Entrer en ville dans les années cinquante : les films du ministère de la Construction promeuvent l’accession à la ville moderne
p. 307-323
Texte intégral
1Dans l’après-guerre, la croissance ininterrompue et l’ampleur de l’extension des villes bouleversent le visage de la France urbaine. Introduisant la première d’une série de cinq émissions exceptionnelles à la télévision française, le ministre de la Construction Pierre Sudreau, le 30 octobre 1958, explique que l’objectif de la série est de « mieux faire comprendre les causes de la crise du logement » aux Français et de montrer que le pays est « à l’aube d’une civilisation urbaine nouvelle »1. En effet, si la ville héritée de l’avant-guerre et sa périphérie ne sont pas le modèle d’harmonie qu’on a dit2, la croissance des années cinquante finit de brouiller, notamment, la notion de limite de la ville. L’espace de la ville perd encore de son homogénéité, ses limites de leur visibilité, les relations avec l’extérieur ne s’effectuent plus par des lieux de passage contrôlés : on ne peut plus évoquer les entrées de ville dans les termes concrets du passé. Le fait d’entrer en ville a aussi perdu beaucoup de sa portée symbolique à mesure que la séparation stricte ville/campagne perdait de sa visibilité, et que le fait urbain devenait majoritaire en France.
2Pour autant, si l’entrée en ville ne s’effectue plus par un seuil monumental tangible (portes et enceintes ont souvent disparu), l’accession pour une part de la population à une ville nouvelle, présentée sous le jour de la modernité, mérite l’attention.
3C’est que des conceptions nouvelles de la façon d’habiter la ville apparaissent. Face à la crise aiguë du logement, les pouvoirs publics développent la recherche de solutions neuves. En créant en novembre 1944 le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, le gouvernement provisoire de la République française signe « l’acte de naissance de la première administration chargée du domaine urbain »3. Dés 1945, le ministère produit ou commande des films documentaires ou de fiction traitant du logement. S’il y est d’abord question de la Reconstruction, les plans et réalisations de constructions massives apparaissent dès 1948. Les questions abordées sont nombreuses, des méthodes de construction à l’organisation, envisagée à tous les niveaux : aménagement du territoire, urbanisme, architecture, disposition des appartements.
4Des collections disponibles, on a retenu les productions commandées par le ministère de la Construction entre 1945 et 19664. Les années cinquante sont une période de forte production, alors que dans le courant des années soixante, la « RTF5 engage le ministère dans une fonction de repérage pour les besoins de films et d’émissions destinés au grand public de la télévision »6 : de fait, seuls deux films de cette décennie ont été retenus, les commandes cessant en 1966 pour retrouver un rythme soutenu à partir de 1973. On a écarté les documents portant exclusivement sur la Reconstruction ou la promotion de nouvelles techniques de construction, pour privilégier ceux qui évoquent l’évolution du logement en ville, les projets et réalisations d’immeubles d’habitation en cours, la place des citadins dans ce cadre nouveau.
Des émissions hétérogène aux objectifs convergents
5Les neuf films qui traitent de ces questions sont le fruit de commandes du ministère, parfois associé à d’autres organismes financeurs7, auprès de plusieurs sociétés de production, pour des films aux formes variées, puisque des documentaires côtoient un film d’animation et deux fictions. Tous sont plutôt brefs, pour des questions de coût, mais aussi sans doute pour faciliter leur diffusion.
6Ce dernier point n’est pas éclairci à ce jour. Ces neufs films ne sont pas répertoriés par la base « Archives » de l’Inathèque de France, qui inventorie les émissions diffusées et produites ou co-produites par la RTF (puis l’ORTF) ; l’incertitude demeure donc quant à un possible passage à l’antenne8. Les recherches auprès du Centre national de la Cinématographie ont été aussi infructueuses concernant une éventuelle diffusion en salles. Le format récurrent d’un quart d’heure et la présence des Actualités françaises parmi les producteurs laissent pourtant présager que certains documents ont été projetés comme films d’actualité. Enfin, certains films ont été diffusés à l’occasion de réunions et de colloques9.
7L’analyse des documents eux-mêmes permet d’avancer une hypothèse. La variété des animations (cartons, schémas, plans, dessins fixes ou animés), quelques digressions pédagogiques et un ton percutant (mettant en œuvre un montage nourri de contrastes forts, un commentaire au ton dramatique ou humoristique, une musique originale en conséquence) montrent l’importance accordée à la qualité de ces réalisations et la volonté de faire des films attrayants et informatifs, au coût sans doute parfois élevé. Ces films vantant la politique ministérielle sont donc sans doute destinés au grand public, et donc à une large diffusion10.
8Enfin, l’analyse du contenu fait aisément ressortir des passages portant la marque plus ou moins profonde de consignes ministérielles. Au souci pédagogique et aux longues digressions historiques évoqués à l’instant, ajoutons les chiffrages précis qui semblent fournis par le commanditaire, le ton volontariste et rarement négatif, la volonté de montrer le plus possible de réalisations.
9La documentation disponible pour les deux documents les plus récents vient confirmer cette hypothèse. Pour Le Temps de l’urbanisme, le ministère avalise le projet de scénario « sous réserve d’un certain nombre de modifications », puis fournit au producteur une liste de sites de prises de vues éventuelles. Ce qui fait dire au producteur, trois ans plus tard, qu’il a réalisé « un film “maison”, un plaidoyer pro-domo ». Dans le cas de La Cité des hommes, après projection au ministère, on demande à la production de « reprendre la fin du film » et un passage « peu rentable au point de vue propagande ». Finalement, le responsable des relations publiques annonce au ministre la diffusion télévisée en indiquant dans sa note dactylographiée que le scénario est dû à un membre du Cabinet de M. Maziol, son prédécesseur, et le commentaire au Directeur de l’Aménagement Foncier et de l’Urbanisme, avant d’ajouter, dans une note manuscrite agrafée à la première : « je vous rappelle que ce film est une vision assez pessimiste de l’urbanisme des dix dernières années. Tel quel, il peut par contre être un excellent point de départ pour notre campagne d’information sur notre conception et notre activité en matière d’urbanisation nouvelle ».
10Au total, si chacun des films du corpus porte la touche personnelle de son réalisateur, tous reflètent plutôt fidèlement les positions du ministère, initiateur et financeur pour le compte de l’État. Cela vaut aussi pour la série d’émissions télévisées Problème de la construction, évoquée en introduction, produite par le ministère de la Construction. Si le journaliste Pierre Sabbagh en est le maître de cérémonie, c’est pour mieux « mettre en valeur » le ministre de la Construction Pierre Sudreau, selon les propres termes de l’éditorialiste de Télérama qui loue la franchise et l’honnêteté du propos de cette série11. D’ailleurs, P. Sudreau présente et interroge lui-même certains de ses invités et garde le soin de conclure chacune des émissions en défendant, face à la caméra et aux téléspectateurs, la politique qu’il élabore sous l’autorité du général De Gaulle12.
11Tous les documents procèdent à l’identique pour dérouler le contenu de leur propos : au constat filmé on cherche des causes puis on propose des solutions, à l’état de projet ou déjà construites. Après avoir relevé les principaux moments de cette trame explicative, en traitant du rejet du passé puis des réponses aux nouveaux besoins, on tentera de mettre en évidence les conceptions qui transparaissent sur la place du citadin dans la ville en devenir.
Rejet de la ville héritée de l’avant-guerre, de son parc immobilier insuffisant et dégradé
12D’abord, les documents veulent marquer la gravité de la situation. Le film Se loger (1948) ouvre sur ce constat : « Aujourd’hui, la situation est angoissante ». C’est bien « le problème numéro un de la France d’aujourd’hui » à en croire le commentaire de Maisons d’Alsace (1953), et P. Sudreau explique en 1958 aux téléspectateurs qu’il « [vient] ce soir [là] parler de choses difficiles, pénibles, douloureuses même, [qu’il vient leur] parler de la crise du logement ». Le ministre consacre d’ailleurs l’essentiel de la première émission à la diffusion du documentaire La Crise du logement, « un film dur, agressif […] même pour les pouvoirs publics »13.
13C’est en effet un témoignage à charge, montrant les façades délabrées et les ruelles nauséabondes des îlots insalubres, les logements surpeuplés, les garnis, les constructions en tôle des bidonvilles, en ponctuant cette accumulation d’images d’autant de chiffres édifiants (96 % de logements versaillais sans tout-à-l’égout, 400 000 habitants de la Seine vivant dans des hôtels ou des meublés…). Dans Se Loger (1948), réalisé en pleine Reconstruction, si on dénombre 200 000 logements manquants, on souligne que seuls huit des douze millions de logements existant sont jugés sains, sans oublier « ce dernier échelon dans les valeurs d’habitation, le taudis, cette lèpre dont il faut que l’on sache qu’elle touche plusieurs centaines de milliers de familles ». La fiction Cités du soleil (1958) utilise un autre biais, faisant découvrir le cadre de vie de familles réelles, ce qui humanise les statistiques et renforce l’émotion suscitée par la situation. La série de 1958 est encore l’occasion de commenter de nombreuses images de logements insalubres, en tentant de matérialiser les statistiques (parallèle entre les 18 000 mal-logés de l’îlot 11 à Paris et la population totale de Sens).
14Images, chiffres et commentaires brossent un portrait cru et sombre de la situation du logement dans toute la France. Ils laissent transparaître des critiques convergentes de la ville héritée de la Révolution industrielle ; le poids de cet héritage, les décisions politiques de l’entre-deux-guerres et la Deuxième Guerre mondiale sont convoqués pour expliquer la situation actuelle.
15D’abord, certains documents revisitent l’histoire des villes, remontant au Paris du xive siècle (Demain Paris), aux châteaux forts (Des maisons et des hommes), aux huttes (cinquième épisode de Problème de la construction), voire aux cavernes (Pierres oubliées). Mais les dessins s’en tiennent le plus souvent à l’anecdotique, sauf lorsqu’ils évoquent le bouleversement qu’a produit la Révolution industrielle sur les villes françaises et que les animations présentent des cheminées de briques poussant au hasard des pâtés de maisons, noircissant de leur fumée les cieux urbains. Un plan de La Cité des hommes (1966) résume cette critique : un long panoramique dirige le regard du clocher d’une église proche, au cœur d’un centre ancien, vers des constructions plus lointaines, récentes, de trois ou quatre étages, rejetées à la limite du village, en contrebas, alors que le commentaire note qu’au xixe siècle, « la révolution industrielle a semé sa lèpre au pied des remparts ».
16Le constat historique est complété par une analyse économique et politique des raisons du manque de construction depuis le début du siècle, notamment dans l’entre-deux guerres. Les deux documents qui apportent des éléments concordants (Se loger (1948), Problème de la construction (1958)) évoquent le blocage des loyers depuis 1914, qui a fait passer la part du budget familial consacrée au logement de 16 % à cette date à 2 % en 1948 en France, l’équivalent d’une semaine du salaire annuel d’une famille, de l’achat de deux journaux chaque jour. Cette première cause a accentué la deuxième raison de la crise, l’augmentation du coût de la construction, et surtout des matériaux. P. Sudreau y ajoute l’insuffisance de politique du logement dans le pays de longue date, ne précisant pas ce qu’il entend par « le poids des entraves administratives » et expliquant la lente montée en puissance de l’effort de construction, puisque c’est tout un secteur qui est peu à peu réformé depuis la création du ministère en 1944.
17D’autant, complète-t-il, que la priorité de l’après-guerre a été la Reconstruction. Celle-ci bat son plein lorsque Se loger montre en 1948 des immeubles anonymes troués par les obus. On choisit ensuite des cas plus précis, plus évocateurs : Caen, détruite aux deux tiers, Le Havre, rasée en trois minutes, ses 50 000 sans-abri (Caen relève ses ruines (1950), Des maisons et des hommes (1953)). Le premier chiffrage global dans les documents étudiés date de 1958. Le ministre Sudreau compte qu’il a fallu détruire 1 300 000 logements rendus inhabitables, avant de se féliciter que l’œuvre de Reconstruction soit quasiment achevée et de proposer aux téléspectateurs un tour de France des réalisations. Ajoutant les conséquences de la Première Guerre mondiale, avec le bénéfice du recul, le documentaire Le Temps de l’urbanisme (1962) compte, Reconstruction comprise, « six millions de logements à construire ou à restaurer en moins de vingt ans » au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
18Les critiques, visant certaines portions de l’espace urbain, portent finalement sur la ville entière, « les monstrueuses villes-usines » (Des maisons et des hommes), le « noyau grouillant » qu’est Paris. Mais ce procès de l’expansion anarchique est surtout fait à la banlieue de Paris. Le film d’animation Demain Paris (1959) évoque « un monstre sans tête ni queue, la banlieue, [qui] grandit chaque année d’une lieue », « l’affreux phénomène appelé cités dortoirs ». Les commentaires accablés lus par P. Sabbagh pendant que défilent des images de la ville de Goussainville, dans le quatrième épisode de 1958 utilisent les mêmes vocables, qu’il s’agisse de s’étonner de « cette étrange cité champignon, absurde ville ouvrière sans usines, perdue au milieu de la campagne », véritable « cité dortoir », ou de lui trouver un nom : « agglomération monstrueuse », « ce conglomérat misérable, incohérent, qu'il faut bien appeler une ville, puisqu'il faut lui donner un nom »14.
19En fait, la banlieue telle qu’on l’a laissée se développer a les caractéristiques d’une tumeur : pas de cohérence interne, une croissance anarchique, apparemment sans limites, menaçant d’étouffer la capitale. Cette métaphore dépréciative symbolise la crise du logement à laquelle la profusion de chiffres et d’images ont tenté de donner corps.
20En lui-même, ce portrait peu flatteur de la ville et de la banlieue dessine, en creux et par contraste, le projet d’une ville différente, dont les qualités seraient l’exact réponse aux critiques qu’on attribue à la cité héritée des siècles passés. Ce projet ne se lit pas seulement à travers les lignes critiquant la réalité présente, il est aussi annoncé sous la forme de projets puis montré dans ses premières réalisations, en même temps qu’on énonce les principes qui prévalent à son élaboration. Cela se fait dans une temporalité différente de celle des critiques qu’on vient de considérer : là où les diverses causes du problème du logement étaient convoquées en même temps dans les quatre documents qui traitent le plus de ces questions (ceux de 1948, 1958 et 1962), l’exposé des solutions et la présentation des réalisations sont modifiées dans le temps, influencées par les premières réalisations comme par l’évolution de la politique menée.
Des besoins accrus appellent la mise en œuvre de solutions nouvelles
21Un facteur contemporain s’ajoute aux précédents, qui porte ses effets tout au long de la période étudiée : la poussée démographique. En 1954 (Maisons d’Alsace), quand on expose la situation du logement à Strasbourg, « le développement continuel de la population » est avancé comme critère explicatif. Deux facteurs se mêlent sans être différenciés : la croissance démographique (« notre population passe en effet de 41 millions d’habitants en 1936 à plus de 46 millions en 1961 », Le Temps de l’urbanisme) et la migration vers les grandes villes (200 000 résidents de plus par an dans l’agglomération parisienne selon Le Temps de l’urbanisme). Ce mouvement massif vient accroître les besoins.
22Dés 1948 (Se loger), au-delà de la Reconstruction, on compte 300 000 logements à construire chaque année pendant trente ans pour éradiquer la pénurie, chiffre confirmé dans les deux premiers documents à tenter une synthèse nationale en 1958 (Cités du soleil et Problème de la construction). On compte aussi ce qui a été réalisé depuis la fin de la guerre : la Reconstruction touche à son terme et 270 000 des 420 000 logements mis en chantier depuis dix ans ont été terminés. Mais le rythme atteint n’est pas encore suffisant. Heureusement, quand en 1958 le ministre interroge l’invité « qui représente parmi nous la voix des entrepreneurs français, des constructeurs français » sur les capacités annuelles de construction, ce dernier juge qu’on peut même faire mieux que 300 000. D’ailleurs, dès 1962, on annonce que « les grandes urgences sont en voie d’être satisfaites ».
23Tous les films expliquent ou sous-entendent que l’ampleur inédite des besoins nécessite l’intervention de l’État à plusieurs niveaux, avant de détailler ce que le ministère entreprend.
24Le propos de Se loger (1948) relève les deux clés nécessaires au succès : « augmentation de la part des revenus consacrés au loyer » et « diminution du prix de la construction ». La première condition, par nature impopulaire, n’est à nouveau évoquée que par P. Sudreau, à dix ans de là (Problème de la construction, n° 2), lorsqu’il annonce des augmentations de loyers, « l'équivalent d'un paquet de Gauloises » pour les reclassements les moins importants15. La seconde, le coût de la construction, montre la conscience dès 1948 de la nécessité de la fabrication en série, de « l’organisation des chantiers, avec un outillage à grand rendement et selon des méthodes rationnelles de travail ». Cette année là, quelques images présentent déjà de petits immeubles collectifs identiques, quand les vues de travaux font encore apparaître des chantiers de construction traditionnelle dans Caen relève ses ruines (1950). Dans Maisons d’Alsace (1954), après avoir expliqué la nécessité « d’édifier des quartiers neufs », on montre l’exemple d’un « espace de neuf hectares [sur lequel] on a décidé de loger deux milles personnes » où les travaux de voirie doubleraient le prix de la construction de maisons individuelles. Les caméras passent alors du projet à sa matérialisation : les barres de la cité Rotterdam regroupent 806 logements construits en un peu plus d’un an.
25Visiblement, un nouveau type d’habitat correspond le mieux à ces exigences de rapidité, de coût et de quantité, enfin nommé en 1958, quand l’architecte de Cités du soleil fait visiter des réalisations récentes à un homologue étranger : « Vous voyez, on tend à développer les grands ensembles16 comme celui-ci. Cela coûte moins cher, on peut utiliser des techniques industrielles, de nouveaux procédés ». La série d’émissions de 1958 les explique aux téléspectateurs, montrant avec quelle facilité on manipule les nouveaux engins utilisés et on assemble les éléments préfabriqués des immeubles d’habitation. Chacun doit prendre conscience du bouleversement que vit le secteur de la construction et de la nécessaire normalisation de la demande. On y revient dans le quatrième épisode : pour « mettre de l'ordre dans la banlieue [il faut] construire plus, moins cher, mieux. Pour cela une seule solution : construire par grands paquets de milliers de maisons, par ensembles d'habitations ». Ce n’est que lorsque les besoins les plus urgents semblent satisfaits (Le Temps de l’urbanisme, 1962), que l’on se permet d’évoquer les inflexions des « conceptions officielles », qui s’ouvrent au goût de la population pour un habitat personnalisé, individuel, et proposent le compromis du petit collectif, à défaut de pouvoir promettre à chacun « la demeure familiale blottie dans son coin de verdure ».
26La planification de la construction à l’échelle de la métropole est évoquée en 1953, à travers « ce miracle de l’aménagement idéal du territoire » entre Paris et Le Havre. Mais l’effort de vulgarisation de la notion d’aménagement du territoire commence vraiment en 1958, en même temps qu’on multiplie les images d’un pays parsemé de constructions nouvelles (vue aériennes dans Cités du soleil en 1958, commentaire de photos en plateau dans la série de la même année, pour illustrer les deux tiers du commentaire du Temps de l’urbanisme en 1962). En revanche, la planification à l’échelle de la ville apparaît plus tôt. En 1948, on demande déjà aux collectivités locales de lutter contre la construction anarchique, érigée en repoussoir, au profit d’un plan d’ensemble cohérent, facteur d’harmonie. Des dessins de tours d’habitation et de cheminées d’usines sur le plan du Havre préfigurent les nouveaux espaces d’une ville qui « pourra se développer, plaçant là ses habitations, localisant ici ses usines » (Des maisons et des hommes, 1953).
27Mais les grands ensembles sont le plus souvent construits sur des espaces vierges, en dehors ou en périphérie des villes existantes : dans les films postérieurs, la réflexion théorique en fait des objets (quasi) autonomes, dont on décline exhaustivement les équipements et les services. La maquette du grand ensemble dans Cités du soleil (1958) présente « un toit harmonieux, avec les fonctions, avec les services publics… comme un organisme vivant », tel autre projet doit devenir un « quartier de Paris » dont on veut tenter de « recréer un centre-ville » autour du « building administratif », avec plus loin le centre artisanal, les commerces, les écoles, la MJC (Problèmes de la construction, 1958). Et le dessin permet de faire œuvre d’anticipation, en créant ex nihilo les « cellules urbaines de demain », qui rejettent transports et industries à l’extérieur d’un sanctuaire vert et piétonnier consacré aux logements, aux écoles et au centre commercial (épisode La France de demain, 1958), voire « la couronne hardie des satellites de Paris » (Demain Paris, 1959), où « le cœur d’une ville doit battre ».
28À cette vision souvent anthropomorphique des projets, évoquant les grands ensembles comme des organismes cohérents et autonomes, la présentation des constructions déjà réalisées ne répond que partiellement. Le lieu de travail n’est presque jamais évoqué en dehors de cas particuliers comme Mourenx ou Saint Nicolas en Forêt, où « les fumées du travail ne sont plus, derrière un rideau d’arbres, qu’un souvenir » (Le Temps de l’urbanisme). Les tours de France proposés en 1958 et 1962 se contentent de montrer les logements constituant ces nouveaux ensembles (Sarcelles, qui « possède tous les équipements d’une ville », et la cité de Marly le Roi, qui forme « un ensemble cohérent », font exception en 1962). Impossibilité de filmer ce qui n’existe pas ou volonté de montrer un maximum de sites, sans détailler les équipements ? Les films construits sur un cas précis font le choix d’ensembles exemplaires : Maisons d’Alsace accorde une large place à l’école, naturellement « édifiée au centre du futur parc » de la cité Rotterdam17, le scénario de Cités du soleil promène les acteurs d’un équipement à un autre.
29La solution des grands ensembles18 est donc la principale réponse apportée au problème du logement, parce que la plus économique et la plus rapide à mettre en œuvre. Ceux-ci parsèment le pays, essentiellement à la périphérie des grandes villes, dont ils se veulent des satellites modernes et autonomes, même si les images montrées ne correspondent pas complètement aux projets qu’on continue de dessiner pour les villes de demain.
De nouveaux principes générateurs d’une ville et d’une vie nouvelles
30On pourrait imaginer que le propos de ces films et émissions se limite à présenter les solutions que met en œuvre l’État. En fait, la présentation de cette nouvelle forme d’habitat est accompagnée de réflexions sur les principes de sa conception architecturale et environnementale comme sur la vie qui devrait s’y développer. On promeut une vision de la société en construction marquée du sceau de la modernité.
31Si les tours et les barres répondent à des impératifs de coût, de rapidité de construction et de standardisation, elles sont aussi le fruit d’une réflexion architecturale très influencée par la Charte d’Athènes. Il n’y est jamais fait référence explicitement (Le Corbusier et son œuvre sont peu cités), mais le discours porte sa marque, comme lorsque P. Sudreau énonce les facteurs explicatifs de « l’aube d’une civilisation nouvelle » : « la circulation automobile a complètement modifié le visage des villes […] Les citadins ont besoin d’air, de lumière ». L’influence est évidente concernant la conception des bâtiments et l’organisation des grands ensembles, par exemple pour la séparation des espaces dévolus à l’automobile et au piéton (1958, 1959).
32Mais l’essentiel concerne la relation de l’Homme aux “éléments”, aux conditions du développement harmonieux des/dans les grands ensembles. Dès 1950, on affiche la volonté de fournir « de l’air et de la lumière » aux bâtiments de la Reconstruction de Caen. En 1952, on promeut « des groupes d’habitations disposés dans des parcs, quitte à regagner en hauteur la place cédée à la verdure ». Les premiers mots de Des maisons et des hommes (1953) déclinent tous les aspects de la question : « Rêve. Rêve de verdure, rêve de soleil, d’espace, d’eau, d’air pur », avant d’insister sur le nécessaire retour de l’homme vers la “nature”. Le plus souvent, le montage alterné d’images de taudis et de réalisations récentes souligne le saut qualitatif nécessaire. Ainsi en 1954 : « aux rues étroites et sombres, aux maisons sans air, entassées l’une sur l’autre et interdites au soleil, sans possibilités d’hygiène, s’opposent ces façades dégagées, ces baies ». Et, dans le cinquième épisode de Problème de la construction (1958), l’architecte Labourdette d’avancer que « la ville de demain, c’est la ville verte, la ville organisée […] pour distribuer à chacun sa part d’air, de soleil ». Les notions de “verdure” et de “nature” restent interchangeables et floues, comme lorsque P. Sudreau et P. Sabbagh décrivent en 1958 un nouvel ensemble19.
33La préoccupation pour le cadre de vie est visible, ses accents hygiénistes manifestes. Elle transparaît aussi dans la description d’intérieurs modernes. Présentant un appartement témoin, la fiction Les Pierres oubliés (1952) nous dit combien ce dernier, bien que « pas très grand », est beaucoup mieux conçu que ceux du passé, en décrivant divers gains de place. Seuls les films de 1950, 1954 et 1958 présentent de vrais intérieurs et la rationalité de leur aménagement (plutôt que d’évoquer l’exiguïté des lieux). Le deuxième détaille l’équipement : « eau chaude, séchoir, vide ordure, chauffage collectif par le plancher. Les familles les plus humbles peuvent ainsi prétendre à ce confort jadis inaccessible ». Le troisième nous montre les larmes d’une mère de famille nombreuse alors qu’elle découvre le logement moderne qui vient remplacer la pièce unique dans laquelle s’entassaient sept personnes jusque là. Une fois encore, narration et montage usent du contraste, ici pour dire les progrès de l’hygiène, l’élévation du niveau de confort et d’équipement : l’amélioration du cadre de vie se mesure aussi à l’échelle des appartements. Il faudrait aborder encore l’idée qui transparaît notamment dans la présentation de Sarcelles et ses « dix mille logements égaux, alignés, et tous avec l’eau chaude, tous avec une salle de bain » (1966) : l’égalitarisme aussi vaut comme critère de promotion de cet habitat moderne.
34Au-delà de l’aspect pathogène des taudis, le documentaire diffusé dans le premier épisode de Problème de la construction veut dire clairement la nature criminogène de ces lieux. Après avoir dénoncé « les atteintes à l'hygiène publique et privée », l’auteur émet un diagnostic sur les conséquences sociales de la vie dans le taudis :
« Dans le domaine de la délinquance juvénile encore, un rapport officiel établit que la proportion d'enfants inadaptés est quatorze fois plus grande dans les logements surpeuplés ou défectueux que dans les autres. […] Mais les taudis subsistent […] convoyeurs des hôpitaux, des prisons, et des trottoirs. Et cependant, leurs habitants ne sont, contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, ni des asociaux, ni des vaincus20. Ils ne sont pas prédestinés au vice, au crime, à la saleté. Ils sont, comme l'on dit, récupérables à 99 % dès qu'ont disparues les causes de leur misère. À Roubaix, à Bordeaux, à Pantin, partout où les habitants de taudis ont été dans des locaux neufs, la réussite a été totale […] la réadaptation acquise dans les premiers jours. »
35D’autres films partagent ce constat des « gosses à la rue, pépinière de l’enfance délinquante » (Se loger, 1948). Et certains utilisent cette construction narrative contrastante dans des termes identiques : « aux tristes jeux des enfants voués aux ruelles malsaines […] s’oppose la joie qui règne dans les immeubles et les jardins de la cité Rotterdam » (1954), « les trottoirs malsains où jouaient les petits Marseillais sont élevés aujourd’hui à hauteur des collines, tout près du soleil » (1962).
36La surreprésentation des enfants procède de plusieurs logiques. D’abord, ce sont les premières victimes des mauvaises conditions de vie dans les taudis, ainsi que les plus à même d’émouvoir le spectateur. Ensuite, s’ils animent tant de prises de vue des grands ensembles, c’est parce que c’est réellement eux qu’on retrouve le plus au bas des immeubles. Et ils attestent ainsi que ces quartiers modernes sont peuplés de jeunes couples, incarnations “naturelles” de l’insouciance et de la joie de vivre qu’on présente comme constitutives de la vie moderne21. D’ailleurs, les enfants semblent effectivement être une des préoccupations majeures des concepteurs de grands ensembles : leur place, à l’abri de la circulation automobile, est au cœur des nouveaux quartiers. Citons l’école de la cité Rotterdam, les toboggans à l’Haÿ-les-Roses (Problème de la construction n° 4) installés au milieu des bâtiments, sous le regard protecteur des mères depuis leurs fenêtres.
37Cette importance particulière accordée aux enfants tient pour partie à la capacité d’adaptation qu’on leur prête. Ce nouvel environnement doit les y aider, puisque, à en croire le commentaire de Maisons d’Alsace (1954), « au pied des immeubles, l’école joue un rôle nouveau. Vivant dans des maisons de conception moderne, les enfants vont apprendre à les utiliser, car savoir habiter, c’est aussi un art ». Ainsi, les enfants apprennent « les principes les plus élémentaires de la propreté ».
« Pour les plus grands […] une grande place est faite à la préparation des élèves à la vie du foyer. Les cours d’enseignement ménager familiarisent les jeunes filles avec les appareils culinaires, les mêmes qu’elles retrouveront dans leur logis, et qui étaient restés bien souvent des ustensiles inconnus de leurs mamans. Vue sous cet angle, l’école devient un véritable centre d’apprentissage de la vie domestique. Elle prépare le foyer familial ».
38Dès qu’on évoque la famille, le modèle traditionnel est reconduit : le père part travailler au loin et rentre tard, la modernité pour la femme se limite au confort accru de son quotidien de ménagère (1953, 1954, les familles sarcelloises de La Cité des hommes, 1966). Et, en détaillant l’utilisation de chaque pièce, presque de chaque placard, la visite des intérieurs en 1954 procède de la même logique que celle promue par l’école : le film fait office d’authentique mode d’emploi pour une vie nouvelle.
39Dans le dernier épisode de Problème de la construction, deux architectes exposent leur vision plus explicitement. L’un juge que la ville nouvelle « doit être humaine, […] attractive, […] récréative, éducative, sociale. La cité doit être une école de formation pour l’homme », l’autre va plus loin, enjoignant les téléspectateurs à « accepter [leur] époque », sans « commencer immédiatement par se demander comment on va pouvoir placer l’armoire de sa grand-mère ». À ses yeux, « le véritable problème c’est de tenter de révéler un charme et un humanisme à la vie actuelle ». L’homme nouveau doit s’adapter à ce cadre de vie moderne. Au contraire, dans d’autres épisodes, P. Sudreau explique que « remodeler les villes, c’est en fait adapter des structures urbaines à la vie moderne […] et construire, c’est chercher aussi à apporter le bonheur aux hommes », puisque « le but vers lequel nous tendons tous nos efforts, [c’est] la joie de vivre » Ailleurs, on appuie cette primauté accordée à l’homme, parfois dès le titre (Des maisons et des hommes (1953), Cités du soleil (1958), La Cité des hommes (1966)). Le premier de ces films conclut sur « des hommes et des femmes [qui] se lèvent, travaillent et se couchent dans un cadre et un climat qui leur permettent de retrouver le sens de la vie », l’architecte du deuxième estimant lui que « la ville, ça a un corps, une âme, ça doit rendre heureux, aider à faire de la vie quelque chose qui vaille la peine d’être vécu ».
40Certes, il s’agit de projections dans le futur ; Sarcelles, malgré ses équipements dignes d’un centre-ville, n’a pas encore trouvé « une âme de cité », mais on attend beaucoup des Maisons des Jeunes (Le Temps de l’urbanisme). Et puisqu’on considère que les enfants d’aujourd’hui sont les hommes qui habiteront « la ville de demain », c’est Maurice Herzog, Haut Commissaire à la Jeunesse et aux Sports, présenté comme le « porte-parole de la jeunesse », qu’on interroge pour connaître les désirs de celle-ci (Problème de la construction, n° 5). En 1966 encore, les plans désincarnés des travaux dans La Cité des hommes sont humanisés, en conclusion, par les jeux d’un groupe d’enfant, tandis que le commentaire se termine par ces mots : « les enfants d’aujourd’hui donneront vie à ces façades toutes neuves et encore un peu froides […] Sur la ville des pierres, ils édifieront la cité des Hommes ».
41Ce ton clairement prospectif est surtout notable à partir de 1958. Parfois, le titre lui-même est évocateur, comme pour le dernier épisode de 1958, qui présente sur des plans et à travers des dessins La France de demain, imité l’année suivante par Demain Paris. En 1966, La Cité des hommes est d’ailleurs le premier des documents à évacuer la réflexion sur le passé, pour se concentrer sur l’actualité et l’avenir de la construction. Cela coïncide dans les films avec l’accroissement d’images de bâtiments terminés. Tout se passe comme si, par cette projection dans le futur, on voulait détourner le regard de réalisations qui ne sont pas à la hauteur des espérances.
42Si les images portent assez tôt en elles une part de condamnation, c’est à partir de 1962 que les commentaires recèlent quelque critique. Les films initiés par le ministère sont en quelque sorte contaminés : la presse comme le cinéma se font déjà l’écho, à partir de 1959, de critiques issues du discours expert22, la sarcellite est “inventée” vers 1960. Le ministre lui-même exprime en interne de fortes réserves sur les grands ensembles réalisés, mais sa parole publique reste positive et optimiste, la série de 1958 est l’occasion de faire montre de détermination. En termes de politique et de communication publiques, ce sont bien les « années schizophrènes » décrites par Annie Fourcaut23. L’émission Faire face : le logement, diffusée le 29 septembre 1961, marque une rupture. Ce soir là, de nombreux contradicteurs remettent en cause la politique menée par le ministre, ce qui lui fait dire, dans un sourire crispé, que « c’est vraiment la soirée des règlements de compte »24. Le public accède désormais à la parole et porte sa part de critiques, même si la télévision reste pour l’essentiel sous contrôle.
43Avant cela, pendant une longue décennie, malgré la diversité des formes et des angles d’approche, les productions initiées par le ministère lui ont permis de présenter un discours construit sur la question du logement pour tenter de convaincre le public par l’image.
44Rejetant les taudis et d’une certaine façon, par synecdoque, la ville entière telle que le pays semble l’avoir héritée, les pouvoirs publics promeuvent la solution des grands ensembles comme réponse pratique à la crise du logement car rapide, massive et peu onéreuse. Ce nouvel habitat est érigé en modèle d’un nouveau mode de vie, présenté comme l’exact contraire de ce que produisait la ville jusque là. Les films et la série d’émissions commandés par le ministère sont l’occasion de mettre en avant les principes hygiénistes qui semblent prévaloir pour ces réalisations. À de nombreuses reprises, on fait des enfants les prescripteurs de la modernité de la vie qui va se développer dans ces ensembles, puisque leur âge est censé les prémunir des “archaïsmes” de leurs parents. Là où quelques uns laissent même entendre qu’il faut adapter l’homme moderne à son nouvel environnement, la plupart présentent des ensembles supposés contribuer à l’épanouissement et au bonheur de leurs occupants. Les images trahissent pourtant l’échec partiel du projet dès les premières réalisations, mais, si quelques critiques s’élèvent au début des années soixante, le discours reste optimiste et se tourne vers l’avenir et la promotion de la « ville de demain ». On estime que la modernité ne peut pas décevoir les populations nombreuses amenées à vivre dans ces nouveaux quartiers.
45Dans les faits, c’est réellement une large part de la population française qui s’installe peu à peu dans les grands ensembles, et qui accède pour la première fois aux attraits de la modernité. Ainsi, en 1963, 63 % des 27000 habitants du grand ensemble de Sarcelles déclarent qu’ils n’avaient jamais eu de logement jusque là, les autres déclarant avoir été cantonnés à un habitat dégradé25. En 1961, P. Sudreau explique qu’ « avant quatre ans, un Français sur quatre vivra dans un logement neuf »26. La foule des mal logés était impressionnante, la quantité d’immeubles construits l’est autant. C’est bien un phénomène massif d’accès à la ville moderne qui est à l’œuvre.
46De fait, les grands ensembles permettent à une large part de la population d’entrer en ville, par l’accès à un logement et un quartier nouveaux.
47Ils accèdent à un habitat normalisé, à un confort jusque là inconnu, à des services plus proches. Ils deviennent des citadins au même titre que les autres. Et comme cela se fait dans le cadre de quartiers nouveaux, amenés à constituer le lieu de développement d’un mode de vie moderne, les films sont construits comme des modes d’emploi qui doivent permettre à chacun de se familiariser avec ce nouveau cadre de vie.
48La nature même de ces espaces constitue pourtant une limite que les films reconnaissent en continuant de se projeter dans l’avenir des enfants plutôt que dans le présent des adultes : ces quartiers n’ont pas encore tous les caractères de l’urbain, ils n’ont pas son « âme ». Les pouvoirs publics admettent implicitement les limites de leur action en s’en remettant aux facultés d’adaptation de la jeunesse, sans livrer des quartiers à la hauteur des prétentions affichées publiquement. Sur le terrain, la population, encore privée de parole dans les documents commandés par le ministère, a commencé à réagir à l’imperfection de la solution des grands ensembles dès les premiers temps. Car, au-delà des questions matérielles, elle expérimente ce que les films initiés par le ministère reconnaissent : l’urbanité ne se décrète pas.
Notes de bas de page
1 Les émissions Logement notre honte, Construction, L’Aménagement du territoire, Aménagement de la région parisienne et La France de demain (durant de trente à quarante minutes) sont diffusées cinq jeudis consécutifs à 20h35 puis 21h35, à partir du 30 octobre 1958, sur l’unique chaîne de télévision (documents consultables à l’Inathèque de France).
2 Mise au point de Françoise Choay, Jacques Brun et Marcel Roncayolo en introduction au chapitre « Production de la ville et du bâti » de l’Histoire de la France urbaine, t. V, La Ville aujourd’hui, par Roncayolo (Marcel) dir., Éditions du Seuil, Paris, 1985, édition revue, mise à jour et complétée en 2001, p. 291.
3 Voldman (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d’une politique, Éditions L’Harmattan, Paris, 1997, p. 8.
4 La vidéothèque du service de l’information et de la communication du ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Équipement et des Transports gère la production cinématographique du ministère, sous ses dénominations successives, et l’acquisition de films portant sur le logement, la construction, l’urbanisme. Un catalogue des collections a été réalisé : 1945-1995, Cinéma et audiovisuel, Paris, 1997, 226 p.
5 Remplaçant la RDF (Radiodiffusion française) en 1949, la RTF (Radiodiffusion et Télévision de France) devient l’ORTF (Office de Radiodiffusion-télévision française) par le décret d’application du 22 juillet 1964.
6 Thabard (Isabelle), « L’audiovisuel au ministère de l’Équipement », 1945-1995, Cinéma et audiovisuel, op. cit., p. II. C’est là le signe d’une adaptation de la communication gouvernementale, à l’avantage de canaux de diffusion plus larges, ce que permet une télévision sous contrôle, le pouvoir gaullien usant de la censure et d’émissions de commande comme la série Problème de la construction, diffusée à la veille des élections législatives de novembre 1958. Sur ce type d’émissions, voir Vassalo (Aude), La Télévision sous de Gaulle, le contrôle gouvernemental de l’information, 1958-1969, INA-De Boeck, Paris, 2005, 310 p.
7 Ministère des Affaires étrangères en 1953, Union nationale des fédérations d'organismes de HLM en 1958, Association Campagne nationale en faveur du logement en 1962… Sauf mention contraire, les informations sur les films dans les pages qui suivent sont tirées de fonds conservés au SIC du ministère. Seuls les dossiers concernant les œuvres de 1962 et 1966 recèlent plus que les coordonnées des propriétaires des droits (correspondance entre le ministère, le CNC et les producteurs).
8 Seule exception, le dossier conservé sur La Cité des hommes (1966) indique une diffusion télévisée en septembre 1967.
9 La Cité des hommes est ainsi projeté à la Journée mondiale de l’Urbanisme (1961) et primé au IIe Festival International du Film d’Architecte (Prague, 1967).
10 Cette question en suspens devrait trouver des réponses dans les fonds du ministère déposés aux Archives nationales. Les Images des grands ensembles à la télévision, au cinéma et dans les films institutionnels (1938-1982), Canteux (Camille), mémoire de DEA dactylographié, sous la direction de J.-L. Robert et A. Fourcaut, Paris I, 2001, 160 p., ces fonds sont étudiés dans le cadre de sa thèse en cours.
11 Après trois brèves sur les premières émissions, Télérama consacre à la série l’intégralité de son éditorial dans son édition du 30 novembre 1958, p. 2.
12 La forme (cinq directs en début de soirée), le contenu et l’audace du ton employé par le ministre pour s’adresser aux Français font l’originalité de cette série dans le paysage audiovisuel de l’époque. Pour une analyse approfondie, notamment sur le succès public auprès des quatre millions de téléspectateurs potentiels (un million de postes), voir Cohen (Evelyne), « Expliquer Paris à la télévision : Pierre Sudreau et les problèmes de la construction (1958) », Sociétés et Représentations, no 17, « Imaginaires parisiens », Robert (Jean-Louis) et Tsikounas (Myriam) (dir.), CREDHESS, 2004, p. 117-127.
13 Documentaire de Jean Dewever de 20 minutes, prix Louis Lumière en 1956, dont Sabbagh explique pudiquement que, bien que primé, « on, disons “on”, si vous le voulez bien, M. le Ministre, on n'a pas voulu que sa carrière continue ».
14 Les images et le commentaire sont extraits, sans que cela soit signalé, du documentaire Paris et le désert français de 1957, réalisé à la demande du ministère d’après l’ouvrage de Jean-François Gravier.
15 Seuls ces deux documents abordent la question du reclassement des loyers et le financement public de la construction. Ces thèmes sont sans doute jugés trop sensibles (et trop ardu pour le second) pour faire l’objet d’une grande publicité.
16 Sur l’emploi du mot, lire Mengin (Christine), « la solution des grands ensembles », Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, n° 64, “Villes en crises”, octobre-décembre 1999, p. 105-111, et Fourcaut (Annie), « Trois discours, une politique ? », Urbanisme, n° 322, janvier-février 2002, p. 39-45 (actes partiels de la journée d’étude “Les grands ensembles entre histoire et mémoire”, organisée par le CHU (ENS LSH), le CHS (Paris I) et la Délégation interministérielle à la ville, Paris, 24 avril 2001).
17 Danièle Voldman explique que l’équipement de la cité Rotterdam ne fut pas aussi rapidement mené que le laisse présager ce film, dans La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, op.cit., p. 381-392.
18 Si leur désignation se fixe lentement (au détriment d’autre vocables dont seul « villes nouvelles » trouve un autre usage précis), c’est bien eux que les images nous montrent le plus souvent.
19 Voir p. XXXII, un extrait de l’émission du jeudi 6 novembre 1958 Problème de la construction,n°2, Construction (21h35-22h15) : transcription du commentaire accompagnée d’une vignette par plan, capture d’images réalisée à l’Inathèque de France.
20 À ce moment du commentaire, on passe des trois premiers plans sombres du taudis (ruelle étroite en contre-plongée, devanture d’un café, prostituées faisant le trottoir) à deux plans panoramiques d’un ensemble de bâtiments neufs de trois étages, disposés au bord d’une allée arborée, plans lumineux qui laissent une large place à un ciel dégagé.
21 Dans l’extrait p. XXXII, l’enfant à trottinette incarne ainsi « les gens qui sont heureux ».
22 Voir d’Eudeville (Édouard), « L’Architecture d’Aujourd’hui », Voldman (Danièle), « Tremplins ou culs de sac ? », Vieillard-Baron (Hervé), « Sarcelles : un cas exemplaire ? », Canteux (Camille), « Les cités dans l’imaginaire », Urbanisme, n° 322, op. cit., p. 68-70, p. 45-47, p. 53-56 et p. 75-76.
23 Fourcaut (Annie), « Trois discours, une politique ? », Urbanisme, n° 322, op. cit., p. 39-45.
24 Cet épisode de la série Faire face d’Igor Barrère et Étienne Lalou, diffusé à partir de 20h30 en direct, est introduit comme une émission qui « fera date, parce que, pour la première fois, un ministre a accepté de se présenter, seul, devant des représentants de l’opinion publique librement choisis par [les auteurs] ». La remise en cause de la liberté de ton des auteurs à l’occasion de plusieurs émissions les pousse à abandonner la série l’année suivante (Bourdon (Jérôme), Histoire de la télévision sous De Gaulle, Anthropos/INA, Paris, 1990, p. 85).
25 Denuzière (Maurice), « Cités sans passé », Le Monde, 25 octobre 1963, p. 1 (série de cinq articles sur la vie à Sarcelles et à Mourenx).
26 Faire face : le logement, 29 septembre 1961.
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