1 Le Monde des Livres du 17 mai 2013 consacre ses deux premières pages à Charlotte Delbo et annonce la parution de ses inédits théâtraux : Charlotte Delbo, Qui rapportera ses paroles ? Et autres écrits inédits, Paris, Fayard, 2013.
2 Pour ne pas alourdir ce texte il n’y aura pas de renvoi à la biographie écrite avec Violaine Gelly, Charlotte Delbo, Paris, Fayard, 2013. Rappelons qu’entre le moment où la biographie fut écrite et le début de 2013 l’essentiel des archives Charlotte Delbo sous la garde de Claudine Riera-Collet ont été remises à la BnF qui les a classées. Avant ces documents n’avaient pas de cote. Donc les éléments nécessaires pour retrouver ces documents seront fournis, mais il n’a pas été possible de vérifier s’ils avaient tous été confiés à la BnF et comment, en ce cas, ils avaient été classés et cotés.
3 Voir la fin de la copie de la lettre de trois pages envoyée à Philippe Robrieux et datée du 10 avril 1981 : « Je n’ai plus rien à voir avec le PC depuis 1945 : voir les “cadres” en déportation m’a refroidie tout de suite ; j’avais décidé de rompre au pacte germano-russe, mais mon mari était resté et, rentrée d’Amérique du Sud où j’avais accompagné la tournée Jouvet (je suis rentrée en novembre 1941), alors que tout était devenu plus clair, c’est avec les communistes que j’ai été dans la résistance. »
4 Dans une lettre à Jean Kanapa envoyée de Genève en date du 20 décembre 1957 elle demande au « Camarade » rédacteur en chef de la Nouvelle Critique des explications sur le sens précis de « révisionnisme » en invoquant l’édition en russe du Petit dictionnaire philosophique de Rosenthal et Youdine paru aux Éditions de Moscou en 1954. L’ouvrage renvoie à « réformisme », autrement dit à l’idée de voie parlementaire au socialisme, ce que justement Duclos vient défendre dans un discours au Comité central du PCF. On notera que la 3e édition du Краткий философский словарь est de 1952 et la 4e édition de 1955.
Après l’insurrection hongroise Charlotte Delbo s’interroge donc, mais reste attachée au mouvement communiste au moins intellectuellement et de façon critique. La copie de cette lettre et la réponse du rédacteur en chef-adjoint, J. Arnault, en date du 30 décembre 1937, qui invoque la publication prochaine d’un texte de Gomułlka, se trouvait dans les archives gardées par Claudine Riera-Collet. On y trouvait même la copie d’une réponse perplexe à la réponse de J. Arnault, en date du 14 janvier 1958, toujours de Genève, cette fois-ci en apparence sans écho du côté de la Nouvelle Critique.
5 Voir l’édition de 1961 aux Belles Lettres, réimprimée en février 2012, p. 141-142.
6 Texte de deux pages dactylographiées, qui commence par : « Je crois qu’il y a eu un malentendu parce que vous attendiez un document. / Vous avez pris à la lettre le mot anthologie. Ce n’est pas une anthologie. D’où la nécessité de le dire dans l’avertissement… » Les éléments contextuels indiquent que ce texte, dont on ne sait s’il a été envoyé et reçu, est de 1961.
7 Texte inédit de 1968 publié dans Qui rapportera ses paroles ? Et autres écrits inédits, Paris, Fayard, 2013, p. 119-191.
8 Voir la « Postface à un métro… », titre manuscrit, la date « 1960 » avec une autre encre, tapuscrit de 4 pages, p. iv, Archives de Charlotte Delbo chez Claude Riera-Collet. Et dans le document tapuscrit « Avertissement au lecteur », avec la mention manuscrite « Pour “Un métro nommé Lénine” », et daté de juillet 1970 au bas de cette unique page, Charlotte Delbo écrit (texte intégral) : « Ce voyage en Union Soviétique paraît bien lointain et on demandera pourquoi je n’en ai pas publié le compte-rendu à l’époque, en 1959. / Lointain ? Oui, si l’on récapitule tout ce qui s’est passé dans le monde depuis 1959. Proche cependant si l’on sait la lenteur avec laquelle se modifie au regard de l’individu, surtout en Union Soviétique où tout bouge si lentement. / Pour répondre à la question précise : pourquoi n’avoir pas publié ce récit de voyage dès le retour, je dirai qu’à cette époque il me semblait mal à propos, à moi, étrangère, de critiquer la vie en Union Soviétique – toute description étant prise pour critiquer quand elle est sincère. Maintenant que nous arrivent d’U.R.S.S. même des critiques autrement sévères, je crois utile de mêler ma voix aux voix courageuses qui franchissent les frontières de la censure, du K.G.B., des camps et des asiles psychiatriques pour dénoncer l’imposture du “socialisme”. Le socialisme n’est pas en U.R.S.S. Il est encore à créer, à partir de ses espoirs et de mes exigences. Nous ne savons pas ce qu’il sera. Nous devons savoir ce qu’il ne doit pas être. »
9 Le texte de 1970 cité dans la note précédente montre que Charlotte Delbo, onze ans plus tard, omet de mentionner ses tentatives de publication du « Métro… ». Et elle ne relève pas la critique radicale déjà présente dans son « Avertissement au lecteur ». L’omission des tentatives de publication se comprend aisément. Dans le texte de son CV de deux pages tapuscrites (sans doute rédigées à la fin de 1960), « Charlotte Delbo, veuve de Georges Dudach (capitaine de la Résistance intérieure française, fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942) », p. 2, elle précise : « J’ai rapporté de ce voyage un livre que j’ai intitulé “Un métro nommé Lénine”, qui n’a pas été publié. »
10 Entre autres la critique d’un livre en préparation, lettre du 13 septembre 1963 à « Mon cher Henri » : « … Ton manuscrit est terminé : 200 pages. Je n’ai eu aucune difficulté avec ton écriture ; peut-être y a-t-il un seul mot non déchiffré, et deux mots douteux. / Par contre, j’ai fait ce travail avec une irritation croissante. Parce que c’est mauvais. Un manteau d’Arlequin avec bien peu de bons morceaux. Je suis contente que tu ne puisses finir. Cela te donnera le temps d’y réfléchir et de le réorganiser. » Et après maintes remarques Charlotte Deblo conclut que sur 200 pages « tu pourrais en garder 50 », et poursuit : « Tu seras fâché. Si je travaillais pour un tartouillot quelconque, qu’on me dise : “Qu’est-ce qu’il a votre patron ? Il gâtifie ?”, me serait bien égal. Qu’on me le dise de toi et que je sois obligée d’encaisser, non. J’imagine la tête de certains de tes élèves – M. Baudrillard, par ex. – s’ils lisaient ce manuscrit tel quel. Ils seraient atterrés. / Que tu sois fâché ou non, j’aurai fait mon possible pour t’éviter le ridicule, éviter qu’on dise : “Pauvre type ! Il ne s’en est pas remis.” Sans compter les camarades qui concluront finement : “Le parti a vu clair.” » On notera aussi dans cette lettre de deux pages la critique acide sur le récit autobiographique de l’entrée en communisme d’Henri Lefebvre par dépit amoureux.
11 Voir Julliard J., Les Gauches françaises 1762-2012 : histoire, politique et imaginaire, Paris, Flammarion, 2012.
12 On note d’une part la critique du non-respect des consignes de sécurité du parti par Pierre Villon et Danielle Casanova, par exemple (lettre à Philippe Robrieux déjà citée) et la critique de la soumission aux ordres de la direction adressée à Georges Dudach, voir interview de Georges Nataf, qui fut son éditeur, par Violaine Gelly (2012). Cette perception se comprend mais il est difficile de savoir à quel moment il aurait encore été possible de quitter l’appartement dans une relative sécurité. Ce qui est certain c’est qu’au lieu de Pierre Villon, sorti par la fenêtre de la salle de bain et qui n’a pas été arrêté, il aurait été possible de faire sortir Charlotte, dont la présence semble avoir surpris les policiers. Le troisième présent, Georges, vu l’arrivée de la police relativement peu de temps après lui, était probablement celui qui avait été suivi. C’était effectivement le cas.
13 La lettre du 10 avril 1981 est déjà citée ci-dessus.
14 Delbo C., La Mémoire et les jours [1985], Paris, Berg International, 1995, p. 137.
15 Ibid., p. 137-138.
16 Ibid., p. 136.
17 Ce texte, initialement publié aux Éditions Anthropos (1969) a été repris dans Delbo Charlotte, Qui rapportera ses paroles ? Et autres écrits inédits, op. cit., p. 67-118.
18 Ibid., p. 10/72 (en fonction de l’édition retenue).
19 Ibid., p. 12/74.
20 Voir Bruttmann Tal, Joly Laurent et Wieviorka Annette (dir.), Qu’est-ce qu’un déporté ? Histoire et mémoires des déportations de la Seconde Guerre mondiale, Paris, CNRS Éditions, 2009, et notamment Wieder Thomas, « L’affaire David Rousset et la figure du déporté. Les rescapés des camps nazis contre les camps soviétiques (1949-1959) », p. 311-331.
21 Marie-Claude Vaillant-Couturier. Une femme engagée, du PCF au procès de Nuremberg, Paris, Balland, 2012, p. 369. Cet ouvrage montre aussi combien la dirigeante communiste tenait un discours éloignée de celui de Charlotte Delbo sur la réalité du camp, mettant en scène une forme de prolongation de la lutte des classes dans un univers où, pour Delbo, ce combat n’est pas présent. On remarquera aussi la différence de sensibilité face au sort particulier des Juifs.
22 Delbo C., Auschwitz et après I. Aucun de nous ne reviendra [1970], Paris, Éditions de Minuit, 2007.
23 Delbo C., La Mémoire et les jours, op. cit., p. 14.
24 Delbo C., Auschwitz et après II. Une connaissance inutile [1970], Paris, Éditions de Minuit, 2012, p. 53.
25 Delbo C., Auschwitz et après III. Mesure de nos jours, op. cit., p. 151-169.
26 Dans une « attestation » signée le 24 décembre 1948 par « Pierre Villon, Secrétaire Général du frontnational pendant l’Occupation », il est précisé que Georges Dudach « arrêté au début de mars 1942 (et fusillé le 23 mai 1942) était, au moment de son arrestation, mon adjoint national pour les groupements FN des intellectuels et leurs journaux (Université Libre, Lettres Françaises, etc.… [sic]) à la constitution desquels il a participé dès octobre 1940 ». On trouve aussi dans les archives Delbo une autre attestation, du 25 juin 1956, signée du Liquidateur national du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (réf. 27.471), Marcel Mugnier. Elle précise : « Organisateur acharné, Georges Dudach participa non seulement au rassemblement des intellectuels pour une activité conforme aux branches diverses de l’Université, mais il se soucia de faire participer la jeunesse estudiantine à la lutte armée contre l’envahisseur. À cet effet, il recrute de nombreux étudiants pour nos groupes FTPF. Dans son domicile, rue de la Faisanderie, il rédigeait et faisait taper à la machine stencils et tracts du Front national universitaire. Toute son activité résistante était suivie par le chef national du Front national, Pierre Villon. »
27 Il faut noter ici que ces liens concernent des Françaises bien sûr, mais aussi d’autres camarades. Or nous n’avons repéré aucune Soviétique. On peut rappeler ici que le comportement des Soviétiques dans les camps avait troublé Charlotte Delbo (« Postface à Un métro… », folioté I-IV, 1960) : « Ma naïveté aurait dû être entamée par le premier contact que j’ai eu avec des Soviétiques : c’était à Auschwitz où j’ai été déportée en janvier 1943 (avec Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier). À Auschwitz, nous travaillions dans les marais et dans les champs. Un jour, on nous a mis des houes en mains et alignées au bout d’un sillon pour que nous binions des pommes de terre ou des betteraves. À côté de notre équipe, on a aligné une équipe de Russes. Alors qu’après une heure les Françaises avaient à peine avancé de dix mètres, les Russes touchaient l’autre bout du champ et revenaient, binant une nouvelle rangée de sillons. Nous étions en colère. “Elles ne comprennent donc rien, ces Russes ?” Déléguée auprès d’elles, parlant le sabir du camp, j’essaie de leur expliquer qu’il ne faut pas travailler pour les SS, etc. Non, elles ne comprenaient rien. Force était d’admettre que dans le pays du socialisme l’éducation civique élémentaire manquait aux jeunes filles qui avaient 18 ans en 1943. » Puis Charlotte Delbo note, en évoquant Ravensbrück : « Des femmes soldats, d’une unité de transmission, donnaient l’exemple de la plus grande fermeté et du plus grand courage. L’éducation civique n’était donc pas fait à l’école, mais au service militaire ? » Et elle conclut en racontant le viol, par des soldats soviétiques, de sa compagne de déportation tchèque, Vlasta. Mais elle conclut qu’alors sa confiance en l’URSS n’avait pas été ébranlée.
28 Voir aussi sur ce point le portrait co-signé avec Gelly Violaine, « Piękne życie Charlotte Delbo » [« La belle vie de Charlotte Delbo »], Gazeta Wyborcza, 18-19 mai 2013, p. 31.
29 Voir La Mémoire et les jours, op. cit., p. 63-80.
30 C’est le sens premier de l’entretien non publié effectué par l’auteur avec Imre Kertész le dimanche 12 août 2012 à son domicile berlinois.