Le modèle tragi-comique guarinien en France et en Angleterre au début du XVIIe siècle
Importations, appropriations et tentatives de légitimation d’un genre « bâtard »
p. 157-171
Résumé
À la fin du XVIe siècle paraissent en France et en Angleterre deux traités poétiques qui accordent une place singulière à l’art dramatique. L’Apology for Poetry de Sir Philip Sidney, écrit au cours des années 1580 mais publié en 1595, et L’Art poétique françois de Laudun d’Aigaliers, qui paraît en 1597, livrent tous deux, au sein d’une réflexion générale sur la poésie, ses genres et ses formes, des témoignages précieux sur l’état de l’art dramatique dans leur pays respectif. Mais, parce qu’ils se situent chacun dans une lignée d’arts poétiques ou de pamphlets contre le théâtre, Sidney et Laudun d’Aigaliers ne confèrent pas à leur démonstration la même position au sein du traité et ils ne lui assignent pas la même fonction. Alors que l’auteur français s’en sert pour faire preuve d’originalité critique et pour asseoir des conceptions dramatiques qu’il réinvestit dans ses propres tragédies, les développements du poète et romancier anglais ont une visée polémique, puisqu’il répond notamment aux attaques théâtrophobes de Philip Gosson. Par ailleurs, il s’agit de voir quel traitement est réservé aux différents genres dramatiques, tragédie et comédie en tête, mais aussi à ce que Sidney nomme la « bâtarde » tragi-comédie. L’étude s’interroge ainsi sur la manière dont ces deux réflexions sur le théâtre s’inscrivent dans l’histoire de la réception critique en France et en Angleterre.
Texte intégral
1Les points de contact littéraires entre la France et l’Angleterre à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle sont peu nombreux, et la France surtout témoigne d’une grande ignorance, sinon d’un désintérêt, pour ce qui est produit dans les imprimeries et sur les tréteaux outre-Manche. Cependant, un certain nombre de passeurs, diplomates, écrivains voyageurs, imprimeurs ou érudits permettent de jeter des ponts entre les deux pays et de dégager des zones d’influence et d’échange certaines. En outre, il apparaît que la France et l’Angleterre, depuis la Renaissance, partagent un fonds culturel et patrimonial commun, dont la redécouverte de la littérature antique, grecque et latine, est le terreau le plus riche. Mais les théâtres français et anglais empruntent également, en ce tournant de siècle, aux œuvres plus récentes de la littérature européenne, suivant des voies de circulation et de diffusion des imprimés qui permettent d’importer et de traduire des textes étrangers peu de temps après leur parution dans leur langue d’origine.
2Il est ainsi nécessaire d’aborder les échanges littéraires entre la France et l’Angleterre dans une perspective plus large, en prenant en compte la circulation des œuvres dans l’ensemble de l’Europe, et notamment l’Espagne et l’Italie. C’est ce dernier pays qui fournit l’un des cas les plus évidents de diffusion européenne d’une pièce et du discours qui la sous-tend : il s’agit de l’une de ses œuvres phares à la fin du XVIe siècle, Il Pastor fido de Giambattista Guarini. Cette pièce, publiée sous l’étiquette générique de « tragi-comédie pastorale » (tragi-comedia pastorale) en 1589, est le fruit comme la cause d’un débat savant entre Guarini et un professeur de l’université de Padoue, Jason Denores. Les attaques de Denores, publiées dans un contexte de redécouverte du corpus aristotélicien en Italie, et notamment de ses ouvrages politiques, amèneront Guarini à répondre par une série de pamphlets, dont les deux Verati, publiés respectivement en 1588 et 1593, et surtout Il Compendio della poesia tragicomica1, qui n’est publié qu’en 1601. Les enjeux principaux de ce dernier texte sont en effet de défendre la pièce et de poser dans un même temps les fondements théoriques d’un nouveau genre dramatique, concurrent de la tragédie et de la comédie. Par ailleurs, Il Pastor fido circule dans le reste de l’Europe durant la décennie suivante : il est traduit en France par Brisset en 16012 et en Angleterre par Simon Waterson en 16023.
3Surtout, la réception et l’importation du Pastor fido en France et en Angleterre serviront de prétexte à des tentatives d’appropriation et d’adaptation, sur les plans à la fois dramatique et purement théorique. Ce qui se joue en effet à travers le texte de Guarini est la constitution d’un modèle de mixité générique nouveau, dont les théoriciens et dramaturges français et anglais vont tenter de reprendre les principes poétiques pour l’appliquer à leurs propres expérimentations formelles. Mais Fletcher en Angleterre, ou Mairet en France, ne verront pas leur entreprise aboutir avec le même succès. Il s’agira ainsi de montrer le caractère paradoxal d’un genre « bâtard », qui résiste justement à toute tentative de catégorisation et de légitimation en tant que genre dramatique, et qui se présente bien plus souvent dans la pratique théâtrale comme le lieu privilégié d’expérimentations formelles et d’hybridations génériques.
4En suivant pas à pas le trajet des traductions et des adaptations du Pastor fido en France et en Angleterre, notre investigation mettra en lumière les différentes modalités de transmission de l’œuvre, ses naturalisations successives et sa dénaturation progressive. Par ailleurs, ce cas littéraire pose la question des fondements théoriques qui sous-tendent la pièce italienne dans Il Compendio : de la pièce au traité théorique et réciproquement, quels sont les rapports d’intrication et de dépendance ? Enfin, le trajet du Pastor fido doit nous amener à comprendre comment le modèle générique proposé par Guarini a été transposé en France et en Angleterre dans des pratiques tragi-comiques qui s’en démarquent tout en s’en inspirant.
Transmissions, traductions et assimilations du Pastor fido en France et en Angleterre
5Il Pastor fido constitue, aux côtés de la Filis de Scire de Bonarelli et de l’Aminta du Tasse4, l’une de ces pastorales venues d’Italie qui ont exercé une grande influence sur la littérature, romanesque et dramatique, en Europe5. Son intrigue va fournir ainsi un des canevas traditionnels pour un nombre important d’œuvres pastorales. Elle raconte les amours contrariées du berger Myrtil et de la nymphe Amarillis, que son père, suite à un oracle, a promis à un autre berger, Silvio, fils du prêtre Montan. À cet obstacle parental s’ajoute un obstacle amoureux en la personne de Corisca, amoureuse de Myrtil, et qui, pour se venger de sa rivale, tend aux amants un piège : elle les entraîne dans une caverne où, surpris par un satyre, ils sont accusés d’adultère. Amarillis est condamnée à mort comme la loi le veut, mais Myrtil demande à mourir pour elle, comme la même loi le lui permet. Carino, pour sauver son fils supposé, révèle que Myrtil est en réalité le fils de Montan, qui se désespère de devoir amener à la mort son propre sang. Mais le prophète aveugle Tirenio vient éclaircir l’interprétation de l’oracle : il en conclut que la fin des malheurs de l’Arcadie est venue, que Myrtil ne doit pas être exécuté et qu’Amarillis ne doit épouser personne d’autre que lui. Le récit s’achève donc sur leur mariage et sur celui de Silvio et de la nymphe Dorinde (qu’il avait blessée d’une flèche en pensant tirer sur une bête sauvage), tandis que Corisca se repent en se disposant à changer de vie.
6La pièce de Guarini a été assez tôt traduite dans plusieurs pays d’Europe, après sa publication en Italie en 1590 à Venise. L’immédiateté de ce succès peut s’expliquer de plusieurs manières, mais nous devons tout d’abord l’attribuer à un certain nombre de passeurs, des deux côtés de la Manche. La première traduction de la pièce, attribuée à Roland Brisset, date de 1593 : Le Berger fidelle, pastorale, paraît à Tours, chez Jamet Mettayer, quelques années seulement après la publication de l’original italien. Traduction en prose, le texte est animé par le souci de restituer fidèlement l’esprit de son modèle, malgré quelques modifications qui relèvent d’une volonté de s’adapter au goût français. La deuxième traduction, d’Antoine Giraud, est publiée à Paris trente ans plus tard, en 16236. Notons que la pièce est présentée cette fois sous l’étiquette non pas de pastorale, comme c’était le cas de la traduction de Brisset, mais de tragi-comédie. Un tel choix marque donc une évolution dans la conception des catégories génériques et dans la perception de la pièce de Guarini. « Tragi-comédie pastorale », celle-ci sert donc aux traducteurs à mettre l’accent sur l’une des deux composantes de l’appellation générique. Par ailleurs, la traduction de Giraud est dédiée à Marie de Médicis, ce que l’auteur justifie par le souvenir du passage de la Reine dans sa ville de Lyon en 1600. Outre l’anecdote historique, ceci témoigne de l’influence d’un contexte italien à la Cour pendant cette période, et donc permet d’expliquer la rapidité du passage en France de la pièce de Guarini.
7Les traductions de Brisset et de Giraud ont de plus en commun d’être des textes destinés à la lecture bien plus qu’à toute forme de représentation, et elles ne peuvent donc être considérées comme des adaptations théâtrales de la pièce de Guarini (dont il faudrait d’ailleurs démontrer qu’elle est destinée aussi à la scène7). C’est ce dont témoigne l’avis « Aux lecteurs » de la traduction de Brisset :
« Pour le regard du Prologue je l’ai passé, pource que cet ouvrage ayant été fait François, non pour le représenter sur un théâtre, ains pour être lu seulement, et cette partie ne soit ajoutée aux scènes que pour se concilier l’attention et bienveillance des spectateurs selon le temps, les lieux et les personnes8. »
8Le traducteur, par son choix de supprimer le prologue de la pièce, exprime clairement le fait qu’il ne destine pas sa traduction à une représentation théâtrale. Comme on le verra, une des particularités du Pastor fido est qu’il va donner lieu en définitive à très peu d’adaptations directes (contrairement à la Filis de Scire ou l’Aminte), et que ces adaptations ont, semble-t-il, posé un certain nombre de problèmes techniques du point de vue de leur représentation sur scène. Il n’en reste pas moins que ces différentes traductions démontrent la diffusion rapide de la pièce de Guarini en France et, plus profondément, l’influence de la culture et des lettres italiennes dans les milieux aristocratiques en France au début du XVIIe siècle.
9La diffusion de la tragi-comédie pastorale de Guarini en Angleterre a suivi des voies différentes, mais dans une période concomitante à celle de sa diffusion en France. L’histoire de cette diffusion passe par une traduction anonyme, Il Pastor Fido : or the faithful Shepheard, publiée en 1603 par Simon Waterson9. En tête de l’ouvrage se trouve une note de l’éditeur indiquant que le traducteur est mort récemment, traducteur qui dédie le texte à Sir Edward Dymoke, proche de la Reine et de la comtesse de Pembroke.
10Cependant il apparaît que l’histoire de la diffusion du Pastor fido en Angleterre est antérieure à cette traduction. En effet, l’imprimeur John Wolfe donne une édition italienne de l’œuvre dès 1591, soit seulement un an après la parution originale en Italie. Cette édition anglaise du Pastor fido est couplée avec celle de l’Aminta du Tasse : il s’avère ainsi que Wolfe s’est spécialisé dans l’édition d’œuvres italiennes ou étrangères, en langue originale ou en traduction10.
11Nous pouvons donc constater que l’œuvre de Guarini passe très rapidement en Angleterre, mais qu’elle est dans un premier temps reçue comme une œuvre italienne. C’est seulement la traduction parue chez Waterson qui marque le début de la naturalisation du Pastor fido en Angleterre et son adaptation à la langue et à la culture anglaises. La question de la naturalisation de la pièce italienne, notamment d’un point de vue linguistique, apparaît ainsi comme l’un des enjeux principaux lors de sa diffusion tant en Angleterre qu’en France. La traduction du Pastor fido relève ainsi de deux processus conjoints : transmission vers et adaptation à un patrimoine national. D’étrangère (foreigner), l’œuvre devient « citoyenne » (citizen), dans un mouvement qui, pour l’Angleterre, identifie le pays à l’Arcadie originelle. L’effort de traduction obéirait donc, du moins pour l’Angleterre, à cette double volonté, à la fois politique et linguistique : d’une part un souci de fidélité ou d’adaptabilité de l’anglais au modèle italien, d’autre part le choix de se servir du patron littéraire italien pour former un prototype anglais, dans un processus où le Pastor fido n’est qu’une « étape dans la constitution d’une Arcadie anglaise11 ».
Il Pastor fido : programme théorique et exemplum dramatique
12Cependant, plus que Il Pastor fido, il semble que c’est bien Il Compendio qui va avoir sur la postérité une réelle influence, et que la naturalisation de l’œuvre de Guarini correspond en grande partie à une tentative d’adaptation de son projet théorique. Sa réception, en France comme en Angleterre, doit donc être envisagée du point de vue de cette interpolation entre théorie dramatique et écriture théâtrale. Il faut noter d’ailleurs que cette influence du traité théorique constitue un véritable paradoxe, puisque nous n’avons pas connaissance d’une quelconque édition (alors que la plupart des érudits en Europe lisent l’italien) ni de traduction du texte au début du XVIIe siècle, en France (la première traduction est celle de Laurence Giavarini) comme en Angleterre. Nous sommes forcé de considérer que le traité de Guarini a circulé de manière seulement manuscrite, par le biais de cercles érudits ou de quelques passeurs lettrés qui traversent alors l’Europe.
13Sans reprendre les circonstances de publication du traité et les tenants de la querelle entre Guarini et Denores (puis Grosso), à l’origine des deux Verato puis du Compendio12, il est nécessaire de souligner que la défense de Guarini est toute théorique et que l’intégration dans le traité d’une analyse du Pastor fido représente logiquement l’exemplum attendu après les principes poétiques annoncés. Mais, si le modèle théorique bâti par Guarini se veut beaucoup moins rigide que celui de Denores, sa souplesse n’en reste pas moins très relative.
14Le travail de légitimation de Guarini a ceci de particulier qu’il consiste en quelque sorte en une exégèse du texte aristotélicien, qui permet d’inscrire la tragicomédie dans une hiérarchie générique valide (car assimilée chez Aristote à la tragédie double), et de valider Il Pastor fido comme illustration exemplaire de ce genre. Cette défense de la tragi-comédie intervient après la démonstration de l’existence du mélange dans la nature et dans l’art. La justification de la mixité comme naturelle répond à une série d’analogies avec des modèles médicaux et politiques.
15L’hybridité dramatique pensée par Guarini dans son traité se veut donc une actualisation et une rénovation des conceptions aristotéliciennes, conceptions à la croisée du poétique, du politique et du biologique. La démonstration guarinienne s’attache ainsi à donner plusieurs illustrations de cette hybridité, et donc plusieurs preuves de la validité de la forme tragi-comique présentée par Il Pastor fido. Parmi les réponses présentées par Guarini aux objections formulées contre sa pièce, l’une des plus importantes est la démonstration par les parties, qui concerne la proportion du tragique et du comique dans la composition du mélange tragi-comique :
«Quanto alla prima, bassi a considerare, che la tragicommedia non è composta di due favola intere, l’una della quali sia perfetta tragedia, e perfetta commedia l’altra, congiunte insieme di modo che ambedue si possano disunire senza che l’una guasti i fatti dell’altra o ciascuna i suoi propri. Ne dessi altresi credere ch’ella sia una storia tragica viziata con le bassezze della commedia, o favola comica contaminata con le morti della tragedia, perciocché ne cotesto sarebbe retto componimento, conciosiacosaché chiunque fa tragicommedie non intenda di comporre separata o tragedia o commedia, ma di questa e di quella un terzo, che sia perfetto in suo genere, e abbia di ambedue loro quelle più parti che verisimilmente possano stare insieme.»
« Pour ce qui regarde la première, il faut considérer que la tragi-comédie n’est pas composée de deux fables entières, l’une qui serait une tragédie parfaite et l’autre une parfaite comédie, assemblées de manière à pouvoir se désunir sans que l’une gâte les actions de l’autre, ou chacune les siennes propres. Mais il ne faut pas croire non plus qu’il s’agit d’une histoire tragique viciée par les bassesses de la comédie ou d’une fable comique contaminée par les morts de la tragédie, parce qu’elle ne serait pas alors une composition régulière. Celui qui compose une tragi-comédie ne cherche pas à composer séparément une tragédie ou une comédie, mais avec l’une et l’autre, il tente de composer une troisième [espèce] parfaite en son genre et qui tient des deux avec le plus grand nombre de parties qui puissent coexister avec vraisemblance13. »
16Ainsi, ce qui permet au théoricien italien de justifier à la fois l’unité et la nouveauté de la tragi-comédie est sa composition particulière : la tragi-comédie doit consister en une catégorie dramatique nouvelle, une troisième « espèce », à partir du mélange équilibré et vraisemblable (mestizia) du plus grand nombre de parties tragiques et comiques. Tout d’abord, il convient pour le théoricien et le dramaturge de délimiter ce qui appartient à la tragédie et ce qui appartient à la comédie. En cela, sa tâche est facilitée par les nombreuses définitions des genres depuis Aristote : qualité des personnages, de l’action, des effets produits, les termes tragiques et comiques s’opposent pour ainsi dire terme à terme. Ces qualités respectives sont donc strictement propres à chaque genre et ne peuvent être mélangées sans être transformées au préalable, au risque sinon de se dégrader les unes les autres et de former une entité informe. Guarini donne l’image a contrario, en guise de contre-exemple, du mélange de l’eau et du vin14.
17En outre, les éléments tragiques comme comiques présents dans la tragicomédie, avant d’entrer dans la structure tragi-comique, doivent être au préalable atténués dans leurs effets ou, pour reprendre le terme exact, tempérés (le texte italien utilise l’adjectif rintuzzate, du verbe rintuzzare15). La pensée de Guarini est novatrice en cela que le modèle fixiste qu’elle élabore s’appuie sur un certain relativisme des goûts et des formes dramatiques. Tout en créant un genre régulier et homogène, Guarini conçoit les formes dramatiques d’abord par leur hybridité et par leurs différents degrés. Ce qui lui permet donc de rejeter, pour le mélange spécifique qu’est le mélange tragi-comique, les degrés « extrêmes » du tragique et du comique, à savoir la terreur ou le terrible pour la tragédie (produits par la représentation d’actes sanglants ou horribles), et le rire pour la comédie (produit par le relâchement comique). L’hybridité du modèle tragi-comique guarinien est donc bien réelle en ce qu’elle sous-tend sa conception des genres et des formes dramatiques mais elle reste relative du fait que le mélange tragi-comique tend à gommer cette hybridité, à l’éroder de manière à créer un genre nouveau et légitime. Pour reprendre l’image utilisée dans le traité, la tragi-comédie est un corps composé d’éléments distincts mais qui y entrent dans une proportion telle que ce corps fonctionne de manière homogène et une, ne laissant possible aucun effet déréglé. Ce « tempérament excellent » de la tragi-comédie prend donc logiquement pour fin, pour suivre le modèle humoral présent dans Il Compendio, la purgation de la mélancolie par le plaisir16. Guarini donne par ailleurs dans sa description analytique du Pastor fido des exemples de ce mélange. L’unité de la fable tragi-comique (unité qui se constitue donc autour d’un fil principal et d’un fil secondaire) et son caractère mêlé impliquent ainsi une alternance des parties comiques et tragiques, de manière à ce qu’elles s’équilibrent dans la pièce et qu’elles correspondent à la dynamique logique et dramatique de la pièce. Cette alternance se retrouve de plus aussi bien dans l’enchaînement des actes que dans celui des scènes. Par contraste avec l’acte V qui est par nature heureux donc comique, l’acte IV doit être entièrement tragique, avant le renversement du malheur au bonheur. Il répond par contraste à l’acte II, qui est lui comique, devant participer à la construction du nœud de l’intrigue et capter de plus l’attention du spectateur en suscitant son plaisir.
18L’analyse de sa pièce par le poète et théoricien italien suit donc un modèle anatomiste hérité d’Aristote et la légitimation du genre passe par le dévoilement rationaliste de sa structure littéraire et poétique, c’est-à-dire par ce qu’on pourrait appeler la « dissection » de son corps poétique. En cela, démonstration théorique et exemplum dramatique sont les deux facettes d’un même projet de légitimation d’un modèle générique hybride, et il n’est donc pas étonnant de retrouver ces mêmes constituants dans la réception de l’œuvre de Guarini en France et en Angleterre.
Fidélité théorique et infidélités dramatiques : un genre « bâtard » en France et en Angleterre
19C’est en France que l’influence théorique du Compendio va être la plus importante, et en particulier pendant les années 1620, au moment du débat poétique entre dramaturges réguliers et dramaturges irréguliers17. Alors que la tragédie disparaît des scènes parisiennes et des catalogues des imprimeurs, la tragi-comédie devient le centre d’un débat théorique dont les enjeux dépassent en partie la seule question de sa légitimité. Ce débat se déroule en plusieurs temps et prend la forme de textes préfaciels adossés à des pièces publiées pendant cette période. La référence à Guarini comme autorité poétique se retrouve à la fois chez des théoriciens réguliers comme Chapelain, et chez les défenseurs de l’irrégularité dramatique (comme Ogier ou Mareschal)18. Avant eux, Honoré d’Urfé faisait déjà référence aux poètes italiens pour justifier l’emploi de vers non rimés dans la préface de La Sylvanire ou la Morte-vive, dont Laurence Giavarini souligne qu’« elle est la seule tragi-comédie pastorale du XVIIe siècle français qui puisse être lue, non comme une mise en pratique de la description guarinienne du mélange, mais comme une imitation formelle de son Pastor fido19 ».
20Enfin et surtout, il semble que l’œuvre de Guarini ait eu une grande influence sur l’un des dramaturges majeurs des années 1620-1630, à savoir Jean Mairet. La parenté de l’œuvre de Mairet avec celle de Guarini se traduit principalement dans La Silvanire, tragi-comédie pastorale publiée en 1631 et accompagnée d’une « Préface, en forme de discours poétique20 ». Comme l’indique le titre de la pièce de Mairet, celle-ci entretient de fortes similitudes avec la pièce de Guarini, et de la même manière, sa préface reprend l’armature théorique du Compendio. Giovanni Dotoli a déjà expliqué21 comment Mairet a pu connaître l’œuvre de Guarini dans le cercle de Chantilly, par l’intermédiaire de Maria-Felicita degli Orsini, femme de Montmorency et fille du duc Virginio Orsini. Celui-ci fut en effet le protecteur et ami de Guarini, à qui ce dernier demanda même de l’aide pendant la querelle autour de son œuvre. Le texte préfaciel a donc pour fonction d’expliciter la construction de la pièce et les principes poétiques et dramatiques auxquels elle obéit :
« Premièrement pour ce qui regarde la fable, il est hors de doute qu’elle est tout à fait de genre Dramatique, non pas de constitution double, mais mixte, et de sujet non simple, mais composé. Le mélange est fait de parties Tragiques et Comiques, en telle façon que les unes et les autres faisant ensemble un bon accord, ont en fin une joyeuse et Comique catastrophe, à la différence du mélange qu’Aristote introduit dans la Tragédie, d’une telle duplicité, que les bons y rencontrent toujours une bonne fin, et les méchants une méchante. C’est pourquoi je trouve qu’elle est plus semblable à l’Amphytrion de Plaute, qu’elle n’a de rapport avec le Cyclope d’Euripide, où la moitié de la Scène regorge de sang, et l’autre nage dans le Vin, et qui proprement se peut dire de double constitution. Je dis que cette fable est de sujet non simple, mais composé, comme la plupart de celles de Térence, où l’on voit que l’un sert de sujet principal, et l’autre d’Épisode, si bien concerté toutefois qu’il ne fait rien contre l’unité de la fable : Le principal est l’amour d’Aglante et de Silvanire, l’autre qui tient place d’Épisode se forme en la personne de Tirinte et de Fossinde : les autres parties de la fable sont comme les instruments nécessaires pour conduire le tout à sa fin avec la vraisemblance et la bienséance des choses22. »
21La tragi-comédie pastorale de Mairet se veut donc l’illustration d’un modèle d’hybridité régulier, suivant le modèle des Anciens et des Italiens comme exemple à imiter. Il est cependant frappant que Mairet n’évoque pas la tragi-comédie dans le cadre de la définition des genres dramatiques (« De la tragédie, comédie et tragicomédie »). Le dramaturge prend soin de rappeler l’origine étymologique et les définitions de la tragédie et de la comédie (qu’il trouve chez les commentateurs d’Aristote comme Heinsius ou Scaliger), dont il tire de manière logique celle de la tragi-comédie : « De la définition de la Tragédie et de la Comédie, on peut également tirer celle de la Tragi-comédie, qui n’est rien qu’une composition de l’une et de l’autre23. » S’ensuit l’inventaire des critères traditionnels attribués à la tragédie et à la comédie. Il apparaît donc qu’une définition autonome de la tragi-comédie n’est pas nécessaire à Mairet puisqu’elle découle naturellement de celle des deux autres genres, et que la tragi-comédie constitue par nature une « composition », une forme mixte. En cela, même si l’auteur de La Silvanire reprend les principaux points de la théorie guarinienne, sa préface constitue moins une défense de la tragicomédie pastorale comme genre moderne qu’une défense de la régularité comme principe de la modernité dramatique.
22De la même manière, Mairet ne déduit pas une structure tragi-comique spécifique, avec des fins et des effets propres, mais il la fait découler de la comédie, sur laquelle les pièces du Tasse et de Guarini calquent également leur disposition24. Le reste de la préface est consacré ainsi à décrire les différentes caractéristiques de la comédie, en comparaison avec la tragédie. En défenseur de la régularité dramatique, l’auteur argumente évidemment en faveur de l’unité de temps, mais il réclame par ailleurs pour la comédie une unité d’action. Il admet malgré tout la possibilité d’adjoindre à l’action principale un « Épisode », c’est-à-dire un fil secondaire, mais en restant fidèle à Aristote et à Guarini : le sujet composé n’est donc pas contraire à l’unité d’action. Enfin, comme chez Guarini, ces définitions du poète et des différentes sortes de poème dramatique précèdent la description (ou la « dissection » pour reprendre l’expression de Mairet) de sa pièce et de sa composition. L’art poétique de Mairet, s’il se fonde bien sur les principes poétiques énoncés dans Il Compendio, vise en définitive moins à légitimer un genre ou un modèle de mixité qu’à élaborer une défense en bonne et due forme de la régularité dramatique.
23La diffusion du Compendio en Angleterre paraît moins évidente, même s’il est certain que les théories guariniennes ont aussi pénétré outre-Manche. Si l’on sait donc que Il Pastor fido a rapidement été importé puis traduit, on ne sait trop si cela fut le cas des théories dramatiques de Guarini.
24Il nous faut nous arrêter sur la figure de Samuel Daniel, dont les liens avec le milieu italianisant gravitant autour de la comtesse de Pembroke sont évidents : il signe ainsi un sonnet en tête de la traduction du Pastor fido de 1603. Le goût de Daniel pour la culture italienne passa donc par le filtre de ces milieux aristocratiques érudits, soudés autour d’un projet de rénovation de la littérature nationale et il bénéficia de la protection de Sir Edward Dymoke (à qui le traducteur anonyme de 1603 dédie d’ailleurs son Faithful Shepheard) durant plusieurs années. Les liens forts de cette figure25 avec l’Italie se traduisirent par un voyage des deux hommes dans ce pays en 1590-1591. Or, c’est durant ce voyage qu’ils rencontrèrent Guarini à Padoue. Daniel en rapporta un souvenir désagréable, du fait que l’auteur du Pastor fido professa semble-t-il un grand mépris envers le génie et la langue anglaise, bien inférieure selon lui à ce que pouvait offrir la poésie italienne. Toujours est-il que la rencontre fut déterminante pour Daniel et qu’elle peut expliquer la transition effectuée par lui entre la tragédie (les deux versions d’une Cleopatra en 1593 et 1608 et Philotas) et la tragi-comédie pastorale. Ce goût pour un genre nouveau, importé de l’étranger, a donc été initié par un milieu aristocratique et lettré, mais aussi renforcé dans les universités anglaises (Daniel a fait ses études à Oxford). On trouve ainsi une Parthenia en latin traduite de l’Aminta du Tasse et jouée à Cambridge en 1600, ainsi que le Pastor fidus latin adapté de Guarini, dans la même université. Ces différents exemples montrent en tout cas une véritable continuité, et témoignent d’une même intention d’adapter un théâtre perçu comme plus « noble » par les élites lettrées anglaises, et importé donc soit d’Italie soit de France. Il nous semble ainsi que la tentative de constitution de genres dramatiques fixes à ce même moment en Angleterre doit être appréhendée au sein de ce projet littéraire qui est aussi un projet linguistique et politique26.
25The Queenes Arcadia27 s’inscrit donc dans ce cadre d’un théâtre universitaire et marqué par l’influence italienne. La pièce, premièrement appelée Arcadia Reformed (titre qui renvoie explicitement au roman pastoral de Sidney), reprend les motifs principaux de la pastorale italienne et se construit autour d’une intrigue typiquement pastorale et assez simple. Mais l’originalité de cette pièce, qui se situe dans un espace littéraire de convention, consiste en l’introduction d’une série de personnages qui participent à sa dimension didactique et moralisante. The Queenes Arcadia constitue donc une adaptation intéressante du modèle italien en ce qu’elle tâche d’actualiser des topoi pastoraux et de les adapter à des lieux communs satiriques et didactiques : la matière pastorale est ici adressée aux étudiants d’Oxford et doit donc obéir à cet horizon d’attente particulier. Mais il nous faut cependant souligner que si Daniel reprend des thèmes et des motifs empruntés directement à la pastorale italienne, il ne se conforme que très imparfaitement au modèle préconisé par Guarini dans Il Compendio della poesia tragicomica. En témoignent les intrigues secondaires, qui ne sont rattachées à l’intrigue principale en aucune manière, et peuvent être supprimées sans altérer l’ensemble de la pièce28. Daniel s’éloigne aussi du poème tragi-comique guarinien en ce que la production du plaisir cède le pas à un moralisme sérieux, qui culmine dans la tirade finale de Melibæus : loin de la légèreté des amours pastorales et du modèle italien qu’il avait en tête, l’auteur a entraîné sa pièce vers la satire sociale et politique. Elle constitue dans tous les cas l’une des premières pastorales anglaises écrites à l’imitation des italiens. La suivante, Hymen’s Triumph29, reprendra elle aussi des éléments et des motifs aux pastorales italiennes et au Pastor fido.
26Toutefois, l’importation et l’adaptation du modèle tragi-comique guarinien en Angleterre trouvent leur illustration la plus marquante dans la pièce de John Fletcher, The Faithful Shepherdess (publiée en 1608). La poétique mise en place par Fletcher dans cette pièce30, et qu’il commente lui-même dans sa préface, constitue bien une transposition de la poétique guarinienne :
«A tragi-comedy is not so called in respect of mirth and killing, but in respect it wants deaths, which is enough to make it no tragedy, yet brings some near it, which is enough to make it no comedy, which must be a representation of familiar people, with such kind of trouble as no life be questioned; so that a god is as lawful in this as in a tragedy, and mean people as in a comedy31.»
« Une tragi-comédie est ainsi appelée, non parce qu’elle allie la gaîté aux tueries, mais parce que personne n’y trouve la mort (ce qui suffit à n’en pas faire une tragédie) bien que d’aucuns s’en approchent (ce qui suffit à n’en pas faire une comédie, laquelle doit être une représentation de personnages familiers, avec de ces complications qui ne mettent nulle vie en cause)32. »
27Et la nouveauté de la pièce, nouveauté dont elle fit sûrement les frais, réside donc sûrement moins dans son genre (puisqu’au fond il semble que le public jacobéen recevait assez peu les pièces qu’on lui représentait en termes de catégories génériques) que dans la conscience affichée que l’auteur en a, et dans la théorie qui lui est attachée. Par ailleurs, la réception de la pièce peut être paradoxalement expliquée par le fait qu’elle tente d’importer un modèle dramatique étranger, modèle qui ne correspondait sûrement pas aux attentes du public anglais, et par le fait que The Faithful Shepherdess ne se conforme à la théorie de Guarini qu’en la modifiant et en en altérant la visée originelle. Du modèle théorique établi par le poète italien dans Il Compendio résultait une illustration tout artificielle, dont l’aboutissement ne consistait pas véritablement en une représentation scénique mais bien en la constitution d’un modèle dramatique dans la lignée du modèle aristotélicien. Or, il semble qu’à cette artificialité première Fletcher rajouta une artificialité seconde et qu’il tâcha de modeler l’intrigue et les personnages de sa pièce sur un système moral rigide33. En effet, alors que chez Guarini (et même chez Daniel), les personnages étaient construits à partir de types pastoraux conventionnels, ils obéissent chez Fletcher à un système éthique particulier mis en place dans le premier acte.
28Par ailleurs, le mélange générique constitué par Fletcher ne correspond pas lui non plus à celui que l’on peut trouver dans Il Pastor fido. S’il en résulte un genre moyen, tempéré lui aussi, il apparaît que les éléments comiques et les éléments tragiques y deviennent indiscernables, altérés dans leur nature. En cela, le mélange tragi-comique, dans The Faithful Shepherdess, ne consiste pas en une répartition équilibrée des éléments comiques et des éléments tragiques mais au mélange de ces éléments à l’intérieur d’une même scène et parfois dans le caractère même d’un personnage. La pièce de Fletcher est un moyen terme entre celui de Guarini et celui de Shakespeare, puisqu’en présentant une hybridité plus poussée que chez le premier, il s’écarte d’une visée strictement aristotélicienne, sans mêler des éléments aussi génériquement opposés que le second. Cette fusion particulière, à cheval entre la tradition théâtrale élisabéthaine et les influences pastorales italiennes constitue un tragi-comique neutre, un compromis générique, qu’Una Ellis-Former qualifia de « middle-mood34 ».
29Notre hypothèse est donc que c’est cette double fixation de la tragi-comédie en un genre constitué et achevé, d’un point de vue théorique et formel, qui a empêché le succès de l’adaptation de Fletcher. Ce qui est une fin pour le théoricien italien (dont le modèle d’hybridité sert à créer une forme nouvelle mais figée, hiérarchisée) n’est souvent qu’un moyen, pour les dramaturges élisabéthains, la tragi-comédie se présentant comme une des nombreuses modalités du métissage générique, une forme plurielle qu’il n’est pas utile de constituer en genre dramatique.
*
30Après ce périple entre l’Italie, la France et l’Angleterre, nous pouvons constater le trajet paradoxal du texte guarinien. Paradoxal en ce que Il Pastor fido, malgré le fait qu’il a été importé et traduit très rapidement après sa parution en Italie, a suscité finalement moins d’adaptations et d’imitations que les autres pastorales italiennes, ainsi que son envers théorique, Il Compendio. Comme si les dramaturges et théoriciens étrangers, conscients du caractère programmatique et exemplaire du projet guarinien, avaient préféré adapter la théorie tragi-comique du Compendio plutôt que transposer directement une pièce qui s’y prêtait difficilement. De ce point de vue, le modèle de mixité générique proposé par Guarini, par son caractère fixiste et rationaliste et par ses fondements aristotéliciens se prêta en France et en Angleterre à des tentatives de légitimation d’un genre « bâtard » par nature, la tragicomédie. Cela explique sa réception en France et en Angleterre. Mais cette entreprise n’aboutit pas réellement pour ce qui concerne l’Angleterre, à cause notamment de l’aspect idéaliste de la théorie guarinienne et du caractère peu théâtral à la fois du Pastor fido et de ses adaptations. Il semble en outre que l’Arcadia du même Sidney ait fourni un modèle d’hybridité beaucoup plus fructueux pour les dramaturges jacobéens, peut-être justement parce que ce modèle était non pas dramatique mais romanesque. En France, la poétique guarinienne a eu un sort assez différent : sa découverte proprement dite, pendant les années 1620, coïncide en effet avec le débat autour de la tragi-comédie et avec la querelle entre réguliers et irréguliers. La prise en compte du modèle guarinien par les théoriciens réguliers et les dramaturges irréguliers, puis par Mairet, participe alors à la tentative de légitimation théorique d’un genre moderne qui est aussi pendant quelques années le genre-roi dans les théâtres. Mais à travers ce voyage franco-anglais où le texte dramatique se voit débordé et recouvert par les postulats théoriques qui le sous-tendent, il semblerait bien qu’être fidèle ou infidèle au Pastor fido de Guarini, telle n’est pas la question.
Notes de bas de page
1 Giambattista Guarini, Il Compendio della poesia tragicomica, tratto dai duo verati, Per opera dell’Autore del Pastor Fido, colla giunta di molte cose spettanti all’arte, 1601, éd. Laurence Giavarini, Paris, Honoré Champion, 2008.
2 Le Berger fidelle, pastorale. De l’italien du seigneur Baptiste Guarini chevalier, Tours, Jamet Mettayer, 1593.
3 Il Pastor Fido : or the faithfull Shepheard. Translated out of Italian into English, Londres, S. Waterson, 1602.
4 Publiées respectivement en 1607 et 1573.
5 Voir Jules Marsan, La Pastorale dramatique en France à la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle, Paris, Librairie Hachette, 1905 et Daniela Dalla Valle, Aspects de la pastorale dans l’italianisme du XVIIe siècle, Paris, Champion, 1995.
6 Le Pasteur Fidelle, tragicomedie. Pastoralle de J. B. Guarini, Cavalier tres-illustre, où sont adjoustez plusieurs vers tres recommandables par les riches conceptions de l’Autheur, & pointes tres-subtilles. Le tout traduit d’Italien en vers François par Noble Antoine de Giraud, Lyonnois, avec quelques poëmes de son invention, Paris, L’Angelier chez Claude Cramoisy, 1623.
7 On sait néanmoins qu’en 1598 le duc de Mantoue fait représenter la pièce pour célébrer le passage à sa cour de la femme de Philippe II d’Espagne : on peut ainsi penser que le Pastor fido a été joué principalement dans un contexte curial. Voir Lisa Sampson, « The Mantuan Performance of Guarini’s Pastor fido and Representations of Courtly Identity », The Modern Language Review, vol. 98, no 1, janvier 2003, p. 65-83.
8 Le Berger fidelle, pastorale. De l’italien du seigneur Baptiste Guarini chevalier, op. cit., n. p.
9 Voir Christine Sukic, « Samuel Daniel et les traductions anglaises du Pastor Fido au XVIIe siècle en Angleterre : du voyage d’Italie à la naturalisation », Études Épistémè, no 4, automne 2003. Comme le note C. Sukic : « Il semble que pour Daniel, la traduction soit un pas vers la constitution d’une poésie nationale. Il s’agit de détourner le texte italien vers la langue dite “barbare” afin de l’assimiler dans un lieu poétique anglais » (p. 23)
10 Christine Sukic indique qu’il a notamment édité trois œuvres de l’Arétin, cinq de Machiavel et qu’il avait « de solides liens avec les immigrés italiens de Londres » (art. cité, p. 3).
11 Ibid.
12 L’ensemble de ces éléments est fourni dans l’introduction de l’édition du Compendio par Laurence Giavarini.
13 Trad. Laurence Giavarini, éd. cit., p. 196-199.
14 Éd. cit., p. 217.
15 Sur la signification de ce terme, voir les développements de Laurence Giavarini dans son introduction (éd. cit., p. 105-108).
16 « Mais on pourrait encore se demander ce qu’est en acte ce mélange de la tragi-comédie : je répondrais alors qu’il est l’équilibre du plaisir tragique et du plaisir comique, équilibre qui ne laisse de verser les auditeurs ni dans la mélancolie tragique, ni dans le relâchement comique. Qu’il en résulte un poème de forme et de tempérament excellents, qui non seulement correspond bien à la complexion humaine tout entière dans l’équilibre des quatre humeurs, mais qui est bien plus noble que la simple tragédie ou la simple comédie, parce qu’il ne nous montre pas les événements atroces, le sang et les morts – spectacles horribles et inhumains – et que, en même temps, il ne nous rend pas si déréglés dans le rire que nous péchions contre la modestie et la bienséance de l’homme de bonnes mœurs » (éd. cit., p. 217).
17 Voir Giovanni Dotoli, Temps de préfaces : le débat théâtral en France de Hardy à la querelle du Cid, Paris, Klincksieck, 1996 et Georges Forestier, La Tragédie française. Passions tragiques et règles classiques, Paris, A. Colin, 2010.
18 Par exemple, dans la préface d’Ogier au Tyr et Sidon de J. de Schélandre : « Cette économie et disposition, dont ils se sont servis, fait que nous ne sommes point en peine d’excuser l’invention des tragi-comédies, qui a été introduite par les Italiens, vu qu’il est bien plus raisonnable de mêler les choses graves avec les moins sérieuses, en une même suite de discours, et les faire rencontrer en un même sujet de fable ou d’histoire, que de joindre hors d’œuvre, des satyres avec des tragédies, qui n’ont aucune connexité ensemble, et qui confondent et troublent la vue et la mémoire des auditeurs » (François Ogier, Préface à Tyr et Sidon, Paris, Robert Estienne, 1628, n. p.) ; ou dans celle d’André Mareschal à sa Généreuse Allemande : « Le Pasteur fidèle a perdu pour ce regard la fidélité qu’il devait à ses préceptes, et tout parfait comme on nous le décrit, est tombé dans ce vice ; en faveur duquel je dirai que si c’est une faute, et que la vertu soit contraire, sans mentir le vice est plus beau que la vertu, et il y a des fautes qui valent mieux qu’elle » (André Mareschal, La Généreuse Allemande, Paris, Pierre Rocolet, 1631, éd. Hélène Baby, site IdT www.idt.paris-sorbonne.fr).
19 Laurence Giavarini, « Introduction », dans Compendio, éd. cit., p. 144-145.
20 Ibid.
21 Giovanni Dotoli, Temps de préfaces, op. cit., p. 133-134.
22 Jean Mairet, « Préface, en forme de discours poétique » à La Silvanire, dans Giovanni Dotoli, Temps de Préfaces. Le débat théâtral en France de Hardy à la Querelle du « Cid », Paris, Klincksieck, 1996, p. 246.
23 Ibid., p. 240.
24 Ibid., p. 241 : « Mais d’autant que je veux être succinct, et que ma Pastorale est tout à fait disposée à la Comique, bien qu’elle soit de genre Tragi-comique, il suffira que je fasse la division des parties de la Comédie, sans m’arrêter à celles de la Tragédie, qui sont assez amplement déduites chez le Philosophe et le Commentateur de Sénèque. »
25 Pierre Spriet, Samuel Daniel. Sa vie, son œuvre, Paris, Didier, 1968, p. 74-75.
26 Ibid., p. 428 : « Les pastorales de Daniel, loin d’apparaître comme des concessions faites par le poète au théâtre populaire, sont donc bien des œuvres représentatives du même courant néo-classique qui se retrouve dans Cleopatra et Philotas : tout comme les tragédies des amis de la comtesse de Pembroke sont une tentative d’adaptation en langue vulgaire du théâtre tragique latin, italien et français, les tragi-comédies de Daniel sont visiblement des imitations des grandes pastorales italiennes du Tasse et de Guarini, bien connues dans les cercles italianisants d’Angleterre et déjà jouées en latin dans les universités. »
27 Samuel Daniel, The Queenes Arcadia, a Pastoral Tragi-comedie, Londres, Simon Waterson, 1606. La pièce fut jouée à Oxford en 1605, à l’occasion de la venue de Jacques Ier, de la Reine et d’Henry.
28 Contrairement à ce que formule Guarini à propos du Pastor fido, en s’appuyant sur le raisonnement d’Aristote : « Aristote nous transmit la manière juste et véritable d’observer et de comprendre l’unité en composant la fable de manière à ce qu’on ne puisse enlever ni déplacer aucune partie sans tout enlever ni tout modifier. Et il en donne la raison : “ce dont l’être ou le non-être n’entraîne pas une transformation manifeste du tout ne peut être une partie de ce tout.” Précepte tout à fait admirable et conforme à la pensée du grand maître : si je l’applique à la tissure du Pastor fido, je ne saurais dire quelle partie on pourrait déplacer ou ôter sans causer une transformation manifeste du tout » (éd. cit., p. 285-287).
29 Samuel Daniel, Hymen’s Triumph. A Pastorall Tragicomædie, Londres, 1615.
30 À propos de Fletcher, voir notamment Charles L. Squier, John Fletcher, Boston, Twayne Publishers, 1986 et G. K. Hunter, « Italian tragicomedy on the English stage », Renaissance Drama, New Series, VI, 1973.
31 John Fletcher, The Faithful Shepherdess, « To the reader », 1610, dans The Dramatic Works in the Beaumont and Fletcher Canon, éd. Cyrus Hoy, Cambridge, Cambridge University Press, 1976, vol. 3, p. 497.
32 Traduction de Marie-Thérèse Jones-Davies dans son édition de Beaumont et Fletcher, Le Chevalier de l’Ardent Pilon, Aubier-Montaigne, 1958, p. 24.
33 Voir G. K. Hunter, art. cité, p. 123-124.
34 Una Ellis-Former, The Jacobean Drama : An Interpretation, Londres, 1936, p. 205.
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