La création lyrique au cœur de la vie artistique française
p. 31-33
Texte intégral
1Lors des travaux du groupe OPEFRA, le terme de création est envisagé dans son acception mondiale, c’est-à-dire la première production scénique d’une œuvre après sa composition, ce qui exclut les reprises ou créations en France de productions venant de l’étranger, à moins qu’elles n’aient été préparées en coproduction avec un théâtre français. Il s’agit donc de discerner les options françaises en matière de politique de création lyrique, la place des institutions et de l’évolution des mentalités en regard d’événements politiques et sociaux aussi déstabilisants pour l’opéra que les deux guerres mondiales, le Front populaire, l’avènement de la société de loisir, le développement des techniques de diffusion sonore et visuelle, la démocratisation de la culture et la prise en compte du jeune public, la naissance, l’évolution et l’impact des nouvelles technologies sur les genres lyriques, et enfin l’internationalisation des équipes de production et des répertoires. Comment les compositeurs réagissent-ils à un contexte alliant contingences économiques, goût supposé du public et nécessité intérieure ?
2Car, en 1988, Jane Fulcher a ouvert une voie nouvelle aux études sur l’opéra en les inscrivant dans la mise en perspective de l’œuvre et de son contexte social et politique de création, afin d’offrir une véritable grille de lecture aux œuvres1. Mais, pour autant, peut-on traquer au cœur de l’œuvre les effets d’une politique culturelle, terme en vogue depuis le ministère Malraux ?
« L’expression “politique culturelle” sonne mal. Non parce qu’elle joint des mots de racines grecque et latine, mais parce que les notions qu’elle assemble sont contradictoires. Il n’y a de politique que collective, et de création qu’individuelle. Il n’y a d’art que libre, et d’intervention d’état qu’accompagnée de finalités, de jugement et d’évaluation. Il n’y a de culture qu’indépendante, et de pouvoir qu’organisateur d’une nation structurée, ordonnée, concertée2. »
3Un paradoxe que Michel Schneider, un passionné d’opéra au cœur de l’appareil d’état, résume de l’une de ces formules dont il a le secret : « La politique culturelle n’est pas seulement une politique du spectacle, elle est le spectacle d’une politique3. »
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4Ainsi, pour ouvrir le débat, sept auteurs se penchent sur la présence et les enjeux des créations d’opéras en France au fil du siècle. Après le parcours proposé par Vincent Giroud à travers les créations lyriques de Louise (1900) à L’Amour de loin (2000), Hervé Lacombe pose la nécessaire distinction entre répertoire et création. Tous deux soulèvent la question terminologique complexe de la distinction entre « opéra français » et « opéra en France », car les deux notions semblent intimement intriquées en raison de la langue du livret, de la nationalité du librettiste et du compositeur, du théâtre commanditaire ou programmateur et de l’esthétique de l’œuvre, dans la dynamique de l’histoire du genre, de ses institutions, de la musique, de l’art et de la réception par le public. C’est d’ailleurs à cet aspect essentiel que s’attache Danièle Pistone à l’examen des suppléments de Diapason des années 1990, pour déterminer la place du goût dans la programmation des théâtres au début du XXIe siècle, tandis qu’Emmanuel Reibel s’interroge sur la question de l’identité esthétique française à travers plusieurs œuvres du tournant des XXe et XXIe siècles. Si les œuvres étudiées ont été créées en France, il apparaît que les livrets ne sont plus toujours exclusivement écrits dans la langue de Molière et que la deuxième moitié du siècle voit apparaître la question du multilinguisme, introduisant un questionnement sur la place de l’identité française au cœur des œuvres : tient-elle à la langue, au lieu de création, à la nationalité des artistes, aux thèmes traités par les livrets, à une tradition esthétique ? Quoi qu’il en soit, le XXe siècle montre une réelle rupture avec les usages du passé, à travers le respect pour l’œuvre originale plus citée que revisitée, ce qu’Aude Ameille analyse à travers les modes d’adaptations d’œuvres littéraires.
5Mais, au-delà des cadres traditionnels de l’opéra, une fosse, un orchestre, une scène des chanteurs se mouvant en costumes dans des décors, qu’en est-il des nouvelles technologies et quels renouvellements génèrent-elles, après guerre, dans le monde lyrique ? Bruno Bossis4 a montré que Toute la lyre de Pierre Schaeffer, créée le 20 juillet 1951 dans la salle de l’Empire à Paris, première œuvre lyrique où la voix est adossée à une musique concrète enregistrée sur bande magnétique et diffusée dans des haut-parleurs et non plus à des instruments acoustiques, ne fait rien d’autre que reproduire les procédés de l’opéra sans orchestre avec simplement un changement de lutherie : « Ces technologies changent les modalités et les conditions de la création, de la diffusion, de l’analyse et de la perception de la musique. Mais elles ne modifient pas l’imagination humaine, la capacité à s’émouvoir ou le sens artistique5 », citant, dans le domaine français, l’emblématique Go-Gol de Michael Levinas (Strasbourg, 1996) utilisant l’hybridation sonore et l’intervention de claviéristes en temps réel, puis L’Amour de loin (Salzbourg/Paris, 2000) et Adriana Mater (Paris, 2006) de Kajia Saariaho, K. de Philippe Manoury (Paris, 2001), Avis de tempête de Georges Aperghis (Lille, 2004), Alma Sola d’Alain Bonardi (Issy-les-Moulineaux, 2005), On-Iron de Philippe Manoury (Paris, 2006). Dès lors, et comme Bossis l’appelle de ses vœux, le moment est venu avec Pauline Birot, Alain Bonardi et Olivier Class de s’interroger sur les caractères des nouvelles technologies dans les productions lyriques du tournant des XXe et XXIe siècles.
6Il est certain que, depuis les années 1960 et le mythique Votre Faust d’Henri Pousseur et Michel Butor dont l’évocation revient maintes fois sous la plume des chercheurs, il apparaît une volonté de renouvellement du genre lyrique par le recours à de nouveaux moyens d’expression, de nouvelles formes, de nouveaux concepts, pour aller vers un nouveau public. Or, pour exister, ce public doit être sensibilisé dès son plus jeune âge à l’art lyrique et Coralie Fayolle revient sur l’histoire du genre spécifique de l’opéra pour enfants pour terminer cette évocation générale de l’opéra dans l’évolution d’un siècle particulièrement dynamique.
Notes de bas de page
1 Fulcher Jane, Le Grand Opéra en France : un art politique, trad. fr. J.-P. Bardos, Paris, Belin, 1988, p. 143-145.
2 Schneider Michel, La Comédie de la culture, Paris, Le Seuil, 1993, p. 71.
3 Ibid., p. 84.
4 Bossis Bruno, « La technologie et le drame musical : dématérialisation de processus acoustiques ou retournement esthétique ? », G. Ferrari (dir.), La Musique et la scène. L’écriture musicale et son expression scénique au XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 117.
5 Ibid., p. 119.
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