Chapitre II. Les hauts lieux de l’imaginaire aquatique (essai de cartographie)
p. 45-79
Texte intégral
1Si la multiplication des images de l’eau, de la fin de la guerre à l’arrivée du parlant, est à la fois l’agent et le symptôme d’une « réinvention » du territoire et des modes de production, il ne faut pas oublier non plus que l’élément fût un incroyable pourvoyeur d’imaginaire. Au-delà des « genres » plus ou moins institués et codifiés du film aquatique qui apparaissent à cette époque, le cinéma français a aussi donné corps à de grandes figures de l’imaginaire du début du XXe siècle : la rivière, le port, le rivage ou l’île sont autant de lieux qu’il faut entendre non seulement dans leur acception topographique, comme des motifs récurrents que le regard arpente et interroge, mais également comme emblèmes d’un désir d’évasion, d’un « exotisme » que la fiction attise et que le documentaire restitue sous une forme aiguisée. C’est ainsi par exemple qu’un motif aussi anodin que le jet d’eau devient lui-même, dans les années 20, matière à rêver les mariages de l’eau et de la lumière ou la suspension du temps, tout comme d’autres images, plus éprouvées en apparence, questionnent de façon singulière la mobilité du regard, l’indécision des frontières, les voyages immobiles.
Le cours d’eau, ou la main-courante
« On comprendra que le mot rivière est le plus français de tous les mots. C’est un mot qui est fait avec l’image visuelle de la rive immobile et qui cependant n’en finit pas de couler1… »
2Depuis bien longtemps, et jusqu’à la fin des années 30 au moins, les cours d’eau – fleuves, canaux, ruisseaux, rivières – forment le réseau sanguin du territoire français, voire son système nerveux. C’est par voie fluviale que transite l’essentiel des marchandises ou des matières premières, que des péniches transportent d’une ville à l’autre à travers le pays, souvent même à travers l’Europe. Le long de ces eaux intérieures voyagent aussi les hommes, lorsque le travail les y porte. La France de 1920 compte encore dans ses rangs nombre de journaliers, ouvriers agricoles ou simples vagabonds, qui cherchent le long des rives de la Seine ou du Rhône l’occasion d’une besogne de quelques jours ou d’une rapine improvisée. Enfin c’est au bord des rivières, de l’Oise ou de la Marne, de la Saône ou de l’Ardèche, que de nombreuses familles de la petite bourgeoisie viennent, depuis le milieu du XIXe siècle, goûter les plaisirs rafraîchissants de paysages sublimés par les peintres qu’ils admirent, souvent sans bien les comprendre. Il était donc assez logique que tout ce petit monde vienne à trouver son image dans les romances du cinématographe. À ceux qui ne pouvaient s’offrir le luxe d’une telle villégiature ou qui n’avaient la nécessité d’entreprendre un tel voyage, le cinéma apportait l’image d’un pays aux facettes multiples.
3Singulier confluent d’un désir où se côtoient pittoresque, principe de réalité – le travail – et, pour un temps, l’inventaire in extenso des ravages de la guerre, le cinéma devient au long de la décennie le véhicule privilégié d’une autre forme de savoir sur le territoire. De trace documentaire, d’image de la France « intérieure », les films se muent peu à peu en transporteurs d’imaginaire : tout en participant à l’extension d’une culture visuelle de masse et à une forme de glorification de la nature pour un public essentiellement citadin, la fiction fluviale donne en même temps à voir « de petits bouts de voyage2 » qui prennent l’allure d’itinéraires métaphysiques, de récits d’initiation à caractère onirique. C’est le cas d’un certain nombre de films tournés au cours de la décennie qui, chacun à leur manière, font de l’argument narratif ou géographique le prétexte à une rêverie autour de l’idée même de voyage. Réalisés dans des contextes très différents, ils ont en commun de déborder largement leur cadre générique pour tracer une carte qui est déjà davantage celle des puissances de l’image que du territoire qu’ils arpentent pour les besoins du récit.
4La première vertu de ces œuvres est d’être littéralement imprégnées de l’idée du voyage. L’Hirondelle et la Mésange, par exemple, est l’un des rares films de l’époque à avoir bénéficié de repérages, faisant du tournage une forme de recommencement de cet itinéraire au cours duquel Gustave Grillet3 guidait Antoine sur les traces de son propre scénario. À travers la Flandre, la Belgique, et jusqu’au nord de la France, c’est donc à une fiction-travelogue qu’invite le cinéaste, qui saisit au passage l’image d’une Europe encore marquée par les séquelles de la guerre. La majorité des plans est tournée depuis le pont de l’une ou l’autre des péniches, et le travelling s’impose logiquement comme figure privilégiée de la description des lieux traversés : travellings avant qui découvrent l’étendue des canaux, travellings arrière sur les remous que laissent les embarcations dans leur sillage (ill. 3), travellings latéraux enfin, pour filmer les berges calmes, les haleurs qui les arpentent ou les maisons souvent détruites. De temps à autres, mais plus rarement, le point de vue s’inverse, c’est du bord que le réel regarde passer la fiction, mais le mouvement reste le même, fluide, silencieux, régulier.
5Trois ans après Antoine, Jean Epstein tourne La Belle Nivernaise qui, sans rien devoir à L’Hirondelle et la Mésange4, partage pourtant avec lui un certain nombre de thèmes qui sont autant de coïncidences généalogiques troublantes. Si le film d’Epstein se dégage davantage du carcan de la péniche comme lieu unique (dans la seconde moitié du film), celle-ci reste néanmoins le lieu privilégié de La Belle Nivernaise, site de la fiction et surtout de la vision puisque, comme chez Antoine, c’est aussi depuis le pont que se distribue l’organisation des points de vue, à valeur, là encore, essentiellement descriptive. Pour Epstein, la description est une notion fondamentale pour la compréhension des puissances du cinéma ; et ce qui était, dans L’Hirondelle et la Mésange, de l’ordre du recensement scrupuleux des lieux traversés, devient chez lui pratique aiguë du regard et interrogation du mouvement par l’enregistrement de ses formes. Ainsi le cinéaste ne se contente-t-il pas de déclarer que « pour [lui] le plus grand acteur […] qu[’il] ai[t] connu […] est la Seine de Paris à Rouen5 », mais il affirme aussi que « le mouvement […] constitue justement la première qualité esthétique des images à l’écran6 ». Dès lors, quel meilleur moyen de mettre en valeur ce mouvement que d’offrir au regard un point de vue sans cesse changeant, ce que lui apporte précisément l’œil-péniche de La Belle Nivernaise ?
6Ce point de vue flottant, caractéristique des excursions sur les péniches du cinéma français, s’accommode aussi fort bien de la topographie urbaine. En 1928, dans ses Études sur Paris, André Sauvage accomplit une longue et éblouissante promenade dans la capitale et ses alentours. La très grande majorité du parcours s’y fait au fil de l’eau7, la caméra se posant tour à tour sur les berges et à bord des différents bateaux qui arpentent le réseau des canaux et de la Seine émaillant la ville. Les images sont plastiquement superbes et le montage, rempli d’inventions élégantes. Mais ce qui retient surtout l’attention est la question du point de vue, posée ici avec une extrême insistance. Le regard porté par Sauvage sur Paris semble pris dans un mouvement constant, un perpétuel désir de voir (autant que de montrer) qui donne l’impression que, sans cesse, la ville se dérobe. « C’est la scène entière qui se déplace devant le réel qui s’efface et se renouvelle au fil des courants paisibles8 », faisant « de ces Études un des points de vue mobiles sublimes depuis un fleuve. Sublime, c’est-à-dire donner simultanément le sentiment de tout voir et démontrer l’impossible point de vue que cela suppose9 », puisque le regard ne cesse de varier, de sauter d’un lieu à un autre – de la berge à la péniche, de la péniche aux écluses, etc. – tout en restant dans une économie extrêmement fluide que nourrissent les mouvements d’appareil, le balancement de la caméra « embarquée » et la légèreté du montage qui fait alterner les sites de la vision sans jamais les désaccorder ni altérer le mouvement général de l’œuvre. Études sur Paris fait ainsi du glissement sur l’eau son mode opératoire, répondant à la question qui travaille toute représentation urbaine : comment donner une image juste de la multiplicité, de la diversité, de la vitesse d’une grande ville, sans verser dans une agitation peut-être vaine. Il y faut, précisément, la stabilité dans le temps – celui de la contemplation – et la mobilité dans l’espace que conjugue le voyage fluvial. Filmer Paris, pour Sauvage, que ce soit sur ou au bord de l’eau, c’est donc se donner l’occasion, par les moyens du cinéma, d’être à la fois l’acteur mobile et le spectateur fasciné de son propre voyage.
7Si la primauté du travelling comme principe structurant de ces films permet d’interroger efficacement la notion de point de vue, elle atteint également la relation des personnages au décor, qui devient à la fois leur mode d’existence dans le récit et le signe, pour le spectateur, d’une intimité entre le fond et les figures qui le peuplent. Ainsi dans L’Hirondelle et la Mésange, Marthe, la fille du batelier Van Groot, est souvent filmée en train de regarder l’eau d’un air absent, prise toute entière dans une relation au canal qui relève littéralement de l’absorption (ill. 4).

Illustration 3

Illustration 4
8Ce rapport de la jeune fille au défilement de l’eau est à la fois d’ordre narratif – il définit un tempérament qui sera exploité dans le récit, à des fins pernicieuses, par le batelier Michel – et strictement visuel : il fait passer dans le personnage, via le partage de l’eau et du corps dans le cadre, cette puissance d’engloutissement propre à l’eau vive, que le spectateur connaît, sinon d’expérience, du moins par intuition. Cette absorption des personnages et du regard dans le défilement continu de l’eau esquisse dans le film d’Antoine le projet d’une traversée des apparences, consubstantielle à ce type de cinéma, qui déborde le cadre géographique pour ouvrir à des voyages plus intériorisés. Un rapport fasciné à l’écoulement que l’on trouve également dans deux séquences symétriques de Maldone, le premier long métrage de Jean Grémillon. Le personnage principal, interprété par Charles Dullin, n’y est pas batelier mais haleur : il tire les péniches le long du canal de Briare, qui assure la jonction entre la Loire et le Loing. Il participe aux mouvements des bateaux, mais en restant sur la berge, en marge. C’est d’abord le spectacle des eaux et du glissement silencieux sur le canal qui le transporte, ce que retranscrit fort bien Grémillon au début du film par une série de surimpressions de l’eau sur le visage épanoui de Maldone, qui le parent littéralement d’une pluie de lumière. Après être revenu à son ancienne vie et avoir constaté la faillite des richesses « réelles », il repart sans se retourner vers son existence d’homme simple et retrouve, dans les tout derniers plans, la beauté des eaux et de la lumière qui en faisaient le prix : comme au début du film, le cinéaste filme son personnage en surimpression avec les reflets des arbres dans l’eau. Le corps du protagoniste disparaît peu à peu et c’est, in fine, le reflet qui l’emporte et sur lequel se clôt Maldone. Plus encore que chez Antoine, le voyage est ici intériorisé et frontalement rapporté aux images de l’eau. Sans participer directement au trajet des péniches, Maldone en est pourtant partie prenante, et ce qui lui manque après son retour au domaine familial, c’est précisément cette proximité avec le canal, cette intimité qui lui est restituée, à la fin, par des images mentales. Grémillon accomplit donc ici, et à la lettre, le programme idéal du film « impressionniste » : les images de l’eau sont vécues comme des impressions qui fondent en (dé) raison la nature même du personnage.
9Ce que vise le film fluvial, c’est aussi, et peut-être avant tout, un travail sur le mouvement en tant que tel, sur l’instabilité des formes lorsqu’elles sont affectées d’un mouvement. Que ce mouvement soit agi ou subi importe peu, le principal étant de saisir ceci : « Le cinématographe nous montre que la forme n’est que l’état précaire d’une mobilité fondamentale et que, le mouvement étant universel et variablement variable, toute forme est inconstante, inconsistante, fluide10. » On comprend alors que le défilement de l’eau autour des péniches, sa capacité de sidération et de transport, soient les instruments privilégiés de certains cinéastes pour dire ce qui relève d’une labilité essentielle des formes cinématographiques. Comme l’écrit Jean Renoir : « Il y a dans le mouvement du film un côté inéluctable qui l’apparente au courant des ruisseaux, au déroulement des fleuves. Ça, c’est l’explication maladroite d’une sensation. En réalité les liens qui unissent le cinéma et la rivière sont plus subtils et plus forts parce qu’inexplicables11. » Lorsqu’il écrit ces lignes, le cinéaste s’acquitte d’une dette esthétique envers un élément qui parcourt tout son œuvre et dont il dit qu’il l’« influença dans [sa] formation d’auteur de film12 ». On trouve cette présence de l’eau chez Renoir dès 1924, dans La Fille de l’eau, qui est aussi sa première réalisation. Comme pour beaucoup de cinéastes qui se réclamaient alors de l’avant-garde, l’histoire n’avait à l’époque aucune importance pour Renoir, dont l’intérêt se portait uniquement sur les qualités plastiques du film et sur la sublimation du visage de sa compagne Catherine Hessling. Pourtant c’est sur une péniche que commence La Fille de l’eau, et au bord d’une rivière entourée d’étangs qu’il se poursuit. Gudule, le personnage interprété par Catherine Hessling, coule des jours paisibles le long du Loing, sur la péniche de son père. Lorsque celui-ci décède par noyade, et pour échapper aux desseins très peu chrétiens de son oncle, elle se voit forcer de redescendre, littéralement, sur terre. Aux eaux vives de la rivière succèdent alors celles, stagnantes et troubles, des marécages qui jouxtent le Loing et dans lesquelles la jeune fille se retrouve comme embourbée.
10Même si Renoir ne voit rétrospectivement dans La Fille de l’eau « qu’un prétexte à des plans présentant une valeur purement visuelle13 », ce film porte déjà en lui la marque d’une adéquation troublante entre le récit, les thèmes qu’il véhicule et les moyens mis en œuvre pour le développer. En d’autres termes, bien que Renoir semble jeter un regard un peu distant sur son premier film, on y trouve plus qu’un « goût » de l’eau : un motif à la fois plastique et thématique irriguant, si j’ose dire, la mise en scène qui se manifeste par un « découpage […] très continu, le plus souvent d’une seule coulée, utilisant la mobilité de la caméra en des mouvements d’appareil souples, fluides, sinueux, évoquant tout à fait, suivant leur amplitude, le débit capricieux d’un ruisseau ou le cours majestueux d’un fleuve14 ». Cette remarque concerne l’ensemble de l’œuvre renoirien, mais il est clair que La Fille de l’eau a, de ce point de vue, valeur de programme : les travellings fluides et lents du début contrastent avec les plans fixes dans lesquels Gudule semble se débattre ensuite au bord des étangs, notamment lors de ses excursions braconnières en compagnie du Furet. Le voyage en péniche figure alors, rétrospectivement, une image du bonheur qu’il faudra tout le film pour reconquérir, après que l’oncle aura été emporté au loin par la rivière. On voit ainsi à quel point la mise en scène de Renoir se fonde dès son premier opus sur la compréhension – ou l’intuition – d’un rapport à trouver entre l’objet et la manière dont la caméra se pose sur celui-ci. « Les travellings aquatiques, par lesquels débute le film, rendent physiquement sensible la présence visuelle de l’eau en procurant la sensation matérielle de l’écoulement15 », et pour cela il faut un point de vue mobile, que fournit à Renoir la présence de la péniche. La descente à terre vient casser ce sentiment d’apesanteur lié au mouvement et les eaux, quand elles apparaissent ensuite dans la fiction, sont des eaux mortes. La suite de l’œuvre de Renoir le confirme, mais là n’est pas le propos : La Fille de l’eau, « repoussée à l’unanimité par les représentants de la profession cinématographique16 » à l’époque, démontre la constance et l’importance de l’élément dans son travail, non seulement du point de vue thématique mais aussi comme image même du « faire » renoirien. Non une méthode, mais plutôt un cadre de pensée. « D’où vient que sa mise en scène soit si souvent une caresse. En tous cas toujours un regard17. »
11En 1925, Henri Chomette se livre à un exercice très différent avec Jeux des reflets et de la vitesse, même si à cette époque les buts qu’il poursuit ne sont finalement pas si éloignés de ceux de Renoir. Chomette s’intéresse lui aussi aux propriétés strictement visuelles du cinéma, mais là où le fils de l’illustre peintre conserve le prétexte d’un scénario, fût-ce à contrecœur, le frère de René Clair -52 - Les territoires du cinéma… quant à lui ne s’en embarrasse pas, estimant que « le cinéma ne se limite pas au mode représentatif18 » et que le « septième art » n’a que faire, en substance, d’une telle béquille. Jeux des reflets et de la vitesse est une virée frénétique et hallucinée dans Paris, empruntant tour à tour la Seine, les canaux et les rails du métro. L’un de ses intérêts réside dans le traitement que le cinéaste fait subir à ce motif du voyage sur l’eau dont on a rencontré jusqu’à présent des aspects nettement plus paisibles. Le film débute par un travelling avant en accéléré sous un tunnel, d’où la caméra débouche pour arriver sur la Seine, le tout entrecoupé de très gros plans sur une eau bouillonnante d’écume. Suivent pêle-mêle : une série de raccords dans l’axe sur le fleuve, toujours en travelling avant, des plans de nuages gris, des cadrages obliques et mouvants sur l’eau et la tour Eiffel, des plans filmés « à l’envers » sur une écluse, des surimpressions de la Seine et du métro. Aux ambitions théoriques de Chomette correspond ici une vision plus urbaine, plus rapide du voyage fluvial. Pas de contemplation des berges, ni de lents mouvements descriptifs. L’enjeu est la découverte de l’abstraction sous le réel, et la libération des puissances expressives de l’image. Pourtant, l’absence de scénario véritable dans Jeux des reflets et de la vitesse ne signifie pas que le film soit dépourvu de construction. Au contraire, c’est cette apparence d’éparpillement qui lui confère sa structure, et le contenu des images comme les procédés de filmage et de montage sont le reflet direct de l’architecture d’ensemble du film, l’un et l’autre se répondant par contamination réciproque. Il y a bien, là encore, l’idée que la rivière, le canal, le fleuve sont des cadres privilégiés du voyage cinématographique, des supports idéaux pour l’imaginaire. À la différence que chez Chomette, le voyage emprunte ses qualités à la ville dont il se fait le témoin, comme d’autres cinéastes empruntent les siennes à la campagne (Antoine, Epstein) ou font reposer leur vision sur d’autres prémisses (Grémillon, Sauvage). Jeux des reflets et de la vitesse, en accord à la fois avec son sujet et son projet, est donc endiablé, virevoltant, épileptique et oblique.
12Les films de fleuve ou de rivière démontrent, fondamentalement, que « la machine cinéma ne reproduit pas le mouvement, elle ne le simule pas non plus : elle en rappelle l’existence partout où se pose la caméra19 ». Le travail de ces cinéastes (et d’autres) cristallise donc, de diverses façons, un faisceau de questions autant qu’il mobilise un réseau d’images. Ces images, ce sont d’abord celles que la France se donne d’elle-même au long de la décennie, et si l’on s’intéresse ici en premier lieu à l’imaginaire de l’eau et aux interrogations qu’il suscite quant à l’évolution des formes filmiques, on ne saurait perdre de vue le fait que chacun de ces cinéastes, tout préoccupé qu’il soit par des problèmes de mise en scène, évolue dans un contexte où la reconnaissance des lieux et des pratiques joue un rôle essentiel. Ce qui reste vrai, même pour Chomette ou Epstein – l’avant-garde a elle aussi « son » public, « ses » codes – l’est alors d’autant plus pour Antoine et Sauvage via la confrontation directe avec le réel, et pour Renoir et Grémillon, qui trouvent dans le mouvement des péniches, en tournant leur premier long métrage20, une « main-courante narrative21 » qui féconde l’œuvre à venir. De ce point de vue le canal, le fleuve sont bien des « chemin[s] qui marche[nt]22 », et que le cinéma français arpente en tous sens pour y construire son identité. Aux extrémités de ces chemins, il y a la mer : le terme et le commencement du voyage.
Le port, ou l’imaginaire du voyage
« Ils s’en vont, par la grande route de l’eau, mendier une patrie23. »
13À pied ou en bateau, quel que soit le côté par lequel on l’aborde, il y a toujours un port pour permettre l’embarquement, signifier l’arrivée ou le retour. Cité-tampon, plaque tournante, figure du cosmopolitisme et du recommencement, le port cristallise les désirs de voyage et d’évasion. La taille, la notoriété de la ville importent peu, et s’il est évident que certains lieux répondent plus que d’autres aux canons de l’imagerie portuaire, l’essentiel reste la valeur de sas, de frontière indécise que le regard du spectateur accorde à ces espaces qui semblent toujours hésiter entre terre et mer. Certains cinéastes, bien avant Pagnol, font de cette hésitation le sujet même de leurs films, l’inscrivant non seulement dans les personnages, mais jusque dans les images. D’autres lient le départ en mer au souvenir, faisant de ceux qui restent à terre, et de la ville ou du village euxmêmes, les dépositaires de cette mémoire. Enfin, d’autres encore décident, dans un contexte économique et politique troublé, de souligner la contradiction qui imprègne les grands ports, pris entre l’imagerie romantique et la réalité d’un lieu qui rend douloureux le regard spectateur – pour ceux qui restent –, comme est douloureuse l’arrivée de ceux qui affluent vers une « terre d’accueil » qui tient rarement ses promesses.
14« Le ressort dramatique que constitue le départ imposé du foyer [est] une spécificité de ces mélodrames situés en Bretagne24 » qui commencent à apparaître sur les écrans dans le courant des années 10, et qui donnent jusqu’à la fin du muet quelques très beaux films. Tourné en 1924 dans la baie de Paimpol, Pêcheur d’Islande en est un bon exemple puisque cette adaptation du roman homonyme de Pierre Loti fait du rapport terre-mer, et du port comme lieu d’ancrage ou de départ, son principal motif de questionnement. L’intrigue en est très simple : le marin Yann Gaos ne peut répondre à l’amour de la jeune Gaud, parce qu’il s’est « promis » à la mer. Il finit tout de même par l’épouser, entre deux campagnes de pêche, mais la mer se venge et l’emporte lorsqu’il décide de repartir.
15L’intérêt de Pêcheur d’Islande, étant donné la minceur des événements qui y sont relatés, réside dans la façon dont le film problématise son lieu, davantage que son sujet. L’enjeu pour Baroncelli était en effet de susciter l’image d’une mer jalouse, radicalement étrangère à la terre et pourvue de ses lois propres. Il met pour cela à son service la rhétorique du montage et joue d’oppositions lumineuses fortes – contraste entre une côte sombre et une mer trop claire, d’un blanc agressif – afin de marquer entre les deux éléments une césure rédhibitoire. Dans ces conditions, le port de Paimpol ne fait pas office de passage, de liaison, mais se trouve écrasé au contraire entre deux forces qui se disputent ses habitants. Et c’est là le premier aspect important du film : les ressources du cinéma y sont employées pour caractériser les éléments, ni mieux ni moins bien que dans le roman de Loti, mais de façon tout à fait singulière. Au cours d’une des premières conversations entre Yann et Gaud, Baroncelli intercale des plans de brisants et de nuages, qui signalent la première manifestation de la mer en réaction au comportement des personnages. Puis, au soir du mariage des jeunes gens, l’orage se lève et la mer s’agite, autant de turbulences démontrées par des plans de coupe intervenant de façon assez irrationnelle. Et lorsque, après la noce, Gaud ferme derrière eux la porte de la maison, c’est aussi pour occulter le plan précédent, qui figurait des vagues se fracassant contre des rochers, comme si la mer avait voulu faire irruption au sein du foyer des jeunes époux. Baroncelli fait donc reposer sur le montage la singularité de son adaptation et perturbe la cohérence spatiale du récit en provoquant l’irruption de l’eau au cœur de la relation « terrienne » de Gaud et Yann. Mais plus généralement, l’ensemble du régime de fonctionnement des images diffère, dans ce film, selon le lieu où l’on se trouve : alors que les scènes en mer reposent souvent sur l’emploi de la surimpression, forme « fluide » par excellence25, les scènes situées à Paimpol fonctionnent de façon plus traditionnelle, ce qui n’est pas sans intérêt puisque le montage « sec » donne justement aux plans de mer toute leur puissance d’irruption et d’hétérogénéité.
16Le port ne constitue pas un véritable refuge pour le marin, mais il incarne en revanche, en l’absence de celui-ci et pour celle qui l’attend, le lieu où sédimente et prolifère la mémoire. Si l’on en croit Baroncelli lui-même, « cette Bretagne côtière est la terre des départs. C’est donc la terre du souvenir. Pensée de ceux qui sont restés au port, pensée de ceux qui sont au loin sur les mers26 ». Ici en l’occurrence, Gaud, restée à terre, invoque le souvenir de son homme, et non l’inverse : le port devient ainsi le lieu dépositaire de cette mémoire. Et c’est seulement lorsque la jeune femme vient éprouver sa patience face à la mer que le processus se met en branle, l’eau faisant office de machine de remémoration puisque des surimpressions font ressurgir les images des conversations passées. Pêcheur d’Islande offre ainsi une première image des fonctions du port tel que l’envisage le cinéma français des années 20. Image d’un îlot de recognition entre terre et mer et recours toujours provisoire pour les amants, tant il est vrai qu’il ne semble appartenir ni à l’un, ni à l’autre des éléments. Pour Baroncelli, il est une mémoire écartelée.
17Cette ambiguïté du port qui focalise encore, dans le premier quart du XXe siècle, l’opposition proverbiale entre le marin et le terrien, on la rencontre également, sous une forme légèrement différente et, en un sens, symétrique, dans L’Homme du large de Marcel L’Herbier, autre grand film « breton » des années 20. Ici la tension ne provient pas du tourment intérieur d’un personnage mais du conflit de deux hommes : l’un consacre sa vie à la mer tandis que l’autre refuse obstinément de le suivre sur cette voie. Tiré d’une nouvelle de Balzac, Un drame au bord de la mer, L’Homme du large se penche sur la relation de Nolff, un pêcheur voué corps et âme à son métier, et de son fils, Michel, que l’océan rebute, irrémédiablement attiré par les lumières de la ville. Nolff, qui voit dans la « déchéance » de son fils l’œuvre généralement corruptrice de la terre, l’attache dans une barque et l’envoie mourir sur l’océan. Devenu ermite, et rongé de remords, il trouve finalement la rédemption et retourne vivre parmi les siens. Dans le film de L’Herbier, le port est différent de cet entre-deux qu’il figure chez Baroncelli. C’est une ville qui ouvre, non plus seulement sur la mer séculaire, mais aussi sur la terre, autrement dit sur une possible modernité. Si « les deux personnages principaux, le père et le fils, sont au long du drame en relation directe et constante avec la mer27 », ce rapport à la mare nostrum tire en quelque sorte dans deux directions opposées puisque le père est dans la ville « basse », auprès des bateaux, les yeux rivés sur l’eau, tandis que le fils voit dans le port l’image d’une ville qui est comme un sésame pour d’autres cités, plus peuplées et plus grandes. Il regarde déjà vers l’intérieur des terres. Cette opposition entre les deux éléments qui fait du port, simultanément, un lieu d’attraction et de répulsion, un espace déchiré, est mise en valeur et exploitée par L’Herbier de différentes manières. Le cinéaste use notamment de la plasticité de l’eau en termes de montage pour susciter, comme chez Baroncelli, des phénomènes de surgissement : lors de la dispute entre Michel et sa sœur, venue le chercher dans le « bouge » du port pour l’emmener au chevet de leur mère, L’Herbier intercale un très court insert d’une fleur flottant dans une flaque, premier rappel de la présence de l’eau qui sera prolongé lors de leur seconde dispute, pour des questions d’argent. Cette fois des plans d’une mer furieuse se glissent dans la conversation des deux jeunes gens, comme pour signifier que dans ce qui se joue ici, la mer ne se contente pas d’un rôle de figuration. Et si l’arsenal symbolique qui est déployé peut aujourd’hui prêter à sourire, cette irruption de l’eau à travers le montage reste pertinente dans la mesure où, du point de vue du travail des images, elle accomplit sa fonction qui est d’exacerber les sentiments autant que de les désigner.
18Sur un autre registre, l’emploi des teintages utilisés dans le film, et expressément voulus comme tels par L’Herbier28, désigne là encore des oppositions très nettes. Suivant les codifications en vigueur à l’époque, les plans de mer sont bleus, les intérieurs jaune-orangé, etc. Plus surprenante est la coloration en rouge très vif de toute la scène du « bouge », couleur rarement usitée et qui a l’intérêt de caractériser le lieu comme image même de la décadence « terrienne ». Le rouge, par extension, vaut donc – dans l’esprit de Nolffen tout cas – pour la ville toute entière, désignée d’emblée comme le lieu de la violence et du stupre. Associé au bleu profond de la mer, le contraste n’en ressort que davantage. Mais tandis que la mer est perçue à travers ses attributs chromatiques essentiels, c’est l’artificialité qui s’accuse au contraire dans le rouge du « bouge », provoquant la sensation que « le film oscille […] sans cesse entre réalisme […] et stylisation29 ». On touche là à l’une des querelles les plus fréquentes à propos de L’Homme du large, dont on a dit un peu tout et son contraire : tantôt qu’il contribuait à tirer le cinéma français des années 20 vers le naturalisme, et tantôt qu’il préfigurait la sophistication des films suivants de L’Herbier, comme El Dorado (1921), L’Inhumaine (1923) ou L’Argent (1928). J’y verrais plutôt le symptôme d’une mise en présence et d’une confrontation signifiante d’éléments qui se refusent à la mixité, pointant ainsi à travers les personnages, le travail plastique et celui du montage, la contradiction qui est au centre du film, et dont il constitue la démonstration autant qu’elle en est la matière première. Chez L’Herbier, le port n’est pas un îlot hétérogène à la terre comme à la mer : il est un espace composite qui cherche à s’étendre simultanément dans des directions opposées, au risque de sa propre dissolution.
19Pôle d’attraction/répulsion, seuil et passage, point de chute et point de départ, le port figure tout cela, simultanément. En France, la ville la plus emblématique de ces contradictions, le lieu où elles se mêlent – et se résolvent – de façon quasi alchimique, est sans aucun doute Marseille, qui exprime plus que tout autre port dans les années 20 « la poésie des lointains, un “exotisme intérieur”, un pont entre deux mondes, l’Orient et l’Occident30 ». Tout un univers du déracinement et de la fatalité qu’on trouve dépeint, sous des formes différentes, dans quelques films majeurs de la décennie. Fièvre de Louis Delluc (1921) s’ouvre sur des images du Vieux-Port prises depuis un bateau qui s’avance, enserré par les quais étroits et les centaines d’autres embarcations qui y mouillent. L’arrivée sur Marseille se fait donc par la mer, en de lents travellings avant et latéraux qui suggèrent tour à tour le point de vue des marins et celui d’un observateur abstrait, qui déambulerait à cet instant le long du port. Des iris ouvrent et ferment cette série de plans et viennent renforcer l’ambiguïté qu’entretient naturellement ce goulet, entre ouverture au monde et clôture de la cité sur elle-même. Les eaux du Vieux-Port, prises entre les quais et les coques, sont filmées comme des eaux mortes, que la mer toute proche ne parvient jamais à bousculer. Elles constituent ainsi une figure transitive qui introduit les personnages dans un monde poisseux et figé, comme un piège, alors même que le milieu, l’eau, ne semble pas changer. Intéressante contradiction, dans laquelle la liberté du marin est d’emblée contredite par cela même qui lui assure en théorie sa capacité à glisser de port en port.
20Hormis cette courte série, il sera ensuite très peu question d’eau puisque toute l’action du film se situe en huis clos dans un bar enfumé. Mais cet incipit fait bien plus que planter le décor. Les plans d’exposition de Fièvre, en interrogeant par ces travellings la relativité du mouvement d’un mobile par rapport à l’eau et à la terre, en variant les angles de prise de vue pour suggérer les types de regards possibles sur un même événement, suffisent à indiquer les enjeux principaux du film, et à poser sur les personnages le sceau de la fatalité. À inscrire l’histoire à venir sous le signe de l’éphémère. À désigner le port comme lieu d’escale pour les uns, et l’impossibilité du départ pour les autres. Ils disent enfin l’importance pour Delluc d’une dramaturgie dans laquelle les personnages sont profondément affectés, voire conditionnés, par le milieu dans lequel ils évoluent. Le titre original de Fièvre était La Boue : mélange du liquide et du solide, substance mêlée31, le port est lui-même une ville de boue et, par essence, une cité bâtarde. C’est ce que montre déjà le film de Delluc avec cette courte scène d’ouverture, et ces plans lui suffisent à y engluer ses personnages.
21Tourné en 1923, la même année que La Belle Nivernaise dont il est le jumeau salin, Cœur fidèle est le premier véritable succès, artistique et commercial, de Jean Epstein. Comme dans Fièvre, c’est la question du regard qui hante ce film. Mais alors que chez Delluc l’intrigue est sèche, condensée, fruit d’une écriture délibérément réaliste, Epstein s’intéresse quant à lui à la dimension fantasmatique du port. Dans Cœur fidèle il n’y a que des velléités de départ, à l’image de « la serveuse Marie, enfant trouvée [qui] rêve d’ailleurs à la fenêtre du bar32 » où elle travaille. Les déambulations de Jean et Marie sur la jetée, et les célèbres séries de surimpressions qui les accompagnent, sont un bon exemple de la puissance d’évocation de l’eau pour ceux qui arpentent les quais ; mais l’une d’entre elles condense tout particulièrement le projet epsteinien : après l’altercation de Petit Paul et Jean dans le bar, celui-ci attend Marie sur le quai comme à leur habitude, sans savoir que, cette fois-ci, elle ne viendra pas. C’est alors son visage, convoqué par la mémoire du jeune homme, qui défile sur l’écran, de gauche à droite puis de droite à gauche, en surimpression sur une mer calme. Il glisse sur l’eau, se dédouble, et c’est ensuite le fond qui change, la mer d’huile remplacée en fondu par des vagues qui se brisent contre les rochers, avant de revenir au calme. Le visage de Marie rétrécit dans le cadre, comme noyé par l’eau qui l’environne, s’efface dans les vagues et disparaît (ill. 5, 6). Ainsi « l’eau a bien sa double action : consolante, de faire revenir l’aimée éloignée ou disparue ; morcelante, de la faire disparaître sitôt apparue33 ».
22En dépit des apparences, il y a bien dans Cœur fidèle une « sécheresse » propre au réalisme. Mais ce dépouillement, pour Epstein, demande à être dépassé afin d’atteindre à la dimension du tragique. Sans doute le port de Marseille apportet-il au cinéaste les conditions de cette sécheresse et de ce dépassement, en faisant se rencontrer la misère des bas-quartiers et le sentiment du sublime que suscite la Méditerranée toute proche. À ce mixte de sublime et de sordide qui dessine la scène de la tragédie epsteinienne, il faut ajouter un troisième élément tout aussi décisif : la présence du port lui-même, son rôle de spectateur dans ce qui se joue, et les fonctions imageantes qu’Epstein lui attribue. Dans la séquence évoquée, en effet, des images aquatiques et terrestres se mêlent, sans que rien ne permette d’inférer un régime subjectif de la vision34. En d’autres termes, c’est à la fois Jean et la mer qui « produisent » pour partie ces images surimprimées, mais aucun ne produit le « tout » de la séquence, si ce n’est le port lui-même. Plus qu’un décor, il est un « englobant » qui donne sa propre version du drame dans laquelle se mêlent les points de vue, ceux des protagonistes à terre et celui de l’eau qui recueille pour ainsi dire les affects, et les transforme en images. Ainsi, dans « le Marseille des mousquetaires de l’avant-garde […], des naufrages sentimentaux hantent les rives du Vieux-Port35 ». Et lorsque, comme chez Epstein, le drame se mue en tragédie et confine au sublime, la mer déborde, investit les rues et engloutit les corps. Le port est un aquarium du sensible.

Illustration 5

Illustration 6
23Tourné à la toute fin de la décennie, Marseille, Vieux-Port invite quant à lui à une observation à la fois plus distanciée et plus « approchée ». Ce film des contrastes et des flux interroge en effet le rapport de la ville à la mer dans sa relativité. Marseille, Vieux-Port est un documentaire stylisé, subjectif et sensible réalisé par un architecte plasticien pris du « désir de saisir, à l’aide d’un nouveau médium – et d’une petite caméra amateur – une pluralité mouvante baignée de lumière, le grand flux des corps, des eaux, des machines et des ombres36 ». La caméra du Hongrois scrute, pendant une dizaine de minutes qui sont aussi des jours, la nudité de la cité phocéenne, cette vérité mêlée de beauté radieuse et d’épouvantable misère. Le montage fait palpiter les eaux du port en plans rapprochés par une série de remous et de clapotis, indices d’une pulsation plus vaste. Les miroitements du soleil sur la mer alternent avec l’image d’autres dépôts, laissés par les déchets échoués contre les quais. À la limpidité de la grande bleue répondent les ruisseaux crasseux qui dévalent les rues et les escaliers du quartier du Panier pour se déverser, discrètement mais fatalement, au pied de la mer, tout cela concourrant à un vaste cycle qui fonde la vie du port tout en révélant la saleté qui le nourrit et prolifère sous le soleil. Le mérite essentiel de Moholy-Nagy est donc de donner à voir la ville telle que, peut-être, ses habitants la perçoivent, dans une crudité qui n’alimentera aucune tentation de carte postale. Marseille, ainsi vue, est prise dans un grand flux de mouvements, de cultures et de substances. Le cinéaste « n’hésite pas à filmer “l’infilmable”, le ciel bas, le port sous la pluie, la misère des bas-quartiers, les immondices dans les rues37 » et construit, ce faisant, une vision du port qui n’est plus uniquement fondée sur la dialectique « franche » de la terre et de la mer, du sédentarisme et du désir de fuite, du cosmopolitisme et de l’exil, mais aussi sur des rapports plus étroits qui font qu’ici, terre et mer sont intimement et irrémédiablement soudés. Comme chez Delluc, mais de façon plus brute et sans le recours à une quelconque psychologie, Moholy-Nagy fait de Marseille une plaque tournante qu’il serait devenu impossible, et impensable, de desceller.
24Un autre aspect important du film est la façon dont il rend compte de l’emprise du mouvement sur la ville. « D’un support à l’autre, d’un motif à l’autre, le monde est en effet en écho permanent pour Moholy, la “vision en mouvement” qu’il défend est avant tout vision en correspondances […]. Ces correspondances universelles lient […] l’infiniment grand à l’infiniment petit : dans Marseille, Vieux-Port, les motifs se complètent, se superposent, s’échangent à merci : le ciel déverse ses eaux, les ruisseaux des rigoles se gonflent, le vieillard laisse filer sa bave, une femme essuie une larme38. » Le montage démontre, autant qu’il montre, la cyclicité des événements, et la vérité du port dans sa double nature : microcosme, laboratoire du réel, ouvert à l’enchaînement et à la causalité ; et macrocosme, ville-monde, totalité qui embrasse ces événements pour les ramener à un principe unique et mouvant. C’est peut-être la raison pour laquelle le cinéaste choisit, en dehors du tout premier plan, de ne jamais montrer de vue d’ensemble de Marseille, bien que les panoramas possibles n’y manquent pas. C’est que « panorama » n’implique pas forcément « point de vue » : ici, les cadrages sont serrés, comme pour coller au plus près d’une réalité qui ne demande qu’à déborder le cadre, et à se diffracter par le montage. Cette affirmation de l’importance du point de vue, en tant qu’elle ouvre sur des possibles syntaxiques et plastiques qui sont la condition du geste cinématographique, trouve sans doute sa meilleure expression dans les plans du pont transbordeur qui figure symboliquement, et bien au-delà de sa valeur d’usage, la problématique phocéenne : « Est-il ouverture sur le monde ou fermeture sur la cité ? Les Escartefigue verront en lui la limite extrême de leur univers, les Marius une invite à prendre le Vieux-Port en long et à voguer vers le large39. » Pour Moholy-Nagy, la question ne se pose pas en ces termes. Lui-même exilé, et en partance pour les États-Unis, il ne songe peut-être qu’à prélever la trace d’un monde qu’il se prépare à quitter, tout en regrettant déjà son départ. Son film en atteste, malgré la saleté et la misère, ou justement à cause d’elles. À la différence de Delluc et d’Epstein pour lesquels Marseille est avant tout un support d’histoires, de situations, d’images essentiellement romanesques, l’imaginaire de Moholy-Nagy est résolument plastique. Sa perception de la cité phocéenne est pétrie de mouvement – politique et social autant que formel –, ce qui en fait la singularité. Pour le cinéaste hongrois, l’essence du port réside en partie dans sa capacité à constituer un réservoir d’émotions ou de problématiques humaines, mais aussi dans sa plasticité, que son travail sur le montage et les masses lumineuses révèle et dynamise.
25Les seuils, les entre-deux, les contrastes, sont la matière du cinéma. Ils sont aussi la matière des ports, et les histoires qui s’y nouent, outre qu’elles fournissent aux cinéastes quantités de sujets, sont le ferment à partir duquel s’élabore entre la terre, la mer, et celui qui s’y rend pour les lier dans un même cadre, une conversation féconde et toujours renouvelée. De ce point de vue, le port est une école du regard. Suspendu entre la stabilité un peu décatie du « Vieux Continent » et la mer toujours mouvante, attirante et dangereuse, il sert de lieu d’expérimentation dans la recherche des puissances d’un art dont l’impureté, l’hybridité font ici, paradoxalement, la pureté même. Qu’une image soit capable d’exprimer bien plus que ce qu’elle désigne ou représente, c’est bien l’une des prérogatives du cinéma tel que les cinéastes français des années 20 s’ingénient à le définir et à le promouvoir.
Le rivage, ou l’expérience des limites
« Quand la plage vers le soir/Est de la couleur de la mer,/
Que la mer/N’est que le prolongement de la plage,/
Quand il n’y a de sûr/Que ce gris qui n’est même pas gris,/
Ce plan horizontal et, au-dessus de lui,/Le vague hémisphère translucide,/
Il faut sortir/De cette espèce d’éternité40. »
26Que l’on arpente le port ou que l’on batte la campagne, arrivé au bout de la terre, l’eau mobilise le regard, c’est-à-dire l’affaire, l’affûte, l’affole et le fait mobile. Partout, en tous ses points, nous voudrions pouvoir la suivre. La mer impose sa présence et accapare tout l’être par la focalisation du regard. La rencontre avec l’étendue marine à perte de vue engendre le saisissement et, rapidement, suscite la rêverie. Ainsi dans les villes portuaires, le quai, la jetée représentent les formes urbaines, socialisées et protocolaires d’un rapport à l’élément liquide dont la déambulation sur la côte déserte figure, quant à elle, l’envers introspectif et radical. Dans les années 20, le cinéma permet à la population de développer un imaginaire – tantôt romanesque, tantôt plastique – du départ, de la frontière, de la perméabilité entre les éléments, qui interroge chacun dans son rapport à la fois intime et collectif à sa situation présente. À travers ce modèle de contemplation de la mer se noue un enjeu esthétique et sociologique important : comment rendre compte d’une absolue subjectivité de la vision, d’une dissolution de l’être à travers le regard porté sur un objet sans bornes, et relevant pourtant d’un imaginaire largement partagé à l’époque. Autour de cette question gravitent d’autres : est-ce que porter son regard sur la mer c’est être déjà dans la mer ? Où se situe le point de contact des éléments ? Est-il fixe ou mouvant ? En reprenant à leur compte, en les prolongeant, des modes de vision et de représentation déjà anciens et bien ancrés dans les pratiques et l’imaginaire collectifs, les cinéastes français inventent alors des formes de traitement et d’appropriation spécifiques de cette zone sensible qu’est le rivage.
27Descendu de la vieille ville, arrivé au bout du bout du port, la vision est seule apte à prolonger une trajectoire que le corps échoue à terminer. Ce que représente, dans un port, l’arrivée sur la jetée, au bord de la mer, le prolongement d’un milieu par un autre, la berge le dit plus frontalement en termes de rupture : au bord d’un cours d’eau, il y a toujours l’assurance qu’existe une autre rive, un désir de retrouver le même quand on croyait atteindre l’autre, et dans lequel la rivière, le fleuve, le canal font figure d’obstacles qu’il faut absolument franchir, pour réaliser qu’en se retournant vers là d’où l’on vient, on n’a fait que passer au travers du miroir, que tout est à recommencer. Ce sentiment de réversibilité qui caractérise la berge, on le rencontre très peu au cinéma. Parce qu’à la traversée d’une rive à l’autre, les films préfèrent en général le glissement sur l’eau – et son corollaire, le travelling –, entre les bords, ce que démontrent exemplairement les films de péniche des années 20 qui construisent leur discours, littéralement, sur la frontière, sans s’en écarter, et observent une rive qui reste toujours globalement indifférenciée. Dans ce type de films la vectorisation du mouvement est la règle, on ne multiplie pas les coordonnées spatiales. Et puisque les déplacements, les regards, s’ordonnent à l’intérieur de ce « pli » qu’est le cours d’eau, ils deviennent pour le spectateur l’objet même de la vision, sans que puisse prendre corps l’idée d’une dialectique entre ces espaces irréconciliables. On est là peut-être devant une des apories de ce type de films : il ne sait pas qu’il est, potentiellement, une frontière. Pour le savoir, il faudrait la traverser, enjambant de ce fait ce qui le caractérise en tant que point de vue singulier.
28Dans cette perspective, le rapport à la mer est radicalement différent ou, pour le dire autrement, rive et rivage sont, de ce point de vue, antithétiques. Le quai permet d’observer les bateaux en partance, de longer la mer jusqu’à cette extrémité que constitue la jetée, avancée dans le « territoire » de l’eau dont « l’édification ou l’aménagement […] s’impose à toute station quelque peu ambitieuse [à partir des années 1810]. Aux marins, elle procure l’illusion du pont du navire ; les touristes, spectateurs des régates, habitués du yachting et de l’excursion en mer, y trouvent le rappel de délicieux émois. Spontanément, les vieilles jetées portuaires, dans leur massivité de pierre défensive, invitent à prolonger la promenade de la plage41 » ou de la ville. Pour les autres, ceux qui n’ont que leurs yeux pour goûter de loin, et via le cinéma, ces images de bord de mer, c’est l’évocation d’un spectacle qu’ils ne connaîtront vraiment qu’avec l’avènement des congés payés, et dont ils intègrent mentalement les codes, avant de passer de la cité industrielle à la cité balnéaire. En attendant, cette compénétration du terrestre et du maritime accentue à travers ses représentations filmiques les notions de communicabilité, de perméabilité, d’échange. Elle permet au regard d’opérer une relativisation des distances et facilite l’accès aux lointains. Elle promeut, enfin, l’idée de voyage immobile et son corollaire polysémique et ambigu, le transport, qu’illustrent des films aux titres évocateurs comme Face à l’océan, L’Invitation au voyage (Germaine Dulac, 1927) ou La Maison du Maltais (Henri Fescourt, 1926). Mais ils ne sont pas les seuls. Chez Epstein ou Vigo, on vient aussi profiter du bord de mer en tant qu’il permet au regard, par substitution, de prolonger l’expérience du voyage quand le corps n’y suffit plus.
29Dans bon nombre de films qui illustrent la part la plus romanesque du cinéma français de l’après-guerre, on ne cesse d’observer la mer, de façon souvent distraite mais en tout cas depuis un point de vue qui autorise la rêverie et instaure un lien entre les personnages et l’objet de leur contemplation. Balcons, promontoires, jetées sont les lieux d’une socialité qui cherche peut-être à échapper à elle-même ; où les êtres aspirent à un rapport plus personnel et plus profond à la mer étalée devant eux. Relation qui peut se charger de violence lorsque, dans Face à l’océan par exemple, une tempête se lève qui émane de causes météorologiques mais, aussi bien, dramatiques. À la faveur d’un moment de forte tension dans le récit – un marin vient de mourir, laissant femme et enfants –, ce sont les vagues qui viennent déborder le parapet pour atteindre les rues du village portuaire. Un intertitre explicite le phénomène – « Un malheur ne vient jamais seul » –, et ce n’est alors plus le regard de la caméra qui caresse la mer mais celle-ci qui vient heurter celle-là. Il faudra la progression, puis le dénouement de l’intrigue pour que le rapport de calme domination, l’emprise du regard soient rétablis dans leurs modalités premières : la toute fin du film est un plan pris depuis un promontoire, « face à l’océan », sans contrechamp. Aux antipodes du cinéma mélodramatique de Leprince, on retrouve ce type de vision dans le travail de Jean Vigo et Boris Kaufman pour À propos de Nice, dans lequel un panoramique vertical, de bas en haut, établit visuellement le lien entre les touristes allongés sur la plage et la mer toute proche, enchaînant presque immédiatement avec une série de plans de voiliers en régate qui dit là encore, de façon différente, le caractère hybride du lieu et l’omniprésence d’un désir de mettre les voiles. Dans Cœur fidèle et 61/2 11, Epstein pense quant à lui ce rapport entre terre et mer par le biais d’une découpe géométrique. Dans le premier, il utilise tour à tour les éléments pris dans le cadre – mer, ciel, parapet, rochers – pour enserrer les corps des personnages en attente, soulignant l’effet par le recours à des volets latéraux. Dans 61/2 11, il divise l’image par un volet horizontal, faisant apparaître une voiture sur la route dans la partie supérieure et, en bas, des vagues qui s’écrasent contre des rochers. La limite est ici plus clairement accusée, suggérant quelque chose d’inconciliable entre les deux mondes. Une vision qu’il mettra en question quelques années plus tard avec Finis Terrae, où la distinction terre/mer deviendra plus problématique encore.
30Si le quai et la jetée sont les figures les plus évidentes d’une vision de la mer qui ouvre au regard le champ des possibles, c’est plus généralement la ville portuaire dans son ensemble, le bord de mer comme espace social domestiqué, que les cinéastes se plaisent à filmer, pour le plus grand plaisir d’un public qui à cette époque, rappelons-le, n’a souvent comme expérience de la mer que celle de ses images. Toutefois, pas plus qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, « l’inexpérience visuelle de la réalité ne bloque […] la délectation [et] la représentation d’une nature artialisée peut même […] ébranler plus fortement que le spectacle de la réalité sensible42 ». Cette possibilité qu’ont alors les cinéastes de « gonfler » la représentation pour plus d’efficacité visuelle trouve un emploi récurrent dans l’évocation mentale du voyage. Dans La Maison du Maltais d’Henri Fescourt, le jeune Matteo se désespère du départ de Safia, la jeune femme qu’il aime, pour Paris. Un plan de demiensemble le montre assis sur un rocher, de profil, face à la Méditerranée. Le plan suivant surimprime à l’image de la mer une évocation de la capitale, qui s’efface en fondu pour faire place au visage de Safia, puis à d’autres images de Paris, toujours en surimpression avec la mer. Au plan suivant cette courte série, Matteo est déjà dans la ville-lumière, prêt à se lancer à la recherche de la jeune femme. Fescourt, dans cette courte scène, orchestre un mouvement qui va donc, à travers l’image de la mer, du mémoriel au réel, actualise le présent et abolit les distances. Gaston Modot relate quant à lui, dans Conte cruel – La torture par l’espérance (1930), les tentatives vouées à l’échec d’un prisonnier pour s’évader du château où il est enfermé. Dans ce film obnubilé par la représentation actorale et figurative de l’angoisse43, deux plans seulement viennent rompre la monotonie sombre de la pierre, l’« obscurité fondamentale, [les] nappes de nuances noires sur noires, découpées de pans, ourlées de formes architecturales à peine esquissées, traversées de lueurs problématiques, capables de renfoncements improbables plus sombres encore, où le corps de l’acteur trouvera un précaire refuge44 ». Ce sont deux plans d’évocation par lesquels le personnage interprété par Modot, au plus fort de sa crise, imagine l’extérieur qui lui est refusé. Le premier est un plan de nuages défilant lentement au-dessus d’une large plaine, le second celui d’un rivage, tous deux prenant valeur de coupure absolue, d’altérité radicale par rapport à la situation du fugitif. Là encore, l’image de la mer en tant qu’elle figure un seuil, un passage, est mise en exergue et utilisée pour suturer le proche et le lointain, combler une béance dans l’esprit d’un personnage.
31Conte cruel et La Maison du Maltais donnent une idée rapide de cette fonction suturante de l’image du bord de mer, que permet son insertion dans le récit par le montage. On la rencontre aussi à plus grande échelle dans L’Invitation au voyage de Germaine Dulac, en 1927. Le film s’ouvre sur la façade d’un cabaret éponyme45 : au-dessus de la porte, une maquette de bateau orne la devanture. À l’intérieur, une foule interlope où se mêlent marins, musiciens, danseuses, ivrognes, bourgeois endimanchés, filles de joie et un couple, qui se forme dans la musique et l’alcool. Lui est de passage ; elle, a des velléités d’adultère. Tous deux cherchent une aventure fugitive, un moment d’évasion que le scénario et l’iconographie relaient à six reprises au moins, faisant de la rencontre amoureuse le support d’un transport d’ordre plus général :
321. Un marin montre une carte postale à une jeune femme. Un fondu enchaîné « élargit » la carte et présente un vilain chromo figurant une crique avec voiliers, pins et effets de soleil sur l’eau.
332. Une femme souffle la fumée d’une cigarette : par l’effet d’un fondu enchaîné, ce sont maintenant des nuages qui se déplacent lentement à l’écran (ill. 7, 8).

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343. Dans l’intérieur du cabaret qui reproduit un environnement marin – avec accessoires de navigation, nuages peints sur les murs, proue en guise de bar et hublots pour fenêtres –, la femme regarde autour d’elle. À nouveau un fondu enchaîné, et c’est une large étendue de mer qui se substitue à son entourage, devient l’objet de son regard comme de celui du spectateur. Puis un bateau, des vagues, et de lourds nuages de tempête. Elle ouvre un hublot qui donne sur une cour remplie d’objets hétéroclites, rebuts et ordures. Mais le plan suivant contredit la vraisemblance et réinstalle le lointain au cœur du récit : des vagues qui s’échouent sur une plage, au ralenti. L’échappée est pourtant de courte durée puisqu’à nouveau la cour intérieure – avec ses bruits ou ses miasmes – impose sa présence, forçant la jeune femme à refermer le hublot et retourner s’enfermer dans le cabaret pour échapper à la réalité (ill. 9, 10, 11, 12).

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354. Le couple boit du champagne. Au visage de la femme se surimprime un gros plan de violon qui joue, probablement, un air suggestif. Assez en tout cas pour qu’elle convoque à nouveau, mentalement, des images de vagues, avant de se rêver en figure de proue d’un grand voilier.
365. Ils se regardent droit dans les yeux. Gros plan du visage de l’homme. Une surimpression lui accole l’image d’un ciel couvert où perce un soleil qui s’inscrit juste sur son œil droit. Une série de fondus enchaînés et l’on passe d’un visage à l’autre, via la disparition du soleil et l’écran nuageux qui, lui, reste présent.
376. Un peu plus tard, même type de procédé : gros plan de l’homme, remplacé en fondu par un plan d’une mer noire surplombée d’un ciel couvert où se découpent, l’un après l’autre, sept voiliers blancs, fantomatiques, apparus en surimpression et disparaissant tour à tour pour faire place, par un enchaîné, au buste nu de la femme (ill. 13, 14, 15).

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38L’argument de L’Invitation au voyage repose sur une analogie entre un désir de changement légèrement frappé d’interdit, et l’évasion rêvée au-delà du rivage. Ce type de rapprochement est à la fois évident, légèrement grossier et périmé, même dans les années 20. Surtout, il ne parvient jamais à se hisser à la hauteur du modèle baudelairien dont la subtilité associative et la multiplicité des niveaux de lecture rendent la comparaison, sur bien des points, dommageable pour Dulac. Malgré tout, ce film reste une tentative intéressante par sa volonté d’inventer des procédés qui rendent compte, de manière spécifique, de ce qui faisait précisément la force du poème source. Le cinéma remplit ici son office, ou plutôt, use de ses puissances propres – en l’espèce, l’enchaîné, la surimpression et le montage – pour mettre en rapport des éléments, créer des modes particuliers de jonction par le mouvement, inscrire les événements dans une temporalité qui est à la fois continue (le récit) et fréquemment suspendue (l’abstraction du songe). Surtout, le film de Dulac rend compte d’une ubiquité que la rêverie génère et que le montage rend non seulement possible, mais visible. Par ces échappées régulières hors du cabaret, par l’évocation d’un lointain abstrait et pourtant tributaire des caractéristiques du lieu où se déroule la fiction, le quotidien des personnages est rompu par l’inscription dans un espace-temps qui, quoique mental, gagne en présence par une matérialité forte. Et si les images de la mer prennent ici une valeur de chromo ou de carte postale, c’est peut-être une des vertus de L’Invitation au voyage que d’intégrer la dimension du cliché pour montrer ce qui, sous la banalité du récit, transpire de la capacité du cinéma à élaborer ses propres procédures poétiques.
39La seconde moitié du XIXe siècle a vu l’apparition des premiers séjours touristiques, une plus large diffusion des guides et la mise en place de lignes de transport régulières. Héritier et relais de la démocratisation du voyage, le cinéma offre au public un support à partir duquel l’évasion au-delà du rivage devient visible, donc possible, en droit sinon en fait. Arrivé au point de rencontre entre terre et mer, il n’est alors plus impossible de franchir le pas, puisque les films participent de cette mise en mouvement du regard qui est aussi, fondamentalement, extension du domaine de la vision. Comme espaces collectifs, la jetée, le quai, le cabaret, mais aussi bien la salle de cinéma, deviennent des lieux de partance, pointes avancées et rampes de lancement qui transportent les spectateurs de façon idéale, et assurent une porosité entre réel et imaginaire qui ne cessera de croître au cours du siècle.
40À cette expérience du rêve collectif et socialisé fait écho un autre grand modèle de contemplation dont le cinéma français se saisit dans les années 20 ; une attitude plus intime et solitaire d’appréhension du rivage. La promenade sur la jetée, dont la raison d’être est précisément la déambulation touristique, reste toujours tributaire d’un partage du regard, et si elle procure la sensation d’être presque déjà dans la mer, son contrechamp logique, le port, garde les stigmates de la présence humaine. Au contraire, il existe des images qui tentent de montrer le bord de mer comme un lieu d’avant l’homme, où la nature se fait plus violente et l’inscription du corps dans le paysage – donc dans le cadre –, plus problématique. C’est ce qu’illustre la figure de la grève, dans laquelle ce ne sont plus la perméabilité, la communicabilité qui prévalent mais l’indistinction et la confusion des éléments, l’impossible délimitation de la frontière et le sentiment d’une dissolution de soi. À l’abolition des distances répond ici la mer comme étendue infinie et insondable, paradoxe d’un objet sans bornes qui constitue néanmoins une butée pour le regard. Considérer la mer de cette façon c’est donc, en un sens, vouloir s’y affronter, éprouver la jouissance de la limite en la teintant, non plus de l’espoir du franchissement mais de la crainte de l’engloutissement. Dans cette perspective – davantage héritée des romantiques que de l’avènement du voyage comme loisir de masse –, deux attitudes sont possibles et se reflètent dans le cinéma français des années 20, engageant chacune le sujet dans un rapport particulier au rivage.
41La première procède d’une vision en retrait : le regard cherche d’abord un point de vue, un site d’où il pourra opérer une découpe rationnelle de la nature pour la transformer en paysage, donc en objet d’appréciation. Ce sont là les conditions du spec(tac)ulaire. Aussi vaste que soit le rivage, et l’étendue marine au-delà, l’œil doit pouvoir les englober, les ordonner à sa mesure. Les personnages observent la mer depuis un point surélevé, un promontoire qui les extrait du « tout » que forme le rivage et devient ainsi, pour eux, comme un microcosme. Ces plans qui expriment l’attente, la curiosité ou le triomphe, souvent cadrés en légère plongée, se tiennent à distance raisonnable des protagonistes, au premier plan et dos à la caméra. Ce faisant, ils inscrivent les corps dans le cadre en leur conservant la primauté dans l’ordre de la vision. Le corps reste l’étalon de la perception de l’espace et la mer se trouve réduite à un fond de scène, filmé avec plus ou moins d’attention et d’exigence. Ce système d’ordonnancement par un regard bien défini – quoiqu’il puisse être extérieur à la fiction, relevant uniquement de l’instance narratrice – a pour effet collatéral une détermination franche des limites entre la terre et la mer, la mer et le ciel voire, éventuellement, la surface et le fond de l’étendue liquide. Il s’agit là d’une toute autre façon de concevoir la notion de frontière, d’établir des coordonnées, de vectoriser le paysage ; de se penser soi-même, en tant que sujet regardant, comme témoin ou pivot de la métamorphose d’un élément en un autre. Désir d’être au point de contact que le mouvement de l’eau, les changements incessants de la lumière, le flux et le reflux invalident pourtant sans cesse. Ce qui fait précisément des films, en tant qu’ils ont cette capacité à enregistrer la simultanéité des mouvements de la mer, des outils de prédilection pour dire cette incertitude du sujet, qui échoue finalement à établir des limites claires entre les éléments. Man Ray, dans Emak Bakia (1926), ne fait pas autre chose que de témoigner de cette faillite du regard comme instrument de maîtrise, lorsqu’il fait tournoyer, sur une plage, la caméra sur elle-même et que la mer devient alors le ciel ; que toute la masse liquide est déplacée par le mouvement sans trouver de configuration stable ; qu’une série de fondus enchaînés accuse les propriétés dé-formantes de l’eau ; ou que des plans d’écume – qui est un peu comme une neige de la mer – rajoutent encore à la confusion entre le haut et le bas, le lourd et le léger, le tangible et l’impalpable.
42Que font les films les plus « sages », lorsqu’ils posent leur regard au bord de la mer ? Ils répondent à une exigence de production d’images rationalisées, où le point de vue est distancié, stable et compréhensible, les limites bien définies et l’étendue du rivage offerte en pâture à l’œil. Mais lorsqu’un cinéaste tel que Man Ray se saisit d’un espace a priori équivalent, il le transforme au contraire en un champ de bataille, un lieu de questionnement de la représentation, en démultipliant le mouvement au lieu de le circonscrire. C’est donc l’évidence de la mimesis qui est ici mise en doute. Pourtant ce type de regard lui-même suppose toujours, quoi qu’il en soit, un point de vue qui ordonne, ou désordonne. Il en va autrement lorsqu’on cherche, non plus à établir ou contester des frontières, à les construire ou à les confondre, pour ainsi dire, de l’extérieur, mais à les éprouver de l’intérieur, par englobement, jusqu’à la dissolution. C’est le propos d’un film qui représente à la fois un changement de cap radical dans la carrière de son auteur, et un événement d’extrême importance dans l’histoire des formes cinématographiques : Finis Terrae.
43Epstein a lui-même commenté son départ de Paris pour la Bretagne en termes de rupture, déclarant qu’« après La Chute de la maison Usher [1928], [il] avai[t] le sentiment qu’il était impossible, avec de l’irréel, de donner davantage l’impression de réel46 ». Plusieurs projets parisiens ayant avorté, il décide donc de partir pour le Finistère, « découvre Ouessant et y installe son chantier, esthétique et théorique47 ». Finis Terrae est la première réalisation issue de ce chantier, dont il constitue le manifeste. S’y joue un rapport de fusion – au sens presque scientifique du terme – entre les activités, les émotions humaines et le milieu qui les accueille et les conditionne. Une compénétration des êtres et des choses, un englobement du regard dans l’espace et le temps qui annule la distinction entre repos et mouvement, station et déambulation, instaurant une confusion généralisée des règnes et des matières. En filmant ainsi « la rencontre élémentaire du rocher, du ciel et de l’eau, [l’]enracinement [des personnages] dans une nature primitive qui les place au centre du cosmos48 », Epstein pousse très loin la capacité du cinéma à perturber l’organisation de la nature par le regard. Le point de vue, à l’échelle du film, est acentré, inassignable, les brutales variations scalaires ou les changements d’angles de prise de vue empêchent l’identification à une instance narratrice. La dilatation du temps par le ralenti crée des moments de suspension qui, à la fois, détaillent à l’excès des séries de micro-événements – le séchage du goémon, le vin absorbé par le sable, les vagues qui se brisent contre les rochers – et instaurent une relativité qui extrait l’îlot du reste du monde. En même temps, cette pluralité des régimes d’image semble affecter différemment les personnages. À plusieurs reprises, Epstein les montre qui regardent simultanément la mer, mais le contrechamp diffère pour chacun d’eux : avec ou sans rivage au loin, brillante ou opaque, calme ou agitée. Elle n’est pas la même pour tous les regards, ni en proportion, ni en vitesse, ni en qualité lumineuse. La mer de Finis Terrae est donc toujours un événement local, changeant à chaque plan49, tandis que la terre reste identique à elle-même. Dissemblance qui n’est pas seulement rapportable aux états de conscience des personnages, mais constitue un attribut fondamental de la mer epsteinienne. C’est en cela aussi que Finis Terrae représente le véritable point de départ d’une entreprise d’investigation figurative sur la description des phénomènes50 qui trouve sa raison d’être dans l’interrogation du cinéaste sur la capacité de son art à produire des formes inédites de perception du temps. Il suffit alors d’un plan sur l’eau chargée d’algues ondulantes, noire et poisseuse, pour éprouver simultanément « la multiplicité des rythmes temporels, […] l’allongement de la durée géologique, […] l’indécision des frontières biologiques, l’incertitude des règnes et les étonnantes transitions qui les nouent51 ». La rencontre des éléments, le télescopage des durées et des espaces font ainsi alterner, dans une variation incessante, « macrocosme extrait d’une portion de réel précis [et] figuration d’un englobant géophysique52 ». Finis Terrae travaille la question du rivage, de la relation terre/mer et du regard qui les lie avec une rigueur, une sensibilité et une intelligence qui en font un des chefs-d’œuvre de l’expérimentation sur la mise en forme(s) du réel.
L’île (et le phare), ou le territoire indécis
44De façon plus ambiguë, parce que plus indécise que dans le cas du rapport au rivage, les figures du phare et de l’île problématisent également cette mobilisation du regard entre terre et mer, contemplation et tourmente, dont les cinéastes français tentent de retranscrire l’expérience. Ainsi figurent-ils, eux aussi, en bonne place au catalogue de ces lieux qui autorisent et encouragent la rêverie sur les limites dans le cinéma français des années 20. Le premier est à lui seul une sorte d’avant-garde, puisqu’il indique aux bateaux la proximité du rivage et, vu du côté de la terre, symbolise une avancée téméraire là où l’emprise des hommes n’a plus vraiment cours. On trouve ainsi de multiples et rapides évocations du phare dans plusieurs réalisations de la période qui l’utilisent pour sa fonction d’annonciation du danger, de zébrure lumineuse ou de balayage cinétique de l’espace côtier. Le plus représentatif de ces films, parce qu’il en a fait, à l’extrême fin du muet, son sujet et son cadre principal, est Gardiens de phare, le deuxième long métrage de Jean Grémillon. Le film relate l’histoire d’un père et de son fils partis dans un de ces « cyclopes de la mer » pour plusieurs semaines. Le plus jeune, mordu par un chien enragé la veille du départ, est rapidement pris de fièvre et d’hallucinations qui obligeront son père à le précipiter du haut du phare lorsque l’agressivité du fils mettra en péril la sauvegarde d’un bateau approchant dangereusement des côtes. Sur cette trame très mince, Grémillon tisse un récit dans lequel le phare figure comme un rempart lumineux contre la violence des éléments. Au début du film, Yvon, le fils, regarde la mer au moment d’accoster sur l’îlot. Le rivage derrière eux est devenu invisible et seule la lumière blanche du phare les relie encore à la terre, comme en sens inverse le regard des femmes restées au port. La lumière est donc ce qui garantit le lien vital, mais aussi le montage, qui rapproche les êtres quand, à l’intérieur du phare, la fièvre d’Yvon déforme le réel, fait « vaciller les apparences et se multiplier les illusions53 ». Alors que la mer semble vouloir, tout au long du récit, prendre possession de ce petit bout de terre improbable, et qu’une immense étendue d’écume s’agglutine peu à peu autour des rochers, Grémillon filme le phare comme un idéal de stabilité, dans des plongées et contreplongées qui le monumentalisent et constituent la seule forme de réponse possible aux mouvements anarchiques de l’océan54. Ainsi pour Grémillon, même détaché, même isolé, le phare doit pouvoir signifier qu’un espace de raison est possible. Un espace où la présence humaine peut imposer une forme à la mer elle-même. Sa lumière est une amarre, elle relie les hommes et c’est ce lien impalpable qui, peut-être, sauve le cyclope et son gardien de l’engloutissement.
45Si le phare est une île à sa façon, toutes les îles ne sont pas pourvues de cette lumière qui les relie au rivage. Une distinction s’impose d’emblée entre l’île déserte, orpheline, et celle que l’appartenance à un continent agrège – en droit sinon en fait – à un territoire plus vaste. À considérer, dans ces années 20, le seul critère géopolitique, la question pose déjà problème. Mais il est plus intéressant de voir comment le traitement cinématographique rend compte de l’appartenance – ou de son refus – à un tel territoire. On peut, comme Mario Bonnard dans Rapa-Nui (1928), évacuer sciemment la question en ne nommant jamais l’île qui sert de cadre au récit, et en inventant des procédures qui la définissent d’emblée comme lointaine, déserte et vierge, donc exotique et désirable. Au début du film, on assiste à l’incendie d’un paquebot de croisière dont deux rescapés, une fillette et un prêtre, échoueront sur ladite île de Rapa-Nui. Un plan d’ensemble du paquebot en flammes sur la mer suffit alors à indiquer que les amarres sont coupées avec la civilisation. Plus loin dans le récit, un flash-back montre l’arrivée sur l’île : un plan du rivage, dans lequel le prêtre et l’enfant entrent par la droite du cadre, en provenance de la mer.
46L’image de l’île que construisent Napoléon et, à nouveau, Finis Terrae, est moins séduisante mais sans doute plus problématique. La Corse de Gance, aussi étrange que cela paraisse vu du XXIe siècle, n’est jamais montrée comme une île. Non parce qu’y manquerait, par exemple, une vue aérienne d’ensemble, ou l’insert d’une carte, mais parce que l’Île de Beauté est filmée tantôt côté terre – les scènes avec la famille Bonaparte ou le préfet Paoli –, tantôt côté rivage, mais un rivage méditerranéen « classique », qui souligne davantage les liens de la Corse avec la France – vision napoléonienne attendue – que l’affirmation d’une singularité géographique ou sociale. Poursuivi par les hommes du préfet, Napoléon entre dans la mer à cheval, comme s’il allait faire la traversée d’un seul trait. Monté finalement dans une barque, il utilise le drapeau français en guise de voilure, en prélude à la célèbre séquence de la « double tempête ». À plusieurs reprises pendant sa fuite hors de Corse, le bateau entre dans un champ vide qu’il parcourt d’un bout à l’autre, latéralement. C’est que Gance n’a pas besoin de signifier la distance ou la durée nécessaires à la traversée, de faire alterner plans des côtes corses et françaises : Napoléon, muni de sa barque, son aigle et son drapeau, emporte avec lui son idéal en même temps que son île. Lorsqu’il est recueilli en mer, un peu plus tard, l’embarcation est remplie d’eau à ras bord, ce qui dit aussi en un sens le caractère provisoire de l’île, toujours susceptible, à plus ou moins long terme, d’être physiquement engloutie ou politiquement absorbée.
47Quant à Epstein, on a déjà évoqué les modalités selon lesquelles il orchestre la confusion des éléments dans Finis Terrae55. Contrairement à Gance, ce qui l’occupe en l’espèce n’est pas le rattachement politico-sentimental de l’île au continent, mais plutôt son autonomisation, le dialogue du microcosme et du macrocosme qui évacue à dessein toute considération cartographique. Certes, l’enjeu narratif du film est bien l’accident d’Ambroise, son sauvetage et son retour parmi les siens. Mais « chez lui », c’est Ouessant, encore une île donc, et l’on voit bien par ailleurs que l’essentiel de l’énergie du cinéaste n’est pas dans l’orchestration du départ et des retrouvailles, mais dans la captation du présent. Dans l’opposition entre l’informe et la forme : celui de la mer, du retour à une dimension primordiale, et celle des gestes humains qui travaillent à s’approprier le chaos des matières pour l’informer et conserver leur identité. Le sentiment « îlien » que distille Finis Terrae ne vient, pas plus que chez Gance, d’une recension territoriale, d’une circonscription par le regard qui attesterait que cette terre est bel et bien isolée. Il émane au contraire de la porosité extrême de la terre, de l’eau et de l’air qui, tous caractères et toutes fonctions confondus, font de l’île ce qu’elle est pour un regard lointain : une forme prise entre-deux, une forme composite. Finis Terrae travaille cette image à l’extrême, et c’est en cela qu’il est à la fois, et véritablement, un film-île, un film-limite56. En tant que tel, il synthétise plus généralement ce que le regard du cinéma vient chercher au bord de la mer : confusion, délectation, effroi, mais par-dessus tout un horizon autre que celui des cartes postales. Celui qui répond à l’injection de Riciotto Canudo en devenant l’« expression de l’infini par le visible57 ».
Le jet d’eau, ou la ruse du motif
48« Dès l’origine, le cinéma fut une invention purement mécanique, enregistrant, grâce à la photographie, les manifestations mouvantes de la vie extérieure : les vagues, le train en marche, le jet d’eau58. » Cette formule de Germaine Dulac met en évidence une donnée importante de la dernière décennie du muet : la fascination générale pour le mouvement, contemporaine de l’apparition du cinématographe, a besoin de s’incarner dans des figures qui l’emblématisent, en même temps qu’elles en font la description heuristique. Aussi insignifiant qu’il puisse paraître de prime abord, le jet d’eau est une de ces figures et, par là même, constitue lui aussi l’un des grands lieux qui balisent l’imaginaire aquatique dans la France de l’après-guerre. Dulac en a fait un motif majeur de son œuvre de cinéaste, puisqu’on le trouve aussi bien dans les mélodrames du début de sa carrière comme La Cigarette (1919), La Belle dame sans merci (1920) ou La Mort du soleil (1921), que dans ses films plus personnels et ouvertement théoriques, tel Arabesques en 1929. Mais il s’agit, plus généralement, d’un objet qui fait florès en ce début de siècle. Et même si « l’eau courante à domicile a [aujourd’hui] renvoyé au magasin d’antiquités les modestes fontaines du coin de la rue qui, pendant des siècles, avaient assuré gratuitement l’approvisionnement des citadins59 », le jet d’eau fait encore partie intégrante de la vie de la population dans l’après-guerre, tant dans les rues que chez les riches bourgeois qui peuvent se permettre d’en installer un dans leur propriété. Dans Nadja, qu’il écrit au cours des années 20, André Breton décrit l’effet que lui procure un jet d’eau aperçu dans Paris en compagnie de sa muse60 ; Louis Delluc évoque quant à lui « des jets d’eau scandaleux [qui] giflent l’espace61 », et Riciotto Canudo envisage de réaliser en 1923, avec la collaboration de Marcel L’Herbier, un film qui ne verra pas le jour intitulé Sonates pour un jet d’eau.
49On voit à quel point le contexte accueille et favorise cette figure pourtant anodine du jet d’eau, permettant son intégration au paysage culturel et social de l’époque. C’est donc en toute logique qu’on la rencontre fréquemment au cinéma, par exemple chez L’Herbier (El Dorado ; Feu Mathias Pascal), Epstein (6 ½ 11 ; Le Lion des Mogols, 1924 ; Les Aventures de Robert Macaire, 1925) ou Dulac, chez qui elle acquiert un statut proprement emblématique. Le jet d’eau est généralement perçu comme un indicateur du milieu aisé où évoluent les personnages, qui viennent s’y recueillir ou y converser, mais il arrive aussi que son utilisation déborde l’anecdote et pose de véritables questions de mise en scène. C’est le cas notamment dans La Belle dame sans merci où les discussions entre Lola de Sandoval et le comte d’Amaury se font souvent autour d’un jet d’eau, présent au premier ou en arrière-plan dans le jardin. Il acquiert alors une fonction de structuration de l’espace, appuie les lignes de force qui construisent le cadre, assure une symétrie ou une séparation visibles entre les protagonistes. Il accuse la profondeur de l’image et permet des jeux sur la lumière, par la façon dont l’eau la réfléchit62. Dans la scène de bal qui précède le dénouement du film, un chassé-croisé se met en place entre différents personnages dans le jardin du comte, et un plan du jet d’eau, teinté, sert d’axe et de borne à l’évolution du drame, le plan passant du jaune au rouge, puis au bleu, et enfin au vert. On peut penser ici à la danse serpentine, très en vogue à l’époque, et particulièrement à Loïe Fuller63 pour qui Dulac avait une grande admiration. Le changement « à vue » des couleurs, la fluidité du mouvement, la pulsation rythmique interne à l’image fondent alors, dans cette scène qui est presque un hommage, les conditions d’une véritable danse de l’eau, de la lumière et de la couleur. Dulac exalte ici « ce moment où un art est en train de faire l’apprentissage […] de ses propres moyens d’expression. Quand viendra la possibilité d’enregistrer la couleur, le cinéma ne saura que très rarement se saisir de cette puissance, liée au dispositif, de faire entrer en relation la discontinuité des images et leur enchaînement dans la durée, de faire en sorte que chaque photogramme soit à lui seul porteur d’un événement chromatique tout en conservant au mouvement représenté sa continuité et son flux, en chargeant cette couleur elle-même de prolonger ou de relayer la dimension rythmique du film pour lui imprimer une autre forme d’organisation, moins soumise à la permanence du mouvement dansé qu’au devenir des formes dansantes64 ».
50Ces expériences visuelles dans le régime narratif, Dulac les radicalise quelques années plus tard avec Arabesques, l’un des trois films « purs » qu’elle a réalisé dans la fin des années 2065. Le jet d’eau y est le motif central, et ses puissances d’expression rythmique et lumineuse poussées aussi loin que possible. Le film « a pour thèmes principaux la lumière et l’eau. Et c’est la forme de l’arabesque qui fournit à ces éléments l’accord qu’ils cherchent dans la nature : à l’exception de quelques disques concentriques évoquant encore Disque 957, la structure visuelle du film se compose essentiellement de variations sur ce motif : arcs de lumière, jets d’eau, toiles d’araignées, arbres aux bourgeons en train de s’ouvrir66 ». Dulac s’intéresse ici à la façon dont le cinéma parvient à se saisir d’une substance concrète pour la transfigurer et la faire verser dans l’abstraction. Le jet d’eau est ainsi l’agent d’une radicalisation du discours de la cinéaste. Il fournit la matière à des « crépitements » ou des « alanguissements67 » de la lumière, et crée de véritables masses lumineuses dansantes lorsqu’il est filmé, par exemple, en flou sur un fond noir. Sa courbe, renvoyant directement au titre du film – luimême inspiré des première et seconde arabesques de Debussy –, reste identique, même si elle se renverse parfois lorsque Dulac utilise la réversion de la pellicule. De même, lorsque le jet d’eau est filmé non plus verticalement mais à l’horizontale, son jaillissement occupe la moitié supérieure de l’écran tandis que la moitié inférieure représente une eau sombre et floue. Ainsi, plus le film progresse, plus les plans se complexifient pour tendre vers une abstraction dans la figuration : le motif devient peu à peu méconnaissable, Dulac ne se préoccupant que de filmer les éclats provoqués par la réfraction de la lumière sur l’eau, quitte pour cela à diviser l’écran en quatre parties déployant en tous sens une multitude de gerbes lumineuses miroitantes.
51« Chanter en images la fluidité des jets d’eau, leurs tracés changeants, la moire des poussières liquides68 », tel est le projet figuratif de la cinéaste au terme d’une décennie qui aura vu le motif passer du statut d’indicateur sociologique à celui d’instrument théorique dans une logique de continuité qui fait que les films de la fin des années 20 ne récusent pas ceux du début, mais les prolongent et les approfondissent. Chez elle comme chez d’autres, le jet d’eau représente donc un topique majeur qui ancre les films dans leur époque et participe en même temps, à un autre niveau, de cette « problématique d’une mouvance continue qui rend impossible la constitution de l’objet et a fortiori son identification69 », cheval de bataille d’une partie des avant-gardes cinématographiques de l’époque. On peut en conclure que l’objet le plus banal, le motif le moins digne d’intérêt à première vue devient intéressant dès lors qu’on se penche sur la façon qu’une époque a eue de l’observer et de l’intégrer à son existence ou ses représentations. Que la visée soit théorique ou simplement dramatique, ces formes insolites et quotidiennes de l’eau « nous en apprennent [finalement] plus sur le regard que sur la chose regardée70 ». Elles participent d’une volonté de scruter le réel jusqu’à l’éblouissement, de traquer ses manifestations les plus discrètes, non pour le restituer dans sa complétude, mais pour le recomposer selon des logiques inédites.
52Qu’il emprunte la voie de la mer ou celle des canaux, des formes urbaines ou « sauvages », l’emploi de l’eau par le cinéma dépasse en tout cas largement celui de la notation paysagère ou du motif esthétisant. L’élément joue chez la plupart des cinéastes – et cela, qu’ils en aient ou non conscience – un rôle d’indicateur des préoccupations générales et de vecteur des idées alors en vogue. Pour ceux qui font le cinéma français des années 20, les images de l’eau dessinent en creux, de film en film, une géographie fantasmée mais précise, descriptive mais stylisée. L’imaginaire du port, du rivage, de l’île ou de la rivière prend corps et s’articule autour de thématiques et de postures qui s’inventent véritablement, dans les films, au lendemain de la guerre, parce que dans ce moment particulier du cinéma français ceux qui le faisaient étaient aussi ceux qui avaient à cœur d’en imaginer le devenir. Si les configurations de l’eau, ses formes et ses occurrences permettent de comprendre un peu mieux comment la France se « pense » dans les années 20 à travers le cinéma, elles disent aussi beaucoup de la manière dont celui-ci se rêve lui-même en dehors, et au-delà, des considérations strictement nationales.
Notes de bas de page
1 Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves, op. cit., p. 211.
2 André Antoine, à propos des séquences de navigation de L’Hirondelle et la Mésange. On trouve cette expression dans la liste d’intertitres retrouvés dans le fonds Antoine à la bibliothèque de l’Arsenal par Henri Colpi, pour le remontage du film en 1984. Cité par Philippe Azoury, « Remonter les bords de la fiction – Aspect documentarisant et restauration dans L’Hirondelle et la Mésange », 1895 no 18, op. cit., p. 307.
3 Gustave Grillet (1873-1935). Cultivateur, écrivain, auteur dramatique, scénariste et ami d’Antoine, il est l’auteur du scénario de L’Hirondelle et la Mésange.
4 Epstein n’a pas pu le voir, puisque le film n’a pas été distribué à l’époque. Les rushes de L’Hirondelle et la Mésange ont été retrouvés dans le dépôt de la Cinémathèque française en 1982, et remontés par Henri Colpi deux ans plus tard.
5 Jean Epstein, « Les films de Jean Epstein vus par lui-même », Écrits sur le cinéma, T. 1, op. cit, p. 60.
6 Jean Epstein, « Le cinéma du diable », ibidem, p. 346.
7 Comme en témoignent les intertitres, qui structurent le film autant qu’ils le commentent : « Paris-Port », « Près de l’Île Saint-Denis », « Les écluses de la Briche », « Les écluses du pont de Flandre », « Le bassin de la Villette », « Le Canal Saint-Martin », « Le Pont Morland : ici, le Canal Saint-Martin ouvre ses portes sur la Seine », « La Seine de Paris », « Îles de Paris », « Quai d’Anjou », etc.
8 Dominique Païni, « Au film de l’eau », dans Gabrielle Claes, Claudine Kaufman, Dominique Païni et Serge Toubiana, À rebours – Pour une histoire anachronique du cinéma français, Bruxelles, Cinémathèque Royale de Belgique, 2000, p. 61.
9 Ibidem, p. 63.
10 Jean Epstein, « Le cinéma du diable », op. cit., p. 403-404.
11 Jean Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, coll. « Champs Contre-champs », 1974, p. 60.
12 Ibidem.
13 Ibid., p. 49.
14 Frank Curot, L’Eau et la terre dans les films de Jean Renoir, Études Cinématographiques n ° 170-178, Paris, Minard Lettres Modernes, 1990, p. 10.
15 Ibidem, p. 13.
16 Jean Renoir, Ma vie et mes films, op. cit., p. 69.
17 André Bazin, Jean Renoir, cité dans Vertigo no 8, « Plans d’eau », 1991, p. 101.
18 Henri Chomette, « Seconde étape », Les Cahiers du mois no 16-17, op. cit., p. 87.
19 Gérard Leblanc, « La poétique epsteinienne », dans Jacques Aumont (dir.), Jean Epstein, cinéaste, poète, philosophe, conférences du Collège d’histoire de l’art cinématographique, Paris, Cinémathèque française, 1998, p. 38.
20 En réalité, Maldone n’est pas le premier long métrage de Grémillon puisque celui-ci avait déjà tourné, en 1926, un film intitulé Tour au large qui prenait pour cadre une campagne de thoniers dans l’île de Groix. De ce film perdu, il ne subsiste qu’un photogramme, aussi énigmatique que beau.
21 Dominique Païni, « Au film de l’eau », op. cit., p. 61.
22 Alain Weber, Cinéma(s) français 1900-1939, op. cit., p. 36.
23 Albert Londres, Marseille, porte du sud, Paris, Arléa, coll. « Arléa-Poche », 1999, p. 57.
24 Jean-Pierre Berthomé, « Cent ans de création cinématographique en Bretagne », op. cit., p. 8.
25 Marc Vernet l’exprime bien lorsqu’il écrit que « du côté du discours, ce trucage fait […] voir ce que le cinéma d’ordinaire dissimule : son opération fondamentale qui consiste à fondre dans le mouvement (mouvement de la pellicule dans l’appareil, mouvement du représenté sur l’écran) deux photogrammes distincts et fixes qu’elle lie en un autre ensemble, fluide ». Citons encore cette formule lapidaire : « Surimpression : immersion. » Marc Vernet, Figures de l’absence, Paris, Cahiers du cinéma/Éditions de l’Étoile, coll. « Essais », 1988, p. 65 et 80. Je souligne.
26 Jacques de Baroncelli, « Art, science et métier », Écrits sur le cinéma, textes réunis et présentés par Bernard Bastide, Perpignan, Institut Jean Vigo, 1996, p. 129.
27 Jean-André Fieschi, « Autour du cinématographe – Entretien avec Marcel L’Herbier », Cahiers du cinéma no 202, op. cit., p. 30.
28 L’Homme du large a été restauré entre 1998 et 2000 par les Archives françaises du film et Gaumont, en respectant scrupuleusement les indications de Marcel L’Herbier qui venaient d’être retrouvées dans ses archives, accompagnées de photogrammes des intertitres avec leurs teintages d’origine. Sur cette restauration, voir Michelle Aubert, Jean-Louis Cot et Mireille Beaulieu, « La restauration en couleurs de L’Homme du large, Marcel L’Herbier (1920) », Cinémathèque no 19, printemps 2001, p. 73-85.
29 Mireille Beaulieu, « L’Homme du large », dans Jean-Pierre Berthomé et Gaël Naizet, Bretagne et cinéma, op. cit., p. 112.
30 Daniel Armogathe et Pierre Echinard, Marseille port du 7e Art, Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 1995, p. 50.
31 Voir à ce sujet les belles réflexions de Gaston Bachelard sur l’imaginaire de la pâte dans L’Eau et les Rêves, op. cit., p. 121-131.
32 Daniel Armogathe et Pierre Echinard, Marseille port du 7e art, op. cit., p. 49.
33 Prosper Hillairet, Cœur fidèle de Jean Epstein – Le ciel et l’eau brûlent, Crisnée, Yellow Now, coll. « Côté films », 2008, p. 40.
34 Voir à ce sujet Loïg Le Bihan, « Le regard vague (Sur quelques plans d’eau et de visage du cinéma de Jean Epstein) », dans Jacques Aumont (dir.), Jean Epstein, cinéaste, poète, philosophe, op. cit., p. 258.
35 Daniel Armogathe et Pierre Echinard, Marseill port du 7e art, op. cit., p. 49.
36 Stéphani de Loppinot, « Marseille, Vieux-Port de László Moholy-Nagy – Psychophysique d’une ville », dans Nicole Brenez et Christian Lebrat, Jeune, dure et pure !, op. cit., p. 128.
37 Daniel Armogathe et Pierre Echinard, Marseille port du 7e art, op. cit., p. 58.
38 Stéphani de Loppinot, « Marseille, Vieux-Port de László Moholy-Nagy – Psychophysique d’une ville », op. cit., p. 128-129.
39 Daniel Armogathe et Pierre Echinard, Marseille port du 7e art, op. cit., p. 53.
40 Eugène Guillevic, « Quand », Étier, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1979, p. 61.
41 Alain Corbin, Le territoire du vide, op. cit., p. 299.
42 Ibidem, p. 268.
43 Sur cet aspect du film, voir Nicole Brenez, « Gaston Modot », dans François Albéra et Jean Gili (dir.), 1895 no 33, « Dictionnaire du cinéma français des années vingt », juin 2001, AFRHC/Cineteca Bologna, 2001, p. 276-277.
44 Ibidem, p. 277.
45 Est-il besoin de rappeler ici la référence à Baudelaire ?
46 Propos recueillis par Paul Gilson, Pour Vous, 29 novembre 1928. Cité par Philippe Arnaud, « Finis Terrae – L’expérience des limites », 1895 no 18, op. cit., p. 257-258.
47 Vincent Guigueno, Jean Epstein, cinéaste des îles – Ouessant, Sein, Hoëdic, Belle-Île, Paris, jeanmichelplace, coll. « Histoire Figurée », 2003, p. 16.
48 Jean-Pierre Berthomé, « Cent ans de création cinématographique en Bretagne », op. cit., p. 14.
49 Ce qu’estime également Loig Le Bihan lorsqu’il écrit que « le plan d’eau chez Epstein n’est la marque ni d’un réalisme météorologique environnant le récit (ce n’est pas un insert qui vient attester le temps qu’il fait) ni d’un dehors du cadre ou du film – une Origine, une Nature à laquelle le film renverrait […], il est une manifestation de la vitalité propre du film. Voilà pourquoi les inserts de plans d’eau, particulièrement dans ses films “bretons”, introduisent des ruptures impossibles du point de vue du récit. L’eau, malgré la stabilité de la situation météorologique narrative, peut être tour à tour belle, peu agitée, agitée voire forte car elle n’est pas tant l’empreinte d’un vent narratif ou transcendant que l’expression d’une force animiste qui affecte aussi bien les personnages ». Loig Le Bihan, « Une météorologie du cinéma – Turbulences et Transmutations », Cinergon no 10, « Météorologie », octobre 2000, p. 12.
50 Voir Nicole Brenez, « Ultra moderne. Jean Epstein contre l’avant-garde (repérage sur les valeurs figuratives) », dans Jacques Aumont (dir.), Jean Epstein, cinéaste, poète, philosophe, op. cit., p. 205-221.
51 Alain Corbin, Le territoire du vide, op. cit., p. 115.
52 Philippe Arnaud, « Finis Terrae – L’expérience des limites », op. cit., p. 261.
53 Jean-Pierre Berthomé, « Cent ans de création cinématographique en Bretagne », op. cit., p. 14.
54 « Il tient le lampion au naufrage,/Tout en rêvant,/Casse la mer, crève l’orage/Siffle le vent », écrit Tristan Corbière, « Le phare », Les Amours jaunes, op. cit., p. 195.
55 L’année suivante, en 1929, il note à titre d’expérience personnelle, en marge du tournage de Mor-Vran à l’île de Sein, des phénomènes similaires à ceux décrits dans Finis Terrae : « La mer est partout et nous voudrions être partout avec elle. Il y a du clapotis dans nos appareils et dans nos poches ; des embruns dans la cour de l’hôtel ; du sel sur nos draps. Le vent et la mer interdisent la digue et les cales. Une levée furieuse se forme à l’entrée même du port, escalade le petit parapet derrière lequel nous nous tenons, étend au-dessus de nous un lourd ciel liquide. » Jean Epstein, « L’île », op. cit., p. 221.
56 Comme Gardiens de phare est lui-même, littéralement, « un film-phare ». À ce sujet, voir Hervé Joubert-Laurencin, « Gardiens de phare », dans Jean-Pierre Berthomé et Gaël Naizet, Bretagne et cinéma, op. cit., p. 107.
57 Riciotto Canudo, « Cent versets d’initiation au lyrisme nouveau dans tous les arts (suite et fin) », La Revue de l’époque no 17, mai 1921, p. 931. Cité par Noureddine Ghali, L’Avant-Garde cinématographique en France dans les années vingt, op. cit., p. 76.
58 Germaine Dulac, « Le mouvement créateur d’action », conférence donnée le 7 décembre 1924 dans la salle du Colisée (Paris), repris dans Germaine Dulac, Écrits sur le cinéma (1919-1937), textes réunis et présentés par Prosper Hillairet, Paris, Paris Expérimental, coll. « Classiques de l’Avant-Garde », 1994, p. 47.
59 Hervé Manéglier, « Fontaine », dans Hervé Manéglier et Myriam Schleiss, l’ABCdaire de l’Eau, Paris, Flammarion, 2000, p. 65.
60 Voir André Breton, Nadja, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1964, p. 100-102.
61 Louis Delluc, « Vague à l’âme », Écrits cinématographiques II/ 2, op. cit., p. 181.
62 On trouve aussi dans les films cités d’Epstein et de L’herbier comme dans beaucoup d’autres, quoique plus parcimonieusement, cette utilisation scénographique du jet d’eau : construction de la profondeur, jaillissement, miroitement, symétrie, etc.
63 Loïe Fuller (1862-1928). Danseuse américaine qui dut notamment son succès à l’emploi de jeux de lumière colorée et de longs voiles qu’elle portait dans ses spectacles pour amplifier ses gestes.
64 Éric Thouvenel, « Polychroma, l’autre rythmique de la danse serpentine », Exploding no 10, « Danse/Cadence », juillet 2003, p. 18.
65 Les deux autres sont Disque 957 et Thèmes et variations, en 1928.
66 Tami M. Williams, « Germaine Dulac, du figuratif à l’abstraction », dans Nicole Brenez et Christian Lebrat (dir.), Jeune, dure et pure !, op. cit., p. 80.
67 Ibidem.
68 Henri Fescourt, La foi et les montagnes ou le 7ème art au passé, Paris, Publications Photo-Cinéma Paul Montel, 1959, p. 301.
69 Patrick de Haas, Cinéma intégral – De la peinture au cinéma dans les années vingt, Paris, Transédition, 1985, p. 85.
70 Jean-Clarence Lambert, « Pour le dépassement du documentaire », L’Âge du cinéma no 6, « Le documentaire expérimental et le film d’avant-garde », décembre 1951. Cité par Alain et Odette Virmaux, « Documentarisme et avant-garde », dans Nicole Brenez et Christian Lebrat (dir.), Jeune, dure et pure !, op. cit., p. 104.
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