Chapitre IV. Le documentaire comme expérience : l’enregistrement direct et le rapport à l’espace
p. 141-163
Texte intégral
« À cette époque1, […] il était considéré comme normal qu’un cinéaste ayant fait une recherche de quelques jours sur le “terrain”, y retourne avec son scénario et son équipe pour y faire exécuter son film avec des gens bien en place, devenus simples objets. Une nature morte quoi ! Ça s’appelait documentaire, censé rendre compte de la réalité vivante et imprévisible ! […] C’est encore ainsi que je conçois l’approche du cinéma direct : il faut pouvoir participer à ce que font les gens si l’on veut que les gens que l’on filme participent au film. Car d’eux-mêmes ils savent naturellement produire les événements qui expriment au mieux la réalité. Le choix des scènes que nous choisissons de filmer provient de notre participation (signification/exposition) d’abord ; c’est d’une expérience vécue qu’il s’agit. À mon sens ce sont les premiers actes décisifs d’un cinéaste, qui détermineront la composition d’un film qui cherche à communiquer réellement2. »
(Gilles Groulx)
Pour tourner un documentaire, il faut accepter au préalable que la vie reste imprévisible et que son intérêt réside dans ce qu’on ignore encore3. »
(Wu Wenguang)
1Outre des transformations de diffusion et d’usage du cinéma documentaire, les indépendants ont, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, élaboré des pratiques cinématographiques à la fois en réaction aux conventions télévisuelles et en relation avec les transformations de l’art non officiel. Sur le plan cinématographique, le type d’enregistrement documentaire direct prôné par les indépendants a conduit ce mouvement à être associé au cinéma direct4, notamment dans son rapport à l’expérience subjective et à l’espace.
Le cinéma direct : influences et similitudes
2Pour des raisons stylistiques, le terme de cinéma direct a été parfois employé pour qualifier les documentaires indépendants chinois5. Mais c’est également parce que le cinéma direct représente lui aussi une rupture technique, conceptuelle et esthétique dans l’histoire du documentaire qu’une comparaison peut s’avérer utile, notamment pour relever les principes communs aux documentaristes chinois. Apparus presque simultanément au Canada, aux États-Unis et en France à la fin des années 1950 dans un contexte de remise en question du pouvoir des médias et de découverte du son synchrone, les premiers films directs sont tournés non pas en studio comme c’était souvent le cas jusqu’alors, mais en conditions réelles à l’aide de nouveaux équipements de prise de son directe, afin de « ne rien cacher d’important au spectateur6 ». Gilles Marsolais résume ainsi les nouveaux principes du direct :
« Ce nouveau cinéma a favorisé une évolution des techniques (plus grande mobilité accordée au cinéaste), commandé une nouvelle façon de travailler (en équipe réduite), dicté une nouvelle attitude d’observation et de recherche (à même la vie “en acte”). C’est dire qu’il a rejeté la traditionnelle “logique naturelle de l’intrigue”, l’idée de “fabriquer” une “histoire” anecdotique menant à une conclusion démonstrative, qu’il a favorisé le renouvellement de la syntaxe cinématographique en condamnant certains procédés ou clichés7. »
3Captée au moment du tournage de manière spontanée, la parole du sujet filmé acquiert une plus grande importance. Le cinéma direct fait également écho à la « politique des auteurs » en affirmant la subjectivité de l’œuvre et en laissant apparaître à l’image et dans la structure du film des traces indiquant la présence du réalisateur, ainsi que son point de vue. Plusieurs modes documentaires sont représentés au sein du cinéma direct, dont celui qui autorise à dévoiler le dispositif de tournage dans un mode réflexif, d’exercer une observation distante, ou bien de s’investir de manière participative ou performative, dans une relation personnelle avec les protagonistes et dans l’événement. Outre un rapport similaire aux institutions cinématographiques, à la fois critique et fondé sur une certaine dépendance matérielle, en termes d’histoire des techniques, ces deux mouvements sont également liés à l’apparition de nouveaux appareils de tournage simples et légers (la caméra 16 mm et le son synchrone d’un côté ; la vidéo puis la DV et la HD de l’autre). La pratique de l’enregistrement direct sur le lieu de l’événement, la valorisation de la parole du protagoniste, et une aversion pour le didactisme les caractérisent, aversion qui se traduit par une position paradoxale sur la question de la subjectivité documentaire8. Tout en mettant en œuvre des méthodes qu’ils considèrent plus objectives que celles utilisées jusqu’alors, les cinéastes du direct se revendiquent comme des auteurs subjectifs. Les cinéastes indépendants chinois nouent également un rapport complexe à ces deux idées. Au début des années 1990, Zhang Yuan déclare qu’il « n’aime pas être subjectif, et que […] l’objectivité [lui] donnera du pouvoir9 ». Une dizaine d’années plus tard, au moment où le cinéma documentaire indépendant se structure et se diffuse plus largement, paraît un ouvrage nommé Ma caméra ne ment pas (Wo de sheyingji bu sahuang 我的攝影機不撒謊10). Formé d’entretiens et d’articles sur le cinéma indépendant de fiction ou documentaire, le livre a davantage des airs de manifeste à cause de son titre que grâce à son contenu, et les déclarations d’objectivité initiales servent principalement à démarquer ces nouvelles productions de la propagande des documentaires officiels11. Elles disparaissent assez rapidement pour laisser place, à l’inverse, à la prééminence de la subjectivité, principe fondamental de ces films « personnels ». Toutefois, le discours sur la vérité n’est pas nécessairement évacué comme le montre le télescopage des deux notions (une vérité personnelle, ou une objectivité subjective) qui persistent sous la plume de nombreux critiques et chercheurs. Ainsi, usant d’une terminologie déjà ancienne12, Lü Xinyu affirme que le documentaire doit « nécessairement [montrer] de vraies personnes, et des faits véridiques (zhenren zhenshi) [mais] l’essence du documentaire ne réside pas dans la vérité (zhenshi)13 ». C’est le point vers lequel il tend grâce à des techniques d’enregistrement du réel (jishi shoufa 紀實手法), qui permettent d’exprimer « une vérité que le créateur ressent, car les documentaires sont une retranscription de la vie, la compréhension de la vie qu’a le créateur et qu’il transmet au spectateur14 ».
4L’association de ces deux concepts peut sembler curieuse ou problématique, mais elle n’est pas rare en Chine ou ailleurs. Dans le cas présent, la subjectivité vient au secours du réalisateur : il fait appel à celle-ci pour se débarrasser de la lourde responsabilité – parfois du danger – que représente l’affirmation de l’objectivité15. Dans un contexte politique différent, les films emblématiques du cinéma direct entendent « poser le problème de la vérité16 » puisque « le cinéaste livre, dans ce type de film, les conditions de l’expérience17 », et propose au spectateur de faire jouer sa liberté d’interprétation. L’apport fondamental du cinéma direct repose certainement sur cette mise en doute du réel, dans une dialectique de l’objectivité et de la subjectivité construite autour d’innovations technologiques et de la présence revendiquée de l’auteur. Moment décisif de l’histoire du documentaire, le cinéma direct a toutefois été rediscuté sur bien des plans, notamment sur cette délicate question de la vérité. L’hypothèse du cinéma d’observation pure comme mode privilégié d’accès à la vérité est rapidement critiquée et à partir des années 1980 de nombreux réalisateurs se mettent à jouer sur les codes du cinéma d’observation ou à détourner ses règles18. Le cinéma direct a néanmoins remodelé en profondeur la conception générale du documentaire en faisant de l’enregistrement direct de phénomènes spontanés le signe même de ce qui distingue cette forme cinématographique de la fiction.
Tournage, scénario et corrélats théoriques
5Un autre point de convergence important est la conception du tournage. Pour Mario Ruspoli, il faut « se faire oublier, appartenir au paysage, se confondre avec la foule, […] pour […] approcher le réel. [Le cinéaste] doit abandonner toute personnalité apparente, tout détail qui le ferait remarquer19 ». Ces principes de tournage pourraient aisément être ceux de certains réalisateurs indépendants chinois, qui, en particulier depuis que les caméras DV sont disponibles, tournent de manière discrète, individuelle, sur le long terme et en interaction avec les protagonistes. Le scénario, une étape préalable nécessaire avant le direct, est rejeté par des cinéastes comme Gilles Groulx au nom « de la réalité vivante et imprévisible20 ». Pour Wu Wenguang, la légèreté des nouvelles caméras favorise « un environnement technique plus simple, propice à capter la vie elle-même. Avec ce genre de caméra, on ne peut plus se permettre de tourner selon un scénario échafaudé avant le tournage d’après la vague idée que l’on se fait d’une situation21 ». Que l’on adopte une attitude d’observation la plus neutre et la moins visible ou que l’on participe ou intervienne dans l’action, le déroulement des événements pendant le tournage rend dérisoire, pour ces cinéastes, toute tentative de scénarisation au préalable. Dans ses écrits pionniers, Dziga Vertov considérait déjà le scénario comme un élément étranger au cinéma, mais n’excluait pas pour autant un travail préalable de préparation au tournage, selon une démarche soigneusement distincte de l’écriture d’un scénario22. C’est le danger de la mise en scène jouée qui justifie le rejet du scénario pour lui, les cinéastes du direct et les indépendants chinois, tandis qu’une étape de préparation au tournage leur semble importante. Celle-ci passe par l’acquisition d’un savoir, engendrant une plus ou moins grande capacité à prévoir les événements du tournage et à éventuellement les contrôler. À la manière de Wiseman, Duan Jinchuan utilise cette méthode de préparation tout comme d’autres cinéastes apparus plus récemment, telle Ai Xiaoming qui déclare :
« Du fait de ma formation universitaire, ma démarche pour réaliser un film ressemble à celle que l’on adopte pour l’écriture d’un mémoire. Je commence par un plan de recherche, une analyse, puis une problématique. Je me demande alors si ce problème peut trouver une solution et s’il est pertinent d’en tirer un film. Le tournage d’un documentaire est une suite de surprises, on y est confronté à des événements imprévisibles qui recèlent enseignements et révélations. Lorsqu’on commence à filmer une procédure judiciaire lancée par des paysans par exemple, on ne peut pas anticiper la sentence23. »
6La préparation ne s’oppose donc pas au trait central du cinéma direct et des documentaires indépendants, c’est-à-dire l’enregistrement sur le vif. Le spontané joue donc un rôle important durant le tournage, mais il est réduit et équilibré par le montage qui sert justement à reprendre un certain contrôle sur les matériaux collectés. Malgré les déclarations de certains réalisateurs (notamment Wu Wenguang) en faveur du spontané, le film est toujours le fruit d’un montage, au cours duquel certains rushes sont abandonnés ou mis en valeur. Le rejet du documentaire officiel des réalisateurs indépendants se traduit au niveau théorique par la mise en valeur de l’enregistrement d’évènements imprévus, un trait qu’ils partagent avec des cinéastes d’ailleurs24. L’imprévisible comme fondement du documentaire est une conception principalement en vigueur durant la seconde moitié du XXe siècle. L’enregistrement de l’événement en temps réel prime alors sur la construction d’un récit scénarisé avant le tournage. La mise en scène (au sens de direction d’acteur, principalement) est dès lors prohibée, refoulée ou camouflée, même si ces réalisateurs reconnaissent que leur présence dans le lieu de l’action peut de manière volontaire ou non, fonctionner comme celle d’un metteur en scène, en influençant les actions apparemment spontanées des protagonistes. Pour une majorité de défenseurs du cinéma direct et la plupart des cinéastes indépendants chinois, la mise en scène, le scénario et le jeu d’acteur représentent la fausseté absolue dans le documentaire. Mais malgré ces déclarations d’intention et l’adéquation assez générale des pratiques des indépendants avec des principes directs favorisant la contingence, leurs films sont des constructions plus complexes, comme nous le verrons par la suite.
L’enregistrement direct et l’imprévisible
7Les principes cinématographiques sur lesquels se fondent les réalisateurs indépendants se traduisent par deux termes théoriques qui nous sont maintenant familiers. Comme nous l’avons vu aux chapitres 1 et 2, la notion de « jishizhuyi 紀實主義 » traduite par « réalisme sur le vif25 » ou « réalisme documentaire26 » est liée aux débats littéraires et artistiques des années 1980-1990, et à la critique du « réalisme socialiste ou réalisme représentationnel (xianshizhuyi) », une notion disqualifiée pour les artistes souhaitant sortir de l’orbite institutionnelle. Tout comme dans ces autres disciplines artistiques, le terme jishizhuyi traduit l’importance du protocole « d’enregistrement de la réalité », et permet de distinguer en littérature, le reportage (baogao) du « documentaire » (jishi wenxue). Le deuxième concept central est celui de xianchang 現場, un mot qui signifie « le lieu (de l’événement) » ou « la scène » et qui sert, dans le cadre du cinéma, à former des expressions désignant le « tournage in situ ». À partir des années 1980, les performers et photographes lui ont donné une importance centrale dans leurs pratiques artistiques, et de son côté, Wu Wenguang a popularisé le terme dans ses écrits. Filmer selon ce principe équivaut à tourner sur le vif, dans les lieux de l’événement. Par ailleurs, xianchang sert à exprimer la dimension simultanée de la diffusion d’une émission télévisée par exemple, c’est-à-dire, le fait qu’elle soit « en direct ». Ainsi, cette notion est d’une certaine manière équivalente à celle de « direct », puisqu’elle suppose la présence du réalisateur sur les lieux et dans le présent de l’événement – xianchang représentant la traduction spatiale du principe temporel de « direct27 ». Les similitudes entre documentaire indépendant et cinéma direct indiquent que ces films font largement appel aux mêmes cadres théoriques et de légitimation dans leur rhétorique documentaire, notamment pour ce qui est de la question de l’authenticité et de la vérité. Toutefois, dans de nombreux films, ces principes sont largement mêlés à d’autres procédés comme nous le verrons par la suite.
8Malgré les libertés prises avec ces principes, les documentaires indépendants chinois sont filmés en direct, et l’imprévisible constitue donc leur matériau filmique de base. Cette méthode est censée permettre aux cinéastes d’être en contact privilégié avec le profilmique : ils laissent les événements extérieurs se dérouler spontanément au lieu de les diriger en se fondant sur un script préalablement conçu. Le tournage devant être une sorte de « révélation28 » au lieu d’une simple validation des opinions du cinéaste, l’inattendu joue un rôle crucial dans ces films, ce qui accentue l’importance de l’expérience personnelle du cinéaste lors du tournage. Tout comme les artistes performers qui se confrontent à l’espace et aux personnes « réelles » et de cette manière, acceptent l’influence de l’extérieur pendant la présentation éphémère de leurs œuvres, ces cinéastes dépendent du hasard, de la bonne volonté de ceux qu’ils filment et de la configuration spatiale. Dans ces films qui se présentent comme l’enregistrement des expériences physiques du réalisateur et des protagonistes, le mode performatif29 est nécessairement très présent. Ces films exposent donc à la fois une narration principale évoluant autour du protagoniste et du thème du film, et, en creux, de manière plus ou moins explicite, ils font aussi le récit de l’expérience du réalisateur lors du tournage. Certains réalisateurs comme Duan Jinchuan tentent de minimiser le second récit au profit du premier, mais il n’en demeure pas moins que la présence du réalisateur ne peut être tout à fait évacuée, même si elle reste dissimulée dans le hors-champ, parfois trahie par les regards ou adresses à la caméra du protagoniste. D’autres cinéastes comme Hu Xinyu 胡新宇, se présentent au contraire d’emblée comme protagoniste principal du film. Dans Sister (Jiejie 姐姐, 2007, 163 min), derrière la caméra, Hu Xinyu interagit fortement avec les sujets filmés – sa sœur, son beau-frère américain et sa nièce née d’un premier mariage et fraîchement arrivée de Pékin. Plongés dans un conflit typique d’une famille reconstituée et multiculturelle, les protagonistes règlent leurs comptes et Hu Xinyu adapte son rôle à leurs échanges tout au long du film. Tantôt participant à de houleuses discussions familiales, tantôt caché dans le hors-champ et donc présent seulement par le son de sa voix, il adopte à d’autres moments une position d’observateur invisible. Dans certaines séquences du film, la caméra est posée dans un endroit stratégique d’une pièce, et le réalisateur se déplace derrière l’appareil, entre dans le champ, quitte la pièce ou y revient. Les moments les plus comiques du film sont ceux où il devient le compagnon muet de son beau-frère américain avec qui la communication n’est possible qu’à travers des rites virils universels, comme le partage d’une canette de bière. Ces scènes à la fois spontanées et non dénuées d’une certaine mise en scène nuancent les déclarations de certains réalisateurs en faveur de méthodes observationnelles pures, même si le « jeu d’acteur » est limité aux improvisations du réalisateur.
9Le hasard joue donc un rôle souvent prépondérant dans ces films, qu’il soit considéré comme une preuve d’authenticité, ou qu’il constitue une façon d’engendrer « un plus grand engagement spectatoriel résultant d’une esthétique nécessairement ambiguë30 », ou encore, qu’il soit une mise en valeur de l’esthétique amateur31. Le tournage en direct et la perméabilité du film à l’inattendu permettent de fondre l’expérience subjective du réalisateur avec l’enregistrement d’une incontrôlable réalité extérieure. En rendant perceptible le jeu qui découle de leur rencontre avec celle-ci, ces films ne sont pas de simples reproductions de la réalité « comme elle est » (le monde moins la caméra), et s’éloignent des buts informatifs des reportages ordinaires. Des séquences qui dépassent les attentes du spectateur, du réalisateur et du protagoniste, fortuites au point de paraître invraisemblables à tous trois, sont exemplaires de cette méthode. Certaines, assez connues, ont été discutées ailleurs, comme celle de Bumming in Beijing de Wu Wenguang, dans laquelle la peintre Zhang Xiaping a une crise de nerfs32, ou celle d’À l’Ouest des rails, lorsqu’ouvriers, réalisateur et spectateurs apprennent ensemble, subitement, la fermeture d’une des usines du complexe industriel. Dans la dernière partie de ce film, intitulée Rails, c’est un son inattendu qui interrompt l’action et lui donne une signification symbolique supplémentaire. En attendant anxieusement des nouvelles de son père arrêté par la police, le jeune Du Yang regarde ses photos de famille, et les commente sommairement au réalisateur Wang Bing. La caméra de celui-ci effectue un va-et-vient entre le visage de Du Yang, abattu et inquiet et les images nostalgiques qu’il regarde – sa mère, absente du film, prise en photo à Pékin ; une réunion familiale. Soudain, la sonnerie d’une horloge retentit dans le hors-champ et surprend Du Yang et Wang Bing, le premier absorbé dans sa propre douleur et ses souvenirs, et le second dans le spectacle des larmes du jeune homme. La caméra est distraite un instant du visage de Du Yang et se tourne rapidement vers le mur d’où provient le son, comme pour vérifier ou prouver l’existence de l’horloge. Grâce à cette manifestation sonore du temps dans le film, cette courte scène illustre ce dont le protagoniste fait l’expérience à ce moment précis : la lenteur de l’attente, et simultanément, le passage rapide et irrémédiable du temps, suggéré par les images du passé familial. Alors que Du Yang craint d’avoir perdu son père – tout comme sa mère, ainsi que le suggèrent les photos – il se remémore son passé, et l’horloge sonne comme un sinistre rappel du présent dans sa rêverie triste. Cette sonnerie soudaine semble avoir été déclenchée à dessein tant elle se fond à l’état d’esprit de Du Yang en soulignant le sens de son désespoir : il ne s’agit plus seulement de la peur de la disparition du père et de la nostalgie de la famille, mais d’une réflexion plus générale sur le passage du temps et la mort.
Le documentaire comme enregistrement de l’expérience
10Des deux notions centrales xianchang et jishizhuyi découlent donc plusieurs éléments fondamentaux propres aux documentaires indépendants : l’enregistrement en temps réel, dont on a par ailleurs démontré l’importance croissante dans différents arts visuels à partir des années 1980, l’espace où s’accomplit l’événement, la dimension performative du rôle du réalisateur, et l’importance de l’inattendu. Différents courants existent au sein du mouvement des nouveaux documentaires, mais ils partent d’un présupposé commun : la valeur documentaire du film provient de l’enregistrement de faits spontanés auxquels assiste le réalisateur. Sa présence sur les lieux de l’événement enrichit l’enregistrement documentaire de son expérience subjective de témoin ou de participant.
11Dans cette conception du documentaire, le son possède la même valeur que l’image car il est le garant de l’intégrité de l’enregistrement. Il provient de la scène et n’est pas recréé a posteriori et, à la différence des documentaires commerciaux et officiels qui additionnent plusieurs pistes (commentaire, son in et une musique extradiégétique par exemple) il est la plupart du temps continu, uni et in. Il n’y a donc pas de disjonction entre l’image et le son, ce qui donne aux plans unité spatiale et homogénéité. Ce procédé est souvent employé tout au long du film : certains se présentent comme un suivi continu de l’action d’un personnage, ce qui, malgré les effets d’ellipse et les choix au montage, renforce leur linéarité et leur continuité spatiale. Cette attention portée au son influe donc sur la représentation de l’espace, dont les propriétés se réfléchissent dans le film au contraire des documentaires commerciaux et officiels. Dans ceux-ci, le lieu de l’événement est en général réduit à une taille minimale, qui préserve sa signification (ceci a lieu ici), sans en donner une description véritable. Ce procédé vise à mettre l’accent sur l’événement et à donner aux actions ou aux interviews une efficacité optimale. Nous savons où la scène a été filmée grâce à des titres, ou des plans informatifs qui contiennent des éléments de paysage faciles à identifier, mais l’espace montré n’a au mieux qu’une fonction illustrative ou dramatique liée à la progression d’un événement. Dans les documentaires indépendants, au contraire, des plans de paysage d’une durée souvent conséquente, parfois sans action, se déroulent dans leur longueur, ce qui donne au lieu de l’action une valeur qui dépasse celle d’un simple arrière-plan. Ce mode d’enregistrement qui se présente aux yeux du spectateur comme transparent et continu s’érige en garant de l’authenticité du film, c’est-à-dire de sa fidélité à la réalité. Dès lors, et bien qu’ils portent les traces de la subjectivité du réalisateur, ces documentaires affirment implicitement être en mesure de révéler la vérité – subjective ou non, d’un événement. Ce dispositif n’est donc pas dépourvu d’une certaine forme d’autorité sur le spectateur, mais elle se présente différemment de celle exercée par les documentaires d’exposition mainstream ou de propagande. Ces films se présentent donc à la fois comme les héritiers du cinéma direct et comme les contemporains de catégories plus récentes et moins précisément définies comme le documentaire de création, qui se conçoit aussi comme l’enregistrement d’une expérience :
« Le cinéma n’est pas une hypothèse mais une expérience : celle d’une confrontation implacable avec le réel prenant la forme d’un spectacle. Le cinéma ne fait pas rêver – contrairement aux idées reçues – mais donne corps à ce qui était fantasme, ce n’est que lorsqu’il cherche à copier qu’il se trahit lui-même, glisse alors dans la fausseté33. »
12Interprétation tardive d’un courant cinématographique vieux de plus de quarante ans, ou version chinoise du documentaire de création, les films des indépendants sont en réalité des constructions plus complexes que ces définitions ne le laissent entendre. Le cinéma direct, ses méthodes et ses affirmations sur le réel ont été largement rediscutés, et les réalisateurs indépendants s’emploient eux aussi à pervertir ses règles. Leurs films sont donc probablement des objets plus « postmodernes34 » qu’il n’y paraît. L’enregistrement de l’expérience du réalisateur, sa relation aux protagonistes et à l’espace sont associés à un montage et une mise en scène qui permettent l’articulation d’arguments et de discours émotionnels forts et parfaitement intelligibles, même s’ils n’utilisent pas les procédés rhétoriques des documentaires commerciaux ni ceux de la propagande officielle. Le montage est à ce titre un moment essentiel de leur fabrication, mais il est peu commenté car il reste perçu comme une forme de manipulation des images. Dans les discours sur le documentaire indépendant chinois, les vertus authentifiantes du tournage en direct sont donc largement mises en avant au détriment de la construction et de la mise en scène. Ni des documentaires d’observation pure, ni uniquement performatifs, ce sont pourtant des films hybrides qui répondent à des besoins d’images spécifiques, et les analyses du rôle de l’espace qui suivent tenteront de le démontrer.
Expériences de l’espace
13Dès le début des années 1990, les réalisateurs indépendants ont rendu visibles à travers leurs films des lieux rarement montrés dans les médias officiels. Ces documentaires sont souvent consacrés à l’enregistrement de la Chine des marges, qu’elles soient géographiques ou sociales. Les lieux et les sujets y sont intimement liés, puisque le choix d’un thème en suppose aussi un autre qui, bien qu’implicite et parfois inconscient, n’en est pas moins significatif : celui de l’espace filmé. Si l’espace inspire souvent le sujet des films, son mode de représentation, lui, permet au réalisateur de véhiculer son point de vue et son esthétique. L’espace a un rôle d’autant plus central qu’in fine le cinéma est un art de la mise en scène35, c’est-à-dire de la mise en espace. Or, l’espace reste peu étudié dans le documentaire, certainement parce que dans une conception « directe » du documentaire, la mise en scène semble interdite, ou impossible, et l’espace du film est perçu comme l’équivalent de l’espace de tournage36.
14Envisagé du point de vue de la pratique, l’espace est pourtant de toute évidence un paramètre fondamental pour les cinéastes et les protagonistes, ainsi que pour le spectateur. Celui-ci apprécie la représentation de lieux qui lui sont plus ou moins familiers, il perçoit un espace narratif dans lequel se passe le film, et il s’inscrit lui-même dans un troisième espace, celui de la réception, où se manifeste plus ou moins fortement l’action à l’écran. Si la plupart du temps, « le récit informe l’espace de la représentation [et] fait vibrer chez son destinataire un certain sens de l’espace37 », il arrive que l’espace influe sur le récit et la forme du film. Gageons qu’en vertu des principes de cinéma direct dont ils se réclament, les documentaires indépendants sont largement façonnés par des données spatiales externes. Les spécificités formelles des documentaires indépendants chinois, dans lesquels le son synchrone direct et le lieu de tournage importent de manière considérable, engendrent un espace filmique particulier, puisque son et espace y sont présentés comme continus. La particularité de la pratique d’enregistrement direct du son du lieu de tournage et son rendu dans le film sans ajout, ni modification, donne à l’espace du film une densité, une concrétude et une cohérence spécifiques. Dès lors, l’espace y est bien souvent plus qu’un simple décor, puisque les propriétés du lieu de tournage ne sont pas aussi contrôlées que dans les cas de la fiction ou du reportage. En préservant au maximum sa continuité par des prises longues sans ajout de sons extérieurs, ils donnent au lieu un pouvoir narratif très important. Les réalisateurs n’ont donc pas seulement mis en lumière certains lieux, populations et problèmes contemporains, ils ont aussi reconfiguré la pratique du cinéma documentaire en remettant en question leur médium et en établissant un certain nombre de nouvelles règles, qui sont pour la plupart liées à la notion d’espace. L’influence de spécificités géographiques et spatiales sur le choix des sujets, son rôle durant le tournage et les relations que cette notion implique entre le réalisateur, les personnes filmées et le spectateur constituent les terrains d’investigation de cette section.
Une source d’inspiration
15L’éventail de sujets couverts par les documentaires indépendants chinois est large, mais les choix thématiques mobilisant l’idée de l’espace y sont prédominants. Les premiers réalisateurs indépendants s’intéressaient beaucoup aux populations des confins et plusieurs films ont été tournés sur les provinces frontalières comme le Tibet ou le Nord-Est de la Chine. L’un des précurseurs du mouvement à la télévision, Kang Jianning, a filmé les habitants du Ningxia dès la fin des années 1980, en utilisant une approche plus personnelle. Sha yu Hai (沙與海, 1992, 180 min) réalisé avec Gao Guodong 高國棟 réunit un récit sur une famille d’agriculteurs du Ningxia et un autre sur des pécheurs du Liaoning. Ces documentaires ont eu une influence profonde sur les débuts du mouvement indépendant car la population locale de ces zones lointaines n’y est pas représentée comme dans les reportages télévisés ordinaires. Les premiers réalisateurs indépendants, issus de zones urbaines à majorité Han ou en poste dans les télévisions provinciales, s’intéressent volontiers aux confins de la Chine38. C’est le cas de Duan Jinchuan, Wen Pulin, et Jiang Yue, qui s’installent à Lhasa à partir de la fin des années 1980 pour travailler à la chaîne provinciale. Les films plus tardifs de Ji Dan et Sha Qing tournés au Tibet, comme Gongbu’s Happy Life décrivent les particularités géographiques et culturelles du lieu en s’intéressant à des protagonistes à la personnalité singulière. Le Tibet représente « un rite de passage pour un vagabondage sur mesure comparable aux voyages en Inde ou au Népal dans la contre-culture occidentale dans les années 1960 et 1970 » en plus de fournir un espace de « liberté d’expérimentation […] loin du Bureau du cinéma39 ». Les voyages entrepris par les réalisateurs leur donnent l’occasion de se confronter à des concitoyens « exotiques » et de connaître des espaces mythiques dont la dimension sacrée tranche avec la culture dont ils sont issus. Certains de ces films ont été filmés en voyage, et constituent des road-movies documentaires. Le Chemin de fer de l’espoir de Ning Ying est tourné lors du trajet saisonnier d’ouvriers agricoles au Xinjiang. Au cours du périple ferroviaire, la réalisatrice s’adresse à différentes femmes du wagon. Les entretiens sont plus ou moins longs selon les interlocutrices. Les voyageuses lui expliquent les raisons de leur déplacement et, incitées par Ning Ying, entrent parfois dans des considérations intimes ou existentielles. Le déplacement des protagonistes qui constitue le sujet du film fait écho à celui de la réalisatrice et à travers leur mouvement dans l’espace chinois, des réalités économiques, humaines et sociales se font jour.
16Les marges sociales, à défaut de géographiques, sont également bien représentées à travers les groupes urbains d’artistes d’avant-garde, les populations flottantes et les mendiants, mais aussi les prostitués et les drogués. S’immerger dans ces milieux se fait presque naturellement chez certains cinéastes qui se sentent tout aussi marginaux que ceux qu’ils filment au début des années 1990. À cette époque, ils partageaient l’identité « flottante » de leurs protagonistes. Étendant progressivement leur intérêt aux « personnes ordinaires » (ouvriers, étudiants, agriculteurs), les réalisateurs les montrent en général à un moment décisif de leur vie – comme lorsqu’Ai Xiaoming filme les paysans dépossédés de leurs terres dans Taishicun, ou quand Wang Bing montre la faillite et l’effondrement d’une zone industrielle dans À l’Ouest des rails. Les thèmes spatiaux de l’expropriation, du voyage, du déplacement, de l’enfermement ou de l’immigration, de l’urbanisation et de la destruction de paysages ruraux ou industriels sont légion dans ce corpus de films. La relation des hommes à l’espace en est un thème sous-jacent : la plupart des problèmes auxquels les protagonistes doivent faire face sont liés au lieu qu’ils occupent, ou qu’ils ne peuvent occuper, à des territoires qu’ils perdent ou traversent. D’où les nombreux films sur les travailleurs migrants voués à d’incessants voyages40, sur ceux que l’on dépossède de leurs maisons ou de leurs champs41, ou encore sur les personnes âgées confinées dans des lieux clos42. La question du hukou, qui détermine la zone de résidence urbaine ou rurale d’un individu et par extension son activité et son statut social, traverse nombre de ces films et révèle l’origine de nombreux problèmes ou de conflits sociaux qui y sont représentés. L’une des particularités de ces documentaires est donc de souligner le lien entre l’espace et les problèmes sociaux, en filmant la manière dont les protagonistes s’y confrontent. À travers ces films, ces lieux marginaux ou ordinaires qui ne sont pas souvent représentés dans les médias traditionnels ou dans les productions culturelles commerciales, acquièrent un statut cinématographique. En filmant des espaces vides, des friches, des banlieues et des espaces d’attente, et en enregistrant minutieusement la destruction de paysages urbains ou industriels, les réalisateurs indépendants les font accéder à une forme de beauté, tout en insistant parfois sur leurs aspects les plus laids et les plus contraignants.
Contraintes spatiales
17En termes de pratique, les principes cinématographiques de xianchang et jishizhuyi dont la plupart des réalisateurs indépendants se réclament se traduisent par un tournage en caméra observationnelle, afin de suivre les protagonistes sans déranger la progression des événements. Le réalisateur doit donc s’adapter à l’action et à l’endroit où elle se déroule et les contraintes spatiales du tournage sont intégrées au film, qui se présente quasiment comme un moulage de l’espace dans lequel il a été tourné. En se conformant à l’espace de tournage, les réalisateurs relèvent ses aspérités et ses particularités d’une manière presque topographique. Les documentaires filmés dans des lieux privés exigus trahissent le manque d’espace à travers des angles de prise de vue insolites, tandis que ceux qui sont filmés dans des espaces publics ouverts doivent pondérer les bruits de la rue et équilibrer les différences d’échelle entre le paysage et les personnes. Les spécificités de l’espace sont également prises en compte pendant le montage. Les réalisateurs choisissent habituellement un montage en ordre chronologique lent, au lieu de fragmenter l’action (et donc l’espace) en une série de scènes comme c’est le cas dans les reportages ordinaires. Alors que son et image sont évalués séparément, selon leurs contenus respectifs pour le montage des reportages télévisés, les réalisateurs indépendants chinois considèrent leurs enregistrements comme un tout. Garder la piste son d’une conversation et l’illustrer avec des images d’un autre plan est pour eux très rare. Ils préfèrent montrer une conversation importante même mal filmée, plutôt que d’isoler le son de l’image et monter ensemble deux éléments qui ne proviennent pas du même lieu de tournage. Le principe de continuité entre le son et l’image fonctionne donc à la fois pour le tournage et le montage.
18Dans le film Pétition de Zhao Liang43, une partie du tournage se déroule dans les petites pièces des pétitionnaires qui vivent temporairement à Pékin afin de faire entendre leurs plaintes au gouvernement central. Assis dans un coin d’une pièce ou sur l’étage inférieur de lits superposés, Zhao Liang enregistre les conversations des protagonistes, sans trouver suffisamment de lumière et de distance pour les cadrer correctement. Résultat de cet environnement confiné, la plupart des scènes en intérieur sont des plans rapprochés, filmés en contre-plongée lorsque les personnes se tiennent debout. La qualité de ces images – « pauvre » pour des standards de télévision – n’est pas considérée comme une raison suffisante pour les couper au montage. Elles sont intégrées au film comme un enregistrement des contraintes sociales et spatiales imposées à ces personnes, dans l’espace « privé » de domiciles de fortune qui ne les protègent aucunement de l’influence de l’extérieur. Les pétitionnaires non pékinois se regroupent temporairement dans des villages à la périphérie de la capitale où ils peuvent s’entraider et accéder facilement au centre, lieu de leurs protestations. Zhao Liang montre que ces villages de pétitionnaires sont périodiquement vidés et leurs habitants doivent trouver d’autres endroits pour vivre, dans des friches, ou sous des ponts lorsque louer un lit devient trop difficile. Par ses caractéristiques visuelles, Pétition donne l’impression que la capitale rejette ces personnes dans ses marges les plus obscures, alors qu’ils tentent de donner un caractère public à une injustice, en se rendant auprès du gouvernement central. Leur manière d’occuper l’espace, et pour Zhao Liang de s’y adapter, révèle à quel point celui-ci peut constituer une contrainte fondamentale, qui se répercute sur l’esthétique du film.
19Une autre forme de contrainte spatiale liée aux espaces publics, est capturée par Jia Zhangke dans son film In Public44 (voir figure 3). Ce documentaire commence dans une gare ferroviaire de la banlieue de Datong 大同 et suit un itinéraire qui amène la caméra dans toutes sortes de lieux publics : un arrêt de bus, un bus, un restaurant, une salle de billard, et enfin une salle de danse. La première moitié du film est composée de courtes scènes montrant des usagers de transports en commun qui attendent un moyen de locomotion ou qui sont inactifs, transportés par un véhicule à leur destination. La caméra est plus ou moins fixe dans ces plans seulement mus par les moyens de transport dans lesquels ils se déroulent. À l’arrêt du dernier de ceux-ci, un bus, c’est la caméra qui devient cette fois mouvante, passant d’une scène à l’autre par un travelling. Les lieux qu’elle traverse sont peuplés de personnes avec lesquelles l’interaction est limitée, mais qui font l’objet de descriptions visuelles très développées. Le film traduit le sentiment d’une traversée solitaire dans un espace public, lorsque le voyageur est entouré d’« inconnus familiers45 » avec lesquels il n’entrera jamais en contact, mais dont l’apparence trouble et fascine, comme cette femme à l’arrêt de bus qui attend un ami, ou l’étrange homme aux lunettes noires assis sur son fauteuil roulant. Bien que ces séquences soient construites autour de l’observation de personnes, de la description de leurs particularités individuelles et des relations qui les unissent, nous ne pouvons saisir qu’une vague esquisse de leurs vies. La caméra garde ses distances avec les protagonistes, elle n’essaye pas d’interférer avec eux en aucune manière, mais tente plutôt de capturer la nature des relations interpersonnelles dans l’espace public. Jia Zhangke a abandonné son idée originelle de mener des entretiens avec les clients d’un sauna et a décidé d’« entendre ce que l’espace a à dire, [pour] pouvoir ensuite se mettre à dialoguer avec lui46 » à la manière d’Antonioni. C’est donc l’attention portée à l’espace qui explique le relatif silence dans lequel les personnes évoluent. Dans tous ces lieux publics, les protagonistes se rencontrent et parlent d’une manière très réservée, on ne peut entendre que quelques mots, des bribes de conversation, comme si leurs paroles étaient étouffées par le lieu. D’ailleurs, Jia Zhangke affirme que les « voix des [personnages] ne sont qu’un élément de l’environnement. Ce qu’ils disent n’a pas d’importance, ce qui compte c’est leur apparence47 ». La dimension publique du lieu empêche d’afficher les relations interpersonnelles des protagonistes et le réalisateur, à son tour, n’ose pas les approcher et déranger le mystère des regards et des conversations presque inaudibles. Le cinéaste et les personnes filmées sont sur leurs réserves, comme s’ils étaient intimidés par la nature publique de l’espace dans lequel ils évoluent. L’espace public est contraignant pour les protagonistes comme pour le cinéaste, et force le spectateur à mobiliser d’autres facultés que celles qu’il utilise normalement devant des films ordinaires : seule son imagination peut l’aider à voir au-delà de ce spectacle des contraintes sociales générées par l’espace, et à trouver un sens à ces muets fragments d’histoires d’anonymes.
L’espace comme personnage principal : À l’Ouest des rails et Transition
20Qu’il s’agisse de contraintes lourdes comme le manque d’espace, la clandestinité, des conditions de tournage extrêmes, ou de contraintes sociales plus classiques, comme le comportement en public, l’espace joue un rôle certain sur les protagonistes, la manière de tourner du cinéaste, et au final, sur la forme du film. Certains de ces documentaires privilégient tellement le lieu de tournage thématiquement et visuellement que l’espace lui-même devient le personnage principal du film. C’est le cas d’À l’Ouest des rails, qui traite d’un complexe industriel, lieu de travail et de résidence des protagonistes du film48. Cette zone industrielle d’une taille considérable, située dans la province du Liaoning, a entretenu une relation continue et mouvementée avec l’évolution politique et économique de la Chine tout au long du XXe siècle. Successivement un symbole de la domination japonaise, puis de l’alliance avec l’Union Soviétique, elle devient par la suite un exemple du succès de l’industrialisation de l’époque maoïste et a servi de source d’emploi majeure pour les Jeunes instruits (zhiqing) à leur retour de la campagne. La période de réformes annonce dès les années 1980 la fin de l’importance de l’industrie lourde et la transition vers la responsabilité économique des entreprises d’État. Les années 1990 sont celles du chômage des ouvriers, qui se considéraient auparavant comme employés à vie au sein de leur danwei. Commencé en 1999 et terminé en 2001, le tournage d’À l’Ouest des rails enregistre l’extinction progressive de cette zone. Le film est divisé en trois parties qui se déroulent chacune dans un espace distinct : les usines (Rouille ; en chinois Gongchang 工廠 Usine), le quartier ouvrier (Vestiges ; Yan fen jie 豔粉街 Rue Yanfen), le chemin de fer (Rail, Tielu 鐵路). Au sein de ces parties, divers protagonistes apparaissent et animent des récits secondaires, mais bien que Wang Bing s’intéresse à eux de manière individuelle, l’usine constitue le vrai sujet du film. Les longs travellings sur le paysage industriel et l’errance du réalisateur dans les ruines des zones de travail et d’habitation mettent l’accent sur l’espace et ses caractéristiques cinématographiques aussi bien qu’historiques. À part les informations générales du texte d’ouverture, l’histoire du lieu n’est donnée que par l’observation de l’architecture, l’enregistrement des fermetures d’usines, et la polyphonie des conversations des ouvriers – en un mot, par un portrait des différents visages de la zone49. L’espace – comme dans In Public – est souvent plus éloquent que le langage lui-même, certains des ouvriers se révélant peu bavards. Adoptant en partie les principes d’observation et l’intérêt de réalisateurs comme Wiseman pour les institutions, Wang Bing combine une approche de l’espace avec des récits individuels qui sont de véritables plongées dans la mémoire ouvrière chinoise.
21L’espace prime également dans Transition de Wang Yang, un documentaire plus récent qui s’intéresse à la modernisation de la banlieue de Xi’an50 (voir figure 4). Il est construit comme une exploration de cette zone dans laquelle se trouvent des villages ruraux traditionnels et des lieux publics fraîchement construits (des campus universitaires, des bâtiments résidentiels et des centres commerciaux). Dans les endroits qui restent principalement de type rural, la vie ordinaire à la campagne se déroule inchangée, entre travaux des champs, petits commerces de rue et activités quotidiennes. À côté de ceux-ci s’étendent des lieux en pleine reconversion, chantiers de construction ou de démolition. Dans cette banlieue récemment urbanisée coexistent des nouveaux espaces publics urbains, des lieux en friche et des zones rurales traditionnelles. Les zones urbanisées sont représentées avec un certain sens de l’absurde, dans des séquences qui révèlent le désordre total qui y règne malgré les règles qui y ont cours. L’ouverture d’un supermarché donne à Wang Yang l’occasion de filmer l’anarchie d’une foule qui s’y précipite, tandis que les employés, anonymes et disciplinés, s’appliquent à leurs tâches avec zèle. Une autre scène montre les employés d’un karaoké lors d’une séance de formation qui tient à la fois de la répétition théâtrale et de l’entraînement sportif. Chaque scène « urbaine » alterne avec un contrepoint dans les zones « rurales », créant une comparaison entre des lieux publics anciens – les villages agricoles – et les espaces fraîchement construits. Wang Yang met ainsi en valeur la différence des comportements publics dans les zones rurales et dans les nouveaux espaces. Dans chaque lieu urbanisé, la distance entre protagonistes et caméra est semblable à celle que l’on peut observer dans In Public. Les conversations sont inaudibles, et la caméra n’essaye pas d’interagir avec les protagonistes ou de déranger l’action. Cependant, nous ne sommes pas témoins d’une forme de modération des comportements privés au sein de l’espace public comme dans le film de Jia Zhangke. Dans les nouveaux lieux urbanisés, la personnalité de chacun paraît s’effacer sans la moindre trace du mystère qui persistait dans les descriptions des inconnus d’In Public. Au karaoké, les serveurs en uniforme s’entraînent à courir et marcher au pas comme des soldats. Les comportements se standardisent : chaque geste, chaque mot est fonctionnel et mesuré. Dans les villages agricoles, au contraire, la caméra parvient à capturer des regards et des paroles individuels. Dans une séquence formellement très différente du reste du film, Wang Yang mène un bref entretien avec des ouvriers du bâtiment et des résidents ruraux qui se mettent à critiquer la politique d’urbanisation de la banlieue. C’est un des seuls véritables dialogues du film. Ce discours contestataire émis dans la zone rurale, tranche avec les murmures policés de la nouvelle banlieue dans laquelle les protagonistes sont réduits au silence. Certains éléments de ce documentaire tendent même à rendre irréels ces nouveaux espaces, comme s’ils étaient tirés d’un film de science-fiction : Transition débute par des plans de chantiers de construction dans lesquels des grues rythment verticalement un paysage plat, uniformément en friche. Ces différents plans sont accompagnés de musique électronique, une rare entorse au rejet de la musique extra-diégétique dans les documentaires indépendants, et un élément suffisamment inhabituel pour parvenir à déréaliser le début du film. Quand la caméra change d’angle et quitte progressivement les espaces élevés pour descendre au niveau du sol, nous avons le sentiment qu’elle était embarquée sur un véhicule qui vient d’atterrir sur un nouveau territoire. Ce procédé de déréalisation est suivi tout au long du film par l’utilisation de plans qui soulignent l’étrangeté du nouveau paysage, par exemple par des cadrages très larges montrant la foule en plongée. Il y a même un « vrai » alien dans le supermarché, un employé déguisé en extra-terrestre pour distraire les clients, mais qui semble plutôt en terroriser certains. Ce traitement « science-fictionnel » des nouveaux espaces publics contraste avec celui des rares espaces privés montrés dans le film. Ces lieux sont tous situés dans les villages agricoles. La caméra s’approche cette fois des visages, et les protagonistes exposent leurs soucis au réalisateur. Wang Yang filme aussi une église et montre les prières, les pleurs des fidèles et un couple qui se marie. Ces explosions d’émotions sont les seules dans le film. Alors qu’il semble toujours y avoir une place pour l’émotion dans les villages (mariages, prières, lassitude et joie), dans les nouveaux espaces publics, les comportements tendent à être plus standardisés, neutres et déshumanisés, à mesure que le paysage devient de plus en plus irréel. En choisissant de se centrer sur la standardisation des comportements humains comme conséquence de l’urbanisation, Wang Yang présente les nouveaux espaces publics d’une manière dépréciative, et son usage de la caméra observationnelle exprime une vue nettement critique de la modernisation.
Expérimentations spatiales : Disorder
22Une autre façon de réinterpréter l’espace sans, cette fois, être impliqué durant le processus de tournage est illustrée dans le documentaire expérimental Disorder de Huang Weikai51 (voir figure 5). Ce film est construit à partir de rushs tournés par des journalistes freelance couvrant des faits divers comme des inondations, des accidents de voiture, des fraudes, etc. Huang Weikai a collecté ces footage et s’est chargé de les monter ensemble. Il a converti en noir et blanc ces images vidéo auparavant en couleur et, grâce à un montage complexe, a lié ces récits les uns aux autres, mixant les sons d’un événement avec le suivant et construisant ainsi un rythme élaboré entre les séquences. À travers la juxtaposition et l’interpénétration des histoires, des analogies visuelles et thématiques apparaissent entre les sujets. L’inondation d’un quartier est mise en rapport avec un étrange pêcheur qui semble opérer dans un égout ; les cochons qui s’échappent de leur camion et s’enfuient sur l’autoroute font écho à l’image d’un homme qui danse au milieu de la chaussée, etc. Les frontières de ces histoires se troublent, tout comme les frontières des espaces dans lesquels elles prennent place. Le déroulement des événements de chacun de ces faits divers semble se multiplier par l’enchevêtrement des rushs et donne une impression de répétition. Ces histoires intercalées les unes entre les autres, réapparaissent donc périodiquement dans le film, et leur dénouement semble retardé à chaque passage à un récit différent. Ce montage en parallèle a pour effet de créer une impression de répétition ou de durée, qui donne à ces histoires un caractère chronique, récurrent et symptomatique. Les quartiers paraissent être la proie d’inondations continuelles et les porcs en fuite sur l’autoroute semblent courir sur des kilomètres, tant les séquences sont fragmentées et distribuées tout au long du film. De même, le discours du policier enquêtant sur la présence d’un cafard dans une soupe de nouilles traduit sa lassitude profonde devant la répétition de ce type de plaintes. L’absurdité des villes est illustrée de manière souvent cruelle dans les histoires choisies. La vie humaine semble ne posséder aucune valeur pour les protagonistes dans la séquence de l’accident de voiture qui montre la police et les automobilistes en train de décourager un homme blessé d’aller à l’hôpital. Une séquence s’intéresse aux réactions de piétons à la vue d’un nouveau-né abandonné dans la rue : entre les indifférents et ceux qui prétendent ne pas l’avoir vu et passent leur chemin rapidement, les cris de l’enfant semblent dérisoires. L’absence de compassion des citoyens ordinaires se dégage de plusieurs de ces histoires, Huang Weikai ayant privilégié des faits divers reprenant un thème récurrent dans les médias et les discussions en ligne du manque de moralité présumé de la société chinoise contemporaine.
23Ces images produites selon les conventions du journalisme visuel et destinées à l’origine à alimenter des journaux sont détournées de leur fonction informative initiale pour gagner une valeur expressive bien différente. En les rendant homogènes grâce au recours au noir et blanc, leurs points communs deviennent apparents, tandis que le montage, en accentuant la répétition « crée un sentiment d’absurdité52 ». Cette « absurdité » des images médiatiques permet également de véhiculer un jugement sévère sur la vie urbaine. L’espace public est présenté comme un endroit duquel surgissent des histoires irréelles et où la présence de la police ne dissipe pas vraiment le désordre, mais provoque au contraire des situations encore plus confuses. La séquence finale (une confrontation musclée entre une femme et les forces de l’ordre qui dégénère en bagarre et se solde par l’arrestation de tout un groupe de routiers) est symptomatique de la vision conflictuelle de la société du réalisateur. Mais Disorder présente à la fois une critique de la confusion urbaine et des images médiatiques. Celles-ci montrent un déferlement de situations tragiques ou cocasses, sans qu’il soit facile de leur attribuer une signification, car elles possèdent une ambiguïté qui interdit de juger qui est en « tort », qui est victime ou qui dit vrai dans les fragments choisis. Le constat amer de Huang Weikai sur la société chinoise, la tonalité absurde et la confusion générale de ces scènes, ne signifie pas pour autant que celles-ci se situent en dehors de toute forme de logique causale. L’enchevêtrement des histoires, les analogies amenées par le montage et l’atténuation de leurs frontières sonores les rendent solidaires. Les problèmes auxquels les populations urbaines doivent faire face semblent alors liés entre eux : la pauvreté conduit à la folie (séquences de l’homme qui danse au milieu de la route), à la malhonnêteté (scènes sur la saisie d’un trafic d’animaux sauvages), ou au désespoir (abandon d’un bébé) ; et le manque de confiance en la justice à des troubles sociaux (séquence finale du contrôle des routiers) ou au suicide (l’homme sur le pont). Finalement, le « désordre » déployé dans ce film et accentué par son montage constitue également une réflexion sur les relations de cause à effet. Comme le titre chinois le laisse entendre, « la réalité (du présent) est le futur du passé » (xianshi shi guoqu de weilai) : les origines des problèmes auxquels font face nos contemporains doivent être recherchées dans une histoire plus ou moins récente.
24Le rapport qu’entretiennent les réalisateurs indépendants avec l’espace de leur film tient une place majeure dans la forme et le fond de ces documentaires. Les contraintes inhérentes au style direct de tournage qu’ils adoptent se reflètent dans la matière de leur film et renseignent le spectateur sur l’expérience du cinéaste et du protagoniste dans un lieu souvent doté d’une dimension historique fondamentale pour comprendre le film. Les contraintes politiques et sociales que le tournage met à jour se traduisent dans le film, et sont parfois accentuées au montage. Le traitement filmique de l’espace permet ainsi de figurer de manière très expressive, à la fois au moment expérientiel du tournage et dans la phase constructive du montage, les tensions historiques auxquelles se confrontent les protagonistes et les réalisateurs. Ces films dépeignent un rapport à l’espace qui est loin d’être harmonieux, surtout lorsque le lieu filmé représente la ville et de la modernité. Mis à part les films qui ont pour personnages principaux des hommes dans un environnement naturel ou traditionnel, l’espace est souvent source de problèmes sociaux, menacé de disparition ou défiguré par la modernité. Tandis que les lieux traditionnels sont décrits avec nostalgie, parfois au prix de toute objectivité, les espaces modernes tombent sous la critique de ces cinéastes qui se servent volontiers de méthodes déréalisantes ou l’absurde. Alors même qu’ils utilisent des méthodes de tournage qui s’annoncent fidèles à la réalité car héritières du direct, certains cinéastes indépendants n’hésitent donc pas à s’éloigner d’un réalisme factuel pour affirmer avec force une critique de la modernisation et se positionner du côté de la tradition et de la ruralité.
Notes de bas de page
1 En 1958, lors du tournage du documentaire Les Racquetteurs, Gilles Groulx, Michel Brault, Marcel Carrière, 15 min.
2 Groulx Gilles, « Propos sur la scénarisation », Le nouveau cinéma, Archives du Québec, octobre 1975, p. 7, italiques de l’auteur.
3 Entretien avec Wu Wenguang. Voir Pernin Judith, « Wu Wenguang, Filmer l’imprévisible », Monde Chinois, no 14, 2008, p. 31.
4 Les historiens ne s’accordent pas toujours sur une définition du cinéma direct. Celle, plutôt large, de l’historien Gilles Marsolais a été retenue ici. Sous cette bannière se retrouvent le « cinéma-vérité » de Jean Rouch, le Candid Eye du groupe anglophone de l’ONF, ainsi que le « cinéma vécu » de Michel Brault et Pierre Perrault, la « Living camera » des Drew Associates et les films de Leacock, « qui sont tous constituants d’un même mouvement », selon Marsolais Gilles, L’aventure du cinéma direct revisitée, Laval, Les 400 coups, 1997, p. 12.
5 Lü Xinyu 吕新雨, op. cit., p. 22.
6 Brault Michel, « L’imaginaire est plus réel que le réel », Revue Synesthésie, no 2, décembre 1995, disponible sur http://compatibleincompatible.synesthesie.com/index.html (page visitée le 2 mai 2007).
7 Marsolais Gilles, art. cité, p. 13.
8 Pour François Niney, il s’agit d’« une transgression aussi ambivalente que stimulante : d’un côté bouleverser le langage cinématographique par les techniques “objectives” du reportage ; de l’autre, substituer à la langue de bois des studios […] le franc-parler du commun et du terroir, en même temps que la licence poétique d’une caméra subjective ». Voir Niney François, L’Épreuve du réel à l’écran, Bruxelles, De Boeck, 2002, p. 21.
9 Cité dans Zhang Yingjin, Cinema, Space, and Polylocality in a Globalizing China, Honolulu, University of Hawaii Press, 2009, p. 105.
10 Cheng Qingsong 程靑鬆, Huang Ou 黃鷗, Wo de sheyingji bu sa huang 我的攝影機不撒謊 Ma caméra ne ment pas, Beijing, Zhongguo youyi chuban gongsi, 2002, 302 p. Les réalisateurs interviewés dans l’ouvrage comprennent entre autres Jiang Wen, Jia Zhangke, Zhang Yuan, Wang Chao, Lou Ye, et Wang Xiaoshuai.
11 Sur ce dernier sujet, voir Zhang Yingjin, Cinema, Space, and Polylocality in a Globalizing China, op. cit., p. 109 et suivantes.
12 Voir le chapitre i.
13 Lü Xinyu 吕新雨, Jilu zhongguo, Dangdai zhongguo xin jilu yundong, op. cit., p. 25.
14 Ibid. p. 25.
15 Zhang Yingjin, Cinema, Space, and Polylocality in a Globalizing China, op. cit., p. 40.
16 Morin Edgar, « Cinéma et vérité », Revue Synesthésie, no 2, décembre 1995, disponible sur http://compatibleincompatible.synesthesie.com/index.html (page visitée le 2 mai 2007).
17 Marsolais Gilles, op. cit., p. 13.
18 Voir par exemple Williams Linda, « Mirrors without Memories : Truth, History, and the New Documentary », inCorner John et Rosenthal Alan, New Challenges for Documentary, Manchester, New York, Manchester University Press, 2005, p. 59-78.
19 Ruspoli Mario, Le groupe synchrone cinématographique léger, Rapport Unesco, octobre 1963, cité dans Gauthier Guy, Le documentaire, un autre cinéma, Paris, Armand Collin, 2008, p. 45.
20 Groulx Gilles, art. cité, p. 8.
21 Entretien avec Wu Wenguang, voir Pernin Judith, « Wu Wenguang, Filmer l’imprévisible », Monde Chinois, no 14, 2008, p. 30.
22 « Avant le travail, on étudie un thème donné avec grand soin, et dans tous ses aspects ; on étudie des textes sur le sujet ; avant le tournage, on établit des plans thématiques, d’itinéraire et de calendriers. Dans quel sens ces plans diffèrent-ils d’un scénario ? Ils diffèrent dans la mesure où ils représentent un plan d’action pour la caméra quand le thème donné apparaît dans la vie, mais ne représentent pas un plan pour mettre en scène ce même thème » (1928), Vertov Dziga, Kino-Eye : The Writings of Dziga Vertov, Berkeley, University of California Press, 1984, p. 82.
23 Entretien avec l’auteur, Pernin Judith, « Ai Xiaoming, Caméra-stylo, pour un réquisitoire social », Monde Chinois, no 14, 2008, p. 37.
24 Par exemple, Collas Gérald, « La visée documentaire comme horizon du cinéma », Images Documentaires, no 45/46, 2002, p. 17.
25 Version originale : « on the spot realism », dans Berry Chris, « Getting real : Chinese Documentary, Chinese Postsocialism », in Zhang Zhen, The urban generation, Chinese cinema and society at the turn of the twenty-first century, Durham, Duke University Press, 2007, p. 122.
26 Traduction de Luke Robinson : « Documentary realism », in Robinson Luke, « Contingency and Event in China’s New Documentary Film Movement », Nottingham eprints, 2010, disponible sur http://eprints.nottingham.ac.uk/546/.
27 Le terme « cinéma direct » est traduit littéralement en chinois par l’expression zhijie dianying 直接電影.
28 Entretien avec l’auteur : Pernin Judith, « Wu Wenguang, Filmer l’imprévisible », Monde Chinois, no 14, 2008, p. 30.
29 Voir la catégorisation du documentaire en différents modes de Nichols Bill, Introduction to Documentary (second edition), Bloomington, Indiana University Press, 2010, 341 p. La performativité dans le documentaire est discutée et mise en perspective dans Jerslev Anne, « Performativity and Documentary. Sami Saif and Phi Ambo’s Family and performativity », in Gade Rune et Jerslev Anne, Performative Realism : Interdisciplinary Studies in Art and Media, Copenhague, Museum Tusculanum Press, 2005, p. 85-112.
30 Voir Robinson Luke, « Contingency and Event in China’s New Documentary Film Movement », art. cité, p. 1.
31 Par exemple Jaffee Valerie, « “Every man is a star”, The Ambivalent Cult of Amateur Art in New Chinese Documentaries », p. 77-108, et Johnson Matthew David, « Wu Wenguang and the New Documentary Cinema’s Politics of Independence », p. 47-76, tous deux publiés dans Pickowicz Paul et Zhang Yingjin (dir.), From Underground to Independent, Alternative Film Culture in Contemporary China, Lanham, Rowman & Littlefield, 2006, 268 p. Voir également Wang Yiman, art. cité, et Jia Zhangke 賈樟柯, « Yeyu dianying shidai jijiang zaici daolai », art. cité.
32 Voir Berry Chris, « Getting real : Chinese Documentary, Chinese Postsocialism », art. cité, p. 125.
33 Collas Gérald, art. cité, p. 18.
34 Voir la définition de ce courant apparu dans les années 1980 aux États-Unis qui remettait en question le direct dans Williams Linda, art. cité, p. 59.
35 Jacques Aumont donne cette définition de la mise en scène : « porter quelque chose sur la scène pour le montrer […] la scène : le plateau, l’aire de jeu, le lieu imaginaire où se déroule l’action diégétique, enfin cette action elle-même, en tant que partie d’une action plus vaste ». Il montre également que « la recherche d’une définition empirique y a toujours échoué. On y a fait entrer […] aussi bien certains stades de l’adaptation du texte […] que la composition dramatique, la façon de conjuguer, de décliner les figures dans l’espace pour atteindre à l’expressivité maximale ». Voir Aumont Jacques, L’Œil interminable, Paris, Éditions de la Différence, 2008, p. 211.
36 Ce n’est pas le cas pour le cinéma de fiction, avec les études d’André Bazin dans Qu’est-ce que le cinéma, Paris, Cerf, 2002, 372 p. ; Burch Noël, Praxis du cinéma, Paris, Gallimard, 1986, 261 p. ; et Gardies André, L’espace au cinéma, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1993, 222 p. Sur l’espace dans le cinéma documentaire, on peut se référer à Nichols Bill, Representing Reality : Issues and Concepts in Documentary, Bloomington, Indiana University Press, 1991, 313 p. et en particulier au chapitre « Axiographics, ethical space in documentary films », p. 76-105. Toutefois, l’approche éthique de Nichols et sa terminologie ne sont pas utilisées dans ce chapitre.
37 Aumont Jacques, L’Œil interminable, op. cit., p. 156.
38 Pour le Tibet, citons les œuvres de Ji Dan 季丹, Gongbu’s happy life Gong bu de xingfu shenghuo 貢布的幸福生活, 1999, 84 min ou Duan Jinchuan 段錦川, N° 16 Barkhor south street Bakuo nanjie shiliu hao 八廓南街 16號, 1996, 100 min et The Ends of the earth Tianbian 天邊, 1997, 140 min Duan Jinchuan, 段錦川, The Ends of the earth Tianbian 天邊, 1997, 140 min.
39 Reynaud Bérénice, « Dancing with Myself, Drifting with My Camera : The Emotional Vagabonds of China’s New Documentary », art. cité.
40 Les films de Wu Wenguang, Bumming in Beijing ; At Home in the world Si hai wei jia 四海為家, 1995, 170 min ; Dancing with farmworkers He mingong tiaowu 和民工跳舞, 2002, 57 min ; Jianghu : life on the road Jianghu 江湖, 1999, 130 min sont de bons exemples d’études sur les déplacements et leurs causes.
41 Cao Fei 槽菲, Ou Ning 歐寧 et Zhang Jinli 張金利, Meishi street Meishi jie 煤市街, 2006, 85 min ; Jiang Zhi 蔣志, The Nail Dingzi 釘子, 2008, 70 min ; Ai Xiaoming 艾曉明, Taishi village Taishicun 太石村, 2005, 114 min.
42 Yang Lina 楊荔鈉, Old men Laotou 老頭, 1999, 94 min ; Li Xiaofeng 黎小鋒, My last secret Wo zuihou de mimi 我最后的秘密, 2007, 90 min ; Ji Dan 季丹, Dream of the empty city Kong cheng yi meng 空城 一 夢, 2008, 75 min.
43 Zhao Liang 趙亮, Petition Shang fang 上訪, 2009, 315 min. Voir l’analyse de Li Jie, « Filmer le pouvoir et les sans-pouvoir, Crime et châtiment (2007) et Pétition (2009) de Zhao Liang », Perspectives chinoises, no 2010/1, p. 38-52.
44 Jia Zhangke 賈樟柯, In Public Gonggong changsuo 公共場所, 2001, 30 min.
45 Jia Zhangke 賈樟柯, Jia xiang 1996-2008 – Jia Zhangke dianying shouji 賈想 1996-2008 – 賈樟柯電影手記 Pensées de Jia, Notes sur le cinéma 1996-2008, Pékin, Beijing daxue chubanshe, 2009, p. 106.
46 Ibid., p. 107.
47 Ibid., p. 106.
48 Voir notamment Lü Xinyu 吕新雨, « “Tiexiqu” : Lishi yu jieji yishi » 鐵西區 : 歷史與階級意識 À l’ouest des rails, histoire et conscience de classe, in Lü Xinyu 吕新雨, Shuxie yu Zhebi 書寫與遮蔽 Écrire et dissimuler, Guilin, Guangxi Normal University Press, 2008, p. 3-20. ; Li Jie, « Wang Bing’s West of the Tracks – Salvaging the Rubble of Utopia », Jump Cut, no 50, printemps 2008, accessible sur www.ejumpcut.org/archive/jc50.2008/WestofTracks/text.html, lien valide en novembre 2009 ; Veg Sebastian, « Du documentaire à la fiction, Réalité et contingence dans les films de Wang Bing et Jia Zhangke », Perspectives chinoises, 2007/3, p. 141-149.
49 Sebastian Veg parle de personnification de l’espace dans ce film. Voir « Du documentaire à la fiction : Réalité et contingence dans les films de Wang Bing et Jia Zhangke », art. cité, p. 148.
50 Wang Yang 王楊, Transition Dishang – kongjian 地上-空間, 2007, 90 min.
51 Huang Weikai 黃偉凱, Disorder Xianshi shi guoqu de weilai 現實是過去的未來, 2009, 58 min. D’autres films pourraient être analysés de cette manière, comme Outside Waimian 外面, 2005, 75 min et Noise Renao 熱鬧, 2007, 62 min de Wang Wo 王我.
52 Entretien mené par email le 3 mars 2009.
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