu’obsession-compulsion : suis-je sûr de l’avoir bien vu ? Ai-je bien vu cette bouteille ? Et celle-ci ? Il faut toujours y revenir. Allez donc rencontrer une pierre, se lamentait Yves. Allez donc rencontrer une bouteille.
40Pollet a très tôt travaillé ce pendule obsessionnel, ce va-et-vient de la vérification vide. L’Ordre, en _973, est un documentaire sur une île grecque, Spinalongua, où l’on retrancha longtemps les lépreux. Les plans les plus marquants consistent en une rencontre avec l’un d’entre eux, Raimondakis, le visage grêlé filmé de face en plan fixe. L’homme-pierre est un imprécateur sidérant, maudissant la légèreté des vivants. L’aveugle met aussi en doute notre capacité à voir les choses : telle est bien la hantise de Pollet. Une bonne part du film se consacre par ailleurs à l’exploration de l’ancienne léproserie, désormais vide et à l’abandon.
41[Projection d’un extrait de L’Ordre, Jean-Daniel Pollet, 1973.]
42Pollet systématise ici sa scansion du plan répétitif (le récurrent filé vers le rivage) et invente des panoramiques littéralement compulsifs, allant et venant frénétiquement sur de mêmes murs vides. La voix off, évoquant les symptômes de la lèpre, finit par bégayer : « Quand ça commence à se voir... Quand ça commence à se voir... », accompagnant la boucle de la caméra maniaque. On savait déjà qu’après la catastrophe, on ne pouvait plus voir que des lieux déserts. Pollet n’est même plus sûr de les voir, ces lieux.
« On pourrait dire que c’est la notion même d’immédiateté qui apparaît ainsi comme truquée : on se méfie de l’immédiat précisément parce qu’on doute qu’il soit bien l’immédiat. Cet immédiat-ci se donne comme premier : mais ne serait-il pas plutôt second ? Telle est peut-être l’origine de cette défiance ancestrale à l’égard du “premier”, dont Talleyrand livre un écho significatif lorsqu’il dit qu’il faut se méfier du premier mouvement, “car c’est en général le bon”. Une analyse de ce mot profond révèle qu’on se défie de son premier mouvement, qu’on ne le prend pas pour le “bon”, précisément parce qu’on se refuse à le prendre pour le “premier” : n’est-ce pas déjà une “élaboration secondaire”, n’ai-je pas laissé à mon intelligence le temps de se laisser surprendre par telle ou telle interprétation trompeuse, émanant de mon désir et image donc de la réalité telle que je préférerais qu’elle soit, non de la réalité elle-même20 ? »
43Récapitulons, tel l’idiot comptant et recomptant sur ses doigts. On ne rencontre que ce que l’on ne connaît pas, ce que l’on ne comprend pas, ce pour quoi on est idiot, ce pour quoi on n’a pas de doublure prête à l’emploi. La rencontre n’est dès lors ni fusionnelle, ni parlementaire, mais pierreuse, au plus près de la disjonction, étroite contiguïté de deux mondes étrangers qui ne s’imbriquent pas, deux hébétudes qui mécomprennent les signes adverses. C’est peut-être aussi l’état le plus courant de l’esprit moderne qui, à trop savoir, est ballotté de monde en monde, jusqu’à ne plus distinguer quel est le sien propre. Quelques mots, pour finir, sur un genre et deux auteurs contemporains.
44Existe-t-il des genres idiots ? Le premier auquel on pense est évidemment le burlesque, écheveau de rencontres aberrantes entre les êtres et les choses, se soldant toujours par des malentendus, des quiproquos ou des acrobaties périlleuses. Dans la période moderne, c’est surtout le cinéma d’horreur (dont on sait les multiples accointances avec le burlesque) qui a multiplié les rencontres pierreuses, le plus souvent fatales, entre des mondes idiots. De ce point de vue, Wes Craven apparaît comme une exception, l’un des derniers à utiliser, avec le personnage de Freddy ou dans la série des films Scream, des monstres d’intelligence, des monstres sociables aussi, en ceci qu’ils organisent, en des traquenards élaborés, leurs rencontres avec leurs proies. Ce sont des héritiers de Dracula. La plupart des autres tiennent plutôt de la créature de Frankenstein, figures plus burlesques que prédatrices, monstres idiots, bien seuls et désemparés, souvent en mal d’affection et tuant quasiment par inadvertance – la « mauvaise rencontre » vaut tout autant pour eux que pour leurs victimes : les zombies patauds et absents de George Romero, Massacre à la tronçonneuse, de Tobe Hooper, le clown blanc de Halloween (John Carpenter). Passe-montagne pourrait d’ailleurs fort bien virer au film d’horreur, tant le personnage de Stévenin, lui aussi amateur de tronçonneuse, paraît parfois sciemment retenir Villeret dans son antre.
45Dans Massacre à la tronçonneuse, le tueur principal, Leatherface, est présenté comme l’idiot de la famille, persécuté et moqué par ses parents. Il est celui qui tourne en rond, rencontrant hébété chaque atome, chaque grain de sable qui plane au-dessus de la steppe texane, pris dans la centrifugeuse des mondes. À cette fragmentation épuisante, cette hantise de la matière, il répond par la surenchère avec sa tronçonneuse, découpant en morceaux chaque corps adolescent qui s’offre à lui : c’est que ces peaux bronzées et ces bikinis importent à chaque fois, comme si besoin en était, un nouveau monde dans le sable du désert, soulevant encore de nouvelles nuées confuses, des nuages de poussière supplémentaires. Comme Yves dans Le Moindre Geste, Leatherface fait la guerre aux bouts, mais selon une autre stratégie : en les découpant en des fragments encore plus petits, qu’il réagence à sa manière dans des créations relevant d’un art brut particulier – mobilier et talismans constitués d’os et d’organes, masques couturant des portions de visages tannés. L’idiot est bien ici, plus que jamais, un monteur maniaque, le film lui-même se fondant sur un excès de montage, à la limite de la syncope. Je disais tout à l’heure qu’Yves fouettait les pierres. Dans le dernier plan du Massacre, Leatherface semble, lui, vouloir taillader le ciel et le soleil, faisant tournoyer, en un sur-place de dindon, la tronçonneuse au-dessus de sa tête.
46Dans le Frankenstein de James Whale, la créature (à qui Leatherface ressemble beaucoup) connaît le démon de la fragmentation en son corps même, puisqu’il est une batterie d’organes dépareillés, de bouts grossièrement cousus. Le monstre cherche son corps, c’est-à-dire le moment où ses organes se rencontreront enfin et s’oublieront. Il cherche aussi son monde, tant, comme les œuvres d’art brut, il est à la fois primal et produit d’un recyclage, animal et fabriqué. Il est logiquement condamné à des rencontres malheureuses, déclenchant systématiquement la terreur et l’hystérie des personnes dont il s’approche paisiblement. Whale accentue encore le burlesque de la situation dans La Fiancée de Frankenstein (1935), le monstre étant repoussé à la chaîne, y compris par sa compagne de synthèse, tout aussi horrifiée que les autres. Le film lui accorde toutefois une très belle scène de rencontre avec un ermite, fondée sur un échange de signes aberrant.
47[Projection d’un extrait de La Fiancée de Frankenstein, James Whale, 1935.]
48Charmé par la musique d’un violon, le monstre pénètre dans la maison du vieillard qui l’accueille à bras ouvert, remercie même Dieu de lui avoir accordé un ami. L’homme est aveugle, la créature est muette. C’est bien sûr en vertu de leurs cécités que ces deux-là se rencontrent, dans une contiguïté parfaite.
49« Même si c’est difficile d’être humain, essayons de ne pas devenir des monstres » : au terme d’une querelle, un homme tente d’apaiser par ces mots Gyung-soo, le héros taciturne de Turning Gate, du Coréen Hong Sang-soo. L’adage n’a pas l’effet escompté, mais est plusieurs fois recyclé par Gyung-soo, auprès d’interlocuteurs ultérieurs. Cela ne marque pas pour autant une évolution du personnage, le fait qu’il ait finalement mûri et intégré un adage qu’il n’a d’abord pas voulu entendre et qu’il souhaite désormais transmettre. Gyung-soo le répète mécaniquement lorsqu’il est au comble de l’embarras, ne sait plus quoi dire à la personne en face de lui. Ce n’est pas pour lui une manière de mettre à plat le conflit, d’établir un contact pacifié, mais bel et bien une esquive, une échappatoire qu’il tente en s’agrippant à un proverbe-radeau. Cette formule, censée favoriser la rencontre parlementaire, est cela même qui permet de l’éviter. Les cinq longs-métrages de Hong Sang-soo conçoivent la rencontre comme une disjonction, « misérable miracle » qui, s’il peut être seulement conçu comme un malentendu piteux ou une molle duplicité, est aussi ce qui permet au lien amoureux de se nouer. Leurs personnages sont en proie à une suave idiotie, ainsi qu’a pu le souligner Jacques Aumont, faisant explicitement référence à Rosset21. Il ne leur arrive que des choses « idiotes ». Et comme Œdipe, ils sont toujours « doublés » par le réel, ce que Hong appuie souvent par des dédoublements narratifs : écho d’un motif d’une partie à l’autre de ses films, reprises de mêmes séquences selon différents points de vue. « Chacun sa vérité, résume Aumont, – mais jusqu’au bout : pas de commune vérité. » Pas de monde commun. Les héros de Hong paraissent bien idiots, au sens trivial : le plus souvent prostrés et apathiques, ils manifestent peu d’imagination, sans qu’on parvienne à savoir si c’est le fait de la bêtise ou de la dépression. Ne trouvant jamais la juste place dans leur environnement, ils sont toujours en proie à de multiples gênes, accrocs et incidents, des microcatastrophes corporelles : représentant qui se fait vomir sur les pieds, sanglote sous les coups de reins laborieux d’une prostituée et finit par frénétiquement se savonner le sexe après avoir découvert que le préservatif était troué (Le Jour où le cochon est tombé dans le puits), vacancier obsédé par la détente estivale qui ne parvient pas à correctement s’allonger sur un rocher (Le Pouvoir de la province de Kangwon), homme qui, dans l’attente de son amante, vaporise un spray pour masquer la pestilence de sa défécation (La Vierge mise à nu par ses prétendants), fillette qui, au départ d’une enjouée promenade familiale, hurle soudain, le doigt coincé dans la portière d’une voiture (Turning Gate). La rencontre avec le Dehors s’apparente ici à une perpétuelle démangeaison, un eczéma qui, s’il n’est pas intolérable, ne se laisse jamais oublier. Ce qui est d’autant plus flagrant dans la sexualité (consciencieuse, sans excitation) et l’éthylisme (sans ivresse), qui occupent une grande part des films de Hong – et qui manifestent son génie propre. Les étreintes, filmées en cadre moyen et peu imaginatives dans leurs positions, insistent beaucoup sur l’aspect technique de la pénétration (stratégique défloration de La Vierge..., empressement bavard de l’amant de Turning Gate, demandant toujours à sa partenaire quel mouvement elle préfère), dessinant le coït comme deux corps irrémédiablement superposés, deux mondes juxtaposés. De même, les saouleries occasionnent des dialogues dédoublés (on ne se parle pas vraiment, on se regarde peu) qui sombrent vite dans le mutisme et l’obnubilation de chaque participant sur un objet de la table, non pour satisfaire un subit intérêt visuel, mais pour se concentrer et éviter la catalepsie ou le vomissement. Ce n’est pas le délire de la drogue qui tente l’idiot, mais bien l’hébétude de l’alcool : cette négociation absente avec la nausée est pour Rosset l’une des rares perceptions « simples », non doublées, du réel.
« Les ivrognes ont la réputation de voir double. [...] Mais cette duplication est un phénomène purement somatique : elle n’engage pas en profondeur la perception ivrogne du réel. Tout au contraire : l’ivrogne perçoit simple, et c’est plutôt l’homme sobre qui, habituellement, voit double. L’ivrogne est, quant à lui, hébété par la présence sous ses yeux d’une chose singulière et unique qu’il montre de l’index tout en prenant l’entourage à témoin [...]... Une chose toute simple, c’est-à-dire, saisie comme singularité stupéfiante, comme émergence insolite dans le champ de l’existence22. »
50On pourrait voir seulement chez Hong une ironie cruelle, exacerbant le tue-l’amour, les pathétiques rencontres de circonstance, les abandons sordides. Il se déploie là, tout au contraire, un lyrisme atonal de la rencontre, toujours ratée mais pourtant toujours désirée : il est précisément miraculeux que ces idiots-là tentent encore leur chance, jouent encore le jeu de la rencontre, quand bien même leur anesthésie coutumière semble leur interdire, quasiment à coup sûr, toute extase ou euphorie.
51[Projection d’un extrait de Turning Gate, Hong Sang-soo, 2002.]
52Cette séquence est assez représentative de l’art de la contiguïté chez Hong. D’abord la première rencontre des deux hommes avec la danseuse, qui jette son dévolu sur Gyung-soo et, dans la salle déserte, se lance littéralement dans une parade nuptiale, faisant au débotté une démonstration de ses talents. Hong la filmant de dos, on est assez peu attentif à l’habileté de ses figures, mais on est en revanche frontalement exposé au regard terriblement absent de Gyung-soo sur le spectacle. La jeune femme s’en aperçoit peut-être et passe d’une maniérée danse traditionnelle à une salsa plus explicite, qui n’éveille pas davantage les prunelles de son immobile cavalier, assis par terre : femelle en parade, mâle apathique, séparés par un mur invisible qui tamise les signes. Le trio va ensuite faire du pédalo, les corps serrés dans le petit habitacle sphérique, mais chacun regardant dans des directions différentes. Un autre pédalo les accoste, l’un des occupants leur demandant du feu – un émissaire du second volet du film puisqu’on apprendra plus tard qu’il s’agit du mari de la future conquête de Gyung-soo. Le temps d’allumer la cigarette et les deux sphères flottantes se séparent : chacun dans sa bulle, avec le roulis d’un lac pour seul partage.
53Aumont, dans son texte, rapproche à juste titre les plans de Hong du fameux « aplanissement » prôné par Bresson – ce qui n’est pas sans rapport avec la vision « simple » de l’ivrogne selon Rosset. Les modèles bressonniens sont bien des idiots. La rencontre chez eux, ne peut-être, en effet, que plane, à l’image du pliage d’hébétude dont je parlais à propos de la ménagerie dans Au hasard Balthazar : rencontre abyssale, capture réciproque de deux mondes étrangers. Dans le massacre final de L’Argent, un chien suit le tueur en jappant, et on ne sait s’il le menace ou s’il lui fait fête. Que rencontre donc le chien de cette tuerie, qu’en perçoit-il, qu’en comprend-il ? Les gestes de mort tombent dans les yeux de l’animal, comme la hache assassine dans la mare noire du dernier plan : tout juste quelques remous et plus rien, juste une surface opaque. C’est le même beau mystère plat dans le dernier film de Hong, La Femme est l’avenir de l’homme, lorsqu’un labrador tourne autour d’un couple ivre, s’arrête un instant devant la fellation qui s’engage, puis quitte indifférent la pièce. Un crime ou une fellation, peu importe : c’est peut-être un formidable événement pour un chien, c’est plus vraisemblablement rien du tout. Ne jamais savoir ce qui, de nos gestes et postures, affecte le monde d’une bête, consentir à un plan qui, pour être commun, ne peut aussi qu’être neutralisé et indécidable : la rencontre par excellence.
54« Trop savoir jusqu’à ne plus voir », disait Païni des idiots godardiens. Cela vaut aussi pour Hong. Aumont relève à juste titre que la Corée du Sud dessinée par le cinéaste est un pays hors-sol, délié de son histoire, à l’image de sites archéologiques souvent évoqués dans ses films mais toujours invisibles, attractions touristiques autour desquelles on tourne, que l’on cite mais qu’on n’a plus besoin de visiter. Les idiots hongiens sont la plupart du temps des artistes ou des intellectuels, peut-être paralysés et rigidifiés par un excès de savoir qui plombe, en la précédant systématiquement, la simple expérience sensorielle : peut-on encore rencontrer ce qu’on connaît toujours déjà ?
55Apparemment très éloigné du Coréen, l’Aveyronnais Alain Guiraudie est taraudé par cette idiotie spécifiquement moderne, cette disjonction permanente, ce lien introuvable. Dans ses entretiens, l’ancien militant communiste insiste souvent sur l’atomisation des grands récits politiques, le fait qu’il est aujourd’hui quasi impossible de se rassembler, se rencontrer autour de causes communes (tout comme le cinéma se balkanise, de plus en plus dispersé dans de multiples pratiques et usages). Cet émiettement accentue encore l’idiotie du monde, chacun étant confiné dans une bulle spécifique, de plus en plus isolée. Encore une fois : en quel monde se rencontrer ? Ce qui veut aussi dire ici : comment recommencer ?
56On recommence dans le désert, par le début et la fin tout à la fois. D’un côté, une lande, Du soleil pour les gueux : préhistoire fondée sur l’esclavage et donc possible épicentre d’une révolution à venir, d’un recommencement de l’histoire. De l’autre, une ruine, Ce vieux rêve qui bouge : le surplace de l’après-crise dans une usine désaffectée. L’avant et l’après se ressemblent beaucoup : la friche industrielle retourne à la lande ; le causse de Du soleil pour les gueux n’est pas un surgissement de sève, mais une ruine de pierre, striée de murets éboulés. On ne sait si l’histoire n’a pas encore commencé ou si elle a fini. C’est un même dénuement, un même monde raréfié. Les brousses et la caillasse du Larzac, dans Du soleil..., prolongent celles du Moindre Geste ou de Massacre à la tronçonneuse. On y tourne pareillement en rond, on pousse par le milieu. Du soleil pour les gueux est d’ailleurs très deleuzien sur la question du nomadisme : le bandit incarné par Guiraudie court sans cesse pour rester immobile, ne pas quitter son pays, idiot buttant toujours sur le périmètre de son aire familière.
57Fin de l’Histoire, peut-être, mais du coup, sûrement, recommencement des histoires, donc des rencontres. Dans un désert, les mondes sont contraints de s’entrechoquer. C’est particulièrement net dans Du soleil pour les gueux, western sans cheval parachutant au milieu d’une lande indistincte quatre piétons, quatre lignes de déplacement, quatre mondes. La jeune coiffeuse vient là en touriste enthousiaste, fantasmant des rencontres fusionnelles ou parlementaires : lassée de son travail aliénant, elle souhaite se dépayser au contact des bergers et de leurs invisibles bestiaux chimériques, les ounayes. Quand bien même elle parle avec le brigand et le chasseur de primes qu’elle croise, fait même l’amour avec un berger, elle doit finalement convenir qu’elle ne peut les rencontrer au sens où elle l’entendait à son arrivée, que leurs mondes sont irrémédiablement étrangers. Sa posture initiale ressemblait aux mystérieux ounayes, décrits comme des moutons vampires : l’angélisme de la compréhension mutuelle se double immédiatement d’un cannibalisme – « l’appétit de rencontres », comme on dit, revient à dévorer le monde adverse. Il s’est pourtant dessiné, souterrainement, des rencontres pierreuses, et un plan commun, le plateau du Larzac en l’occurrence, qui file jusqu’à l’horizon.
58[Projection d’un extrait de Du soleil pour les gueux, Alain Guiraudie, 2001.]
59Au milieu des pierres, au gré de croisements erratiques, on monologue en communauté. Militantisme des rencontres idiotes : une « utopie » (c’est ainsi que Guiraudie dit concevoir ses films), une zone limbique où les mondes solitaires peuvent, à défaut de se comprendre, papoter, déplier leurs doutes auprès du premier venu, n’en finissant pas de s’analyser, de se positionner sur l’échiquier social ou existentiel. On ne se cerne pas tout à fait, on parle un peu tout seul, mais ce n’est pas très grave : il ne s’agit pas vraiment de parlementer entre bulles, plutôt de faire étape à l’ombre de babillages étrangers. Nul besoin d’essence dans un road-movie piéton : le langage s’y substitue fort bien. Chaque personnage porte un petit salon de conversation sur le dos, est comme une station-service pour les autres marcheurs : regonfle-moi avec tes histoires même si je n’y comprends rien, cela fait toujours une musique à entendre.
60Pour l’idiot, le monde est un cinéma permanent dont il ne participe pas tout à fait23. Prenant l’expression au pied de la lettre, Guiraudie transforme le plateau du Larzac en plateau de cinéma (Du soleil pour les gueux), une usine désaffectée en studio (Ce vieux rêve qui bouge). Le monde comme un cinéma permanent : voilà peut-être un moyen d’être moins intimidé par sa supposée opacité, son supposé mutisme. On ne s’y mêle pas, on s’y glisse et on regarde. Le cinéma permanent, c’était autrefois ce lieu où l’on pouvait entrer et sortir selon son bon plaisir, ce lieu de dragues et de flirts, aussi : un lieu de rencontres pour tout dire.
Notes de bas de page
1 C. Rosset, Le Réel et son double. Essai sur l’illusion, Paris, Gallimard, 1976, rééd. coll. « Folio Essais », 1993, p. 62-63.
2 C. Rosset, Le Réel. Traité de l’idiotie, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1977, 12-13.
3 Ibid., p. 42.
4 Ibid., p. 18-19.
5 Ibid., p. 20.
6 J. von Uexküll, Mondes animaux et Monde humain (1934), suivi de La Théorie de la signification, Paris, Denoël, 1965, rééd. coll. « Pocket Agora », 2004, p. 15.
7 Vision d’un certain point de vue prolongée et interrogée par le philosophe Peter Sloterdijk dans sa trilogie Sphères.
8 « Être un homme libre », c’est notamment « organiser les rencontres », écrit-il : G. Deleuze & C. Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1977, rééd. coll. « Champs », 1996, p. 76.
9 La notion même de contresens devient presque absurde : chaque monde a juste une perception et un usage différents d’un même signe. D’où l’une des visées du projet deleuzien : « sortir de la philosophie par la philosophie », c’est-à-dire émettre depuis la philosophie des concepts qui peuvent avoir un usage non philosophique, les exposer aux rencontres.
10 On aura compris qu’il s’agit d’un personnage conceptuel comme les aimait Deleuze, impliquant aussi bien un certain type d’existence (notamment définie par la solitude étymologique rappelée par Rosset), des figures littéraires ou cinématographiques, mais aussi les imageries et les clichés les plus archaïques, notamment hérités des premières psychiatries : l’idiot du village et ses multiples postures.
11 Ou alors, à force d’hyperactivité autotrophe : vertige des manies compulsives, des balancements prostrés, des marches frénétiques...
12 J.-Y. Jouannais, L’Idiotie, art, vie, politique – méthode, Paris, Éd. Beaux-Arts Magazine, 2003.
13 Sur tous ces éléments, voir le dossier « Autour du Moindre Geste », paru dans la revue L’Image, le Monde, n° 2, Paris, Éditions Léo Scheer, automne 2001.
14 C. Rosset, Le Réel, Traité de l’idiotie, op. cit., p. 43-44.
15 J.-Y. Jouannais, L’Idiotie, op. cit., p. 67. Witold Gombrowicz, sur ce problème, s’avère décisif dans sa Correspondance avec Jean Dubuffet (Paris, Gallimard, 1995), voyant dans l’art brut le comble du culturel.
16 Je disais tout à l’heure que l’idiot combinait passivité apparente et hyperactivité. C’est bien à ce confluent (activité de la représentation, passivité de l’esthétique) que Jacques Rancière inscrit l’art cinématographique.
17 On sait que Godard aime à faire de lui un portrait en idiot, à travers ses apparitions dans ses propres films. Ce qui rejoint une tradition de l’autoportrait en saltimbanque, mais dessine surtout une idiotie parfaitement moderne : « Trop savoir jusqu’à ne plus voir », résume Dominique Païni dans une récente publication, « Jean-Luc Godard et l’idiot mélancolique », in Véronique Mauron et Claire de Ribaupierre (dir.), Les Figures de l’idiot, Paris, Éditions Léo Scheer, 2004, 236-248.
18 S. Daney, « L’Écran du fantasme (Bazin et les bêtes) », in La Rampe, Paris, Cahiers du cinéma-Gallimard, 1983, p. 34-42.
19 Dans un entretien avec Bresson, Godard comparait Balthazar à Mychkine, l’Idiot de Dostoïevski.
20 C. Rosset, Le Réel et son double, op. cit., p. 61-62.
21 J. Aumont, « Lointaines vanités. Présentation de Hong Sang-soo », Cinéma 07, Paris, Éditions Léo Scheer, printemps 2004, p. 26-40.
22 C. Rosset, Le Réel, Traité de l’idiotie, op. cit., p. 41.
23 Rosset envisage d’ailleurs la possibilité que le réel soit un « tissu d’images ». Ibid., p. 95.
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