Méliès et l’Autre
À propos des représentations du Noir et de l’Oriental
p. 311-320
Texte intégral
1Cinéaste de l’imaginaire, du merveilleux, du mythologique, du magique, Georges Méliès utilise de nombreuses formes de l’altérité : altérité par rapport au réel concret, altérité par rapport au conscient, et bien sûr au hic et nunc du début du XXe siècle en France. Nous nous proposons d’analyser la représentation, dans certains films du cinéaste, de l’autre, de l’étranger, de celui qui se différencie par sa couleur de peau, son pays et sa culture d’origines. L’enjeu nous semble de savoir si cet autre est représenté de façon réaliste ou s’il est fantasmé ; s’il est considéré négativement ou non ; enfin, s’il apparaît négativement, si la vision qui s’en dégage essentialise cet autre, ou l’utilise comme un schéma formel, de pure fantaisie.
Les Noirs : L’Omnibus des toqués (1901), Salon de coiffure (1908)
2Le Noir apparaîtrait dans quatre films de Méliès : L’Omnibus des toqués (1901), Le Cake-walk infernal (1903), Salon de coiffure (1908), Le Raid New York – Paris en automobile (1908).
3Commençons par L’Omnibus des toqués. Un résumé de ce film existe dans le catalogue Méliès de 1902, publié en France. Il est reproduit dans l’ouvrage de Jacques Malthête et Laurent Mannoni consacré au cinéaste1 :
« Arrivée d’un omnibus traîné par un extraordinaire cheval mécanique. Sur le haut sont perchés quatre nègres. Le cheval rue, renverse les nègres qui se transforment en pierrots blancs. Les pierrots se donnent successivement des gifles ; à chaque gifle, chacun redevient nègre ; les nègres, à leur tour, se retransforment en pierrots en se donnant des coups de pied. Enfin, ils rentrent tous les uns dans les autres, et ne forment plus qu’un seul nègre énorme de grosseur. Le conducteur de l’omnibus revient et met le feu au gros nègre qui refuse de payer les places. Le nègre éclate en mille morceaux. »
4Comme l’expliquent Malthête et Mannoni, les scénarios de Méliès étaient manifestement écrits a posteriori, une fois le film achevé. Ils étaient destinés « à renseigner l’acheteur éventuel sur le contenu des bandes et servaient en même temps à guider le “conférencier” dans ses explications2 ». Ils nous éclairent sur ce que Méliès entendait montrer, et renseignent sur la façon dont il envisageait la réception de son spectacle3. En l’occurrence, ce scénario de L’Omnibus des toqués – mais aussi le film lui-même – permet de discuter voire d’invalider la thèse formulée par Elizabeth Ezra, dans sa monographie Georges Méliès4, qui voit dans les films du cinéaste, et notamment celui-ci, un exotisme à connotation raciste.
5À propos de L’Omnibus des toqués, Ezra se réfère en fait au synopsis fourni par le catalogue américain de la Star Film – société fondée par Méliès – et parle d’un film « perdu », qu’elle n’a donc pas vu. Ce catalogue5 est édité pour la première fois en 1905, à New York, sous la direction de Gaston Méliès – frère de Georges, et cinéaste lui aussi. Ezra renvoie également à la traduction française de ce résumé, proposée par Georges Sadoul dans son ouvrage sur Méliès6. Nous proposons ci-après un extrait significatif tiré de l’original américain, et traduit par nos soins :
« Le cheval rue et renverse les nègres qui sont changés en clowns blancs […]. Finalement, ils fusionnent en un seul gros nègre, et quand il refuse de payer sa place, le contrôleur [conductor] met le feu à l’omnibus et le nègre éclate en mille morceaux7. »
6Ezra perçoit une vision/représentation négative des Noirs dans le fait que les transformations de ceux-ci en « clowns blancs » (« white clowns ») impliqueraient une assimilation de ces deux différents types de personnages – les Noirs seraient des clowns, avec la connotation péjorative que peut revêtir ce terme –, et en ce que la transformation des quatre Noirs en un seul pourrait renvoyer au regard de celui qui est incapable de distinguer les identités de ceux qui sont autres. Ezra y voit un tropisme exoticisant, mettant dans le même sac des individus différents pour en faire une identité globale et stéréotypée. L’enjeu serait de construire un « eux » qui se distinguerait nettement d’un « nous8 ».
7Les résumés, on peut le constater maintenant que le film est retrouvé et visible9, ne correspondent pas vraiment à ce qu’il y a sur la pellicule, ne rendent pas compte précisément de tout ce que l’on peut voir dans le film. On ne devrait pas, à notre avis, se contenter d’eux pour analyser l’œuvre filmique, l’interpréter, même si elle est considérée comme perdue et donc invisible. À l’image, parmi les quatre Noirs figure le conducteur10, qui tient les rênes du cheval. Quant au cinquième personnage, le contrôleur qui fera exploser le gros Noir, c’est un Blanc (fig. 1).
8Pourquoi agit-il ainsi ? Est-ce parce que le Noir qui vaut pour quatre refuse de payer son ticket ? Rien ne le prouve… Cela dit, le fait qu’une fois les Noirs tombés de l’omnibus le Blanc revienne vers eux et soit chassé, peut laisser entendre que les Noirs refusent d’obtempérer à un ordre donné et seront finalement punis pour cela. Mais l’omnibus ne revient pas, lui, aucun autre omnibus n’entre dans le champ, le gros Noir se contentant de sortir et d’allumer un cigare.
9Les Noirs sont désignés dans le titre du film comme « toqués ». Un autre titre sous lequel le film aurait été proposé ou exploité est Les Échappés de Charenton11. Ils seraient donc « fous », la ville de Charenton étant connue pour son asile d’aliénés. On peut imaginer qu’ils se sont emparés de l’omnibus, mais rien dans le comportement initial du contrôleur ne le laisse présumer.
10Des inscriptions sur l’omnibus (« Cie générale des Loufoques » et « Charenton-Bicêtre ») suggèrent cependant que ce véhicule n’est pas un simple transport en commun, et cette folie englobe peut-être, aussi, dans la compagnie des excentriques, le contrôleur lui-même. Il ne s’agirait donc pas de faire apparaître les Noirs comme des clowns, mais de mettre en scène des Noirs loufoques. Le contrôleur, en faisant sauter le gros Noir, se montre lui aussi loufoque, au moins tout autant que justicier. Le bus, de par la compagnie à laquelle il appartient, est un bus de fous. Cette compagnie est une société de fous !
11Un dessin en couleurs, non signé mais probablement réalisé par Méliès, est publié dans l’ouvrage de J. Malthête et L. Mannoni12. Il représente un bus avec un conducteur noir et trois passagers noirs assis sur l’impériale. Le contrôleur qui se tient debout à l’arrière du véhicule est lui aussi un Noir. À une étape de la préparation ou de la réalisation du film, l’idée pourrait avoir été de représenter un bus entièrement pris en charge par des Noirs jouant différents types de rôles – passagers placés à l’extérieur, conducteur, contrôleur.
12Il faut enfin remarquer que si l’on remet ce film dans le contexte de l’ensemble de la filmographie connue de Méliès, d’autres œuvres représentent des « toqués », appelés comme tels, qui eux ne sont nullement des Noirs : Tom Whisky ou Illusionniste toqué (1900), Le Compositeur toqué (1905).
13Parallèlement, les Blancs ne sont pas précisément des « clowns » – comme il est écrit dans le catalogue américain de 1905 et comme Ezra le répète –, mais des « pierrots » (fig. 2), parés à l’écran de leur costume caractéristique.
14Le catalogue français de 1902 propose bien, lui, ce terme de « pierrot ». Ces clowns blancs, les « pierrots », ne sont pas des personnages ridicules, uniquement grotesques. Ils sont drôles, joueurs, souvent décidés à ne pas se laisser faire par autrui. Le fait qu’ils soient appelés dans le catalogue de 1905 « clowns blancs » peut impliquer qu’ils sont opposés à ce que l’on pourrait appeler des clowns noirs, sans que ce qui est en question soit la couleur de peau – même si Méliès précise dans le catalogue de 1902 que l’on a affaire à des « pierrots blancs », donc des pierrots blancs de peau. Il s’agit de deux types opposés de bouffons.
15On pourrait même aller jusqu’à émettre l’hypothèse que Noirs et Blancs sont renvoyés dos à dos dans leurs délires. Le sous-titre associé à celui de L’Omnibus des toqués dans les catalogues en français de la Star Film est : ou Blancs et Noirs. Il pourrait s’agir autant d’une association de groupes de personnages caractérisés par leur couleur que d’une opposition13.
16Et si le Noir est gros, ce n’est pas parce qu’il représente une « masse » de Noirs aux yeux d’un Occidental blanc, comme l’écrit Ezra, mais peut-être tout simplement parce qu’il cherche à ne payer qu’un billet alors que lui et ses trois camarades qui sont en son corps devraient payer en tout quatre billets – si tant est que l’on retient cette idée présente dans les synopsis d’un refus de payer une ou plusieurs places. Les résumés ne font pratiquement que décrire ce qui est vu en partie à l’image. Ils ne donnent aucune information sur ce qui pourrait s’être passé avant ce qui est filmé, sur les motivations des personnages, sur ce qui est d’ordre psychologique. Ils laissent cependant supposer, on vient de le mentionner, que le Noir ne veut pas payer sa place ou les places. C’est un élément narratif qui ne correspond en fait à rien dans ce qui est visualisé, et qui est donné comme une conclusion morale à ce qui n’a pas de dimension morale claire à l’écran. Comme pour satisfaire le public, le rassurer. Grâce à cet élément d’ordre verbal, Méliès parvient ainsi à exprimer quelque chose qu’il lui était peut-être difficile, pour des raisons techniques et par manque de savoir-faire artistique, de raconter à cette époque.
17Lorsqu’il entre dans le salon de coiffure du film qui porte ce nom, le Noir, bien qu’habillé à peu près comme les autres clients blancs, se comporte d’une manière sauvage et indélicate. Il suit de près une femme blanche dodue, et manifeste, avec les expressions du visage et les mains, son appétit érotique. La femme proteste (fig. 3).
18L’individu d’origine africaine est bien caricaturé, représenté négativement, comme si, même habillé de façon bourgeoise – ce qui est pour le moins irréaliste, mais conforme au topos du « dandy nègre », omniprésent dans l’iconographie dès la fin du XIXe siècle, et proche des figures de minstrels américains, représentations que connaît sûrement Méliès –, le sauvage, le non civilisé demeurait en lui. Le synopsis du catalogue américain ne mentionne pas cet incident. John Frazer, que cite Ezra, est plus précis que ce synopsis de 1905 dans son ouvrage sur Méliès. Il a manifestement vu le film, et même si les commentaires qu’il fait sur les œuvres du cinéaste sont la plupart du temps généraux et succincts, il précise ici que le Noir s’approche lascivement de la femme14. Des circonstances inattendues font que les coiffeurs noircissent involontairement le visage de la femme et blanchissent celui de l’homme. Frazer écrit à ce propos qu’elle jette les ustensiles à travers la boutique, par fureur devant ce qui lui arrive, et se précipite avec passion sur le client désormais blanc15. Devenue noire, la femme semble donc céder elle aussi à une compulsion de type érotique. En regardant en détail le film, on s’aperçoit que si le premier mouvement de la femme, quand elle voit le faux Blanc sans savoir que son propre visage est noirci, est bien un mouvement de désir, c’est la colère qui domine chez elle quand elle s’aperçoit qu’elle est devenue noire. Elle bouscule effectivement tout dans le salon. Il n’est pas évident qu’elle se mette en chasse du faux Noir. Il a quitté les lieux avant elle.
19Méliès a écrit dans le catalogue américain – un synopsis très sommaire, lacunaire – une phrase qui précise bien verbalement ce que l’on ressent en regardant les images, les expressions et gestes des protagonistes : « Imaginez d’un côté la satisfaction, de l’autre la colère16 ! » Ce point est important. La femme noircie est en rage, mais l’homme blanchi est très content. Et lorsqu’elle s’approche de lui, il la repousse d’un air hautain (fig. 4).
20Évidemment le désir érotique, un peu animal, est bien toujours du côté noir, mais ce que montre Méliès à travers la vengeance du faux Blanc est que les Blancs traitent avec dédain les Noirs. On perçoit une forme de critique, consciente ou pas, de la hiérarchie qui est établie dans la société entre les gens de couleur différente. Et l’on repense à L’Omnibus des toqués. Finalement, en dehors de cette idée que les pierrots blancs et les Noirs – fous ou pas – s’équivaudraient dans la loufoquerie, se profile ici la suggestion que les Noirs cherchent à changer de couleur, car la leur les place dans une condition sociale de défavorisés. Méliès rejoindrait-il les clichés « légitimés » par les théories anthropologiques, qui font du « blanchiment » la condition d’une amélioration significative ? Ce n’est pas impossible.
Les Orientaux : Le Bourreau turc (1904), Le Thaumaturge chinois (1904)
21Les Noirs que nous avons vus apparaissent dans un cadre européen. Ils ne sont pas représentés dans des contrées africaines. Mais des populations extra-européennes sont parfois montrées sur leur terre d’origine. Ici l’exotisme méliésien bat son plein.
22Dans Le Bourreau turc, quatre hommes sont décapités par un bourreau (fig. 5).
23Leur tête est mise dans un tonneau. L’une des têtes, vivante, revient sur le corps d’un des condamnés – de façon à reformer une personne entière. Puis les trois autres personnages retrouvent aussi leur chef. Les quatre individus se vengent en coupant le bourreau en deux. Les deux parties s’agitent un instant indépendamment l’une de l’autre, puis le personnage se reconstitue et se lance à la poursuite des condamnés qui se sont enfuis.
24Il est clair que le Turc se comporte de façon barbare. Antonio Costa parle de « cruautés indicibles » autorisées par l’Orient dans les films de Méliès17. Les décapitations sont un phénomène impressionnant à l’image – il faut se replacer dans le contexte de la France de 1904 et le catalogue américain de la Star Film rassure en affirmant qu’il n’y a rien d’horrible dans cet opus, qui n’est que comique du début à la fin18. C’est une manière de rappeler que le film est une fiction, un jeu, mais aussi d’anticiper des réactions d’effroi potentielles. Frazer évoque le contexte politique, qui a fait de la Turquie, depuis les années 1890, l’enfant terrible de la politique européenne et le symbole facile de tout ce qui est violent et vénal. Cette image, rappelle-t-il, perdurera jusque dans les années vingt, après la réforme d’Atatürk19. En fait, on sait que le Turc est l’objet depuis des siècles d’une forte caricature, et notamment à travers la représentation de la violence extrême attribuée aux Ottomans. En France, on parle d’ailleurs de « turquerie », entre autres à propos de cette représentation caricaturale fort ancienne.
25Frazer se trompe à notre avis quand il décrit ainsi la fin du film : « L’indomptable bourreau réassemble ses deux moitiés et s’enfuit hors de scène, poursuivi par des soldats armés et les femmes du harem20. » (C’est nous qui traduisons.) Manifestement, une fois que les condamnés reconstitués se sont échappés, sortant très vite hors du champ, le bourreau appelle les femmes et les soldats, qui sont au départ hors-champ, pour qu’ensemble ils se lancent à leur poursuite. Le fait que le bourreau devance d’assez loin les autres poursuivants peut induire en erreur. Mais il ne s’agit pas ici d’une ambiguïté qui serait intrinsèque au visuel, car les gestes, certes rapides, sont relativement clairs au niveau de leur sens. Il y a, dans cette œuvre, une cohérence narrative et morale qui ne doit pas échapper.
26L’image du Turc est évidemment stéréotypée. Rappelons pourtant que la violence que met en scène Méliès dans ses films peut très bien être le fait des Blancs chrétiens. Ainsi en est-il d’Un miracle sous l’Inquisition (1904), dans lequel on voit une femme immolée sur un bûcher. Et ce, même si l’on peut arguer que ce film représente le lointain passé de la civilisation chrétienne. Frazer évoque avec raison l’attrait de Méliès, bien qu’il soit un homme cultivé et apparemment policé, pour le comique violent susceptible de plaire au grand public – songeons, entre autres, à la figure de Barbe-Bleue sur lequel le cinéaste a fait un film en 1901.
27Quant aux personnages du Thaumaturge chinois, ils n’ont, eux, absolument rien de cruel, alors qu’on aurait pu imaginer Méliès se complaisant dans une évocation des « supplices chinois ». Il n’est question ici que de faire apparaître et disparaître des comparses (un homme et une femme) et des animaux (un chien, des poules). Et de s’amuser : la femme joue un tour aux deux hommes en nouant leurs nattes à la fin du récit.
28Ce qui frappe ici est le choix de costumes et de décors totalement dépourvus d’authenticité. Sur le plan de l’exotisme, la représentation n’est pas absolument crédible, et s’apparente à une « iconographie approximative », pour reprendre une expression utilisée par Costa à propos du Bourreau turc21. Elle procède d’un mélange, d’une synthèse d’éléments venant de différentes cultures, et d’une imitation improbable. Les références sont empruntées pêle-mêle aux cultures chinoise et japonaise. Les chapeaux, les nattes, la façon dont le thaumaturge est rasé, et le décor font plutôt chinois, mais la coiffure de la femme, les vêtements (des kimonos) font japonais. La représentation d’un drapeau japonais apparaît dans le décor (fig. 6).
29Les caractères inscrits sur les boîtes utilisées pour les tours de magie ne semblent en rien imiter de vrais caractères (fig. 7).
30On décèle une volonté de connoter, et non pas de reproduire un référent avéré. Méliès était un homme cultivé, qui aurait pu, certainement, faire un travail de recherche iconographique qui soit quelque peu sérieux et précis. Mais, d’une part, c’est aussi un homme enfermé dans sa propriété et son studio de Montreuil, et qui peut être considéré comme coupé du monde, et d’autre part son but n’était peut-être pas tant d’aboutir à une représentation authentique d’une culture donnée, que de donner une idée syncrétique, donc fantaisiste, de l’Extrême-Orient – et ce, même si l’on sait que la culture chinoise a fortement influencé la culture japonaise, et donc que le mélange pourrait se justifier un tant soit peu.
31Certes, l’exotisme méliésien n’est pas dépourvu d’une certaine forme de racisme. Progressiste en politique – il prend notamment la défense du Capitaine Dreyfus et fait un film remarqué sur l’Affaire22 –, Méliès reste soumis au langage et aux préjugés de son temps. (On aura remarqué notamment l’utilisation datée du terme de « nègre ».) Cela dit, le cinéaste a un sens de l’humour et un esprit de subversion qui mettent à distance presque naturellement ce dont il parle, ce qu’il représente. Le Blanc, l’Occidental, l’homme de pouvoir ne sont pas épargnés par l’ironie du résident de Montreuil. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’artiste a conscience qu’il touche et doit toucher le grand public, qu’il a besoin de faire de son art un commerce. Méliès réalise des dizaines de films en se finançant lui-même. Il se plie à ce qui est la demande, à ce qu’il pense qu’elle est, et se garde d’imposer sa vision personnelle du monde, ses trouvailles cinématographiques. D’une œuvre à l’autre, il conserve un certain nombre de schémas narratifs plus ou moins figés, répète des trucs, en variant – pour ne pas lasser les spectateurs – les types d’actants, les milieux et les époques. La mise en scène du Noir et de l’Oriental doit aussi être considérée comme un prétexte servant à proposer avec une apparence de nouveauté des histoires et des trucs qui se retrouvent d’un film à un autre… Même, donc, dans les œuvres où ne sont représentés ni des Noirs ni des Orientaux.
Notes de bas de page
1 Malthête J. et Mannoni L., L’Œuvre de Georges Méliès, Paris, La Cinémathèque françaises/Éditions de la Martinière, 2008, p. 120.
2 Ibid., p. 32.
3 Ibid.
4 Ezra E., Georges Méliès, Manchester/New York, Manchester University Press, 2000, p. 143-144.
5 Complete Catalogue of Genuine and Original « Star » Films (Moving Pictures), Manufactered by Georges Méliès of Paris, Méliès G. (dir.), New York, 1905.
6 Sadoul G., Histoire générale du film. 2 : Les Pionniers du cinéma (De Méliès à Pathé) 1897-1909, Paris, Denoël, 1948, p. 47.
7 Complete Catalogue of Genuine and Original « Star » Films (Moving Pictures), op. cit., p. 16.
8 Ezra E., Georges Méliès, op. cit., p. 143-144.
9 On trouve entre autres le film dans l’édition DVD Georges Méliès – Le Premier magicien du cinéma (1896-1913), Lobster Films, 2010.
10 En anglais, « conductor » – terme utilisé dans le catalogue américain – peut signifier « contrôleur ». Mais à l’image, il est clair que le conducteur est noir, ce qui n’est pas sans importance.
11 Le titre est peut-être une référence à l’ouvrage de caricatures que le dessinateur comique Cham (Amédée de Noé) publie en 1868.
12 Malthête J. et Mannoni L., L’Œuvre de Georges Méliès, op. cit., p. 120.
13 On peut considérer que dans ses films où il met en scène des Noirs, Méliès se réfère au blackface, type de spectacle qui voit le jour au début du XIXe siècle, aux États-Unis, dans les minstrel shows. Le blackface qui est joué par des Blancs grimés en noir ou des Noirs est importé en Europe et est intégré au Vaudeville. On sait qu’il a produit une caricature parfois désavantageuse de l’individu d’origine africaine, mais qu’il a permis également une prise de conscience des persécutions et de l’exploitation dont celui-ci a été victime à travers le temps.
14 Frazer J., Artificially Arranged Scenes – The Films of Georges Méliès, Boston, G. K. & Co., 1979, p. 195-196.
15 Ibid.
16 Complete Catalogue…, op. cit., p. 147 (c’est nous qui traduisons).
17 Costa A., « Pour une interprétation iconologique du cinéma de Méliès : “vues dites à transformations” et trucages », in Malthête J. et MarieM. (dir.), Georges Méliès – L’illusionniste fin de siècle ?, Paris, colloque de Cerisy /Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997, p. 176.
18 « Il n’y a rien d’horrible dans cette scène, de terrible comme il peut sembler. C’est tout simplement du ridicule » (Complete Catalogue…, op. cit., p. 39. C’est nous qui traduisons).
19 Frazer J., op. cit., p. 134.
20 Ibid.
21 Costa A., art. cit., p. 176.
22 L’Affaire Dreyfus (1899)
Auteur
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