Chapitre II. Réformes de la télévision et expérimentations dans le monde de l’art : le renouveau du documentaire
p. 65-94
Texte intégral
1La rupture avec le cinéma documentaire de propagande a lieu au sein d’un groupe évoluant entre le milieu de la télévision et le milieu de l’art. Les chaînes locales qui se multiplient pendant les années 1980 fournissent aux premiers réalisateurs indépendants des perspectives de carrière officielle dans un média neuf et en pleine adaptation au nouvel environnement économique des réformes. Ces jeunes gens nés entre la fin des années 1950 et 1960 ont grandi dans le chaos de la Révolution culturelle et sont devenus adultes avec le début des réformes. Ils sont témoins des transformations économiques et sociales des années 1980, et bénéficient de la récente ouverture culturelle de la Chine. C’est l’époque du « mouvement de libération de la pensée […], puis [de] la “fièvre culturelle” (wenhua re 文化熱) du milieu des années 1980 (appelée plus tard “les Nouvelles Lumières” d’après le mouvement du 4-Mai 1919), [et de] l’apparition d’un groupe d’intellectuels publics, très réputés, touchant un important lectorat1 ». L’accès à des textes étrangers permet « des comparaisons Est-Ouest2 » visant à la « modernisation de la culture », jugée de nouveau indispensable pour sortir cette fois des ornières du maoïsme. Ces réflexions sont véhiculées par les magazines Dushu 讀書 (Lire), Zouxiang weilai 走向未來 (Vers le futur), et Wenhua : Zhongguo yu shijie文化 : 中國與世界 (Culture : la Chine et le monde), mais aussi par une série documentaire télévisée, L’Élégie du fleuve (Heshang), et bien sûr par le milieu de l’art. Ces transformations culturelles ont une influence profonde sur l’émergence du documentaire indépendant, tout autant que les réformes de la filière cinématographique et télévisuelle qui rendent progressivement possible l’émergence d’œuvres semi-indépendantes puis indépendantes.
Les réformes du secteur audiovisuel : diversification des documentaires officiels et émergence des indépendants
La fin du monopole des studios sur le documentaire
2Le développement de la télévision à la fin des années 1970 coïncide avec la mise en œuvre progressive de réformes qui précipitent la fin des studios de documentaire. En janvier 1978, la télévision se dote de son premier journal qui rend obsolètes les actualités projetées en salle, et à la fin des années 1990, les documentaires des studios deviennent majoritairement destinés à une diffusion télévisuelle. Comme dans les autres secteurs, les réformes consistent à instaurer des principes de responsabilité économique à chacune des sections de la filière cinématographique. Les studios et les exploitants de salles de cinéma deviennent progressivement responsables de leurs pertes et profits, tandis que l’État se désengage partiellement de son rôle d’investisseur du cinéma en décentralisant la production au niveau de la province et de la ville. Le nombre de studios de cinéma passe de dix en 1979 à trente en 1983, ce qui crée une certaine concurrence entre eux, surtout dans le domaine de la fiction. Dans les années 1990, on permet aux personnes et entreprises privées d’entrer en coproduction avec les studios. Dans le même temps, le monopole de la distribution par l’organe central China Film Distribution Corporation (Zhongguo dianying faxing gongsi 中國電影發行公司) est aboli et la distribution décentralisée au profit d’organes de niveau local. Cet ensemble de mesures a pour conséquence le retrait des impopulaires actualités filmées des studios de la programmation des salles au profit de films de divertissement qui attirent un public plus nombreux. Le Studio central de films d’actualités et de documentaires (CNDS) arrête définitivement la production d’actualités en 1992, et en 1993, il est placé sous la direction de CCTV (Central China Television, Zhongyang Dianshitai 中央電視台), son nouveau rôle consistant à fournir des émissions documentaires à la télévision. Ces programmes peu attractifs sont marginalisés dans des créneaux horaires de faible audience. Passant du secteur du cinéma à celui de la télévision, le CNDS obéit à une logique économique : le film, support de tournage et de projection utilisé par le studio est trop cher, et les œuvres produites sont à la fois peu concurrentielles par rapport aux émissions documentaires de la télévision, et peu attrayantes comparées aux films de genre qui commencent à envahir les salles. Le documentaire officiel cesse alors d’être perçu par le grand public comme une forme cinématographique : il n’est quasiment plus destiné à l’exploitation en salles et son histoire s’écrit désormais à la télévision.
Le documentaire à la télévision
3Retirer le documentaire de l’industrie cinématographique alors en pleine crise pour le confier à un média plus populaire fut une manière d’affirmer cette forme filmique comme un élément essentiel de la « culture des masses ». En accédant au système télévisuel à l’heure des réformes, le documentaire a dû s’adapter aux fonctions de son nouveau canal de diffusion, la télévision, elle-même en quête de représentativité et d’un « pluralisme3 » qui va rendre possible l’apparition des documentaires indépendants. Après des débuts marqués par la lenteur des innovations techniques et un faible taux d’équipement en téléviseurs, la télévision devient progressivement un moyen d’information et de divertissement populaire. La présence de la télévision dans le cercle familial progresse rapidement pendant les réformes : « en 1978, seulement 2 % des foyers en possédaient un, ce qui représentait 80 millions de spectateurs. En 1986, les 1,1 milliard de la population chinoise utilisaient 120 millions de téléviseurs, avec en moyenne, un pour 10 personnes4 ». Le nombre de chaînes de télévision se multiplie également au début des années 1970 (trente-deux chaînes5 existent déjà en 1972). Leur rôle consiste principalement à relayer les émissions de la télévision centrale (CCTV), qui est sous l’autorité directe du GAPPRFT, lui-même sous le contrôle du Conseil d’État. Sa « fonction est de transmettre des nouvelles et l’information, de faire circuler les décisions politiques, de refléter et d’affecter l’opinion publique, de disséminer le savoir, de divertir le peuple, et de servir le public6 ». Les chaînes n’appartenant pas au groupe national dépendent des bureaux provinciaux et municipaux du GAPPRFT, et sont financées par les gouvernements locaux. En 1991, on compte un total de 220 chaînes nationales et locales transmettant plus de 7 800 heures de programmes par semaine7. En 2003, il en existe 2 262, dont 2 248 locales8. Cette croissance fulgurante s’explique par la coopération des chaînes, CCTV fournissant une bonne partie de la programmation des télévisions locales, ou collaborant avec elles pour produire de nouveaux programmes. Les chaînes locales disposent toutefois de leurs propres équipes et produisent elles-mêmes des programmes d’information, ainsi que des reportages et des documentaires. Et c’est justement au sein de ces chaînes locales que les premiers réalisateurs indépendants feront leurs débuts.
4Dans un premier temps, les formes documentaires officielles héritées du CNDS se perpétuent à la télévision. Avec l’introduction de l’économie de marché dans les années 1980, la rémunération des chaînes commence à être envisagée par le biais de la publicité, et la télévision doit dorénavant « fonctionner selon des principes commercialement profitables9 » et devenir représentative des goûts du public. Les mesures de parts d’audience deviennent un critère d’évaluation des émissions, y compris du documentaire. Ce tournant commercial reflète un changement de la conception des médias, pensés désormais comme « porte-parole du peuple (qunzhong houshe 群眾喉舌) […], une importante déviation du principe selon lequel les médias sont le porte-parole du Parti communiste (gongchandang houshe 共產黨喉舌)10 ». La télévision n’est donc plus considérée principalement comme un outil pédagogique au service du pouvoir, mais comme un fournisseur d’information et de divertissement devant respecter un certain nombre de règles en ligne avec l’idéologie du Parti. Concilier ces deux impératifs se révèle être un problème toujours aussi épineux, puisque depuis, des vagues successives d’ouverture aux divertissements populaires globalisés (séries télévisées et programmes de téléréalité d’inspiration étrangère) succèdent à des périodes où l’on réaffirme la primauté des principes socialistes et l’importance de la tradition et de la morale chinoise à la télévision11.
La série documentaire Élégie du fleuve12
5Exemplaire des contradictions qui existent au sein des institutions chinoises, la série documentaire Élégie du fleuve (Heshang 河殤, 320 min) est produite au moment où s’opposent les factions réformatrices et conservatrices au sein du Parti sur la question de la poursuite des réformes. Inspirée par les débats de l’époque de la fièvre culturelle, la série défend les idées réformatrices de la faction du premier ministre Zhao Ziyang 趙紫陽. D’un style combinant le documentaire de paysage (fengguangpian) et politique (appelé à l’époque film thématique ou zhuantipian 專題片), cette série de six épisodes est tout à fait officielle dans sa forme, tout autant que dans son rôle, puisque sa critique est émise dans le but de renforcer la nation. Il n’en reste pas moins que les idées réformatrices et paradoxalement patriotes de Heshang ont créé un débat sans précédent à l’aube du mouvement démocratique de Tiananmen. Il est intéressant de noter que cette émission est conçue par l’auteur de littérature de reportage Su Xiaokang 蘇曉康, entouré de collaborateurs externes. Fidèle au genre officiel, la série se présente donc comme un discours politique en images, avec un commentaire lyrique et une musique extra-diégétique qui lui donne un caractère dramatique et renforce son propos. Celui-ci consiste en une analyse de la culture chinoise à travers ses symboles dont le caractère funeste explique, selon le commentaire, la faiblesse de la Chine face à l’Occident. L’usage de l’interview, procédé relativement rare dans les documentaires chinois de l’époque est toutefois justifié par l’autorité scientifique des intervenants, des philosophes et historiens chinois. L’un d’eux, Jin Guantao 金觀濤13, évoque sa théorie des sous-systèmes pour expliquer la pérennité et à terme, le déclin du modèle chinois à cause de la « super-stabilité sociale » due à la structure en clans familiaux et au système des concours mandarinaux. La lecture des symboles nationaux fonctionne ici à deux niveaux : si le dragon représente le despote, il est aussi l’image de Mao, qui apparaît superposée à la voix-off du commentaire dans une séquence traitant de l’animal mythique. À travers cette réappropriation symbolique, les auteurs de Heshang présentent une critique implicite de l’histoire et de la politique chinoise. Heshang prend ainsi clairement position en faveur les réformateurs : le commentaire propose « d’avancer et de briser le cercle vicieux de l’histoire […] pour enfin faire l’expérience de réformes politiques14 ». Heshang est diffusé deux fois sur CCTV le 11 juin 1988 et le 15 août 1988, avec une audience estimée à 700 millions de spectateurs. En outre, le scénario a été publié dans des périodiques et sous forme d’ouvrage.
6À l’époque de la diffusion, les réformes s’enlisent et sont critiquées par les conservateurs. À cause de son discours alarmiste et réformiste, Heshang devient l’objet d’une violente controverse à la fois dans les milieux universitaires, la société et la sphère politique, où les conservateurs mettent en valeur l’anti-patriotisme apparent15 du film pour l’interdire. Après la sanglante répression du mouvement démocratique de 1989 et « l’échec » des réformistes, la controverse sur Heshang prend une nouvelle dimension : ses auteurs qui par ailleurs se sont engagés individuellement pour le mouvement démocratique, sont accusés d’avoir créé un climat propice au désordre et ils sont punis ou choisissent l’exil. Heshang répond à des impératifs essentiellement politiques et institutionnels, puisqu’il défend les réformes au moment où les réformistes au pouvoir sont contestés. Dans le même temps, il s’éloigne de certaines caractéristiques du réalisme, puisqu’il adopte une vision non linéaire, non progressiste de l’histoire, et dépeint d’une manière négative le rôle du PCC. Bien qu’elle soit devenue a posteriori un symbole du mouvement démocratique, la série Élégie du fleuve est certainement davantage un test des limites de la liberté d’expression16, qu’un film s’extrayant des conventions documentaires officielles. Sa prise de position claire et articulée par un commentaire omniscient à la fois lyrique et politique le place du côté des documentaires officiels. Le film défend les réformes d’une manière audacieuse, certes, mais essentiellement en tant que porte-voix d’une des factions du PCC.
Diversification des documentaires télévisés
7Malgré la persistance et même le renforcement du contrôle idéologique après le tournant de Tiananmen, la télévision se tourne malgré tout de plus en plus vers son public : on s’enquiert de l’opinion des téléspectateurs par le biais de hotlines et d’études de marché, on invite les gens ordinaires dans les talk-shows, et on cherche, dans les programmes documentaires, à faire exister une « polyphonie17 » longtemps absente des écrans chinois. Dorénavant, les impopulaires zhuantipian coexistent avec un genre « d’émission documentaire de divertissement » (yulehua jishi jiemu 娛樂化紀實節目) au succès croissant. Pour Li Changchun 李長春 qui dirige le travail de propagande au niveau national de 2002 à 2013, la télévision doit mettre en œuvre « trois formes de proximité » (san tiejin 三貼近) avec son public, et ce type d’émissions correspond tout à fait à ce qu’il préconise. Au lieu « d’idéologies grandioses », elles sont « proches de la réalité (elles se concentrent sur de vraies questions sociales), proches des masses (avec des informations et des programmes qui concernent la majorité de la population), et proches de la vie (avec des sujets qui relèvent de la vie quotidienne)18 ». En 1993, dix ans avant que soit affirmé le principe des trois proximités, un programme de CCTV appelé Oriental Times (Dongfang Shikong 東方時空, aussi traduit par Oriental moments et Oriental horizon) illustre déjà cette formule et montre l’influence du public sur l’évolution des programmes. Cette émission expérimente deux innovations : d’une part, « les recettes des cinq minutes de publicité qui accompagnent le programme financent directement les dépenses de l’émission elle-même19 », ce qui lie la part d’audience et le profit généré par la publicité à la santé financière de l’émission. D’autre part, les producteurs décident librement du contenu des émissions, de leur format et de l’embauche de personnel, même si la chaîne donne l’« approbation finale des émissions et [le] budget annuel20 ». Oriental Times est composé de plusieurs programmes d’actualités diverses, dont l’un, Life Space (Shenghuo Kongjian 生活空間), est initialement conçu comme une émission de conseils sur la vie quotidienne. Ses sujets très triviaux sont impopulaires et menacent l’existence de l’émission. Le réalisateur Jiang Yue, déjà auteur de plusieurs documentaires et collaborateur indépendant de la chaîne, est alors invité à tourner un film sur la vie de personnes âgées ordinaires. L’émission obtient beaucoup de succès et Life Space devient un programme de documentaires courts (huit à dix minutes) « reflétant la vie des Chinois ordinaires21 ». Le succès de cette émission22 entraîne la création de programmes similaires sur d’autres chaînes et son mode de production – responsabilité du producteur et approbation finale de la chaîne – devient par la suite celui de la plupart des émissions. Grâce à cette initiative et à la réforme de 2002 qui sépare la production de programmes de sa diffusion, « un grand nombre de compagnies de production indépendantes ou semi indépendantes émergent23 » et apportent un nouveau souffle dans la conception des émissions. Le principe de proximité devient même de la participation dans le cas de l’émission intitulée Ordinary People’s Lives (Baixing jiayuan 百姓家園) créée début 2000 : des néophytes sont formés sommairement à la réalisation de documentaires sur leur vie quotidienne, le montage de leurs courts-métrages étant confié à des professionnels. Le mode de production de ces deux émissions, la diversité de leurs sujets et le caractère participatif de la seconde ont été perçus comme des signes de « démocratisation » de la télévision. Mais si les producteurs ont aujourd’hui une plus grande latitude pour concevoir des émissions originales et plus représentatives de la population ordinaire, les chaînes se réservent toujours la possibilité d’annuler un programme qui n’est pas adapté. Ces deux émissions ne sont d’ailleurs pas exemptes de discours de propagande implicites. Malgré son caractère novateur, Life Space fonctionne d’une certaine manière comme « une justification des réglementations du gouvernement24 » : le rôle positif des « agents du gouvernement » et « l’héroïsme » de certains patriotes ordinaires y sont souvent soulignés à travers diverses anecdotes. En passant à la télévision, le documentaire officiel se transforme donc pour éviter de disparaître des programmes de chaînes toujours plus commerciales. Malgré le succès d’émissions documentaires participatives, « les chaînes de télévision nationales chinoises semblent avoir trouvé une position stratégique entre l’économie et l’idéologie, qui les autorise à aller dans le sens de cette époque de consumérisme rampant et de média de divertissement léger25 ». Néanmoins, si les réformes et les changements structurels du système audiovisuel entraînent sur le long terme un appauvrissement ou la raréfaction du documentaire télévisé, il ne s’agit que d’un effet tardif. À la fin des années 1980, c’est paradoxalement à la télévision qu’émerge la possibilité de tourner les films plus personnels des indépendants.
Projets hybrides
8Les changements structurels des réformes ont donné le jour à des films qui n’ont pas connu le même succès, certains d’ailleurs n’ayant pas obtenu d’autorisation de diffusion. Ces projets ont pourtant été conçus en lien étroit avec les chaînes de télévision et bénéficiaient même d’une approbation de principe, mais à la suite des événements du 4 juin 1989, le contrôle des médias s’est renforcé et « beaucoup de projets qui ont été considérés inopportuns ou inappropriés, […] ont été interdits26 ». La série documentaire Tiananmen 天安門 de Shi Jian 時間 en est un bon exemple. Développée avant la célébration des quarante ans de la RPC, la série reçoit l’approbation officielle de CCTV, mais son « élaboration est due entièrement à [la] personne [de Shi Jian] » et son financement est assuré par « un sponsor, mais pas par la chaîne, dont [il a] juste utilisé les ressources techniques27 ». Réalisée entre 1988 et 1991 l’émission se compose de huit épisodes de cinquante minutes, qui brossent le portrait de personnes « issues de diverses strates de la société vivant autour de la célèbre place : des survivants de l’époque impériale, des chanteurs de rue, des grands-mères, des petits entrepreneurs, des jeunes femmes apprenties modèles, des étrangers28 ». Des images d’archives et des plans contemporains de la place alternent avec des interviews qui expriment, selon Shi Jian, une « demande de libération individuelle29 ». La série, dont le tournage est interrompu pendant 6 mois après les événements du 4 juin 1989, est achevée en 1991, mais n’obtient pas l’autorisation de diffusion. Ce refus s’explique par le tabou visuel frappant les images de la place après ce traumatisme politique et social majeur, mais il vise également le discours de la série documentaire. Le carton placé en début de film déclarant « nous respectons l’histoire, de la même façon que nous respectons la vie30 », est une critique du massacre de la place Tiananmen, ainsi que du contrôle que le Parti exerce sur le récit historique.
Débuts de l’indépendance
9Gelées pendant un temps, les collaborations entre chaînes télévisées et réalisateurs et producteurs indépendants reprennent toutefois au début des années 1990. Un système de responsabilité du producteur est mis en place dans les années 1990 et « permet aux réalisateurs indépendants de documentaires d’atteindre un certain niveau d’entente avec les producteurs de la télévision, pour pouvoir utiliser les ressources de la chaîne ou leurs relations afin de réaliser leurs projets personnels31 ». Ces films, tournés grâce au matériel des télévisions mais sans accord de diffusion préalable n’engagent ni la chaîne à le diffuser, ni le réalisateur à rendre des comptes sur son travail. Plusieurs réalisateurs dont Wu Wenguang, Jiang Yue, Shi Jian et Duan Jinchuan participent ainsi à la fois à la conception de nouvelles émissions documentaires pour la télévision, et tournent des projets personnels qui sont, autrement dit, les premiers documentaires « indépendants ». Certains de ces films personnels sont même diffusés à la télévision chinoise, mais dans la plupart des cas sous une forme réduite, et dans un créneau horaire de faible audience. Le film No. 16 Barkhor South Street de Duan Jinchuan, malgré son prix au Cinéma du Réel à Paris en 1997, n’est diffusé qu’en 2001 à 23 heures 30 sur CCTV, sa durée passant de cent minutes à trente minutes. Le réalisateur, en poste à la télévision du Tibet de 1984 à 1992, montre dans la version longue du film le fonctionnement d’un comité de voisinage (juweihui 居委會) de Lhasa. Les problèmes administratifs et familiaux de ce quartier sont relatés par la bouche même de ceux qui les vivent, lorsqu’ils viennent exprimer leurs doléances au bureau. La caméra observationnelle de Duan Jinchuan décrit les différences culturelles entre Han et Tibétains et les mesures prises par les responsables locaux pour éviter des conflits pendant une fête religieuse tibétaine. Le format long et le style épuré de ce film basé sur les observations du réalisateur et sans commentaire explicatif, confèrent une certaine ambiguïté aux situations. Duan Jinchuan ne cherche ni à expliquer, ni à enseigner, il « ne s’impose jamais, ne pose pas de questions, ne fait aucun commentaire32 ». La liberté d’interprétation laissée au spectateur explique certainement le remontage dont le film a fait l’objet avant sa diffusion, une pratique qu’adoptent également les télévisions étrangères pour les œuvres de ce type33. Un documentaire de long-métrage qui n’est pas conçu selon le mode « d’exposition » (selon la typologie de Bill Nichols) d’un reportage didactique, reste rare même sur des chaînes de télévision de qualité et sans système de censure politique. Les choix formels des réalisateurs sont dans ce cas un frein à une diffusion télévisée, les films de ce type étant réputés difficiles d’accès, et donc, non générateur d’audience et de revenus. Dans le cas de la diffusion de ce film sur CCTV, le choix du sujet – le Tibet étant toujours un thème sensible – a certainement constitué un argument supplémentaire pour le raccourcir et le diffuser en dernière partie de soirée.
10Pour des raisons commerciales ou idéologiques, le médium télévisuel ne semble donc pas se prêter à la diffusion de ce type de films. L’échec de l’émission The DV Generation (DV Shidai DV 時代) qui débute en 2002 sur la chaîne hongkongaise Phoenix TV, n’est pas dû au contrôle de la censure, mais à « des contraintes de programmation : la durée attribuée à chaque programme n’était que de quinze minutes avec une pause de publicité au milieu […]. On a alors décidé que chaque film serait remonté pour tenir sur les quinze minutes du programme, et diffusé en trois fois quinze minutes34 ». Malgré ces compromis, l’émission est effacée de la grille de la chaîne en 2003 car elle n’est pas assez rentable. Le documentaire de Kang Jianning Shao’s long march (Dang bing 當兵, 2002, 90 min) est autorisé à la diffusion sur CCTV mais dans une version courte qui simplifie à outrance la signification du film. Cette version dépourvue de toute l’ambiguïté et de l’intérêt du « directors’cut », est aussi celle que la BBC a diffusée, ce qui montre que la censure à l’œuvre à la télévision chinoise, si elle se présente de manière plus politique, fonctionne souvent de la même manière qu’ailleurs : à une vision complexe de la réalité, on préfère une version schématique et sans nuance.
11La production de ces projets personnels grâce à des arrangements informels avec les chaînes de télévision a un caractère hasardeux et discontinu, et surtout, rien ne garantit leur diffusion. Cette situation de semi-dépendance dure jusqu’à la fin des années 1990, avec l’apparition de nouveaux outils vidéo et informatiques qui permettent aux amateurs, comme aux réalisateurs indépendants, de tourner et monter des films sans l’aide des chaînes. Cette autonomisation est d’autant plus importante qu’elle permet d’élargir le petit cercle des indépendants à « ceux qui étaient en dehors des structures de l’industrie du film et de la télévision, ceux qui avaient peu l’opportunité de s’exprimer grâce au cinéma35 ». Si les relations entre les institutions chinoises et les réalisateurs indépendants se poursuivent par la suite, elles ne sont plus mues par la même nécessité.
Les premiers documentaristes indépendants et le monde de l’art non officiel
12Outre le milieu de la télévision, les premiers réalisateurs indépendants entretiennent également des liens avec l’avant-garde artistique de l’époque. En quête d’un nouveau statut, celle-ci s’est éloignée des institutions de l’art. Artistes et réalisateurs se retrouvent donc autour de cette prise de distance, et leur fréquentation mutuelle fait émerger de nouvelles pratiques et conceptions du documentaire.
Dépolitisation et « retour à l’art »
13Pour un certain nombre d’artistes non officiels de l’époque des réformes, s’émanciper des institutions officielles de l’art contemporain signifie rompre avec la conception de l’art comme propagande d’État et donc dépolitiser leur travail. En cela, ces artistes s’opposent aux représentants du pop politique (zhengzhi popu 政治波譜) ou du réalisme cynique (wanshi xianshi zhuyi 玩世現實主義), qui tournent en dérision l’idéologie officielle, et restent donc des « artistes politiques ». Si ces derniers gagnent reconnaissance et fortune grâce à leur détournement de la rhétorique visuelle ou textuelle de l’idéologie du PCC, Hou Hanru considère que leur « art (qu’il soit officiel ou non officiel) est encore […] un outil de propagande (y compris de propagande commerciale)36 ». Pour instaurer une véritable rupture, certains artistes tentent alors de se débarrasser de toute influence idéologique. Leur point de vue critique s’exprime non à travers un discours sur la politique, mais par l’observation de la société. Ils ne cherchent donc pas à « s’échapper de la réalité sociale : au contraire, leurs choix découlent d’une réflexion lucide sur les problèmes sociaux contemporains37 ». Cette tentative de dépolitisation s’exprime en photographie dès avril 1979, à l’exposition Nature, Society and Man (Ziran, shehui, ren 自然,社會,人) organisée par la Société photographique d’avril (Siyue yinghui 四月影會) dans le parc Sun Yat-sen (Zhongshan gongyuan 中山公園) de Pékin. Ce groupe de photographes, formé autour de la commémoration non officielle de la mort de Zhou Enlai en avril 1976, est représenté par Wang Zhiping 王志平et Li Xiaobin 李曉斌, qui deviennent les chefs de file de la nouvelle photographie dans les années 1980. Cette première exposition non officielle de photographies chinoises comporte environ 300 œuvres de 51 photographes qui se présentent parfois comme des amateurs38. Succès public, l’exposition voyage dans d’autres villes chinoises en 1980 et 1981, année qui marque son entrée au musée d’art national (Zhongguo Meishuguan 中國美術館). Ni images d’actualité, ni expérimentations abstraites, les œuvres sélectionnées montrent la beauté de la nature et de la vie quotidienne. La préface du catalogue écrite par Wang Zhiping plaide pour « explorer l’art avec le langage de l’art, tout comme les problèmes économiques doivent être résolus avec des méthodes économiques ». Pour lui, « la beauté de la photographie ne repose pas nécessairement sur des “sujets importants” ou dans l’idéologie officielle, mais doit se trouver dans les rythmes de la nature, la réalité sociale et dans les émotions et les idées39 ». Il s’agit donc de cesser d’envisager l’art en fonction de son utilité politique, une idée qui se retrouve sous la plume de différents artistes, critiques et théoriciens, tout au long de la période des Réformes. Est critiquée l’« approche de l’art contrôlée par une mentalité fonctionnelle et traditionnelle, qui se sert toujours de l’art comme d’un outil, sans le considérer comme un symbole de l’évolution progressive de l’humanité dans le domaine spirituel40 ». Revenir « à l’art lui-même41 » est valable pour les artistes, mais également pour ceux qui se trouvent du côté de la réception des œuvres. Dépolitiser l’appréciation et le discours sur l’art est prôné par les artistes, les critiques, et les hommes de théâtre comme Mou Sen, qui critique fortement les interprétations politiques de sa mise en scène de File Zero (Ling dang’an 零檔案), une pièce créée à partir d’un poème de Yu Jian 于堅, un poète du Yunnan ami de Wu Wenguang. Si le poème comme la pièce sont des réflexions critiques sur le contrôle des citoyens chinois à travers le système de dossiers individuels documentant tous les aspects de leur vie, son « point de départ n’est jamais politique, jamais naïvement idéologique, mais toujours artistique – révéler la condition de base de l’existence humaine42 ». Négligeant les phénomènes sociaux concrets et les expériences individuelles, la politique semble être devenue une totale abstraction pour des artistes comme Mou Sen, un mode d’analyse grossier auquel ont recours ceux qui ne possèdent pas une expérience directe de la vie.
Diffusion de l’art et lieux artistiques non officiels
14Produire un art émancipé de l’idéologie officielle signifie aussi échapper aux circuits de production et de circulation institutionnels. L’art privé, « d’appartement » (gongyu yishu 公寓藝術) ou « d’ambassade43 » (dashiguan yishu 大使館藝術), propose des œuvres seulement visibles hors de l’espace public, offertes à une audience réduite souvent constituée de collègues, d’amis, ou de citoyens étrangers. Les réformes des années 1980 incitent les artistes à imaginer d’autres formes d’exposition des œuvres non officielles, grâce en particulier à certaines maisons d’édition plus ouvertes. Li Xianting 栗憲庭 utilise les pages du Beijing Youth Journal (Beijing qing nian bao 北京青年報) pour « exposer » sur le papier des œuvres d’artistes comme Zhang Peili 張培力, Wang Jianwei 汪建偉, Li Yongbin 李永斌, qui n’avaient pas accès aux espaces d’art officiels44. C’est également sous forme de livre, dès 1979, que se fait connaître la Société photographique d’avril, avec la publication du volume de photos prises lors de la mort de Zhou Enlai sous le titre People’s Mourning (Renmin de daonian 人民的悼念). À cette époque, c’est un ouvrage officiel car le mouvement en faveur de Zhou Enlai45 a été réhabilité a posteriori, mais ces images sont issues d’une initiative spontanée, non officielle et critique. Cette publication, suivie des expositions susmentionnées, entraîne la création de groupes photographiques non officiels, dont le Salon de photographie contemporaine, Xiandai sheying shalong 現代攝影沙龍, à Pékin. Des événements tout aussi fondateurs pour l’art contemporain ont lieu en juillet de la même année avec l’exposition de la Société Sans nom (Wuming huahui 無名畫會) tenue au parc Beihai (Beihai gongyuan 北海公園), puis le 27 septembre avec celle des Étoiles (Xingxing meizhan 星星美展), qui est interdite deux jours plus tard. Les artistes organisent alors une manifestation devant le Mur de la démocratie (Xidan minzhu qiang 西單民主牆46) le 1er octobre 1979 pour protester contre cette interdiction. Par la suite, l’exposition est installée au parc Beihai, et soutenue par l’officielle Association des artistes chinois. Ces premières initiatives visant à la diffusion d’œuvres non officielles montrent que malgré l’ouverture qui s’esquisse à l’orée des années 1980, le statut des artistes reste instable et mal défini lorsqu’ils travaillent en dehors des institutions officielles. Tour à tour tolérées puis réprimées, ces expositions sont parfois réappropriées par l’institution. Toutefois, rien ne garantit un accès à l’espace public et sans accès au marché, ces expositions peuvent être annulées au moindre incident. Le 4 juin 1989 a d’ailleurs eu le même effet pour le milieu de l’art que pour la télévision. Après des débuts prometteurs dans les années 1980, les expositions non officielles sont limitées à la fin de la décennie, d’où l’émergence de publications et la réapparition d’expositions privées au début des années 1990. C’est dans ce contexte que sont organisées des expositions de documents (wenxian zhan47), une solution de diffusion qui consiste tout simplement à documenter les œuvres, et faire circuler celles-ci sous forme de photographies et non d’artefacts.
Errances des artistes et élaboration d’un statut non officiel
15De cette situation de visibilité contrariée a donc émergé une certaine créativité, ainsi qu’un rapprochement entre la création chinoise contemporaine et la pratique du documentaire, à la fois en images fixes et en mouvement. Hormis la problématique de la diffusion de l’art non officiel, les efforts de documentation se sont également tournés vers le mode de vie nouveau et fragile des communautés artistiques, souvent regroupées dans des villages à la périphérie des villes. Cette documentation est en général menée de l’intérieur, par des photographes ou des réalisateurs proches du milieu. Reflets de cette imbrication du milieu de l’avant-garde avec celui des réalisateurs indépendants, ces premiers films traitent abondamment de la création non officielle et de la vie dans les villages d’artistes comme celui de Yuanmingyuan 圓明園. Attirés par le prix des locations dans la périphérie ouest de Pékin, un certain nombre d’artistes s’installe dans un cadre semi rural à proximité des ruines du parc de Yuanmingyuan. Peintres, poètes, sculpteurs, musiciens y habitent jusqu’en 1995, date à laquelle les autorités municipales pékinoises les forcent à quitter les lieux. L’exil interne de l’avant-garde pékinoise dans ce « village » a forgé un parallèle entre artistes et vagabonds, et ces conditions de vie instables ont grandement influencé leurs créations, tout en leur construisant une identité romantique de marginaux. Au tournant des années 1990, les artistes chinois non officiels sont d’ailleurs stigmatisés par l’appellation péjorative d’« artistes flottants » (mangliu yishujia) qui les assimile à des populations migrantes traditionnellement considérées comme dangereuses et délinquantes. Lorsqu’au début des années 1990 Wu Wenguang filme dans Bumming in Beijing la vie quotidienne de ses amis artistes qui sont « non seulement les sujets de son film, mais aussi ceux dont il partage le destin48 », l’identité de ces artistes et la sienne sont étroitement associées au vagabondage, une idée que le titre souligne nettement. Wu Wenguang y montre les conditions de vie et l’état d’esprit de cinq de ses amis qui partagent la même envie d’expression artistique, et un mode de vie marginal et déraciné. Comme le réalisateur, ils viennent pour la plupart du Yunnan et vivent à Pékin avec peu de ressources et surtout sans posséder de hukou 户口 pékinois, ce qui les empêche de s’y installer de manière permanente. Cette situation de flottement aux marges de la légalité se traduit par une instabilité géographique à l’intérieur de la ville. L’idée de Bumming in Beijing est d’ailleurs venue à Wu Wenguang lorsqu’il a appris que ses amis étaient nombreux à souhaiter émigrer. Cinq ans plus tard, dans At Home in the World, il montre leur nouvelle vie – certains protagonistes ayant décidé de rester en Chine, d’autres étant finalement partis. Être artiste indépendant signifiait visiblement, à cette époque et à travers ce film, vivre dans l’errance, et être voué à entretenir des rapports spatiaux complexes, d’attraction vers le centre (Pékin) et de rejet vers sa périphérie (le village urbain), ou même de départs à l’étranger.
16Construisant son film en deux modalités distinctes d’entretiens filmés et de suivi direct des protagonistes, le réalisateur met en jeu deux types de performativité. La première est celle des entretiens, avec l’échange de questions posées depuis un hors-champ situé derrière la caméra. Les informations échangées avec les protagonistes lui sont déjà connues, puisqu’il s’agit presque de rejouer des discussions qu’ils ont de manière quotidienne et informelle49. La seconde forme de performativité s’illustre au cours d’une séquence fameuse dans laquelle la protagoniste Zhang Xiaping s’abandonne à ses démons psychiques. Cette séquence très commentée est le fruit du hasard, et, un peu à la manière d’une performance, le lieu semi-public où elle se déroule est comme une scène sur laquelle les problèmes existentiels de la protagoniste se jouent devant un public potentiel. Cette séquence, qui tranche avec le reste du film, peut effectivement sembler jouée pour le spectateur. La personnalité de la peintre, dévoilée de manière conventionnelle dans les entretiens, prend brusquement une coloration psychologique ambiguë à cause de cette dimension performative et surtout, comparée aux discours rationnels qu’elle et ses amis tiennent dans le reste du film. La mise en scène du film inscrit donc ces artistes dans une situation de crise, un thème approfondi dans deux autres films sur la communauté de Yuanmingyuan.
Documentaires sur les villages d’artistes
17Deux documentaires indépendants beaucoup moins connus que celui-ci relatent ces évictions : Artists of Yuanmingyuan de Hu Jie 胡杰50, et Farewell Yuanmingyuan de Zhao Liang 趙亮51, un film qu’il ne monte qu’en 2007. Les deux films sont tournés dans l’urgence, durant les journées d’août 1995 durant lesquelles les artistes sont forcés de quitter leurs lieux de résidence et de travail. Guidé par une jeune peintre résidente du village, Hu Jie présente le portrait d’artistes désormais davantage préoccupés par des questions administratives et matérielles que par la création. Leur mode de vie bohème a quasiment disparu du village qui semble déserté et dont la description spatiale est basée sur des plans d’intérieurs des ateliers d’artistes. Dans les rues sombres, tristes et confinées du village semble flotter la menace d’éviction pesant sur les artistes, rappelée par l’évocation du pouvoir à travers quelques plans de coupe de la place Tiananmen, pourtant distante. D’autres scènes, tournées dans les ruines mélancoliques du parc Yuanmingyuan, soulignent l’échec du projet d’émancipation des artistes par une comparaison avec la destruction d’un autre espace utopique, le jardin et ses ruines. Les artistes sont filmés dans l’espace privé, et leur comportement comme leurs modes de vie témoignent de la modestie de leurs ambitions, et de l’économie de leurs moyens – une façon de plaider leur cause. Le réalisateur endosse ici aussi le rôle du journaliste qui tente de s’informer, et de véhiculer un propos rassurant sur le comportement des artistes du village.
18Le film de Zhao Liang tient davantage du journal et rapporte avec rigueur les interventions des autorités locales, les réactions diverses qu’elles suscitent et finalement le départ des artistes (voir figure 1). À travers leurs conversations, Zhao Liang donne un compte rendu des différents procédés auxquels ont recours les autorités pour les faire partir. Le problème est de nature légale : comme la plupart ne sont pas pékinois, ils doivent se procurer des papiers de résidence ou de travail temporaires, sans quoi ils ne peuvent louer de domicile. Par la suite, ces papiers ne sont même plus reconnus car la municipalité a décidé de vider le village de ses artistes avant le mois de septembre, durant lequel se tient la 4e Conférence mondiale des femmes, un événement international justifiant des mesures « d’embellissement » de la ville, prétexte couramment employé pour chasser les indésirables. Les protagonistes savent qu’en cas de contrôle, ils devront retourner dans leurs villes d’origine, un traitement valable pour tout migrant en situation irrégulière. De fait, les passages de la police ne se font pas attendre, et, en caméra cachée, zoomant au maximum, Zhao Liang filme l’arrivée d’un groupe d’officiels dans les rues du village. La séquence se termine par la course du réalisateur filmée caméra vers le sol, un rire éclatant sur l’image abstraite et chaotique de la route, contrastant avec la tension construite par les entretiens précédents. Suite à cette visite, les déménagements des derniers artistes de Yuanmingyuan se succèdent.
19Bien qu’elle soit moindre que dans Bumming in Beijing, ces deux films montrent la familiarité entre les protagonistes et les réalisateurs. Les artistes font confiance aux deux réalisateurs en partageant leurs histoires personnelles, leurs atermoiements et leurs craintes, et ils les introduisent dans leur espace privé sans paraître intimidés. Dans le film de Zhao Liang, un peintre lit même à haute voix son journal intime dans lequel il note ses démêlés administratifs. Décrivant le tournage de Zhao Liang, l’artiste affirme que c’est « le rôle » du réalisateur « d’enregistrer ce moment historique », lui-même se devant de résister, avant de pouvoir retourner à la création artistique. La complémentarité des fonctions du réalisateur et de l’artiste est évidente pour eux – les premiers garantissant que la mémoire des actions des seconds ne tombe pas dans l’oubli. Toutefois, les réalisateurs gardent une certaine distance, surtout dans le film de Hu Jie, qui emploie des méthodes d’interviews conventionnelles, ce qui le met dans une position d’observateur extérieur et non de participant. À cet égard, le film de Zhao Liang est assez différent. S’il utilise au début du film des méthodes d’entretien similaires à celles de Hu Jie, les réactions ennuyées des artistes, souvent plus âgés, lui font comprendre qu’elles sont inefficaces et inappropriées, et le cinéaste change rapidement d’attitude. Dans le reste du film, il a recours à des conversations libres, souvent avec un groupe de personnes filmé dans des conditions de lumière insuffisantes, et cadré au hasard des situations. Dans des moments de flottement, sa caméra est attirée par des détails révélateurs du quotidien des artistes ou de la pression qui s’exerce sur eux – des papiers d’identités jetés dans une corbeille, une pile de tableaux rangés dans un coin de pièce en préparation au déménagement. Durant l’épisode de la visite des autorités, Zhao Liang s’émancipe des règles de tournage d’un documentaire ordinaire et expérimente avec les qualités visuelles de l’image vidéo : le grain poussé au maximum par le zoom, le tremblement du cadre, le son de sa respiration, et le mouvement de sa course pour échapper à la surveillance officielle donnent à cette œuvre des qualités plastiques qui l’apparentent aux recherches des artistes qu’il filme, et annoncent son futur travail de vidéaste et de documentariste. Le mode documentaire est à mi-chemin entre le performatif et le participatif dans cette séquence d’enregistrement d’une expérience personnelle à la fois physique et psychologique – course, effroi et excitation mêlés dans un entrelacs de son et d’images (voir figure 2).
20La représentation des artistes en vagabonds indésirables à la psychologie instable dans Bumming in Beijing se complexifie dans le film de Zhao Liang qui les montre justement dans une période de crise pendant laquelle leur occupation de l’espace pékinois est remise en question de manière pressante et autoritaire. Les artistes mettent en œuvre une forme de résistance passive aux évictions, mais elle échoue, et la mise en scène semble indiquer qu’ils ne parviennent pas à la rendre publique, c’est-à-dire à l’extérioriser, puisque la plupart des plans se déroulent dans les intérieurs privés qu’ils aspirent à garder. Les protagonistes se résignent rapidement à déménager, et ils s’intéressent au tournage de Zhao Liang en grande partie à cause de la dimension mémorielle de l’enregistrement documentaire, autrement dit sa capacité à restituer, en différé, des scènes filmées en direct, au moment où leur communauté disparaît. Dès lors, leurs apparitions devant la caméra – discussions, performances musicales, lectures de journaux intimes – ainsi que la performativité mise en œuvre par le réalisateur, semblent réunies davantage dans le but de constituer des archives pour un usage futur, qu’en vue d’agir sur le présent. Le montage du film, effectué des années après son tournage, lui donne d’ailleurs un recul intéressant, étant donné que le destin de certains « artistes flottants » prend une tournure plus favorable au tournant des années 2000. Le générique de fin donne une idée du parcours des artistes de Yuanmingyuan : certains ont disparu, d’autres sont devenus ouvriers, mais une bonne partie d’entre eux a recréé des conditions de vie et de travail similaires dans d’autres villages périphériques et depuis, certains connaissent un succès international difficile à imaginer à partir de la misère dépeinte dans ces trois documentaires. Le rapport des artistes non officiels à l’autorité et à l’espace pékinois, visiblement problématique dans ces trois films des années 1990, s’explique par leur prise d’indépendance vis-à-vis des institutions de l’art chinois, une démarche similaire à celle des réalisateurs indépendants.
Attrait du documentaire dans les arts non officiels
21Dans le contexte du début des années 1990, l’autonomisation des artistes et la dépolitisation de l’art sont synonymes, pour certains, de retour à l’expérience et aux faits. Pour nombre d’artistes s’amorce alors une réflexion sur la manière de nouer une relation directe avec la réalité, débarrassée du voile de l’idéologie. Ils cherchent à aborder les faits sociaux de manière objective, en les observant, en les mesurant et en les notant, sans pour autant négliger la dimension sensible qui leur est attachée. Aussi curieux qu’il y paraisse étant donné l’histoire de la forme documentaire en Chine, profondément associée à la propagande d’État, les artistes de la période post-Mao ont repensé leur pratique en grande partie grâce à des méthodes documentaires afin de s’extraire de l’idéologie. De la même manière que le document avait permis de diffuser le travail des artistes non officiels grâce à la publication, l’enregistrement documentaire se présente également pour certains comme une solution à leur rapport à la création. Confrontés à des problématiques à la fois matérielles, administratives et identitaires, les artistes des années 1980 et 1990 définissent un statut pour les artistes non officiels en Chine à travers l’expérimentation de nouveaux moyens de diffusion de l’art. Les contraintes qui s’exercent sur eux les ont orientés vers des pratiques de publication, d’enregistrement et de documentation – films documentaires, journaux intimes, reproduction photographique d’œuvres. Au début des années 1990, un autre type de photographie se développe dans le milieu des « artistes flottants » que nous avons évoqué. Elle leur sert principalement à constituer des documents sur leurs créations et accessoirement sur leur mode de vie. Entre un usage amateur rappelant la photographie de famille (comme chez l’artiste Rong Rong 榮榮) et la documentation de performances, effectuée de plus en plus en vidéo, l’enregistrement photographique s’installe dans les pratiques d’artistes qui ne s’y destinaient pas spécialement. Ainsi, chez des artistes qui ne s’intéressent pas d’emblée à la forme documentaire, des pratiques documentaires s’offrent comme solution au problème de la visibilité de leurs œuvres, mais aussi à celui de la dépolitisation de l’art, et c’est pour cette raison qu’elles s’intègrent aussi naturellement à leur travail créatif. La convergence de plusieurs disciplines artistiques vers le documentaire semble d’abord simplement due aux contraintes s’exerçant sur le monde de l’art non officiel, mais l’ampleur de ce phénomène et la richesse des formes de réappropriation de cette forme montrent que les artistes lui accordent un intérêt spécifique. Cet attrait pour le documentaire n’est d’ailleurs pas propre à la Chine et plusieurs chercheurs comme Michael Renov52 y ont vu un trait de la création contemporaine. L’adoption de cette forme ne se fait néanmoins pas sans un travail de redéfinition des pratiques qui vise à se démarquer de celles de l’art officiel. Leur réflexion pratique s’intéresse à l’usage de l’enregistrement photographique, du témoignage et des protocoles de recueil de données qui leur semblent les plus à même de garantir la neutralité idéologique de leur art, tout en leur permettant de s’exprimer en tant qu’individus. Au cours de ce travail de redéfinition, les notions de xianchang 現場 (scène) et de jishi 紀實 (enregistrement, documentaire), évoquées au chapitre précédent, deviennent centrales dans tout le champ de l’art, et ce n’est pas un hasard si elles jouent également un rôle prépondérant dans l’élaboration du style des documentaires indépendants.
22Les années 1980 sont même qualifiées de « tournant documentaire53 » dans le cas de la photographie, une caractéristique que l’on pourrait étendre à d’autres disciplines. Le cinéma indépendant de fiction, par exemple, s’illustre par l’utilisation de méthodes « documentaires » pas nécessairement nouvelles, mais distinctives de son esthétique non officielle. Souvent qualifiés de « néo-réalistes », ces œuvres se caractérisent par leurs thématiques sociales articulées à travers un scénario sans artifice, par l’absence de lumière additionnelle et de musique extra diégétique, le recours à des acteurs non professionnels, l’utilisation de plans séquences et un montage invisible et chronologique. Certains réalisateurs indépendants ont même tenté de mélanger fiction et documentaire. Sons (Erzi 兒子, 1996, 95 min) de Zhang Yuan est un film dans lequel les membres d’une famille dysfonctionnelle jouent leur propre rôle à l’écran. Bien que scénarisé par Ning Dai 甯岱, le film se fonde sur la vie de personnes réelles. Oxhide (Niu pi 牛皮) I et II de Liu Jiayin 劉伽茵 (2006 et 2009), bien plus récents, travaillent des thèmes similaires à partir de personnages (la famille de la réalisatrice) jouant aussi leur propre rôle. D’une autre manière, des plans documentaires tournés sur le vif se mêlent à des mises en scènes fictionnelles dans Tang Tang (Tangtang 唐唐, Zhang Hanzi 張涵子, 2005) et Our Love (Xiang ping li 香平麗, Jiang Zhi 蔣志, 2005). Dans leurs séquences documentaires, les protagonistes de ces deux films se livrent à une analyse spontanée de leur condition de transsexuels, participent à des entretiens, ou encore, donnent à voir leur vie quotidienne. Leurs expériences douloureuses (une agression sexuelle, une tentative de suicide) sont en revanche mises en scène et cette reconstitution d’épisodes traumatiques répond à la fois à l’impossibilité de les capturer sur le vif, et peut-être également à l’« impératif mélodramatique » dont parlait Anne Kerlan pour les films des années 1930. Il s’agit de faire comprendre la douleur de ces deux individus et leurs problèmes d’identité dans une société où la distinction sexuelle est une nécessité qui se manifeste de manière parfois violente. Une visée éducative n’est donc pas absente de ces deux films pourtant loin d’être réalisés par des militants des causes LGBT. Ces deux réalisateurs engagés dans diverses disciplines artistiques (photographie, vidéo expérimentale, installation, documentaire), sont davantage intéressés par l’opportunité offerte par ce thème de travailler sur l’hybridité et le mélange des genres. Deux tentatives semblables de Jia Zhangke, 24 City (Ershisi cheng ji 二十四城紀, 2008, 107 min) et I Wish I Knew (Haishang chuanqi 海上傳奇, 2010, 118 min) poussent davantage encore cette logique mélodramatique, et ce faisant, semblent se réinscrire dans la continuité des « documentaires d’art » du Grand bond en avant. Cet héritage est d’ailleurs reconnu à demi-mot dans ces deux films officiels (puisque distribués dans les salles chinoises) : I Wish I Knew comporte des extraits de Huang Baomei. Le réalisateur a fait appel à des méthodes documentaires et fictionnelles dans les deux films, qui associent des protagonistes filmés sur le vif, d’autres jouant leur propre rôle, des acteurs professionnels souvent très célèbres jouant le rôle de protagonistes, ou le leur. Le recours au documentaire fonctionne comme une garantie d’authenticité des deux films, tandis que l’habillage fictionnel et la musique extradiégétique accentuent leur caractère dramatique et solennel. Comme le montrent ces deux films, le simple montage de sequences tournées avec des procédés documentaires au sein d’un dispositif plus ou moins fictionnel n’engendre pas nécessairement des formes radicalement nouvelles au vu de l’histoire du cinéma chinoise. Malgré la proximité du cinéma de fiction et du documentaire, c’est finalement davantage d’autres disciplines artistiques qui ont plus d’influence théorique sur les développements du documentaire indépendant.
Espace, performance enregistrée et xianchang
23L’art de la performance, qui connaît un engouement très fort dans les années 1980-1990, est justement une discipline qui cristallise des problèmes théoriques importants pour les réalisateurs de documentaire, ainsi que les problématiques spatiales et de visibilité liées au statut des artistes non officiels. Cette « forme artistique fondée sur la représentation par action […] généralement exécutée par un artiste ou un groupe d’artistes en direct devant une audience dans un temps spécifique et dans un endroit spécifique54 » remet en question le mode de production et de diffusion de l’art, puisque l’œuvre se crée en temps réel dans un espace non institutionnel. L’essor de la performance semble répondre directement à la situation paradoxale des artistes non officiels : la performance peut en effet être considérée comme une « remise en cause de la classification institutionnelle de la production culturelle à travers l’engagement direct avec le public55 ». Les artistes non officiels qui refusent d’être astreints à travailler dans une unité de travail officielle, et souhaitent se rapprocher des réalités sociales, choisissent donc souvent ce médium, car la performance entraîne la création « de centres alternatifs de pratique privée et des démonstrations publiques de production culturelle56 ». Le choix d’un lieu et d’un public approprié est donc fondamental, et comme le contrôle de l’espace est élevé en Chine, l’idée que « l’art de la performance [y] est directement lié à des problématiques autour du comportement adéquat des gens en public57 » semble d’autant plus vraie. L’espace privé, dans lequel l’accès des spectateurs est d’emblée restreint et contrôlé, ou des sites naturels retirés sont donc souvent choisis par les performers pour éviter un espace public sous contrôle. La performance n’est finalement que très rarement réellement publique58 ce qui renforce la nécessité de l’enregistrement photographique ou filmique. Cet art s’engage donc très vite en Chine dans un dialogue avec l’art documentaire.
24Parce qu’elle est éphémère, la performance appelle un enregistrement spécifique permettant de conserver sa trace et consistant en un suivi de son déroulement. Cette documentation est d’autant plus importante lorsque l’accès à un public dans un espace ouvert est difficile, mais cette solution altère les propriétés de cette forme artistique puisque l’enregistrement la diffère. Il n’en reste pas moins que même privée, enregistrée et différée, elle conserve cette dimension imprévisible qui lui donne sa spécificité en même temps qu’elle la rapproche d’autres arts travaillant l’idée de direct, comme le cinéma. Les performances privées documentées suscitent une réaction tout d’abord assez négative chez les critiques d’arts chinois. Comme le relate Karen Smith au sujet du « scandale » de l’exposition Invasion (Jinru 進入) de Yan Lei 顏磊, « en 1995, les “standards” fixés par l’actualité brute des performances de l’East village signifiaient que pour être crédible, un acte devait être authentique, sans tricherie autorisée59 ». Ce rejet initial souligne l’importance de l’actualité, du direct et de la confrontation avec un public réel dans la conception de la performance, notions qui sont concentrées dans le terme xianchang signifiant lieu ou scène. Documenter les performances devient la norme, et les performances privées constituent rapidement un sous-genre plus ou moins assimilé à l’art vidéo. Le mode différé permet de passer à côté de contraintes qui se révèlent très limitatives, surtout au moment où les performers optent pour des pratiques de body art consistant en des actes d’automutilation ou de violences commises sur des animaux vivants ou morts. L’enregistrement devient le moyen d’outrepasser un cadre légal limitatif, tout en permettant la visibilité et la conservation de la performance. Ce faisant, il acquiert lui-même un statut d’œuvre, et devient le garant du principe de xianchang duquel découlent l’authenticité de l’œuvre et sa valeur à la fois artistique (relative à la performance) et documentaire (archivale).
25La performance est tellement emblématique de la réflexion sur le statut de l’art et la création non officielle des années 1990 que des réalisateurs indépendants s’emparent du sujet et leurs films mettent en abîme ces idées récurrentes d’enregistrement documentaire et d’authenticité. Sur un mode purement documentaire, les réalisateurs Wen Pulin 溫普林 et Jiang Yue tournent en avril 1988 des images pour « rendre compte de l’effervescence qui règne dans le monde artistique60 ». Le film qui en résulte, Dadizhen 大地震, est une collection de différentes performances réalisées entre 1988 et 1989, dont celle de Zhang Mingwei 張明偉 qui donne son titre au film, et la performance Empaqueter la grande muraille (Baozha Changcheng 包紮長城) à laquelle plusieurs centaines de personnes participent. Frozen (Jidu hanleng 極度寒冷, 1996, 95 min), une fiction de Wang Xiaoshuai, traite de la performance de manière plus réflexive. Son personnage principal est un artiste nommé Qi Lei 齊雷 qui planifie son suicide à partir de quatre performances publiques, dont la dernière – s’allonger sur un lit de glace – sera fatale. Elle l’est en apparence, car sa mort est une mise en scène destinée à remettre en question l’authenticité que semble garantir le principe de xianchang (de direct) indispensable à la performance. Les appareils photo tournant autour du corps glacé et inconscient de Qi Lei enregistrent bien une performance mais ils sont impuissants à révéler la supercherie, dévoilée au spectateur dans l’épilogue du film.
Enregistrement, mesure et jishi
26La pratique de l’enregistrement documentaire devient donc un moyen de renégocier les frontières de différentes disciplines artistiques et de leur donner un cadre théorique. Un parallèle avec la littérature de reportage montre que dès la seconde moitié des années 1980, une réflexion similaire s’y est engagée. Autrefois « conte narratif moral61 », les textes deviennent de plus en plus factuels, grâce à l’usage de protocoles de recueil d’information scientifiques qui leur permettent d’acquérir une valeur documentaire supérieure, tandis que les auteurs abandonnent le ton positif qui les caractérisait à l’ère maoïste. L’exercice de l’imagination et la conformité au réalisme sont dévalués au profit des compétences d’investigation de l’écrivain. Le reportage devient critique et sobre, et ressemble de plus en plus à un essai informé. Ces textes ne mettent plus en scène des personnages typiques représentants d’une classe sociale, mais étudient les institutions de la société et les « insaisissables et multiples formes de subjectivité qui se trouvent dans chaque formation sociale donnée62 ». Cette transformation entraîne d’ailleurs un changement de dénomination, puisque de baogao wenxue on passe à jishi wenxue. Autrement dit, ce courant littéraire de reportage devient documentaire. Ces développements de la littérature de reportage font écho à ceux qui touchent la littérature de manière générale : mémoires, histoire orale, nouvelles et romans documentés grâce à des entretiens deviennent des genres de plus en plus courants.
27La scientificité des protocoles d’enregistrement exerce également un certain attrait chez des artistes contemporains. Le recours à des procédés de mesure, de notation, de calculs et de diagrammes, avec des capteurs sensibles et des appareils d’enregistrements plus classiques caractérise le groupe de la Nouvelle mesure (Xin kedu xiaozu 新刻度小組). Les artistes deviennent alors des « observateurs de processus63 » qui rapportent des résultats scientifiquement objectifs et, espèrent-ils, politiquement neutres. Cherchant à « révéler la vraie signification de la liberté et de l’autonomie de l’art » ces artistes « ont pris comme point de départ un niveau “neutre” qui transcende les “sentiments rebelles” plutôt que de s’enchevêtrer dans des sujets idéologiques64 ». Chen Shaoping 陳少平 affirme que les méthodes de mesure qui constituent son « vocabulaire artistique fondamental […] éliminent toute interférence émotionnelle directe, tout en refusant de fournir la moindre conclusion. En revanche, ce processus de recherche de relations quantitatives précises conduit à un surcroît de pensée et d’imagination, ce qui rapproche logiquement de l’essence du monde65 ». Des procédés scientifiques exacts qui ne briment pas l’imagination créatrice mais la libèrent, semblent constituer une alternative au carcan de l’art idéologique.
28Si la littérature de reportage se rapproche de l’essai en s’appuyant sur des procédés documentaires, la photographie voit se développer au milieu des années 1980, un courant nommé Nouvelle photographie documentaire Xin jishi sheying 新紀實攝影. Wu Hung le caractérise par « un style simple et terre à terre minimisant la médiation du photographe entre la réalité et la représentation. [… Certaines images] traitent de l’expérience humaine durant des désastres naturels ou sociaux [et] enregistrent des événements historiques qui auraient sinon été perdus66 ». Li Xiaobin, un de ses représentants, est par exemple l’auteur d’une série sur des pétitionnaires venus se plaindre de leur traitement durant la Révolution culturelle et demander des compensations au gouvernement central67. Les conditions de vie des défavorisés (People of poverty Qiongren 窮人, série de Yuan Dongping 原東平), l’état des équipements médicaux et le traitement des malades mentaux (Li Nan 李楠) sont également documentés par ces photographes. Ces images de la réalité sociale ne sont ni de simples photographies de presse, ni des illustrations de concepts idéologiques. Cette nouvelle vague documentaire annonce le renouvellement de la photographie chinoise, poursuivi par le courant Nouvelle documentation sociale (Shehui xin jishi 社會新紀實68) entre 1988 et 1994. Ces nouveaux photographes valorisent le spontané (les instantanés), le mouvement (plusieurs photos prises sur le vif), et leur technique est simplifiée, ou en tout cas allégée avec des caméras moins sophistiquées, proches de celles des amateurs. L’image ne répond plus à des principes de construction fixe, de pose des sujets, ou des recadrages savants qui accentuent un symbolisme guidé par l’idéologie du pouvoir. Des photographies prises sur le vif, en série, reproduisent le déroulement d’une scène ou documentent différents aspects d’un phénomène, et expriment la diversité et l’individualité des sujets fixés sur l’image.
29L’art vidéo ne se développe en Chine qu’à partir des années 1990, et contrairement au reste du monde, il n’est pas initialement conçu comme une critique de la télévision. En 1997, la critique Wu Meichun 吳美純 reconnaît à la vidéo des qualités pratiques, puisqu’elle est « financièrement abordable, à la fois intime et facile à copier et à faire circuler ». Mais surtout, la vidéo « peut exposer la vérité et être sensible à l’imagination69 », l’alliance des deux derniers termes (« vérité » et « l’imagination ») étant récurrents dans les définitions du documentaire de cette époque. En 2002, elle ira plus loin avec Qiu Zhijie 邱 志 傑 en inscrivant cette fois l’histoire de ce médium à partir d’artistes qui s’intéressent principalement aux capacités documentaires de la vidéo. Dès 1994, dans une des premières œuvres d’art vidéo chinois, Zhu Jia 朱 加 enregistrait fidèlement un itinéraire dans les rues de Pékin, en « fixant une petite caméra sur le bord d’une bicyclette70 ». De fait, beaucoup se présentent comme des expérimentations sur l’enregistrement de mouvements ou d’actes ordinaires montrés dans leur déroulement intégral, et diffusés en boucle.
Subjectivité et enregistrement de l’expérience
30Cet attrait pour l’enregistrement ne signifie pas que ces artistes rejettent la subjectivité, car ils tentent au contraire de transmettre des expériences personnelles. Le documentaire de Jiang Yue The Other Shore (Bi’An 彼岸, 1995) s’intéresse à la création de L’Autre rive (Bi’An 彼岸), une pièce de Gao Xingjian 高行健 mise en scène par Mou Sen 牟森. Le film montre les répétitions et l’évolution du rapport entre les acteurs et le metteur en scène. Les protagonistes de The Other Shore, déracinés et idéalistes, évoquent l’identité des artistes d’avant-garde de cette période, mais aussi celle des réalisateurs indépendants. Les différents protagonistes du film, leurs personnages dans la pièce de Gao Xingjian, et le milieu avant-gardiste qui gravite devant et derrière la caméra de Jiang Yue sont mis en abîme un peu de la même manière que dans Bumming in Beijing, ou Farewell Yuanmingyuan. Conservant leurs distinctions générationnelles, le réalisateur opère des rapprochements entre l’expérience et le statut des différentes personnes impliquées dans le film. La pièce de théâtre se déroule hors de tout contexte historique et social clair, mais on devine l’expérience historique douloureuse des personnages, qui se manifeste à travers les obstacles auxquels ils se confrontent. Le silence de la pièce sur le passé des personnages fait écho à celui des témoins des événements de Tiananmen que sont les réalisateurs indépendants et le metteur en scène – un sujet qui est toujours évité dans leurs récits mais qui semble habiter particulièrement certains films des années 1990. Les jeunes acteurs, aussi, subissent une forme de violence psychologique en interprétant leurs personnages, et surtout dans leurs interactions avec Mou Sen, souvent brutales et pleines de désillusion. Mou Sen fait en effet travailler ses acteurs à partir de leurs expériences personnelles, ce qui provoque des réactions violentes71. À propos de File 0, pièce déjà évoquée, il affirme avoir « besoin que [ses] acteurs soient les personnages, pas seulement qu’ils les jouent72 ». La méfiance vis-à-vis de l’acteur professionnel, dont le jeu est façonné par une formation et donc moins direct que celui de l’amateur, s’explique par la supériorité de l’expérience sur la technique dans la création d’une œuvre authentique. Le thème du poème et de la pièce File 0 sont d’ailleurs liés à cette idée puisqu’ils traitent des dossiers d’informations personnelles des citoyens chinois. La démarche de Mou Sen n’est évidemment pas propre à la Chine, mais elle est représentative des problématiques qui animent le monde de l’art chinois de l’époque, et qui découlent du nouveau positionnement des artistes vis-à-vis de l’art officiel. Cette approche a bouleversé la manière d’envisager le théâtre pour longtemps, comme le montrent les pièces de la compagnie Living Dance Studio de Wen Hui. Des projections simultanées de vidéos de témoignages ou d’anecdotes personnelles tiennent une grande place dans ces œuvres. Faisant largement appel aux souvenirs des acteurs dans leurs créations, les productions du Living Dance Studio ont recours à diverses pratiques documentaires, notamment dans le Folk Memory Project73, qui allie production de documentaires mémoriels, interviews et histoire orale, et performances fondées sur le recueil d’entretiens sur l’expérience du Grand bond en avant dans les campagnes.
31Cette importance de l’expérience subjective, notée, enregistrée ou conviée sur scène par le geste ou la parole est bien sûr également centrale dans la performance. Lorsque Yang Zhichao 楊志超 se fait interner à dessein dans un hôpital psychiatrique, son but est de donner un compte rendu de son expérience en documentant son séjour et de donner un aperçu des conditions de vie des malades à partir de son cas personnel. La performance Jiayu Fort (1999) est visible à travers des documents photographiques, un journal écrit par l’artiste et des photographies prises par son beau-frère74. Dans la performance Circulation – Sowing and Harvesting (xunhuan – zhongzhi 迴圈 – 種植), Wang Jianwei a « accepté de signer un contrat avec le fermier Wang Jun pour planter du blé en collaboration avec lui, observer et enregistrer tout le processus de la plantation75 ». Cette performance, qui consiste en une observation participante, est documentée sous la forme d’un journal visuel d’expériences des travaux agricoles – une référence implicite aux Jeunes Instruits. D’autres arts « expérimentaux » – appelés ainsi en référence à l’expérience personnelle de l’artiste – s’emparent de ces méthodes pour examiner les problématiques de l’espace urbain. À partir du milieu des années 1990, la destruction des quartiers traditionnels est certainement le thème le plus traité par les artistes qui travaillent sur les questions documentaires. La vidéo devient un moyen de rendre compte de ces changements. La documentation des transformations du tissu urbain prend aussi la forme d’une flânerie dans la ville, enregistrée par photographies. L’artiste Shi Yong 施勇, par exemple, marche 12 heures durant dans Shanghai, téléphonant de temps à autre à ses amis pour obtenir des indications. Simultanément, « ce processus a été enregistré sur une carte qui prouve l’anxiété de l’artiste et l’excitation de celui qui perd son chemin76 ».
32Ces œuvres demandent de la part des artistes une démarche systématique, construite autour d’un thème et inscrite dans le temps, des caractéristiques des arts documentaires en général. Une certaine exhaustivité s’y manifeste également, comme souvent dans des projets documentaires à visée archivale – tous les aspects de la réalité (ordinaires, beaux, abjects) sont conservés en images. Chen Shaoxiong 陳劭雄 en fait preuve dans ses montages photographiques qui ont pour sujet Canton. Il explicite son projet artistique de la sorte :
« Ce que je fais de manière spécifique, c’est photographier chaque personne, chaque pancarte, chaque véhicule, chaque objet, qu’il soit petit ou insignifiant, comme les poubelles dans les rues de Canton, j’en fais des photographies de différentes tailles en fonction de leurs proportions, ensuite je découpe leurs contours pour en faire des figurines en 3D et je reconstruis les scènes chez moi77. »
33Il ne s’agit donc pas seulement de donner une image ressemblante de la ville basée sur le respect des proportions et l’exhaustivité de la description, mais de recréer un espace nouveau, « un récit photographique lilliputien », qui conserve l’espace qui disparaît inexorablement78. L’artiste Huang Yan 黃岩 conserve la trace de bâtiments qui vont être détruits en effectuant des empreintes – un procédé voisin de l’enregistrement. Il procède par frottement de matériaux colorés sur du papier de riz enveloppant la surface du bâtiment, des mobiliers et du sol, avant, pendant et après leur destruction. Ce processus d’empreinte est prévu sur 10 ans (de 1993 à 2003), et sa présentation publique se fait sous forme d’installations. Le journal de cette expérience relate :
« Le 9 juin, les démolitions commenceront dans la zone. Le 2 juin, Huang Yan a effectué des empreintes dans cette zone, dont les murs extérieurs, intérieurs, le sol, et certains objets des espaces intérieurs. Les empreintes représentent déjà approximativement cent mètres carrés. Des photographies, des diaporamas, des enregistrements vidéo et audio documentent tout le processus de production des empreintes par frottement. En plus, certains des matériaux dont on a fait l’empreinte comme les numéros des maisons, les briques, ont été collectés79. »
34Dans cette œuvre qui tient aussi de la performance, le but est de produire des artefacts à partir du réel, grâce à un protocole documentaire. La visée archivale y est fondamentale puisque non seulement des œuvres-documents sont produites, mais ce processus de documentation vise aussi la conservation d’échantillons de bâtiments en voie de disparition, choisis sans parti pris apparent.
Émergence de nouveaux concepts
35Au cours des années 1980 et 1990, la photographie, la vidéo, le cinéma documentaire et la performance convergent donc vers l’enregistrement d’événements qui se déroulent en lieu et temps réels. Un ensemble de notions deviennent alors centrales : l’enregistrement direct, le temps et l’espace réel, la confrontation à un public, la subjectivité et des protocoles de recueil d’information. Le souci de la réalité sociale dans la photographie documentaire se déplace vers des phénomènes infimes dans la vidéo, incongrus dans la performance, et le cinéma documentaire enregistre la réalité du monde de l’art, diffraction et concentration de la société. La « réalité », telle qu’elle se présente devant l’objectif de la caméra concentre les efforts de divers artistes, qui souhaitent la conserver et y réfléchir. Pour Berghuis, la réalité exprimée par
« le terme xianshi 現實 signifie l’actualité d’un événement donné mais il produit la conscience d’un certain déplacement qui émerge avec la représentation. Il est donc associé avec le terme xianxiang 現象, marquant le phénomène ou l’apparence des choses. Ces dernières années, ces termes ont fixé la base conceptuelle des artistes qui se servent du concept de xianchang, un terme se traduisant littéralement par la scène actuelle (d’un incident), mais qui est également utilisé pour identifier la précédence de l’action en direct sur la documentation. […] Fréquemment utilisé à la fois en art vidéo et en documentaire, xianchang modélise la façon dont les œuvres d’art placent une nouvelle médiation entre l’espace phénoménal et le temps réel de la performance et du comportement (xingwei 行為)80 ».
36L’enregistrement documentaire (jishi) d’une scène actuelle (xianchang), directement offerte à la vue de l’artiste, et se déroulant spontanément caractérise ces nouvelles formes d’art documentaire, et ces deux notions sont également centrales dans la redéfinition du cinéma documentaire formulée par les indépendants. Ce qui change radicalement à cette époque, c’est d’abord le statut de l’auteur (détaché des institutions officielles), puis sa manière de pratiquer l’enregistrement (tournage direct en temps et lieu réel, continuité, et dispositif transparent) et enfin de considérer son résultat (un témoignage d’une expérience subjective). Désormais au cœur de nombre de démarches artistiques, l’enregistrement est à la fois un gage de « vérité » de l’œuvre et un élément fondamental de son esthétique. Certaines disciplines ont certainement précédé d’autres dans cette réflexion sur le documentaire, mais les influences mutuelles au sein du milieu artistique chinois vouent à l’échec toute tentative de repérer son origine première. Les documentaires indépendants, dont l’apparition accompagne cette redéfinition des arts chinois, s’inspirent du monde de l’art tout en documentant les transformations qui y ont lieu. La revalorisation théorique du concept de xianchang, déjà utilisé dans la photographie et le cinéma avant les années 1980 et de celui de jishi, présent dans la littérature et la photographie montre également que la transformation du concept de documentaire s’inscrit dans une histoire et ne touche pas seulement le milieu du cinéma. Les réalisateurs choisissent de se détacher de la politique et de traiter de la vie quotidienne. Ils s’assurent – ou assurent leur public – de la neutralité idéologique de leur méthode grâce à l’objectivité de leur machine – la caméra – et par une série de procédés documentaires qui servent à authentifier la présence subjective d’un auteur, et la vérité de la parole du sujet filmé. Participants à cette redéfinition historique de l’art documentaire et du documentaire dans l’art grâce à la documentation de cette scène culturelle, les réalisateurs travaillent en parallèle à la transformation de leur propre milieu, en s’affranchissant des institutions officielles. La rupture qu’ils instaurent dans les années 1990 s’appuie sur une série de transformations fondamentales. Il s’agit d’abord, comme pour les artistes flottants, de subvertir les institutions audiovisuelles en se servant de leurs ressources tout en revendiquant un statut indépendant, puis, de créer des lieux consacrés au cinéma documentaire non officiel.
Notes de bas de page
1 Xu Jilin, « Quelles possibilités pour les intellectuels engagés ? », Perspectives chinoises, no 81, février 2004, consulté le 14 août 2012 sur http://perspectiveschinoises.revues.org/1182,consultéle14août2012.
2 Expression de Gan Yang citée dans Zhang Xudong, Chinese modernism in the era of reforms, cultural fever, avant-garde fiction and the new Chinese cinema, Durham, Duke University Press, 1997, p. 2.
3 Voir Chu Yingchi, Chinese Documentaries : From Dogma to Polyphony, op. cit.
4 Li Xiaoping, « The Chinese Television System and Television News », The China Quarterly, vol. 126, no 1, 1991, p. 341.
5 Ibid., p. 341.
6 Wen Jize, « New thoughts on the nature and functions of radio and television », Proceedings of the China Radio and Television Society, vol. 5, 1988, p. 48. Cité dans Li Xiaoping, art. cité, p. 343.
7 Ibid., p. 341.
8 Shambaugh David, « China’s propaganda system : institutions, processes and efficacy », The China Journal, 2007, p. 28.
9 Ibid., p. 9.
10 Ibid., p. 9. L’auteur cite les propos du Premier ministre Zhu Rongji 朱镕基 de 1998.
11 Voir par exemple Zhu Ying, « The Cultivated and the Vulgar : China’s Cultural War », Asian creative transformations, disponible sur http://www.creativetransformations.asia/2012/04/the-cultivated-and-the-vulgar-chinas-cultural-war/,consultéle12juillet2012.
12 Heshang (littéralement « mort prématurée de la rivière »), fait référence au fleuve Jaune. Ce titre est parfois traduit par River’s Elegy ou Deathsong of the River en anglais.
13 Scientifique et philosophe, éditeur de la collection Vers le futur (Weilai Congshu 未来丛书) et de la revue XXIe siècle (Er shi yi shiji 二十一世纪).
14 Su Xiaokang, Wang Luxiang et al., Deathsong of the river, a reader’s guide to the Chinese TV series Heshang, Ithaca, Cornell University press, 1991, p. 142.
15 Su Xiaokang exprime ainsi le double sens du commentaire : « Nous pensions que la raison du retard de la Chine ne provenait pas de la culture traditionnelle, mais au contraire, du fait qu’en 1840, la culture traditionnelle avait été détruite, par divers facteurs, dont l’un était l’impact de l’Occident. La nouvelle culture qui émergea après la destruction de l’ancienne était une combinaison désastreuse du despotisme oriental et du stalinisme. Ce que nous avons en Chine aujourd’hui c’est la culture communiste, et non la culture traditionnelle chinoise. Notre second projet traitait de la manière dont un système aussi désastreux avait pu voir le jour en Chine. Ainsi nous étions passés de l’approche culturelle de Heshang à une critique du système communiste. » Su Xiaokang, Wang Luxiang et al., op. cit., p. 23.
16 Pour Richard W. Bodman, le script de Heshang tente de communiquer ses idées selon deux principes : « A. the target does not understand the code while sensitive readers do. B. the target understands the code but cannot admit it in public without losing face. » Su Xiaokang, Wang Luxiang et al., p. 42.
17 Voir Chu Yingchi, Chinese Documentaries : From Dogma to Polyphony, Londres, Routledge, 2007, 272 p.
18 Ibid., p. 125.
19 Lin Xudong, « Documentary in Mainland China », YIDFF DocBox, no 26, 2005, disponible sur http://www.yidff.jp/docbox/26/box26-3-e.html.
20 Ibid.
21 Ibid.
22 Cette émission a été programmée pendant 7 ans, de 1993 à 2000, avec une moyenne de 5 à 6 diffusions par semaine. Voir Chu Yingchi, Chinese Documentaries : From Dogma to Polyphony, op. cit., p. 216 et suivantes.
23 Ibid., p. 235.
24 Chu Yingchi, « From dogma to polyphony, Aspects of democratisation in Chinese TV documentaries », art. cité, p. 22.
25 Ibid., p. 21.
26 Lin Xudong, art. cité.
27 Lü Xinyu 吕新雨, Jilu zhongguo, Dangdai zhongguo xin jilu yundong, op. cit., p. 116.
28 Ibid., p. 114.
29 Ibid., p. 113.
30 Ibid., p. 115.
31 Ibid., p. 32.
32 Reynaud Bérénice, « Dancing with Myself, Drifting with My Camera : The Emotional Vagabonds of China’s New Documentary », art. cité.
33 Voir par exemple le cas d’Arte pour Fengjie, la ville engloutie, un remontage du documentaire Before the flood de Li Yifan et Yan Yu de 2005, agrémenté d’une voix-off et diffusé en avril 2006.
34 Lin Xudong, art. cité.
35 Ibid.
36 Hou Hanru, On the mid-ground, Hong Kong, Timezone 8, 2002, p. 27.
37 Ibid., p. 32.
38 Voir Wu Hung et Phillips Christopher, Between Past and Future : New Chinese Photography and Video, New York, Chicago, International Center of Photography et Smart Museum of Art, 2004, p. 11-15.
39 Cité dans Wu Hung et Phillips Christopher, op. cit., p. 16.
40 Jia Fangshou, « Returning to art itself », Huidao yishu benti shanglai, inWu Hung et Wang Peggy (dir.), Contemporary Chinese Art : Primary Documents, Durham, Duke University Press, p. 101.
41 Ibid., p. 101.
42 Salter Denis, « China’s Theatre of Dissent : A Conversation with Mou Sen and Wu Wenguang », Asian Theatre Journal, vol. 13, no 2, 1996, p. 227.
43 Voir par exemple Gao Minglu 高名潞, Zhongguo gongyu yishu 中國公寓藝術 1970-1990 Apartment Art in China 1970s-1990s, Pékin, Shuimu yishu kongjian, 2008, 256 p.
44 Voir Hou Hanru, On the mid-ground, op. cit., p. 32. Les livres d’Ai Weiwei Red flag, Black Cover Book (1994), White Cover Book (1995) et Gray Cover Book (1997) participent du même effort.
45 Le Mouvement du 5 avril (Siwu yundong 四五運動) désigne les rassemblements spontanés sur la place Tiananmen en mémoire à Zhou Enlai et manifestant une critique implicite à la politique du gouvernement.
46 Situé dans le quartier de Xidan, le mur de la démocratie recueille, d’octobre 1978 à décembre 1979, des affiches argumentant en faveur de changements politiques, suite à la fin de la Révolution culturelle. La plus célèbre est celle de Wei Jingsheng 魏京生, qui en décembre 1978, demandait une « Cinquième modernisation – la démocratie ».
47 Voir Wu Hung et Phillips Christopher, op. cit., p. 22.
48 Mei Bing 梅冰 et Zhu Jingjiang 朱靖江, op. cit., p. 252.
49 Voir l’entretien Pernin Judith, « Wu Wenguang, Filmer l’imprévisible », Monde Chinois, no 14, 2008, p. 28-34.
50 Yuanmingyuan de yishujiamen 圓明園的藝術家們, 1995, 33 min.
51 Farewell Yuanmingyuang Gaobie Yuanmingyuan 告別圓明園, 2006, 104 min.
52 Pour lui, beaucoup d’artistes occidentaux contemporains « sont attirés par le monde “du dehors”, comme les documentaristes depuis les Lumières, mais façonnés et informés par le monde “du dedans”, par leurs expériences personnelles, leurs identités culturelles et sexuelles, leur engagement politique et esthétique. Il existe [dans leurs œuvres] un nouvel équilibre entre le sujet et l’objet, ce qui entraîne la réinvention de la pratique documentaire ». Renov Michael, « Away from copying, the art of documentary practice », in Pearce Gail et McLaughlin Cahal (dir.), Truth or dare, Art and documentary, Bristol, Chicago, Intellect, 2007, p. 14.
53 Wu Hung et Phillips Christopher, op. cit., p. 19.
54 Hoffmann Jens et Jonas Joan, Perform, New York, Thames & Hudson, 2005, p. 15.
55 Berghuis Thomas, Performance art in China, Hong Kong, Timezone 8, 2006, p. 34.
56 Ibid., p. 43.
57 Ibid., p. 196. Pour lui, cela explique son nom d’art comportemental (xingweiyishu 行為藝術) adopté définitivement en RPC en 1987. Avant 1987, on nomme la performance activité (huodong 活動), mouvement (yundong 運動), ou parfois action (xingdong 行動) dans certaines parties du monde chinois.
58 Voir notamment Berghuis Thomas, op. cit., p. 61 : « En passant d’activités impromptues de rue (huodong) vers des espaces privés comme des théâtres, des espaces d’exposition, des ateliers d’artistes, ou parfois même des lieux en plein air dotés de significations culturelles, l’art de la performance commence à être considéré comme un médium important grâce auquel les artistes incarnent leur fonction dans la création et l’expérience artistiques. Comme le public de ces événements de performances fait souvent partie de la communauté de l’artiste en question, dans laquelle ils sont souvent en collaboration rapprochée, les catégoriser comme des événements publics est problématique. »
59 Smith Karen, « Zero to infinity : the nascence of photography in contemporary Chinese art of the 1990’s », inWu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 224.
60 Cité dans Zheng Wei 鄭偉, art. cité, p. 24.
61 Moran Thomas Elton, op. cit., p. 138-139.
62 Ibid., p. 138.
63 Hou Hanru, op. cit., p. 31.
64 Ibid., p. 32.
65 Chen Shaoping, « Regarding Analysis » (1989), in Wu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 106.
66 Wu Hung et Phillips Christopher, op. cit., p. 19.
67 Li Xiaobin, « Guanyu Shangfangzhe de paishe yu qita », in Wu Hung et Phillips Christopher, op. cit., p. 20.
68 Voir Li Mei et Yang Xiaoyang, « Trends and stages of photography’s development in Mainland China since 1976 » (1994), in Wu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 223.
69 Wu Meichun, « Zhongguo luxiang yishu guanmozhan », Catalogue d’exposition, in Wu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 237.
70 Qiu Zhijie et Wu Meichun, « The rise and development of video art and the maturity of new media art » (2002), in Wu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 234.
71 Salter Denis, art. cité, p. 224, italiques originales.
72 Ibid., p. 224.
73 Le blog du projet : http://blog.sina.com.cn/u/2181292250, accédé le 30 juin 2014. Voir également Zhuang Jiayun, « Remembering and Reenacting Hunger : Caochangdi Workstation’s Minjian Memory Project », The Drama Review 58, no 1, February 21, 2014, p. 118– 140 ; ainsi que Pernin Judith, « Performance, Documentary and the Transmission of the Memory of the Great Leap Famine in The Folk Memory Project », à paraître dans China Perspectives, 2014/4.
74 Berghuis Thomas, op. cit., p. 135.
75 Wu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 244.
76 Hou Hanru, op. cit., p. 186.
77 Chen Shaoxiong, « Why do I want to photograph the streets of Guangzhou » (2002), in Wu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 218.
78 Il poursuit : « J’ai l’impression que la vitesse à laquelle je photographie les rues de Canton ne rattrapera jamais la vitesse à laquelle les rues de Canton se transforment. Je voulais au départ recréer un Canton fait de photographies, le documentant élément par élément, objet par objet. » Ibid., p. 218.
79 Huang Yan, « A Report on a performance of making rubbings from buildings slated for demolition, Changchun, China » (1994) in Wu Hung et Wang Peggy (dir.), op. cit., p. 205.
80 Berghuis Thomas, op. cit., p. 135.
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