Étude de cas
p. 123-127
Texte intégral
1Après avoir appréhendé le contexte culturel français et la place de l’opéra dans ce monde en mutation, la deuxième partie de cet ouvrage est consacrée à des études de cas, afin de comprendre deux spécificités de l’opéra au XXe siècle en France.
2Tout d’abord, et puisqu’un opéra ne saurait exister sans texte préalable, un premier chapitre est consacré aux livrets. Claude Burgelin1 note dans une jolie formule qu’« à l’opéra, les mots ne sont pas à la fête. Roulés comme des galets dans la vague du chant, on en discerne mal les contours. Parfois, ils ne sont qu’erratiquement audibles ». Dès lors, on peut se demander quelles postures adoptent compositeurs et librettistes devant ce problème qui marque toute l’histoire de l’opéra et particulièrement quand il s’agit de la France : comment mettre en musique un texte en français et faut-il nécessairement, parce que l’œuvre est commandée par la France, utiliser la langue française ? Car selon Michel Foucher, « l’appartenance d’une maison d’opéra à une aire linguistique donnée favorise les œuvres écrites dans l’idiome national, tendance renforcée par la préférence des capitales politiques pour les programmations en langue officielle2 ».
3En 1996, Jean-Pierre Brossmann, initiant une politique de création spécifique à l’Opéra national de Lyon qui verra notamment la naissance de Trois Sœurs d’Eövös, pense que la plus grande révolution dans l’histoire de l’opéra au XXe siècle a été un « retour au sens : on est revenu au livret, à l’histoire, bref, à toute la dimension théâtrale de l’opéra, qui avait été occultée par la primauté donnée à la voix. L’opéra a longtemps été, et est encore parfois, le reflet d’une société qui venait se mettre en scène, s’applaudir dans la salle. Autrement dit, la vocalité venait de la scène, mais le théâtre était dans la salle3 ! » Si Wagner a bien compris la nécessité de recentrer l’attention du spectateur sur l’espace scénique, il a aussi ouvert la voie à une nouvelle pratique : celle du compositeur librettiste. Car l’opéra emploie une langue particulière, destinée à être chantée et fournissant de facto une « matière sonore » au compositeur, dans une logique nécessaire d’intelligibilité et de concision dramaturgique4. Comment et pourquoi collaborer avec un homme de lettres ? Le musicien n’est-il pas le mieux placé pour façonner la langue dont rêve sa musique ? Dans ce cadre, Cécile Quesney se penche sur le cas de Ginevra de Julien Luchaire et Marcel Delannoy d’après Boccace, Cécile Auzolle revient sur la démarche de librettiste de Daniel-Lesur, adaptant Musset pour son premier opéra, Andréa del Sarto, et Doriane Bier sur l’hommage rendu à Rimbaud par Henri Pousseur et Michel Butor. Puis Marie Laviéville-Angelier, spécialiste de l’œuvre lyrique de Peter Eötvös s’interroge justement sur la question du livret de Trois Sœurs, opéra emblématique du début du XXIe siècle en ce qu’il propose de situations nouvelles et inouïes tout en gardant un cadre identifié. Enfin, Joëlle Brun-Cosme envisage les procédés d’adaptation de Victor Hugo par les frères Alagna dans leur opéra Le Dernier Jour d’un condamné.
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4Dans un deuxième temps, et parce que l’une des spécificités françaises est de subventionner des œuvres qui ne s’apparentent pas nécessairement aux canons établis par les académies ou plébiscitées par l’attente du public, seront étudiés sept cas particuliers, en marge des grands genres.
5Il s’agit d’abord de quatre œuvres de l’entre-deux-guerres : Amphion (1927) et L’Impératrice au rocher (1931) d’Arthur Honegger par Claire Paolacci, et toujours pour l’année 1931, La Duchesse de Padoue de Maurice le Boucher et La Vision de Môna de Louis Dumas par Andriana Soulele. Jérôme Rossi s’attache quant à lui à la production lyrique très diversifiée de Georges Delerue, quatre opéras dont deux connaissent les feux de la rampe, Le Chevalier de neige (1957) et Médis et Alyssio (1975) et deux autres les micros de la radiodiffusion, Ariane (1954) et Une regrettable histoire (1961). Georges Delerue est par ailleurs célèbre pour ses musiques de film. En effet, le cinéma se développant considérablement après la Seconde Guerre mondiale, les compositeurs ont souvent l’occasion de composer pour l’image comme pour la scène. Dès lors, les techniques se rapprochent chez certains comme Antoine Duhamel, Claude Prey ou Jean Prodromidès qui précise même : « Je pense d’ailleurs qu’il est impossible, aujourd’hui, d’écrire un opéra en ignorant le cinéma : montage, ellipses, flash-back et raccourcis créent une appréhension du temps qui n’existait pas auparavant5. »
6Antoine Duhamel, disparu au moment où nous terminions cet ouvrage, sait bien ce qu’il doit au grand répertoire français, notamment à Faust et à Pelléas et Mélisande et il envisagea même, au sortir de ses études avec René Leibowitz, de fonder une compagnie lyrique pour créer, en 1950, l’opéra de son temps6. Il était donc important de consacrer une étude à cette figure essentielle de l’opéra dans la seconde moitié du XXe siècle, qui, au sein du Club d’essai de la Radio, contribua à faire découvrir le répertoire lyrique oublié du XVIIIe comme du XXe siècle, s’interrogea sur la situation contemporaine de l’opéra et commença à composer des œuvres spécifiquement pensées pour ce medium avant de se lancer dans l’écriture d’œuvres scéniques : « Or j’étais, je suis hostile, à toute composition d’opéra dont la transmission du texte ne serait pas le propos. Un opéra où l’on ne comprend rien – du texte et de l’action – me paraît une monstruosité7. » Philippe Gonin retrace donc l’histoire des Travaux d’Hercule (1981), où Antoine Duhamel s’adresse au jeune public. Mais cette volonté initiatique caractérise aussi le siècle suivant et Thérésa Schmitz analyse la réception du Petit Chaperon rouge de Georges Aperghis auprès d’un public scolaire tandis qu’Anne-Claire Di Meglio retrace la genèse et la carrière de l’opéra pour enfants de Graciane Finzi Là-bas peut-être (2003). Enfin, Serge Lemouton révèle les arcanes de la composition et de la réalisation des opéras de Philippe Manoury, 60e Parallèle (1997), K… (2001), La Frontière (2003) et La Nuit de Gutemberg (2011), impliquant l’utilisation de nouvelles technologies.
7En filigrane, ces études de cas témoignent des préoccupations des compositeurs d’œuvres lyriques : évolution du langage, de la conception dramaturgique, scénique, nouveaux lieux, nouveaux publics.
Notes de bas de page
1 Burgelin Claude, « Littérature et Opéra : haine, amour et jalousie », M. Foucher (dir.), Les Ouvertures de l’opéra, une nouvelle géographie culturelle ?, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p. 32.
2 Foucher Michel, « Géographie des maisons d’opéra, variations sur la culture lyrique et la géopolitique en Europe », M. Foucher (dir.), ibid., p. 73.
3 Jean-Pierre Brossmann, p. r. p. F. Lamantia, « L’avenir de l’opéra », M. Foucher (dir.), ibid., p. 94.
4 Tromp Gilles, « Le livret est-il un genre littéraire ? », L’Alphée. Cahier de littérature « Opéra et littérature », no 4-5, mai 1981, p. 11-16.
5 Jean Prodromidès, p. r. p. H. Pierrakos, « Itinéraire d’un compositeur », L’Avant-scène opéra/Opéra aujourd’hui, no 1A : « Jean Prodromidès. La Noche triste », 1991, p. 10.
6 Antoine Duhamel, p. r. p. F. Piatier, « Antoine Duhamel, un musicien des mots et des images », L’Avant-scène opéra/Opéra aujourd’hui, no 7A : « Antoine Duhamel. Gambara », 1995, p. 7.
7 Ibid., p. 9.
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