Résumés
p. 291-298
Texte intégral
1Alban Déléris
2De la théorie à la pratique. Conceptions et représentations du théâtre dans les arts poétiques de Laudun d’Aigaliers et Sir Philip Sidney
3À la fin du XVIe siècle paraissent en France et en Angleterre deux traités poétiques qui accordent une place singulière à l’art dramatique. L’Apology for Poetry de Sir Philip Sidney, écrit au cours des années 1580 mais publié en 1595, et L’Art poétique françois de Laudun d’Aigaliers, qui paraît en 1597, livrent tous deux, au sein d’une réflexion générale sur la poésie, ses genres et ses formes, des témoignages précieux sur l’état de l’art dramatique dans leur pays respectif. Mais, parce qu’ils se situent chacun dans une lignée d’arts poétiques ou de pamphlets contre le théâtre, Sidney et Laudun d’Aigaliers ne confèrent pas à leur démonstration la même position au sein du traité et ils ne lui assignent pas la même fonction. Alors que l’auteur français s’en sert pour faire preuve d’originalité critique et pour asseoir des conceptions dramatiques qu’il réinvestit dans ses propres tragédies, les développements du poète et romancier anglais ont une visée polémique, puisqu’il répond notamment aux attaques théâtrophobes de Philip Gosson. Par ailleurs, il s’agit de voir quel traitement est réservé aux différents genres dramatiques, tragédie et comédie en tête, mais aussi à ce que Sidney nomme la « bâtarde » tragi-comédie. L’étude s’interroge ainsi sur la manière dont ces deux réflexions sur le théâtre s’inscrivent dans l’histoire de la réception critique en France et en Angleterre.
4Véronique Lochert
5Corneille contre Shakespeare. Débats autour du modèle français dans la théorie dramatique anglaise (1674-1694)
6Dans le dernier quart du XVIIe siècle, la réflexion théorique anglaise se trouve profondément modelée par la confrontation au théâtre français, dont elle emprunte les principes tout en cherchant à affirmer sa spécificité, voire sa supériorité. Traducteur des Réflexions sur la poétique d’Aristote de Rapin dès 1674, Thomas Rymer publie deux traités de théorie dramatique, The Tragedies of the Last Age (1678) et A Short View of Tragedy (1693), où les principes du classicisme français le conduisent à une virulente critique de Shakespeare, et en particulier d’Othello. Dryden répond à Rymer dans Heads of an Answer to Rymer (1677), où il entreprend de concilier le modèle français et la tradition anglaise, et John Dennis dans The Impartial Critic (1693), qui propose une réflexion sur les formes que doit adopter la critique théâtrale. L’analyse des traités publiés par Thomas Rymer et des réactions qu’ils suscitent fait apparaître les enjeux des références françaises pour la naissance de la critique dramatique. La confrontation avec le modèle français permet en effet aux auteurs anglais d’élaborer une nouvelle méthode critique, caractérisée par l’importance donnée à l’histoire littéraire, aux procédés de comparaison et à l’analyse des exemples.
7Anne Teulade
8Migrations et fictionnalisation. Dryden et la plasticité de la théorie cornélienne
9John Dryden était un bon connaisseur de l’œuvre et de la pensée théorique de Corneille. Cet article explore les contradictions qui caractérisent sa réception explicite de l’auteur français dans son essai Of Dramatick Poesie, texte polyphonique qui exploite la plasticité et le positionnement original de la théorie cornélienne à l’égard des règles. Nous dégageons ensuite une migration plus clandestine à l’œuvre dans le heroic drama, genre inventé par Dryden dont les innovations doivent beaucoup, en dépit du silence du dramaturge anglais, à la poétique de Corneille. Cette résurgence discrète permet l’invention d’un théâtre sérieux qui ne coïncide pas nécessairement avec la forme tragique, et qui s’avère susceptible de repenser les effets d’un drame davantage en prise avec le monde moderne.
10Charles Whitworth
11Boileau brouillé à l’anglaise ou l’Art poétique et son auteur outre-Manche
12Dix ans après sa parution en France, l’Art poétique (1674) de Boileau est traduit en anglais par John Dryden. Mais c’est bien autre chose qu’une simple traduction que produit Dryden : tout en restant fidèle aux vers de l’auteur français, il substitue dans la plupart des cas les noms de figures des lettres anglaises (Spenser, Fairfax, Flecknoe, Duffet, Jonson… mais non Shakespeare) aux auteurs français loués ou fustigés par Boileau (Marot, Saint-Amant, Dassoucy…). Si une telle appropriation, et la nationalisation dont elle témoigne, révèlent malgré tout l’admiration que suscite l’Art poétique outre-Manche, il n’en va pas de même de l’Ode sur la prise de Namur (1693), qui donne lieu à plusieurs réponses moqueuses. C’est que les enjeux politiques et militaires se mêlaient alors aux questions strictement littéraires, comme le montrent notamment les imitations parodiques du poème de Boileau par Peter Motteux et Matthew Prior, composés après que la Grande Alliance, menée par Guillaume III d’Angleterre, a repris Namur aux Français.
13Clotilde Thouret
14Réflexions théoriques sur l’utilité du théâtre au XVIIe siècle. Ben Jonson et Pierre Corneille face aux querelles
15Cet article compare les pensées de l’utilité du théâtre de Ben Jonson et de Pierre Corneille, et montre la place essentielle qu’elles ont occupée dans leur carrière et dans leur œuvre. Le parallèle se justifie par la similitude des contextes en raison des controverses sur le théâtre et des querelles littéraires qui ont mis en cause leurs pièces, ainsi que par leurs conceptions respectives de l’autorité poétique. La façon dont chaque dramaturge s’engage dans le débat de l’utilité morale et politique diffère cependant. Face à ses adversaires, Jonson affirme d’emblée un magistère politique et moral et met en place une stratégie de distinction et de provocation agressive vis-à-vis du public. Corneille choisit une stratégie de l’esquive et établit un rapport fait de confiance voire de complicité avec le spectateur. Enfin, l’articulation de la pensée théorique et de l’œuvre dramatique permet de dessiner pour chacun les ressorts de l’utilité du théâtre, qui apparaît comme une reformulation singulière de l’exemplarité. Elle s’appuie chez Jonson sur la puissance mimétique et quasi juridique du théâtre. Quant à Corneille, contre la pièce-modèle, il propose des pièces-cas, dont l’utilité réside dans une réflexion morale guidée par l’effet émotionnel de la représentation. Le théâtre du premier transforme une exemplification en exemplarité et délivre une morale pratique ; celui du second travaille l’exemplarité dans le sens d’une exemplification de l’exceptionnel et dispose à une pratique morale.
16François Lecercle
17Obscénité et théâtrophobie en France et en Angleterre (1570-1715)
18Les polémiques théâtrales se développent parallèlement dans les deux pays avec des différences évidentes (les débats sont plus tardifs et plus épisodiques en France), des dissymétries (dans les années 1660, ils s’apaisent en Angleterre et flambent en France) ou de fausses symétries (dans les dernières années du siècle, il y a un regain dans les deux pays mais les visées divergent totalement : réforme en Angleterre, éradication en France). Les échanges sont faibles : les traductions sont rares et vont surtout du français à l’anglais. L’usage que les dramaturges font de l’obscénité présente le même jeu de différence et de dissymétrie. Des différences sont évidentes : cantonnée, en France, dans les pièces comiques, l’obscénité touche, en Angleterre, toute la production. Il y a des moments de synchronie (une forte inflation dans les années 1660) mais avec une dissymétrie profonde (les dramaturges anglais prennent leur revanche en bravant outrageusement les puritains, tandis que les Français – Molière au premier chef – pratiquent une provocation plus couverte mais plus virulente). À la fin du siècle, la dissymétrie devient opposition complète : en Angleterre, l’obscénité est dénoncée comme un abus à réformer (Collier), en France, elle est la preuve de la nocivité intrinsèque du théâtre (Bossuet). Derrière l’apparente immobilité de ses arguments, le discours théâtrophobe répond à des enjeux qui varient au gré des retournements politiques et des rapports de force religieux.
19Jeffrey Hopes
La défense du théâtre anglais contre les attaques de Jeremy Collier et des Sociétés pour la réforme des mœurs entre 1698 et 1702
20La publication en 1698 de l’ouvrage de Jeremy Collier intitulé A Short View of the Immorality and Profaneness of the English Stage est à l’origine d’un épisode singulier de la polémique théâtrale anglaise. Cet épisode s’inscrit tout d’abord dans un contexte politique et religieux très différent de celui qui avait présidé aux attaques des puritains avant et pendant la guerre civile : l’accès au pouvoir, dix ans plus tôt, du roi calviniste Guillaume III favorise en effet l’émergence de Sociétés pour la réforme des mœurs dont l’une des cibles est le théâtre, avec ses acteurs, auteurs et imprimeurs. Par ailleurs, le texte de Collier s’en prend explicitement au théâtre anglais contemporain, qu’il accuse d’immoralité et de blasphème. C’est la raison pour laquelle il suscite une série de réponses émanant de critiques et dramaturges (John Dennis, John Dryden, Sir John Vanbrugh et William Congreve), qui défendent l’utilité morale, sociale et politique du théâtre, autant que l’esthétique des pièces qui la mettent en œuvre. Collier répond à son tour à ses adversaires en publiant A Defence of A Short View of the Immorality and Profaneness of the English Stage (1699). Enfin, en 1702, deux textes prolongent le débat en reprenant à leur tour la question, centrale pendant ces quatre années de polémique, de la moralité ou de l’immoralité de la comédie anglaise contemporaine.
21Laurence Marie-Sacks
22« Des peintures fortes et naïves de la vie humaine ». Shakespeare et l’esthétique du tableau dans la France des Lumières
23Cet article aborde un aspect moins connu, mais non moins crucial, de la réception de Shakespeare en France. Il examine dans quelle mesure la diffusion du dramaturge anglais a permis de renforcer l’esthétique du tableau scénique ; et comment, par ce biais, elle a contribué à relativiser, en théorie comme en pratique, les règles héritées d’Aristote qui continuent à régir la tragédie classique dans la première moitié du XVIIIe siècle. De fait, l’interprétation française de Shakespeare a accéléré le passage d’une conception métaphorique du tableau théâtral, fondée sur le pouvoir que les mots exercent sur l’imagination, à un théâtre orienté vers la représentation et inspiré concrètement par la peinture. Ce faisant, elle a fait évoluer la conception traditionnelle de l’ut pictura poesis : attisant l’intérêt pour le spectacle de la réalité et pour l’effet produit sur les sens, elle a concouru à dynamiter le modèle classique de l’intérieur et poussé les tragédiens français à se défaire d’une conception d’Aristote perçue comme sclérosée.
24Pierre Degott et Bénédicte Louvat-Molozay
25D’un opéra l’autre. Saint-Évremond passeur entre deux scènes lyriques
26Entre le milieu des années 1640 et le tout début du XVIIIe siècle, Saint-Évremond fut un témoin privilégié de l’histoire de l’opéra et des différents modèles auxquels il donna lieu, en en Italie, en France et en Angleterre. Auteur de plusieurs écrits consacrés à ce genre théâtral et musical nouveau, et notamment de deux textes qui fonctionnent en regard, l’essai « Sur les opéra » et la comédie Les Opéra, Saint-Évremond développe une série d’arguments dont la complexité et la labilité s’expliquent en grande partie par sa condition d’exilé et par le double ancrage national et culturel, ainsi que le double système de références, français et anglais, qui fondent ces différents textes. Cette étude à quatre mains se donne ainsi pour objet le repérage de ce que Saint-Évremond a vu et entendu, à Paris avant son bannissement, puis à Londres et à La Haye après 1661, et qui nourrit sa réflexion sur l’opéra ; elle montre ensuite dans quelle mesure la définition du modèle opératique qu’il propose dans son essai et dans sa comédie, celle d’un théâtre à insertions musicales et non d’un spectacle entièrement chanté, influence la conception et la mise en œuvre du semi-opera anglais ; enfin, elle réexamine la position de l’essayiste à propos des castrats italiens, position symptomatique à bien des égards de sa relation avec l’opéra : celle d’un admirateur autant que d’un ennemi.
27Alban Déléris
28Le modèle tragi-comique guarinien en France et en Angleterre au début du XVIIe siècle. Importations, appropriations et tentatives de légitimation d’un genre « bâtard »
29L’histoire de la constitution de la tragi-comédie en tant que genre dramatique trouve ses racines en Italie, et passe par la diffusion dans le reste de l’Europe d’une pièce et d’un texte théorique de Giambattista Guarini. Celui-ci publie Il Pastor Fido en 1589, sous le nom de tragi-comédie pastorale, ainsi que Il Compendio della Poesia tragicomica, qui n’est publié qu’en 1601 et répond en partie aux attaques formulées contre la pièce. Les enjeux principaux de ce texte sont en effet de défendre la pièce et de poser dans un même temps les fondements théoriques d’un nouveau genre dramatique, concurrent de la tragédie et de la comédie. Le Compendio aura une influence majeure sur l’évolution de la tragi-comédie en France et en Angleterre et sur les tentatives de légitimation de la tragicomédie comme genre dramatique autonome. Ces tentatives se traduisent par ailleurs par des adaptations de la pièce de Guarini dans les deux pays, adaptations qui démontrent une volonté d’appropriation de ce modèle générique fondé sur le mélange raisonné des éléments tragiques et comiques. L’article s’attache à mettre en regard ces importations du Pastor Fido avec des pratiques tragi-comiques sans doute inspirées par les thèses de Guarini mais qui s’en démarquent nettement. Il s’agit ainsi de montrer le caractère paradoxal d’un genre « bâtard », qui se présente bien plus souvent dans la pratique théâtrale comme le lieu privilégié d’expérimentations formelles et d’hybridations génériques.
30Line Cottegnies
31Mary Sidney Herbert traductrice de Robert Garnier en 1592
32La traduction par Mary Sidney Herbert, comtesse de Pembroke, de Marc Antoine de Robert Garnier (1578) a récemment donné lieu à de nombreuses études. On s’est beaucoup interrogé sur les intentions de M. Sidney lorsqu’elle publia Antonius en appendice de sa traduction d’un traité de Philippe du Mornay en 1592 (deuxième édition en 1595). Cette traduction de Garnier constitue un événement littéraire important : c’est la première tragédie française à être traduite en anglais, la première pièce publiée par une femme et l’une des premières tragédies historiques à paraître en Angleterre. Il faudra attendre presque un demi-siècle pour voir l’Angleterre s’intéresser à nouveau au théâtre français. La réception de la pièce témoigne qu’elle fut perçue comme marquante, si l’on en juge par les éloges qu’elle suscite, mais aussi par les tragédies qui s’en inspirent directement. Il a été suggéré que Mary Sidney Herbert et ses émules avaient l’ambition de réformer le théâtre anglais. De fait, cette traduction rencontre un intérêt indéniable au sein du « cercle Sidney » (voire au-delà, parmi les auteurs qui cherchent à obtenir la protection de la comtesse), car elle montre la voie d’une forme de tragédie néoclassique d’inspiration sénéquéenne telle que la pratique Garnier en France, mais manifeste aussi une certaine fascination pour le personnage de Cléopâtre. Jamais représentées, cette série de pièces représente une version plutôt élitiste d’une synthèse continentale unique de néo-classicisme, qui contrastait fortement avec le théâtre vernaculaire anglais de la même période. Cet essai s’intéresse aux stratégies d’adaptation et d’anglicisation du texte par Mary Sidney Herbert pour un public anglais.
33Athéna Efstathiou-Lavabre
34The Cid, A Tragicomedy, out of French made English : By Joseph Rutter. La traversée du Cid de Corneille en Angleterre : enjeux et défis de la traduction
35Écrite en 1636 et créée au théâtre du Marais en janvier 1637, Le Cid de Pierre Corneille (1606-1684) déclenche un débat théorique sans précédent autour de la dramaturgie classique qui prend petit à petit son assise en France à cette époque, la célèbre Querelle du Cid. La même année, de l’autre côté de la Manche, cette tragi-comédie connaît un destin fulgurant. Traduite en anglais par Joseph Rutter, « un des fils de Ben Jonson » qui écrit surtout dans les années 1630, Le Cid est joué à la cour par la troupe Beeston’s Boys avant d’être reprise au Cockpit Theatre à Londres. Comme en France, la pièce remporte un franc succès en Angleterre, donnant ainsi à Corneille une place très importante dans l’histoire littéraire du pays. Le chapitre commence par aborder très brièvement le contexte – la genèse – de cette traduction, avant de traiter des deux textes qui permettent de saisir la démarche traductive de Rutter, sa dédicace à Dorset et son adresse au lecteur, afin de voir si ces paratextes offrent l’idée d’une ébauche de théorie de la traduction. S’agit-il d’une traduction fidèle ou Rutter se permet-il quelques libertés ? Il est ensuite question des différences structurelles entre la pièce originale et sa traduction, dont les dissemblances les plus flagrantes sont soulignées, et des stratégies de Rutter pour angliciser l’œuvre de Corneille. Enfin, le recours à des sources primaires de l’époque contribue à mettre en avant quelques différences majeures entre les dramaturges français et anglais au XVIIe siècle.
36Jeffrey Hopes
37The Distrest Mother (1712) d’Ambrose Philips. De la tragédie racinienne à la tragédie domestique anglaise
38Donnée pour la première fois en 1712, The Distrest Mother d’Ambrose Philips est une adaptation d’Andromaque de Racine. Elle fait partie d’un ensemble de tragédies pathétiques ayant comme personnage principal une femme souffrante qui inspire la pitié, ensemble qui comprend notamment les pièces de Nicholas Rowe, The Fair Penitent (1703), The Tragedy of Jane Shore (1714) et Lady Jane Grey (1715). Ce chapitre analyse la façon dont Philips adapte Andromaque au goût anglais et dont il s’approprie son modèle racinien afin de rattacher le genre de la « she tragedy » au goût français, en opposition à la référence shakespearienne de Rowe. La défense par Philips d’une expression directe, non métaphorique, mais néo-classique du pathos, est examinée à la lumière de certains écrits théoriques, notamment ceux de Thomas Rymer et de John Dennis. Enfin, la place de l’influence des tragédies de Racine dans l’émergence du genre de la tragédie domestique, qu’annoncent les pièces de Philips et de Rowe, est réévaluée. Quoique généralement vu comme un genre bourgeois spécifiquement anglais, qui rayonna par la suite en Europe, la tragédie domestique doit également être lue dans le contexte de l’expression d’un pathos fortement genré, inspiré des tragédies de Racine.
39Yan Brailowsky
40L’Escossoise et la Florentine. Le procès de la gynocratie sur les scènes anglaises et françaises au tournant du XVIIe siècle
41Ce chapitre examine l’évolution des reines sur les scènes anglaises et françaises entre 1575 et 1625 en adoptant trois approches complémentaires. L’une intègre les pièces dans leur contexte historico-politique (multiplicité de femmes monarques pendant les décennies antérieures, guerres de religion, luttes de pouvoir) ; l’autre rappelle les débats religieux et moraux autour du rôle et de la place des femmes en société (égalité, subordination, vices et vertus…) ; la dernière rappelle les spécificités des esthétiques théâtrales des différents pays et leur signification (en Angleterre, par exemple, des femmes ne montent sur scène qu’à partir du XVIIe siècle). Cette étude permet ainsi de mieux décrire les mutations que connaît le théâtre au cours de ce demi-siècle, de part et d’autre de la Manche. Parallèlement à des évolutions formelles, les pièces qui s’intéressent aux reines semblent alterner entre l’histoire proche ou lointaine, pour être condamnées ou défendues. Jusqu’à quel point les évolutions décrites dans le théâtre de cette époque s’accompagnent-elles, paradoxalement, d’une uniformisation idéologique, voire esthétique, du traitement des reines sur scène ?
42Richard Hillman
43Deux mises en scène (française et anglaise) de l’Arcadie de Philip Sidney
44Après avoir, en général, boudé la culture anglaise, avec sa langue, tout au long du XVIe siècle, les lecteurs et les spectateurs français se trouvèrent confrontés, dans la première moitié du XVIIe, à un foisonnement significatif de textes d’origine anglaise, surtout sous la forme du roman pastoral et de sa contrepartie dramatique. La traduction de Pandoste (1615) par Robert Greene et sa double adaptation théâtrale – d’abord, semble-t-il, par Alexandre Hardy (avant 1626) et ensuite par Jean Puget de la Serre (1631) – en témoignent. En témoigne aussi l’attention prêtée à l’ouvrage de Sidney, qui fit l’objet de deux traductions concurrentielles datant de 1625-1626, suivies d’une dramatisation tout à fait remarquable issue de la plume d’André Mareschal. Le texte imprimé de La Cour bergère (1640), tragi-comédie qui vit le jour sous les auspices de Richelieu, fut dédié à Robert Sidney, le neveu de Philip, qui se trouvait en France à cette époque en qualité d’ambassadeur extraordinaire d’Angleterre. Ce chapitre analyse les aspects littéraires et politiques associés à l’appropriation française de l’ouvrage de Sidney. Mais il tient compte également d’une dramatisation contemporaine anglaise de l’Arcadie par James Shirley, dramaturge catholique travaillant pour le compte de la reine d’Angleterre Henriette-Marie. Quels étaient les enjeux, pour une France que Richelieu oriente vers l’absolutisme religieux et politique, et pour une Angleterre dirigée par une reine française et au bord d’une révolution parlementaire et puritaine, de ces mises en scène du récit fantastique élisabéthain composé par un personnage noble connu pour son protestantisme militant ? Dans quelle mesure peut-on y voir un effet de miroir théâtral ? Ces questions sont abordées sous un angle à la fois intertextuel et contextuel.
45Magali Soulatges
46Le théâtre d’outre-Manche au prisme d’un « goût jésuite » ?
La bibliothèque dramatique anglaise des Mémoires de Trévoux (1701-1762)
47La relation privilégiée de la Compagnie de Jésus au théâtre est bien connue. Pièce importante du Ratio Studiorum de la congrégation, celui-ci est un vecteur de l’idéologie et de la rhétorique jésuites, une méthode pédagogique, et un art pratiqué pour lui-même à travers un répertoire propre et une conception élaborée du spectacle. Au plan théologique, la Compagnie suit la querelle sur la moralité du théâtre, tandis que la faveur croissante des représentations de collège contribue à l’identité de la « vie théâtrale en France au XVIIIe siècle ».
48L’histoire du théâtre s’est peu penchée jusqu’ici sur l’activité de critique dramatique menée au sein de la Compagnie, par le biais des « nouvelles littéraires » issues de la République européenne des Lettres et recensées par les Mémoires ou Journal de Trévoux, organe de presse de la congrégation. De Rome, Hambourg, Moscou, Amsterdam, Genève…, eu égard à une volonté d’universalité, ces nouvelles arrivent aussi d’Édimbourg, Londres, Oxford…, pour un tiers environ des articles sur le théâtre étranger, témoignant d’un regard sur le théâtre anglais conforme à l’évolution de sa réception en France dans la première moitié du XVIIIe siècle. Dans ce regard se lit certes un « goût jésuite » du théâtre… français, mais aussi l’ouverture progressive à une autre culture dramatique, entre le conformisme mondain du Mercure galant et les audaces intellectuelles du Journal des Savants, les deux grands concurrents contemporains des Mémoires de Trévoux.
49Ignacio Ramos Gay
50Beaumarchais à Londres (1784). Thomas Holcroft et le piratage théâtral anglais
51Le but de cet article est d’étudier les différents mécanismes de traduction et d’adaptation en anglais de la pièce de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, d’après la version de Thomas Holcroft, représentée pour la première fois au Covent Garden Theatre de Londres le 14 décembre 1784. Les notables différences structurales et thématiques présentes dans la pièce de Holcroft, intitulée The Follies of a Day, ainsi que les conditions matérielles qui rendirent possible l’adaptation, si elles constituent la preuve d’une réécriture libre du texte français de la part de l’auteur britannique, n’en sont pas moins l’illustration d’une méthode de transposition dramatique fondée sur l’absence d’un cadre juridique transnational limitant le plagiat. Le dramaturge, on le sait bien, à l’aide de ses collègues, assista à plusieurs reprises aux différentes représentations de la pièce à Paris jusqu’à ce qu’ils eussent appris par cœur la totalité des dialogues, et qu’ils les eussent transcrits, disposés et arrangés, quelques semaines plus tard sous la forme d’une nouvelle pièce. Synecdoque d’une époque où le piratage dominait la scène britannique, The Follies of a Day est l’image d’une industrie culturelle théâtrale basée moins sur le respect du texte littéraire original que sur le succès immédiat sur les planches. Terrain expérimental sur lequel s’opère un processus d’anglicisation qui transforme et dénature le texte d’origine, la pièce de Holcroft devient un regard sur la France se posant sur l’observateur lui-même.
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