Le pauvre dans le drame humanitaire de la monarchie de Juillet
p. 175-189
Texte intégral
« Et cependant, parce que la chose existe, est-ce donc à dire que le roman et la comédie, le crochet à la main, se puissent occuper de ce pandémonium grouillant sur ce tas d’immondices ? »
Jules Janin, Revue de Paris, juillet 1839.
1Dans sa réception critique d’Un grand homme de province à Paris de Balzac (deuxième partie d’Illusions perdues), Jules Janin reconnaît l’existence d’une misère, inextricablement matérielle et morale. Il en refuse néanmoins la représentation au roman, à la scène, à sa propre plume même. La pauvreté confondue à quelque infernale déchéance demeure cette « chose » qu’on ne saurait dire ni montrer. Le pauvre est cet autre dont aucune médiation symbolique ne peut s’emparer sous peine de déchoir, ce reste que l’art ne doit montrer, cet en deçà du monde social que l’on ne saurait voir. Ironie de l’histoire : par la métaphore du crochet chargé de fouiller les immondices sociales, Janin ne suggère-t-il pas à Félix Pyat le sujet de son drame, Le Chiffonnier de Paris créé en 1847 ? C’est comme si le socialiste Pyat avait pris au mot le très conservateur critique en armant son héros d’un crochet chargé de déverser sur la scène le contenu de sa hotte… Auparavant, Janin s’en prenait déjà, face au drame d’Émile Souvestre Le Riche et le Pauvre en 1837, à la « prédication des niveleurs » qu’il rendrait responsable de la révolution de février 18481. Dès 1832, face au Testament de la pauvre femme de Victor Ducange, le même Janin enrageait de voir les théâtres ne plus vivre « que de ces oppositions de rang, de fortune et de naissance2 », oppositions sans objet selon lui, depuis l’abolition des privilèges et la constitution du peuple souverain. Refusant à la révolution sociale toute nécessité historique, le critique tente de faire barrage de sa plume face à la déferlante des pièces dont le pauvre est le héros. Celles-ci saturent l’affiche des théâtres des années 1830-1840, du Testament de la pauvre femme de Ducange à L’Ouvrier de Frédéric Soulié, du Pacte de famine de Paul Foucher aux Deux serruriers de Pyat.
« Paupérisme » et drame « humanitaire »
2Le mot nouveau est alors celui de « paupérisme », transposé de l’anglais au français depuis 1823. Il apparaît dans le titre d’un ouvrage de Villeneuve-Bargemont en 1834 (Recherches sur la nature et les causes du paupérisme en France et en Europe), d’un mémoire de Tocqueville daté de 1835 (Mémoire sur le paupérisme), d’une lettre aux préfets de Charles de Rémusat en 1840 (Du paupérisme et de la charité légale), sans oublier Extinction du paupérisme de Louis-Napoléon Bonaparte en 18443. L’Académie des sciences morales et politiques suscite, par un concours lancé en 1838, la rédaction de plusieurs ouvrages sur la situation des classes les plus pauvres, dont ceux de Louis Villermé, de Charles Frégier et d’Eugène Buret, respectivement : Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Des classes dangereuses de la population des grandes villes, et des moyens de les rendre meilleures, et De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France4. Le terme de « paupérisme » se trouve pris dans des acceptions opposées, où se lisent les orientations idéologiques des auteurs. Pour Louis-Napoléon Bonaparte, le paupérisme « est le résultat du vice » tandis que la misère « provient de la stagnation forcée du travail » ; le premier se combat par l’instruction et la morale5. Pour Eugène Buret, « pauvreté », « misère », « indigence » désignent avec des degrés divers un « état de gêne », un « embarras d’exister » tandis que le terme de paupérisme « est plus général. La misère s’applique particulièrement aux individus, aux classes ; elle fait toujours songer à des souffrances privées, tandis que le mot de paupérisme embrasse tout l’ensemble des phénomènes de la pauvreté : ce mot anglais signifiera donc pour nous la misère en tant que fléau social, la misère publique6 ». Telle est bien l’acception conférée au nouveau terme : l’« état permanent de pauvreté, d’indigence, manque d’argent, dans une partie de la société », l’« existence permanente d’un grand nombre d’indigents7 ». Le terme témoigne d’une prise de conscience nouvelle des fondements économiques et sociaux de la misère, dans le contexte des bouleversements industriels et urbains. L’indigence perd peu à peu son caractère fatalement naturel, lié à l’infirmité physique ou morale, pour revêtir une dimension sociale : « Le pauvre n’est plus celui qui n’a pas de travail mais celui qui travaille dans l’industrie et vit en ville8. » Par là même, le pauvre n’appartient plus seulement au domaine religieux où il trouvait sa justification dans l’incitation à la charité, mais entre alors dans le champ politique. Une nouvelle forme d’altérité est ainsi révélée – altérité paradoxale puisque « l’autre » est saisi au cœur même de la société industrielle et de son appareil de production. Les ouvriers pauvres forment ces « classes dangereuses » étudiées par Charles Frégier en 1840, envisageant avant Eugène Sue la puissance criminogène de la misère. Ils sont les nouveaux « barbares9 » de l’intérieur, logés au centre même des villes.
3On a étudié depuis longtemps l’influence sur le roman de la monarchie de Juillet des grandes enquêtes sociales sur le paupérisme, complétées par les productions de la littérature dite « panoramique » (les « physiologies » des types sociaux). Dans ce contexte et ce cotexte, une transformation générique et esthétique s’opère, perceptible par exemple dans le remplacement par Balzac des « études de mœurs » par les « études sociales », « épithète qui renvoie davantage à la philanthropie ou à l’économie politique10 ». Les transformations parallèles du théâtre et l’apparition d’un drame « social » aux côtés du « roman social » ont été moins systématiquement analysées11. Pourtant, la monstration scénique de la misère socio-économique, matérialisation dans l’espace sensible de la scène de ce que l’on voudrait tenir celé dans les replis de la société, est potentiellement plus scandaleuse que la représentation romanesque : « Le drame en effet, c’est plus que le roman et c’est plus que l’histoire, c’est à la fois le roman et l’histoire ; c’est l’imagination et le fait ; c’est la vérité et la ressemblance12. » Le théâtre est susceptible de conférer un caractère d’évidence à la pauvreté représentée : à en imposer peut-être l’insoutenable présence face à un public appelé à voir ou à toucher les plaies sociales. Cela suppose un travail esthétique et dramaturgique portant sur les médiations de la représentation : face à un public échappant par définition à la misère (dès lors qu’il peut se payer un loisir avec un billet de théâtre), incarné par un acteur professionnel, le pauvre peut-il échapper à sa réduction à l’image(rie), au (stéréo) type, peut-il être maintenu dans son altérité socio-économique, ou son exclusion n’est-elle pas atténuée par une inéluctable récupération symbolique ? Le critique Hippolyte Fortoul a ainsi commenté l’audace du drame Le Riche et le Pauvre de son ami Souvestre, bien « hardi de faire le procès de la société par-devant la société elle-même », d’oser, devant le public de théâtre, « censurer les conditions mêmes de son existence », de mettre le pauvre en scène alors que le pauvre « n’a pas grand nombre d’amis à compter dans une salle de spectacle13 ». Quelle reconnaissance une telle représentation peut-elle alors engager ?
4Dans le contexte d’élaboration d’une pensée sociale alimentée par le saint-simonisme, l’évangélisme social de Lamennais puis le socialisme (celui de Pierre Leroux), des pratiques dramatiques nouvelles tentent bien de s’imposer autour de 1840 : elles consistent à parier sur le théâtre pour en faire un lieu de réforme morale, sociale et politique. L’idée prend source dans la pensée théâtrale des Lumières, dans la fonction éthique assignée à la représentation dramatique chez Diderot, Mercier ou Beaumarchais. Le drame de Mercier, L’Indigent (1782), où le personnage de Joseph déclare « je ne suis pauvre que parce qu’il y a trop de riches14 », fournit un lointain modèle. Le critique Gérard de Nerval s’est attaqué à ce théâtre « social, humanitaire, et particulièrement ennuyeux » signé Souvestre, Duveyrier ou Pyat, à ce « genre omnibus15 », hérité de « la sensiblerie philosophique du XVIIIe siècle16 ».
5Sans prétendre à quelque exhaustivité dans les limites du présent article, nous examinerons trois de ces drames dits « humanitaires » et saisirons à travers eux les enjeux esthétiques et sociaux de la représentation du pauvre. Les trois pièces retenues ont obtenu un succès éclatant à la Porte Saint-Martin17 ; ils furent créés à trois moments de la monarchie de Juillet, par un saint-simonien (le breton Souvestre18) et un républicain socialiste (Pyat) : Le Riche et le Pauvre d’Émile Souvestre (1er février 1837), Les Deux serruriers de Félix Pyat (25 mai 1841), Le Chiffonnier de Paris du même Pyat (11 mai 1847). Les trois pièces ont en commun un ancrage temporel dans le monde moderne (le « commencement du XIXe siècle pour Les Deux serruriers) ou contemporain, une localisation parisienne pour deux d’entre eux (Les Deux serruriers offrant un contrepoint anglais19), une exploration sociale de classes opposées : jeune homme du peuple et bourgeoisie (Le Riche et le Pauvre), ouvriers et bourgeoisie bancaire (Les Deux serruriers), sous-prolétariat et aristocratie financière (Le Chiffonnier de Paris). Dans les trois cas, le drame se fait instrument d’exploration et de décryptage de la société, révélée dans son conflit essentiel : la lutte, à mort parfois (Souvestre), du riche et du pauvre.
Nouveaux pauvres
6La critique officielle des années trente et quarante ne récuse pas toute représentation de la pauvreté : il est des pauvres touchants, dont la lutte contre la misère émeut et suscite un mouvement de reconnaissance chez le spectateur : « Tant que la misère ne déclame pas contre la richesse, je m’y intéresse de tout mon esprit et de tout mon cœur, comme à l’un de ces nobles malheurs qu’il faut combattre avec courage20 ». Il convient alors de cantonner le pauvre dans une imagerie familière, qui confère puissance dramatique et noblesse à la « lutte permise et naturelle » contre la misère. La double limite à ne pas franchir est celle-là : la crudité de la monstration des plaies économiques et morales ; la violence des revendications sociales dans lesquelles le pauvre se pose en « autre » du riche. La représentation traditionnelle du pauvre continue d’entretenir le mystère de la misère, dont l’origine se trouve dans les impénétrables volontés du Seigneur. Le pauvre ne relève ici d’aucune forme d’altérité puisqu’il appartient à la création divine et vient rappeler à l’humanité sa déchéance originelle. Telle est l’analyse de Villeneuve-Bargemont dans ses « recherches sur la nature et les causes du paupérisme » :
« Qu’on le sache bien. Tous les efforts de la philosophie, tous les résultats de la science, toutes les recherches faites avec un cœur droit et pur, ne sont parvenus, et ne parviendront jamais qu’à démontrer l’impossibilité d’assigner à l’indigence, comme aux autres maux qui affligent l’humanité, d’autre cause première que l’arrêt irrévocable et suprême qui, en faisant descendre l’homme du rang presque divin où il avait été d’abord placé, l’a condamné au travail, au malheur, aux maladies et à la mort21. »
7Le remède à apporter au paupérisme réside tout entier dans la prescription de la tempérance et de l’épargne pour l’ouvrier travailleur, nécessairement « instruit, laborieux, tempérant, économe22 ».
8Le Testament de la pauvre femme du libéral Ducange, créé à la Gaîté le 1er septembre 1832, conserve des traits traditionnels, susceptibles de ne pas dérouter ni scandaliser la censure, le public et la critique. Comme dans L’Indigent de Mercier, l’intrigue est fondée sur l’intrusion d’un riche aristocrate chez des ouvriers23, un frère et une sœur – que le riche déguisé en homme du peuple a séduite. Aucune représentation pénible de la misère n’est proposée dans le drame ; sont plutôt montrés les signes d’une existence sage de labeur et d’économie, à travers la « petite chambre d’ouvrière en linge et en modes, fort simple, mais propre et agréable24 ». Le moteur de l’intrigue est certes le conflit de classes qui oppose l’ouvrière Pauline, son frère Charles, ouvrier dans un atelier, et le faux Edmond, Théodore de Préval ; mais la sagesse providentielle, incarnée par le bon curé Deschamps, dénoue l’intrigue : ce dernier révèle le fameux testament et rétablit les identités brouillées – Pauline s’appelle en réalité Évélina, elle est la fille cachée de la baronne Delaunay, abandonnée par cette dernière et élevée par une « pauvre femme ». L’intrigue située en 1829 à Paris se fait métaphore de la révolution à venir, chargée d’effacer les dernières traces de l’Ancien Régime et d’accomplir la rencontre des classes : au dénouement, Charles et Pauline, désormais fille de baronne, choisissent de laisser le temps faire son œuvre avant de se marier.
9En rupture avec ce modèle, les trois pièces ici réunies explorent d’autres statuts sociaux du « pauvre » et en renouvellent les représentations topiques. Souvestre refuse toute imagerie pittoresque : chez lui, Antoine Larry est un jeune avocat sans clientèle, endetté pour avoir voulu aider une pauvre femme malade. Souvestre choisit de dévoiler à travers ce personnage une pauvreté invisible, altérité sociale insoupçonnée. Dans la scène d’exposition, Antoine déclare à son prêteur :
« Si ma vue ne vous a point dit mon dénuement, c’est que je suis un des pauvres qui doivent avoir besoin sans qu’on le sache, et souffrir sans qu’on les plaigne. Pour qu’on ne me ferme point les portes qui me sont encore ouvertes, il faut que je croise bien mes habits sur ma misère. (Plus amèrement) Oh ! monsieur, cette propreté indigente que vous accusez, est quelquefois plus cruelle que les haillons eux-mêmes… souvent elle les cache25. »
10Le « pauvre » est ce jeune homme maintes fois représenté dans la littérature « 1830 » : issu du peuple mais instruit, il n’appartient plus à la classe populaire mais il méconnaît les relations sociales et professionnelles susceptibles de l’installer dans l’état bourgeois. Faute de statut défini, Antoine se revendique « ouvrier », « journalier d’un avoué », « ouvrier en procédure » (acte I, sc. 3), « un de ces savants inutiles qui ne peuvent manier qu’une plume pour vivre, ou une arme pour mourir… » (acte III, sc. 4). Il est mu pourtant par un orgueil défensif : « Avoir honte de la pauvreté, c’est autoriser les heureux à la mépriser » (acte III, sc. 6).
11George Davis, dans Les Deux serruriers, est compagnon d’un artisan, ouvrier de métier doté d’un savoir-faire. Le métier de serrurier fait de lui un double positif du cambrioleur, crocheteur de serrures incarné par le personnage de Brul26. La pauvreté de la famille Davis a une double origine : d’une part, la loi de primogéniture, qui a spolié le père de George, Samuel, de sa part d’héritage ; d’autre part, les manigances d’un banquier qui a ruiné la petite fabrique de Samuel, obligeant ses deux enfants à abandonner leurs études pour se faire serrurier et ébéniste – sans travail.
12La troisième pièce du corpus franchit un pas supplémentaire dans la représentation de la pauvreté : après l’avocat sans clientèle et les ouvriers sans emploi, le héros est le chiffonnier Jean. Il entre en scène au prologue « avec un sac au lieu de hotte, coiffé d’un bonnet de police, crotté, mouillé, déchiré et trébuchant comme un homme ivre qu’il est27 ». Il réapparaît au deuxième tableau, « vingt ans après », toujours chiffonnier, plus sobre, vivant dans son grenier. Jean figure l’état le plus bas de la misère sociale, l’antithèse absolue du possédant auquel il est aliéné puisqu’il récolte ses détritus pour vivre. Dans son labeur nocturne, il côtoie les fêtards de la société oisive, pour offrir un spectacle saisissant des inégalités sociales.
La pauvreté en spectacle
13Le premier changement survenu dans la représentation du pauvre sous la monarchie de Juillet est de nature spectaculaire. Certes, quelques pièces avaient montré la voie d’une transformation esthétique notamment celles de Victor Ducange dont la « conception moderne du réalisme » s’affirme après 182628. Le changement de décor de la troisième journée de Trente ans ou la Vie d’un joueur dévoile ainsi la cabane de Georges, avec son « âtre vide », son « rideau de serge déchiré » derrière lequel s’aperçoit son « grabat » ; c’est là que réapparaît l’âme damnée de Georges, Warner, « misérable, couvert de haillons29 ». La rupture est engagée avec les décors idéalisants du mélodrame classique qui « évite encore les descriptions trop sordidement réalistes30 ».
14Pyat poursuit dans cette voie au deuxième tableau du Chiffonnier de Paris, où un décor double représente « une chambre et un grenier séparés par un petit palier » (acte I, deuxième tableau). Avec son œil de peintre et sa connaissance familière des décorations théâtrales contemplées soir après soir, le feuilletoniste Théophile Gautier cerne la nature inédite de la mansarde du chiffonnier :
« Cette mansarde satisferait Champfleury, qui, dans la charmante histoire de Chien-Caillou professe une horreur si sincère pour les mansardes de convention. – N’en déplaise à Béranger, on y serait mal même à vingt ans. Elle n’est pas blanchie proprement à la chaux, et la fenêtre à tabatière n’ouvre pas sur l’océan de verdure des jardins du voisinage. Les murailles sont grises, délabrées, moisies par les infiltrations du toit. Le plafond n’a d’autres ornements que les noires arabesques tracées par la fumée des chandelles. La perspective se compose de tuyaux de cheminée. Une grosse toile d’emballage, jetée sur une corde, voile de son canevas criblé à jour le mince grabat du pauvre homme, à qui l’abaissement de la toiture fait une espèce d’alcôve. Une mauvaise table boiteuse, une chaise à pieds bots, une cruche égueulée, forment le mobilier de ce bouge. On n’accusera pas le décorateur d’avoir voulu farder la misère du peuple et la rendre pittoresque31. »
15Les enquêtes sociales sur le paupérisme ont alors contribué à diffuser de telles représentations des « maisons d’habitation de la classe pauvre », selon un titre de chapitre de Charles Frégier. Ce dernier constate que « les logements les plus infects et les plus dégoûtants » reviennent aux chiffonniers et se fonde sur la « peinture incroyable » fournie par les agents de police « chargés de la surveillance des logements ou chambres garnis affectés aux chiffonniers32 ».
16Déjà le premier tableau des Deux serruriers empoignait le public par le spectacle de la « misérable mansarde sans meubles, sans feu et presque sans lumière » (acte I), destiné à provoquer une forme de sidération chez les spectateurs par l’accumulation des détails sordides33. Gautier relaie une nouvelle fois dans son feuilleton le geste de dévoilement du dramaturge, même s’il ne peut s’empêcher d’introduire la distance métaphorique dans sa description :
« La toile se lève et laisse voir une mansarde pauvre et nue, aux murailles en ruine, où descendent les grises araignées de la misère et de l’abandon. Un vieillard est assis dans un fauteuil délabré, les pieds roulés dans une mince couverture qui les défend mal du froid de la mort qui les envahit déjà ; dans un coin, l’on entrevoit le berceau d’un enfant qui vagit et qui a faim ; l’un des fils du vieillard pleure silencieusement et croise sur sa poitrine ses bras à qui l’ouvrage manque : pour surcroît de malheur l’autre frère, le mécanicien, le serrurier, se guérit à l’hôpital d’une blessure grave qui lui rend le travail impossible34. »
17L’alternance des décorations possède dans les trois drames une double fonction, dramaturgique et symbolique. Elle rythme les pièces tout en offrant des antithèses saisissantes entre la pauvre arrière-boutique où vit Antoine (actes I et III) et le « salon somptueusement meublé » des Séran au deuxième acte (Le Riche et le Pauvre), entre la mansarde des Davis et le cabinet du banquier Murray où s’étale « ce que le luxe le plus raffiné peut inventer en fait d’ameublements » (acte II), avant que la scène elle-même ne se fracture en deux espaces, celui d’un cachot coupé en deux par une cloison, au dernier acte (Les Deux serruriers). Dans Le Chiffonnier de Paris, le drame mène du quai d’Austerlitz, refuge de la misère et espace du crime, au « riche boudoir du baron Hoffmann » (douzième tableau), en passant par le grenier du chiffonnier, un cabinet de la Maison Dorée, une chambre de la mère Potard, une « salle à manger splendide chez le baron » (huitième tableau), ou l’« intérieur sordide du parloir de Saint-Lazare » (neuvième tableau). Le drame mise sur le choc contrastif entre les marges urbaines, ordinairement cachées au théâtre, et le faste des lieux emblématiques du pouvoir économique et social. Les antithèses, dans la systématicité de leur reconduction, valent tous les discours et fondent l’efficace manichéisme des drames.
18La figuration du pauvre constitue un autre défi. La physionomie et le costume de Frédérick Lemaître en chiffonnier sont restés célèbres. Gautier y voit le comble du naturel : « Quelle étonnante vérité dans l’habillement, la tenue et les gestes du chiffonnier, au premier acte ! Dirait-on qu’il ait fait autre chose toute sa vie que porter la lanterne et le crochet35 ? » Cet effet de vérité ne naît-il pas d’une simple conformité aux représentations communes du personnage pittoresque du chiffonnier ? Dans Les Cris de Paris. Types et physionomies d’autrefois, Victor Fournel constate que l’imagerie créée autour du chiffonnier s’est nourrie de la pièce de Pyat : « Les chiffonniers ont toujours préoccupé l’imagination publique, qui se plaît, bien gratuitement d’ordinaire, à placer des mystères sous les haillons de ces pauvres diables. Le souvenir de Diogène et de sa lanterne, puis le drame fameux de Félix Pyat, ne sont sans doute pas étrangers à cette tendance36. » Un autre degré de vérité du costume et du geste est perçu par Gautier dans l’interprétation de René-François Boutin, chargé du rôle de Roussillon dans L’Ouvrier de Frédéric Soulié :
« Boutin a joué le rôle de l’ouvrier en perfection : depuis Frédérick on n’a rien vu de mieux ; ce n’est pas le voleur idéalisé, le Charles Moor, le Robert Macaire qui se drape noblement dans son haillon : ce n’est pas le génie du crime et la grâce de la scélératesse comme dans L’Auberge des Adrets ; c’est le vice bas, misérable, étriqué, ignoble, le vice parisien. Comme vérité, il n’est guère possible d’aller au-delà : le chapeau est miraculeux, le pantalon est plein de génie, et la redingote, qui a dû nécessiter huit jours de recherches au Temple dans les plus affreuses arrière-boutiques, ne peut avoir appartenu qu’à un coquin fieffé. Elle a gardé les plis du crime et de l’infamie. – Boutin n’a pas donné à son rôle cet étrange attrait que Frédérick sait imprimer aux brigands et qui fait de tous les auditeurs des complices de Robert Macaire ; mais il a rendu sans charge, sans exagération, un caractère d’une réalité suffisante ; il s’est montré acteur de premier ordre37. »
19Se mesure ici entre Lemaître et Boutin ce qu’un acteur de talent, mais sans génie, peut apporter au réalisme sans grandeur ni puissance de fascination dans la représentation théâtrale de la misère. S’impose un simple être-là de la condition misérable, n’ouvrant sur aucune transcendance, n’engageant aucune connivence fascinée. N’est-ce pas aussi la limite d’une simple figuration de l’altérité sociale, sans trouble ni reste ? Si l’acteur Bocage a laissé dans les mémoires et les représentations la trace de son Antony (pour Dumas) ou de son Didier (pour le Hugo de Marion de Lorme), a-t-il tout autant imposé son personnage d’Antoine dans le drame de Souvestre ? Hippolyte Fortoul a souligné le changement de jeu de l’acteur dans ce rôle, en rupture avec les grandes figures flamboyantes du romantisme :
« Bocage a trouvé dans le rôle d’Antoine une physionomie toute nouvelle pour lui ; il l’a saisie avec un bonheur infini. L’humilité du pauvre, sa résignation, sa chétivité toujours indécise, son amertume toujours concentrée, il a compris et rendu tout cela, lui que d’autres systèmes littéraires avaient choisi pour en faire l’interprète de tous les sentiments violents, de toutes les injures hautaines, de tous les principes orgueilleux et blasphémateurs38. »
20La grimace byronienne et l’éclat schillerien sont combattus par le drame social, soupçonneux face au culte de la forme pour elle-même, en quête d’effets d’évidence sans relief dans la figuration scénique du miséreux. Fortoul résume en une formule cette « nouvelle époque dans l’histoire de l’art » : « Plus d’observation à la fois et plus de pensée, plus de réalité et plus de philosophie39. »
Luttes sociales
21Au-delà des transformations affectant la représentation de la pauvreté et la compréhension des nouvelles conditions misérables dans la société, le bouleversement le plus important concerne l’inscription de la lutte des classes au cœur des actions dramatiques.
22Le titre de Souvestre, moins ambigu que celui de son roman, Riche et Pauvre, pose le conflit dans sa brutalité nue. Dans Le Riche et le Pauvre, Antoine Larry analyse l’origine en lui d’une véritable haine de classe née de « l’affront » de la bienveillance chez les riches parents de son condisciple, Arthur Seillan : « ils ont développé chez moi le vice de la pauvreté méprisée, LA HAINE ! Représentants odieux d’une classe, ils m’ont rendu odieuse la classe entière, et j’ai honte de cette faiblesse jalouse dont ils sont la cause » (acte I, sc. 3). Aucune main providentielle ne guide plus l’intrigue dramatique ; l’avoué Pillet, employeur et manipulateur d’Antoine, occupé à « démuseler » son lion (acte I, sc. 9) figure plutôt, à travers quelques suggestions méphistophéliques, la tentation du mal chez le pauvre40 : il possède les preuves d’une manipulation financière susceptibles de faire condamner la famille Séran. Antoine lui résiste au nom de l’honneur (« La supériorité de l’âme est une infirmité sociale », acte III, sc. 5). Toutefois, le conflit amoureux qui l’oppose à Arthur, et le suicide de Louise trahie par son riche amant, précipitent le dénouement, les coups de pistolet tirés par Antoine sur Arthur après ces mots : « Ne m’as-tu donc pas appris tout ce qu’un riche pouvait faire de mal avec le pouvoir de faire le bien ! » (acte V, sc. 6). Nous sommes bien loin des recommandations de Villeneuve-Bargemont dans son Économie politique chrétienne : « le riche doit soulager le pauvre, le fort secourir le faible : le faible et le pauvre doivent obéir à leur condition, et leur résignation devient pour eux une source de mérite41 ».
23La violence du dénouement de Souvestre contraste fortement avec les heureuses perspectives ouvertes par Pyat au terme de ses drames. Après le combat à l’arme blanche entre George et Burl dans le cachot, l’honnête serrurier est innocenté de l’accusation de vol. Dans Le Chiffonnier de Paris, le père Jean, témoin du meurtre commis par le chiffonnier Pierre Garousse au prologue, parvient à démasquer celui-ci, enrichi par son crime crapuleux et devenu baron Hoffmann, vingt ans après. Le pauvre figure alors le témoin privilégié des dessous de la société, son juge et son vengeur, perçant à jour la trop bonne conscience des nantis, achetée à coup de « bons de charité » distribués aux pauvres (acte II, sc. 1). Godefroy Cavaignac a interprété la valeur politique et la dimension eschatologique d’une telle fin :
« Ton drame finit bien, et en cela il s’accorde avec le drame réel du prolétariat, qui finira bien pour lui. Ce n’est pas seulement un instinct moral, c’est aussi un instinct d’espoir qui donne au parterre plébéien des théâtres du boulevard le besoin, tout spécial, de voir les dénouements se prononcer en faveur de la justice et de l’infortune. Le prolétaire se présage ainsi son avenir42 ! »
24Une nouvelle forme d’idéalisation s’esquisse ainsi ; elle prend toutefois une autre portée que celle du « bon pauvre » : il s’agit cette fois de proposer une intégration du peuple-plebs, de la populace, dans le peuple-populus, dans le corps de la nation : de « démontrer les capacités populaires pour justifier la revendication démocratique d’un suffrage universel43 ».
25Pyat pointe plusieurs causes sociales de la misère. Dans Les Deux serruriers, c’est le droit d’aînesse qui est accusé non seulement de ruiner les frères mais aussi de déchirer les familles, là où la fraternité et le partage égalitaire des biens doivent fonder la république sociale. L’honnêteté demeure l’apanage du pauvre et sa seule arme, là où l’argent du banquier est jugé corrompu et corrupteur par nature. Dans Le Chiffonnier de Paris, toute richesse, figurée par celle du baron Hoffmann, cache un forfait et relève de la spoliation, quand elle ne se double pas d’un infanticide. L’inégalité des conditions et surtout l’accumulation des richesses par quelques-uns sont violemment mises en accusation. Une nouvelle fois, le manichéisme sert l’efficacité du propos dans des tirades accusatrices : « vous avez des voitures, et nous n’avons pas de souliers ; vous avez des hôtels, et nous n’avons pas de logements ; vous pouvez nourrir dix femmes, et nous n’avons pas de pain tous les jours !… Vous avez tout, enfin… et nous n’avons rien !… Et vous avez encore besoin de ce qui nous reste, de notre seul et unique bien, notre honneur ! » (acte II, sc. 9). Cela paraît simpliste, voire populiste – et à cet égard, la pièce de Souvestre est autrement complexe et dérangeante dans son étude des racines de la haine sociale. La portée exacte de ces pièces apparaît pleinement si on les replace dans le contexte idéologique de la monarchie de Juillet, au moment où le pouvoir orléaniste estime que les classes n’existent plus en France, qu’il n’y a plus que des positions que l’on acquiert par « le travail, l’économie, la capacité », que l’on perd par « le vice, la dissipation, l’oisiveté » : « La bourgeoisie est si peu une classe que les portes en sont ouvertes à tout le monde pour en sortir comme pour y entrer44. »
26Il resterait à mesurer précisément l’action exercée par de tels spectacles sur les représentations collectives. On résistera à l’illusion rétrospective en évitant de faire porter à ces drames, à l’instar de Janin, la responsabilité de la révolution de 1848 :
« Les historiens des générations d’après 48, avertis du danger, plaquèrent sur la monarchie de Juillet leurs peurs et leurs préjugés et rendirent la passion du public pour Le Chiffonnier, Le Riche et le Pauvre, Les Mystères de Paris responsable de ce qui n’était pas prévisible. La surprise face aux événements de février 1848 fut, on le sait, totale ; ce ne furent donc pas les mélodrames de Pyat et de Souvestre qui furent la cause de la révolution qui allait éclater, même s’ils préparèrent les esprits45. »
27Les drames « sociaux » ou « humanitaires », dénoncés par la critique officielle (Janin), traités avec condescendance par la critique « romantique » (Gautier, Nerval), ont sans doute contribué avec d’autres productions du socialisme dit utopique à déplacer les représentations communes, à faire de l’altérité du pauvre non un donné naturel ni une punition morale ou divine, mais une preuve de l’injustice sociale : « une autre vision sociale est ainsi élaborée et diffusée. Elle remet en cause le monopole de la vision jusqu’alors dominante » et oblige « les penseurs officiels à redéfinir leur propre apologétique de l’ordre établi, ce qui les place en position défensive46 ». Telle est la première victoire politique du drame humanitaire.
Notes de bas de page
1 « Non, ce n’est pas M. Proudhon et sa formule, dont on n’avait jamais entendu parler avant 1848 ; non, ce ne sont pas les philosophes, faiseurs de livres, et les déclamateurs in-32, qui ont porté la corruption et la colère dans ces âmes faciles à toutes les empreintes, ce sont les drames et les mélodrames mauvais, c’est la chose jouée en chair et en os ; la chose en action revêtue à peine de quelques haillons, et râlant la faim, le froid, l’hiver, l’injustice, l’horreur, le cachot, le bourreau ! » (Janin J., Histoire de la littérature dramatique, Paris, Michel Lévy frères, t. II, p. 205. Cité par Vigier P., « Le mélodrame social dans les années 1840 », Europe, « Le mélodrame », no 703-704, novembre-décembre 1987, p. 71-81 [72].)
2 Janin J., Journal des débats, 3 septembre 1832.
3 Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne, ou recherches sur la nature et les causes du paupérisme en France et en Europe, et sur les moyens de le soulager et de le prévenir, Paris, Paulin, 1834 ; Tocqueville A. de, Mémoire sur le paupérisme, Paris, Hachette, 1971 [1835] ; Rémusat C. de, Du paupérisme et de la charité légale : lettre adressée à MM. les préfets du royaume, Paris [sans nom d’éditeur], 1840 ; Bonaparte L. N., Extinction du paupérisme, Paris, Pagnerre, 1844.
4 Villermé L., Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les coton, de laine et de soie, ouvrage entrepris par ordre […] de l’Académie des sciences morales et politiques, Paris, J. Renouard, 1840 ; Frégiér C., Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes, et des moyens de les rendre meilleures, ouvrage récompensé en 1838, par l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques), Paris, J. B. Baillière, 1840 ; Buret E., De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France ; de la nature de la misère, de son existence, de ses effets, de ses causes, et de l’insuffisance des remèdes qu’on lui a opposés jusqu’ici ; avec l’indication des moyens propres à en affranchir les sociétés, Paris, Paulin, 1840.
5 Bonaparte L. N., Extinction du paupérisme, op. cit., p. 3-4.
6 Buret E., De la misère des classes laborieuses…, op. cit., t. I, p. 108.
7 Définition du Grand Robert de la langue française, t. V, Rey A. (dir.), Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001 (2e éd.), p. 366.
8 Christen C., notice « Paupérisme », dans Dictionnaire du romantisme, Vaillant A. (dir.), Paris, CNRS Éditions, 2012, p. 547. L’auteur précise que Saint-Simon, le premier, à l’origine des socialismes dits utopiques, « avait individualisé les ouvriers parmi les pauvres […]. La pauvreté proviendrait de la mauvaise organisation du travail de la société industrielle ».
9 « Les Barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie ; ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières » (Journal des débats du 8 décembre 1831, en réaction à la révolte des canuts à Lyon).
10 Lyon-caen J., « Le romancier, lecteur du social dans la France de la monarchie de Juillet », Revue d’histoire du XIXe siècle, no 24, 2002, p. 15-32.
11 Le drame « social » découle parfois directement du roman dit aussi « social » : Le Riche et le Pauvre de Souvestre est l’adaptation de son roman Riche et Pauvre, lançant le cycle des Romans de la vie réelle selon son avant-propos programmatique. L’étude la plus riche sur le drame social, limitée toutefois aux œuvres de Félix Pyat, est celle de Sabatier Guy, Le Mélodrame de la République sociale et le théâtre de Félix Pyat, Paris, L’Harmattan, 1998, 2 vol. Dans son étude désormais classique du mélodrame, Thomasseau Jean-Marie consacre des notices aux grands auteurs du (mélo) drame à sujet social dans les années 1830 et 1840, Ducange, Soulié, Pyat, Bouchardy, Dennery (on pourrait ajouter Mallefille, Foucher et le saint-simonien Charles Duveyrier) : Le Mélodrame, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1984, p. 60-77.
12 Janin J., Journal des débats, 6 février 1837 (feuilleton dramatique sur Le Riche et le Pauvre d’É. Souvestre).
13 Fortoul H., « Revue dramatique », Revue de Paris, 1837, t. 38, p. 63. Déjà les éditeurs de Louis-Sébastien Mercier remarquaient dans une note ajoutée à sa pièce L’Indigent (Théâtre italien, 22 novembre 1782) : « Les sorties contre les riches sont fréquentes dans cette pièce : cela diminue un peu l’intérêt qu’on peut prendre aux personnages qui les font, et, comme ce sont ordinairement les riches qui fréquentent le plus les spectacles, de semblables traits doivent nuire à la pièce dans leur esprit. On pourrait les supprimer à la représentation » (Œuvres choisies de Mercier, avec des remarques, des notices, et l’examen de chaque pièce, Nodier C. et Lepeintre P., Paris, Dabo-Butschert, 1824, p. 54).
14 Mercier L. S., L’Indigent, acte II, scène 2, op. cit., p. 33. Les éditeurs du texte de Mercier, Nodier et Lepeintre commentent en note : « Le contraire serait peut-être plus vrai : plus il y a de riches, plus il y a d’industrie, et moins il y a de gens sans ouvrage. C’est ce que nous voyons aujourd’hui » (ibid.).
15 Nerval G. de, feuilleton dramatique du 8 juillet 1838 dans La Charte de 1830, repris dans Œuvres complètes, Guillaume J. et Pichois C. (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, t. I, p. 438.
16 Nerval G. de, feuilleton du 15 juin 1840 dans La Presse, repris dans Œuvres complètes, ibid., p. 573.
17 Le succès du Chiffonnier de Paris, dû en partie au jeu de Frédérick Lemaître, accompagne la révolution de 1848 et les débuts de la Deuxième République ; Les Deux serruriers connaissent, selon Sabatier G. (op. cit.), 67 représentations de mai à octobre 1841 et sont joués tous les ans jusqu’en 1848 ; Le Riche et le Pauvre de Souvestre est réédité au bureau du Siècle en 1850, à la Librairie théâtrale en 1853, chez Barbré en 1868.
18 Pour une étude dramaturgique et esthétique des pièces de Souvestre, je me permets renvoyer à mon article « Émile Souvestre, praticien et réformateur du théâtre : la morale en action », Émile Souvestre, écrivain breton porté par l’utopie sociale, Plötner B. (dir.), Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2007, p. 97-115.
19 La lecture des Promenades dans Londres ou l’Aristocratie et les Prolétaires anglais de Flora Tristan aurait inspiré à Pyat le drame des Deux serruriers.
20 Janin J., Journal des débats, 6 février 1837 (feuilleton dramatique sur Le Riche et le Pauvre d’É. Souvestre).
21 Villeneuve-bargemont, Économie politique chrétienne…, op. cit., t. I, p. 101
22 Ibid., p. 481. C. de Rémusat conseille de renoncer à la charité publique lorsque l’« état de pauvreté a pour cause la paresse ou le désordre » car « le secours accroîtra le mal au lieu d’y remédier, et il ne fera qu’encourager de mauvais penchants ». Toutefois, le même Rémusat assigne une autre origine, économique, à la pauvreté : « Il faut reconnaître que le manque d’ouvrage et l’insuffisance des salaires sont les causes les plus générales de l’indigence parmi les individus valides. » Il conseille alors la création d’ateliers et de colonies agricoles tout en demandant aux préfets de considérer les dépôts de mendicité comme des « lieux de travail » (Du paupérisme et de la charité légale…, op. cit., p. 47-48).
23 Victor Hugo jouera sur ce schéma éprouvé en 1866 dans L’Intervention, pièce de son théâtre de l’exil dénonçant l’« indifférence égoïste aux questions sociales » de « la société aristocratique du Second Empire » (Naugrette F., « Lecture accompagnée » de L’Intervention, Paris, Gallimard, coll. « La Bibliothèque Gallimard », 2003, p. 114).
24 Ducange V., Le Testament de la pauvre femme, drame en 5 actes, Paris, Barba, 1832, didascalie ouvrant l’acte I.
25 Souvestre É., Le Riche et le Pauvre, drame en 5 actes et 6 tableaux, Paris, Le théâtral, t. XVI, no 9, 1837, acte I, scène 1.
26 Victor Hugo confondra les deux figures en celle de Glapieu, dans Mille francs de récompense en 1866.
27 Pyat F., Le Chiffonnier de Paris, drame en 5 actes, 12 tableaux dont un prologue, Michel Lévy frères, coll. « Théâtre contemporain illustré », s. d., prologue, premier tableau, sc. 1.
28 Le Hir M.-P., Le Romantisme aux enchères. Ducange, Pixerécourt, Hugo, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins Publishing Company, 1992, p. 79.
29 Ducange V., Trente ans ou la Vie d’un joueur, Paris, Barba, 1827, troisième
30 Thomasseau J.-M., Le Mélodrame sur les scènes parisiennes de Cœlina à L’Auberge des Adrets, Lille, Service de reproduction des thèses, 1976, p. 378.
31 Gautier T., La Presse, 17 mai 1847 ; repris dans Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, Paris, Hetzel, 1859, t. V, p. 85. Gautier fait allusion à la chanson de Béranger, « Le grenier », dont le refrain est : « Dans un grenier qu’on est bien à vingt ans ! » (Œuvres complètes, Béranger J. P. de, Paris, chez tous les libraires, 1847, p. 379-380). Gautier fait aussi référence à la nouvelle de Champfleury, Chien-Caillou (1847), où le théoricien du réalisme réfute l’idéalisation hugolienne pour opposer les « mansardes réelles » à celles « des poètes » – notamment celle de Hugo dans « Regard jeté dans une mansarde » (Les Rayons et les Ombres, 1840).
32 Frégiér C., Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes…, op. cit., t. II, p. 139-140.
33 Pyat F., Les Deux serruriers, Paris, Tresse, 1841, acte I. Ce sont les objets scéniques, la décoration et les pantomimes qui parurent les plus dangereux aux yeux des censeurs : le drame de Pyat est autorisé par la censure, puis supprimé à cause « des dangers […] de cet ouvrage […] aggravés […] par les détails de la mise en scène » (Procès-verbal de censure, Archives nationales de France, F21 1129). Les détails comme les allusions directes au présent inquiètent alors la censure : « Dès 1836, les censeurs adoptèrent une ligne de conduite à l’égard des mélodrames sociaux et n’en changèrent plus : ils réprimèrent les références précises à l’actualité politique, les détails et ne se permirent que très rarement d’interdire une pièce sur le fond, sur les sujets qu’ils savaient par ailleurs fort bien analyser, mais sur lesquels, idéologiquement, ils ne savaient, ni ne voulaient prendre parti » (Krakovitch O., Hugo censuré. La liberté au théâtre au XX e siècle, Paris, Calmann-Lévy, 1985, p. 138).
34 Gautier T., La Presse, 7 juin 1841, repris dans Œuvres complètes, Critique théâtrale, Paris, éd. P. Berthier, t. III, 2010, p. 108.
35 Gautier T., La Presse, 17 mai 1847, repris dans Histoire de l’art dramatique en France…, op. cit., t. V, p. 85.
36 Fournel V., Les Cris de Paris. Types et physionomies d’autrefois, Paris, Les Éditions de 2003 [1887], p. 162.
37 Gautier T., La Presse, 27 janvier 1840, repris dans Œuvres complètes, Critique théâtrale, op. cit., t. II, 2008, p. 522-523.
38 Fortoul H., art. cit., p. 68.
39 Ibid.
40 Le drame de Souvestre est joué un an avant Ruy Blas, où Salluste est un autre avatar méphistophélique face au laquais amoureux de la reine.
41 Villeneuve-bargemont, Économie politique chrétienne…, op. cit., t. I, p. 437-438.
42 Cavaignac G., « Mon cher Pyat », Journal du Peuple, 27 mai 1841, p. 3 ; cité par Sabatier G., Le Mélodrame de la république sociale…, op. cit., t. I, p. 122.
43 Sabatier G., ibid., p. 226
44 Journal des débats, 17 décembre 1841. Telle est exactement la position de Jules Janin, cité en ouverture du présent article.
45 Krakovitch O., Hugo censuré, op. cit. p. 138. Le Chiffonnier de Paris a été offert en gratis par la Porte Saint-Martin le 26 février 1848 ; interdit en 1849, le drame est repris en 1885 au théâtre Beaumarchais, puis le 14 juillet 1889 aux Bouffes du Nord (gratis) pour le centenaire de la Révolution.
46 Charle C., Histoire sociale de la France au XIXe siècle, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1991, p. 58.
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