Chapitre V. Des expériences humaines : les relations entre réalisateur, protagonistes et public
p. 165-188
Texte intégral
Voix, parole, texte
1À la manière des cinéastes du direct, les documentaristes indépendants ont cherché à mettre en valeur la parole des protagonistes filmés, en présentant leurs films avant tout comme des enregistrements d’expériences humaines. Le statut de la voix dans leurs films, qu’il s’agisse de celle du réalisateur, des protagonistes, ou de ce que Bill Nichols appelle la « voix du documentaire1 », autrement dit son discours moyen, révèle une fois de plus leur rupture avec le documentaire officiel. En réaction au mode documentaire d’exposition, les réalisateurs indépendants cherchent à abandonner l’aspect autoritaire et didactique de la parole délivrée par un commentaire en voix-off, et font entendre la voix des protagonistes, ainsi que la leur. Les modes d’enregistrement de la voix, sa mise en scène et son rôle dans le film traduisent à la fois la nature de la relation entre le filmeur et le filmé, et déterminent l’esthétique de l’œuvre. Toujours dans cette logique d’enregistrement de l’expérience, les réalisateurs indépendants valorisent divers modes de la parole, allant du dialogue spontané entre les protagonistes pour le documentaire observationnel, à la conversation libre entre filmeur et filmé dans les documentaires performatifs ou participatifs, et même à l’entretien pour les documentaires d’investigation. À l’époque post-cinéma direct où les styles documentaires sont définitivement poreux et mélangés (si tant est qu’ils ne l’étaient pas déjà auparavant), les documentaires indépendants chinois constituent un corpus idéal pour examiner des choix de mise en scène de la parole. En toute logique, ces films sont censés privilégier la parole synchrone puisqu’ils se réclament du direct. Certaines séquences font toutefois intervenir la parole asynchrone, montrant les limites de ce modèle pour le documentaire indépendant chinois. Les modes de représentation de la parole recoupent différents modes documentaires qui définissent des relations plus ou moins fortes entre réalisateur et protagonistes, certains s’adressant aux spectateurs de manière explicite. La question de la participation, qui découle de ces relations, est centrale dans les conceptions du documentaire depuis Flaherty, et elle travaille de nombreux films de ce corpus comme nous le verrons dans ce chapitre.
Du micro-trottoir à l’entretien
2Les documentaristes indépendants emploient rarement un dispositif d’entretien classique, mais plutôt des conversations libres dans lesquelles le protagoniste partage ses idées, ses sentiments ou ses souvenirs avec le réalisateur. Certains films échappent pourtant à cette logique conversationnelle et présentent des régimes de parole beaucoup plus formels. Les interviews sont même prépondérantes dans plusieurs films conçus comme une série de plans « talking heads ». Le Vent souffle fort à Pékin2 est caractéristique d’un procédé d’entretien rapide de type micro-trottoir dans lequel la même question est posée à diverses personnes rencontrées au hasard d’une promenade. Dans le cas de ce film, il s’agit de savoir si les passants « trouvent que le vent souffle fort à Pékin ». Les liens en général éphémères et superficiels qui se nouent entre filmeurs et filmés s’approfondissent parfois au gré des rencontres et la question qui semble au premier abord triviale, se révèle source d’anecdotes ou d’interprétations très différentes. Le silence et l’expression méfiante de certains en dit long sur leur rapport à la caméra et à l’expression publique, notamment dans cette zone emblématique du pouvoir central de la place Tiananmen. La vidéo Ce 4 juin là (Wangque de yitian 忘卻的一天 ?, 2005, 13 min) de Liu Wei 劉偉 utilise un procédé identique au même endroit. L’artiste demande à des passants s’ils savent quel jour on est, et la plupart arborent une mine impassible et restent muets, comme s’ils avaient oublié la signification du 4 juin 1989, ainsi que le titre de l’œuvre en chinois le laisse entendre. La gêne d’autres interviewés dément cette impression, et reflète l’embarras que déclenche généralement cette date d’anniversaire sensible. La spontanéité du micro-trottoir et son caractère aléatoire illustre une volonté souvent peu subtile de représentation d’un groupe, générant des réponses courtes et souvent contraintes par la pudeur et la dimension publique de l’échange. Approfondi par certains réalisateurs sous la forme d’entretiens sur le vif, ce mode d’interaction donne un effet choral de montage d’opinions. Certains cinéastes engagés souhaitant représenter un groupe défavorisé en lui donnant la parole ont eu recours à ce procédé, comme dans Queer China, “Comrade” China de Cui Zi’en 崔子恩, et One and Six de Li Guang 黎光3. Le premier se focalise sur la communauté homosexuelle en Chine, et tente d’en décrire l’histoire à travers ses multiples aspects. Différents intervenants, souvent des connaissances du réalisateur et des activistes eux-mêmes partagent leurs opinions ou savoirs. Bien que spontanés, ces discours intercalés les uns aux autres grâce au montage, sont très calibrés et répondent à une visée informationnelle dans laquelle l’émotion joue un rôle important. Le partage d’expériences personnelles tout autant que de savoirs historiques, scientifiques et sociaux et permet de donner une dimension humaine à ce film engagé, dans lequel chaque intervenant illustre une facette de la communauté. D’une autre manière, One and Six explore différents visages de la féminité, incarnés par une employée d’ascenseur et six artistes et écrivains. Typique d’une méthode d’entretien répétitif dans laquelle les protagonistes sont abordés de la même manière afin de comparer leurs réactions, chaque femme protagoniste est approchée au début du film par un caméraman masculin qui lui demande quel est son sexe (Ni de xing shi shenme ? 你的姓是什麼 ?). Montées les unes après les autres, ces séquences illustrent les opinions variées des protagonistes et reflètent en particulier leurs différences sociales, dans une tentative assez maladroite de dresser un portrait de la femme chinoise contemporaine. L’entretien en plans « talking heads », malgré sa relative lourdeur comparée à la conversation filmée, représente néanmoins une avancée considérable pour les pionniers du mouvement indépendant, ce qui explique certainement son omniprésence dans certains documentaires. Pour Bérénice Reynaud, il s’agit même d’un geste « révolutionnaire au début des années 1990, “donnant la parole” à des personnes dont la voix n’avait jamais été entendue auparavant4 ». C’est donc davantage à cause du statut du locuteur entendu et de son appartenance à « l’espace du peuple » que ces procédés d’entretien constituent une rupture avec les conventions officielles. Dans Heshang, les entretiens non scriptés donnaient la parole à des scientifiques en position d’autorité qui corroboraient les thèses du film. Dans les films indépendants apparaissent au contraire les « laissés pour compte de l’histoire, […] ceux qui essayent de remodeler l’histoire ou ceux qui en sont simplement les témoins5 ». Ainsi, les films historiques I Graduated, He Fengming, 1966 My Time as a Red Guard, sont composés principalement de séquences d’entretiens avec des participants ou des victimes de mouvements politiques mal connus par le large public et sciemment oubliés dans l’histoire officielle. Dans un registre moins sensible, Bumming in Beijing, offre une collection d’entretiens de jeunes artistes qui constitue une sorte d’arrêt sur image sur une génération consciente de sa singularité et de sa disparition prochaine. Cependant, aucune forme d’autorité ne se dégage dans ces entretiens, car les protagonistes s’expriment en leur nom, dans le cadre privé. D’une manière générale, les entretiens représentent une forme d’intervention plus grande du réalisateur dans le profilmique, ce qui explique qu’ils sont beaucoup utilisés dans des films engagés. Typiquement, un dispositif d’entretien classique et dépouillé est récurrent chez Ai Xiaoming. Dans L’Ennemi de l’État (Guojia de diren 國家的敵人, 2010, 45 min) analysé au chapitre vii, les entretiens sont filmés en intérieurs chez les protagonistes annoncés par un surtitre, et cadrés frontalement. Ils s’expriment spontanément et la voix de l’interviewer est souvent coupée. Le sentiment de simplicité et de quotidienneté qui se dégage de ces séquences est dû à la connivence entre filmeuse et filmés et leur sentiment de commune appartenance à « l’espace du peuple ». Il ne s’agit donc pas d’interviews officielles dans lesquelles des normes discursives autoritaires doivent être mises en œuvre.
Accents et dialectes
3Avec leur intérêt pour les confins et les marginaux, les réalisateurs indépendants donnent à entendre des accents et des dialectes rares dans les productions officielles6 qui sont caractérisées par le mandarin standard parfois doublé. Dévier de cette norme linguistique imposée a représenté, du moins au début des années 1990, une innovation subversive. L’émotion de Wu Wenguang à l’écoute du « dialecte henanais résonnant dans un espace public chinois7 » lors de la première projection de Jianghu dans un espace non officiel est en grande partie due à la satisfaction de donner un statut cinématographique aux langues régionales chinoises reléguées à la sphère privée de la vie quotidienne pendant au moins un demi-siècle. La reconnaissance du dialecte est d’autant plus importante pour les indépendants lorsqu’ils sont non pékinois et parlent eux-mêmes un mandarin accentué et/ou des langues régionales. Pour les réalisateurs indépendants de fiction, cet aspect explique leur recours assez fréquent aux acteurs non professionnels. L’accent de l’acteur ou de la personne filmée détermine en grande partie l’apparence d’authenticité du film. Dans une interview, Jia Zhangke a même fait équivaloir la notion du style de l’auteur à celle de son accent8, compris comme sa manière de « parler le cinéma », soit l’écriture du scénario, ses mouvements de caméra, ses décors, etc. L’expression cinématographique propre à un cinéaste – son accent – véhicule non seulement la signification des scènes avec exactitude et personnalité, mais également avec ce surcroit d’émotion qui signe la vérité sensible d’une œuvre. Comme le fait remarquer Esther Cheung, l’idée de Jia Zhangke renvoie au concept de « cinéma accentué » de Hamid Naficy9, produit et distribué « à l’extérieur du système des studios et de l’industrie cinématographique dominante10 ». Dans le même temps, le recours au dialecte et aux langues accentuées, plus représentatives de la culture populaire, ancre encore davantage ces films dans l’espace du peuple et souligne leur identité indépendante. Cette association entre authenticité, espace non officiel, dialectes, langues locales et accents populaires renforce l’opposition entre cinéma indépendant et officiel et d’une certaine manière assoit la légitimité du premier. L’accent du protagoniste, le statut indépendant du réalisateur, la transparence et la continuité de l’enregistrement direct forment un dispositif dans lequel la parole de l’interviewé et le film lui-même se présentent comme des vérités non officielles.
La voix du réalisateur
4Bien que l’entretien soit relativement fréquent au sein de ces films, le mode de parole privilégié reste toutefois la conversation filmée, parfois en mode observationnel, c’est-à-dire sans que le réalisateur n’y prenne part. Duan Jinchuan utilise ce régime de parole avec rigueur, tout comme Zhao Liang dans Crime and Punishment11. Dans ce film qui a pour sujet le travail quotidien dans un poste de police à la frontière de la Corée, le réalisateur se maintient très à distance des protagonistes, alors qu’il dévoile au contraire sa relation avec ceux-ci dans Pétition, Farewell Yuanmingyuan ou Together. La position d’observateur extérieur est difficile à garder surtout lorsque l’on filme des personnes sur un laps de temps assez long, et les réalisateurs interagissent souvent avec les protagonistes. « Parfois rien de plus qu’un murmure, une remarque au pied levé, ou un rire pauvrement réprimé12 », la présence sonore du réalisateur s’affirme davantage dans certains films comme dans le déjà cité Sister, dans lequel le cinéaste endosse un rôle de personnage actif. Souvent impossible à éviter, l’interaction entre réalisateur et protagoniste n’est pas toujours désirable, ce qui rend d’autant plus épineuse la question de la position sonore du réalisateur et du statut de sa voix dans le film. Les réalisateurs indépendants chinois y ont répondu de manière souple, choisissant en général de l’effacer, ou la gardant sur la piste son lorsque l’interaction est impossible à dissimuler et qu’elle apporte une signification particulière à la scène. Composé pour moitié d’interviews, Bumming in Beijing n’offrait pas de réponse définitive à ce problème, la voix de Wu Wenguang apparaissant et disparaissant de la bande-son au gré des séquences. L’intensité de la présence vocale du réalisateur est d’autant plus déterminante qu’elle dévoile l’interaction entre filmeur et filmé au moment du tournage et indique leur plus ou moins grand degré d’intimité. Dans The Tale of Zhou13, l’interaction entre filmeurs et filmé est si forte qu’elle en devient le ressort du récit, centré autour de Xiao Zhou, un jeune migrant qui échoue à faire carrière à Canton et tombe sous l’emprise de la drogue. L’empathie des réalisateurs, manifeste dans de nombreux dialogues où ils lui font part de leur inquiétude, croît au fur et à mesure du film : ils le conseillent et tentent de le tirer de son oisiveté et de ses excès. Ils vont même jusqu’à lui fixer un entretien d’embauche avec un patron de café. Hésitant, Xiao Zhou accepte finalement un emploi de serveur, et la relation entre filmeurs et filmé se complexifie davantage : l’orgueil blessé du protagoniste est de plus en plus perceptible, et il démissionne quelques jours après. Les deux réalisateurs qui sont d’ailleurs parfois en désaccord sur leur manière d’agir vis-à-vis de Xiao Zhou doivent alors faire face à la colère de leur ami patron et aux sautes d’humeur de leur protagoniste. Ce mode participatif et même interventionniste, qui traduit la vision normative des réalisateurs, a entraîné la désapprobation presque générale des cinéastes présents lors de sa projection à Dali en 2007. Au-delà de la question de la voix du réalisateur, c’est donc son mode de participation à l’action et son influence sur la vie des protagonistes qui est problématique, et qui soulève des questionnements éthiques. Malgré tout, la plupart des films trouvent un équilibre entre l’effacement total du réalisateur et son intervention massive dans le film, ce qui leur donne un caractère plus ou moins performatif ou participatif. Audible et perceptible par les mouvements d’appareil, le réalisateur reste cependant la plupart du temps invisible, ce qui fait de lui ce que Bérénice Reynaud appelle « un acousmètre imparfait, puisque la visualisation ne prendra jamais place14 ». Cette position personnelle du réalisateur est distincte de celle des documentaires d’exposition, dans lesquels le commentateur, également invisible, ne semble pas doué de personnalité, et ne suscite pas la curiosité du spectateur. Ici en revanche, l’incertitude de son statut sert également à son identification avec le spectateur.
Adresses à la caméra
5Ces conversations sont parfois filmées sous forme d’« adresse à la caméra ». Dans bon nombre de films, les protagonistes demandent ouvertement au cinéaste de « filmer ceci ou cela », afin de diriger la conscience du public vers quelque chose qu’ils trouvent important et qui selon eux n’est pas pris suffisamment en considération par les médias. De nombreux documentaires incluent ce type de séquences, notamment ceux d’Ai Xiaoming. Dans Taishicun, les villageois montrent à la réalisatrice les blessures qu’on leur a infligées, dans un geste d’invocation du pouvoir d’enregistrement de la caméra, qui permet la transformation d’images en preuves et leur conservation. Ce type de séquences apparaît aussi dans des films au contenu moins sensible. Ainsi, dans À l’Ouest des rails, un habitant de la zone résidentielle de l’usine demande à Wang Bing de filmer la démolition de son ancien quartier. Dans ces deux documentaires, ce procédé sert à montrer que les protagonistes acceptent de prendre une part active au processus du tournage, et de témoigner de leurs problèmes, qu’ils ont pris conscience du rôle de preuve du dispositif documentaire mis à leur disposition. Ils reconnaissent la présence du réalisateur et, au-delà, celle d’un public potentiel qu’ils cherchent déjà à convaincre du bien-fondé de leur cause. Dans certains cas, c’est le réalisateur lui-même qui s’adresse à la caméra, comme le fait Hu Jie dans le monologue d’introduction à Looking for Lin Zhao’s Soul. Le film relate le parcours d’une intellectuelle, Lin Zhao, persécutée durant le mouvement anti-droitier et dont l’histoire est peu connue du grand public. Looking for Lin Zhao’s Soul commence par une courte scène montrant Hu Jie s’installant devant la caméra, et prononçant le monologue suivant :
« Il y a quatre ans, on m’a conté l’histoire d’une ancienne élève de l’université de Pékin : alors enfermée dans la prison de Tilanqiao 提籃橋 à Shanghai, elle a écrit avec son propre sang des textes emplis d’humanisme et de témérité. Elle a été par la suite exécutée en cachette par ses geôliers. Cette étudiante s’appelait Lin Zhao. C’était la première fois que j’entendais parler d’elle. Après le mouvement antidroitier de 1957, la Chine entière a cessé de réfléchir et a vécu dans le mensonge et la peur. Mais cette femme s’est mise au contraire à penser par elle-même. Alors qu’elle était enfermée et soumise à de mauvais traitements, elle s’est déchirée les mains avec ses épingles à cheveux qu’elle a ensuite utilisées comme pinceau. Sur les murs et sur ses habits, elle a écrit des textes et des poèmes de sang. Cette histoire m’a décidé à abandonner mon travail et à partir à la recherche de l’âme errante de Lin Zhao. »
6Cette déclaration de Hu Jie traduit la radicalisation de sa démarche. Ancien étudiant de l’Académie des beaux-arts de l’armée, à l’époque de la préparation de ce film il travaille en tant que journaliste et réalisateur de reportages à l’agence Xinhua. Lorsqu’ils apprennent son intérêt pour cette figure historique, ses supérieurs hiérarchiques lui font comprendre que le sujet n’est pas approprié pour l’agence et peu de temps après, on l’incite à démissionner de son poste, ce qui en fait selon ses propres dires, « un homme libre15 ». En commençant son film par un monologue face à la caméra, Hu Jie établit un contact direct et sans ambiguïté avec le spectateur : le film se présente dès lors comme un message adressé à une audience dont l’existence est reconnue. La relation entre auteur et spectateur qui s’instaure ainsi sert à authentifier le dispositif documentaire, la démarche personnelle du réalisateur et à suggérer que les faits exposés à la suite sont véridiques. Mais cette adresse au spectateur implique aussi celui-ci dans le récit du film, et en le désignant de manière explicite comme le récepteur, le monologue en fait également un équivalent du réalisateur, grâce à l’effet de miroir instauré par le dispositif en face-à-face. Présentée d’une manière personnelle, la recherche historique du réalisateur n’est pas investie de l’autorité des documentaires officiels : il s’agit d’une initiative née de l’empathie de Hu Jie pour la figure tragique de Lin Zhao. Dans le même temps, le public peut tout à fait se retrouver dans sa démarche, puisqu’elle naît des lacunes de l’histoire officielle que la plupart déplorent. La mise en scène de ce début de film engage le spectateur de manière explicite à exercer une forme de responsabilité, afin de ne pas oublier Lin Zhao.
Films à plusieurs voix
7Le recours à la voix authentique et « authentifiante » des personnes filmées conduit souvent à l’effacement de la « voix du texte », en particulier dans les documentaires observationnels et dénués de voix-off. Dans les films comme No. 16 Barkhor South Street, où l’auteur reste en retrait, gomme les traces de sa présence et tente de ne pas intervenir dans l’action, le discours du réalisateur est presqu’inaudible au sein des diverses paroles enregistrées. Mais même dans les films les plus observationnels, cet effacement n’est pas total. Bill Nichols nous avertit qu’il représente en réalité « une stratégie d’une importance idéologique non moins grande que son équivalent dans le film de fiction16 ». Loin d’être une absence de point de vue, la transparence promise par le dispositif observationnel documentaire fonctionne comme celle du cinéma hollywoodien : l’effacement de l’auteur dissimule les choix qui ont présidé à la fabrication du film. Ces documentaires qui se présentent comme des enregistrements continus de paroles ne nous épargnent donc pas une interrogation sur le discours du film. Et dans le cas de ceux qui adoptent un dispositif de recueil et de montage de la parole plus sophistiqué, il est nécessaire de distinguer leurs différents régimes de voix. Le film Nostalgia (Xiangchou, 鄉愁, 2005, 70 min) de Shu Haolun 舒浩侖 donne un bon exemple de documentaire à plusieurs voix (voir figures 6, 7 et 8). Ce film s’intéresse à un quartier ancien de Shanghai nommé Dazhongli 大中里 qui, au moment du tournage, est menacé de destruction. La famille du réalisateur y est installée depuis trois générations et avant la disparition programmée du quartier de son enfance, Shu Haolun veut « exprimer sa nostalgie à travers la lentille de sa caméra17 ». L’une des particularités de ce film est l’utilisation d’une voix-off à la première personne racontant les souvenirs personnels de l’auteur et l’histoire du quartier, un procédé très rare dans les documentaires indépendants qui favorisent les voix in. Le dispositif de tournage à deux caméramans (Shu Haolun et Zhou Hongbo 周洪波) est également inédit. Le premier utilise sa caméra au discours direct en quelque sorte, filmant lieux et personnes avec qui il s’entretient de manière personnelle, tandis que le second, Zhou Hongbo, filme au discours indirect Shu Haolun en train d’agir et de faire des prises de vue. Les séquences sont parfois composées des rushes des deux réalisateurs, dans un montage du point de vue personnel et émotionnellement engagé de Shu Haolun, et du regard distancié de Zhou Hongbo qui montre un homme à la recherche de ses souvenirs. Shu Haolun, à la fois réalisateur et protagoniste du film, nous fait visiter le quartier, raconte son enfance en voix-off dans ses propres images ou en voix in dans celles de Zhou Hongbo, et partage ses propres souvenirs avec ceux de sa grand-mère et d’autres personnes âgées. Ensemble, ces bribes de souvenirs individuels construisent une mémoire commune qui a pour origine l’expérience du quartier. Le passé est transmis par la parole de ceux qui se remémorent et par le son des chants révolutionnaires et des extraits d’anciennes émissions radiophoniques qui jalonnent le film montés ou diffusés sur des images du présent. Nostalgia donne aussi à voir des images anciennes grâce à des photos de famille manipulées par les protagonistes et des extraits de reportages sur le Shanghai des années 1980. Que ce soit par la parole, les sons ou les images, le passé ressurgit constamment dans le film illustrant par là même le sentiment nostalgique du réalisateur. Les souvenirs d’enfance de Shu Haolun sont d’ailleurs mis en scène dans de courtes séquences en noir et blanc dans lesquelles de jeunes acteurs passent leurs nuits sur les toits du quartier à écouter un poste de radio. Ces scènes prennent de l’importance au fur et à mesure du film : les souvenirs, grâce à la fiction, deviennent à la fois plus présents et plus éthérés, embellis par la reconstitution. Dans la seconde moitié du film, le réalisateur lie l’histoire de son quartier à des zones réaménagées de Shanghai. Xintiandi 新天地 – lieu historique de la formation du parti communiste chinois – est filmé comme un quartier aux habitations traditionnelles préservées mais détournées de leur fonction d’origine : des bars et des boîtes de nuit ont fait affluer les « touristes » et les « riches » selon la terminologie du réalisateur, et les anciens habitants ont dû se reloger en banlieue. La nostalgie exprimée dans la première partie du film débouche sur une critique de la société chinoise actuelle dont la quête de modernité se fait au détriment du patrimoine. La nostalgie devient alors « une forme de résistance culturelle18 ». À la manière des anciens Jeunes instruits (zhiqing 知青19) qui valorisent leur expérience douloureuse de l’envoi à la campagne pour critiquer la perte des idéaux que la société actuelle leur semble incarner, Shu Haolun nous parle d’une époque révolue de « chaude et simple » familiarité incarnée par le quartier. Nulle négativité n’est attachée au passé, alors que la ville moderne est au contraire associée à « l’inhumanité et la vénalité » contemporaines, prompte à se débarrasser de son patrimoine ou à transformer les lieux de mémoire comme Xintiandi en lieux de consommation. Le discours du film, exprimé par la voix off et la mise en scène, manifeste un rejet de la modernité au nom d’anciennes valeurs présentées comme plus humaines. La nostalgie du réalisateur rassemble les habitants de Dazhongli dans une communauté dont l’origine est à la fois géographique et historique, fondée sur des souvenirs et des valeurs communes. Elle justifie l’emploi de différents régimes de paroles pour « maintenir et construire les identités en liant le présent au passé, en articulant les expériences passées à leur signification, et en dirigeant des critiques morales au présent20 ». En prenant la parole à titre personnel, Shu Haolun inscrit ses souvenirs et sa nostalgie dans une mémoire collective partagée par les habitants du quartier et fait alors le porte-parole de ceux qui rejettent la modernisation forcée et désordonnée des grandes villes. Très audible dans ce film, le point de vue de l’auteur est articulé à la fois grâce à des « voix recrutées21 » et la sienne, ainsi qu’à travers des mises en scènes et des plans d’observation. Peu commune, la complexité du dispositif de Nostalgia donne à réfléchir sur le discours de neutralité qui accompagne souvent la littérature sur les documentaires indépendants. D’autres films, qui font usage d’un dispositif plus simple en caméra observationnelle, véhiculent d’ailleurs des idées qui ne sont pas si éloignées de celles de Shu Haolun, comme Wang Bing dans À l’ouest des rails, Wang Yang dans Transition ou Huang Weikai dans Disorder.
Textes et paroles
8Une autre voix documentaire se manifeste d’une manière muette mais récurrente dans ces films : celle du texte. Celui-ci prend largement la place de la voix-off qui est souvent bannie dans les documentaires indépendants. Ceux-ci débutent quasiment tous par des cartons explicatifs qui décrivent le lieu, le temps, les personnages et les enjeux de la situation du film en quelques phrases qui défilent ou se chassent. Bien que ces courts textes se présentent comme neutres, ils orientent la perception du spectateur et donnent le point de vue de l’auteur. Le texte par lequel débute À l’Ouest des rails est une série de faits qui permettent au spectateur d’apprécier la dimension historique de la zone industrielle. Présenté ainsi, cet espace n’est pas seulement emblématique de la reconversion économique de la Chine, mais aussi un symbole de son histoire industrielle et politique. Cette dimension historique ne quitte pas le spectateur et semble habiter les images des usines d’une solennité grandiose et désuète. L’écrit se retrouve également dans le corps des films, pour marquer une ellipse ou ajouter des explications sur une situation, afin de parer aux défauts de l’enregistrement. Bien que présenté comme continu, l’enregistrement documentaire ne peut couvrir tous les événements que le réalisateur cherche à suivre. La rupture ou le défaut de l’enregistrement qui se manifeste par l’insert d’un carton peut être due à l’absence du réalisateur au moment de l’événement en question, ou à une défection de la caméra, comme lorsqu’une rixe confronte le réalisateur aux forces de l’ordre dans Who Killed our Children22. Placé à la fin du film, il apporte une conclusion que les footages à disposition du réalisateur ne peuvent exprimer. Ces textes sont souvent de tonalité pessimiste ou négative dans les films d’Ai Xiaoming, qui y dresse un bilan de l’événement filmé, pour en tirer des interprétations d’ordre plus général. Le texte se présente aussi sous forme de document, inséré comme image fixe ou filmé en mouvement. Il est parfois brandi par le protagoniste ou lu, comme dans Looking for Lin Zhao’s soul pour témoigner de l’activité poétique et engagée de la prisonnière. Là encore, c’est parce que l’enregistrement documentaire de faits spontanés ne suffit pas pour apporter des preuves ou éclaircir une situation que le texte prend la relève du plan documentaire sur le vif. Cet usage du texte représente néanmoins une rupture supplémentaire avec les principes du cinéma direct d’observation, ce qui indique que dans certains cas les réalisateurs indépendants prennent volontiers des libertés avec ceux-ci.
Le documentaire comme participation
Observation et participation
9Ces divers modes de la parole soulèvent la question des relations entre réalisateur, protagonistes et des spectateurs, et celle de la notion de participation, qui constitue un élément central de la conception des arts documentaires comme nous l’avons vu au chapitre premier. Ces questions ont fait l’objet de débats virulents à l’époque du cinéma direct et du cinéma vérité pour leurs conséquences éthiques, un sujet également important pour les réalisateurs indépendants chinois. À l’origine, le problème de la participation s’est manifesté au moment de la controverse sur le documentaire d’observation critiqué par certains pour son « désir d’invisibilité […] combiné avec la touche aseptisée du gant de chirurgien [qui devient] dans certains cas une légitimation, au nom de l’art ou de la science, du judas du voyeur23 ». La position d’observateur sous-entend une distance qui véhicule une impression de supériorité sur le sujet filmé qui « réaffirme inévitablement les origines coloniales de l’anthropologie24 ». La relation du réalisateur avec les sujets filmés est problématique puisqu’il « ne doit pas d’explication […] avec ses sujets sur les fondements de la logique qui organise son travail […] par crainte que cela n’influence leur comportement25 ». Bon nombre de praticiens – y compris des anthropologues attachés à davantage d’objectivité scientifique – reconnaissent dès les années 1970 l’impossibilité d’une position neutre d’observation26. Inévitable, la participation peut devenir souhaitable et même positive car féconde sur le plan cinématographique et sur le plan de la production du savoir. D’un documentaire dans lequel l’existence et la participation du cinéaste sont reconnues comme un nécessaire élément de méthode, David MacDougall en vient à proposer l’idée d’une « participation qui a lieu dans la conception même » du film : « un réalisateur qui se met lui-même à la disposition de ses sujets et avec eux, invente le film27 ». Plus tard, cette idée d’auteur pluriel se concrétise dans ce que l’on appelle aujourd’hui des projets de vidéo participative (participatory video), inspirés par les expérimentations de Donald Snowden en 196728. Il s’agit de produire des films (surtout documentaires, mais parfois de fiction) dont les principaux auteurs sont les populations dont ils traitent. Dans cette perspective, la réalisation est conçue davantage comme « outil pour encourager des changements positifs et pour émanciper les gens afin qu’ils forgent leur propre destin29 » en « documentant des réalités, en les partageant et en les utilisant pour apporter des changements significatifs30 ».
Le projet Dazhalan
10Ces différentes conceptions de la participation et leurs corrélats théoriques et éthiques se retrouvent chez les documentaristes chinois. Les indépendants se sont emparés de cette ancienne notion de la participation documentaire de manière nouvelle dans leurs films en l’adaptant au cadre théorique et pratique qu’ils ont choisi. Pour être valide, la participation doit être ici une expérience humaine enregistrée (jishi) en direct (xianchang). Telle est du moins la manière dont se présentent ces documentaires dont la part de montage, de mise en scène et de préparation est souvent minimisée. Nostalgia de Shu Haolun propose ainsi un récit à plusieurs voix, auquel prennent part différentes personnes (les membres de la famille de Shu Haolun, des habitants du quartier, mais aussi le deuxième caméraman qui filme Shu Haolun) selon plusieurs modes (témoignage, mise en scène fictionnelle et archives). La voix du réalisateur de Nostalgia reste malgré tout prépondérante et plus forte que les autres : c’est elle qui coordonne les « voix recrutées » de manière non dissimulée, et les récits secondaires de l’histoire du quartier sont tirés d’entretiens assez conventionnels.
11Le projet Dazhalan (Dazhalan jihua 大柵欄計劃31) supervisé par Ou Ning et Cao Fei est un bon exemple du procédé dans lequel le protagoniste prend part lui-même à la production du document. Dazhalan est le nom d’un vieux quartier populaire et commerçant de Pékin, caractérisé par ses habitations traditionnelles à cours carrées et situé au sud-ouest de la porte Qianmen 前門. En 2005, lorsque la zone est désignée pour être réaménagée et la plupart des résidents relogés, un conflit émerge entre ceux-ci et les développeurs au sujet des compensations. Hormis produire le film à auteurs multiples Meishi Street32, le projet a pour but de convier les habitants du quartier à des ateliers de photographie et de réalisation, tandis que les autres participants au projet – artistes, ingénieurs sons, photographes et réalisateurs – documentent divers aspects de Dazhalan. Une vidéo participative, Community Participation 01 : Zhang Jinli33 du résident Zhang Jinli, fait partie des œuvres présentées dans le cadre du projet, à Berlin. Ce court-métrage de type journal filmé décrit le quartier à la première personne et fait part d’une expérience de résistance contre les projets de restructuration. L’autre documentaire, Meishi Street, réalisé par Ou Ning à partir d’images tournées par plusieurs personnes – Zhang Jinli, Ou Ning, Cao Fei, Huang Weikai – raconte la transformation du quartier à travers quelques personnages principaux comme Zhang Jinli et deux autres habitants de Dazhalan. Leur résistance est filmée avec une grande diversité de points de vue, et de voix – certains plans étant tournés par Zhang Jinli qui commente dans le hors-champ, à la première personne, le déroulement des événements.
Films participatifs villageois
12Comme le montre un corpus de d’œuvres assez variées, le thème des élections dans les zones rurales se prête volontiers à la participation documentaire. Ces films interrogent ainsi, dans leur processus de production même, le fonctionnement d’un groupe aux intérêts apparemment communs lors d’un événement aussi important qu’une élection locale. Ce processus censé être fondamentalement participatif – puisqu’il s’agit d’élections et que la gestion des questions locales est en théorie décidée au niveau local – est, comme nous le verrons dans ce corpus, souvent miné par des impératifs économiques individuels qui engendrent des conflits parfois violents, comme le rappellent les événements récents des villages de Taishi (2005) et de Wukan 烏 坎 (2011), dans le Guangdong. La production de documentaires dans ce contexte soulève d’autant plus de questionnements sur la participation : celle du réalisateur dans l’action, et celle du réalisateur avec les protagonistes.
13Dans le projet Villager’s Self Governance, Wu Wenguang a opté pour l’approche qui consiste à donner au groupe sujet du film les moyens de s’exprimer par lui-même. Les documentaires du projet s’inscrivent dans un cadre quasi-officiel puisqu’ils constituent la partie filmique d’un programme de formation à la démocratie locale mené par la Commission européenne et le ministère des Affaires civiles (Minzheng bu 民政部) du gouvernement chinois. En 2001, un programme commun entre la Commission européenne et le gouvernement chinois a en effet été mis en place pour « améliorer la compréhension et l’application des lois concernant les élections dans les villages, […] promouvoir le développement de la gestion autonome des villages en sensibilisant la population aux élections démocratiques au niveau du village, soutenir une administration démocratique, et améliorer la transparence vis-à-vis des procédures électorales ainsi que des devoirs des représentants élus à l’intérieur du cadre des lois et des règlements en vigueur en Chine34 ». Plusieurs types d’œuvres ont été réalisées dans le cadre de ce projet, notamment dix longs-métrages documentaires de jeunes réalisateurs sur les élections dans un village de leur choix. Mais ce sont les dix courts-métrages réalisés par des paysans dans leur propre commune35, et dans une moindre mesure le making of sur leur formation en réalisation36 qui soulèvent particulièrement la question de la participation. Villagers’Documentary Film, qui regroupe ces courts-métrages correspond à la définition des vidéos participatives mentionnées plus haut. Selon les partisans de cette approche, « lorsque [les films] sont produits par des étrangers, la qualité professionnelle des programmes de communication devient secondaire par rapport au contenu et aux procédés utilisés dans la production d’un message ou d’un programme37 ». Dans ces projets participatifs, les protocoles documentaires jouent un rôle déterminant pour appréhender l’œuvre. Bien que leurs conditions de production diffèrent de celles des autres documentaires indépendants, on peut considérer qu’ils font partie de ce mouvement. L’idée originale du projet est due à Wu Wenguang et « après que [les deux entités gouvernementales] ont décidé du programme et du budget, [lui et son équipe] ont eu les mains libres pour les détails. Ils n’ont regardé que le résultat final38 ».
14Depuis, chaque année, quatre de ces réalisateurs produisent un nouveau film, intitulé My Village (Wo de cunzi 我的村子). Il s’agit cette fois de longs-métrages sous forme de journaux filmés, dont le thème n’est pas nécessairement les élections, mais des sujets aussi controversés que les aménagements des Jeux Olympiques (My Village 2008, Shao Yuzhen 邵玉珍) ou la pollution industrielle (My Village 2008, Jia Zhitan 賈之坦). Les réalisateurs sont également chargés du montage de ces films récents. Quarante personnes ont répondu à un premier appel à candidature lancé en septembre 2005 et dix d’entre elles ont été choisies pour suivre l’atelier de réalisation dans le studio de Wu Wenguang à Caochangdi, dans la banlieue de Pékin. Ces candidats provenant de différentes provinces de Chine forment un groupe assez homogène hormis la présence de deux femmes et de deux membres de « minorités nationales ». Certains sont des habitants de la campagne qui ne vivent pas du travail de la terre mais du commerce, et d’autres encore habitent en ville mais possèdent un hukou rural. Après leur formation, les candidats ont disposé d’un mois pour les prises de vue, les techniciens de Wu Wenguang étant à leur disposition en cas de problème. Les courts-métrages des paysans ont ensuite été montés les uns à la suite des autres en un long-métrage, en collaboration avec l’équipe de Wu Wenguang à Pékin. Le but de ces films, qui est de laisser les villageois aborder par eux-mêmes la question des élections, n’est pas toujours atteint, malgré les ambitions et les principes du programme.
15Au lieu d’aborder principalement la question des élections dans leur propre village, les réalisateurs amateurs ont décidé de filmer des problèmes plus généraux rencontrés par leurs pairs : l’insuffisance d’infrastructures médicales, administratives ou scolaires, la dégradation de l’environnement, le manque de terres et les problèmes liés à leur distribution. Dans un film tourné par une réalisatrice tibétaine, l’antagonisme entre les Han et les Tibétains se fait jour autour de problématiques culturelles et économiques : la construction d’une ligne de chemin de fer est décrite comme une menace pour les activités d’élevage de la population tibétaine et pour « l’esprit de la montagne ». Les compensations prévues pour les populations locales ne sont pas à la hauteur de leurs attentes comme cela semble être le cas dans d’autres films. D’un format très court, ces films ne donnent qu’un aperçu des problèmes ruraux, et les réalisateurs se contentent de les décrire au niveau le plus proche d’eux, dans le cadre de leur commune, siège des élections. Ils ne s’adressent pas aux responsables administratifs supérieurs. Lorsqu’elles sont traitées, les élections paraissent être une source d’insatisfaction pour les villageois, à cause de leur mode d’organisation souvent chaotique, et d’une grande disparité en fonction des villages, ainsi que parfois, quant aux résultats. La communication autour des élections n’est pas toujours assurée : dans certains villages, des habitants ne sont pas au courant de leur tenue, ne savent pas comment procéder au vote, ni quels postes existent dans les comités villageois. Le manque d’infrastructures et d’un protocole électoral standard est flagrant : les élections ont parfois lieu en plein air, à main levée, ou en jetant des haricots dans des bols correspondant aux noms des candidats. Le secret du vote n’est pas protégé, les votants ne disposant pas d’isoloirs. Le dépouillement se fait dans la confusion, et les candidats comme les électeurs rapportent des cas de fraudes quasi systématiques. Un paysan affirme même qu’au début de l’instauration du système, les élections se faisaient au porteà-porte, sans date précise, et que les voisins étaient invités à voter à la place des personnes absentes au moment du passage des responsables des élections. Les jeunes villageois installés en ville savent que des membres de leur famille se servent de leur voix, sans qu’eux-mêmes aient recours à un système de procuration.
16Sur le plan formel, beaucoup de ces courts-métrages correspondent à des journaux filmés, autrement dit des récits à la première personne de faits quotidiens perçus par le réalisateur. L’interaction entre les protagonistes visibles dans le champ et le réalisateur derrière la caméra est très importante. Dans le hors-champ, ce dernier converse fréquemment avec les autres habitants du village, de manière familière. Il est souvent interpellé par les villageois qui manifestent une grande curiosité, et souvent de la bienveillance pour le tournage. Les réalisateurs se sont parfois filmés eux-mêmes, accentuant la subjectivité de la narration. Dans Land Distribution (Fen di 分地) le réalisateur Wang Wei 王偉 commence son court-métrage avec la caméra placée sur une colline surplombant le village. Il apparaît dans le champ pour se présenter d’un ton solennel et décrire son village qui s’étend en arrière-plan. Visiblement, le processus de tournage revêt une importance singulière pour lui, et sa description présente une analyse frappante de précision des enjeux économiques et politiques du lieu. Ce monologue face caméra et l’usage de la première personne ancrent le film dans la subjectivité distinctive des journaux filmés. L’intimité entre les protagonistes et les réalisateurs est si forte que certains pourraient presque être qualifiés de films de famille. Dans le segment I Film My Village (Wo pai wo de cunzi 我拍我的村子), lorsque Shao Yuzhen filme dans la rue, ses voisins l’interpellent familièrement. Ici, tout comme dans les films de famille, « l’opérateur est un membre du groupe et il n’est pas supposé se distancier de ceux qu’il filme. D’ailleurs un des comportements les plus stéréotypés des personnes filmées est de lui faire des signes de connivence par le truchement de la caméra, lui confirmant ainsi son appartenance au groupe familial, lui interdisant peut-être aussi de s’en distinguer s’octroyant ainsi un certain pouvoir sur les acteurs39 ». Les villageois se détournent de leurs tâches lorsque Shao Yuzhen les filme, alors que celle-ci cherche au contraire à montrer la vie quotidienne du village. Certains la questionnent d’ailleurs de manière peu amène sur la finalité de ces images, peut-être un signe de jalousie envers un nouveau gadget qui différencie Shao Yuzhen du groupe auquel elle appartient. Comme les films de famille, ses images portent des signes flagrants du « décalage entre […] le but de l’opérateur réalisateur et celui des personnes filmées qui réagissent à leur manière, selon leur tempérament et leurs aptitudes, sans concertation avec l’opérateur ni avec les autres protagonistes, sans autorité possible de la part de l’initiateur du projet40 ». Cet ensemble hétérogène de films est également hybride sur le plan formel : ils possèdent les défauts techniques du cinéma amateur, réduits pourtant par le montage de l’équipe de Wu Wenguang. Ils partagent certains traits des films de famille, sauf qu’à la différence de ceux-ci qui « ne sont pas faits pour être des documents41 », les documentaires des villageois sont destinés à décrire la vie quotidienne dans les villages et à commémorer le moment des élections. Le film de famille peut en effet être considéré comme un « jeu collectif » dont l’objectif premier n’est pas « la réalisation d’un film » mais « en premier lieu, […] le plaisir de jouer avec sa caméra et avec les multiples gadgets que les fabricants y ont placé à son intention […] pour le plaisir de réunir autour de lui les membres de sa famille et ses amis42 ». Si cette dimension ludique de la découverte des caméras est apparente dans certains plans des films des villageois (contenant des zooms extrêmes non justifiés, ou des panoramiques à 360 degrés par exemple), leurs réalisateurs ont néanmoins choisi de filmer un moment significatif de la vie de leur village. Ils le mettent en scène de manière personnelle et variée, et dressent un bilan des campagnes chinoises qui est loin d’être dépourvu de point de vue. Les films sont également destinés à un public qui dépasse le cadre familial43, et le montage professionnel effectué par l’équipe de Wu Wenguang leur donne une structure que n’ont pas la plupart des films de famille44. Si leur dimension descriptive est importante, ces films possèdent également à une fonction de célébration. Lorsqu’il apparaît dans le film, le moment du vote donne lieu à des scènes d’hommage au geste de l’électeur. Certains réalisateurs vont jusqu’à se mettre en scène eux-mêmes dans de courtes scènes relatives au processus électoral – un procédé qui n’est pas repris pour les autres thèmes évoqués par ces films. L’un d’eux se filme donc en train de remplir et de déposer son bulletin de vote dans l’urne, et un autre s’immortalise à son bureau de directeur du comité villageois. Comme la photographie fixe, la vidéo sert ici, dans la main de ces réalisateurs amateurs, à fixer dans le temps un instant symboliquement important. Mais au lieu d’une pratique familiale, professionnelle ou liée à un loisir, c’est un geste politique qui est célébré et dont la mémoire est perpétuée. Même si leur contenu sur la question des élections n’est pas toujours pertinent, l’intérêt de ces films est en premier lieu d’ordre symbolique : les villageois prennent la parole grâce à la caméra et témoignent de la réalité politique de leur village. Pour Wu Wenguang, « le plus exaltant pour ces gens qui n’avaient jamais tenu de caméra de leur vie, c’était qu’ils avaient trouvé une façon de s’exprimer, et un médium pour le faire. Le fait même de filmer leur a donné la position de quelqu’un qui s’exprime, et qui peut-être sera écouté45 ». La participation sert ici avant tout à donner des moyens d’expression à une catégorie de population qui n’y a d’habitude pas accès. Il s’agit de montrer la capacité des paysans à exprimer d’eux-mêmes leurs préoccupations, dans un style qui leur est propre, au lieu d’être l’objet – forcément plus passif – d’un film. Si la participation des villageois à la vie politique locale semble parfois inexistante (car absente de leur film) ou insatisfaisante, leur participation à ce programme semi-officiel de formation à la démocratie est en revanche effective et symboliquement forte. Cette expérience de réalisation a apparemment fait naître des vocations parmi les villageois, puisque certains la reproduisent chaque année. La continuité de ce « feuilleton documentaire » donne à ces films un caractère encore plus marqué par l’idée de journal intime – bien que les sujets soient d’ordres plus généraux et concernent la collectivité.
L’observation participante dans Taishi village
17La question des élections dans les villages est également au centre d’un film qui donne la parole aux paysans d’une autre manière. Taishi village46 d’Ai Xiaoming rapporte le conflit qui a opposé les habitants du village de Taishi à leur administration de juillet à septembre 2005. Grâce au flou juridique sur la propriété terrienne, les cadres locaux ont loué plus de 2000 mu sur les 3 000 mu47 de terres cultivables du village à des entrepreneurs, privant d’autorité les paysans de leur activité. La cession des terres collectives (zhengdi 征地), évoquée dans de nombreux courts de Villagers’Films, est ici au centre du film. Les terres appartiennent à la collectivité (droit de propriété collective), mais elles sont exploitées de manière privée par les paysans qui jouissent librement du fruit de leur production. Avec l’urbanisation des zones rurales et la création de zones de développement (kaifaqu 開發區), elles peuvent être redistribuées de manière autoritaire par l’administration locale, un phénomène vécu comme une expropriation par les paysans, bien que des compensations leur soient souvent accordées. Malgré les tentatives du gouvernement central pour limiter ce problème, 50 millions de paysans seraient actuellement sans terre, et incapables de trouver un autre emploi à la campagne où ils sont censés rester à cause de leur hukou. À Taishi, les villageois ont constaté des irrégularités dans les procédures de cession des terres : les indemnités sont inexistantes, il manque 10 millions de yuans dans les comptes du village et ils soupçonnent les membres du comité villageois de corruption. Ils décident donc de demander la destitution de ce comité, en s’appuyant sur un article de la loi organique des comités villageois (Zhonghua renmin gongheguo cunmin weiyuanhui zuzhifa 中華人民共和國村民委員會組織法). La demande est acceptée dans un premier temps, mais sous la menace des autorités locales les paysans sont forcés de retirer leur signature. De juillet à fin septembre 2005, ils s’organisent pour constituer et conserver les preuves des irrégularités, attirer l’attention des médias sur leur situation et réfléchir à la façon de mener à bien leur protestation. Ils reçoivent l’aide d’avocats et de journalistes tandis qu’ils mènent une grève de la faim et subissent arrestations et brutalités de la part des forces de l’ordre. Le conflit de Taishi est centré sur l’usage du droit et les différentes interprétations de la loi sur la gestion des affaires villageoises. La pétition de demande de destitution du comité villageois est l’enjeu principal de la confrontation entre paysans et autorités locales, ces derniers tentant de montrer que la procédure mise en place par les paysans est irrecevable. Finalement, l’élection d’un nouveau comité villageois est organisée et aucun des des anciens officiels n’est élu. Mais sous la menace, six sur sept nouveaux élus retirent leur signature. Il n’y a alors plus assez de pétitionnaires et la destitution de l’ancien comité villageois est annulée de façon apparemment tout à fait légale.
18Dans Taishi Village Ai Xiaoming analyse ces événements sous leur angle juridique et sociologique : il s’agit pour elle de vérifier si « les paysans peuvent vraiment exercer leur droit de vote et […] si des recours en justice existent lorsque ce droit de vote est nié48 ». Pour ce faire, elle montre les différentes stratégies mises en place par les paysans, recueille leurs témoignages et filme des éléments qui prouvent leur bonne foi ou les mauvais traitements qu’ils subissent, et notamment leurs blessures à la suite d’altercations. Elle insère au début du film des extraits de loi et explique en voix-off les enjeux du problème pour présenter le contexte légal de la situation. Les avocats qui se joignent au mouvement de protestation apparaissent aussi dans le film, ainsi que les journalistes présents au village au début des événements. Ce documentaire répond donc à plusieurs fonctions : d’une part, constituer des preuves visuelles des actions des paysans et des agressions qu’ils subissent, en les faisant témoigner et en montrant leur méthode de contestation fondée sur l’usage de textes de loi. D’autre part, recueillir des informations permettant de comprendre pourquoi ce « test sur l’efficacité de la loi49 » se solde finalement par un échec, afin de trouver des stratégies plus efficaces dans des situations similaires. Enfin, pour Ai Xiaoming, le documentaire n’est pas seulement un art, mais il « peut aussi transmettre les nouvelles que les autorités ne veulent pas divulguer [et donc devenir] un instrument de protection du droit à l’information50 ». Ce film, tout comme ses autres œuvres, permet la circulation d’informations générées au plus près de l’événement, par les participants eux-mêmes ou en étroite collaboration avec eux. Elle tente en effet de suivre les suggestions des protagonistes lors du tournage, en les « laissant indiquer ce [qu’elle] doit montrer et ce [qu’elle] doit laisser de côté », se considérant elle-même comme « une volontaire qui les aide à faire entendre leurs opinions, un prestataire qui leur apporte une technique qu’ils ne maîtrisent pas51 ». Au service des paysans, Ai Xiaoming leur fournit un moyen de transmettre leurs idées et dans le même temps, elle montre « leur capacité d’action » à la société et tente ainsi d’éveiller ainsi la conscience de chacun à ces problèmes particuliers. Sa façon de concevoir sa participation au processus de contestation à l’œuvre chez les villageois de Taishi fait écho à ce dont MacDougall parlait en termes de mise à disposition du réalisateur pour les sujets filmés52. La participation possède donc, dans ce film, une signification très différente de celle du projet de Wu Wenguang. La séquence finale de Taishi Village, dans laquelle Ai Xiaoming et des volontaires sont victimes d’une tentative d’intimidation musclée, montre que la participation de la réalisatrice s’exerce au sens fort du terme. En plus de relayer les arguments des villageois et de constituer un témoignage de leurs luttes, elle prend également des risques personnels. Sa double fonction de réalisatrice et d’analyste du conflit va de pair avec un rôle très actif dans celui-ci. Bien qu’elle tente visuellement de s’effacer au profit des paysans, elle participe tout comme les autres volontaires avocats et journalistes aux actions de protestation. Dans son film, son point de vue et son analyse scientifique dominent, encadrant le film d’un appareil théorique qui est rappelé au cours du film par le montage d’entretiens ou de scènes qui valident celui-ci. Les voix des paysans participent à la démonstration informée d’Ai Xiaoming autant que celle-ci participe à leur conflit, ce qui montre à la fois la communauté de vues et d’intérêts qui existe entre des groupes sociaux bien différents, et en même temps leurs différences, en termes de modes de discours, et de position sociale.
Conclusion : un nouveau rapport entre protagonistes, réalisateur et spectateur
19Les relations entre cinéaste et protagonistes sont largement tributaires du dispositif documentaire choisi et des interactions qu’il permet (observation, discussion ou participation à une tâche commune qui peut être la réalisation du documentaire ou une action politique). Au tournage, le réalisateur est impliqué physiquement dans la situation et peut imprégner les images de sa propre subjectivité, tout en instaurant un rapport avec les protagonistes. Le travail de montage et de post-production achève ce dispositif en fixant les relations entre protagonistes et réalisateur, et en indiquant un cadre de réception pour les spectateurs spécifique aux documentaires indépendants. En général absent de la piste son – tout au moins sous la forme d’un commentaire en voix-off– la présence physique du réalisateur est en revanche très perceptible dans les films à travers les mouvements de caméra. Une des caractéristiques du cinéma direct est d’autoriser le cinéaste à exposer le dispositif de tournage dans le film comme preuve à la fois d’authenticité et de subjectivité assumée. Le tremblement des images transcrit l’expérience de l’espace et les conversations entre le cinéaste et les personnes filmées montrent leur interaction et font partie de ce dispositif authentifiant. L’effacement apparent du cinéaste suggéré par l’abandon du commentaire en voix-off est contrebalancé par sa présence tangible derrière la caméra, présence parfois muette, la plupart du temps discrète mais néanmoins impossible à ignorer. Comme le dit MacDougall, « nous voyons par notre corps, et toute image que nous produisons porte l’empreinte de notre corps. […] Les images corporéelles ne sont pas seulement des images d’autres corps ; elles sont aussi des images du corps derrière la caméra et de sa relation avec le monde53 ». Le corps du réalisateur, qui fait évoluer la caméra dans l’espace, est parfois visible dans le cadre, par son ombre notamment. Grâce au dévoilement de sa relation avec les protagonistes, il devient un vrai personnage du film, au même titre qu’eux. La relation entre protagonistes et réalisateur que nous pouvons voir évoluer tout au long du film en constitue donc également une des trames narratives. Cette interaction a lieu dans un espace dans lequel le cinéaste et la personne filmée échangent des idées et des regards et présentent au spectateur une intimité souvent ambivalente. Cet espace est constitué d’interactions privées, mais dans le même temps, les protagonistes sont conscients d’être filmés et ils savent que ce qu’ils partagent avec le réalisateur est censé être montré plus tard à un public. Le « lien existentiel – et donc particulièrement éthique – entre l’espace documentaire et l’espace habité par le spectateur54 » a été noté comme une spécificité du dispositif documentaire. Du point de vue du public, les nombreuses adresses à la caméra qui figurent dans ces films impliquent une modification de la réception de l’œuvre : l’espace de la relation entre la personne filmée et le réalisateur se met alors à inclure visiblement et volontairement un troisième membre, le spectateur, qui se sent personnellement concerné par les événements à l’écran. C’est ce principe qui est à l’œuvre au début d’In Search of Lin Zhao’s Soul, évoqué plus haut. Alors que dans la majorité des films, les adresses à la caméra sont évitées pour protéger la continuité du flux narratif, ces documentaires reconnaissent l’existence du public dans des scènes qui l’incluent potentiellement. La relation entre cinéaste, protagonistes et spectateurs varie selon que l’on opte pour un mode observationnel ou plus participatif. Pour MacDougall, le réalisateur de documentaire observationnel « tente de faire de nous des témoins » et « ne devient rien de plus que l’œil des spectateurs, figé dans sa passivité, incapable de meubler la distance entre lui et les sujets55 ». Cette configuration, que MacDougall décrit d’une manière dépréciative, est une abstraction, car bien sûr, jamais le réalisateur ne parvient à être aussi distant de ses sujets. Le réalisateur ménage des degrés de proximité relative avec le sujet filmé, degrés qui se refléteront sur l’identification du spectateur et sa participation émotionnelle au film. Observateurs, témoins ou participants, réalisateur et spectateurs sont en quelque sorte unis par une fonction commune, celle de voir, et de ne pas oublier.
Notes de bas de page
1 Voir Nichols Bill, « The Voice of Documentary », in Rosenthal Alan (dir.), New challenges for documentary, Berkeley, University of California press, 1988, p. 49 : « Par “voix”, je pense à quelque chose de plus étroit que le style : quelque chose qui, en un sens, nous transmet le point de vue social d’un texte, la manière dont il nous parle et organise les matériaux qu’il nous présente. Dans ce sens, “voix” n’est pas restreint à un seul code, ou élément comme le dialogue ou le commentaire parlé. La voix est probablement semblable à ce modèle intangible, comme de la moire, formé de l’interaction unique de tous les codes d’un film, et elle s’applique à tous les modes de documentaire. »
2 Ju Anqi 雎安奇, Le Vent souffle fort à Pékin Beijing de feng hen da 北京的風很大, 1999, 48 min.
3 Queer China, « Comrade » China Zhi Tong Zhi 志同志, 2008, 60 min ; One and Six Yi ge he liu ge 一 個和六個, 2007, 108 min.
4 Reynaud Bérénice, « Dancing with Myself, Drifting with My Camera : The Emotional Vagabonds of China’s New Documentary », art. cité.
5 Ibid.
6 À ce sujet, voir Gunn Edward M., Rendering the Regional : Local Language in Contemporary Chinese Media, Honolulu, University of Hawai’i Press, 2005, 261 p. et Liu Jin, « The Rhetoric of Local Languages as the Marginal : Chinese Underground and Independent Films by Jia Zhangke and Others », Modern Chinese Literature and Culture, vol. 18, no 2, 2006, p. 163-205.
7 Wang Xiaolu 王小魯, art. cité, voir supra, chapitre III.
8 Teo Stephen, « Cinema with an Accent – Interview with Jia Zhangke, Director of Platform », Senses of Cinema, no 15, juillet 2001, disponible sur http://sensesofcinema.com/2001/feature-articles/zhangke_interview/.
9 Naficy Hamid, An Accented Cinema : Exilic and Diasporic Filmmaking, Princeton, Princeton University Press, 2001, 368 p.
10 Cheung Esther M. K., « Le réalisme face à un dilemme », Perspectives chinoises, no 2010/1, p. 13.
11 Zhao Liang 趙亮, Crime and punishment Zui yu fa 罪與罰, 2007, 122 min. Voir Li Jie, « Filmer le pouvoir et les sans-pouvoir, Crime et châtiment (2007) et Pétition (2009) de Zhao Liang », art. cité.
12 Reynaud Bérénice, « Translating the Unspeakable : On-Screen and Off-Screen Voices in Wu Wenguang’s Documentary Work », in Berry Chris, Lü Xinyu et Rofel Lisa (dir.), The New Chinese Documentary Film Movement, For the Public record, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2010, p. 162.
13 Jiang Ping 蔣萍 et Luo Jian 羅堅, The tale of Zhou Xiao zhou de gushi 小周的故事, 2006, 136 min.
14 Reynaud Bérénice, « Translating the Unspeakable : On-Screen and Off-Screen Voices in Wu Wenguang’s Documentary Work », art. cité, p. 167.
15 Ces informations proviennent de discussions avec Hu Jie en 2008. Voir également Shen Rui, « To Remember History : Hu Jie Talks about His Documentaries », Senses of cinema, no 35, 2005, disponible sur http://sensesofcinema.com/2005/35/hu_jie_documentaries/.
16 Nichols Bill, « The Voice of Documentary », op. cit., p. 55.
17 Voix-off du film.
18 Yang Guobin, « China’s Zhiqing Generation : Nostalgia, Identity, and Cultural Resistance in the 1990s », Modern China, vol. 29, no 3, 2003, p. 296.
19 Le terme « Jeunes instruits » (zhishi qingnian 知识青年 abrégé en zhiqing 知青) désigne la génération de jeunes gens envoyés à la campagne notamment à l’issue de la première phase de la Révolution culturelle (1968) pour se faire rééduquer par les paysans. Voir à ce sujet Bonnin Michel, Génération perdue, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004, 491 p.
20 Yang Guobin, « China’s Zhiqing Generation : Nostalgia, Identity, and Cultural Resistance in the 1990s », art. cité, p. 268.
21 Nichols Bill, « The Voice of Documentary », art. cité, p. 58.
22 Voir le chapitre vii.
23 Macdougall David, « Beyond observational cinema », inHockings Paul (dir.), Principles of visual anthropology, Berlin, Mouton de Gruyter, 1995, p. 120.
24 Ibid., p. 124.
25 Ibid., p. 120.
26 Voir par exemple De France Claudine, Cinéma et anthropologie, Paris, Éditions du CNRS, 1982, p. 4 : « L’observation de l’ethnologue-cinéaste, même la plus distante, est toujours “participante”. Entendons par là que l’ethnologue-cinéaste participe toujours, d’une certaine manière, du procès observé, parce que son intervention, et la mise en scène propre des personnes filmées, sont inévitables. Réciproquement, les personnes filmées participent du procès d’observation parce qu’elles interviennent dans la mise en scène du cinéaste. »
27 Macdougall David, « Beyond observational cinema », art. cité, p. 128. Il s’agit d’une idée qu’il remet lui-même en question en 1994. Voir ibid., p. 130.
28 Sur ce sujet, voir http://www.uoguelph.ca/snowden/donsnowden.html.
29 White Shirley, « Video Power », in White Shirley (dir.), Participatory Video : Images that Transform and Empower, New Delhi, Sage, 2003, p. 9.
30 Ibid., p. 10.
31 Voir http://www.dazhalan-project.org/news-cn/news-cn.htm.
32 Cao Fei 槽菲, Ou Ning 歐寧, Zhang Jinli 張金利, Meishi street Meishi jie 煤市街, 2006, 85 min.
33 Shequ canyu 01 : Zhang Jinli 社區參與 01 : 張金利, 2005, 35 min.
34 Première lettre d’information du EU-China Training programme, décembre 2002.
35 Pour une présentation générale, voir http://www.ccdworkstation.com/videovillagerwork.html.
36 Jian Yi 簡藝, Seen and heard Yingxiang 影響, 2005, 95 min.
37 White Shirley, « Video Power », art. cité, p. 12.
38 Entretien avec l’auteur : Pernin Judith, « Wu Wenguang, Filmer l’imprévisible », art. cité, p. 29.
39 Piault Colette, « Films de famille et films sur la famille », in Tousignant Nathalie (dir.), Le film de famille, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires St-Louis, 2004, p. 59.
40 Elle ajoute : « C’est souvent ce manque d’homogénéité entre le projet de l’opérateur-réalisateur et le comportement des “acteurs” à ce côté improvisé, voire en apparence désordonné, que l’on peut reconnaître le film de famille. Le premier, l’opérateur, n’a ni les moyens ni l’autorité lui permettant de filmer la situation comme il le souhaite […] tandis que les seconds sont libres de leurs mouvements et de leurs comportements, individuels et/ou collectifs. » Ibid., p. 59.
41 Odin Roger, « Les films de famille, de merveilleux documents ? », in Tousignant Nathalie (dir.), Le film de famille, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires St-Louis, 2004, p. 43.
42 Ibid., p. 42.
43 Villagers’Film a été diffusé sur CCTV et CETV (China Educational television, Zhongguo jiaoyu dianshitai, 中國教育電視台) et plusieurs projections non officielles ont été organisées en Chine.
44 Roger Odin discute du rôle autoritaire du monteur dans « l’institution familiale », rôle souvent assumé par le père, qui est d’ailleurs en général l’opérateur, dans Odin Roger, « Le film de famille dans l’institution familiale », in Odin Roger (dir.), Le Film de famille. Usage privé, Usage public, Paris, Méridiens Klincksieck, 1995, p. 5-22. Dans ce projet, le montage est censé être participatif, les villageois collaborant avec les monteurs. On peut toutefois supposer que l’autorité des professionnels sur les amateurs a engendré des choix spécifiques.
45 Entretien avec l’auteur Pernin Judith, « Wu Wenguang, Filmer l’imprévisible », art. cité, p. 32.
46 Taishicun 太石村, 2005, 114 min.
47 Un mu = 666,7 m².
48 Entretien avec l’auteur : Pernin Judith, « Ai Xiaoming, Caméra-stylo, pour un réquisitoire social », Monde Chinois, no 14, 2008, p. 35.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 MacDougall affirme notamment qu’« en entrant activement dans le monde de ses sujets, [le réalisateur] peut provoquer un plus grand flux d’information sur eux. En leur donnant accès au film, il rend possible certaines corrections, additions, et illuminations que seule leur réponse au matériau peut faire jaillir. C’est à travers un tel échange qu’un film peut commencer à refléter la manière dont ses sujets perçoivent le monde ». Macdougall David, « Beyond observational cinema », art. cité.
53 Macdougall David, The Corporeal Image : Film, Ethnography, and the Senses, Princeton, Princeton University Press, 2006, p. 18.
54 Sobchack Vivian, « Inscribing ethical space : Ten propositions on death, representation, and documentary », Quarterly Review of Film Studies, vol. 9, issue 4, 1984, p. 294.
55 Macdougall David, « Beyond observational cinema », art. cité, p. 121-122.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'acteur de cinéma: approches plurielles
Vincent Amiel, Jacqueline Nacache, Geneviève Sellier et al. (dir.)
2007
Comédie musicale : les jeux du désir
De l'âge d'or aux réminiscences
Sylvie Chalaye et Gilles Mouëllic (dir.)
2008