À l’épreuve des images : statut et fonctions du motif aquatique
p. 99-100
Texte intégral
1Les grands lieux de l’imaginaire aquatique constituent un ensemble de figures qui aident à envisager le cinéma français d’après-guerre, simultanément, comme un vecteur de connaissance du territoire, un véhicule de valeurs nationales et un moyen inédit de penser la question du paysage. En ce sens, on peut estimer que les représentations, les lieux ou les genres envisagés jusqu’ici relèvent essentiellement d’une thématique de l’eau, élaborée tout au long des années 20 par les cinéastes français. Mais si l’on définit le thème, à la suite des travaux d’Erwin Panofsky, comme l’état de culture de l’image, alors qu’en est-il de son envers, le motif, qui en constituerait l’état de nature1 ? Si les thèmes de la péniche, du phare, du port, de la montagne, etc., nécessitent toujours d’être construits par les films à travers, notamment, l’élaboration d’un récit, le motif quant à lui « correspond à un acquis, ce qui en [l’image] s’avère immédiatement identifiable, constatable, nommable2 ».
2Le motif aquatique revêt des aspects plastiques divers (pluie, brume, vague, embrun, giclure, nuage, courant, tourbillon…), qui le rendent sans doute moins perméable aux déterminations symboliques nourrissant l’imaginaire du paysage français dans l’après-guerre. Mais surtout, à l’envisager comme un élément avant tout visuel, il permet de reparcourir un certain nombre d’oppositions assez tranchées dans les débats de l’époque, en faisant office pour ainsi dire de médiateur entre les fonctions de l’eau comme décor ou comme personnage, la saisie documentaire et la construction fictionnelle, les tournages en extérieurs et en studio ou, enfin, le texte et l’image, dans le cas particulier qu’est celui des intertitres. Plus largement, on pourra se demander à quel titre l’élément figure dans la querelle entre l’« avant-garde » et les cinéastes « commerciaux », et nous renseigne ainsi sur cet antagonisme sans doute un peu commode.
3Le travail des cinéastes sur le motif aquatique passe en outre par une recherche du « visuel » cinématographique comme principe fondateur et critère d’évaluation esthétique des films à l’époque. En multipliant les approches, les expériences sur les formes de l’eau, les cinéastes français ne cèdent pas uniquement à la tentation de filmer un élément au fort potentiel photogénique : ils explorent en même temps des états de l’image qui sont autant de seuils pour la représentation. On en trouve un exemple privilégié dans les investigations formelles portant sur les relations de l’eau et de la lumière, qui font se rencontrer notamment les notions d’opacité et de transparence, de surface et de fond. À travers ce travail sur le motif, les films nous amènent en fin de compte à nous demander s’il existe un type de regard spécifique à ce moment de l’histoire du cinéma, et dont l’eau serait, plus que la métaphore – même vive : le mode opératoire.
Notes de bas de page
1 Voir Erwin Panofsky, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1967, p. 17-22. Ainsi que, sur un registre plus spécifiquement cinématographique, Emmanuelle André, Esthétique du motif, Paris, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Esthétiques hors-cadre », 2007.
2 Nicole Brenez, Traitement du Lumpenprolétariat par le cinéma d’avant-garde, Paris, Séguier Archimbaud, coll. « Carré ciné », 2006, p. 14.
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