De la théorie à la pratique
Conceptions et représentations du théâtre dans les arts poétiques de Laudun d’Aigaliers et Sir Philip Sidney
p. 23-37
Résumé
À la fin du XVIe siècle paraissent en France et en Angleterre deux traités poétiques qui accordent une place singulière à l’art dramatique. L’Apology for Poetry de Sir Philip Sidney, écrit au cours des années 1580 mais publié en 1595, et L’Art poétique françois de Laudun d’Aigaliers, qui paraît en 1597, livrent tous deux, au sein d’une réflexion générale sur la poésie, ses genres et ses formes, des témoignages précieux sur l’état de l’art dramatique dans leur pays respectif. Mais, parce qu’ils se situent chacun dans une lignée d’arts poétiques ou de pamphlets contre le théâtre, Sidney et Laudun d’Aigaliers ne confèrent pas à leur démonstration la même position au sein du traité et ils ne lui assignent pas la même fonction. Alors que l’auteur français s’en sert pour faire preuve d’originalité critique et pour asseoir des conceptions dramatiques qu’il réinvestit dans ses propres tragédies, les développements du poète et romancier anglais ont une visée polémique, puisqu’il répond notamment aux attaques théâtrophobes de Philip Gosson. Par ailleurs, il s’agit de voir quel traitement est réservé aux différents genres dramatiques, tragédie et comédie en tête, mais aussi à ce que Sidney nomme la « bâtarde » tragi-comédie. L’étude s’interroge ainsi sur la manière dont ces deux réflexions sur le théâtre s’inscrivent dans l’histoire de la réception critique en France et en Angleterre.
Texte intégral
1L’objet de cette brève étude impose d’ores et déjà de poser quelques précautions méthodologiques. En effet, elle suppose de tisser des liens et de mettre en lumière points communs et divergences entre des textes qui ont été écrits dans des contextes différents et par des auteurs qui n’ont jamais eu connaissance l’un de l’autre. Tâcher d’établir l’existence d’hypothétiques traces d’influence ou la présence d’allusions cachées dans ces œuvres constituerait donc une démarche erronée. Il s’agit bien plutôt, à travers les traités poétiques de Laudun d’Aigaliers et de Sidney, parus dans les dernières décennies du XVIe siècle, d’observer comment peuvent se construire des représentations théoriques de l’objet théâtral durant cette période, en France et en Angleterre, et comment ces représentations s’articulent avec une pratique dramatique qui s’inscrit en décalage avec elle.
2Malgré les liens littéraires encore ténus qui existent alors entre les deux pays, malgré les détours historiques et géographiques qu’il est parfois nécessaire d’emprunter pour aborder cette question, l’Apology for poetry et L’Art poétique nous paraissent partager une ambition commune et surtout révéler un état de la théorie dramatique et de la conception du théâtre, dans deux pays où précisément les pratiques théâtrales ne sont pas du tout les mêmes. Les auteurs nous livrent donc également un témoignage précieux sur l’état du théâtre dans leur pays respectif, témoignage qui traduit l’écart qui peut exister entre deux exercices fondamentalement distincts : penser le théâtre et le mettre en pratique. Les deux textes nous donnent ainsi, chacun à sa manière, un instantané du théâtre en Angleterre et en France, image déformée par le filtre de deux pensées originales qui s’inscrivent dans une histoire des discours critiques et poétiques.
3Avant d’entrer dans la chair des textes, il convient donc de les resituer dans le contexte littéraire qui est le leur : ce contexte dessine les contours nécessaires pour comprendre ce qui fait le cœur polémique de ces arts poétiques, et leur place dans l’histoire de la réflexion poétique sur le théâtre. Par ailleurs, les textes de Sidney et de Laudun d’Aigaliers, outre le fait qu’ils sont écrits et paraissent à un même moment, présentent un certain nombre de similitudes, de traits communs quant à leur nature et quant à la manière dont ils se positionnent par rapport à l’objet théâtre. Textes critiques, textes polémiques aussi, et textes de théoriciens qui sont également auteurs de théâtre, ces deux arts poétiques prennent des partis marqués, par rapport à leurs devanciers et surtout aux productions de leur nation respective. Et c’est dans ce positionnement que les textes montrent leurs divergences : les enjeux théoriques en France et en Angleterre ne sont résolument pas les mêmes, tout comme la pratique théâtrale et la distance qu’elle entretient avec des réflexions poétiques de ce type.
Deux textes dans la réflexion poétique de la fin du XVI e siècle
4L’Apology et L’Art poétique français présentent en premier lieu l’intérêt d’être publiés au même moment, à la toute fin du XVIe siècle. Le texte de Laudun paraît ainsi en 15971, alors que celui-ci, après avoir fait des études de droit et avoir été reçu avocat au Parlement de Toulouse, est arrivé à Paris pour tâcher d’y inscrire sa carrière littéraire. Auteur de deux tragédies, Horace et Dioclétian, Laudun est en outre connu pour avoir écrit une Franciade. L’Apology for poetry de Sidney est quant à elle connue également sous le titre de Deffense of Poetry2, termes complémentaires dans le projet polémique de Sidney. Écrit sûrement aux alentours de 1583, le texte est lui aussi publié en 1595, de manière posthume, alors que son auteur, issu d’une des plus grandes familles anglaises, constitue une des figures littéraires les plus importantes de son pays.
5Le statut de ces discours sur l’art du théâtre est le même chez les deux auteurs, puisqu’ils s’insèrent tous deux dans un discours plus général, encadrant, qui est celui d’un art poétique au sens le plus général du terme et qui englobe donc toutes les formes de la poésie et de l’art d’écrire.
6Chez Laudun d’Aigaliers, ce discours constitue le cinquième livre de L’Art poétique, dernière partie de l’ouvrage qui présente ainsi une apparente autonomie par rapport à l’ensemble de l’ouvrage. L’Apology de Sidney ne se développe pas, malgré une structuration forte de l’argumentation, selon un plan explicite, mais la partie congrue concernant l’art dramatique se situe également vers la fin de la démonstration. Malgré une position analogue dans la composition des discours, les deux textes ont un statut et une valeur relative propres par rapport au discours encadrant. Cette position relative est ainsi liée aux jugements respectifs des deux auteurs sur l’état du théâtre.
7Le livre V de L’Art Poétique qui traite du théâtre présente une relative autonomie par rapport à l’ensemble. Son économie révèle par ailleurs le rôle que Laudun lui confère. Tout d’abord, comme l’a montré Bénédicte Louvat-Molozay3, le texte se présente comme un « exercice d’érudition », une exhibition rhétorique de sources et de modèles pluriels qui viennent alimenter la pensée de l’auteur sur le théâtre tout en lui servant à proprement parler de faire-valoir. Pour un jeune auteur peu connu, d’origine méridionale (il naît près d’Uzès), il s’agit avant tout de dérouler son attirail théorique, de montrer la panoplie de son savoir, et d’en découdre avec les autorités de la réflexion poétique : celles des Anciens ou celles, plus récentes, venues d’Italie (Viperano, Castelvetro) ou de France. Par ailleurs, L’Art poétique se situe dans le prolongement d’une histoire des arts poétiques en France, arts poétiques dont le texte de Laudun entend aussi se démarquer.
8En 1548, Thomas Sébillet publie ainsi son Art poétique françois pour l’instruction des jeunes studieus, et encore peu avancés à la Poésie française, texte qui contribue à mettre en place une pratique aux contours bien définis, un genre à part entière qui servira à la fois d’examen organisé du matériel et de la langue poétique, de recension des différentes formes poétiques et de définition de la mission du poète et de son travail. Laudun reprend ainsi le modèle canonique établi par Sébillet, et en premier lieu son titre. Par ailleurs, ce genre fleurit à la suite de Sébillet et l’on peut mentionner à titre d’exemple l’Art poétique de Peletier en 1555, la Défense et Illustration (1549) de Du Bellay ou l’Abbrégé (1565) de Ronsard. Laudun procède par un montage de ces textes antérieurs, sans que la compilation ne s’arrête là, puisqu’elle comprend également des auteurs comme Donat ou Scaliger (Poetices Libri Septem)4.
9Ce positionnement par rapport à ses devanciers va de pair avec la vocation propre au cinquième livre. Ce que Laudun entend y faire est précisément de se démarquer, de faire la preuve de son originalité, en consacrant un livre entier de son ouvrage au théâtre et en particulier à la tragédie. Et en effet, il n’apparaît rien de tel chez ses prédécesseurs français : chez Sébillet, la comédie et la tragédie ne sont pas traitées en tant que telles mais en rapport avec d’autres formes comme la farce et la moralité ; chez Peletier, le sujet n’est abordé que sous la forme d’une brève compilation. Outre cette volonté de faire œuvre originale, Laudun écrit son texte une cinquantaine d’années après celui de Sébillet, et entre-temps la tragédie et la comédie françaises existent en tant que telles, et plus seulement comme des traductions des Anciens : elles constituent des formes abouties s’inscrivant dans une histoire littéraire nationale. En cela, L’Art poétique de Laudun nous apparaît comme le premier texte théorique français qui prend état de cette situation nouvelle en l’intégrant dans un cadre historique, celui de la fin du théâtre renaissant5.
10Ces différents éléments contribuent à rapprocher Laudun de son homologue anglais puisque le texte de Sidney affiche, de manière encore plus marquée, cette volonté de dresser un état des lieux critique des formes poétiques telles qu’elles sont pratiquées dans son pays, et cela au sein d’une réflexion poétique élargie. Chez Sidney, être poète et poéticien équivaut à faire œuvre de critique et de polémiste. Ce postulat critique s’explique en partie par la genèse de l’Apology for Poetry et par la perception du théâtre en Angleterre au moment où elle est écrite. En effet, la poésie – au sens générique du terme, comprenant donc l’art dramatique – souffre alors d’un fort discrédit en Angleterre. Plutôt que de dresser l’histoire de ce discrédit lié évidemment à la pression des courants théâtrophobes en Angleterre, nous nous contenterons d’évoquer l’influence du pamphlet de Stephen Gosson paru en 1579, School of abuse. Dans ce texte, Gosson développe les opinions théâtrophobes traditionnelles, en s’attaquant à la poésie de manière générale, et au théâtre en particulier. Par ailleurs, Gosson n’hésite pas à dédier cette charge contre les arts poétiques à Sidney lui-même. Le texte de Sidney doit donc se lire aussi comme une réaction aux opinions puritaines en vigueur, et en particulier à l’ouvrage de Gosson, dont il reprend pour les déconstruire les principaux arguments6.
11Sidney fonde ainsi son auctorialité de poète en prenant pour garantie le droit imprescriptible du passé, et écrit son traité en polémiste, le bilan critique des formes poétiques anglaises procédant toujours d’une démarche apologétique plus large. Et c’est dans le cadre de cette défense de la poésie que l’on peut expliquer le sort accordé par Sidney au théâtre. Il est ainsi pertinent de classer l’Apology dans la catégorie des œuvres oratoires, puisque le discours s’y déploie dans le cadre d’une rhétorique de la persuasion : Sidney y emploie ainsi fréquemment la première personne, y multiplie les apostrophes au lecteur et construit son argumentation dans une dynamique de persuasion de l’adversaire.
12Or, c’est bien cette dynamique de persuasion qui conditionne le jugement de Sidney sur le théâtre anglais et le traitement critique qu’il lui réserve. En effet, alors que chez Laudun, la partie réservée au théâtre dénote la volonté de se démarquer, d’affirmer sa position d’auteur, et se signale par l’attention stylistique qui lui est accordée, notamment par l’application des principes du decorum (par exemple l’exclusion des expressions populaires, l’emploi des jeux étymologiques, etc.), chez Sidney, l’art théâtral tel qu’il se présente en Angleterre constitue a priori le maillon faible de la défense, aisément attaquable par les théâtrophobes et les adversaires de Sidney : d’où la nécessité pour celui-ci de lui réserver un sort critique sans concession. Pour Laudun, la défense du théâtre sert à appuyer et à fonder l’originalité de l’auteur en tant que théoricien et praticien de la poétique ; pour Sidney, la critique sévère de la pratique théâtrale telle qu’elle se présente à lui en Angleterre sert à la défense de la poésie, mère idéale de cette fille indigne et honteuse qu’est la poésie dramatique.
Art poétique et art polémique : le théâtre passé au crible
13Ces divergences d’intentions et de points de vue sur l’art dramatique, liées en partie à l’état du théâtre national en France et en Angleterre et à des positions auctoriales fort différentes (un auteur reconnu comme l’un des plus importants de son pays, un jeune poète en soif de reconnaissance littéraire), s’expriment également dans la disposition et l’économie de chacun des deux textes.
14Le cinquième livre de L’Art poétique se structure ainsi de manière relativement conventionnelle, en suivant le modèle canonique des arts poétiques. Laudun traite ainsi consciencieusement les « passages obligés » de la théorie dramatique, tels que la question de l’origine étymologique du mot « tragédie » ou celle de la différence de nature entre comédie et tragédie. Surtout, la structure du livre se caractérise par le grand déséquilibre entre un premier chapitre consacré à la comédie (« De la comédie et ses parties »), chapitre qui se distingue par sa longueur et sa densité, et les huit autres dévolus au grand genre, la tragédie, qui se succèdent selon cet ordre : « de la tragédie et de son invention », « du nom de la tragédie », « de la forme, nature et définition de la tragédie », « de la différence de la tragédie et comédie, « des actes, parties de la tragédie », « des chœurs », « des vers de la tragédie et chœurs », « de ceux qui disent qu’il faut que la tragédie soit des choses faites dans un jour7 ». Nous ne trouvons pas chez Sidney pareille structuration en chapitres ; par ailleurs la proportion quant au traitement des deux genres dramatiques est quantitativement inverse. C’est en effet la comédie qui dans l’Apology retient le plus l’attention de l’auteur, ce qui s’explique probablement par le projet apologétique de l’ouvrage : répondant à Gosson ou Stubbes, Sidney se concentre sur l’objet privilégié de leurs attaques.
15La question de la comédie est traitée chez Laudun selon un déroulement assez conventionnel, puisque, après avoir défini la comédie selon la qualité de ses personnages, l’auteur examine son étymologie, sa matière et sa disposition8. Actions et caractères des personnages servent donc à définir la comédie, même si Laudun fait de la visée morale du genre son constituant essentiel, en évoquant d’ailleurs son origine commune avec le genre de la moralité. En outre, c’est également l’argument moral (étroitement lié, pour Laudun et ses contemporains, à la qualité sociale des personnages) qui permet à Laudun de différencier comédie et farce, contrairement à Sébillet et, d’une certaine manière, à Sidney :
« La comedie et Tragedie s’accordent en ce, qu’elles se representent par personnages en public : mais elles sont differentes de tout le reste, car l’argument de la Tragedie est vray, et celuy de la comedie est feinct et inventé. Les personnes de la Tragedie sont gens graves et de grand qualité, et ceux de la comedie sont basses et de petit estat9. »
« L’argument de la comedie est à la disposition du Poëte, et selon qu’il luy plaist de l’inventer ; l’on y peut introduire des dieux, deesses, faunes, satyres, et mesme comme le peuple, l’artisan, le tiers estat, la pauvreté et autres qui sont introduits pour personnages en la moralité. Et à vray dire, c’est une moralité, pource que soubs risee, l’on touche le vice de chacun, comme la chicheté des gens vieux, la debauche des jeunes, la liberté des filles, et autres choses que j’ay dict cy dessus10. »
16Ainsi, la comédie, outre sa proximité avec la farce, se rapproche également de la moralité médiévale. Les conceptions de Laudun d’Aigaliers se situent de ce point de vue dans un entre-deux théorique, reprenant à la fois certains éléments de la poétique humaniste et une partie de l’héritage médiéval11. Le poète anglais se livre pour sa part à une condamnation en règle du genre comique tel qu’il se pratique en Angleterre, sur le fondement d’une esthétique intrinsèquement liée à une vision moraliste. Ce faisant, les arguments de Sidney sont liés à des idées morales et ressortissent à une conception de nature idéaliste de la poésie (idéalisme qui est censé répondre terme à terme à un autre idéalisme, celui des penseurs théâtrophobes12). Si chez Laudun l’argument moral est un critère de distinction, il est chez Sidney un moyen de condamnation du genre comique. Il s’appuie sur une distinction ontologique entre rire et plaisir, en privilégiant évidemment ce dernier. Cette différence de nature entre les deux tient en réalité à une différence d’effet produit, puisque le rire s’accompagne de peine et de mépris à l’égard de l’objet représenté, alors que le plaisir s’accompagne de joie (dans le cas de la comédie) et même d’admiration (dans le cas de la tragédie). Or pour Sidney, les comédies anglaises sont toutes dans l’erreur (de manière exhaustive, puisqu’il ne donne, dans le cas de la comédie, aucun contre-exemple contemporain) dans la mesure où leurs auteurs ne font justement pas la distinction entre ces deux concepts :
«But our Comedients thinke there is no delight without laughter, which is verie wrong, for though laughter may come with delight, yet commeth it not of delight, as though delight should be the cause of laughter. But well may one thing breed both togither. Nay rather in themselves, they have as it were a kinde of contrarietie: For delight wee scarcely doo, but in thinges that have a conveniencie to our selves, or to the generall nature: Laughter almost ever commeth of thinges moste disproportioned to our selves, and nature. Delight hath a joy in it either permanent or present13.»
« Mais nos auteurs comiques pensent qu’il n’y a pas de plaisir sans rires ; ce qui est parfaitement faux, car, s’il est vrai que le rire peut accompagner le plaisir, il n’en découle pas directement. Une même cause peut produire à la fois le plaisir et le rire. Je dirais même, en fait, qu’ils ne sont pas faits pour s’accorder ; car nous n’éprouvons guère de plaisir que dans les circonstances qui présentent quelque intérêt pour nous, ou pour l’humanité, tandis que le rire naît presque toujours des situations qui ne s’adaptent ni à nous-mêmes, ni à la nature humaine. Le plaisir contient de la joie, durable ou passagère. Le rire, lui, n’est qu’un chatouillement de mépris14. »
17Par ailleurs, comme Laudun, Sidney affirme bien la visée morale de la comédie, mais c’est cet argument qui, par déduction, l’amène à exclure le rire, et donc la comédie anglaise, de son panthéon critique, puisque c’est l’enseignement moral qui est censé procurer du plaisir et qu’il est absent des comédies en question.
Principes poétiques, règles dramatiques et pratique théâtrale : de la théorie pour la pratique ?
18Ces conceptions de l’art dramatique passées au crible d’une vision morale et idéale de la poésie se retrouvent dans les éléments concernant la tragédie. Là encore, la critique sidnéenne est sévère, même si elle excepte cette fois une pièce, Gorboduc, de Norton et Sackville (une des premières tragédies de la période élisabéthaine), ainsi que les tragédies en néo-latin de Buchanan. L’argument moral se double d’un autre argument, principe analogue mais pas identique, qui est celui de la raison. Moralité et raison sont ainsi, dans l’argumentation de l’auteur anglais, complémentaires dans la garantie de l’œuvre théâtrale, puisque l’une découle de l’autre, et que de ces deux procède le plaisir du spectateur. On croirait entendre, à plus de quarante ans de distance, les arguments qui seront formulés en France par un Chapelain et ses partisans réguliers. De cette triangulation théorique entre raison, moralité et plaisir, découle une poétique théâtrale bien affirmée et qui, là encore, paraît anticiper ce qui se passera en France un demi-siècle plus tard.
19Sidney s’appuie ainsi sur l’argumentation aristotélicienne, à laquelle il emprunte notamment la distinction entre histoire et poésie, rapporter et représenter, pour donner une définition du vraisemblable comme critère purement esthétique. Ce postulat théorique lui permet ainsi de justifier l’introduction des messagers pour raconter des événements accomplis en d’autres lieux et d’autres temps, et respecter ainsi l’unité de lieu. De la même manière, il le conduit à préconiser des actions qui commencent in medias res, sur l’exemple de l’histoire de Polydore, traitée par Euripide. Mais un des points principaux du discours de Sidney concerne la question de l’unité de temps, point fondamental de sa critique des tragédies anglaises. Ici encore, le théoricien anglais en appelle à la raison en invoquant la nécessaire correspondance ou adéquation entre le temps dramatique et le temps de la représentation :
«Our tragidies and Commedies, not without cause cryed out against, observing rules neither of honest civilitie, nor skilfull Poetrie. Excepting Gorboducke, (againe I say of those that I have seen). […] Yet in truth, it is verie defectuous in the circumstaunces, which greeves me, because it might not remaine as an exact modell of all Tragidies. For it is faultie both in place and time, the two necessarie Companions of all corporall actions. For where the Stage should away represent but one place, and the uttermoste time presupposed in it, should bee both by Aristotles precept, and common reason, but one day; there is both manie dayes and places, inartificially imagined15.»
« Nos tragédies et nos comédies, que l’on vilipende à juste titre, n’observent ni les règles de l’art poétique, ni celles de la simple raison, à l’exception de Gorboduc – je n’évoque ici, rappelons-le, que les pièces qu’il m’a été donné de voir. […] Cependant, le déroulement même de cette pièce laisse à désirer, ce qui est fort dommage car elle ne peut, dès lors, fournir un modèle parfait de la tragédie. En effet, elle pèche et par le lieu et par le temps de l’action, les deux compagnons indispensables des mouvements physiques. La scène, en effet, devrait représenter un lieu unique, et l’action devrait se dérouler, selon Aristote et selon le sens commun, en un seul jour ; or, nous avons ici une action qui dure plusieurs jours, et qui se déplace en maints endroits imaginés sans art16. »
20Comme pour l’unité de lieu, il renvoie également à la réalité de la représentation théâtrale et définit la réception du spectateur comme un critère raisonnable de la convention théâtrale. Comme pour les théoriciens classiques français, l’illusion théâtrale a partie liée avec la vraisemblance de ce qui est représenté et avec les conditions de représentation qui sont mises en œuvre. Sidney ne va pas d’ailleurs sans ménager une certaine liberté pour le poète, dont l’imitation n’est pas stricte mais doit se charger de faire le tri dans la matière des Anciens et l’adapter aux nécessités de la vraisemblance dramatique.
21Enfin, dans la continuité de cette argumentation qui pourrait parfaitement servir de réponse aux manifestes anti-réguliers d’Ogier et de Durval, Sidney condamne la tragi-comédie en tant que forme bâtarde, puisqu’elle mélange personnel de comédie et personnel de tragédie, le rire trivial aux préoccupations graves des sujets tragiques :
«But besides these grosse absurdities, howe all their Playes bee neither right Tragedies, nor right Comedies, mingling Kinges and Clownes, not because the matter so carrieth it, but thrust in the Clowne by head and shoulders to play a part in majesticall matters, with neither decencie nor discretion: so as neither the admiration and Commiseration, nor the right sportfulnesse is by their mongrell Tragicomedie obtained17.»
« Mais en plus de ces absurdités grossières, toutes leurs pièces ne sont ni de vraies comédies, ni de vraies tragédies, mêlant les rois et les bouffons, non parce que le sujet le réclame, mais parce que ces auteurs contraignent les bouffons de prendre part aux affaires royales, sans décence et sans retenue, si bien que ni la pitié, ni l’admiration, ni même la véritable gaieté ne se trouvent dans leur bâtarde tragi-comédie18. »
22Encore une fois, l’auteur récuse l’absence d’effet propre à la tragi-comédie, ne provoquant ni la gaieté comique, ni la pitié ou l’admiration tragiques. En cela, Sidney donne une définition de la tragi-comédie opposée à celle qui est formulée en Italie par Guarini, refusant à la tragi-comédie le statut de genre à part entière (même s’il cite l’exemple de l’Amphytrion de Plaute comme occurrence possible dans l’Antiquité) et rejetant un mélange des genres qui irait à l’encontre de la mission du théâtre.
23À ce positionnement, que l’on pourrait donc qualifier de « régulier », répond celui de Laudun, dont la poétique s’inscrit dans un écart par rapport aux arts poétiques qui l’ont précédé et qui paraît accompagner les bouleversements qui agitent la tragédie humaniste à la fin du XVIe siècle. En effet, même si Laudun est redevable dans ses deux tragédies du modèle renaissant, encore très prégnant (présence d’un prologue, de chœurs à la fin de chaque acte, influence de la tragédie sénéquienne), il s’en démarque par certains aspects, et cette intention de nouveauté se retrouve par exemple dans L’Art poétique à travers l’éloge en demi-teinte de Garnier qui, s’il veut marquer une déférence certaine, ne masque pas tout à fait certaines critiques (notamment au sujet des chœurs)19.
24Comme chez Sidney, le discours de Laudun semble prendre comme point de départ sa propre expérience de spectateur, sans que nous puissions savoir si cette expérience fut bien solide, mais la manière dont il formalise sa position semble bien différente. En effet, malgré les références à l’hypotexte aristotélicien, l’auteur français ne paraît pas retenir l’argument moral ou didactique, du moins pas comme un critère essentiel. Cette différence de visée est illustrée par l’utilisation, commune à Sidney et à Laudun, de citations d’Horace et d’emprunts explicites ou non à ses discours20. Seulement, alors que dans l’Apology, elles ne concernent quasiment que la question de l’enseignement moral du théâtre (et en particulier de l’enseignement moral de la comédie), elles paraissent chez Laudun fonctionner plutôt comme garantie du discours critique, illustrations vides de contenu persuasif, prises dans le maillage intertextuel et citationnel que déploie l’auteur afin de légitimer et d’asseoir sa nouveauté théorique.
25Le point essentiel et le plus remarquable du discours théorique de Laudun tient précisément à la question du traitement du temps, vis-à-vis de laquelle il adopte une position diamétralement opposée à celle de Sidney. Dans le dernier chapitre du cinquième livre « De ceux qui disent qu’il faut que la tragédie soit des choses faites dans un jour », Laudun prend ouvertement parti dans un débat qui sera effectif dans les années 1620-1630. Contrairement à l’avis de la plupart de ses devanciers (comme Jean de La Taille21), et contournant l’allusion qu’y fait Aristote dans la Poétique, Laudun conteste donc la validité de l’unité de temps, en avançant pour cela plusieurs arguments :
« Je n’avoy pas deliberé de traicter touchant ce que aucuns disent qu’il faut que la Tragedie soit des choses faictes en un jour et non en plusieurs comme l’on l’a faict de l’estat, vie et mort de quelques uns qui ne peuvent avoir eu des honneurs, des infortunes, donné des batailles, regné et morts en un jour, ains en l’espace d’un nombre d’ans : Attendu que ceste opinion n’est pas soustenuë d’aucun bon autheur approuvé. »
« La cinquiesme et derniere est que si quelqu’un a observé cela, sa Tragedie n’en a pas mieux valu, et que les Poëtes tragiques tant Grecs que Latins, et mesme nos François ne l’observent ny doibvent, ny ne peuvent observer, attendu qu’il faut que bien souvent en une Tragedie toute la vie d’un prince, Roy, Empereur, Noble ou autre y soit representée, et milles autres raisons que je allegueroy si le temps me l’eut permis, remettant tout à la seconde impression22. »
26Les deux premiers arguments tiennent à l’inventio du poème dramatique : l’unité de temps, par la contrainte qu’elle impose, nécessite d’introduire des éléments aberrants et contraires à l’embellissement du poème. Laudun conteste ensuite cette règle en prenant pour exemple la Troade de Sénèque ainsi que les tragédies de Sophocle et Euripide comme impossibles à faire tenir en un jour. Le quatrième argument reprend la définition de la tragédie donnée au chapitre iv en affirmant son inadéquation avec l’unité de temps (en incluant également le renversement du comique au tragique). Enfin, Laudun argue de la nécessaire liberté du poète, en s’appuyant ici encore sur l’exemple des tragédies antiques qui n’ont pas respecté ces lois.
27À travers ce point critique majeur, Laudun entend donc se démarquer de ses devanciers, et sa poétique du théâtre se distingue en cela radicalement de celle de Sidney. Son originalité s’affirme également au sujet d’autres points théoriques plus précis. Par exemple, lorsque Laudun plaide pour une multiplication des personnages sur la scène au chapitre vi23 ou surtout lorsqu’il revendique à plusieurs reprises la cruauté et la représentation d’événements sanglants et macabres comme des constituants dramatiques essentiels24. Si cette conception s’inscrit dans la continuité des mystères médiévaux et des tragédies renaissantes, elle nous fait évidemment penser à ce qui a cours au même moment dans la revenge tragedy anglaise, ou à ce que l’on peut trouver dans certaines pièces de l’entre-deux siècles en France : le Régulus de Beaubreuil, puis des pièces normandes comme la Tragédie Mahométiste ou la Tragédie du More cruel, pour ne citer que celles-là, feront de l’« effet sanglant » l’un des constituants essentiels de la dramaturgie tragique25. Ces éléments conduisent Laudun à développer d’ailleurs une réflexion assez élaborée sur les contraintes et les possibilités techniques de représenter ou non sur scène ce genre d’actions26. Malgré cette adaptation pratique à une forme de bienséance, qui privilégie l’utilisation du hors-scène et des coulisses, Laudun semble privilégier une conception du théâtre qui est justement celle que rejetterait Sidney.
Postérité(s) des textes
28Que disent, en dernier lieu, les arts poétiques de Laudun d’Aigaliers et Sidney sur leur contexte de parution et quel témoignage laissent-ils sur la production théâtrale de leur temps ? Les pièces françaises et anglaises à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle se conforment-elles à l’autorité critique de ces textes ? Quelle articulation entre réflexion théorique et pratique dramatique dessinent-ils ?
29Tout d’abord, L’Art poétique françois et l’Apology for Poetry divergent de manière essentielle dans la manière dont ils envisagent l’articulation et l’intrication des deux notions de plaisir et d’enseignement moral. Si Laudun affirme bien la visée morale de la comédie, ce qui le conduit à l’affilier à la moralité, il n’en reste pas moins qu’il promeut un modèle comique qui ne refuse pas des ressorts et des effets grossiers (en commun avec la farce), et des personnages qui l’entraîneraient dans le registre de la farce. C’est ainsi une conception du théâtre comme spectacle qui se dessine dans L’Art poétique, art spectaculaire donc, qui ne refuse pas et même se prononce en faveur de tout ce qui frappe l’œil et l’imagination du spectateur, comme dans la tragédie les effets sanglants et cruels représentés de manière directe ou indirecte sur scène, ou la multiplication effective des personnages à la représentation.
30Si d’un côté se révèle une esthétique spectaculaire qui, tout en prenant en compte la visée didactique du théâtre, l’annexe à l’effet esthétique recherché sur le spectateur, du côté de Sidney les termes sont inversés dans le cadre d’une vision qui idéalise la mission de la poésie, comme moyen d’atteindre le but suprême de l’homme, l’action vertueuse. Cette conception profondément morale implique donc une définition épurée de l’art dramatique et de ses catégories génériques, ce qui conduit par exemple à la préconisation exclusive des unités (notamment de temps et de lieu) et à un rejet clair de la tragi-comédie comme forme bâtarde. Or au moment où Sidney écrit son Apology la tragi-comédie est une forme très populaire en Angleterre, et ce pour quelques décennies encore, notamment avec celles de Beaumont et Fletcher puis avec les premières romances shakespeariennes : il apparaît ainsi un écart assez fort entre les principes de l’Apology et ce qui se passe en Angleterre dans les théâtres (d’où le peu de pièces retenues par l’auteur). Il n’est que de penser à la vogue des tragédies de vengeance, qui vont multiplier de plus en plus les effets sanglants, les morts sur scène, et mettre en scène une cruauté morale qui semble ne se donner aucune limite.
31Par ailleurs, cet écart se retrouve entre l’Apology et les œuvres mêmes de Sidney, puisque ces dernières se distinguent par exemple par un mélange des genres à l’œuvre dans les romans, et notamment la présence d’un comique assez grossier dans l’Arcadia. Il semble que la nécessité d’affirmer un modèle théorique sans concession, et cela dans le cadre de la dimension apologétique de l’ouvrage, de la mission de défense et d’apologie de la poésie en réponse aux attaques puritaines, ait conduit Sidney à condamner une forme poétique, le théâtre, comme trop perméable à la critique, et à rejeter les représentations dramatiques telles qu’elles existaient alors en Angleterre27. La position de Laudun semble plus nuancée : théorie et pratique paraissent marcher d’un commun accord, et la promotion théorique d’un nouveau modèle théâtral doit résonner avec sa pratique personnelle, et servir à asseoir sa position auctoriale (d’où l’intérêt de rompre en partie avec le modèle de Garnier). Ses deux pièces s’inscrivent ainsi dans un renouveau de la tragédie qui, sans rompre avec le modèle de Garnier, dresse des ponts entre la pratique théâtrale médiévale et une dramaturgie spectaculaire.
32Les deux textes ont-ils eu une postérité dans la pratique théâtrale et présententils en outre une image fidèle de ce qui se produit sur les tréteaux anglais et français ? L’Art poétique de Laudun semble avoir été peu diffusé et avoir eu peu de succès auprès de ses contemporains. L’Art poétique de Vauquelin de La Fresnaye, publié quelques années plus tard28, paraît avoir connu un sort plus favorable, alors qu’il paraît en définitive peut-être plus marqué par l’esthétique humaniste. Le texte de Laudun ne sera considéré que bien plus tard dans le XVIIe siècle, mais sans susciter d’approbation générale.
33L’Apology for Poetry occupe quant à elle une place particulière dans l’œuvre de Sidney, pour les raisons déjà évoquées. Sa vision très critique du théâtre élisabéthain est un corollaire de sa visée apologétique et de sa conception idéaliste de la poésie. Par ailleurs, ce premier véritable texte de critique littéraire en Angleterre paraît ne trouver que peu d’écho dans la pratique théâtrale, dont l’irrégularité intrinsèque contredit « en pratique » les principes poétiques. Cependant, il nous faut souligner que la pensée critique de Sidney exerça une influence conséquente au sein du cercle aristocratique et érudit réuni autour de lui puis, après sa mort, autour de sa sœur Mary Sidney, comtesse de Pembroke. L’œuvre dramatique de Samuel Daniel constitue l’illustration la plus flagrante de l’influence des principes poétiques du chevalier élisabéthain, et dont la justification se retrouve dans la volonté de rénover une langue et une littérature nationales perçues comme déliquescentes, en suivant des modèles théoriques hérités notamment, pour ce qui concerne le théâtre, de la tragédie humaniste française ou de la pastorale dramatique italienne. Mais, à la suite de Sidney, seul un Jonson nous paraît être redevable d’une telle vision classiciste et morale, et seul surtout à l’expliciter et à la défendre d’un point de vue théorique (comme dans le prologue de Every Man In His Humour ou dans l’induction29 de The Knight of The Burning Pestle). Mais alors que chez celui-ci la théorie critique a un rôle polémique, servant de crible à la littérature nationale, chez Jonson elle deviendra le fondement, le socle réflexif d’une pratique dramatique.
Notes de bas de page
1 L’Art poëtique françois de Pierre Delaudun Daigaliers. Divisé en cinq livres., à Paris, pour Anthoine du Brueil, au bout du Pont S. Michel, vis-à-vis le Marché neuf, 1597 ; éd. Jean-Charles Monferran et alii, Paris, STFM, 2000.
2 Sir Philip Sidney, Deffense of Poesie, Londres, William Ponsonby, 1595 ; éd. Albert Feuillerat, Cambridge, Cambridge University Press, 1923. Nous utilisons la traduction de Pierre Hersant (Apologie de la poésie, Paris, Les Belles Lettres, 1994).
3 Introduction de L’Art poëtique françois, éd. cit., p. xxvi-xxx.
4 Ibid., p. xxii-xxv.
5 Ibid., p. xxv-xxx et xc-xci.
6 Sur les pamphlets théâtrophobes et le théâtre, voir Jonas Barish, The Antitheatrical Prejudice, University of California Press, 1981 ; Patrick Collinson, The Puritan Character : polemics and polarities in early seventeenth-century English culture, Memorial Library, University of California, 1989 ; Sandra Clark, The Elizabethan Pamphleeters : Popular Moralistic Pamphlets (1580-1640), Londres, The Athlone Press, 1983, et Joad Raymond, Pamphlets and Pamphleteering in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.
7 « Pour venir à la définition de la Tragédie, qui est en estre maintenant, selon Aristote en son livre de l’Art poëtique n’est que […], c’est à dire imitation des propos et vie des Heros : car anciennement les Heros estoient demy dieux. Mais il faut entendre des hommes illustres et de grand reommée. Et selon ce mesme autheur, la Tragedie est le plus noble et parfaict genre de poësie qui soit. C’est pourquoy j’en ay voulu faire un livre à part : car pour le premier chappitre, qui traicte de la comedie, ce n’est quasi que comme prologue » (éd. cit., p. 198-199).
8 En se référant à la Préface de Donat aux comédies de Térence.
9 Éd. cit., p. 206.
10 Éd. cit., p. 192-193.
11 Comme le souligne Bénédicte Louvat-Molozay, Laudun « estomp[e] la frontière esthétique et idéologique posée par les théoriciens antérieurs entre théâtre à l’antique et théâtre médiéval » (éd. cit., p. xcix).
12 C’est ce que fait remarquer Michel Poirier (Sir Philip Sidney, le chevalier poète élisabéthain, Lille, Travaux et mémoires de l’université de Lille, Bibliothèque universitaire de Lille, 1948, p. 234) : « ses idées sur la fonction de la poésie offrent un curieux mélange de tradition médiévale et d’humanisme. Le but moral qu’il lui assigne est une survivance des siècles précédents, particulièrement vivace dans un esprit aussi grave que le sien, mais à l’allégorie chère à ses devanciers il substitue la présentation directe des principales vertus recommandées par Aristote, dont la morale de source antique et destinée à une élite exerce sur lui une double séduction ».
13 Sir Philip Sidney, éd. cit., p. 40.
14 Sir Philip Sidney, trad. cit., p. 94.
15 Éd. cit., p. 38.
16 Trad. cit., p. 89.
17 Éd. cit., p. 39-40.
18 Trad. cit., p. 93.
19 « Les actes sont les parties entieres de la Tragedie, et sont divisés par les chœurs et les chœurs commencent apres le premier, et finissent apres le quatriesme. Je ne sçay pourquoy Garnier n’a observé cela […] ; il semble qu’en cela il n’aye pas voulu observer les preceptes en les negligeant, ou qu’il ait failly pour ne tenir aucun ordre en ses Tragedies : toutesfois je n’en parleray pas davantage, de peur qu’il ne semble que moy qui ne suis qu’un nouveau apprentif, veuille reprendre un si docte et excellent personnage, qui a excellé en ce genre de poëme comme chacun sçait » (éd. cit., p. 212-213).
20 Sidney le cite pour dire qu’il ne faut pas commencer un récit ab ovo ou au sujet du caractère pénible du rire : « Nil habet infelix paupertas durius in se, Quam quod ridiculos homines facit. »
21 Dans son traité « De l’art de la tragédie », La Taille plaide en effet pour le respect des unités de lieu et de temps, ainsi que pour le respect des bienséances (dans Saül le Furieux, La Famine, ou les Gabéonites, tragédies, éd. Elliott Forsyth, Paris, STFM, 1968).
22 Éd. cit., p. 214 et 216.
23 Éd. cit., p. 209.
24 « Les choses ou la matiere de la Tragedie sont les commandemens des Roys, les batailles, meurtres, viollement de filles et de femmes, trahisons, exils, plaintes, pleurs, cris, faussetez, et autres matieres semblables… » (éd. cit., p. 202).
25 Sur la question de l’« effet sanglant », nous renvoyons à la thèse de Fabien Cavaillé, Alexandre Hardy et le rêve perdu de la Renaissance. Spectacles violents, émotions et concorde civile au début du XVIIe siècle, thèse de doctorat, université Paris 3, 2009 et à son ouvrage Alexandre Hardy et le théâtre de ville français au début du XVIIe siècle, Paris, Garnier, à paraître ainsi que, plus largement, à l’« Introduction » de l’anthologie Théâtre de la cruauté et récits sanglants en France (XVIe-XVIIe siècles), Christian Biet (dir.), Paris, Laffont, Bouquins, 2006, et à Raymond Lebègue, Études sur le théâtre français I, Moyen-Âge, Renaissance, Baroque, Paris, Nizet, 1977-1978.
26 « Plus les Tragedies sont cruelles plus elles sont excellentes » et, plus loin, « comme de faire demembrer un enfant, cuire les entrailles, et autres choses. La raison est pour ce que l’on ne le peut pas faire, car comment pourra-on demembrer un homme sur le Theatre ? l’on pourra bien dire qu’on le va demembrer derriere, et puis venir dire qu’il est demembré, et en apporter la teste ou autre partie. Je diray icy en passant que la moitié de la Tragedie se jouë derriere le Theatre : car c’est où se font les executions qu’on propose faire sur le Theatre » (éd. cit., p. 204-205).
27 « Mais j’ai prodigué trop de paroles sur ce sujet du théâtre ; c’est que, si la tragédie et la comédie constituent des parties importantes de la poésie, ou du moins les plus répandues en Angleterre, elles sont utilisées dans ce pays de médiocre façon. Toutes deux, comme des filles malapprises qui feraient voir une mauvaise éducation, laissent mettre en doute la vertu de leur mère, la poésie » (trad. cit., p. 97).
28 Il paraît dans Les Diverses Poésies du Sieur de la Fresnaye Vauquelin. À Caen, par Charles Macé, 1605. Comme le souligne Bénédicte Louvat-Molozay (Introduction, loc. cit.), il n’y est pas fait mention du texte de Laudun.
29 Une induction est une introduction dramatique à une pièce de théâtre et qui prend la forme d’un monologue ou d’un dialogue entre plusieurs personnages. Composées en même temps que la pièce ou rajoutées au moment de la publication du texte (comme c’est le cas de l’induction écrite par John Webster pour The Malcontent de Marston en 1604), les inductions représentent des échanges comiques et nous informent sur les conditions de mise en scène, de jeu ou de réception de la pièce en question. Plusieurs pièces de Jonson, comme Bartholomew’s Fair (1614), ou The Knight of the Burning Pestle de Beaumont et Fletcher (1607) sont ainsi précédées de ce type de textes.
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