Chapitre VII. Le rythme, ou l’« appareil à regarder le temps1 »
p. 211-237
Texte intégral
1Il est une autre grande préoccupation qui traverse toute la décennie, et dont nul ne peut ignorer l’importance s’il prétend s’intéresser tant soit peu à l’évolution du cinéma dans les années 20. Ce terme qui revient sous toutes les plumes, dans tous les discours, plaidoyers, pamphlets et autres billets d’humeurs, à défaut d’être toujours vraiment mis en application dans les films eux-mêmes, c’est le rythme. Ou plutôt, c’est l’idée que le cinéma, art du mouvement, est essentiellement et structurellement une forme visuelle rythmique.
2Le mot, il faut le rappeler, est dans l’air du temps : au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’industrialisation forcenée de la fin du siècle précédent a définitivement installé dans toutes les têtes l’image, utopiste ou cauchemardesque, d’une mécanisation généralisée du monde, affectant profondément les sociétés occidentales. Dans le champ artistique qui en est l’une des caisses de résonance, le cubisme fait grand bruit en s’efforçant de restituer dans l’espace du tableau les effets de vitesse, de simultanéité et de rupture qui fondent la modernité. En musique, en architecture, les formes prennent aussi le pas sur les sujets tandis que les syncopes de l’écriture surréaliste fourbissent leurs armes. Bergson a déjà publié Matière et mémoire et L’évolution créatrice et poursuit, avec Durée et simultanéité en 1921, son examen critique de notre perception du temps. En bref, il semble bien que l’on retrouve le rythme au carrefour de toutes ces réflexions, et que cette notion n’ait pas été l’apanage des défenseurs du cinéma.
3Néanmoins, ce sont bien ces derniers qui vont en faire l’utilisation la plus militante, estimant que le rythme est un atout majeur dans l’entreprise de légitimation qu’ils tentent de mener auprès de leurs contemporains pour la reconnaissance du « septième art ». Canudo justement définissait l’« écraniste » comme « un type nouveau d’artiste, plasticien et rythmicien à la fois, comme l’art du cinéma lui-même. [Un] créateur de tableaux en mouvement rythmés2 ». Une vision du cinéaste et de son art que Jean Grémillon résumera clairement quant à lui, estimant que « maintenant notre technique n’intervient plus que comme un moyen d’expression : lumière et rythme3 ». Quant à Germaine Dulac, elle déclarait dans un texte rétrospectif qu’« à côté de l’école de cinéma pur certains compositeurs visuels cherchèrent [dans les années 20] à traiter la nature même par des rythmes nouveaux transformant des rêveries abstraites en réalités concrètes et vivantes [et qu’] avec eux le cinéma s’amplifia de vérités rythmiques4 ».
4C’est bien là ce qui nous intéresse : comment des cinéastes ont pu tenter de trouver, à travers le rapport à la nature – et, bien sûr, à l’eau – les conditions de ce rythme visuel qui fait pour eux, du cinéma, un art à part entière. L’étymologie du mot « rythme » est bien connue : le terme vient du grec « rheïn » qui signifie, littéralement, « couler ». Tout en étant capable de produire des intensités, des pics et des dépressions, il implique ontologiquement l’idée d’écoulement, de fluidité, plutôt que celle de découpe et de mesure. En d’autres termes, le rythme est porteur à la racine d’une pensée du continu, du flux. Voilà qui ne surprend guère si l’on songe une fois de plus à l’utilisation des images de l’eau dans le cinéma français des années 20, et pas seulement celle qu’en a faite l’avant-garde. Si l’on admet le postulat que tout film, de par son dispositif, est un flux ; que l’instabilité, la mutabilité, les métamorphoses qui le parcourent ne sont en fin de compte que des accents divers au sein d’un continuum homogène – le défilement régulier de la pellicule dans la caméra et/ou le projecteur –, dans ces conditions la présence de l’eau dans les images ne peut que redoubler ce qui fait l’efficacité toute paradoxale du film : être le support d’une perception continue et continuée de l’espace et du temps, tout en étant fondé sur la succession d’images fixes projetées à intervalles réguliers. Ainsi, lorsque Jean Mitry estime que le rythme ne peut être compris au cinéma que comme « coulée rythmique5 », il formule un pléonasme puisque le film est déjà, en son essence, une structure fluide. Dans cette période du cinéma français où le rythme est un horizon esthétique et théorique à atteindre, les images de l’eau en permettent donc la description heuristique. Elles font apparaître dans le corps des images un principe qui est déjà inscrit au cœur du dispositif lui-même et, ce faisant, permettent de prendre conscience de la nouveauté qu’introduit le cinématographe, moins en termes de représentation que de relation : une forme qui n’emprunte pas seulement aux arts rythmiques (musique et danse, essentiellement) leurs modes de fonctionnement, mais qui est déjà, dans son principe, rythmique par elle-même.
5Il faut donc examiner dans quelle mesure les images de l’eau ont pu constituer un matériau privilégié pour les cinéastes, critiques et théoriciens français qui œuvraient à faire du rythme, dans les années 20, l’un des principaux nœuds de la légitimation du cinéma comme art. Examen forcément restreint, vu l’ampleur de la question, qui se concentrera exclusivement sur les manifestations liquides du rythme afin d’en explorer la diversité6. Sur ce registre, deux problèmes ont particulièrement retenu l’attention des contemporains, comme des observateurs ultérieurs : l’analogie plus ou moins fondée du cinéma avec la musique d’une part, et d’autre part la dichotomie entre mouvements (et rythmes) intérieurs et extérieurs. Soit la question du plan comme élément complexe, unité de composition minimale du film mais unité de perception aussi, c’est-à-dire lieu d’expérience sensible de la durée ; et celle du montage, que les images de l’eau investissent comme une puissance de débordement essentielle pour saisir comment, par l’association de ces images, quelque chose se communique, s’échange, se transforme, se brise ou se boucle.
Images de l’eau et musique de la lumière
« Une mélodie faite par l’océan pour une révolution7. »
6Au lendemain de la Grande Guerre, l’idée que le cinéma entretiendrait avec la musique des liens privilégiés commence à compter de nombreux défenseurs. L’argument principal réside dans le fait qu’à la différence des autres arts de l’image, le déploiement des formes dans le temps n’y est pas suggéré mais effectivement réalisé. Des cinéastes et des critiques s’engouffrent alors dans cette brèche, à l’instar de Canudo qui pense que le cinéma, proclamé pour cela « septième art8 », réalise la fusion des arts du temps et de l’espace, dont Wagner avait déjà tenté la synthèse opératique à travers la notion de Gesamtkunstwerk, l’œuvre d’art totale. Ces apôtres de l’analogie entre musique et cinéma qui ont pour noms Émile Vuillermoz, Léon Moussinac, Élie Faure ou Paul Ramain, défendent l’idée que « la composition cinégraphique obéit, sans s’en douter, aux lois secrètes de la composition musicale [et qu’] un film s’écrit et s’orchestre comme une symphonie9 ». Pour Moussinac : « Si l’on essaye d’étudier le rythme cinématographique, on s’aperçoit qu’il a une grande analogie avec le rythme musical […], les images étant à l’œil, dans le premier, ce que les sons, dans le second, sont à l’oreille […,] le sujet ne demeurant plus l’essentiel de l’œuvre, mais le prétexte ou mieux le thème visuel10. » Critiques musicaux ou cinématographiques réputés, ou historiens d’art comme Élie Faure, l’influence de ces personnalités leur permet d’être pris au sérieux par nombre d’intellectuels et de faire des émules au sein de la génération montante des cinéastes français.
7À côté de ces « puristes » qui constatent, à tort ou à raison, une véritable homologie entre la structure de la musique et celle du cinéma, on trouve également des personnalités qui le convoquent à titre de métaphore, donc de façon plus vague mais, rétrospectivement, moins sujette à caution. Sur ce terrain, ce sont davantage les cinéastes eux-mêmes qui s’illustrent : en 1923, Abel Gance écrit dans la revue de Louis Delluc, Cinéa-Ciné pour tous, un article intitulé « Le cinéma, c’est la musique de la lumière », dans lequel il déclare : « C’est notre tâche à nous, magiciens pour les yeux, de chanter avec la musique des images, de défricher les routes inconnues du septième art11. » Plus mesuré, Epstein considère quant à lui que le rythme « mécanique », tel qu’on le retrouve dans le montage rapide popularisé par Gance dans La Roue, « n’est que l’aspect le plus extérieur du rythme cinématographique12 ». Délaissant au cours de la décennie les sirènes de l’analogie avec l’art musical, il se prononce même à l’orée des années 30 contre la musique, en faveur de ce que l’on n’appelle pas encore la « musicalité » : « Le cinématographe (dans ce sens entier du mot cinématographe)13 n’a pas plus de parenté avec la musique ou le chant, la sculpture, la peinture ou le dessin qu’avec l’histoire ou la géographie. […] L’oreille du cinématographe n’est qu’à l’espace-temps ; là est sa musique. […] Le cinématographe doit être au-dessus de ce musicien et de ce peintre qui l’embarrassent de leurs conseils. Son talent à lui est de comprendre choses, phénomènes, gens, non comme ils sont, mais comme ils se meuvent14. » Ce constat d’échec d’une stricte homologie entre rythmes cinématographique et musical, que partage notamment Dulac à la fin de la période muette, montre que des cinéastes ont pressenti, à travers leur pratique des images, ce que les critiques « de profession » ont négligé dans leur plaquage d’un modèle sur l’autre : ce qui échappe à l’énumération et à la catégorisation. Ce que le cinéma emprunte alors à la musique, c’est précisément sa part la plus mystérieuse, parce que la moins spécifique à cet art en tant que forme codifiée : la perception, le sentiment, la vibration qui est autant du côté du spectateur (ou de l’auditeur) que de l’œuvre elle-même. Paradoxalement, il aura fallu toute la décennie pour que les plus avisés réalisent que là où passe le lien le plus profond entre deux formes qu’on tentait à toute force de rapprocher, c’est ce site des affects qui ne relève à proprement parler d’aucun domaine assignable.
8On peut donc douter sérieusement que la musique ait pu fournir au cinéma dans son ensemble, entendu comme dispositif esthétique et technique, un modèle réellement viable pour penser l’organisation des images mouvantes. Cependant, il ne faut pas oublier non plus qu’elle a été parfois extrêmement productive sur les films ; ou plutôt, dans le détail, sur certains films de l’époque. Mais il s’agit alors, de ce point de vue, d’une influence beaucoup plus localisée, qui ne relève pas de la forme musicale elle-même mais plutôt de tel ou tel de ses usages. S’il est un compositeur qui a réellement et profondément impressionné les cinéastes français des années 20, c’est Claude Debussy15. Considéré comme le musicien de l’eau par excellence, et comme celui qui s’en est le plus inspiré pour forger un langage musical novateur, il apparaît en toute logique dans les déclarations des cinéastes qui ont eux-mêmes le plus exploité les ressources plastiques et rythmiques de l’élément liquide. Au-delà de l’inventaire des titres, par lui-même révélateur16, l’important est la fascination qu’éprouve Debussy pour les mouvements et les transformations de l’eau, qui fournissent à sa musique à la fois une source d’inspiration inépuisable et un support d’image idéal. En effet, le compositeur n’a cessé de travailler à une représentation musicale du monde qui n’en soit jamais la simple transcription, littérale et descriptive, mais le compte-rendu d’une expérience. Expérience du monde mais surtout de ses manifestations les plus importantes pour Debussy : le mouvement et, plus largement, le temps. Il ne s’agit pas de « raconter » la mer ou le brouillard, ni de chercher des parentés sonores entre, par exemple, le fracas des vagues et les sonorités de telle ou telle section de l’orchestre, mais plutôt de trouver des correspondances formelles entre le vocabulaire musical et la prose du monde, telle qu’elle se déploie exemplairement à travers les mouvantes manifestations de l’eau. Ainsi La Mer est « probablement la première tentative dans l’histoire de la musique […] de dire le monde maritime non comme violent et bruyant, aquatique ou océanique […], mais comme exemplaire de la loi générale du mouvement qui gouverne la nature17 ». Ce sont donc le changement, la variabilité, l’expression du temps in se qui sont recherchés dans la musique debussyste, au-delà de leurs manifestations particulières. Dans ces conditions, le lien avec les recherches qu’entreprendront les cinéastes d’avant-garde devient évident : même quête du mouvement « pur », de l’essence des choses à travers un médium qui ne semblait pouvoir, a priori, que les singer.
9Parmi les cinéastes français des années 20, nombreux sont ceux qui ont pris Debussy pour emblème d’une certaine conception de la musique dont ils perçoivent volontiers des résonances avec leur propre pratique. D’autres ne se sont pas référés explicitement au compositeur, mais n’entretiennent pas moins de liens avec son œuvre. Au final, presque tous les cinéastes qui se sont, à un moment ou un autre de la décennie, attelés à cette question de la dimension musicale du cinéma, ont en commun d’avoir rencontré la métaphore liquide sur leur parcours pour les aider à penser ce rapport, que ce soit par le biais de l’écriture théorique ou par la réalisation proprement dite. Et si Debussy a pu influencer à un tel point les cinéastes français des années 20, ce n’est pas, comme ceux-ci ont pu le croire parfois, parce que son œuvre reflétait quelque chose comme un « absolu » de l’art musical, mais bien plutôt parce qu’il était aux avant-postes d’un courant de pensée qui cherchait à redéfinir le rapport de l’homme au monde, la perception de l’espace et du temps, interrogations qui sont au cœur de la légitimation esthétique et – osons le mot – philosophique du cinéma dans le premier quart du XXe siècle. Du jeune Louis Delluc demandant à ce que « cette musique […] parfaitement plastique18 » soit jouée dans les salles de cinéma pour accompagner les meilleures réalisations de l’après-guerre, à Marcel L’Herbier qui le considérait comme son Maître, il ne manque pas de cinéastes pour faire l’éloge de Debussy ou, à tout le moins, tenter d’inscrire dans leur propre travail la fascination du compositeur pour cet « idéal » que le mouvement trouve et dessine, trouve en le dessinant, dans les formes de l’eau.
10On trouve un exemple frappant de cette démarche dans un projet d’Epstein. Mais frappant d’abord, précisément, en raison de son manque d’évidence, puisqu’on ne peut pas dire que le cinéaste ait été très prolixe en termes de comparaisons entre la musique et le « septième art », qu’on ne lui connaît pas d’affinités particulières avec l’œuvre de Debussy et que, par ailleurs, le traitement du montage ne relève pas vraiment chez lui d’une réflexion sur la structure musicale. L’un de ses films, pourtant, entretient avec le compositeur, par son canevas symboliste, de nombreux liens implicites. Il s’agit de La Chute de la maison Usher, que Debussy lui-même avait longtemps projeté d’adapter pour l’opéra. Il écrivait à ce propos en 1909 : « Ça sent le moisi d’une façon charmante19. » Anecdotique à première vue, cette phrase permet en fait d’établir un rapport avec le projet epsteinien dans ce qu’il a de plus caractéristique. En effet La Chute de la maison Usher telle que la conçoivent les deux hommes est toute imprégnée d’une pensée des eaux croupissantes, de la déréliction et de l’entropie qui s’attachent aux eaux mortes20. En filant la métaphore musicale, on pourrait dire que le film d’Epstein fonctionne sur le mode mineur : tristes arpèges et glissandos funèbres, eaux dormantes et silencieuses qui trouvent leur écho dans une partie de l’œuvre debussyste, comme Pélléas et Mélisande, Brouillards ou Jardins sous la pluie, pour ne citer qu’eux. Si Epstein ne s’est ni vraiment prononcé, ni réellement intéressé à la présence de la musique dans le cinéma, c’est par le biais d’une esthétique des eaux mortes que son film retrouve pourtant la question. Et il est intéressant de noter qu’au-delà du concours de circonstances qui l’a amené, à la suite de Debussy, à adapter le texte de Poe, on pourrait déceler dans l’usage qu’il fait du ralenti, figure princeps de son travail, un double souci qui n’était pas étranger au compositeur de La Mer et des Images pour piano : exposer le mouvement dans son essence, plutôt que dans ses manifestations particulières ; et, plus largement encore, matérialiser le temps.
11Si Debussy est l’une des principales influences pour les cinéastes français des années 20, il n’est évidemment pas la seule. Musicien de formation, Jean Grémillon cultivait des goûts très éclectiques21 et, si l’on en croit tant ses déclarations que celles de ses proches et collaborateurs, il était sans nul doute le cinéaste le plus profondément musicien de la décennie. Ce qui rend d’autant plus surprenants ses anathèmes contre les rapprochements entre le cinéma et les autres arts. Selon lui, « la comparaison la plus dangereuse [en la matière] a été établie entre le cinéma et la musique. On a parlé de musique visuelle, de contrepoint visuel. Ces expressions sont […] privées de signification. Elles relèvent du jeu pervers des esthéticiens et il faut bien les leur laisser, puisque ça leur fait plaisir22 ». La charge est violente, mais puisque Grémillon nous concède le droit de gloser sur ce type de comparaisons, remarquons que, sans être strictement musicale, la construction de films comme Maldone – les plans d’ouverture sur le sillage de la péniche, la scène du bal, les surimpressions finales – ou plus encore Gardiens de phare, avec la récurrence des plans de ressac, les virevoltes de la caméra autour de l’escalier hélicoïdal et autres miroitements de la lumière à la surface des eaux, ne laisse guère de doute quant à l’influence de la musique sur le travail du cinéaste. Le mérite de Grémillon est de mettre en scène des récits qu’il veut aussi visuels que possible sans les soumettre à quelque principe de composition « étranger », et d’avoir, en même temps, fait passer dans ses images quelque chose de l’émotion musicale, une ampleur et un lyrisme qui fondent sa part la plus « insaisissable », pour reprendre les termes de Germaine Dulac23. C’est donc singulièrement chez l’un des cinéastes les plus farouchement opposés au mariage de la musique et du cinéma que se rencontre une forme qui dépasse les schémas du musicalisme pour atteindre à une véritable musicalité des images.
12À la différence de son confrère, Abel Gance s’est beaucoup intéressé quant à lui aux correspondances possibles entre les deux arts, sans soumettre pour autant la structuration de ses images à un modèle extérieur. Pour La Roue, il travaille déjà en ce sens en confrontant par le montage des personnages ou des environnements qui fonctionnent comme autant de thèmes, de motifs, amenés à s’échanger et se répondre24. Mais avec Napoléon, le désir de composition devient plus affirmé. Dans une conférence prononcée à la fin des années 20, Gance affirme que « le cinéma tend à s’égaler de plus en plus à la musique. Un grand film doit être conçu comme une symphonie, comme une symphonie dans le temps et dans l’espace. Un orchestre est composé de cent instruments dont les groupes jouent ensemble des parties différentes. Le cinéma doit devenir un orchestre visuel, aussi riche, aussi complexe, aussi monumental que ceux de nos concerts25 ». Il prend pour exemple la scène de la « double tempête », dans laquelle il dit avoir « essayé de faire, pour la première fois, de la musique symphonique à l’écran26 ». Finalement, tout en se réclamant de la référence musicale, Gance obtient un résultat qui, visuellement, ne doit qu’aux seules ressources du cinéma. Et il n’est guère étonnant que ce soit cette scène de la « double tempête » qui lui ait fourni matière à réflexion, tant les possibilités offertes par le mouvement des eaux – en termes de vitesse, de montage, de traitement lumineux ou d’effets de texture – étaient grandes. Sous la plume du cinéaste, la métaphore de l’orchestre n’est donc pas déplacée : il filme la mer, dans Napoléon, comme on dirige un ensemble. En un mot il orchestre, autant qu’il compose, un ensemble de formes visuelles aux propriétés variées mais jouant de concert.
13On pourrait multiplier ainsi les exemples de cinéastes plaçant leur travail sous les auspices d’un rapport plus ou moins fondé, enthousiaste ou répulsif, en tout cas fasciné, au modèle musical. Reste que, si les discours sur les images dénoncent une volonté parfois maladroite d’inventer ou d’importer des cadres permettant la légitimation du cinéma comme art, c’est encore le travail de ces images en tant que tel qui démontre le mieux l’inventivité, sinon l’originalité absolue, du dispositif cinématographique. Qu’on la conçoive en termes strictement référentiels (Debussy) ou à titre réflexif – telle forme musicale, sonate ou symphonie, fournissant la trame ou le calque d’une mise en forme visuelle du monde27 –, il n’est pas surprenant en tout cas que de nombreux films aient recours aux images de l’eau de manière aussi systématique, dans la mesure où l’élément permet la retranscription presque idéale d’une expérience esthétique qui ne devrait qu’au sensible pour se réaliser. Évanescentes et fluides, la musique comme l’eau constituent des modèles (l’un conceptuel, l’autre formel) pour penser ce qui, paradoxalement, relève au cinéma du strictement visuel, d’une abstraction figurative qui ne garde, de l’image des choses, que la trace, pour en élargir les propriétés : texture, vitesse, éclat, mais plus encore mouvement, variabilité et expérience sensible de la durée. Malgré des insistances qui confinent rétrospectivement à la lourdeur, la métaphore musicale et le support d’exemplification que lui fournissent les images de l’eau permettent de prendre la mesure d’une obsession qui travaillait à peu près toutes les formes d’art dans ces années charnières, par-delà les positions défensives adoptées par leurs acteurs pour préserver, défendre, justifier ou élargir leur propre domaine d’expression.
Cinématique des fluides 1 : les rythmes « intérieurs » du plan
« Chutes, bris, vent, pluies, rafales de toute sorte ou nuit soufflant : ôtez tout cela des premières images et vous n’avez plus de mouvement parce que ces déplacements de grains météorologiques – nuages passants, feuilles agitées – sont la première respiration du monde dans les images : et son âme, longtemps hostile, est le temps apparu28. »
14Si la multitude des rapprochements entre musique et cinéma dans les années 20 n’est pas venue à bout du voile d’approximation qui nimbe la notion de rythme cinématographique, c’est peut-être que comparer suppose aussi de confronter véritablement les termes, ici musique et cinéma. Leur association peut se révéler, à l’occasion, productive ; mais elle ne saurait fonder en raison le rabattement intégral des structures de la première sur le second. Dans ces conditions, le mélange ne peut fonctionner que de façon très superficielle, et n’être qu’un simple pis-aller. S’il existe bien, malgré tout, un rythme spécifique au cinéma, comment en repérer les éléments, les conditions d’existence, sans recourir à l’embarrassante tutelle musicale ? Les cinéastes ont répondu à cette question à leur manière, c’est-à-dire avec leurs propres moyens : la musique, considérée à l’époque comme pure temporalité, n’a pour ainsi dire que cette « quatrième dimension » pour se mouvoir, tandis que le cinéma jouit du temps, en plus de l’espace. Art du temps donc, le cinéma peut également se développer en hauteur, largeur et profondeur. Puisque le rythme parle davantage à l’oreille qu’à l’œil, il faut alors construire des espaces qui figurent ou suggèrent leur propre cadence rendue perceptible, donc sensible.
15Étymologiquement parlant, on l’a vu, le rythme est d’abord écoulement, fluidité, mouvement. En ce sens, tout film est un flux dont le contenu définit les reliefs, marque les accents, mais dont la structure est quant à elle toujours semblable. À une moindre échelle, le plan est en apparence une unité continue, homogène et insécable, résultat d’une prise de vues ininterrompue. Au niveau structurel en revanche, chaque plan est composé d’un nombre variable de photogrammes, images fixes qui, projetées à une certaine cadence, produisent l’illusion d’un mouvement. C’est de ce paradoxe que découle la possibilité du rythme cinématographique sur son versant interne. Faire travailler l’un contre l’autre la métrique et le flux qui sous-tendent le mouvement des images, permet de penser le plan comme un lieu où s’affirme une mobilité continue faite de discontinuités29. Et à ce compte-là, il est peu d’éléments qui renseignent, autant que l’eau, sur les possibilités libérées par la prise en compte de cette contradiction, comme sur les implications théoriques qu’elle suppose.
16Il faut le redire, le contexte est alors favorable au développement de ce type de réflexions : Henri Bergson, depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’à son dernier ouvrage, La pensée et le mouvant30, avait œuvré à la propagation d’une idée d’extrême importance pour l’évolution des formes cinématographiques : le mouvement, pris au sens le plus général du terme, est un flux. En tant que tel, toute division introduite au cœur de ce flux pour le mesurer ou le contrôler est une construction de l’esprit, un artifice introduit par la pensée pour briser la coulée, par nature homogène, du temps. L’une des conséquences majeures de cet aspect de la pensée bergsonienne est que le mouvement n’a pas besoin d’être supporté par un mobile pour exister en tant que tel. Les cinéastes de l’avant-garde reprendront, sous le vocable de « cinéma pur », cette idée que le mouvement est à soi-même sa propre définition, qu’il n’a besoin d’aucun support concret pour être rendu visible : on peut donc – et même on doit – le donner à voir en et pour lui-même. Avec le cinéma se concrétise ainsi le songe d’une fluidité essentielle du monde, qu’il réalise techniquement, mais aussi philosophiquement. Ces images-fluides qui s’inventent au tournant du siècle, pour autant, ne rendent pas caduque la notion de représentation puisque, projetées à une cadence bien définie, elles mettent en mouvement une succession de vues initialement figées ; dispositif qui, dans son usage standard, a pour vocation la « reproduction » du monde. Et c’est bien là que gît le paradoxe, travaillé à l’envi depuis les années 20 par ce qu’on appellera – pour le dire vite – cinéma expérimental : l’image cinématographique comme image rythmée figure le point d’équilibre entre l’instantané isolé et le mouvement sans motif. Supprimez la cadence de projection, et le visible gèle ; accélérez-la, et il s’évapore. Mais les recherches menées dans les années 20 ont montrées également que, pris dans ce registre de la successivité, un photogramme est doté d’un potentiel de mouvement qu’il perd si on l’extrait de la chaîne, autrement dit : si l’on brise le flux. Pour reprendre les termes de Bergson, « il y a plus dans un mouvement que dans les positions successives attribuées au mobile, plus dans un devenir que dans les formes traversées tour à tour, plus dans l’évolution de la forme que les formes réalisées l’une après l’autre31 ».
17Ceci posé, reste à déterminer comment les films rendent comptent de cette mobilité sans motif permise par les images-fluides. En d’autres termes, quels sont les types d’images dans lesquels s’accuse le plus profondément la double contradiction qui fonde le mouvement cinématographique. Il y a bien sûr le corps, dont l’art du XXe siècle a fait un de ses terrains d’élection, travaillant à le distordre ou le fragmenter, le raturer ou l’exposer, le déplier ou le faire disparaître. Mais il y a aussi, et surtout, les phénomènes météorologiques de toutes sortes, le vent, la poussière, les nuages, la brume, les vagues ; les ruissellements, ondulations, reflets, courants, embruns et manifestations diverses par où le monde fait pénétrer, dans les images, quelque chose de sa propre turbulence32. À travers cette rencontre entre des états éminemment mouvants de la matière – écoulements, floculations, tourbillonnements – et un dispositif qui cherche dans le mouvement sa propre légitimité, se joue quelque chose de décisif dans l’art de la description en images : la possibilité de retranscrire quelque chose comme la respiration du monde, sa perpétuelle mobilité contenue dans un espace cadré. Cette mutation qui jamais ne change, on la trouve à l’œuvre dans le flux et le reflux des marées, dans le passage des nuages, dans le déversement continu des chutes d’eau. À charge alors pour les cinéastes de filmer ces motifs comme participant d’un pneuma généralisé ; de montrer par leurs images comment le cinéma peut retranscrire quelque chose du monde et comment les manifestations de ce monde peuvent, à leur tour, indiquer quelque chose de l’essence du cinéma.
18Bergson, là encore, touche du doigt le fond du problème : « Pour les anciens, en effet, le temps est théoriquement négligeable, parce que la durée d’une chose ne manifeste que la dégradation de son essence […]. Le changement n’étant que l’effort d’une forme vers sa propre réalisation, la réalisation est tout ce qu’il nous importe de connaître. […] Mais, pour une science qui place tous les instants du temps sur le même rang, qui n’admet pas de moment essentiel, pas de point culminant, pas d’apogée, le changement n’est plus une diminution de l’essence, ni la durée un délayage de l’éternité. Le flux du temps devient ici la réalité même, et, ce qu’on étudie, ce sont les choses qui s’écoulent, [produisant] une invention continue de formes nouvelles33. » Cette science inédite évoquée par le philosophe, le cinéma en est comme la vérification expérimentale. Si l’on reste dans la sphère de la représentation, on sait que la tâche longtemps assignée à la peinture était de soustraire le monde à la corruption temporelle. Pour que l’on puisse envisager que l’écoulement du temps soit autre chose que cette inévitable entropie, il faut qu’apparaisse un dispositif dont la vocation ne soit pas – ou pas seulement – de prélever une coupe sur la durée, mais de restituer celle-ci aussi complètement que possible. Que l’on soit capable, non plus d’arrêter ni même de suggérer le mouvement, mais de le figurer par un autre mouvement de nature analogue, en l’inscrivant sur un support lui-même mobile et essentiellement fluide.
19Quand nous regardons des plans d’une extrême simplicité, comme ceux des bouillonnements de l’eau dans un caniveau, de nuages qui traversent le cadre à des vitesses variables, d’une cascade ou d’un torrent, des clapotis de la mer contre un quai, du ressac de l’océan sur une grève ou de remous dans le sillage d’un bateau, nous ne voyons finalement rien d’autre que des mouvements en travail ou, pour reprendre la belle expression de Jean-Louis Schefer, « le temps apparu34 ». Et quand, à quelques années de distance, Abel Gance isole en gros plan l’image d’une stalactite qui goutte dans La Roue, et Joris Ivens celle de gouttes blanches qui tombent au sol à intervalles réguliers dans Pluie, l’un et l’autre ne font rien d’autre que mettre en scène, eux aussi, cette comparution du temps. À cette différence près que, dans un cas, le plan est intégré à un ensemble clairement narratif tandis que, dans l’autre, il est un des éléments d’une composition plus abstraite. Mais cette différence, considérée du seul point de vue des puissances du cinéma, n’en est plus une, tant il est vrai que, comme l’écrit Jean Epstein : « Le regard de l’objectif, lui et de lui-même, obéissant à sa loi organique, perçoit et nous représente les aspects mobiles de l’univers, y insiste, les favorise, avec une prédilection qui va jusqu’à transmuter les éléments stables en instables, les solides en fluides. Ainsi, dans le monde qu’il voit à l’écran, le spectateur, qu’il le veuille ou non, qu’il le comprenne ou non, a son attention attirée, à l’encontre de ses habitudes d’esprit classiques, sur le changement, la malléabilité, l’écoulement des formes35. » Et ce qui vaut ici pour le spectateur, vaut également pour les cinéastes qui, n’ayant pas tous une égale conscience des propriétés de leur moyen d’expression, n’en font pas moins la démonstration permanente, de façon militante ou à leur corps défendant. Entrent en ligne de compte, évidemment, la durée des plans eux-mêmes, la façon dont ils sont cadrés ou éclairés. Mais ces questions qui relèvent de la mise en scène, si elles font la différence entre les cinéastes exigeants et les « faiseurs », ne doivent pas masquer ce qui s’effectue lors de l’enregistrement d’une image et qui échappe en grande partie au contrôle de ceux qui sont derrière la caméra. Saisir le rythme du monde dans sa durée propre est une prérogative du dispositif cinématographique avant d’être celle des femmes et des hommes qui en font un plus ou moins bon usage.
20On ne saurait toutefois, à « motif » égal, mettre totalement sur le même pied un plan d’eau filmé par Epstein ou par Leprince, par Kirsanoffou par Antoine. Non seulement, comme on l’a dit, parce que leurs partis pris de mise en scène sont différents, mais aussi parce que le désir ou le besoin de filmer les états de la matière relèvent de poétiques souvent très distinctes. Si l’on admet que le plan de cinéma possède en soi une propension inédite à restituer profondément le mouvement dans son essence, et si l’on considère la part que les images de l’eau jouent rétrospectivement dans la démonstration de cette propriété, il faut aussi distinguer entre les cinéastes qui ont réellement envisagé le plan comme lieu de vibration, de respiration du monde dans les images, et ceux chez qui ces phénomènes sont enregistrés de façon plus incidente. Parmi les premiers se donne à voir l’indice d’un regard porté sur les choses, une volonté de traversée des apparences et d’attention aux plus imperceptibles mouvements du monde qui fait, à l’évidence, défaut aux seconds. Entre ceux qui ont filmé scintillements et clignotements, ondulations et réflexions comme un événement visuel, et ceux qui les ont instrumentalisés pour sacrifier à un quelconque effet de mode, il y a en effet un monde, dont on peut tâcher de prendre à grands traits la mesure.
21« Un film, un vrai film, ne doit pas pouvoir se raconter puisqu’il doit puiser son principe actif et émotif dans le sens des images faites d’uniques vibrations visuelles. Raconte-t-on une symphonie ? Raconte-t-on un tableau ? Raconte-t-on une sculpture ? Certes pas. On ne peut évoquer que l’impression et l’émotion qu’elles dégagent36 », estime Germaine Dulac. Le cinéma, s’il veut se hisser au rang d’art de la sensation et conquérir sa propre cadence, doit donc compter avec cette « vibration visuelle » que produit le plan. Il doit apprendre à contenir, sans les assagir, les turbulences dispersives des éléments, faire du cadre et de la durée les conditions d’une dynamique visuelle. Certains cinéastes ont magnifiquement répondu à cette injonction, faisant du plan un véritable enjeu pour le regard en y ménageant les conditions d’une tension que la durée rend palpable, empruntant pour cela trois voies majeures : composition, contradiction, et bourdonnement.
22C’est un truisme, mais aussi une question de mise en scène : comment composer un plan de façon à y saisir un mouvement voué, par son passage, à se dérober au regard ? Trop large, il perd en dynamisme ; trop serré, il paraît s’agiter vainement. On trouve dans le cinéma français des années 20 quantités de films qui interrogent le mouvement à partir d’une réflexion sur la composition du cadre. Le passage des nuages, à l’occasion ralentis ou accélérés, qui questionne la relativité du mouvement par rapport au point de vue de l’observateur ou à une autre échelle de mobilité ; le voyage d’un mobile (barque, rai de lumière, tiges de roseau…) sur un plan d’eau ; la levée de la brume à l’intérieur du plan, qui figure simultanément l’occupation du cadre dans ses dimensions spatiale et temporelle ; les cercles concentriques qui se diffusent à la surface de l’eau : tous ces motifs participent de la construction d’une image du temps propagé dans l’espace, d’un espace envahi par le temps, d’une durée tangible pour le regard. C’est en montrant le mouvement dans ce qu’il a de plus essentiel, en le réduisant par abstraction à ses aspects les plus simples, que le cinéma peut ainsi paraître dans son essence.
23À l’opposé de cette « nudité » du mouvement, certains cinéastes travaillent le cadre comme un espace composite, fait d’une pluralité de mouvements parfois contradictoires. Un complexe, au sens presque mathématique du terme, dans lequel les formes, les vitesses, les éclats de l’eau sont utilisés comme autant d’éléments d’un rythme primordial qui devient, transfiguré par la prise de vues, celui du cinéma. Germaine Dulac entre autres a poussé très loin cette recherche. Dans Thèmes et variations et Arabesques, elle construit, à l’aide d’une multiplicité de caches, des plans dans lesquels se désigne toute la palette des mouvements de l’eau : visage d’une jeune femme, en vignette dans le bord inférieur droit du cadre, le reste étant occupé par un plan d’eau sur fond noir traversé de miroitements lumineux. Masse d’eau sombre dans la partie inférieure du cadre avec, dans la partie supérieure, un jet horizontal formant une spirale. Autre jet au centre du cadre, au mouvement diffracté par des miroirs disposés de part et d’autre du plan. Composition en trois parties avec, sur la gauche du cadre, une masse d’eau sombre striée de reflets blancs, un jet clair qui retombe en courbe au centre et, à droite, un plan d’eau noire sur les deux tiers inférieurs et blanche sur le tiers supérieur. Au-delà de la prouesse technique qui a permis à Dulac de filmer ces plans composites, il est remarquable qu’elle n’utilise – particulièrement dans Arabesques – quasiment qu’un motif, l’eau, qu’elle déplie et explore dans une très large part de ses ressources dynamiques. Les plans de Dulac sont ainsi faits de durées différentes, de mouvements contradictoires, de luminosités qui se mêlent ou s’affrontent, tout en participant d’une matière unique. Et si le motif du jet d’eau est si récurrent chez elle, dans ses essais de « cinéma pur » comme dans ses films « commerciaux », c’est qu’il rend concevable, visuellement, l’idée d’un mouvement statique, concrètement improductif dans sa dépense puisque, sa mobilité étant perpétuelle, il est à jamais enfermé dans sa forme. La dynamique du jet n’a ainsi d’autre but qu’elle-même, elle ne mène à rien si ce n’est à son propre recommencement. C’est un élan suspendu qui jamais n’atteint son but. Ce paradoxe d’un mouvement immobile, serpentin, spiralé, d’une « vélocité stationnaire37 », est sans doute ce qui intéresse Dulac au plus haut point, parce que dès lors, les formes de l’eau telles qu’elle les emploie n’ont plus à charge de répondre d’une « présence » du monde dans les images. Elles sont, précisément, pures formes et purs mouvements dont le cinéma peut s’emparer pour travailler des questions qui lui sont propres38.
24D’autres cinéastes, avant Dulac, s’étaient affrontés à ce registre de la dépense improductive : par exemple Claude Autant-Lara qui, dans Fait-divers, multiplie les gros plans sur des eaux tourbillonnantes, pleines de remous lents ou rapides, images passées parfois à l’envers, comme pour dire que cadrés de cette manière, la direction prise par ces mouvements a finalement moins d’importance que l’énergie cinétique qu’ils libèrent. Ce qui importe dans Fait-divers n’est pas la destination ni même la signification du mouvement – ces plans ne sont que très modérément rapportables à la progression du récit ; tout en eux indique la gratuité – mais la frénésie de son accomplissement en tant que telle. On peut aussi songer aux Jeux des reflets et de la vitesse de Henri Chomette, qui recourt au même type de gros plans et utilise également la réversion du temps filmique pour obtenir des effets similaires, l’alibi narratif en moins. Enfin, plus étonnamment, on trouve dans Visages d’enfants semblables giclures lumineuses prélevées d’un torrent ou d’une roue à aube filmés en gros plans (ill. 53) mais aussi, lorsque Jean songe à se noyer dans le torrent, des images de remous aux mouvements inversés (ill. 54), ce qui a pour effet de créer à l’intérieur du cadre des effets d’accélération, de démultiplication de la violence de l’eau, en même temps que des vitesses, des intensités concurrentes – ou concourantes.

Illustration 53

Illustration 54
25Ces films, parmi bien d’autres, sont exemplaires d’un régime des images mouvantes dans lequel le motif est annulé au profit de sa trace, par un excès de mouvements qui convertit le visible en visuel, l’analogique en plastique, la représentation normée en pulsation rythmique. Tous ces bouillonnements, giclées et jaillissements, les éclaboussures filmées avec attention par Carné dans Nogent, eldorado du dimanche ou nonchalamment par Epstein dans La Glace à trois faces – pendant la scène de promenade en barque –, les floculations de la neige autour des visages de Séverin-Mars et Ivy Close dans La Roue ou celles qui balaient le corps de Catherine Hessling, la petite marchande d’allumettes du film homonyme de Renoir, les lentes colonnes d’embruns qui gravissent le cadre pour transformer la mer en nuages dans Finis Terrae, et celles qui retombent en fines gouttes après l’explosion du sous-marin d’Être ou ne pas être : toutes ces nuées, ces perturbations météorologiques capturées dans la durée de leur apparition, font de ce cinéma un monde lucrétien où la matière est soumise à des turbulences constantes, à des battements qui font respirer les plans. Pour les cinéastes français des années 20 il s’agit, tout en élaborant une syntaxe visuelle qui en permette l’exhaussion, de filmer ces événements comme des archétypes de ce qui, d’abord, avait donné au cinématographe son pouvoir de séduction : le mouvement entré, comme par effraction, dans les choses. C’est parce que l’agitation du monde est permanente qu’il faut en premier lieu s’attacher à la cadrer, à accorder le tempo du regard et de son objet. Que ce problème nouveau qui se pose à la représentation artistique soit lui-même fondé sur un paradoxe théorique – le photogramme, qui crée avec du discontinu l’illusion d’une continuité, avec du fixe l’idée du mouvant –, les cinéastes n’en sont alors que faiblement conscients. Mais leurs images, elles, semblent en prendre acte ou, du moins, en fournir la réponse implicite puisque, comme l’écrivait Epstein, c’est une des propriétés du dispositif que de permettre la production d’une image unique et, pourtant, « continuellement différente d’elle-même39 ».
Cinématique des fluides 2 : les rythmes « extérieurs » du montage
« Il faut à la fois une intention formelle, une intention dynamique et une intention matérielle pour comprendre l’objet dans sa force, dans sa résistance, dans sa matière, c’est-à-dire totalement. Le monde est aussi bien le miroir de notre ère que la réaction de nos forces. Si le monde est ma volonté, il est aussi mon adversaire. Plus grande est la volonté, plus grand est l’adversaire40. »
26Dans l’espace du plan, l’eau remplit les images d’une présence vibrante, un perpetuum mobile qui dépasse le cadre de la représentation pour atteindre à une résonance qui est celle de la matière-cinéma elle-même. Mais à son tour, cette dimension interne se double d’une action qui fait jouer le mouvement entre les images, le transvase d’un plan à l’autre, et crée une dynamique qui ne relève plus seulement de l’enregistrement des choses, mais de leur succession ou de leur confrontation. Cette opération qui est aussi le « beau souci » des années 20, c’est évidemment le montage. Si les cinéastes français ont moins théorisé, ou simplement exploré les conséquences pratiques du montage que ne l’ont fait, à la même époque, les soviétiques, la réflexion sur le sujet n’est pas absente pour autant des débats dans l’hexagone. Germaine Dulac, Fernand Léger ou Abel Gance ont, parmi d’autres, tenté de penser ce que pouvait apporter à l’évolution du langage cinématographique une prise en considération sérieuse de l’assemblage des plans, dans le cadre du récit ou dans une optique purement plastique. Léon Moussinac, de son côté, a tenté de poser clairement les termes du problème au milieu de la décennie, en déclarant que « le rythme existe […] non seulement dans l’image elle-même, mais dans la succession des images. L’expression cinématique doit ainsi au rythme extérieur la plus grande part de sa puissance. Le sentiment de cette nécessité du rythme est si fort que certains cinégraphistes – qui ne l’ont guère étudié pourtant – le recherchent à leur insu. Monter un film n’est pas autre chose que rythmer un film41 ».
27Un des termes qui revient souvent pour envisager l’esthétique du montage est celui d’une « mécanique » des images cinématographiques. Il faudrait ainsi concevoir un film comme une machinerie faite de rouages, de « pistons » et « bielles », tous éléments liés les uns aux autres et se communiquant force, vitesse et mouvement de façon presque exponentielle. Des films tels que La Roue, Ballet mécanique (Fernand Léger et Dudley Murphy, 1924), Cinq minutes de cinéma pur ou La Marche des machines (Eugène Deslaw, 1928) attestent une telle vision mécaniste du cinéma conçu comme ensemble de forces interagissantes. À ces influences « industrielles » on pourrait adjoindre, plutôt qu’opposer, l’idée d’une mécanique des fluides, elle aussi à l’œuvre – quoique plus souterrainement – dans l’ensemble du cinéma français des années 20. En effet, si l’on admet que le mouvement de l’eau à l’intérieur des plans fonctionne comme une puissance intensive, il n’est pas saugrenu d’envisager que l’élément puisse aussi agir extensivement, via le montage. La question qui se pose alors est finalement la même que celle qui travaille la durée au sein du plan, mais déplacée sur le terrain de la syntaxe cinématographique : comment créer une continuité à partir d’un dispositif essentiellement discontinu ? En d’autres termes, il faut se demander comment le travail rythmique du montage peut faire du film un ensemble homogène, précisément fluide, à partir d’éléments disjoints.
28Les solutions adoptées par les films français dans les dernières années du muet sont diverses et, à l’occasion, paradoxales, mais on peut les ramener à trois types de démarches essentielles : repenser le montage à partir de la notion d’intensité plutôt que de durée ; travailler l’enchaînement des plans comme continuité ou comme rupture, sans perdre de vue pour autant la cohérence de l’ensemble ; inventer des dispositifs qui permettent de rendre compte, visuellement, des forces mises en jeu par la rencontre des images. Ces trois voies dressent à leur façon une cartographie du cinéma français à partir des usages que les cinéastes ont fait du montage. Elles mènent aussi à s’interroger sur la façon dont l’esthétique des fluides peut permettre de dialectiser le rapport entre ce qui relève du dispositif in se et ce qui relève de l’art des cinéastes. Elles ouvrent, enfin, à une réflexion sur le montage comme mise en mouvement des images, indépendamment de leur contenu particulier. Il s’agit là d’envisager l’eau comme une puissance d’infiltration du mouvement dans le corps du film, une rythmique particulière qui, par sa nature et les propriétés qui lui sont attachées, permet la libération d’intensités, de dynamiques formelles qui sont l’apanage de cette période du cinéma français, si peu attachée qu’elle ait été dans l’ensemble aux ressources expressives du montage.
29C’est dans les années 20 que l’on commence à envisager, sporadiquement, l’idée que le cinéma n’est pas dès l’abord une affaire de plans. La nature du dispositif, sa composition photogrammatique, sont de mieux en mieux comprises par des cinéastes qui considèrent que l’agencement des images peut produire des forces autant que des formes, des intensités autant que des durées. Pour le dire autrement, ils pensent qu’une image n’a pas forcément besoin d’être déchiffrée pour être ressentie. Cette découverte – qui fait à la même époque les beaux jours de la publicité – amène des cinéastes aussi différents que L’Herbier, Chomette, Gance ou Autant-Lara à travailler des successions d’images si rapides qu’elles produisent sur le spectateur un effet de sidération, d’illisibilité de ce qui est vu au profit d’une perception purement optique, ou plastique, de ce qui apparaît à l’écran. En effet, c’est dans la France des années 20 que l’on réalise cette donnée fondamentale de l’expérimentation cinématographique : « Dès qu’on travaille sur les unités élémentaires du cinéma (les photogrammes) on libère immédiatement de la vitesse, à la manière des physiciens qui, en manipulant la matière, libèrent une énergie dont auparavant on ignorait la présence42. » L’analogie avec les découvertes des sciences « dures » n’est pas fortuite : outre que, dans cette praxis du montage, les images sont ramenées à leur valeur purement plastique et lumineuse, il faut tâcher de percevoir aussi ce que l’élément liquide peut apporter à une telle utilisation du matériau filmique. La multiplicité de ses formes, la violence de ses éclats, les possibilités presque infinies de l’eau filmée en font le support idéal d’une organisation du flux des images qui efface autant que possible leur valeur représentative au profit de leur valeur dynamique. Ainsi dans Fait-divers, son premier court métrage, Claude Autant-Lara recourt à de brefs inserts de plans d’eau qui viennent littéralement contaminer le mélodrame (une histoire de triangle amoureux et de jalousie dans un milieu bourgeois) : images de caniveau en gros plan, où s’écoule à gros bouillons une eau blanche et tourbillonnante, flashes clairs d’une eau filmée en studio sur fond noir, remous d’une rivière qui défilent à l’envers. Ces plans reviennent avec insistance au cœur du récit pour y ouvrir le drame privé à une dimension universelle, puisque l’eau y figure comme une ingérence du monde dans la sphère des passions en y apportant, au-delà de la métaphore ou du commentaire visuel – bouillonnement, clignotement, furie, vitesse –, le regard neutre, précisément objectif, de la matière43. Pour les Jeux des reflets et de la vitesse, qui est aussi son premier film, Henri Chomette recourt à des procédés de montage similaires : inserts récurrents de gros plans sur des fragments d’écluses, de caniveaux et autres remous urbains qui insufflent au film un dynamisme tourbillonnaire. Mouvements concentriques qui, agrégés aux nombreux travellings sur la Seine et les rails du métro aérien qui forment son ossature, les relancent ou les font bifurquer, articulent la succession des images autour de ces fulgurances régulières, introduisent dans le rythme du film des ruptures visuelles qui participent pourtant d’une même matière filmée, d’un même grand corps élémentaire.
30Dans un registre différent de cette avant-garde plasticienne que représentent Chomette ou Autant-Lara, Marcel L’Herbier fait dans Le Diable au cœur un usage magistral du montage court. Si l’annonce de l’orage, au début de la grande scène de tempête, est traitée de façon relativement classique (inserts de ciel couvert au-dessus du bateau, éclairs sporadiques, nuages en léger accéléré), les choses deviennent plus complexes dès lors que le cinéaste inclut dans cette série quelques plans du rivage, où les vagues s’écrasent avec force contre les rochers. Ces plans sont systématiquement raccordés à des vues de nuages déchirés, d’où commence à se déverser la pluie. Leur brièveté, comme les syncopes qui cassent régulièrement l’alternance « métrique » des plans, produisent alors un surprenant résultat : parce qu’il est précisément trop rapide pour que l’œil ait vraiment le temps de fixer le contenu des images, le montage met en relation nuages et embruns, donne à voir la transformation de l’un en l’autre, de l’eau du ciel en celle de la mer, et réciproquement. Le cinéaste organise ici un réel déferlement d’images, mêlant des espaces a priori incompossibles pour les faire participer d’un même milieu hostile et englobant, une circulation généralisée des états de l’eau rendue possible par leur quasi illisibilité. L’alliance du montage, des contrastes lumineux très violents et des mouvements de caméra plonge ainsi le bateau dans une tourmente qui est formelle autant que météorologique. Elle rend les éléments du monde impossibles à distinguer les uns des autres et, ce faisant, rapproche avec brio leurs manifestations respectives, aussi cloisonnées qu’elles paraissent au regard de la vraisemblance.
31On ne saurait, enfin, évoquer les vertus de ce type de montage sans mentionner Abel Gance qui, en France du moins, en fut l’initiateur. En effet, si L’Herbier, Chomette, Autant-Lara et bien d’autres ont pu réfléchir en ces termes sur les possibilités rythmiques et perceptives des images conçues comme intensités au sein d’une continuité, c’est que la voie avait été ouverte par les expérimentations de La Roue. Celles-ci ne se résument pas à la séquence de « la rose du rail », fort intéressante mais ressassée à l’envi pendant toute la décennie et depuis plus de quatre-vingts ans. Le film est en effet émaillé de très courtes notations visuelles sur des éléments naturels – gouttes d’eau, flocons de neige, vapeurs diverses – qui relancent, autant qu’elles découpent, la linéarité du récit. Comme dans Fait-divers, de telles insertions fournissent à la fois un point de vue commenté sur l’état de tel ou tel personnage à un moment donné de son parcours, et une forme de soubassement rythmique au déroulement temporel du film, dont elles brisent la progression normée pour la renforcer, paradoxalement, d’un autre type de flux, fait de pics et de tressautements, d’acmés et de brisures. Ce travail, Gance le poursuit dans son Napoléon, notamment lors de la fuite de Bonaparte hors de Corse où le cinéaste mêle, à la manière de L’Herbier la même année, plans de vagues et de nuages, mouvements et vitesses contradictoires, positif et négatif, flashes blancs et mer sombre, tous de très courte durée et formant, au final, ce paysage illisible et pourtant sensible de la tempête. Encore une fois, la brièveté des plans rendant superflue la reconnaissance de leurs motifs, le montage peut alors atteindre, non à une dimension musicale, mais à un battement, une pulsation rythmique physiquement perceptible. Parce que nous reconnaissons à peine les éléments dont est faite la tempête, nous pouvons la ressentir comme telle et, selon les vœux du cinéaste, en être dans une certaine mesure partie prenante44.
32Aussi intéressante soit-elle, la prise de conscience des ressources du montage pensé à partir du photogramme reste pourtant un cas isolé dans l’ensemble de la production française des années 20. Si l’on cherche à déterminer les voies majeures de la syntaxe cinématographique à l’époque, la ligne de partage se situerait davantage, et plus classiquement, entre une esthétique de la continuité et de la rupture. Un premier cas de figure, aussi célèbre qu’usé, consiste en la rencontre, la dispute ou la réconciliation d’un couple de personnages à proximité de la mer. Toujours, une large vague vient balayer le sable ou battre les rochers en guise de point d’orgue ou de commentaire. Ce type d’enchaînement qu’est le plan de coupe sur une vague – mais, aussi bien, sur la berge ensoleillée d’un canal ou la course des nuages – est la convention narrative la plus éculée qui soit pour dire la rupture d’un ordre établi, l’annonce d’un danger, la participation d’un événement à une configuration plus vaste ou toute autre situation d’ordre relationnel. Toutes ces images d’eau, dépourvues de signification intrinsèque, sont ainsi intégrées à un système qui les charge d’une double tâche : faire incision dans une continuité, et assurer en même temps la liaison – souvent métaphorique ou symbolique – entre ce qui vient avant et après elles. Pour le dire autrement, c’est parce que ces images signifient si peu par elles-mêmes qu’elles remplissent idéalement – pour l’époque, s’entend – cette fonction assez singulière de rupture/suture. Tout en brisant la continuité narrative, elles en permettent la relance.
33Un autre cas de figure, plus intéressant parce qu’il suppose d’emblée une véritable pensée du (faux) raccord, est celui d’une succession de mouvements concordants que permet la présence du support aquatique : le film de péniche représente idéalement ce type d’œuvres où l’arpentage des canaux est un souffle et où le montage, raccordant entre elles des séries de travellings avant ou latéraux, doit ajouter sa propre fluidité à celle du contenu des plans, sous peine de trahir le principe d’exploration tranquille qui fonde le rapport de la mise en scène aux protagonistes, et de ceux-ci au paysage qui les entoure. Parce qu’ils sont des glissements sans fin du regard, ces films se font liquide dans leur principe même. Mais cette fluidité se construit aussi sur des ruptures : impossible de ne pas voir la brutalité qui sous-tend le passage d’un plan à un autre, la butée contre la fin du plan et la saute dans un espace-temps modifié, que l’acte matériel du montage tend, sinon à effacer, du moins à rendre plus douce45. Dans ce type de films où les points de vue sont quasiment invariables, tout décrochement d’axe est une violence faite à l’accord de l’œil mobile et de son alentour, que le filmage avait patiemment et difficilement instauré. Étrange situation où se conjuguent le fantasme d’un regard continu, perpétuellement mouvant et attentif, et la nécessité, technique et esthétique, de briser ce flux pour lui en substituer un autre, là encore bricolé, suturé par le montage, afin que ce regard soit vraiment celui de la caméra et ce glissement, un véritable battement. Où l’on voit que pour retrouver, en cinéma, le chant continu des eaux douces, il faut y pratiquer des trous, et les parer d’intermittences.
34À moins que l’on n’invente la multiplication de la mer par le montage, solution utilisée à plusieurs reprises par Jean Epstein. Cela a été souvent souligné : la mer epsteinienne est plurivoque, elle ne cesse de changer en fonction du regard qu’on lui porte. Pour les amants de Cœur fidèle, elle peut être successivement derrière puis devant eux, puis à nouveau derrière, alors qu’ils n’ont apparemment pas quitté le bout de quai où ils sont assis. Mais elle peut aussi, pour l’un d’entre eux s’il désespère, changer de forme entre deux moments du regard, être tour à tour lumineuse et calme puis sombre et agitée. Comme dans Finis Terrae où le bateau qui emporte les goémoniers leur fait voir, à chacun, une étendue différente : avec ou sans reflet, avec ou sans vagues, avec ou sans joie de partir au travail. Et on peut finalement se demander si la mer telle que la filme Epstein est différente pour tous, ou si elle n’est pas toutes ces mers à la fois, autrement dit : si le montage a pour fonction chez lui de discerner des hétérogénéités à partir d’une matière homogène, ou de reconstruire une homogénéité malgré des états différents de la matière. Question insoluble sans doute, parce qu’elle concerne un cinéaste qui a fait de ce type de paradoxe, le mélange des régimes, l’un des principes de son art.
35Continuité, rupture : à s’y pencher, la démarcation n’est pas si franche entre ces deux régimes du montage, puisque là où s’affirme le plus grand désir de fluidité se dénonce aussi la plus grande nécessité de dislocation et, inversement, là où l’on croit voir dans le montage un geste de brutale transition, celui-ci se découvre raccord, suture, relance narrative. Mais pour autant, si les divers effets de montage éclairent le fonctionnement et même la nature du cinéma, cela relève-t-il d’abord de l’activité des cinéastes, c’est-à-dire d’une certaine forme de savoir-faire ou de conscience artistique du matériau, ou bien des puissances du dispositif en tant que tel ? Les propriétés heuristiques du montage sont-elles déjà contenues dans l’appareil, ou est-ce l’organisation, la composition des plans à l’intérieur d’un projet défini qui les découvre au fur et à mesure ? Il s’agit alors de trancher entre la révélation de puissances inscrites au patrimoine « génétique » du dispositif et l’invention constante de formes qui ne doivent qu’à la sensibilité et à l’intelligence de ses « usagers », que sont les metteurs en scène. Ici encore, la réflexion sur le terrain d’une épistémologie des fluides permet d’éclairer le problème, ou en tout cas d’échapper au relativisme qu’il semble imposer. En effet, on peut bien arguer que « tout » le montage est contenu virtuellement dans la chaîne photogrammatique, mais qu’il faut l’intention – ou la découverte inopinée – d’un cinéaste pour mettre à jour ces puissances en leur donnant forme. En ayant recours aux images de l’eau, les cinéastes (s’)aident à penser la double nature du ruban filmique : techniquement discontinu, mais visuellement homogène ; ensemble composite d’instantanés qui, non seulement produisent « du mouvement » mais déjouent ou dépassent, par le potentiel de mobilité dont ils sont affectés, le paradoxe des phases manquantes de ce mouvement, de l’« entre-images », selon l’expression consacrée. On perçoit alors mieux de ce point de vue – à défaut de savoir vraiment qui (ou ce qui) le met en œuvre – ce que peut le cinéma. Si l’on veut bien considérer le cinéma français des années 20 comme une large entreprise collective – quoique souvent inconsciente – d’exploration/appropriation des possibilités offertes par le dispositif, alors le cercle vicieux se brise et il n’y a plus lieu de questionner en ces termes la généalogie du montage, puisque le travail des cinéastes consiste précisément à retrouver l’origine du dispositif tout en s’attachant à en élargir les frontières, c’est-à-dire les usages. Il serait évidemment absurde de prétendre que les images de l’eau sont le lieu où s’effacent, comme par magie, paradoxes et contradictions. Ce qu’elles nous apprennent en revanche, si l’on prend acte de la régularité avec laquelle elles sont mobilisées à l’époque, c’est que les propriétés intrinsèques de la substance liquide mettent d’emblée les cinéastes face à ces questions. Libre à eux de voir ou non ce qu’ils pourront en tirer, et ce qu’à son tour, les transfigurant sans les transformer, les modulant sans les dénaturer, le cinéma pourrait en dire.
36Mais revenons-en aux films : un dernier effet, et non le moindre, de la réflexion sur le montage dans la France des années 20, a été celui d’une mise en mouvement généralisée, c’est-à-dire, non seulement du contenu des images, mais du corps du film en tant que tel. Le montage n’est pas seulement l’agencement cadencé de blocs mobiles (les plans), il est lui-même un type de mouvement englobant qui se compose d’accélérations, de chutes, de récurrences, de virevoltes. Il est un principe actif qui fait du film un organisme. Un film comme Nogent, eldorado du dimanche le montre de la façon la plus simple, en démarrant sur des plans vides et lents qui, avec l’arrivée des promeneurs, iront croissant – en vitesse et en brièveté – avant le progressif retour au calme des alentours de la Marne, en fin de journée. De même pour Pluie qui use quant à lui d’images récurrentes, ou en tout cas fort semblables, ayant pour fonction de mettre en place le retour régulier du même au sein de la continuité narrative, basée elle aussi sur une expansion des phénomènes visuels liés à l’eau (ill. 55, 56, 57, 58, 59).

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37Dans un registre très différent, Louis de Carbonnat ne fait pas autre chose dans son Tour de France par deux enfants en plaçant au début de chaque nouvelle séquence un cours d’eau, rivière ou cascade qui permet le retour périodique du même sous le changement des lieux parcourus et, en même temps, signifie métaphoriquement le passage de l’espace et du temps malgré l’apparente uniformité des endroits traversés par les deux frères. À propos de Nice construit littéralement la ville comme un corps dialectique, un ensemble organique dans lequel chaque élément procède d’un autre, et nourrit à son tour un pan différent de la réalité : les égouts se jettent dans la mer, qui attire les touristes dont les déchets seront nettoyés à leur tour par la frange la plus pauvre de la population. Germaine Dulac, quant à elle, élabore dans Disque 957 et Arabesques un système très élaboré de « tressage » d’images récurrentes, toutes basées sur les mouvements et les éclats lumineux de l’eau, qui font de ces deux films courts une synthèse sophistiquée des acquis de la décennie en matière d’agencement des images. Disque 957 repose sur l’emploi régulier de deux plans majeurs : le premier représente des gouttes d’eau tombant sur des feuilles ; le second, un plan d’une route bordée d’arbres sous une pluie fine dans la partie gauche du cadre et, dans la partie droite, de grosses gouttes claires tombant régulièrement, sur un fond noir. Ces deux plans reviennent tout au long du film, d’abord dans une stricte alternance, puis avec de légers décalages, Dulac intercalant entre eux d’autres plans d’eau – coulées sur une vitre, paysage plongé dans la brume, etc. Avec Arabesques, ce ne sont plus deux mais cinq plans qui reviennent de façon récurrente et rythment la progression du film tout en conférant au montage la possibilité de générer sa propre cadence. Le premier (A) représente un jet d’eau qui gicle au premier plan dans un jardin ; le second (B), un plan flou et très lumineux sur une chaussée luisante, sous l’averse ; le troisième (C), un grand jet d’eau flou, très clair, sur fond noir ; le quatrième (D) est un plan composite : la partie supérieure du cadre est occupée par un jet d’eau horizontal qui s’enroule en spirale, tandis que la partie inférieure est remplie d’une eau sombre et floue ; enfin, le cinquième (E) est un plan d’eau sombre. Au centre du cadre, venue d’un jet hors champ, de l’eau tombe et forme un cercle plus clair dont les ondes se diffusent vers les bords du cadre. Ces cinq plans ont pour caractéristique de confronter, chacun d’une façon différente, l’immobilité et le mouvement, la durée et son arrêt, à l’intérieur d’un même espace. Quant à leur organisation dans le temps, après un premier plan introductif figurant des reflets d’arbres dans l’eau, les plans A à D apparaissent les uns à la suite des autres. Après un plan d’eau encore différent, les deux premiers se répètent, puis apparaît le plan E. Suit, jusqu’à la fin du film, une succession de ces cinq plans, parfois entrecoupés d’autres, dans des configurations et des modes d’alternance toujours changeants qui incluent parfois la réversion du mouvement ou le passage du flou au net.
38Pour le spectateur contemporain, ces films peuvent paraître surannés, tant ils sont tributaires des influences, plus symbolistes que modernistes, de la cinéaste. Quel que soit le jugement porté à quatre-vingt ans de distance sur ces essais, reste néanmoins la volonté dulacienne de mettre en mouvement le film par le montage, de travailler celui-ci dans une direction autre que celle des enchaînements normés et de la progression dramatique et d’organiser enfin la progression des images pour qu’elle ne soit pas prise dans une pure successivité mais fasse par moments retour, qu’elle s’enroule sur elle-même, saute d’un motif à l’autre pour y revenir, passe de variations en ruptures, etc. Cette volonté-là ne fait aucun doute, et il est significatif qu’elle s’appuie sur un type d’images qui en constitue un support idéal. Images d’un mouvement continu et total, tant à l’intérieur du plan que dans les passages et contaminations réciproques que le montage fait subir aux formes visuelles de l’eau.
39Si l’un des espoirs des cinéastes français en cette période était bien de faire du film, par le montage, un ensemble à la fois mécanique et labile, dans son principe comme dans ses effets, alors une telle pensée des images-fluides est pleinement justifiée. Non seulement les images « concrètes » de l’eau aident les cinéastes à penser dans leur pratique le complexe d’enchaînements et de ruptures qui structure l’acte du montage, mais, à un niveau plus directement théorique, c’est bien la pensée de l’image comme support d’une fluidité essentielle qui structure également, pour une bonne part, ces recherches. Les restaurateurs de films ne s’y sont pas trompés qui, depuis une vingtaine d’années, privilégient ce type d’approche dans leurs remontages d’œuvres de la période muette. Sans doute cet idéal de fluidité relève-t-il, dans une certaine mesure, d’un fantasme historique46. Mais il reflète aussi quelque chose de l’esprit de l’époque que ce travail vise à retrouver, lorsque les indications concrètes font défaut.
40Il existe donc bien, au-delà de l’analogie musicale, un rythme du cinéma, qu’illustrent la plupart des recherches sur la nature ambiguë du dispositif – photogramme versus plan, continuité versus rupture –, le plan comme espace-temps composite et vibratoire, et les inventions syntaxiques et formelles du montage. Ayant compris – confusément mais rapidement – que le rythme était essentiellement un flux, une coulée protéiforme faite d’accents et de dépressions, les cinéastes français pouvaient s’engager dans la recherche de ce qui est la part véritablement commune à toute espèce de rythme : la sensation. Ainsi découvraient-ils par exemple que filmer un plan de vague revient à produire l’image en mouvement d’un fracas silencieux, autrement dit un type d’oxymore totalement inédit. Si la photogénie est le nom du visuel en cinéma, le rythme est celui, non du musical, mais du sensible.
Notes de bas de page
1 Paul Claudel, « Jules ou l’homme-aux-deux-cravates », Connaissance de l’Est suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant, op. cit., p. 283 : « L’eau est ainsi le regard de la terre, son appareil à regarder le temps. »
2 Riciotto Canudo, « Le septième art et son esthétique [la tâche de l’Écraniste (a)] », L’Usine aux images, op. cit., p. 77.
3 Jean Grémillon, « Propositions », op. cit., p. 77.
4 Germaine Dulac, « Le cinéma d’avant-garde », op. cit., p. 187. Elle cite en exemple, de manière significative et pour le seul cinéma français, Tour au large de Jean Grémillon, Brumes d’automne de Dimitri Kirsanoff, Pluie de Joris Ivens, Nogent, eldorado du dimanche de Marcel Carné et À propos de Nice de Jean Vigo et Boris Kaufman.
5 Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, Paris, Cerf, coll. « 7e Art », 2001, p. 156.
6 Pour un examen plus général de la question, voir Laurent Guido, L’Âge du rythme – Cinéma, musicalité et culture du corps dans les théories françaises des années 1910-1930, Lausanne, Payot Lausanne, coll. « Cinéma », 2007.
7 Victor Hugo, Le livre des tables, 1er février-30 mai 1854.
8 Voir notamment Riciotto Canudo, « Manifeste des sept arts », L’Usine aux images, op. cit., p. 161-164.
9 Émile Vuillermoz, « Devant l’écran. Lueurs », Le Temps no 21150, 4 juin 1919. Cité par Noureddine Ghali, L’Avant-garde cinématographique en France dans les années vingt, op. cit., p. 142.
10 Léon Moussinac, Naissance du cinéma, Paris, J. Povolozky, 1925, p. 76. Cité par Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, op. cit., p. 165.
11 Abel Gance, « Le cinéma, c’est la musique de la lumière », Cinéa-Ciné pour tous, 15 décembre 1923. Repris dans Un soleil dans chaque image, op. cit., p. 58-59.
12 Jean Epstein, « Rythme et montage », Écrits sur le cinéma, T. 1, op. cit., p. 121.
13 Epstein fait ici référence à l’acception littérale du terme, soit l’« écriture du mouvement ». Il est intéressant à ce propos de remarquer qu’il distingue volontairement le terme de celui de « cinéma », le premier désignant un horizon esthétique par opposition au second qui renvoie à la production courante. Usage sémantique qui n’est bien sûr pas sans rappeler celui de Robert Bresson quelques dizaines d’années plus tard.
14 Jean Epstein, « Le cinématographe dans l’archipel », op. cit., p. 203-204.
15 Cela ne signifie pas, pour autant, qu’on ne trouve pas trace d’une influence de l’eau sur d’autres compositeurs : la musique baroque s’est beaucoup saisie du motif de la tempête, et notamment Henri Purcell. Plus près de nous, Maurice Ravel, que l’on rattache généralement à l’impressionnisme musical, a écrit en 1901 une pièce pour piano intitulée Jeux d’eau et, en 1905, un des mouvements de sa pièce Miroir se nomme « Une barque sur l’océan ». Sans oublier Érik Satie bien sûr, et pour ne citer qu’eux.
16 Citons chronologiquement : « En bateau », dans la Petite suite pour quatre mains (1888-1889) ; « Nuages » et « Sirènes », premier et troisième mouvements des Nocturnes en 1897-1899 ; « Jardins sous la pluie » dans les Estampes de 1903 ; en 1904, L’Isle joyeuse ; La Mer, une de ses pièces les plus célèbres, présentée pour la première fois en 1905, avec ses trois mouvements : « De l’aube à midi sur la mer », « Jeux de vagues » et « Dialogue du vent et de la mer » ; Dans la première série des Images pour piano (1904-1905), « Reflets dans l’eau », et dans la seconde (1907), « Poissons d’or » ; en 1909-1910, le premier livre des Préludes comporte « Des pas sur la neige », des « Voiles » et le second (1910-1912) des « Brouillards », une « Cathédrale engloutie » et une « Ondine ». Parmi les mélodies : « Le jet d’eau », un des Cinq poèmes de Baudelaire (1887-1889) ; « La mer est plus belle que les cathédrales » dans les Trois mélodies d’après Verlaine (1891) et, enfin, « Le tombeau des naïades », dernier mouvement des Chansons de Bilitis de son ami Pierre Louÿs, en 1897-1898.
17 Jean-François Gautier, Claude Debussy – La musique et le mouvant, Arles, Actes Sud, coll. « Série musique », 1997, p. 96.
18 Louis Delluc, « Debussy devant l’écran », Écrits cinématographiques II, op. cit., p. 87.
19 Claude Debussy, lettre à Jacques Durand, 26 juin 1909. Reproduit dans Jean Barraqué, Debussy, édition revue et mise à jour par François Lesure, Paris, Le Seuil, coll. « Solfèges », 1964, p. 201.
20 Epstein, comme Debussy, s’est autant intéressé aux eaux vives qu’aux eaux mortes, à la mer qu’aux étangs. Mais c’est sans doute à travers leur volonté commune d’adapter la nouvelle de Poe que se cristallise le mieux, chez l’un comme chez l’autre, cette sorte de fascination pour le caractère mortifère de l’eau lorsqu’elle ne produit que des mouvements sans but, de micro mouvements au sein d’une matière opaque et jamais renouvelée, une eau lourde et chargée de matière corpusculaire. Vladimir Jankélévitch a bien mis en évidence (sur un ton extrêmement « bachelardien » d’ailleurs) cet aspect de l’esthétique debussyste, dans son ouvrage De la musique au silence II – Debussy et le mystère de l’instant, Paris, Plon, 1976, notamment p. 118-124.
21 On lui connaît des admirations pour la musique polyphonique du XIIe siècle, Rameau, Couperin, mais aussi Francis Poulenc, Honegger, Stravinsky et surtout Satie.
22 Jean Grémillon, « Construction intérieure », Cinéa-Ciné pour tous, 15 mars 1928. Reproduit dans Pierre Lherminier (éd.), L’Art du cinéma, op. cit., p. 73.
23 « Le septième art, l’art de l’écran, c’est la profondeur rendue sensible qui s’étend au-dessous de cette surface [qu’est l’histoire] : l’insaisissable musical. » Germaine Dulac, « La musique du silence » (janvier 1928), Écrits sur le cinéma, op. cit., p. 108.
24 Voir à ce sujet les notes du cinéaste sur l’opposition entre le « monde » de la locomotive et celui de la montagne, conçus comme support d’affrontement entre une « symphonie noire » et une « symphonie blanche », dans Nelly Kaplan, « Abel Gance », op. cit., p. 36.
25 Abel Gance, « Le cinéma de demain », op. cit., p. 120.
26 Ibidem.
27 Voir, sur ce registre, les trois films de cinéma « pur » que réalise Germaine Dulac à la fin des années 20 et qui constituent l’acmé – l’aporie, diront certains – des recherches dans ce domaine.
28 Jean-Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, op. cit., p. 14.
29 Sur cette double dimension de l’image cinématographique comme composé d’instantanéité et de mouvement, d’unité et de multiplicité, voir la synthèse théorique établie par André Gaudreault, « Du simple au multiple : le cinéma comme série de séries », dans Elena Dagrada (dir.), CINéMAS, vol. 13, no 1-2, « Limite(s) du montage », automne 2002, p. 33-47.
30 Henri Bergson, La pensée et le mouvant, Paris, Presses universitaires de France, 1934 (réed. 1998).
31 Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1941, p. 315.
32 Jusqu’au grain de l’image lui-même qui, lorsqu’il se donne à voir, introduit dans les vues les plus immobiles un perpetuum mobile.
33 Henri Bergson, L’Évolution créatrice, op. cit., p. 343.
34 Jean-Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, op. cit., p. 14.
35 Jean Epstein, « Alcool et cinéma – Logique du fluide », Écrits sur le cinéma, T. 2, op. cit., p. 211-212.
36 Germaine Dulac, « Visualisation », La Rumeur, 29 novembre 1927. Repris dans Écrits sur le cinéma, op. cit., p. 97.
37 Vladimir Jankélévitch, Debussy et le mystère de l’instant, op. cit., p. 130.
38 Ceci explique également l’utilisation récurrente par Dulac des fonds noirs, qui fonctionnent en un double sens : abstraire les images de l’eau du contexte de la représentation, et exposer leurs mouvements de façon proprement spectaculaire.
39 Jean Epstein, « Esprit de cinéma », op. cit., p. 22.
40 Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves, op. cit., p. 181.
41 Léon Moussinac, « Le rôle des images dans le temps », Naissance du cinéma, op. cit. Repris dans Pierre Lherminier (éd.), L’Art du cinéma, op. cit., p. 187.
42 Jean-Michel Bouhours, « Le witz du cinéma blitz », dans Rose Lowder et Alain-Alcide Sudre (dir.), L’image en mouvement – 25 ans d’activité pour la défense du cinéma comme art visuel, Avignon, Archives du Film Expérimental d’Avignon, 2002, p. 52.
43 Dans une étude plus générale, Roland Barthes relève également cette idée à propos de la notion de causalité qui structure tout fait-divers : « On constate que la cause est partout : en cela le fait-divers nous dit que l’homme est toujours relié à autre chose, que la nature est pleine d’échos, de rapports et de mouvements. » Roland Barthes, « Structure du fait divers », Essais critiques, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1964, p. 200.
44 La toute fin du film repose sur un principe identique, mêlant des cartes de différents pays européens, entrecoupées de plans courts de nuages, de vagues, d’eau miroitante et d’écume. De plus, Gance avait initialement combiné, pour cette séquence de la « double tempête », le procédé de triple écran qu’il avait mis au point pour Napoléon avec une série de surimpressions multiples. Cela aurait été l’occasion d’observer ces passages, circulations et cadences des images de l’eau dans un dispositif qui vise à déployer les images, simultanément, dans le temps et l’espace mais, malheureusement, dans la copie sur laquelle j’ai travaillé, cette scène n’est traitée que sur un seul écran.
45 Dans un entretien publié à l’occasion de la sortie de L’Hirondelle et la Mésange, dont il avait effectué le remontage entre 1982 et 1984, Henri Colpi déclarait être, comme Antoine, fasciné par l’eau, qui lui avait inspiré « une fluidité des raccords ». Pour lui, il n’était d’ailleurs « pas question de faire autrement parce que de toute manière, il n’y avait pas de plans de coupe ». Philippe Le Guay, « Entretien avec Henri Colpi », Cinématographe no 99, avril 1984, p. 66.
46 Dominique Païni livre un examen critique de cette tendance dans son ouvrage Le temps exposé – Le cinéma de la salle au musée, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Essais », 2002, p. 89.
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